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2014

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TURQUIE : #ATTRACTION #RÉPULSION Dossier Spécial Turquie Glamour Les coulisses d’Atex Cinéma Phareelle Onoyan


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EDITO HAYLIGHT DOSSIER SPÉCIAL TURQUIE HAY NEWS ATEX, LES COULISSES CIAO USSR COURANT D’ART PEOPLE OF YEREVAN ACTU JAF GOODBYE HARRY ! LE SACRE DE BOUDJELLAL HOT HOT HEAT

Y+nc ka=

Editeur JAF Président de la JAF Julien Dikran Harounyan Rédacteur en Chef Fred Azilazian Maquette / Photo Armen Catanasian Photo Couverture Vahan Stepanyan PanArmenia.net Ont collaboré à ce numéro Victor Balayan Emilie Azilazian Kevork Shadoyan Aza Arzumanyan Sophie Nerault Rolland Biscourian Jean-Michel Agopian Traduction Nouné Karapétian 3



Dario C

Edito/Médito

Julien Dikran HAROUNYAN Président JAF Marseille PACA

Penser à l’après 2015 Déjà la fin de la saison et le moment de prendre un peu de temps et de s’arrêter. Le temps de s’oublier pour un mois, de déstresser… tout en pensant déjà à la rentrée. Ce premier semestre fut une nouvelle fois très riche en événements, et la Jeunesse Arménienne de France a tenu ses engagements, jusqu’au final, le 5 juillet dernier avec la dernière représentation de la tournée française du Ballet National d’Arménie. Le magazine IK relaye toute cette action culturelle dans ses pages, qui laisse désormais place à de beaux souvenirs. Mais cet été aura un caractère particulier et même différent. La rentrée s’annonce déjà rude, nous serons en effet à quelques jours du début de 2015 ! Une date qui résonne et qui nous parle. Tant attendu, à la fois porteuse d’espoir et de grandes inquiétudes. Nous commémorerons les 100 ans de notre génocide oublié. 2015, on en a beaucoup parlé, ça y est maintenant on y est ! Ces quelques mois qui nous séparent de cette année « symbole », seront sans aucun doute une répétition générale de ce qui nous attend pour les 12 prochains mois. Il se dit qu’il va se passer de nombreux événements, qu’il y aura forcément des gestes forts durant cette année. Le public attend une reconnaissance, et pourquoi pas des réparations. On s’attend forcément à une plus grande mobilisation parce que cela fait 100 ans.

La JAF sera au rendez vous de 2015. Nous préparons déjà un vaste programme : la 7ème édition d’Amnésie Internationale à Marseille, mais aussi la 1ère édition parisienne de cet événement qui lutte contre tous les génocides du 20ème siècle. Il y aura aussi le nouveau spectacle de l’ensemble Araxe Sassoun qui, forcément, fera écho au centenaire. D’autres actions sont prévues car ce sera aussi l’occasion de célébrer le 70ème anniversaire de notre mouvement. Ce sera une promesse de continuer de mobiliser et interpeller les générations, sur les problématiques des jeunes français arméniens. Tout cela et même plus, nous le ferons et nous aurons le temps d’en parler, de le présenter et le vivre. Mais un autre enjeux de 2015 et du centenaire, c’est aussi de penser à ce qu’il se passera après. Ce qui tient notre communauté depuis 100 ans est lié en partie à notre histoire tragique. Ce destin de survivant donne aussi cette force de se rassembler, et de faire vivre cette culture au-delà des frontières de l’Arménie. Mais si nous continuerons à accomplir notre devoir de mémoire, il faut aussi penser que 100 ans après, il n’y a plus beaucoup de rescapés. Et qu’il sera de plus en plus difficile de mobiliser un public jeune devenu « assimilé ». Personne ne veut penser déjà à 2016, de comment militer et surtout avec qui. Les jeunes sont les nouveaux témoins vivants de cette Histoire, mais peu les préparent à tenir ce rôle. La transmission est au cœur des préoccupations de la JAF depuis quelques années. Le rythme s’accélère, et le magazine IK doit aussi être l’outil fédérateur de la jeunesse oubliée. Pas seulement de celle qui milite déjà, mais aussi de celle qui s’exprime ailleurs, loin des organisations arméniennes, et aussi celle en sommeil qui n’a pas encore pris conscience de son identité arménienne. Le IK continuera d’accompagner notre association avec cette tonalité décalée, mais surtout résolument fresh qu’on lui connaît. Avoir toujours un temps d’avance. Traiter d’une actu méconnue du grand public. Porter un regard différent. C’est la volonté de la JAF pour son magazine qui doit porter ces valeurs : celles de l’après 2015 !

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Catanasian


R. Guédiguian : Un été de fou !

Après avoir sorti en salles le 18 juin son 18e film, intitulé Au fil d’Ariane, Robert Guédiguian tourne cet été son prochain opus, Une histoire de fou, dont la sortie est prévue pour 2015, à l’occasion du centenaire du génocide arménien. Le tournage du film, qui a démarré en avril en Arménie, a notamment eu lieu à Paris en juillet. Il se poursuivra à Marseille en août, puis à Beyrouth en septembre. Comme vous le révélait IK dans son tout premier numéro, Guédig’ va s’intéresser dans ce film à l’histoire du journaliste espagnol José Antonio Gurriaran, qui avait été victime en décembre 1980 d’une bombe posée par des Arméniens de l’ASALA devant les locaux de la Swissair à Madrid et qui, pour sortir de son traumatisme, avait tenu à rencontrer les auteurs de l’attentat, afin de comprendre leurs motivations. Gurriaran a ainsi étudié l’histoire du génocide arménien et aujourd’hui, il reste le seul auteur à avoir publié un livre sur la cause arménienne en langue espagnole ! Une histoire de fou dans laquelle on retrouvera notamment au casting l’indispensable Ariane Ascaride, les excellents Grégoire Leprince-Ringuet et Simon Abkarian, mais aussi et surtout les prometteurs Syrius Shahidi et Rania Mellouli.

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@Turquie #attraction Avant la déferlante du centenaire du génocide arménien en 2015, et à quelques jours des élections présidentielles qui auront lieu les 10 et 24 août, IK a choisi de faire de son numéro d’été un spécial Turquie. Au menu : des interviews, des témoignages, et des portraits de gens sur place qui, on l’espère, vous permettront de mieux comprendre ce pays à la fois riche et puissant, fascinant et détestable à bien des niveaux. Un pays qui, malgré des condoléances fumeuses, continue à nier le génocide, brandissant régulièrement, par la voix de son premier ministre Recep Erdogan, une preuve soi-disant irréfutable : la présence d’Arméniens en Turquie. S’il y avait eu génocide, il n’y aurait plus un seul Arménien en Turquie, plaide Erdogan qui, en plus d’être corrompu jusqu’à la moelle, ne sait pas compter. En 1915, sur les 12 millions d’habitants que comptait la Turquie, 2,2 millions étaient Arméniens. Aujourd’hui, la Turquie est peuplée de 75 millions d’habitants et le nombre d’Arméniens est de 60 000... DR

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#rĂŠpulsion

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Vahan Stepanyan

Un jour moi aussi j’irai en Turquie...

« La Turquie ? Jamais je n’y foutrai les pieds ! Tous ceux qui y vont sont des traîtres ! C’est un pays de merde ! » Ça, c’était moi avant. Aujourd’hui, tout a (presque) changé dans ma tête. Et je vais vous expliquer pourquoi. Tout a commencé le 11 juin. Je reçois le coup de fil d’un ami musicien, qui est aussi réalisateur de documentaires pour France Télévisions. « Ça te dirait de partir en Turquie avec moi pour mon prochain docu ? L’idée, c’est d’envoyer de jeunes Arméniens pour la première fois en Turquie et de filmer leurs réactions, leurs attentes, leurs échanges avec les gens sur place. Ce serait bien que tu sois de la partie ! ». En une poignée de secondes, je me vois monter à bord d’un avion de la Turkish Airlines. Et j’ai peur. Peur de me faire emmerder dès mon

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arrivée à Istanbul. Parce que je suis Arménien. Parce que je milite pour la reconnaissance du génocide depuis mon adolescence. Parce que je suis journaliste. Parce que Hrant Dink s’est fait buter comme un chien en pleine rue. Ce pays me dégoûte. Ou plutôt ceux qui le dirigent. Je pense aux condoléances d’Erdogan. Un écran de fumée évidemment. Mais je ne suis pas sur place, je n’ai pas idée de l’impact que ces condoléances foireuses ont pu avoir sur les Turcs. Après tout, c’est peut-être un début. Il

faut bien un point de départ, non ? Je pense aux Kurdes, malmenés en Turquie. A la culture judiciaire de ce pays, parano au possible. A la condition des journalistes. Je me souviens avoir lu récemment un rapport de Reporters sans Frontières qui faisait de la Turquie la première prison au monde pour les journalistes, avec environ 80 professionnels des médias derrière les barreaux, et des milliers d’autres sous le coup de poursuites judiciaires. Je pense aux crimes d’honneur qui tuent en moyenne une centaine de femmes


chaque année dans l’est du pays et que la Turquie, pourtant si proche d’entrer dans l’Europe, n’a toujours pas réussi à éradiquer. Je repense à Erdogan qui, dès qu’il se sent un peu chahuté, bloque l’accès à Twitter et Youtube comme bon lui semble. Comme en Chine. Peut-on parler de démocratie ? Je pense à ces dizaines de milliers de femmes qui, selon le vice-premier ministre turc, feraient mieux de « bien se tenir et de ne pas avoir de fous rires en public » (voir page 24). Je repense enfin à ces 20 000 manifestants qui ont protesté en mai après l’explosion d’une mine à Soma, dans l’ouest du pays, faisant plus de 300 morts. Comme réponse, le gouvernement a offert des canons

à eau et des gaz lacrymogènes de la police, sans reconnaître ses torts et admettre que la Turquie a toujours refusé de signer la convention 176 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à la santé et la sécurité des travailleurs dans les mines. « Fred ? Tu es là ? Alors, tu viens ou pas ?! » Tout me pousse à dire non, mais je crois que je vais répondre oui. Car je suis curieux. Et optimiste. Curieux, parce qu’après tout, l’Arménie ce n’est pas “mon” pays. Mes quatre défunts grands-parents viennent de Turquie. Pas de Erevan ni de Gumri. La marraine de ma mère possède une maison à Istanbul. Et j’y ai quelques amis arméniens. Pourquoi ne pas aller leur rendre visite ? Optimiste parce que j’ai aussi l’espoir qu’un jour,

Arméniens et Turcs seront réconciliés. La Turquie aujourd’hui, c’est quand même aussi des intellectuels et des artistes mobilisés qui n’hésitent pas, comme Fatih Akin, à faire des films (voir page 25) et à descendre dans la rue pour défendre la cause arménienne. Si le Turc “moyen” conserve une haine tenace à l’égard des Arméniens, c’est tout simplement parce qu’il est ignorant. Il ignore la vérité. Qui peut lui en vouloir ? Alors, oui, même si je change encore d’avis tous les jours, même si j’ai peur de mes réactions une fois sur place, même si j’emmerde Erdogan et sa clique de corrompus qui flirtent avec l’intégrisme, un jour, moi aussi, j’irai en Turquie. Et ça pourrait bien être en 2015. Fred Azilazian

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Guillaume Perrier

« Il n’y a rien à attendre pour 2015 »

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Correspondant en Turquie pour Le Monde depuis presque 10 ans, le journaliste Guillaume Perrier a sorti l’an dernier avec sa compagne Laure Marchand un formidable livre-enquête intitulé La Turquie et le fantôme arménien (Actes Sud). Il nous livre ici son regard sur l’évolution de ce pays et sur les avancées concernant le question du génocide arménien.

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire La Turquie et le fantôme arménien, alors que vous n’avez aucune origine arménienne ? Je m’étais intéressé à la question arménienne entre 1999 et 2001 au moment des débats sur la loi de reconnaissance du génocide. Etant présents en Turquie depuis, Laurence et moi-même sommes naturellement passionnés pour ce sujet qui est un sujet fondamental, central pour comprendre la Turquie. Nous avons assisté au procès d’Orhan Pamuk et à la conférence de Bilgi en 2005, puis rencontré Hrant Dink et assisté à ses funérailles, ou encore voyagé avec Abdullah Gül à Erevan pour le match

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Arménie-Turquie en 2008. L’idée d’en faire un livre s’est imposée d’elle même. 
 On dit que les langues se délient en Turquie à propos du génocide : mythe ou réalité ? C’est une réalité indéniable. Oui, les langues se délient considérablement. Non seulement parmi les lettrés et les intellectuels. Mais plus encore chez les Turcs moyens, dans tout le pays. Depuis toujours, cette terre et ses habitants ont conservé une mémoire de ce qui s’est passé. L’effacement et la négation n’ont pas réussi à faire oublier 1915 et la présence massive d’Arméniens en Anatolie. Bien sûr, il y

a des disparités, il y a des résistances, parfois fortes à cette ouverture. Les Kurdes (qui représentent 20% de la population turque, ndlr) sont beaucoup plus en avance sur le chemin de la repentance. D’ailleurs, le parti kurde BDP-HDP, l’un des 4 présents à l’Assemblée nationale, est le seul parti politique à reconnaître officiellement le génocide de 1915 et à réclamer la reconnaissance de l’État. Quels sont les autres signes concrets qui montrent que cette parole se libère ?
 La multiplication des publications de livres et l’utilisation régulière du mot génocide dans la presse turque.


La Turquie et le fantôme arménien est sorti en turc (Iletisim) le 11 avril. En septembre, ce sera Le génocide des Arméniens de Raymond Kévorkian, ouvrage de référence, qui sera désormais à disposition des Turcs qui veulent savoir. En dehors du sociologue-historien Taner Akçam, qui a d’ailleurs préfacé votre livre, qui sont les hommes forts de cette libération de la parole sur le sujet en Turquie ? On peut distinguer deux groupes. Le premier groupe influent est l’IHD (association des droits de l’homme) proche de la cause kurde et emmenée par Eren Keskin, Ayse Günaysu et d’autres. L’IHD est en faveur d’une reconnaissance inconditionnelle. Elle organise chaque année une commémoration le 24 avril et délivre des messages forts. Le deuxième groupe est composé par des intellectuels en vue comme Cengiz Aktar ou Ahmet Insel, des historiens tel Ayhan Aktar, mais aussi des Arméniens de Turquie, islamisés ou non, qui sortent de la peur et du silence. Il faut aussi citer Osman Kavala, infatigable mécène des initiatives culturelles et du rapprochement. La mort de Hrant Dink a été un choc pour tous ces intellectuels qui se sentent le devoir de poursuivre le combat. Quel regard portez-vous sur la Turquie depuis le temps que vous y vivez ? Le pays est-il vraiment en

voie de démocratisation ? Non, le pays n’est plus en voie de démocratisation. Il l’a été, indéniablement, de 2003 à 2008, notamment sous l’effet des négociations avec l’UE. Le pouvoir des militaires a été cassé. Des progrès ont été faits. Mais depuis, et plus encore depuis 2011, les libertés et les droits de l’homme régressent. Liberté de la presse (la Turquie possède le record du nombre de journalistes emprisonnés, ndlr), liberté de manifester, de croyance, justice aux ordres du pouvoir, absence de séparation des pouvoirs... Inutile de passer en revue tout ce qui ne fonctionne pas. L’affaire du parc Gezi et les récentes affaires de corruption révélées le 17 décembre montrent la dérive autoritaire et affairiste du régime d’Erdogan. 3 millions de personnes sont descendues dans la rue en juin 2013 pour protester. Comment les condoléances d’Erdogan ont-elle été perçues en Turquie ? Comme des condoléances, pas des excuses. Elles ne sont sans doute pas sincères mais peu importe. C’est la première fois que l’État exprime des remords et une forme de reconnaissance des événements. C’est donc une bonne chose, même si cela reste évidemment très insuffisant. Pensez-vous qu’Erdogan reconnaîtra le génocide en 2015 ? Il n’y a rien à attendre pour 2015.

Erdogan ne reconnaîtra pas le génocide. Il ne le reconnaîtra sans doute pas plus tard non plus. Le processus qui conduira à cette reconnaissance me semble irréversible, mais il prendra sans doute encore du temps et aboutira après Erdogan. Pourquoi ? Justement parce que les langues se délient depuis peu. Et que le jour où tout le monde sera bien informé sur le sujet, Erdogan ne pourra plus tenir des discours négationnistes. Quels sont vos projets pour 2015 ?
 En publiant notre livre l’an dernier, nous étions convaincus qu’il fallait poursuivre ce travail. D’abord parce que le centenaire de 2015 approche. Et ensuite parce qu’il nous semble que ce livre mérite de l’image. Pas de la photo. Pour cela notre ami Antoine Agoudjian est le meilleur et il sortira un livre en 2015. Nous avons proposé un projet de film documentaire pour 2015, un voyage en Turquie, dans le même esprit que notre livre. Il n’a pas été facile d’intéresser des producteurs et des diffuseurs. Mais au final, nous espérons que ce film verra le jour et sera une réussite. Nous travaillons également sur un récit en bandes dessinées avec le dessinateur Thomas Azuelos qui a réalisé les peintures de Chienne d’histoire de Serge Avédikian. Et La Turquie et le fantôme arménien devrait être traduit en anglais et publié aux USA en 2015. Propos recueillis par Fred Azilazian

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Anna Benjamin « Les Arméniens islamisés de Turquie se sentent complètement oubliés » En 1915, le génocide a fait 1,5 millions de victimes. Certains Arméniens - entre 100 000 et 200 000 - ont échappé aux massacres en dissimulant leur véritable identité, mariées de force, adoptés, islamisés. 100 ans plus tard, leurs petits-enfants sont de plus en plus nombreux à découvrir leurs origines arméniennes et à briser ce silence. Accompagnée de Guillaume Clere et d’Avril Ladauge, la journaliste française d’origine arménienne Anna Benjamin a eu l’idée d’un web-documentaire allant à la rencontre de ces jeunes Turcs rattrapés par leur histoire. Intitulé Turquie, l’héritage du silence, ce film de 30 minutes, dont la sortie est prévue en mars 2015 sur le site Mediapart, donne la parole aux oubliés de l’histoire. Nous avons rencontré Anna, à Paris, dans un café du 11e arrondissement, pour qu’elle nous en dise plus sur ce projet. Morceaux choisis. 14


La genèse Tout a commencé il y a un an. J’ai quitté la rédaction web de TF1 au sein de laquelle je ne m’épanouissais pas. J’avais envie de travailler sur mes origines arméniennes, sur l’Arménie et la Turquie. Ma mère est française d’origine arménienne, mes grands-parents sont de Turquie. Mais chez moi, on n’a jamais vraiment parlé arménien. Je ne connaissais pas vraiment l’histoire de mes grands-parents. Je ne connaissais pas vraiment la Turquie, ni l’Arménie. J’étais à un moment de ma vie où je me demandais un peu ce que je faisais, je cherchais du sens. Lorsque tu es en pleine quête d’identité, tu as envie de savoir d’où tu viens pour savoir où tu vas. J’avais envie de découvrir ces deux pays mais pas en touriste. Le journalisme était un bon vecteur pour m’intéresser à ces questions. Le centenaire du génocide arrivant, je me suis dit : « si tu ne le fais pas aujourd’hui, tu ne le feras jamais ». Au départ, je voulais simplement écrire deux ou trois papiers sur le sujet puis tenter de les vendre à la revue 21 par exemple. J’en ai parlé à mon ami Guillaume Clere autour d’un café et il a été emballé par l’idée. Il m’a proposé de faire plutôt un documentaire. Il en avait déjà fait un pour Arte intitulé I goth my world, sur le milieu gothique. On a décidé de se lancer. L’idée, c’était de faire un sujet transversal, qui parlerait à la fois de l’Arménie et de la Turquie. On voulait aussi vraiment ancrer l’histoire dans le présent, sans faire non plus quelque chose de trop politique.

Le choix du sujet

Les premiers pas

Le premier contact

J’ai eu un déclic en lisant le livre de Laurence Ritter, Les restes de l’épée, où il y a une grosse partie qui évoquent les Arméniens islamisés. C’est une belle enquête sociologique sur le sujet. J’ai donc eu envie de creuser ce que j’avais lu. C’était l’histoire que j’avais envie de raconter. Cette histoire n’est pas encore trop connue, elle a un côté universel. Elle me correspond. Et il n’y a pas que les Arméniens qui s’interrogent aujourd’hui sur les questions d’identité.

Très vite, on s’est mis en contact avec Avril Ladauge, qui est web-designer et qui a été emballée par le projet. On a rencontré une boite de production qui nous a suivi. On a ensuite présenté un dossier au CNC, en web documentaire et on a obtenu une aide à l’écriture. Ça nous a permis de financer les premiers repérages à Istanbul et de payer nos collaborateurs en France et en Turquie. Être aidés par le CNC, c’était un super gage de confiance, la première grosse pierre à l’édifice.

Je suis allée pour la première fois à Istanbul en septembre 2013. J’y suis restée une semaine sans travailler, simplement pour avoir un premier contact avec le pays. Est-ce que j’allais avoir un bon feeling et avoir envie d’y passer quatre mois pour tourner mon documentaire ? Est-ce que j’allais être à l’aise sur place ? Ça s’est très bien passé. Istanbul est une super ville. N’ayant aucune attache familiale en Arménie, j’ai eu la sensation de quelque chose de familier en Turquie.

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Anna Benjamin Yasar Kurt

Les personnages clés du film
 Yasar Kurt C’est un chanteur de rock. J’avais repéré son interview dans le livre de Laurence Ritter. On l’a appelé et il nous a invité chez lui ! On a passé 3 jours avec lui dans son chalet à Rize, près de la Géorgie. C’était assez incroyable. On a tourné de nombreuses séquences avec lui. Il a appris qu’il était arménien il y a cinq ans seulement ! Armen Demirciyan Sur son extrait d’état civil, il porte le nom d’Abdurrahim Zorarslan. C’est le gardien de l’église arménienne de Diyarbakir. Il est assez connu là-bas. Il était hyper accessible. Il a une histoire incroyable. Il a été adopté par une famille kurde. Il est hyper investi dans la cause arménienne. C’est lui qui distribue le journal arménien Agos à Diyarbakir, au fin fond de la Turquie. A Diyarbakir, on nous a dit que 70% de la ville avait un parent, grand-parent ou arrière grand-parent arménien. Dogukan Çolak Il a 22 ans. C’est le plus jeune de nos personnages. Il fait partie des Arméniens du Dersim. Il veut se reconvertir au christianisme. On va le filmer lors de sa reconversion. 
 Nazli Bal Elle a une histoire compliquée. Elle n’a pas de preuves qu’elle est Arménienne. Elle s’est battue pendant deux ans contre l’administration turque pour que son fils aille à l’école arménienne. Elle a dû faire un procès, et c’est grâce à ce procès qu’on a découvert que les Arméniens étaient codés dans les archives turques.

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Nazli Bal et son fils

Les trois premières semaines de travail en Turquie En arrivant là-bas, on ne savait pas trop où on mettait les pieds. On n’avait aucune garantie, rien n’était sûr au niveau des personnages. A Diyarbakir, ça a été hyper fort. L’église est devenue un point de rencontre pour toute une partie de la communauté des Arméniens islamisés qui n’avaient plus aucun lieu de rencontres depuis longtemps. On est resté plusieurs jours dans la jardin de cette église et les gens sont venus à nous. On a bu du thé toute la journée, ils sont venus nous raconter leur histoire. On a vraiment ressenti qu’ils avaient besoin de parler, on les a interviewés ensemble puis séparément. Certains sont chrétiens, d’autres évidemment musulmans mais aussi athées. Les Arméniens islamisés se sentent complètement oubliés par les Arméniens chrétiens d’Istanbul et par ceux de la diaspora. Ils se sentent incompris mais comme ils me l’ont dit : « peu importe notre religion, notre sang est le même ». Les Arméniens, islamisés ou pas, sont contents que des Arméniens de diaspora viennent de nouveau en Turquie, même si c’est pour y passer deux semaines.

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DR Armen Demirciyan

Le génocide
 J’étais présente lors de la commémoration du 24 avril 2014 à Istanbul. Il y avait 1000 personnes réunies sur la place Taksim. Mais également beaucoup de nationalistes qui gueulaient en marge de la manif’. La parole s’est surtout beaucoup libérée chez les Kurdes sur la question du génocide. Il y a une alliance qui se fait depuis quelques années entre les Kurdes et les Arméniens. A Diyarbakir, la municipalité kurde a fait beaucoup pour la cause arménienne, elle a érigé un mémorial, restauré une église, et tous les ans, le génocide est commémoré comme il se doit dans la ville. Erdogan a présenté ses condoléances. Il va avoir la pression pour 2015. François Hollande sera en Arménie le 24 avril. Mais je pense que tout se joue au niveau de l’éducation. Les intellos peuvent faire ce qu’ils veulent, mais si tu n’éduques pas les gens, c’est compliqué. Tant que

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ça ne bougera pas vraiment dans les écoles turques et qu’il n’y aura pas écrit la vérité dans les livres d’histoire, il ne faudra pas s’attendre à des merveilles. Dans les écoles turques, on apprend encore que les Arméniens ont massacré les Turcs et non l’inverse. Finalement, on se rend compte que les Turcs ne connaissent quasiment rien sur cette question et sur cette partie de l’histoire. L’idée n’est pas d’opposer les Turcs et les Arméniens mais de se dire que les Turcs sont ignorants sur la question donc ce n’est pas de leur faute. S’ils savaient, ce serait différent... Il y a un Arménien islamisé à Diyarbakir, un instituteur, qui m’a raconté une anecdote surréaliste. Son fils est dans sa classe. A l’école, pour ne pas se faire virer ou aller en prison, il est obligé de lui apprendre que les Arméniens ont attaqué les Turcs, puis quand il rentre à la maison, il raconte à son fils la vérité sur le génocide...

Petites annonces

Sur le site internet du webdocumentaire, une page sera également consacrée pendant une durée de 3 à 6 mois à des « petites annonces » d’Arméniens de la diaspora qui recherchent des membres de leur famille dispersés aux quatre coins du monde. « J’ai déjà reçu des coups de fil de gens qui recherchent de la famille, confie Anna. On a déjà une dizaine de petites annonces qui sont prêtes. Le journal Agos le fait déjà sur son site mais exclusivement en langue turque et arménienne. Nous, on veut faire ça aussi en français et anglais »

Jean Michel Agopian


DR

Orhan Pamuk est « désormais en sécurité » Prix Nobel de littérature en 2006, l’écrivain turc Orhan Pamuk, a longtemps été indésirable dans son pays parce qu’il avait plaidé pour la reconnaissance du génocide arménien. « 1 million d’Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres et personne n’ose en parler à part moi », avait-il notamment déclaré à un journal suisse. Pour comprendre la Turquie d’aujourd’hui, rien ne vaut quelques phrases clés de l’un de ses principaux penseurs. « J’ai été menacé, au moment de l’obtention du Prix Nobel, pour mes propos sur les souffrances arméniennes ou kurdes. La situation politique a beaucoup changé depuis, sur ces sujets. Je suis désormais en sécurité ». Mai 2014, TGV Magazine. « Il ne faut pas confondre la Turquie avec son gouvernement ou avec ses partis extrêmes. La Turquie reste mon pays et je veux pouvoir y aller et m’y exprimer comme je le veux ». Octobre 2009, les Inrocks. « Pour moi, Istanbul fait partie de l’Europe, puisque mon club de foot,

Galatasaray, joue en Coupe d’Europe... Si vous me demandez si Istanbul est en Europe, je vous répondrai qu’il suffit de regarder la carte du monde pour le constater. Mais, plus sérieusement, nous ne sommes pas encore, à ce jour, au niveau. Cela dit, je pense que la Turquie doit être, culturellement, capable de rejoindre les démocraties européennes dans l’Union ». Mai 2007, L’Express. « La Turquie est devenue plus visible, exhibant ses beautés comme ses zones d’ombre, qu’il s’agisse des violations des droits de l’homme, du traitement infligé aux Kurdes (malgré

des progrès notables) ou du rapport problématique à son histoire passée. Ce pays naguère fermé connaît une évolution lente mais tangible. Les jeunes générations sont plus perméables à l’Europe, voyagent beaucoup plus à l’étranger ». Octobre 2009, Le Nouvel Obs. « Le premier problème à régler, c’est d’abord la question de la liberté d’expression, j’insiste sur ce point. Les Turcs décideront ce qu’ils doivent penser du passé, mais pour le leur permettre, il faut d’abord que nous puissions en parler librement ». Octobre 2009, les Inrocks.

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Maud Richet « A Istanbul, les disparités d’un quartier à l’autre sont énormes » Maud Richet est Française. Entre octobre 2013 et février 2014, elle a vécu 5 mois à Istanbul dans le cadre d’un SVE, en tant que volontaire pour une association culturelle nommée Başak Kultur ve Sanat Vakfi (Başak Art and Culture Foundation), à majorité kurde. Elle nous raconte son expérience. 

 En quoi a consisté ta mission de 5 mois à Istanbul ? J’ai organisé et animé des ateliers d’anglais et de théâtre pour les enfants et les adolescents de l’association Başak Kultur ve Sanat Vakfi, établie dans le quartier de Ataşehir à Istanbul. Cette asso a pour vocation de donner un accès gratuit à des activités culturelles et artistiques aux enfants et jeunes du quartier populaire dans lequel elle est établie. Elle est également impliquée dans des projets travaillant à la sensibilisation à la condition de la femme, et apporte une aide psychologique et juridique aux femmes dans le besoin (subissant notamment des violences domestiques au quotidien). Peux-tu me donner ton sentiment sur la situation des minorités en Turquie, particulièrement celle des Kurdes ? J’ai vécu dans un quartier principalement kurde, et la majorité des personnes de l’association était

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kurde. J’ai donc été très sensibilisée sur ces questions là et j’ai aussi pu constater que dès que l’on parle avec un Turc, on réalise qu’il existe une vraie blessure ou division dans la société sur les minorités, et que cela peut très vite devenir agressif, avec des points de vue très tranchés d’un côté comme de l’autre. J’ai constaté de forts problèmes culturels de non tolérance, ce qui est surprenant quand on se dit qu’après tout la force de la Turquie c’est justement ce croisement historique de cultures ! En arrivant avec une connaissance très limitée de la situation, il était difficile pour moi de démêler la véracité des faits et d’avoir une compréhension de la situation. J’ai eu l’impression que cela avançait malgré tout dans le bon sens, mais que beaucoup restait à faire, sur la reconnaissance de la langue et surtout sur l’enseignement de l’histoire du pays à l’école. Quid des Arméniens ? J’ai été moins confrontée au quotidien

à la situation des Arméniens, mais juste avant de partir, j’ai rencontré les volontaires européens qui travaillaient à la fondation Hrant Dink. Le constat était assez similaire. Pour finir, quelles sont les 5 choses qui t’ont particulièrement marquées à Istanbul ? Cela va faire très cliché, mais la gentillesse et l’accueil des Turcs (au sens de personnes vivant en Turquie, toutes cultures confondues) m’avaient séduites dès mon premier séjour à Istanbul. La nourriture ensuite... Qu’est-ce qu’on mange bien ! Et le côté extrêmement vivant et commerçant de tous les quartiers, avec plein de petits commerces et vendeurs à tous les coins de rue. Et la richesse culturelle de dingue. Côté négatif, les bouchons sur la route, et le manque d’espaces verts.

Propos recueillis par R. Biscourian


Aris Bododogan « En Turquie, on parle de plus en plus librement du génocide arménien »

Aris Bododogan, 30 ans, est un jeune turc d’origine arménienne, que nous avions rencontré lors du premier colloque de la jeunesse arménienne du monde, organisé à Marseille par la JAF en 2005. Il est né et vit à Istanbul. Il adore sa ville. Ça fait quoi d’être Arménien en Turquie aujourd’hui ? Il est plus facile d’être Arménien en Turquie aujourd’hui, comparé à il y a 10 ans. Des immeubles et des terrains qui appartenaient aux Arméniens commencent à être rendus. Les gens sur place parlent de plus en plus librement du génocide arménien. Les commémorations du génocide sont désormais autorisées dans de nombreuses villes. Istanbul n’est plus une exception. Penses-tu qu’Erdogan va reconnaître le génocide en 2015 ? En envoyant son message de condoléances aux victimes arméniennes, Erdogan a fait un pas que personne d’autre n’avait fait avant lui. Mais c’est de l’enfumage. Car ni

lui, ni ses possibles successeurs au gouvernement ne reconnaîtront et n’accepteront l’idée d’un génocide. Connais-tu des Turcs qui soutiennent activement la cause arménienne ? Bien sûr. L’une des artistes les plus connues de Turquie, Sezen Aksu (qui est l’auteur du hit qui a fait connaître mondialement Tarkan, ndlr), est très proche des Arméniens qu’elle défend ardemment. Le groupe ethno-folk Kardes Türküler aussi. Le parti kurde BDP-HDP, qui compte 40 membres au Parlement, fait également beaucoup pour faire avancer la cause arménienne. Le député kurde Selahattin Demirtas, candidat à la présidentielle, a dit plusieurs fois que le gouverment turc devait présenter

ses excuses aux Arméniens. C’est l’un des meilleurs politiciens du pays. Je le soutiens. Sinon, il y a beaucoup d’universitaires, d’historiens, d’activistes et de journalistes turcs qui ont publié de nombreux ouvrages exprimant leurx excuses et leur tristesse concernant les évènements de 1915. Enfin, il faut savoir qu’Osman Baydemir, le maire kurde de Diyarbakir, a alloué un budget d’un million de dollars pour restaurer l’Eglise arménienne Sourp Giragos de Diyarbakir, la plus grande église du Moyen-Orient. Après des décennies de silence, on a enfin entendu de nouveau le son de la cloche d’une église arménienne dans cette région. R.B.

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#kahkaha* *rire

La réponse coquine de Didem DInç des Femen Turquie

Le 28 juillet, le vice-Premier Ministre turc Bulent Arinç, membre du gouvernement actuel islamo-conservateur, a conseillé aux femmes du pays de bien se tenir et de ne pas avoir de fous rires en public. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Sur Twitter notamment, dont l’accès avait été bloqué plusieurs heures par le gouvernement en mars dernier, de nombreuses femmes turques ont posté des photos d’elles en train de rire aux éclat. Les Femen (voir photo) mais aussi Ekmeleddin Ihsanoglu, le principal adversaire d’Erdogan à l’élection présidentielle des 10 et 24 août, sont également intervenus avec humour et fermeté . « Nous avons vraiment besoin d’entendre le rire joyeux des femmes », a écrit Ihsanoglu. Ce n’est pas la première fois que le vice-premier ministre s’illustre par son immense bêtise. Dans un passé récent, il avait déjà dénoncé – entre autres – l’utilisation abusive des téléphones portables par les femmes et promulgué des conseils pour vivre une vie prude à souhait.

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The Cut, le film évènement

DR

Un cinéaste turc renommé qui réalise un film sur le génocide arménien ? On en a rêvé, Fatih Akin l’a fait.

Fatih Akin, le réalisateur de Soul Kitchen, est un héros. Alors que son pays d’origine continue de nier le génocide, le cinéaste avantgardiste ira à la Mostra de Venise début septembre pour y présenter son nouvel opus sur le génocide arménien, intitulé The Cut (La Blessure). L’artiste germano-turc voulait au départ faire un film sur Hrant Dink, mais trouvant le scénario trop dur, aucun acteur turc de plus de 50 ans n’a souhaité jouer le rôle du journaliste d’Agos sauvagement assassiné en 2007 en plein jour, à Istanbul. « Je ne voulais pas d’un acteur américain ou français, a révélé Akin dans Agos début août. Pour moi, un film sur Hrant Dink doit être un film “turc”. On doit faire face à nos problèmes ». Du coup, Akin a pris des éléments de son projet de film sur Dink puis les a intégrés à The Cut, dont le scénario a été inspiré par les travaux des historiens Wolfgang Gust et Taner Akçam, et co-écrit avec l’Arméno-irakien Mardik Martin, connu pour avoir collaboré avec Martin Scorsese sur les scripts de New-York New-York et Raging Bull. La particularité de The Cut est que le héros du film, un Arménien rescapé

du génocide qui part à la recherche de ses deux filles, n’est pas joué par un acteur d’origine arménienne. Certes, Simon Abkarian apparaît dans le générique, mais c’est Tahar Rahim, César 2010 du meilleur acteur pour le film Un prophète, qui joue le rôle de Nazareth Manoogian. La chanteuse marocaine Hindi Zahra et de nombreux acteurs turcs ont eu le courage de compléter le casting. Côté BO, ne vous attendez pas à entendre le son du duduk. Trop cliché pour Akin qui a préféré miser sur du Heavy Metal. The Cut, qui sortira le 16 octobre en Allemagne et le 14 janvier en France, complète la trilogie du cinéaste sur l’amour, la mort et le mal, entamée en 2004 avec les films Head-On (primé à Berlin) et De l’autre côté (primé à Cannes en 2007). « J’espère que mon film sortira dans de très nombreuses salles en Turquie, confie Akin dans Agos. Je suis sûr que la société turque, dont je fais partie, est prête pour The Cut. Ce film peut permettre un débat constructif et encourager les spectateurs à chercher à en savoir plus sur 1915 ».

Hrant Dink

Jean-Michel Agopian Tahar Rahim et Simon Abkarian

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Catanasian

Pierre-Emmanuel Barré « Soit on accepte de rire de tout, soit on ne rit de rien »


En exclusivité pour IK, l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré, connu pour son style provocateur et cynique, s’est expliqué sur sa chronique du 10 avril sur Canal +, qui a fait polémique. Lors de l’émission La Nouvelle Edition, il s’était notamment moqué du destin tragique des Arméniens. « Les Arméniens, eux, où qu’ils aillent, on finit par les massacrer. Les mecs sont maudits. La légende prétend que quand un Arménien va naître, il y a un type qui va attendre à la sortie avec un flingue », avait plaisanté celui qui officie également sur France Inter aux côtés d’André Manoukian dans l’émission On va tous y passer. Un humour trash qui en a fait rire certains, mais qui a provoqué l’indignation de la majorité des Arméniens de France. Pierre-Emmanuel, pour commencer, penses-tu que l’on puisse rire de tout ? Soit on accepte de rire de tout, soit on ne rit de rien. Que t’ont inspiré toutes ces réactions hostiles de la part des Arméniens de France suite à ta chronique du 10 avril sur Canal + ? Je n’ai pas été vraiment surpris. Je m’y attendais. J’ai l’habitude des réactions assez violentes. J’ai fait une chronique aujourd’hui (le 24 avril, ndlr) sur la corrida et je viens de recevoir de nombreux messages d’insultes. C’est le principe de mon travail. Mon truc, c’est l’humour noir. Je traite les sujets graves à la légère. J’ai fait avec les Arméniens ce que je fais tous les jours avec tous les autres sujets, comme la Shoah, Lampedusa, la Corse, l’esclavage, le terrorisme, les handicapés, etc... Je comprends qu’il puisse y avoir des gens choqués et j’ai conscience que mes chroniques ne font pas rire tout le monde. Qu’est-ce que ton pote André Manoukian a pensé de ta chronique ? On n’en a pas parlé, mais il me laisse faire ce que je veux sur France Inter. Comment t’es venue l’idée d’une chronique sur le Haut-Karabakh et les Arméniens ? Je ne connaissais pas du tout le HautKarabakh. Du coup, en faisant des recherches, j’ai appris qu’il y avait eu un massacre d’Arméniens à Maragha le 10 avril 1992, et comme le principe de ma chronique, c’est d’avoir comme point de départ les éphémérides, ça

m’a inspiré. Si c’était à refaire, tu le referais ? Oui. J’assume mon propos. Encore une fois, c’est de l’humour noir. C’était évidemment du second degré, vous pensez bien que je ne suis pas là à me dire : « génial un massacre, génial un génocide ». Ce que je dis est tout à fait l’inverse de ce qu’on me reproche. Certes, je caricature, et c’est le principe de mon humour noir, mais je dis quand même que les Arméniens ont vécu de nombreux massacres. C’est ma manière à moi d’en parler. N’as-tu jamais envisagé de faire des excuses publiques ? Non. C’est impossible. Si j’en fais pour les Arméniens, je devrais en faire aussi pour les Juifs, les Arabes, les Corses, les Français, les Roms, les homos, les Noirs... Ça me prendrait 3 semaines et ça décrédibiliserait mon travail. Ça ferait reculer les libertés humoristiques. Ça n’aurait aucun intérêt. Et si le boss de Canal + te le demandait, le ferais-tu ? Non. Je ne veux pas m’excuser pour un quiproquo. Encore une fois, c’est du second degré. Certains n’ont pas compris. Dommage. C’est complètement absurde de penser que j’adore vraiment les massacres et que je suis payé par Erdogan pour nier le génocide, comme certains l’ont écrit dans les commentaires sur ma page facebook. C’est tout l’inverse ! Quelle que soit la gravité du sujet, je ne pense pas qu’on doive systématiquement en parler avec le visage fermé et de manière hyper

sérieuse. Je pense que ça peut parfois desservir un combat. Tu cites souvent Dieudonné parmi tes références. Que penses-tu du battage médiatique et politique qui l’entoure ? Ses spectacles me font rire. Je pense que ce n’est pas aux politiques de décider ce qu’est l’humour et d’interdire son spectacle. De toute façon, par principe, je suis contre l’interdiction d’un spectacle quel qu’il soit. Même si c’était le dernier des enculés qui faisait un spectacle, je serais contre le fait qu’on l’interdise. Je pense que les gens ne sont pas bêtes. Ils peuvent différencier le vrai du faux. Je ne veux pas les prendre pour des cons. Toi qui est désormais spécialiste des éphémérides, sais-tu ce qu’il s’est passé le 24 avril 1915 ? Bien sûr ! La rafle des intellectuels arméniens de Constantinople. A titre personnel, ça t’inspire quoi le fait que la Turquie n’ait toujours pas reconnu le génocide arménien ? Je sais que 21 pays ont déjà reconnu le génocide arménien. Et évidemment, je trouve ça bien malheureux qu’il ne soit toujours pas reconnu par la Turquie. Ça risque probablement de prendre un temps fou. Malheureusement, je n’ai pas de lien étroit avec Erdogan donc je ne peux pas lui passer de coup de fil pour arranger ça et lui dire qu’il déconne (rires).

Par Fred Azilazian


Haynews 100

Le président français François Hollande sera à Erevan le 24 avril 2015 pour participer aux cérémonies du centenaire du génocide arménien.

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Comme le nombre de survivants du génocide arménien résidant aujourd’hui à Erevan, la capitale du pays.

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Avec une cote actuelle estimée à 29, 2 millions d’euros, le joueur de football arménien Henrikh Mkhitaryan, qui évolue aujourd’hui au Borussia Dortmund (Allemagne) est le 53e joueur (virtuellement) le plus cher de la planète.

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Comme le nombre d’écoles maternelles à Erevan. Toutes sont gratuites et elles accueillent au total 31 000 enfants.

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Pour la 6e fois de sa carrière, le cinéaste canadien d’origine arménienne Atom Egoyan a vu l’un de ses films, Captives, se retrouver en compétition officielle du dernier Festival de Cannes. Le réalisateur d’Ararat a déjà remporté 3 prix sur la Croisette, en 1994 pour Exotica, en 1997 pour De beaux lendemains et en 2008 pour Adoration.


Intch ka tchi ka ?

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Olga Lavrinenko « On s’intéresse aussi beaucoup à la beauté de l’âme » 28


Entretien avec Olga Lavrinenko, directrice de l’agence arménienne de mannequins Atex, et adjointe du directeur du centre de la mode de Erevan, du même nom.

Quand le centre Atex a-t-il vu le jour ?
 Le centre de la mode Atex a été créé en 1991 pour développer la création et la production de vêtements en Arménie. Nous avons ensuite commencé à faire de l’enseignement pour former des stylistes, des designers et des mannequins. Comme l’Arménie n’est pas un grand pays, il nous arrive d’inviter des mannequins étrangers pour venir travailler ici. Depuis l’an dernier, on envoie aussi nos mannequins arméniens bosser à l’étranger, notamment aux USA, en Angleterre, en France et en Suisse. 
 
 Où trouvez-vous vos mannequins ? Les mannequins nous démarchent car nous sommes assez connus en Arménie. Mais si nous tombons par hasard sur un visage intéressant, nous lui proposons de travailler avec nous. Depuis quand travaillez-vous chez Atex ?
 Depuis sa création. J’ai débuté comme

mannequin puis grimpé les échelons pour devenir l’adjointe du directeur du centre de la mode et la directrice de l’agence de mannequins qui en fait partie. Le marché arménien n’est pas aussi grand que le marché russe ou français, mais il est en constante progression, donc c’est la preuve que notre travail paye. Mon job consiste également à relooker de nombreuses femmes. C’est un réel plaisir pour moi de pouvoir transformer ces personnes. Après un relooking, on sent que les gens sont heureux. Dans la plupart des cas, cette transformation physique et vestimentaire engendre de nombreuses réussites. Quels sont les critères pour un mannequin qui débute dans le métier et qui veut travailler chez Atex?
 Physiquement, la taille est importante. Idem pour le visage. Le corps et les mensurations, ça se travaille, en faisant par exemple beaucoup de sport. Si une fille mesure 174 cm, elle

a plus de chance de réussir dans le métier que celle qui mesure 165 cm. A partir de 170 cm, un mannequin peut faire une belle carrière pour le marché arménien. De façon générale, les femmes arméniennes ne sont pas très grandes et minces, alors il faut s’adapter pour le marché local. Après, on s’intéresse aussi beaucoup à la beauté de l’âme. La notion d’éthique est importante dans notre métier. Un photographe ou un créateur doit créer une image et il doit s’appuyer également sur le monde intérieur de nos mannequins. Un mot de conclusion ?
 Il faut créer une industrie de la mode en Arménie car elle n’existe pas. Les défilés, c’est beau, mais il ne faut pas oublier qu’avant le show, il faut créer et produire. ATEX travaille justement dans cette direction.

Propos recueillis par A. Catanasian

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Catanasian Robe haute couture par Kevork Shadoyan

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Haik Bianjyan « Erevan n’est plus la ville que j’ai aimée »

Entretien avec Hayk Bianjyan (37 ans), un artiste passionnant à l’initiative de projets originaux, intitulés Ciao USSR et Disappearing memory.

Peux-tu nous expliquer tes projets en quelques mots ? Au départ, je voulais juste filmer les vieux bâtiments datant de la période soviétique à Erevan. Je suis fasciné par tout ce qui est vieux depuis mon enfance. Si je n’étais pas devenu photographe, je serais archéologue. Ce projet est donc un essai de préserver le souvenir de mon enfance. L’enfance est la période la plus radieuse et heureuse de la vie d’un homme, sans soucis et sans problème. J’ai vécu mon enfance durant l’époque soviétique. Avec ma génération, on est passé de l’enfance à la vie adulte au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique. Au moment où on commençait à comprendre la vie, le pays a changé et les gens avec. C’est une

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Hayk Bianjyan dans le musée de sa maison de campagne, au milieu de sa collection d’objets datant de l’époque soviétique.

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coup de pied et des types balèzes forcent ces gens à quitter les lieux. Comme des Turcs en 1915. Une partie des vrais Erevantsis a été contrainte de s’éloigner du centre ville. A leur place sont venus des gens qui ne se soucient pas du tout de Erevan. Ils sont vulgaires et regardent la vie à travers la vitre de leurs voitures de luxe. Ces constructions grotesques ont changé l’harmonie architecturale de la ville, certes, mais également son ambiance. Dans le vieux Erevan, il y avait une atmosphère spécifique, du bruit, du romantisme, de l’amour et de la compassion. C’étaient des quartiers où la tradition était encore présente. Dans les buildings d’aujourd’hui règne le silence, les voisins ne se voient plus, ne se connaissent plus. Tout le monde est cloîtré chez lui, dans sa forteresse. Ce n’est plus la ville que j’ai aimée.

époque à la fois douloureuse et intéressante. A travers ces projets qui s’appellent Ciao URSS et La mémoire qui disparaît, j’ai essayé de créer mon petit univers, de fouiner et de trouver tout ce qui pouvait me renvoyer à mes souvenirs d’enfance. Si tu sors dans la rue et que tu regardes un peu autour de toi, tu comprends que cet univers architectural est en train de disparaître, qu’il ne reste plus rien de la vie d’antan. J’aimerais sortir avec mon enfant dans la rue et avoir quelque chose d’historique à montrer. Mais je n’ai rien. C’est pour ça que je me suis engagé pleinement dans ce projet qui, à part ce coté nostalgique, a aussi un aspect politique. En quoi ce projet est-il politique ? Pour construire les buildings que l’on voit aujourd’hui à Erevan, beaucoup de gens ont été expulsés de leurs maisons, il y a eu d’énormes investissements et les oligarques sont entrés dans le jeu. Au début, je ne voulais pas me mêler de tout ça mais je ne pouvais pas rester indifférent en voyant les gens forcés à quitter leurs maisons. Il m’est arrivé d’avoir des problèmes à cause de mes clichés mais, Dieu merci, on ne m’a pas cassé l’appareil et j’ai pu garder les photos. C’était une époque

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où je travaillais seul, on n’avait pas Facebook et l’information n’était pas autant partagée. Je fixais juste les faits. Quelques années plus tard, j’en ai fait un film. Le pire c’est que tout ça se passait au cœur d’Erevan, dans le centre historique de la capitale. J’ai été témoin de scènes atroces. Imaginez une famille dans sa propre maison. Soudain la porte s’ouvre d’un

N’est-ce pas trop difficile de chercher quelque chose qu’on ne trouvera probablement plus ? Oui, c’est très difficile. Je suis devenu une sorte de chasseur de mythe. Je cherche la ville de mon enfance mais je ne la trouve pas. C’est usant pour moi de filmer tout le temps des événements négatifs. J’ai l’impression que tout ce que j’ai vu s’est infiltré sous ma peau et me fait souffrir. Il est temps de me tourner vers des thèmes plus positifs. Un de mes amis photographes, Youri Kozirev, qui a filmé des guerres toute sa vie, me dit la même chose. Il a pourtant réalisé d’excellents reportages sur les Révolutions Arabes. Regardez aujourd’hui les reportages qui arrivent


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Hayk Bianjyan L’hôtel Dvin de Erevan date de l’époque soviétique. Il est aujourd’hui à l’abandon mais pourrait être modernisé et remis en service dans les prochains mois.

d’Ukraine ou de Gaza. Facebook est inondé de scènes violentes, il y a du sang partout. Les articles les plus lus au monde parlent de mauvaises nouvelles. On dirait que les gens ont besoin de ça. C’est de la folie… Je vais peut-être vous surprendre, mais même si je ne nie pas les défauts de l’époque soviétique, à cette époque, au moins, la télé diffusait du matin au soir des émissions, films ou dessins animés d’une rare bonté. Et ça avait un impact sur la psychologie des gens. Aujourd’hui, mes enfants regardent des dessins animés violents et je ne peux même pas leur interdire parce qu’il n’y a rien d’autre ! Qu’est-ce qui pourrait vous rendre heureux aujourd’hui ? Je serais tellement content si, grâce à mes reportages, on arrivait à sauver un bâtiment historique, si un oligarque, en voyant mes photos, comprenait qu’il est temps de s’arrêter. Là, je servirais à quelque chose !

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Malheureusement ce n’est pas le cas pour l’instant. Regardez l’histoire du Marché Couvert. Un pur scandale ! La mairie de la ville et le Ministère de la Culture interdisent la destruction de ce monument historique, de ce symbole de la capitale arménienne, mais on le détruit quand même ! Que voulez vous de plus ? Si ces hautes institutions ne fonctionnent plus dans ce pays, que peut-on faire ? Parlez-nous également des fameux buildings de l’Avenue Nord... Tout le monde sait maintenant que cette avenue était un business projet, un outil de blanchiment d’argent. J’ai découvert récemment que ces buildings ne sont pas construits selon les normes. Les bâtiments commencent à s’affaisser, les revêtements des premiers étages se cassent. Cela ne me réjouit pas car il y a tout de même des gens qui y habitent. Comme on avait du mal à vendre ces appartements, chaque

ministre a été obligé d’acheter deux ou trois lots, pour se faire bien voir de l’ancien président Robert Kotcharian, actionnaire de la plupart des buildings. Encore une forme voilée de corruption. L’actuel président continue dans le même esprit. Kotcharian, Sargsyan... Rien ne les lie à cette ville. Ils se foutent royalement du Marché Couvert ou des vieux quartiers. Ce qui les intéresse, c’est le prix du mètre carré. Heureusement, il reste encore quelques rares bâtiments préservés, notamment rue Nalbandyan et rue Teryan… Oui, certains d’entre eux sont en tuf noir. D’autres en tuf orange mais noircis avec le temps. J’ai organisé dernièrement un concert/expo pour sensibiliser le public, pour montrer qu’on peut nettoyer ces bâtiments. Nous avons lavé toute la façade, et illuminé les bâtiments avec des projecteurs. Ils étaient magnifiques.


Livres, boites, et divers autres objets datant de la période soviétique.

Toutefois, je ne suis pas dupe : leur tour viendra un jour aussi. Lorsque les Européens visitent Erevan, ils me demandent toujours « où est la vieille ville ? ». En Europe, on fait tout pour préserver des quartiers entiers, et nous ici, nous n’arrivons pas à sauver quelques bâtiments du centre ville. Il y a quelques années, ils ont démoli la Maison des Officiers. Le bâtiment en soi n’avait rien d’extraordinaire mais c’est là qu’avait vécu l’écrivain Khatchadour Abovyan. Ce fut le premier théâtre d’Erevan. Ce bâtiment avait des choses à nous raconter. « Que voulez-vous que je fasse de cette cabane ? » avait déclaré le président. Quelle inconscience ! Si Karen Demirtchian (assassiné au parlement en 2001) était toujours vivant, il ferait tout pour préserver la Vieille Ville. J’en suis convaincu. Parce qu’il avait des souvenirs liés à Erevan, parce qu’il ne pouvait pas détruire une partie de lui-même, parce qu’il avait travaillé plusieurs décennies pour la

prospérité de cette ville. Comment faire pour que ça change ? J’aimerais bien que les Arméniens de la diaspora investissent en Arménie. Cela pourrait être une solution. S’ils achetaient ces vieux bâtiments, on pourrait les restaurer et les préserver. Mais malheureusement, ce n’est pas en quelques jours de vacances à Erevan qu’on peut prendre toute la mesure des problèmes. Les touristes voient la façade du Marché Couvert et pensent que tout va bien, que c’est très beau, que le Marché est toujours à sa place. Tout ce qui a été détruit à l’intérieur ne se voit pas. On a mis un masque sur la ville et peu de gens savent ce qui se passe derrière ce masque. La population d’Erevan a enfin compris qu’il fallait se mobiliser. Il y a quelques années, on n’était que 15 ou 20 personnes à manifester. Aujourd’hui, on est beaucoup plus nombreux. On s’est réveillé trop tard

mais au moins on se bouge et on essaye de faire avancer les choses. Comment comptes-tu présenter ton travail ? Pourrais-tu en faire un livre ? Pour l’instant tout est dans mon ordinateur. Je souhaite effectivement réunir les photos dans un livre. Pour moi, la photo doit être imprimée. Tous les photographes te diront la même chose. La numérisation a un peu banalisé la photo. Il faudrait que je trouve un sponsor intéressé par le projet. Il faut attendre quelques années pour que mes photos soient vieillies et obtiennent le statut de documents d’archive et, par conséquent, de la valeur. Ce projet est extrêmement riche et multifacettes. On peut même en faire un musée entier. J’ai d’ailleurs commencé à en faire un dans ma maison de campagne. Propos recueillis par A. Catanasian

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Phareelle Onoyan « Je rêve d’aller en Arménie »

Catanasian

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John Conley

A la fois lumineuse et troublante dans le rôle de Carmen Paoli dans la série corse Mafiosa, dont la saison 5 a été diffusée au printemps sur Canal+, la comédienne française d’origine arménienne Phareelle Onoyan (22 ans) est une artiste à suivre de près. Nous l’avons interviewée pendant plus d’une heure, à la terrasse d’un café du quartier de Maubert Mutualité à Paris. L’occasion d’évoquer Mafiosa, son métier, sa carrière mais aussi son arménité.


Courant Made in France d'art

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Phareelle (prononcez « Farièle », ndlr), peux-tu nous raconter ton parcours en quelques mots ?
 J’ai démarré le théâtre lorsque j’étais toute petite. J’ai fait également beaucoup de mannequinat pour enfants, ça m’amusait beaucoup. J’ai commencé à faire des castings vers 10-11 ans, j’ai ensuite décroché mon premier gros rôle à 12 ans, dans un long-métrage français (Les Enfants), puis j’ai tourné dans la série Mafiosa dès l’âge de 14 ans. Cette série m’a suivi pendant 8 ans. La saison 5 a marqué la fin de l’aventure. 
 N’est-ce pas trop dur pour toi de voir cette série culte s’arrêter ?
 Non, car toutes les belles choses ont une fin. Évidemment, j’ai été très émue et un peu triste le dernier jour du tournage. Mais au final, c’est la joie qui l’emporte car je préfère que ça se termine en beauté plutôt que parce que le public en a marre et que la série tourne en rond. Ce rôle m’a permis de vivre de belles choses en tant qu’actrice. Il a pris de l’épaisseur saison après saison. Une nouvelle page va s’écrire pour moi. Je suis encore jeune. Il fallait bien passer à autre chose. 

 N’as-tu pas ressenti parfois de la lassitude à jouer le même rôle pendant 8 ans ?
 Non, car le personnage de Carmen a beaucoup évolué. On a grandi ensemble. On a grandi dans une phase de la vie ou on change énormément, physiquement, psychologiquement.

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J’ai démarré ado, je finis adulte. Au départ, mon personnage est une gamine un peu chiante mais marrante. Et puis on la voit évoluer, il lui arrive les pires choses et elle devient dure. Je me suis sentie très proche d’elle, dans sa dureté, dans sa manière de se protéger. 

 Dans la saison 5, Carmen devient en effet une machine de guerre fixée sur sa vengeance. Serais-tu, comme elle, capable de tuer par amour pour venger un proche ?
 Je me suis déjà posée cette question. Il en faudrait beaucoup pour que j’en arrive là. Mais peut-être que je le ferais... En fait, on ne sait jamais tant qu’on est pas vraiment poussée à bout. Si j’avais vécu dans la vraie vie les mêmes drames que Carmen, je pense que je l’aurais envisagé. 

 Cette série t’a permis de travailler plusieurs années sur l’île de Beauté. Tu dois te sentir un peu Corse désormais, non ?
 Oui, je me sens presque comme une Corse adoptive. Je n’ose pas trop le dire parce que j’ai toujours peur que ça soit mal interprété. Mais je me sens vraiment chez moi là-bas. Il y a une partie de moi qui est à jamais liée à la Corse. Les Corses ont des valeurs qui me fascinent et dans lesquelles je me reconnais beaucoup. Il y a une hospitalité là-bas que je trouve inégalable.

 Un peu comme en Arménie...
 Peut-être... Je n’y suis jamais allée et

j’aimerais beaucoup! Je suis d’origine arménienne du côté de ma mère. Elle a toujours tout fait pour que je n’oublie pas mes origines (rires). Quand j’étais petite, j’adorais le film Mayrig d’Henri Verneuil. Mes arrières grand-parents sont des rescapés du génocide. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de discuter de tout ça avec mon grand-père. Je ne l’ai pas assez connu. C’est un regret. Aujourd’hui, quand je vois passer un nom avec un ian, je suis en alerte (rires). J’aimerais beaucoup tourner un film en Arménie ou travailler avec des acteurs ou des réalisateurs d’origine arménienne. Ce serait une très belle manière d’en apprendre plus sur la question. Je suis super contente de vous rencontrer et de faire cette interview, parce que ça réveille des choses en moi. Ça me redonne à fond l’envie de me pencher sur mes origines ! 

 Quels sont tes projets pour les mois à venir ?
 Mafiosa m’a donné une superbe visibilité. J’attends beaucoup de réponses. J’ai eu beaucoup de call back sur des longs-métrages, on m’a proposé de belles choses. Les gens ont de plus en plus envie de me voir. Je suis sur la bonne voie. Je suis très ambitieuse, j’ai envie d’aller le plus haut possible.

Propos recueillis par Fred Azilazian


« Le cinéma doit faire rêver »

Ton acteur préféré ? Gérard Depardieu. C’est un immense comédien. Il dégage un truc unique. Sinon, j’adore Adrian Brody, il est performant dans n’importe quel registre. Ton actrice préféré ? J’admire Catherine Deneuve. Quelle carrière ! Sinon je n’ai pas beaucoup de modèles français actuels. A l’étranger, Jodie Foster et Cate Blanchett m’inspirent beaucoup. J’admire la façon dont elles gèrent leur image, et la classe qu’elles dégagent. Ton réalisateur préféré ? J’adore David Fincher. Martin Scorsese aussi. Leur cinéma me fait rêver. J’aime les scénarios forts. Pour moi, la définition du cinéma est très simple : il doit faire rêver. J’aime aussi le cinéma engagé qui défend des choses, mais sans aller trop loin dans le côté intello. Faut pas que ça devienne chiant. Ton film récent préféré ? Dernièrement, j’ai adoré Le loup de Wall Street de Scorsese, j’en suis sortie émerveillée. J’ai aussi été marquée par un film japonais Tel père, tel fils, c’était super émouvant. Sinon, ma belle surprise fut le film de Guillaume Gallienne, Les garçons et Guillaume à table. Ça dit des choses, ça prend des risques, c’est à la fois simple, humain et farfelu et c’est top ! Ta série préféré ? True Detective. Je suis fan également de Games of throne et j’ai beaucoup aimé Girls, mais j’essaye de ne pas trop en regarder. Les séries, on devient vite addict !

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Catanasian

Nevché « Marseille est enfermée dans ses clichés, et moi je veux les dynamiter »


Rétroviseur. Tel est le titre du nouvel album du musicien marseillais d’origine arménienne Fred Nevchéhirlian, qui se fait désormais appeler Nevché. Porté par un excellent premier single, Vas-tu freiner ? - qui a même été chroniqué dans le Guardian - le 3e album du chanteur/slameur est lancinant, enivrant, teinté de rock, poétique à souhait, avec pour toile de fond la cité phocéenne. Enregistré entre Dakar, Paris (studio Ferber) et Marseille (théâtre du Gymnase), et réalisé par Jean Lamoot (Alain Bashung, Salif Keita), Rétroviseur évoque notamment l’adolescence de Nevché. A la fois romantique et brute, la prose de Fred devrait une nouvelle fois faire mouche, après les succès de Monde Nouveau, Monde Ancien, son premier album sorti en 2009, et du Soleil brille pour tout le monde ? (une mise en musique de textes inédits et militants de Prévert), vendus à près de 20 000 exemplaires, et largement playlistés sur France Inter notamment. Entre deux “release party”, l’artiste nous a accordé début avril une interview à Paris, attablé chez Koba, le restaurant japonais préféré de notre photographe Armen Catanasian.

Est-ce que ce nouvel album est ton album le plus autobiographique ?
 Non pas forcément. Je crois que c’est une constante chez moi. Dans mon premier disque Monde nouveau Monde ancien, j’interrogeais mes origines. Qu’est-ce que je suis ? Arménien ? Espagnol ? Après, j’ai fait l’album de poèmes de Prévert qui a mis en lumière mon côté engagé. Tout ce que je fais est très personnel. Rétroviseur raconte la réalité d’un petit ado de Province, des quartiers nord de Marseille. Ma mère était femme de ménage, mon père cuisinier dans une cantine scolaire. Je me demandais comment j’allais m’en sortir, comment j’allais pouvoir réaliser mes rêves. Mon destin profond, c’était d’écrire des poèmes et de les mettre en musique. J’ai toujours senti que la poésie était la chose la plus importante qu’il y avait dans ma vie. C’est pour moi un truc qui pouvait sauver le monde. C’était un refuge. C’était surtout une promesse. La promesse d’un ailleurs,

d’un truc plus lointain, d’un truc plus grand que moi. Pourquoi un album qui parle de ton adolescence ?
 Je voulais travailler sur mes souvenirs d’ado, voir comment ces souvenirs avaient constitué l’homme que je suis aujourd’hui. J’ai beaucoup travaillé sur la parole adolescente, sur ce qu’on dit lorsqu’on a 15 ans et que l’on ne peut plus dire après, mais que moi j’ai envie de continuer à dire. Ma naïveté me semble être l’arme la plus efficace contre le cynisme du monde. Je peux être naïf sans être innocent. Un titre symbolise bien l’album, c’est Rendeznous l’argent. Ce que j’y dis ne peut venir que de la bouche d’un ado, pas d’un mec de 40 ans qui connaît le système et qui sait que de toute façon, on ne lui rendra rien. L’idée, c’était d’écrire sans nostalgie, sans en venir à la conclusion que “c’était mieux avant”. Je suis heureux que la vie avance. Je regarde devant moi.

D’où l’image du rétroviseur. C’est un objet qui te permet de jeter des coups d’œil derrière tout en ayant le regard devant. Tu es au volant, tu avances. Quel a été le point de départ de l’enregistrement de Rétroviseur ?
 C’est à Dakar que les enregistrements ont vraiment démarré. On a enregistré 5 titres là-bas, pour au final n’en garder que 3. Là-bas, je n’ai pas fait de “colonialisme” musical. J’adore Damon Albarn (connu pour ses collaborations avec des musiciens africains, ndlr) mais ce n’est pas parce que j’étais à Dakar que j’ai joué avec des musiciens africains et que j’ai cherché à faire un disque coloré. Je suis allé voir des concerts, je me suis imprégné d’une atmosphère, ça m’a inspiré, mais ça s’est arrêté là. Le fait d’être loin de chez moi me permet surtout de mieux parler de chez moi. C’est lorsque je pars loin de Marseille que je peux mieux la regarder. Et mieux me regarder à Marseille.


Justement, Marseille joue un rôle prépondérant dans le disque. Peuxtu nous en dire plus ?
 Marseille est omniprésente dans mon album. Je parle du parking de Notre Dame de la Garde où je passais des nuits entières à ne rien foutre, à écouter de la musique et à rêver. On rêvait qu’on allait tout défoncer mais on ne foutait rien ! Qu’est-ce qu’on a rêvé ! Et puis on parlait des filles tout le temps, mais les filles n’étaient jamais là... Dans une autre chanson, je raconte comment, lorsque j’étais au collège, je passais mon temps à regarder les nanas et à ne jamais leur dire que je les aimais. Je fantasmais sur le moindre regard. Je passais des heures entières à imaginer des rencontres improbables, au supermarché avec ma mère. Quand j’allais au supermarché, je m’habillais bien parce que je me disais “si jamais je la croise, il faut qu’elle me voit sous mon meilleur jour”. Je parle aussi de la plage des Catalans, de celle des Prophètes. Tu as même fait une chanson qui s’appelle Marseille !
 Je trouve qu’il y a des choses qui n’ont pas été dites sur cette ville. Et je voulais les dire. Rimbaud est venu mourir à Marseille et trop peu de gens le savent. Il y a d’autres formes de couleurs et de lumières dans cette ville. Parfois les plages sont vides. C’est l’hiver. C’est là où j’aime le plus Marseille. Lorsqu’il ne fait pas si chaud, lorsqu’il n’y a personne, que

les couleurs sont lessivées. Je veux montrer qu’il n’y a pas que la tchatche et le stade Vélodrome ici, qu’il y a aussi des choses nuancées, subtiles et fines. Que Marseille est une ville crépusculaire. La ville est toujours enfermée dans ses clichés, et moi je veux les dynamiter. Pour toi, dans cet album, Marseille est envisagée comme un décor de cinéma...
 C’est exactement ça. Je trouve que personne n’a encore filmé Marseille comme elle aurait dû être filmée. Je l’ai d’abord photographié à ma manière sur la pochette de l’album. Dans le clip de mon premier single, Vas-tu freiner ?, je tenais à ce qu’on filme la ville entre le jour et la nuit, quand la lumière de l’eau est plus forte que la lumière du ciel. Ton arménité est-elle évoquée dans cet album ?
 Non. J’ai déjà fait tout un disque làdessus, c’était mon premier album. Mais j’y reviendrai un jour, c’est certain. J’imagine un album avec des instruments traditionnels comme le kanon et le duduk. Je mettrai en musique des textes de poètes arméniens comme Sayat Nova ou Missak Manouchian. Tu as fêté tes 10 ans de carrière. En regardant dans ton rétroviseur, tu te dis quoi ?
 Quel chemin parcouru ! Tout a été fantastique. Personne n’aurait misé un

centime sur ce trajet-là. Je sais bien que je ne suis pas un artiste à la mode et je ne cherche pas à l’être. Je fais mon truc. J’estime que je ne prends la place de personne, je suis ni moins bon ni meilleur qu’un autre. J’essaye de creuser mon sillon. Je ne cherche pas à vendre des millions de disques. Je ne me fais pas d’illusions. Mais je continuerai à faire des albums parce que c’est un beau métier : fabriquer des disques, aller en studio, faire des pochettes, réfléchir à un concept. Peut-être que la musique va devenir un art pictural et qu’on va faire des cd comme on fait des tableaux. On les vendra peut-être en série limitée, voire en pièce unique. 

 Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?
 De continuer le chemin. De continuer à avancer. D’avoir encore la possibilité d’enregistrer mes chansons et d’aller les chanter au public. J’ai choisi ce métier-là, et je vois bien que je ne suis pas capable de faire autre chose. Je n’ai pas trop le choix. Il faut que je trouve les moyens de pouvoir continuer. Je n’ai pas vraiment d’objectif à atteindre. Ce sont plutôt les objectifs qui m’atteignent.

Propos recueillis par R. Biscourian


www.nevchehirlian.com


Lucine Fyelon Formée à Erevan à l’école Tchaikovsky, Lucine Fyelon a décidé il y a dix ans de partir vivre de son art à Los Angeles. Bien lui en a pris. Depuis quelques années, la belle violoniste arménienne a enregistré en studio ou joué en live avec les plus grands noms de la pop internationale : Madonna, Pink, Britney Spears, Will.I.Am, les Foo Fighters ou encore Miley Cirus font partie de son tableau de chasse. Mieux, elle apparaît régulièrement dans la série musicale Glee et vient de faire ses débuts au cinéma, sans son violon, dans un thriller psychologique, aux côtés de Malcom Mc Dowell (Orange Mécanique). Violoniste, actrice mais aussi chanteuse d’opéra, pianiste, compositrice, et danseuse... Lucine a certes beaucoup de cordes à son arc, mais elle réussit l’exploit d’être constamment brillante, comme en attestent les nombreux prix qu’elle a reçu à Los Angeles ou New-York. Une vraie artiste à l’américaine, dans un pays où l’éclectisme est une force. www.lucinefyelon.com

Cédric Apikian Passionné de BD depuis tout petit, le réalisateur Cédric Apikian s’offre une petite récréation en lançant un magazine vidéo mensuel dédié à l’actualité du 9e art. En attendant que ses projets de longs métrages ou de séries tv se concrétisent, l’auteur du fameux clip d’Amnésie Internationale (« Je ne savais pas »), fait donc dans le décalé et le ludique. Les amoureux de BD seront comblés. Pour voir les émissions : www.pifpafpoum.com /// www.cedricapikian.fr /// www.facebook.com/pifpafpoum

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Eddy Anemian

Ce jeune designer français d’origine arménienne, diplômé de l’école belge de La Cambre, a remporté cet hiver la troisième édition des H&M awards, en concurrence avec des étudiants de 32 écoles de design européennes et des USA. Composé de dirigeants de la marque suédoise, de designers de renom mais aussi de célébrités, le jury a donc offert à Eddy la somme de 50 000 euros mais aussi et surtout la possibilité de voir ses créations vendues online et en boutique à la rentrée ! Plus d’infos dans le prochain numéro d’IK !

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MEZZ

Ouvert il y a quelques mois sur le Canal St-Martin par deux jeunes foodistas d’origine arménienne Laurie Afar et Naïri Kurdoghlian, MEZZ est une belle réussite. A des années lumières du restaurant tradi arménien qu’on mettait des heures à digérer en raison notamment de la présence intempestive d’ail dans les plats -, MEZZ apporte une vraie bouffée d’oxygène au genre en revisitant le menu de notre enfance dans un

Khorovats Power

univers street food, plus proche de New-York que de Gumri. Ici, c’est “Boulettes Power” comme l’indique le menu tout de jaune fluo. Chez MEZZ, les produits sont frais, et tout est fait maison, ce qui donne une dimension healthy et équilibrée au projet. La clientèle ? Branchée, et plutôt internationale. Quel résultat dans l’assiette ? Du bon, voire parfois du très bon. En entrée, mention particulière pour le caviar d’aubergine

agrémenté de graines de grenades (Sunny Babaganoush). Excellents keuftés (Bombastic) et très bon poulet mariné au thym (On the beach), accompagnés d’une délicieuse Kotayk bien fraîche. On espère vraiment que ce restaurant va continuer de cartonner car il contribue à donner à une image plus “funky” de la bouffe arménienne, et par ricochet, de l’Arménie et des Arméniens. F.A.

Avis aux amateurs de Khorovats ! Le 6 septembre aura lieu à Akhtala (Lori), dans le nord de l'Arménie, l'Armenian Barbecue Festival, autrement dit le Festival du Khorovats ! Au programme, comme chaque année depuis 2008, de nombreuses dégustations et des battles qui promettent entre les meilleurs chefs de la région. Les meilleurs khorovats seront désignés selon plusieurs critères : le goût, le visuel, l'originalité, et le respect de la tradition. www.armfestivals.com

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MEZZ 53, Quai de Valmy 75010 www.mezz.fr

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Des visages et des figures. From Erevan with Love.

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Miko


Aza

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Catanasian


(ça s’est passé au JAF)

La France a accueilli la crème des danseurs arméniens !

En organisant du 29 juin au 5 juillet la première tournée hexagonale du Ballet National d’Arménie (ou Parégamoutyun), la Jeunesse Arménienne de France, en partenariat avec le Ministère arménien de la Culture, a frappé fort. Du Casino de Paris au Palais des Congrès de Marseille, en passant par la Bourse du Travail de Lyon, plus de 3000 personnes ont assisté à un show à vous en donner le frisson, et ce, malgré un lightshow minimaliste et l’absence de musiciens sur scène. Créé en 1993 par le célèbre chorégraphe avant-gardiste Norayr Mehrabyan (73 ans), le BNA, qui a parcouru maintes

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fois le monde (Allemagne, Chine, Russie, Inde, Italie, etc...), n’avait jamais foulé le sol français en plus de 20 ans d’existence. Composée de 40 danseurs et danseuses, cette troupe d’Etat, véritable concentré d’originalité, mêlant le classique et le contemporain, entre tradition, audace et modernité, a donc enfin eu en France la reconnaissance qu’elle méritait. « Le public, venu nombreux, a pu constater que le BNA est ce qui se fait de mieux aujourd’hui en Arménie, s’est réjoui Pascal Chassamian, le directeur artistique de l’ensemble marseillais Araxe-Sassoun de la JAF. La France a enfin pu découvrir ces

superbes artistes issus de l’école de danse de Erevan dont la réputation n’en finit plus de grandir (elle fournit aujourd’hui des solistes pour des grands ballets internationaux à Paris, Genève, Munich, Stockholm, Sydney, ou encore Buenos Aires, nldr). Nous espérons vraiment avoir séduit de nombreux jeunes français d’origine arménienne, afin de faire naître ou de renforcer leur passion de la danse. J’espère que cela a créé des vocations chez certains ».

J.M.A.


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Guillaume Kechmanian


14e gala des écoles de la JAF Marseille :

DR

Les 150 enfants ont enflammé le Moulin !

Le samedi 14 juin, à Marseille, les 500 personnes présentes au Moulin ont été conquises par un spectacle de danse et de musique un peu particulier. En ouverture, la chorale des enfants, accompagnée par les élèves de l’école de musique traditionnelle arménienne, a donné le ton de ce spectacle. Avec l’enchaînement de danses rythmées, et de prestations musicales étonnantes, les élèves âgés de 5 à 17 ans, se sont épanouis sur scène en montrant le fruit d’une année de travail. Un final éblouissant tout en couleurs a clôturé ces 2 heures de bonheur. Un spectacle de très grande qualité servi par des costumes merveilleux et un professionnalisme digne de leurs aînés d’Araxe-Sassoun. Un immense bravo aux deux directeurs d’écoles Marion Chamassian, et Michaël Vemian, qui, avec leurs équipes de professeurs, transmettent l’art de la danse et de la musique arménienne, et font naître des vocations à cette jeunesse en herbe. L’enthousiasme des enfants et le rendu scénique laissent à penser que le pari des écoles de la JAF est largement gagné.

Colonie de la JAF : une 28e édition au top ! Encore près de 50 enfants ont participé cette année du 7 au 25 juillet à la 28e colonie de la JAF. Cette année, la “colo” a eu lieu au Champ d’Or à Chabottes. Encadrés par leurs “monos” préférés, les “minots” ont pu apprécier le cadre naturel et verdoyant des Hautes-Alpes et ont pu profiter d’activités en plein air (sports d’eaux vives, escalade, VTT, randonnées, etc...) sans oublier évidemment de passer par la case ateliers de musique, de langue et de danse arméniennes, pour un bon bol d’air frais et de culture.

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Vers un transfert des cendres du groupe Manouchian au Panthéon ?

Le jeudi 5 juin, la JAF Marseille a organisé une rencontre publique en présence de Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine, et de Christophe Masse, vice-président du Conseil général des Bouchesdu-Rhône. En février 2014, dans une tribune publiée dans Le Monde.fr, Jean-Marc Germain, secrétaire national du PS à l’International, lançait un appel pour le transfert des cendres du Groupe Manouchian au Panthéon. Au cours de cette conférence, les deux élus ont expliqué pourquoi cet engagement est nécessaire au moment où se creusent les clivages sur les valeurs les plus fondamentales de la république française. La Jeunesse Arménienne de France soutient le projet de panthénonisation des cendres du groupe Manouchian et, en rassemblant les énergies de chacun, l’association a souhaité relayer largement cette initiative.

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Goodbye Harry !

Harry Koundakjian, le célèbre photographe de l’agence américaine AP (Associated Press), est décédé le 21 avril. Nous l’avions rencontré dans ses bureaux à New-York en 2005. Hommage.

Une rencontre avec Harry Koundakjian ne s’oublie pas. D’abord parce qu’il était impossible de ne pas trouver attachant cet homme rieur et volubile, au physique de catcheur. Bon vivant, intuitif et hyperpolyglotte, Harry forçait surtout le respect par son parcours professionnel hors norme. « Je suis un self made man de la photo », s’amusait-il à nous répéter avec malice dans les bureaux newyorkais de l’agence AP (Associated Press), pour laquelle il travailla en tant que chef du service photos pour le Moyen-Orient jusqu’en 2006. Né à Atek en Syrie, Harry prit la direction du Liban, à Beyrouth, où il

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passa son enfance et adolescence. Sur place, après des études avortée de théologie - « au départ, je voulais être pasteur » -, il se découvre une passion pour la photo et apprend tout sur le tas. A 22 ans, il est engagé par le magazine L’Orient, devenant ainsi le premier photojournaliste du Moyen-Orient. Sa première photo internationale, il la prend en 1954, lors d’une conférence de presse de l’ambassadeur britannique à Beyrouth. Un cliché qui lui rapporte la somme faramineuse de... 4 dollars. Peu à peu, Harry impose sa griffe « prendre des photos que personne n’ose prendre » - et sa carrière décolle.

D’abord freelanceur, il est engagé par AP à la fin des années 60. Il ne quittera plus l’agence américaine jusqu’en 2006, date de sa retraite. Cet homme de terrain, aux 80 000 clichés et aux 300 couvertures de magazines, a couvert pendant plus de 50 ans des évènements dans 30 pays du globe. Du Liban à la Syrie (où il fut arrêté et emprisonné pendant 11 mois et 10 jours car il était considéré comme un espion), en passant par l’Irak (pays dans lequel il a couvert quatre coups d’Etat), l’Iran, la Lybie ou encore l’Egypte, Harry a vécu dangereusement, se blessant régulièrement lors de ses reportages. Surnommé “Harry the Horse” (pour sa


capacité à foncer comme un cheval) ou encore “Survivor” (le survivant), il n’a jamais hésité à shooter dans des circonstances extrêmes : lors de cyclones au Pakistan, de séismes en Turquie et au Maroc ou lors d’une prise d’otage d’un avion de la Lufthansa par des pirates palestiniens en 1977 (voir photos ci-dessus). Certains de ses clichés ont fait le tour du monde et ont été vendus à France-Soir, Paris-Match, Time, Life, Newsweek, Daily Telegraph, The Economist, et de nombreux autres magazines américains ou britanniques. Et l’Arménie dans tout ça ? « Je suis fier de mes origines », confiait-il

entre deux anecdotes de son premier voyage à Erevan, lors du séisme de 1988. « Je garde un souvenir pénible de ce reportage. Le pays était dévasté, et tout le monde souffrait en silence, dans l’indifférence internationale ». Concernant la question du génocide, déjà en 2005, Harry ne se faisait aucune illusion quant à une prochaine reconnaissance par la Turquie. « Aujourd’hui, les grandes nations adorent la Turquie, faisait-il remarquer. Les Turcs sont 70 millions et ont beaucoup d’argent tandis que nous ne sommes que 6 millions tout au plus. Ils ne reconnaîtront le génocide que sous la menace des Etats-Unis ».

A 83 ans, Harry s’est donc éteint, laissant derrière lui une existence riche en sensations fortes. On se souviendra de cette phrase qu’il nous avait lâchée avec humour dès les premiers moments de notre rencontre à NY, et qui en disait long sur la passion de sa vie : « mon appareil photo ne me quitte jamais, il me suit jusque dans mon lit, entre ma femme et moi. Et il me suivra dans mon cercueil ».

Fred Azilazian

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Boudjellal a réussi son pari

Faire de Toulon une place forte du rugby en Europe. Tel était le pari de Mourad Boudjellal en 2006, lorsqu’il prit les rênes du club sudiste. 8 ans plus tard, on peut dire que ce Franco-arméno-algérien a atteint son objectif haut la main. Coachée par Bernard Laporte et emmenée par un immense Johnny Wilkinson, son équipe de Toulon a remporté cette saison le Top 14 ainsi que la Coupe d’Europe. Un doublé historique qui en dit long sur la détermination de cet entrepreneur de 54 ans, qui agace autant qu’il fascine. Portrait.


Mourad Boudjellal. Derrière ce nom et ce prénom se cache un business man, et plus encore un self made man de 54 ans qui, depuis 2006, est à la tête de l’un des clubs de rugby les plus médiatiques de France, le RC Toulon. Pour parler sport en quelques lignes, le RCT est aujourd’hui ce qui se fait de mieux en France et en Europe. Un miracle pour une formation qui végétait en deuxième division et qui était au bord de la faillite il y a huit ans. Toulon peut donc remercier Mourad, qui grâce à sa détermination et son convaincant carnet de chèques a inversé la vapeur. Boudjellal est devenu en quelques années le Bernard Tapie du rugby. Une grande gueule qui sait faire des affaires et qui sait faire rêver la France avec ses recrues de standing international, comme l’exceptionnel buteur anglais Johnny Wilkinson (au club depuis 2009) ou encore le capitaine des All Blacks Tana Umaga (2006-2010). Capable du meilleur comme du pire*, le patron du RCT a le sang chaud et déborde d’ambition.

DR

Il vibre pour l’ovalie, mais aussi et surtout pour la BD. À dix ans, il relie ses propres bandes dessinées qu’il baptise Mourad Editions. Cinq ans plus tard, e il lance un festival dédié au 9 art à Hyères. La passion des bulles s’accroche à Mourad comme une moule à son rocher et en 1982, alors qu’il n’a que 22 ans, il ouvre alors Bédule à Toulon,

une petite librairie spécialisée, où il organise de nombreuses séances de dédicaces. L’appétit venant en mangeant, il décide en 1989 de créer sa propre maison d’édition, Soleil Prod. Il rachète les droits de Rahan dont le premier volume se vend à 8 000 exemplaires en trois jours et 22 000 en trois mois. Un mini-jackpot. Il poursuit dans les rééditions avec Tarzan ou encore Mandrake le magicien avant de lancer des séries originales d’heroic fantasy qui, à l’instar de Lanfeust de Troy, se vendent comme des petits pains. Plus de vingt ans après sa création, Soleil Prod a été revendue en 2011 par Boudjellal aux Editions Delcourt alors qu’elle était dans le top 3 des éditeurs francophones de bandes dessinées et qu’elle réalisait un chiffre d’affaires de près de 40 millions d’euros. Quant à son RCT, il est aujourd’hui une machine économique forte de 30,5 millions d’euros de budget. Vous l’aurez compris, tout roule pour Mourad Boudjellal. « J’ai 25% de sang arménien et c’est grâce à ces 25% que j’ai le sens des affaires! », avait-il confié un jour à IK, évoquant également avec nostalgie sa grand-mère arménienne Marie, « qui a perdu sa famille dans le génocide de 1915 » et dont est directement inspirée l’une des bandes dessinées les plus connues de son frère Farid Boudjellal : Mémé d’Arménie. Rolland Biscourian

*En 2012, Mourad Boudjellal a été suspendu 130 jours par la Ligue nationale de rugby pour propos injurieux. « J’ai connu ma première sodomie arbitrale contre Clermont en demi-finale en 2009. Je viens de connaître ma deuxième ce soir et je n’aime pas ça », avait-il déclaré après une défaite à Biarritz.

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Hot Hot Hea

Parce qu'elles le valent bien

Anahit Harutyunyan « J’adore la philosophie ! » Anahit Harutunyan est un mannequin d’Arménie qui travaille pour l’agence Atex. Après sa séance de shooting hot pour IK, elle nous a accordé un petit entretien.

Anahit, qu’est-ce qui t’a poussé à faire le métier de mannequin ? J’en rêvais depuis toute petite ! Cette envie n’a cessé de grandir en moi mais je n’osais pas franchir le pas car ma timidité me complexait. C’est ma mère qui m’a poussé à passer un casting. Elle m’y a obligé ! Et tant mieux, car j’ai vaincu ma timidité et j’ai été retenue !

 Quel âge avais-tu lors de ton tout premier défilé ? J’avais 17 ans. Ce premier défilé avait pour thème « la silhouette russe ». As-tu arrêté tes études pour te consacrer au mannequinat ?
 Non ! Après mon bac, je suis entrée en fac de philosophie. J’adore la philosophie ! Parallèlement à mes études, je prenais des cours de mannequinat. L’idée, c’était d’assurer mes arrières car malheureusement l’industrie de la mode n’est pas très développée en Arménie et tu ne peux pas vraiment faire une carrière complète de top model ici. 

 Que penses-tu d’Atex, l’agence dans laquelle tu travailles ? En Arménie, Atex est tout simplement la meilleure agence. J’ai débuté là-bas et je continue de travailler pour eux aujourd’hui. Actuellement, Atex collabore aussi avec d’autres agences basées à l’étranger, comme par exemple l’agence Noa. Du coup, ça va me permettre d’aller travailler à l’étranger.

Propos recueillis par Armen Catanasian (avec F.A.)

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Catanasian

Comme fais-tu pour garder ce corps de rêve ? Je mange équilibré et je fais du sport.


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Bonnes vacances !


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