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2015

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Spécial The Cut Dossier Rencontre avec le top Anna Grigoryan Glamour Amnésie Internationale, le retour Centenaire


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Sommaire 05 06 08 22 24 40 42 50 56 58

EDITO HAYLIGHT DOSSIER SPÉCIAL THE CUT HAY NEWS COURANT D’ART PEOPLE OF EREVAN GLAMOUR AMNÉSIE INTERNATIONALE OVSANNA HOT HOT HEAT (Désolé mais pas cette fois)

Y+nc ka=

Editeur JAF Président de la JAF Julien Dikran Harounyan Rédacteur en Chef Fred Azilazian Maquette / Photo Armen Catanasian Photo Couverture Le Public Système Cinéma Ont collaboré à ce numéro Emilie Azilazian Liana Davtyan Bella Shakhnazaryan Hakob Khalatyan Rolland Biscourian Jean-Michel Agopian Traduction Nouné Karapétian

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Edito/Médito Dario C

générale car nos valeurs sont les mêmes. Dans ce combat que nous menons contre les fanatiques, les extrémistes, les racistes, et les fascistes, nous sommes Charlie ! Dans cette lutte pour la liberté, la reconnaissance du génocide, et la justice, nous sommes Charlie !

Julien Dikran HAROUNYAN Président JAF Marseille PACA

Un siècle après On l’attend depuis des années, on en parle depuis des mois, on se prépare depuis des semaines. Mais ça y est, 2015, année symbolique pour les Arméniens du monde, a commencé. Le Génocide des Arméniens, premier du 20e siècle a eu lieu il y a cent ans, et cent ans après on en parle encore. Une première victoire, face à ceux qui ont voulu faire taire tout un peuple. Nous sommes aujourd’hui toujours debout, et continuons de raconter cette histoire que nous portons de génération en génération. 100 ans, c’est aussi le nombre d’année qu’il aura fallu attendre pour qu’un cinéaste turc réalise un film sur le génocide. N’écoutant que son courage et son humilité, Fatih Akin, s’impose aujourd’hui comme le porte-parole d’un peuple qui veut se grandir en reconnaissant son histoire. The Cut est sans conteste l’un des films événements de l’année. C’est une main tendue, tant attendue, de la société civile turque, à nous, les descendants des rescapés. De ce peuple, qui souffre aussi du négationnisme de son état, et qui désormais ne veut plus se taire. C’est bien de Turquie que viendra la vérité, et c’est à nous d’encourager, et de soutenir ces citoyens qui nous rejoignent dans cette résistance et dans notre combat. Un siècle après, la réconciliation est en marche, et c’est un pas de plus vers la reconnaissance. Mais 2015 a plutôt mal commencé pour la liberté et la justice. L’attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo a provoqué un véritable séisme dans notre société. La douleur s’est installée, et nous la comprenons, nous, les fils et filles des victimes, il y a 100 ans d’autres barbares. Cet acte, nous le condamnons et nous nous joignons à la mobilisation

2015 sera aussi celle de la 7e édition d’Amnésie Internationale, qui permettra à la JAF d’interpeller une nouvelle fois les consciences sur les génocides, grâce à un événement rassemblant toutes les personnes éprises de justice et de paix. Pour cette édition , la journée aura pour objectif de «raviver la mémoire». Et c’est un intellectuel turc, Taner Akçam, qui sera à Marseille pour défendre cette cause avec à ses côtés, les membres du conseil scientifique international et à leur tête le Docteur Yves Ternon. Un siècle après, le triste anniversaire que nous commémorons n’aura malheureusement pas servi pour les autres peuples martyrs qui ont suivi. Et pourtant nous continuons encore de militer. Nous sommes toujours là pour crier notre soif de reconnaissance. 2015 est l’année de toutes les espérances ! Et nous avons toutes les raisons de penser, que cette année, plus que jamais, nous avons une chance. La communauté arménienne se mobilise comme jamais, et entraîne avec elle ses amis, qui luttent pour une même cause. Notre mouvement aura à cœur d’apporter sa pierre aux manifestations du centenaire. Qu’il s’agisse d’Amnésie Internationale, ou du nouveau spectacle de son ensemble artistique Un siècle après, c’est par la culture et la réflexion que nous voulons transmettre notre message. Au sein du CCAF, c’est par la revendication à l’unisson que nous serons mobilisés. Cette année historique, il n’appartient qu’à nous, jeunes citoyens français de la transformer du deuil à la reconnaissance. Héritière de Missak Manouchian, la JAF se fait un point d’honneur à défendre la mémoire de ces héros de la France. Encore plus, lorsque celle-ci est attaquée en plein cœur de Marseille par un groupuscule d’extrême droite, qui ne connaît pas l’Histoire, et attise la haine entre les individus. Le procès de la profanation de la stèle de Manouchian sur le Vieux-Port a eu lieu, et les auteurs des faits ont été condamnés. Mais cet événement arrive à un moment particulièrement trouble, où l’on voit à quel point l’ignorance nourrit la haine, construit les fanatismes. Et c’est maintenant plus que jamais qu’il faut s’indigner. Et il nous appartient de transmettre ces valeurs de résistances aux générations à venir. Résister c’est militer, à l’image de l’artiste, du journaliste, de l’homme politique, de l’entrepreneur, de l’avocat ou encore du citoyen engagé. Chacun dans son domaine, chacun avec sa sensibilité, mais tous avec le même objectif. En cette année symbolique, personne ne doit se taire, et tout le monde doit agir. Si nous marchons ensemble, c’est l’amnésie collective que nous ferons reculer.

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George Clooney pour dire “Plus jamais” ? e célèbre acteur, producteur et réalisateur américain George Clooney devrait se mobiliser pour la reconnaissance internationale du génocide des Arméniens ! La star, connue pour son engagement humanitaire notamment pour le Darfour, pourrait se rendre en Arménie en avril, à l’initiative du groupe de rock californien System of a down, lequel donnera pour la première fois de sa carrière un grand concert gratuit le 23 avril à Erevan, place de la République. Après plusieurs années d’absence, la bande à Serj Tankian a choisi de repartir sur les routes pour dénoncer le négationnisme turc. Intitulée #Wakeupthesouls (“réveiller les consciences”), la tournée de 8 dates exclusives prévue par SOAD passera par Erevan, mais aussi par Los Angeles (06/04), Londres (10/04), Cologne (13/04), Lyon (14/04), Bruxelles (16/04), Amsterdam (17/04) et Moscou (20/04). Par ailleurs, le 28 janvier, la femme de George Clooney, l’avocate Amal Clooney, prendra la défense du Génocide des Arméniens devant la Cour européenne des droits de l’homme, dans le procès qui oppose l’Arménie au négationniste Dogu Perincek. En cette année de centenaire, il était difficile de rêver mieux que le couple Clooney et System of a down pour défendre la cause arménienne et sensibiliser l’opinion publique. L’Histoire est en marche.

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The Cut =

plus que du cinéma

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Sur les écrans turcs depuis le 5 décembre, The Cut est plus qu’un simple film sur le génocide arménien. C’est un acte héroïque. L’acte d’un cinéaste allemand d’origine turque, Fatih Akin, qui, a eu le courage de mettre son art au service de la cause arménienne, alors qu’Ankara continue de nier son crime, 100 ans après l’avoir commis. Le réalisateur de Soul Kitchen, qui au départ voulait faire un film sur Hrant Dink, a embarqué dans son aventure des comédiens exceptionnels, à commencer par l’immense Tahar Rahim (César 2010 du meilleur acteur pour Un Prophète), qui porte cette épopée à bout de bras. IK a vu The Cut en avant-première en novembre à Paris et s’est évidemment pris une claque. Si la première moitié du film, tournée dans le désert de Jordanie, est insoutenable et un poil déjà-vue, rappelant certaines scènes de Mayrig d’Henri Verneuil, la deuxième partie, à la croisée du western et du film d’aventures, est beaucoup plus originale et captivante. Au final, The Cut est un opus taillé pour révolutionner les pensées en Turquie, et créer enfin un minimum d’empathie autour de la question du génocide. Ce film, le 7e de la carrière d’Akin, propose une véritable réflexion sur le genre humain, sur les blessures que l’on peut infliger aux autres, et sur la frontière souvent fragile entre le bien et le mal. Il sort en France le 14 janvier. Courez-y !


Les comĂŠdiens Tahar Rahim et Hindi Zahra

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Fatih Akin,

un héros des temps modernes Mondialement connu pour avoir réalisé Soul Kitchen, une comédie à la fois musicale et optimiste, Fatih Akin est incontestablement un héros. Un héros des temps modernes. On le répète, alors que son pays d’origine continue de nier ses actes de barbarie 100 ans après les avoir commis, le cinéaste, envers et contre tous, sort The Cut, un film qui rappelle que ce qui s’est passé en 1915 était bel et bien un génocide. Présenté à la Mostra de Venise en septembre, sorti en Allemagne le 16 octobre et en Turquie le 5 décembre (essentiellement à Istanbul, Izmir et Antalia), The Cut complète la trilogie du réalisateur sur l’Amour, la Mort et le Diable, entamée en 2004 avec les films Head-On (primé à Berlin) et De l’autre côté (primé à Cannes en 2007).

L’Amour

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La Mort

Le Diable


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Catanasian


« Nous sommes capables du meilleurs comme du pire » Début novembre, en marge de l’avant-première The Cut à Paris, IK a eu la chance d’échanger quelques minutes avec Fatih Akin. Le lendemain, nous avons également pu assister à la masterclass qu’il donnait au Forum des Images, toujours à Paris, dans une salle bondée de fans. Les propos de Fatih ne sont jamais anodins. Morceaux choisis.

Recherche J’ai fait des recherches sur le Génocide pendant 5 ans. J’ai été complètement plongé dans l’histoire de ce génocide, j’ai vécu avec, ça a été mon univers, mon monde pendant 5 longues années. Je pensais que c’était un sujet connu par tout le monde, je pensais que c’était à moi de rattraper mon ignorance, et pourtant, le film étant désormais sorti, je me rends compte que personne n’est au courant de ce génocide, et pas seulement en Turquie. Le silence règne sur cette question dans le monde entier. Message Mon film ne suffira pas à faire reconnaître le génocide arménien. Un film ne révolutionne pas tout. Avec The Cut, je n’ai pas la prétention de délivrer un message ou d’apporter un éclairage au monde, mais je pense qu’il est temps de déclencher un processus de prise de conscience et d’information. Je vais vous raconter une anecdote qui m’a vraiment fait chaud au coeur : juste après avoir vu le film, un gamin allemand a demandé à sa mère d’aller faire une recherche sur Wikipédia pour en savoir plus sur le génocide arménien. Si le film sert à ça, ce sera déjà bien. Musique La musique a une place importante dans ma vie et ma carrière. Sur un plateau, je mets toujours de la musique avant les prises. Quand je ne tourne pas, je joue de la basse dans un groupe de funk, influencé par la musique black. Dans

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la BO de The Cut, je ne voulais pas de parties de duduk classiques. Tourner dans le désert et mettre du duduk en fond sonore, c’était trop cliché. Je voulais que le duduk surprenne. Nous avons complètement changé son son et nous l’avons distordu, pour le rendre à la fois hypnotisant et rock.
Acteurs Pour qu’un film fonctionne, j’ai besoin de tomber amoureux de mes acteurs. Je pense à eux tous les jours. Heureusement que je les aime d’un amour platonique, sinon ça ne plairait pas à ma femme (rires). Humanité
L’idée qui a été mon moteur pour ce film, c’est l’idée que nous tous en tant qu’être humain sommes capables du meilleur comme du pire. Nous sommes tous capables de tuer notre propre frère, nos voisins, nos amis, les gens avec qui nous avons vécu toute notre vie. C’est quelque chose que je sens. Nous le voyons aujourd’hui à Kobané, ou au Mali. Je sais que nous sommes capables des pires atrocités mais je sais aussi que nous sommes capables de tendre une main pour aider notre prochain. C’est cette ambivalence et cette complexité de la nature humaine que je voulais absolument montrer en racontant l’histoire du peuple arménien.
Allemagne
Mes parents sont Turcs, ils ont émigré en Allemagne dans les années 60 et m’ont donné la vie dans ce pays. Pendant toute mon enfance et

adolescence, j’ai entendu parler de l’Holocauste. J’avais une sorte de rejet en me disant : c’est l’histoire de l’Allemagne, ce n’est pas la mienne. Je me disais : nous, on a nos propres cadavres dans nos placards et ce sont les Arméniens. J’ai déjà mon génocide à moi donc celui des Juifs ne me concerne pas. Maintenant que je suis un homme de 41 ans, je me dois de regarder la vérité en face et de l’affronter. Aujourd’hui, je me sens donc autant concerné par l’Holocauste que les Juifs. Car l’Holocauste ne concerne pas que les Juifs. Il me concerne. Il nous concerne tous. Le génocide arménien me concerne aussi, il nous concerne tous. Pareil pour ce qui se passe à Kobané. Nous portons en nous cette histoire, nous sommes responsables de cette histoire, nous devons être capables de la regarder en face. Génocide Un mot reste un mot. Employer le mot génocide ne veut pas forcément dire qu’on se rend compte de la douleur du peuple arménien. Le mot de génocide est devenu un outil tellement politique aujourd’hui. Je pense qu’on doit assimiler ce génocide, le ressentir, l’admettre au plus profond de soi, et là, ça devient autre chose qu’un mot, ça devient plus qu’un simple mot. Le sens d’un mot est plus important que le mot luimême. Famille
Je n’ai pas les mêmes idées politiques que mes parents, qui sont très conservateurs et très à


droite. Je suis souvent en conflit avec ma famille (certains de ses cousins sont fascistes, ndlr) et mes amis sur la question du génocide car ils le nient. Mes parents ont vu et aimé The Cut. Je pense d’ailleurs que leur vision du génocide a changé.
Empathie
The Cut n’est pas un film sur le génocide. Le génocide est seulement la toile de fond du film. Si je veux relever le challenge de faire un film qui explique le génocide, il faudrait que ce soit un documentaire et qu’il dure au moins cinq heures. Je ne sais pas faire un film d’une heure et demie qui permettrait à tout le monde de comprendre ce génocide. Le seul truc que je peux faire et que j’essaye de faire, c’est de créer de l’empathie. En tant que Turc notamment. Je me suis dis : comment je vais pouvoir atteindre mes cousins et créer de l’empathie auprès des gens qui nient cette question ? Comment faire pour qu’ils ne se détestent pas après avoir vu le film ? Il y a déjà beaucoup de haine autour de cette question, il aurait été facile d’en rajouter, mais je ne l’ai pas fait. Au départ, certains Arméniens ont été offensés que je fasse ce film, à cause de mes origines turques. Maintenant que le film est là, les Arméniens l’ont accepté, ils l’ont adopté. Et donc ils m’ont adopté. C’est ça l’empathie. Fred Azilazian

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The Cut, le pitch Anatolie, 1915. Dans le tumulte de la Première Guerre mondiale, alors que l’armée turque s’attaque aux Arméniens, le jeune forgeron Nazaret Manoogian est séparé de sa femme et ses deux filles. Des années plus tard, rescapé du génocide, Nazaret apprend que ses filles sont toujours en vie. Porté par l’espoir de les retrouver, il se lance dans une quête éperdue, ponctuée de rencontres avec des anges et des démons, du désert de Mésopotamie aux prairies sauvages du Dakota...

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The Cut, la genèse Fatih Akin voulait au départ faire un film sur Hrant Dink, mais trouvant le scénario trop dur, aucun acteur turc de plus de 50 ans n’a souhaité jouer le rôle du journaliste d’Agos sauvagement assassiné en 2007 en plein jour, à Istanbul. « Je ne voulais pas d’un acteur américain ou français, a révélé Akin dans Agos début août. Pour moi, un film sur Hrant Dink doit être un film “turc”. On doit faire face à nos problèmes ». Du coup, Akin a pris des éléments de son projet de film sur Dink puis les a intégrés à The Cut, dont le scénario a été inspiré par les travaux de l’historien turc Taner Akçam et de l’Allemand Wolfgang Gust (ex-rédacteur en chef de l’hebdo Dier Spiegel). Le scénario a par ailleurs été co-écrit avec l’Arméno-irakien Mardik Martin, connu pour avoir collaboré avec Martin Scorsese sur les scripts de New-York New-York et Raging Bull.

Cuba, terre d’exil pour les Arméniens Aidé notamment par les historiens Wolfgang Gust et Kathrin Pollow, Fatih Akin a, quasi-quotidiennement pendant 5 ans, fait de nombreuses recherches sur le génocide arménien, lisant des centaines d’ouvrages sur le sujet. Dans certaines archives, Kathrin Pollow a trouvé, entre autres choses, des rapports de prêtres allemands, danois et suisses qui décrivent les violences perpétrées contre les Arméniens très tôt dans le conflit. Certains documents ont aidé à retracer le chemin emprunté par les réfugiés arméniens, et ont permis de découvrir par exemple que Cuba constituait souvent une première étape dans leur exil vers les USA.

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Des comédiens au top César 2010 du meilleur acteur pour son rôle dans Un prophète de Jacques Audiard, Tahar Rahim crève l’écran dans The Cut. Comme à son habitude, le comédien français est d’une justesse rare dans le rôle de Nazaret, ce jeune père arménien prêt à tout pour retrouver ses filles disparues lors du génocide. Fabuleusement bien coaché par le comédien et auteur Gérald Papasian (Braquo, La French) pour le doublage en Arménien, Tahar Rahim réalise l’exploit de “sonner” hay à 100%. Un Oscar lui tend les bras. Parmi les autres comédiens

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au générique, mention spéciale à la Marocaine Hindi Zahra, que l’on connaissait jusqu’ici comme chanteuse à succès (Victoire de la musique 2011, catégorie album de musiques du monde) et à l’Arménienne Arévik Martirossian (voir Itv page 18), qui joue la bellesoeur de Nazaret. Kevork Malikyan (Midnight Express, Taken 2), Makram Khoury (Munich), Akin Gazi (Zero dark thirty) et l’inimitable Simon Abkarian font également très forte impression, notamment les deux premiers cités, plein d’humanité.


Lara Heller Dans The Cut, la belle Lara Heller interprète les filles jumelles du héros, Nazaret (Tahar Rahim), qui disparaissent pendant le Génocide. Entre deux tournages, elle a accepté de répondre aux questions d’IK.

Avais-tu entendu parler de l’Arménie et du génocide arménien avant de tourner dans The Cut ?
 Oui car j’ai côtoyé de nombreux Arméniens ces dernières années. Ils ont d’ailleurs toujours été sympas et chaleureux avec moi. J’ai étudié le sujet du génocide beaucoup plus en profondeur juste avant le tournage. Comment définirais-tu Fatih Akin ?
 C’est un génial conteur. Je l’ai admiré d’avoir choisi un tel sujet et j’ai senti qu’il était investi d’une mission. C’est un humaniste qui avait besoin de faire ce film. On a tous ressenti son engagement et sa passion et ça a été totalement contagieux ! Est-ce que toi aussi tu serais prête à tout pour retrouver des membres de ta famille à l’autre bout du monde ? La famille est selon moi un ingrédient majeur du bonheur de chaque être humain. J’ai toujours été très proche de mes parents. Pendant mon enfance, on a pas mal déménagé, passant de pays en pays. Dans chacun de ces pays, je me suis sentie chez moi, parce que nous étions soudés avec mes parents. Alors, oui, évidemment, je

ferais tout pour retrouver ma famille si un cauchemar de ce type devait arriver et nous séparer. Comment s’est passée ta rencontre avec Tahar Rahim avec lequel tu tournes une scène puissante ? L’idée de travailler avec Tahar me rendait nerveuse car c’est un acteur formidable. Il a cette capacité d’exprimer tellement de choses avec son seul regard. C’est un gars adorable, honnête et qui a vraiment les pieds sur terre. Au delà de ça, je dois dire que l’ambiance entre les acteurs et le staff de Fatih a été top. Il y avait beaucoup d’affection et de solidarité entre nous, je n’avais jamais connu ça avant sur un plateau. Quels sont tes projets et ambitions pour 2015 ? Et pour la suite de ta carrière ? Je viens de finir le tournage d’un film d’action. J’ai adoré m’entraîner pour les scènes de bagarres. J’adore les rôles physiques et mon personnage était une femme vraiment féroce, ce qui m’a beaucoup attiré. De façon générale, mon but est d’avoir une carrière durable. J’adore travailler dans des langues différentes et passer

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« Fatih Akin est un humaniste »

d’un genre à l’autre. Si je devais citer un acteur dont j’aimerais imiter la carrière, ce serait Ben Kingsley. Il a eu une carrière d’une incroyable richesse, avec des rôles hyper variés. Tu es née en Angleterre, tu as grandi en Suisse, en Allemagne et au Luxembourg, et tu vis aujourd’hui entre Londres et Los Angeles. Tu parles couramment 4 langues (anglais, français, allemand et perse) et une vidéo circule sur le net dans laquelle on te voit parler avec 15 accents différents ! C’est quelque chose que tu travailles beaucoup ou c’est inné ? J’ai toujours eu une extrême curiosité pour les langues. Comme je le disais, j’ai beaucoup bougé en Europe avec ma famille et ça m’a aidé à développer une passion pour les différents accents, dialectes et cultures. Il n’y a pas la même énergie lorsque je parle en Allemand ou en Français. Parler plusieurs langues permet d’explorer plusieurs identités et me nourrit dans mon travail d’actrice.

Propos recueillis par Fred Azilazian

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Arévik Martirossian

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« Le fait d’être Arménienne m’a aidé pour mon personnage »

Emouvante dans le rôle d’Ani, la belle-soeur du héros de The Cut, la comédienne arménienne Arévik Martirossian revient pour IK sur le tournage du film, la manière dont elle a construit son personnage, sa rencontre avec Fatih Akin et Tahar Rahim, et ses projets pour la suite de sa carrière. Nous te découvrons dans The Cut mais tu n’es pas novice dans le metier. Depuis quand es-tu comédienne ? Ça fait quelques années déjà que j’exerce ce métier. Je suis montée sur une scène professionnelle pour la première fois à l’âge de 8 ans, à

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l’école de danse à Erevan. Puis, ici en France, j’ai continué dans le théâtre. J’ai tourné dans plusieurs films français et arméniens, notamment Le lever de soleil sur le lac Van, réalisé par Artak Igityan et Vahan Stepanyan, un film sur les trois générations des descendants du génocide.

Connaissais-tu Fatih Akin avant le tournage ? Avais-tu vu ses films ? Avant d’aller à l’audition, je ne connaissais pas personnellement Fatih Akin, mais j’avais bien sûr vu ses films. Ce fut une grande rencontre ! Nous avons parlé pendant une heure. Ce fut très émouvant, et ce n’est que


sur place que j’ai découvert qu’il voulait faire un film sur le génocide arménien. Considères-tu Fatih Akin comme un héros des temps modernes ? As-tu la sensation d’avoir participé à un film courageux ? La démarche de Fatih est celle d’un honnête homme, qui a remis en question ce qu’on lui avait enseigné, qui s’est interrogé et qui a recherché la vérité même si elle était dérangeante. Et qui, contre vents et marées, a gardé le cap. On peut dire qu’il y a quelque chose d’héroïque dans cette démarche, car elle implique beaucoup de courage. Comment qualifierais-tu Fatih Akin en tant que cinéaste ? Fatih est très fort ! C’est très intéressant de travailler avec lui. Il a une grande qualité : il sait exactement ce qu’il ne veut pas ! C’est très important, parce que ça donne une liberté de proposition aux comédiens. Quand on vient avec une idée, il ne dit jamais non, il écoute et si ça lui plait, il l’intègre dans son processus de création ! On sent que Fatih aime ses comédiens ! En tant qu’Arménienne, est-ce que cela n’a pas été trop dur émotionnellement de te glisser dans la peau de ton personnage ? J’ai travaillé sur le rôle d’Ani pendant quelques mois avec des photos, des témoignages, concernant notamment la déportation des Arméniens de Mardin, ville où commence l’action du film. Ce sont des témoignages bouleversants ! Les gens étaient dans un tel état d’horreur et d’épuisement qu’ils n’arrivaient plus à parler et des

sons d’aboiements sortaient de leurs bouches ! En tant que comédienne, c’est une indication très précise, insoutenable humainement, mais très importante. Ce sont des détails comme ça qui aident à créer le personnage. J’avais une image du désert de Ras-al-Ayn sur l’écran de mon téléphone, les photos de Mardin dans mon ordi... Toute cette période de préparation a été très douloureuse. Tous les jours je m’avançais un peu plus avec mon personnage vers son destin tragique. Et le fait d’être Arménienne m’a bien sûr aidé, car il y a des choses qu’on ne peut pas apprendre ou “répéter” : c’est dans le sang. Le tournage a-t-il été une bonne expérience pour toi, malgré un sujet difficile ? Comment était l’ambiance sur le plateau ? Le tournage s’est très bien passé. L’ambiance était agréable, l’équipe sympa, ce fut vraiment une période de grand bonheur. Mais c’est parce que Fatih est comme ça ! Tout vient du réal’ ! Je me souviens de mon premier jour de tournage, c’était en Jordanie, et je devais chanter. J’ai joué deux rôles dans le film. Initialement, je ne devais interpréter que le personnage d’Ani, mais Fatih m’avait entendu chanter et m’a proposé un deuxième rôle, celui d’une femme qui chante une berceuse à son enfant. Sur le plateau, ma première impression a été forte. La figuration, tellement authentique, tellement semblable aux photos des déportés, m’a transporté tout de suite cent ans en arrière. Le tournage a commencé pour moi avec cette chanson, avec Simon Abkarian et Tahar Rahim face à moi, et Fatih à côté.

T’es-tu bien entendu avec Tahar Rahim avec lequel tu joues une scène très forte ? La rencontre avec Tahar a eu lieu avant le tournage, à Paris, durant les lectures du scénario. Tahar est très gentil, très sensible et super intuitif. L’épisode qu’on tournait était intense et on s’est entendu presque sans rien se dire. J’avais l’impression qu’on suivait une partition de musique. Ça ressemblait à une danse qu’on avait mise en place tout en restant immobiles. Fatih lançait “Action” en chuchotant. Il y avait un silence total sur le plateau et pourtant nous étions deux cents. Ta belle performance dans ce film t’a-t-elle déjà permis de recevoir des propositions pour de nouveaux rôles ? Je suis ravie que ça vous ait plu ! Le film sort en France le 14 janvier, le grand public le verra à ce momentlà. Jusqu’ici, mon travail ne passe pas inaperçu auprès des professionnels. Attendons la suite... Quels sont tes projets et ambitions pour 2015 ? Et pour la suite ? J’aimerais bien sûr avoir des rôles aussi forts et dramatiques que celui d’Ani dans The Cut. Ce qui m’intéresse, c’est de jouer des personnages différents, pas dans la norme, avec des tics et des bizarreries. Je puise une grande satisfaction dans l’observation et la compréhension des tourments de l’âme humaine. Récemment, j’ai reçu une proposition pour jouer dans une comédie et ça me fait très plaisir. A mon avis, il est plus difficile de faire rire que de faire pleurer ! Propos recueillis par Fred Azilazian

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THE CUT en 5 CHIFFRES

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Comme le nombre de pays dans lequel The Cut a été ou sera distribué. La France, la Turquie, mais aussi l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, Taïwan, le Japon, la Grèce ou les USA (au printemps) figurent dans la liste.

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Comme, en millions d’euros, le budget de The Cut, qui dure 2h18. C’est le plus gros budget jamais alloué pour un film de Fatih Akin.

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The Cut est le 7e film de Fatih Akin. Le réalisateur d’origine turque a également sorti 3 documentaires, dont l’excellent Crossing the bridge – The Sound of Istanbul (2005), sur la musique à Istanbul.

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Le tournage de The Cut a duré 5 mois, entre mars et juillet 2013, et s’est déroulé à Cuba, en Allemagne, au Canada, en Jordanie et à Malte.

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Il faisait parfois 40 degrès lors du tournage de certaines scènes du film, notamment dans le désert de Jordanie, où les tempêtes de sable étaient fréquentes. Au Canada, le thermomètre a affiché – 10 degrès. Des conditions qui ont conduit Tahar Rahim, qui avait jeûné pour avoir l’air émacié, à faire un petit séjour à l’hôpital, en état d’épuisement.


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Haynews

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En 2014, l’Arménie occupe toujours la peu glorieuse 94e place (sur 174 pays) du classement de la corruption établi par Transparency International.

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L’attaquant international arménien Yura Movsisyan, qui évolue au Spartak Moscou, arrive en 34e position des joueurs les mieux payés de Russie avec des revenus annuels estimés à 2,1 millions d’euros. Son compatriote Araz Ozbiliz, lui aussi au Spartak Moscou, émarge quant à lui à 2 millions d’euros par an.


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Le salaire minimum en Arménie va être augmenté de 8 euros en 2015, pour atteindre 90 euros par mois.

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Selon le Ministère de l’Economie, l’Arménie a passé la barre symbolique du million de touristes en 2013. Une belle progression pour ce pays qui part de loin en la matière (380 000 touristes seulement en 2006).

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La Bolivie est devenu fin novembre le 22e pays du monde - et le 5e état d’Amérique Latine après l’Uruguay, l’Argentine, le Venezuela et le Chili à avoir reconnu officiellement le génocide des Arméniens.

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Selon une récente étude menée par le BICC, un think-tank allemand pour la promotion de la paix, l’Arménie est le troisième pays le plus militarisé au monde après Israël et Singapour, en raison du conflit non résolu du HautKarabakh.

750 bénévoles ont participé fin 2014 au Phonéton organisé par le Fonds arménien de France et ont récolté pas moins de 1,37 million d’euros de promesse de dons à Lyon, Marseille, Paris et Toulouse.

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System of a down « Nous nous souvenons »

Après plusieurs années de silence, le groupe de rock-métal californien System of a down repart sur les routes pour dénoncer le négationnisme de l’état turc, à travers son #WAKEUPTHESOULS tour. 8 dates sont au programme (voir page 7) dont un immense show gratuit à Erevan le 23 avril, sur la place de la République, le premier jamais donné par le groupe en Arménie. Pour annoncer la tournée, la bande à Serj Tankian, qui a vendu plus de 30 millions d’albums depuis sa création en 1994, a choisi de lancer un message fort sur son site internet et à ses 21 millions de fans sur Facebook. Le voici.

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Courant Made in USA d'art

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Le premier génocide du 20e siècle a été perpétré par les Turcs Ottomans contre les populations arméniennes, grecques et assyriennes de l’empire. L’échec à empêcher ces atrocités et à punir les coupables a mené vers un cycle moderne de génocide. Suite à ce meurtre de masse ayant eu lieu autour de la Première Guerre Mondiale, il n’y a eu ni procès de type Nuremberg, ni tribunaux internationaux dédiés à faire peser la justice sur les coupables, ou à offrir des réparations et des droits aux victimes. En lieu et place de la justice, la Turquie a fait jouer son contrôle d’hydrocarbures et son capital géopolitique pour bloquer la restauration territoriale et les réparations à l’Arménie prévues par Woodrow Wilson. L’État turc, ayant échappé à ses responsabilités dans cette tentative d’annihiler une nation toute entière, récolte toujours les fruits de son crime. Les histoires affreuses de ce premier génocide moderne ont couvert les « Unes » du New York Times dès 1915. La réponse humanitaire à ce crime venue des États-Unis, depuis la Croix-Rouge américaine jusqu’au Near East Relief, a marqué l’émergence de l’Amérique en tant que pouvoir humanitaire international. Mais malheureusement, l’échec du monde à punir les coupables a permis à ce génocide

impuni de devenir un précédent qui a encouragé de nombreux tyrans - d’Hitler à al-Bashir - à utiliser le meurtre de masse comme un outil de pouvoir. L’armée allemande, alliée de la Turquie ottomane, remarquant le fait que la Turquie a pu fuir ses responsabilités, a tiré de ces atrocités une terrible leçon : la capacité du monde à faire l’autruche face à l’extermination programmée d’un peuple entier, avec la guerre comme prétexte. Un jeune soldat allemand de la Grande Guerre, Adolf Hitler, écrira plus tard : « Qui se souvient des Arméniens ? » pendant qu’il orchestrait ce que nous appelons aujourd’hui l’Holocauste. Notre réponse est : « NOUS NOUS SOUVENONS ! » (...). Le pire des fléaux créés par l’homme continue de s’étendre, car la réponse du monde à un génocide est vue comme un choix politique, et non comme une nécessité morale. En exigeant une résolution juste et honnête du génocide arménien, nous disons « Plus jamais » à tous les autres génocides. Plus jamais nous ne resterons inactifs pendant que des gens sont assassinés à cause de leurs origines, de leur couleur de peau, ou de leur appartenance à un groupe religieux, comme ils l’ont été en Turquie, dans l’Europe des Nazis, au Cambodge,

au Timor Oriental, au Rwanda ou au Darfour. Il existe déjà en Turquie des âmes courageuses qui, risquant des actions légales, la persécution, et même la violence, appellent ouvertement à la reconnaissance du génocide arménien et à des réparations. De nombreux citoyens turcs partagent ces valeurs humanitaires, mais ne font pas entendre leurs voix, menacés par un gouvernement qui, depuis trop longtemps, fait barrage à la paix que seules la vérité et la justice peuvent apporter. Il est temps de briser le silence. À l’occasion de ce centenaire solennel, merci de vous joindre à nous et aux citoyens turcs à la conscience claire, de vous élever pour la vérité et la justice, de demander à leur Président et à leur Parlement d’accepter la responsabilité, morale et matérielle, de la République Turque dans le génocide arménien. Avec votre aide, ce pas historique effectué par le peuple de Turquie dans l’esprit de la solidarité humaine, de la compassion et de la justice ne va pas seulement guérir les blessures créées par un génocide précis, mais représentera plus largement une étape majeure vers une nouvelle ère : une ère sans génocide. Merci, System Of A Down.

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Sebu Simonian

Catanasian

« Je suis un optimiste »

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Sebu Simonian, c’est d’abord une barbe. Une barbe de grand maître, savamment entretenue et qui fait jalouser tous les hipsters de la planète. Mais c’est aussi et surtout un génial musicien américain d’origine arménienne. Son groupe s’appelle Capital Cities, et si vous n’en avez pas encore entendu parler, c’est que vous vivez sur une autre planète. Leur single Safe and Sound a été visionné près de 160 millions de fois sur Youtube, et s’est vendu à des dizaines de millions d’exemplaires à travers le monde. Entre une tournée avec la star de la pop Katy Perry et la réalisation d’un titre pour Brian Wilson des Beach Boys, Sebu a accordé une interview à IK. 
 Depuis combien de temps Capital Cities, le duo pop que tu formes avec Ryan Merchant, existe-t-il ? Le groupe est né en 2009. Je composais des musiques de pub avec Ryan. Notre alchimie dans le travail était telle qu’on a décidé de créer notre propre musique, pour nousmêmes. On a sorti notre premier EP en 2011. Et on a signé notre premier contrat avec Capitol (la même maison de disques que Sam Smith, Beck, Elton John, Foo Fighters, Katy Perry ou encore Jennifer Lopez, ndlr) en 2012. Notre premier album est sorti en 2013. Depuis, on a tourné comme des malades ! Quel est ton rôle dans Capital Cities ? Avec Ryan, on partage tout : les paroles, les mélodies, le chant, les programmes, les mix, les instruments. On joue tous les deux de la batterie et de la basse mais mon truc c’est le piano et les claviers. Lui est plutôt guitare. As-tu joué dans d’autres groupes avant Capital Cities ? Oui, car je fais de la musique depuis que je suis adolescent. J’ai joué dans 4

ou 5 groupes de Los Angeles, parfois très rock, parfois plus pop et dansant. Combien de singles de Safe and Sound as-tu vendu ? Plusieurs millions ? Oui. Le single a été certifié plusieurs fois disque de platine dans plusieurs pays comme les USA, le Canada, la Colombie, l’Allemagne. Il s’est donc extrêmement bien vendu ! As-tu senti que cette chanson allait devenir un tel hit lorsque tu l’as composée ?
 Oui, car je suis un optimiste. J’ai imaginé et espéré le même succès pour toutes mes autres chansons avant Safe and Sound. C’est dans ma nature. Quel est ton style de musique préféré ? Je n’aime pas un style en particulier, même s’il est vrai que j’ai été très influencé par Pink Floyd, les Beatles et Radiohead. J’écoute beaucoup de pop, de rock, de dance et d’électro. Des groupes comme Air, Röyksopp ou Underworld me touchent particulièrement. J’écoute aussi des trucs psychédéliques et

expérimentaux. J’aime enfin beaucoup le classique de Beethoven ou Chopin, et la musique arménienne d’Aram Katchadourian et Komitas. Quel est ton groupe préféré de tous les temps ? Pink Floyd ! De quoi parlent tes chansons ?
 De choses assez universelles : la vie, l’amour, les tragédies, les relations humaines... Ces thèmes guident totalement mon processus créatif. Tu as tourné avec Katy Perry et ton single a été un énorme succès. Te sens-tu chanceux ? Oui complètement ! Avec Ryan, on se dit souvent que la chance a été de notre côté. Entendre Safe and Sound à la radio a été un grand moment de joie. Ça m’a rendu très fier et très heureux. Le succès du single et la tournée avec Katy Perry sont jusqu’ici les deux plus grands moments de ma carrière. As-tu rencontré Katy Perry en personne ? Est-elle fan du groupe ? Oui, on l’a rencontré mais on n’a pas vraiment pu échanger et devenir

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amis. Lorsqu’on est en tournée, tout le monde est très occupé et c’est compliqué de trouver du temps. Katy est une très belle personne, très talentueuse, qui travaille dur. Je pense qu’elle est fan de Capital Cities puisque c’est elle qui nous a choisi pour faire ses premières parties. Quels sont tes projets pour 2015 ? Et à plus long-terme ?
 Je vais consacrer plus de temps à écrire et à produire dans mon studio de LA. Je vais collaborer avec pas mal d’artistes différents, et faire quelques remixes. Je travaille aussi et surtout actuellement sur deux chansons avec Brian Wilson des Beach Boys. Elles sortiront sur son prochain disque solo l’an prochain. C’est un honneur et un grand challenge de travailler avec une telle légende. A plus long-terme, j’espère pouvoir continuer à écrire, explorer et découvrir de nouveaux sons. Produire des artistes, naviguer entre des sons modernes et vintage et les mixer avec mes idées. Es-tu déjà allé en Arménie ? Oui, et j’y ai d’ailleurs fait une minitournée solo il y a quelques mois. J’ai fait un DJ set et donné trois shows acoustiques, en formule pianovoix. J’étais accompagné par trois musiciens arméniens dont Jivan Gasparyan Junior au duduk et Narek du groupe Bambir, à la guitare. La musique arménienne a toujours eu une place particulière dans mon cœur. Dans le futur, j’espère incorporer plus de sons et d’instruments arméniens dans ma musique.

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Pour finir, un petit conseil à nos lecteurs : quelle est selon toi la salle de concert de Los Angeles idéale pour voir un concert ?
 Il y en a beaucoup ! Le top pour moi, c’est le Hollywood Bowl. Cet endroit est fabuleux. C’est un immense amphithéâtre naturel de 18 000 places assises avec en toile de fond les montagnes d’Hollywood. J’ai vu plein de concerts incroyables là-bas comme Roger Waters des Pink Floyd, Air ou encore Radiohead. Recueillis par Armen Catanasian

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Arnaud Khayadjanian « J’ai envie de créer un dialogue entre les Arméniens et les Turcs »

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Courant Made in France d'art

Arnaud Khayadjanian est un cinéaste français d’origine arménienne. Après des études en cinéma à la Sorbonne, le jeune artiste de 27 ans a réalisé Les horizons perdus, un court-métrage de fiction, produit par le G.R.E.C. (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) et sélectionné et primé dans 18 festivals. En plus de réaliser régulièrement des clips pour des groupes de musiques actuelles (Casablanca drivers, etc...), Arnaud travaille actuellement sur un long-métrage documentaire, Les chemins arides, inspiré par l’histoire particulière de ses arrière-grands-parents arméniens et soutenu par la Fondation Hrant Dink. Quand as-tu décidé de réaliser Les chemins arides ? Il y a 3 ans, j’ai découvert le tableau d’Aimé-Nicolas Morot intitulé Le Bon Samaritain. Ce tableau m’a rappelé l’histoire de ma famille arménienne et m’a donné l’envie de faire ce film.

une esclave aux yeux des autorités. Ce récit bouleversa mon rapport au génocide, aux Turcs, et à mon prochain. J’ai aujourd’hui envie de créer un dialogue entre les Arméniens et les Turcs. J’ai envie de rapprocher ces deux peuples.

De quoi parle de ce film ? À 20 ans, j’ai découvert l’histoire de mes arrière-grands-parents arméniens. Je suis tombé sur un récit qui me dévoila une autre facette du génocide arménien, celle des Justes, ces héros anonymes qui ont sauvé des vies en 1915. J’ai appris que mon arrièregrand-père, Vahan, avait survécu grâce au secours d’un paysan d’Anatolie. Mon arrière-grand-mère, Anna, avait quant à elle été cachée au sein d’une famille turque la faisant passer pour

A quel âge as-tu eu envie de devenir réalisateur ? Petit, je rêvais plutôt d’être un sportif, comme mon père. C’est à 20 ans que j’ai décidé de devenir réalisateur. Je vivais alors en Angleterre et j’ai découvert les films de Ken Loach, Mike Leigh ou Alan Clarke. Une révélation. Tes parents t’ont-ils soutenu ? Mes parents me soutiennent tous les jours, ils m’encouragent même s’ils ne connaissent pas le milieu artistique

dans lequel j’évolue. Quel regard portes-tu sur les travaux de tes collègues d’origine arménienne ? J’aime beaucoup les films d’Atom Egoyan. Lorsque j’étais étudiant à la Sorbonne, j’ai fait pas mal de recherches sur ce cinéaste. Quels sont tes secrets pour travailler dans l’harmonie ? Je regarde beaucoup de séries TV comme Louie, Seinfeld, House of Cards ou The office. Et puis, je cours beaucoup : j’essaye de faire un footing tous les jours.

Propos recueillis par Liana Davtian

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Bella Shakhnazaryan Julien et Jeff Tekeyan

Les frères Tekeyan,

la musique dans le sang Notre journaliste Bella a eu un coup de cœur pour le groupe Teketi Boom, emmené par Jeff Tekeyan. L’occasion de rencontrer une véritable famille de musiciens dans l’âme.

Un samedi soir ordinaire à Paris. Je cherche un concert sympa dans un lieu sympa. Un nom (Tekeyan) à consonance arménienne parmi les membres d’un groupe suscite ma curiosité. J’écoute quelques chansons disponibles sur internet. Teketi Boom ? C’est décidé ! Je file à la Bellevilloise dans le quartier

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de Ménilmontant pour les voir en live ! Quelques minutes après avoir découvert la musique magique de ce groupe, j’ai la chance de faire connaissance avec toute la tribu des Tekeyan. Le père, la mère, le frère bassiste, le frère batteur et son fils Sevan ! Tous sont présents à chaque concert ! La musique semble toujours

les avoir accompagné. Tekeyan père, jeune batteur, jouait avec son groupe à Montmartre dans les années 60, quand il a rencontré la future femme de sa vie à 17 ans. Coup de foudre ! De cet amour sont nés, en plus d’un studio d’enregistrement familial, nommé Profil on air, deux autres musiciens, Jeff et Julien.


DR Le groupe Teketi Boom

Jeff fait Boom C’est en 2008 que Jeff, le frère cadet rencontre Maï (un sosie de Pocahontas !) lors de ses études au Conservatoire d’Évry et qu’ils décident de former le groupe Teketi Boom, contraction de Teke-yan et Mesmet-ti (le nom de Maï). Lui, contrebasse et beat box. Elle, flûte et voix. Ensemble, un mélange de poésie, de jazz, de chanson française et de technologie avec l’utilisation de samples. Sur scène, la magie opère. Les paroles, les sons, les rythmes, les instruments sont samplés, créant une impression de pyramide sonore incroyable. Derrière la console, à quelques mètres de la scène, se tient Pierre “le sorcier”, l’architecte du mixage, toujours dans l’ombre, qui édifie le paysage sonore pendant le concert. Grâce à cette fine équipe, chaque concert devient ainsi un véritable laboratoire de création ! Inspirés avant tout par le jazz, les Teketi Boom aiment aussi le groove, la musique black et la soul. Mais celle qu’ils créent est difficile à définir : nouvelle chanson française ? Pop éclectique ? Ou plutôt un « jeu entre les paroles et la musique », comme le suggère Jeff ? Julien, le side man Julien, le frère aîné, est batteur, percussionniste, bassiste et même parfois pianiste. Dès 11 ans, il suit des cours de batterie à Etrechy avec un professeur arménien Patrick Pilossian, qui est devenu ensuite le “tonton” de la famille. A ce même âge, il joue déjà dans plusieurs groupes avec des amis, dont une formation de « rock celtique agricole », et un Big Band, dont faisait partie aussi Sébastien Texier (aujourd’hui saxophoniste et clarinettiste de jazz français connu, lui-même fils d’Henri Texier, contrebassiste de jazz, ndlr). Aujourd’hui, Julien est un side man : un musicien professionnel dont les services sont requis par différents groupes dont il n’est pas membre permanent. Une sorte de batteur polyvalent, qui doit savoir s’adapter à des univers différents. Julien a notamment été pendant longtemps side man pour Jehro, Féfé ou encore Khaled. Avant de partir, je demande aux deux frères Tekeyan avec quel musicien ils aimeraient jouer un jour. Réaction de Julien : « Avec Michael Jackson. Mais il est mort...». Les deux frangins sont des fans absolu de Bambi. Dans un autre registre, ils espèrent pourvoir collaborer un jour avec Tigran Hamasyan. Et pourquoi pas en Arménie, pays qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de visiter. Bella Shakhnazaryan www.facebook.com/teketiboom - www.facebook.com/julien.tekeyan

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Yervand Manaryan

« L’art est une drôle de chose. Quand il t’attrape, il ne te lâche plus ! »

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C’est à Erevan, le lendemain de son anniversaire, qu’IK a eu l’immense honneur de rencontrer le légendaire acteur Yervand Manaryan, figure emblématique du cinéma arménien. Interview sans faux semblants avec un « jeune homme » de 90 ans. Comment êtes-vous devenu acteur ? Par choix ? Par vocation ? Mes parents étaient acteurs. Mon frère Arman Manaryan et moi avons grandi dans une famille très artistique. Arman a réalisé beaucoup de films connus et aimés par le public. Mes parents étaient des artistes amateurs, car à leur époque il n’était pas possible de vivre de son art. Tu devais absolument avoir un «vrai» métier à côté. Mais vous savez, l’art est une drôle de chose. Quand il t’attrape, c’est fini, il ne te lâche plus. Donc, tout naturellement j’ai décidé de devenir acteur. Notre famille vivait en Iran et j’ai eu la possibilité d’aller étudier dans le pays de mon choix. J’ai choisi l’Arménie. Mon père, qui était malade au moment de mon départ, et qui était très préoccupé par mon avenir, m’a dit : « Vas-y, apprends le métier que tu veux mais surtout ne deviens pas acteur ». Il savait par expérience que dans ce métier tu peux tout donner et ne rien recevoir en retour. Au départ, j’ai écouté

mon père et je suis allé à l’Université d’Erevan, étudier la linguistique. Peu après, j’ai appris qu’il y avait une option théâtre à l’Université et je suis allé voir le directeur, l’académicien Hratchia Bouniatyan. Il a refusé plusieurs fois mais j’ai tellement insisté qu’il a téléphoné un jour à un type en disant : « Vavik, j’ai un jeune étudiant venu d’Iran qui s’est trompé de fac. Il aurait dû venir chez vous ». Il avait appelé le directeur de l’institut théâtral, Vavik Vardanyan. A partir de ce jour-là, ma vie a pris une autre tournure. J’avais pourtant donné ma parole à mon père, et ça me gênait. Je lui ai écrit et lui ai tout expliqué. C’était au début des années 50. Cela fait donc 64 ans que nous sommes dans ce métier avec mon frère. Pourquoi avoir choisi le cinéma comme terrain d’expression ? Au début, je n’étais pas ami avec le cinéma. Je n’y avais même pas pensé. Mon rêve, ma vie, c’était le théâtre. Un jour, mon frère est venu en Arménie à

la recherche d’un scénario arménien pour son premier film à Moscou. Il a passé tout son séjour sans trouver ce qu’il voulait. Déçu, il s’apprêtait à rentrer quand il est venu me voir la veille de son départ. Je travaillais à l’époque au Théâtre de Goris en tant que metteur en scène. On est sorti après la répétition et sommes allés à la bibliothèque. C’est là que nous sommes tombés sur la nouvelle d’Aterpat, Tejvejik. J’ai travaillé toute la nuit et le lendemain, le scénario était prêt. Le film a été une grande réussite et je me suis retrouvé lié au cinéma malgré moi. Par la suite, j’ai fait des scénarios aussi pour les collègues d’Arman. Mais mon plus grand succès au cinéma c’est La mariée du Nord en 1975. Le réalisateur Nerses Hovhannisyan était fin psychologue. Il connaissait les acteurs et savait ce qu’il pouvait obtenir de chacun de nous. Dans ce film, je joue le rôle d’un professeur de français d’un village d’Arménie, un rapatrié qui parle en arménien occidental.

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Yervand Manaryan dans son thÊâtre, au milieu de ses marionnettes

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Il paraît que c’est un film que vous avez failli ne pas faire ! Quand j’ai lu le scénario de Jora Harutyunyan, je n’ai pas aimé l’histoire. C’est l’histoire d’un garçon arménien qui veut se marier avec une fille russe et l’amener en Arménie. C’était un thème difficile à aborder à cette époque. J’ai donc refusé de participer au film. Mais Nerses Hovhannisyan m’a finalement convaincu en me disant que le personnage avait été créé pour moi et qu’il allait s’appeler Yervand quel que soit l’acteur. Je me suis dit : si quelqu’un doit jouer un rôle avec mon nom, autant que ça soit moi ! Au final, l’expérience a été fabuleuse. Le tournage s’est très bien passé. Nous n’avions pas le sentiment d’être filmés. Nous nous connaissions tous et étions tous des amis. Nerses a su créer une atmosphère pour qu’on reste ce qu’on est mais dans la peau des autres. Et nous avons fait un film mémorable. Le public l’a adoré. Je pense que la clé de la réussite était sa sincérité. Ce film a été un déclic et m’a donc rattaché au cinéma pour toujours. Néanmoins, je le répète, ma préférence, c’est le théâtre. Au cinéma, tu peux toujours te corriger, faire et refaire des prises. Au théâtre, c’est impossible. En montant sur scène, tu n’as pas droit à l’erreur. Tu peux jouer le même rôle pendant 5 ans d’affilée, tous les soirs, et ce sera différent à chaque fois. C’est un processus de création permanent. C’est ça la magie du théâtre. Aujourd’hui, vous dirigez d’ailleurs le théâtre des enfants... C’est un théâtre très important à mes yeux. C’est un monde à part. Ici, on a la possibilité d’éduquer les enfants grâce à nos spectacles, de servir d’exemple, de donner des réponses à beaucoup de questions qu’ils se posent. L’enfant vient voir un spectacle dans le Théâtre du grandpère Yervand. Je n’ai pas le droit de le décevoir. Tout ça me garde en forme

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et c’est grâce à ça qu’à 90 ans je suis ici, en train de discuter avec vous. Je n’ai pas le droit de tomber malade. Je pense que c’est Dieu qui m’a donné ce don. C’est lui qui a décidé que je devais faire ce métier et moi, j’obéis.

Maintenant, j’ai atteint ma limite. Même en politique je vois les choses différemment. J’ai un autre regard sur nos relations avec l’Azerbaïdjan par exemple. Je n’ose même pas les exprimer...

Vos spectacles font la part belle aux marionnettes. Êtes-vous seul à vous en occuper ? Non, j’ai une équipe de jeunes acteurs à mes côtés. Ce ne sont pas des artistes ordinaires. Les marionnettistes doivent toujours avoir une oreille dans la salle. Les enfants réagissent, posent des questions. On doit réagir à chaque bruit qui vient de la salle. C’est un dialogue permanent. Nos artistes doivent être habitués à ce type de jeu.

Quel est le dernier film que vous êtes allé voir au cinéma ? Je ne vais plus au cinéma. Je n’y arrive pas.

Que pensez-vous des programmes télé d’aujourd’hui ? Rien. C’est quelque chose qui ne me touche pas. Pour mes 90 ans, ma petite-fille m’a offert un énorme téléviseur ! Mais je ne regarde que le journal, qui dure 30 minutes. Le reste ne me concerne plus. Mon lien avec le petit écran est rompu ! Cela signifie que la télé d’aujourd’hui n’a rien à vous dire ? C’est exactement ça. Les problématiques culturelles d’aujourd’hui ne me touchent pas. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’il m’arriverait un jour de vivre une telle coupure avec le monde. Dieu nous donne un temps pour tout. J’ai vécu un temps où je posais des questions, où j’essayais de donner quelques réponses de façon très audacieuse.

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Pas même lors du festival Golden Abricot ? Non, je suis désolé mais les films sélectionnés ne me plaisent pas. Je ne les comprends pas. Pour être plus sincère, je vais vous expliquer. J’ai ma propre perception du monde en tant que citoyen. Mais elle s’est terminée avec l’époque soviétique. Les choses que je devrais dire, revendiquer, et pour lesquelles je devrais me battre font partie du passé. Aujourd’hui, je ne me permets donc plus de dicter mon opinion. Heureusement, je continue de parler facilement avec les enfants. Je leur apprends des choses élémentaires, universelles : il ne faut pas mentir, il ne faut pas voler… Ce sont des normes éternelles, elles ne changent pas avec le monde. Avec les enfants, vous délivrez aussi des messages de paix... Il est dangereux d’avoir des préjugés. Arménien, Azéri, Turc, musulman… Tout ça nous bloque car nous sommes avant tout des hommes, des voisins. Avant d’être chrétiens ou musulmans, nous sommes des êtres humains. Il faut qu’on trouve un terrain d’entente.

Quand on est ennemi, les deux cotés perdent. Quand on est ami, les deux gagnent… Ce sont des problèmes de très grande importance. La société actuelle ne s’occupe pas assez de ces questions. Nous vivons une ère de préjugés. Et c’est effectivement ça que j’enseigne aux enfants… Vivre dans la paix. Mais comment changer les choses ? C’est aux intellectuels actuels de trouver la voie. Avec les Azéris, nous avons eu des relations amicales pendant de longues décennies


pendant lesquelles on ne parlait pas de la religion. Et aujourd’hui, dès qu’on évoque ce sujet, c’est la guerre… Vous voulez dire qu’en Azerbaïdjan aussi existent des esprits lucides ? Mais bien sûr ! Tant qu’il y a une personne en Azerbaïdjan qui m’accepte en tant qu’Arménien, je vais penser que tout n’est pas perdu. Il y a des années, j’ai écrit le scénario du film Les rives blanches, réalisé par mon frère. C’est un film sur le lac Sevan traitant des questions écologiques. C’est l’un des films pionniers du

cinéma écologique. Nous avions eu beaucoup de critiques négatives. Et c’est un Azéri qui a défendu le film en premier. Pensez-vous que le monde actuel comprendra un jour et reconnaîtra le génocide des Arméniens ? On a souhaité éradiquer les Arméniens de la surface de la terre. Mais voyez le résultat ! Nous sommes toujours ici. Et on commence à nous considérer de plus en plus. Les Turcs ne sont pas un peuple autochtone et seront obligés de retourner vers leurs racines

un jour. Parce que c’est uniquement là-bas qu’ils trouveront leur bonheur. Ils ne peuvent rien contre nous. Les grandes puissances essayent de tailler le monde selon leurs souhaits et leurs intérêts mais la démographie est une science beaucoup plus sérieuse qu’ils ne le pensent.

Propos recueillis par Armen Catanasian

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Des visages et des figures. From Erevan with Love.

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Ruben


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Anna Grigoryan

« J’adore la langue française ! »

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On peut le dire : après avoir fièrement représenté l’Arménie fin 2013 en Chine, à Shenzhen, lors de la 30e édition du fameux concours international de mannequinat Elite Model Look, Anna Grigoryan (21 ans, 178 cm) est promise à un très bel avenir sur les podiums. En attendant de multiplier les couvertures de magazines à travers la planète, la belle continue son travail de présentatrice sur la chaîne arménienne A-TV. Et se confie en exclusivité à IK.

On pense souvent à tort que les mannequins n’ont rien dans le cerveau. Tu es la preuve vivante qu’on peut être très belle et très intelligente... Raconte nous un peu ton parcours... J’ai étudié le violon à l’école d’art. C’est un instrument que j’adore. Aujourd’hui, mon emploi du temps ne me permet plus d’en jouer mais la musique est toujours dans ma tête et je sais qu’un jour je reprendrai le violon. Sinon, comme j’adore les langues, j’ai étudié l’anglais et l’espagnol à l’institut Brioussov à Erevan. Pendant mes études à la fac, les cours ne me suffisaient pas. Je sentais un vide. Je voulais apprendre encore plus, et j’étais attirée par tout ce qui touchait à l’art. La matière que j’appréciais le plus, c’était la littérature. As-tu grandi dans une famille d’artistes ? Non, mon père était sportif de haut niveau, un champion de ping-pong et ma mère enseignante. Mais la musique a toujours été présente dans ma famille. Enfant, je chantais beaucoup, mon père jouait de la guitare et ma mère l’accompagnait

au piano. Mes parents ne voulaient pas me voir dans le show business, ils préféraient des métiers plus sérieux. Mais je ne pense pas que ce que je fais actuellement est moins sérieux que le travail d’un professeur ou d’un employé de banque. Justement, parlons un peu de ce que tu fais aujourd’hui... En 2e année de fac, je suis allée à un casting de présentateurs télé organisé par une chaîne arménienne. J’ai été choisie et j’ai été obligée de tout avouer à mes parents. Ils étaient contre, mais au final, ils m’ont soutenu. J’ai commencé à travailler chez A-TV. Et à partir de là, j’ai eu de nombreuses propositions pour des shootings photos. Qui est le premier photographe avec lequel tu as travaillé ? Vahan Stepanyan de l’agence Panarmenian. La séance ne s’était pas très bien passée. Il n’était pas content de moi. Il m’a provoqué pour que je me donne à fond. Il croyait en moi. Il a eu raison puisque j’ai été ensuite élue modèle de l’année 2013 pour le magazine Luxury. En 2013, toujours,

j’ai ensuite participé au concours d’Elite Model Look où j’ai gagné le premier prix. Suite à cet événement, j’ai représenté l’Arménie au concours final en Chine. Cela a été une grande expérience. J’ai beaucoup appris et je suis revenue en Arménie différente, grandie. J’ai eu des propositions pour rester travailler en Chine, à Shanghai, avec l’une des plus grandes agences d’Asie, mais j’ai préféré retourner en Arménie pour finir mes études de marketing et de management. Je ne m’arrête jamais, je ne suis jamais satisfaite. On a toujours quelque chose à apprendre. Tu es de plus en plus sollicitée à l’étranger. Qu’est-ce que cela t’inspire ? En 2013, j’ai eu la chance de faire la couverture du magazine africain En Mode. En 2014, j’ai participé au concours de Miss Asia Pacific. Tout cela m’a donné beaucoup de confiance et de force. Nous, les Arméniens, sommes un peuple qui a beaucoup de qualités, mais aussi pas mal de défauts. En Arménie, tu peux exceller dans un domaine, mais malheureusement, personne ne te

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remarquera. Je suis sûre que si Charles Aznavour était né en Arménie, il ne serait pas devenu Charles Aznavour. Il suffit de sortir d’ici et d’être reconnu à l’étranger pour qu’on t’accueille ensuite les bras ouverts. Aujourd’hui, tu travailles avec une agence arménienne ? Non, je travaille avec l’agence IC Model Management qui se trouve en Géorgie. J’ai signé un contrat pour trois ans avec eux. Récemment, j’ai reçu des propositions pour travailler en Chine mais l’Asie ne m’intéresse pas trop. Si j’avais des propositions de travail en France ou en Italie je serais très contente. Lorsqu’on fait appel à toi, c’est pour quel genre de choses ? Récemment, j’ai par exemple participé au clip du chanteur anglais Low Deep T. Il est venu en Arménie pour le tournage et on m’a proposé d’y

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participer. J’aime beaucoup mon métier. J’ai besoin de travailler, de faire des clips, des sessions photo, des films. J’ai également fait une école de théâtre. Malheureusement, je n’ai pas encore eu de proposition pour tourner dans des films mais j’espère que ça va arriver. Quel type de rôles aimerais-tu jouer ? Des personnages qui ne me ressemblent pas. Des rôles où je pourrais être différente de ce que je suis dans la vie. En dehors de ton métier, qu’est-ce qui te fait vibrer dans la vie ? J’aime beaucoup la langue française. Et toutes les langues en général. J’aime aussi la musique, le cinéma. De façon générale, je suis fascinée par le beau. La beauté. Sous toutes ses formes. La beauté et la liberté. C’est même pour moi plus fort que l’amour.

Je cherche la beauté partout, dans la vie, dans les relations. Je ne peux pas faire autrement. Je suis plutôt réaliste comme fille, mais j’aime faire des folies, des choses parfois insensées. Sans ces folies, la vie serait grise. Le centenaire du génocide arménien, cela t’inspire quoi ? C’est un thème difficile. Je n’ai pas de haine contre les Turcs d’aujourd’hui. Arméniens, Turcs, Azéris... Tous sont des êtres humains. Parfois un Arménien peut te faire plus de mal qu’un Turc. Je pense que l’Arménie doit aujourd’hui résoudre ses propres problèmes à l’intérieur du pays avant de régler le problème du génocide.

Propos recueillis par Armen Catanasian www.facebook.com/annagrigoryan91


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Amnésie 7,

demandez le programme La 7e édition d’Amnésie Internationale, intitulée « Raviver la Mémoire », se déroulera les 23 et les 24 janvier 2015. Elle s’étalera exceptionnellement sur 3 lieux : le Camp des Milles, le MuCEM, le Dock des Suds.

LES CONFÉRENCES Vendredi 23 janvier au Camp des Milles *14h Accueil/Introduction par Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles
 *14h15-15h00 L’avant Génocide des Arméniens (Gaïdz Minassian)
 *15h15-16h00 Le Génocide (Claire Mouradian)
 *16h15-17h00 L’après Génocide (Yves Ternon)

 Samedi 24 janvier au MuCEM *14h30-16h00 Conférence-Débat sur « Guerres et Génocides »/Introduction avec une intervention de Yves Ternon/
 Table ronde avec Claire Mouradian, Gaydz Minassian et Yves Ternon.
 *16h-16h30 Pause *16h30-18h00 Dialogue entre Taner Akçam et Guillaume Perrier sur la question arménienne en Turquie en 2015 *18h00-18h30 Rencontres/dédicaces

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LES CONCERTS Samedi 24 janvier au Dock des Suds 20h – 21h : CHARLES PASI Chanteur, guitariste et harmoniciste, le Parisien Charles Pasi se passionne pour le blues, le jazz, le rock et les musiques du monde. Engagé sur la tournée de Carla Bruni et invité dans divers festivals, Charles Pasi ne tarde pas à se faire un nom grâce à des performances stupéfiantes. Son premier EP autoproduit, Mainly Blue (2008), est remarqué aux USA où il remporte le Memphis World Blues Challenge. Aussi présent sur la scène française, Charles Pasi sort en 2010 l’EP Uncaged avec deux titres bénéficiant des services du saxophoniste Archie Shepp, dont Better With Butter. Ces titres sont repris sur l’album Uncaged qui voit le jour en 2011. Le crooner du blues français est de retour en octobre 2014 avec l’album Sometimes Awake. www.facebook.com/charlespasi 21h15 – 22h30 : NEVCHÉ and Friends Avec Monde Nouveau Monde Ancien, son premier album sorti en 2009, puis Le soleil brille pour tout le monde ?, une mise en musique de textes inédits et militants de Prévert en 2011, Frédéric Nevchehirlian a tracé une route sinueuse et singulière entre rock, slam et chanson. Appelé désormais Nevché autant par commodité que par radicalité, il nous livre un troisième album, Rétroviseur qui s’inspire du passé tout en se projetant dans l’avenir pour l’interroger. Enregistré entre Dakar, Marseille, Paris et l’île de la Réunion, Rétroviseur est un disque postcapitale de la Culture dans lequel les souvenirs sépias et velourés invitent à imaginer l’avenir sans paillettes et projecteurs, en toute simplicité et honnêteté. www.facebook.com/Nevchehirlian 23h – 00h30 : FLAVIA COELHO Née à Rio de Janeiro, Flavia grandit aux rythmes de la Samba, du Pagode et s’imprègne des harmonies de la Bossa Nova. Sa musique métissée, son chant sensuel et son flow énergique se baladent au rythme des influences brésiliennes, afro-latines et de la fraicheur des sonorités actuelles. Elle y déplie son monde intérieur comme une carte urbaine immense et multicolore. Son flow y résonne sur un Baile Funk urbain, le Forró et la Samba retrouvent des couleurs et se la jouent Hip-Hop, le boléro revisité danse le ragga, et les musiques d’Europe de l’Est s’invitent sous les tropiques en faisant un détour par la Jamaïque. www.facebook.com/flaviacoelho.officiel + d’infos : www.amnesieinternationale.com ou www.facebook.com/amnesie.internationale

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« Il faut qu’Amnésie existe encore dans 10 ans ! »

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Lætitia Dari

Membre active de l’équipe d’Amnésie Internationale, Lætitia Dari évoque pour IK les enjeux de la 7e édition du festival, qui aura lieu le 24 janvier au MuCEM et au Dock des Suds à Marseille. L’occasion aussi de se pencher sur l’avenir de cet événement majeur, créé par la JAF en 2001. Amnésie Internationale va bientôt fêter son 14e anniversaire et réunit de plus en plus de personnes à chaque édition. Comment expliques-tu ce succès et cette belle longévité ?
 Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, Amnésie ne fait pas seulement référence au génocide arménien. C’est un événement réunissant d’autres communautés ayant malheureusement vécu un génocide durant le 20e siècle : Juifs, Cambodgiens, Tutsis. Il s’agit donc d’un événement qui s’adresse à une communauté plus large que celle des Arméniens. De plus, l’actualité, avec par exemple les 20 ans du génocide tutsis au Rwanda en 2014 ou le centenaire du génocide des Arméniens

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en 2015, en fait un événement central. L’équipe d’Amnésie a su également s’entourer des bons intervenants. Ils sont restés fidèles à chaque nouvelle édition, mais ont su aussi rallier de nouvelles personnes à notre cause. Les intellectuels et les artistes sont nos portes-paroles, et cela a été un cercle vertueux. Ensuite, comme tout projet, on essaie de faire toujours plus, toujours mieux à chaque édition. Nous nous sommes améliorés au fil des éditions et nous avons aussi su tenir compte de nos échecs. Aujourd’hui, avec notre expérience, nous détenons une sorte de “boîte à outils” qui nous permet d’être plus efficaces. Enfin, Amnésie vit aussi grâce à l’énergie des bénévoles. Quand on s’investit dans ce type d’événement ce n’est jamais

par hasard. Le militantisme y est très fort et permet de créer une belle dynamique de groupe.
 Quels seront les nouveautés et les enjeux de cette 7e édition ?
 Cette édition est assez particulière car elle ouvre les commémorations du centenaire du génocide des Arméniens. Nous serons les premiers à prendre la parole en France avec des intervenants de renom comme Taner Akçam, premier historien turc à avoir reconnu le génocide des Arméniens par l’Empire Ottoman. L’objectif est de mettre en lumière les changements qui s’opèrent depuis plusieurs années dans la société civile turque, et de donner un espace de parole à ces citoyens que l’État turc


veut faire taire. Amnésie se déroulera aussi sur deux jours et dans trois lieux différents, symboliques et tous partenaires de l’événement : le 23 janvier au Camp des Milles, et le 24 janvier au MuCEM et au Dock des Suds. Le Camp des Milles est un lieu de mémoire lié à la Shoah, et le MuCEM, que l’on ne présente plus, est implanté au J4, lieu où les rescapés du génocide des Arméniens ont débarqué il y a 100 ans. Enfin, le Dock des Suds reste le lieu “historique” où Amnésie se déroule habituellement et dans lequel nous clôturerons l’événement avec la partie concerts. Enfin, Amnésie poursuivra son engagement audelà de ces deux journées. Lors des dernières éditions nous avons pris l’habitude de publier des revues composées d’articles universitaires, de photos, de témoignages liés aux génocides du 20e siècle. Nous avons souhaité poursuivre ce travail en élaborant cette fois-ci un ouvrage dédié aux enfants. Il n’est en effet pas toujours facile d’expliquer ce qu’est un génocide et de transmettre une mémoire aussi douloureuse. Nous nous sommes donc entourés de psychologues, d’instituteurs et de spécialistes de l’enfance pour concevoir un livre. La contribution d’un auteur reconnu dans le domaine des livres pour enfants a permis de créer une histoire universelle, celle de quatre peuples génocidés. Quelle est l’édition d’Amnésie qui t’a le plus marquée jusqu’ici ? J’ai intégré l’équipe d’Amnésie seulement en 2010. J’ai donc vécu

les premières éditions de l’extérieur, en tant que spectatrice. Cela serait compliqué de choisir une édition en particulier car chacune est unique et apporte un élément nouveau. La dernière édition, en 2012, a été certainement l’une des plus belles. Elle portait sur la thématique de la transmission de la mémoire, qui, à mon sens, est une étape essentielle. Il y avait notamment le village de la mémoire qui avait été conçu de manière très interactive. Des acteurs, sous des parapluies, allaient chercher une personne pour lui réciter l’extrait d’un témoignage d’un rescapé. Se retrouver sous un parapluie, dans une sorte de cocon, avec un inconnu qui vous narre un morceau de vie, un petit bout d’existence, qui pourrait être celle de votre aïeul, c’est assez déroutant… Et puis le groupe corse Diana di l’Alba était aussi présent, faisant écho à I Muvrini qui 10 ans auparavant avait participé à la première édition d’Amnésie. En ayant des origines corse par mon père et arménienne par ma mère cette édition avait une valeur symbolique forte, comme un clin d’œil à ma double identité. Penses-tu qu’Amnésie existera encore dans 10 ans ? 
 Il faut qu’Amnésie existe encore dans 10 ans ! Pas simplement pour le “plaisir” de parler des génocides mais surtout pour alerter les citoyens et les États sur les mécanismes qui amènent à ces massacres. Rien n’est jamais fini, l’Histoire nous a montré à plusieurs reprises qu’elle pouvait se répéter. Il faut être présent pour

éveiller les consciences, se souvenir et transmettre. Amnésie Internationale est une sentinelle qui doit veiller en permanence pour éviter que cela ne se reproduise. Penses-tu qu’Amnésie existera encore si la Turquie reconnaît un jour le génocide des Arméniens ? 
 Bien sûr ! Amnésie ne traite pas uniquement de la question du génocide arménien, mais également des autres génocides du 20e siècle. C’est la force de cet événement : son caractère universel. Quand on voit comment l’État français réagit, ou plutôt ne réagit pas, lorsqu’on aborde son implication dans le génocide des tutsis au Rwanda, quand on observe l’essor du négationnisme... On ne peut pas envisager d’arrêter notre combat. Il se murmure qu’Amnésie devrait enfin voir le jour à Paris. Est-ce que l’idée d’une édition nationale te plaît ou fais-tu partie de ceux qui pensent qu’Amnésie ne doit pas s’exporter ?
 Je trouve qu’il s’agit d’une très belle initiative, et j’espère que le succès sera au rendez-vous ! Si Amnésie s’exporte c’est qu’il s’agit d’un événement important, incontournable et qui a toute sa place dans la capitale. A Paris, la portée et le message seront certainement plus forts, et c’est bien le but !

Propos recueillis par Fred Azilazian

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A l’occasion du centenaire du génocide des Arméniens, l’agence PAN Photo et la société U!com publient le livre 99, qui raconte l’histoire de cette tragédie à travers les yeux de témoins, et à travers de nombreux éclairages d’historiens et d’experts. Pour les auteurs, il était indispensable d’écrire ce livre en arménien dans le texte, car les Arméniens euxmêmes doivent connaître les bases de leur histoire pour mieux la transmettre. 99 est divisé en plusieurs parties et revient notamment sur l’histoire du génocide, ses différentes phases dont l’opération Nemesis entre 1920 et 1922. 99 contient de nombreux chiffres et se base sur des faits réels et avérés, des extraits de témoignages d’experts remarquables ainsi que de nombreuses preuves de témoins. Pour promouvoir le livre, Pan Photo et U!com ont créé ce site où il est disponible en téléchargement gratuit :

Télécharger ici

http://panarmenian.net/1915

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Ovsanna, un ange passe A l’aube de ses 107 ans, Ovsanna Kaloustian, doyenne emblématique de la communauté arménienne de Marseille, également l’une des dernières rescapées du génocide de 1915, s’en est allée. C’était le 13 septembre 2014. La première fois que j’ai vu Ovsanna, c’est sur une photo, au milieu d’une foule de manifestants, publiée par le journal gratuit Métro, dans le cadre d’un reportage sur la commémoration du génocide à Marseille. C’était en 2004. Son visage, empreint de grâce et de force, m’avait marqué et j’étais persuadé que cette « jeune » dame avait des choses à raconter. Quelques jours plus tard, je décidais de la contacter pour la rencontrer et rédiger son portrait dans les Nouvelles d’Arménie magazine. J’ai réalisé pas mal d’interviews depuis que je travaille dans la presse, mais celle d’Ovsana gardera toujours une saveur particulière pour moi. Depuis ce jour - le jour où elle m’a raconté son histoire - c’est avec beaucoup d’affection et d’admiration que je venais la saluer lors des meetings et autres activités culturelles de la communauté arménienne de Marseille. Mon sentiment est sûrement celui de tous ceux qui ont eu la chance de croiser sa route : Ovsanna était une femme d’exception. Passionnée de livres et surtout de poésie - elle distribuait ses poèmes aux participants lors de

chaque commémoration du 24 avril à Marseille et avait même publié son premier recueil à 100 ans* - Ovsanna possédait un sourire qui ne la quittait pas. Et pourtant... Tout commença un dimanche matin de 1915, lorsque la maman d’Ovsanna rentra de la messe, en larmes. Dans la grande maison familiale d’Adabazar, près d’Istanbul, où son père avait fait fortune comme coiffeur, le temps s’était arrêté. « Le curé nous a dit qu’il fallait fuir, vite ». Dès le lendemain matin, quartier par quartier, les Arméniens avaient déguerpis et s’étaient entassés dans des trains. Destination ? Inconnue. Les wagons, destinés aux marchandises et aux animaux, n’étaient pas faits pour accueillir des hommes. Ovsanna avait 8 ans. Et jusqu’à l’âge de 12 ans, sa vie rimera avec fuites, errances et angoisses. Déportées à Bolvadin, en Turquie, Ovsanna et sa famille planteront leurs tentes au milieu de nulle part. Pendant deux ans, elle connaîtra l’horreur des camps de concentration. Elle luttera contre la faim et le froid. Régulièrement, sa mère la déguisera en vieille femme pour éviter que les Turcs ne la kidnappent pour la violer.

Il faudra un miracle - faire croire aux Turcs que sa maman avait une maladie contagieuse - pour éviter de peu l’extermination. La suite, c’est Marseille, son mari avec qui elle tiendra une épicerie pendant plusieurs décennies, et une folle envie d’avancer dignement, et ce, le plus longtemps possible. D’ailleurs, rencontrer Ovsanna, c’était aussi vouloir percer le secret de sa longévité. Et il tient en deux phrases : « Je marche beaucoup. Et je ne prends jamais de médicaments ». L’histoire d’Ovsanna, qui était persuadée qu’un jour les Turcs reconnaîtraient le génocide « parce que la vérité triomphe toujours du mensonge », c’est finalement une belle histoire de résilience. Une preuve absolue qu’il y a bien une vie après l’horreur. Fred Azilazian * Edité par Parenthèses et préfacé par le réalisateur Robert Guédiguian, le recueil 100 poèmes pour un siècle d’Ovsanna Kaloustian est disponible à la JAF Marseille au 04 91 802 820.

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