Pour bien comprendre, quel est ton parcours de skieur ? Je suis né à Courchevel, presque sur des skis (à 2 ans). Peu motivé pour intégrer le Club des Sports, je me suis dirigé très tôt vers une pratique plus libre. J’avais 13 ans quand pour la première fois, j’ai posé mes spatules sur cette neige douce et flottante en bord de piste… J’ai attrapé le virus de la poudreuse, et j’ai débuté un ski plus engagé, en freeride, dans des pentes raides. À mesure que je pratiquais, je me passionnais de la même façon pour la photographie d’action : mon terrain de jeu était définitivement hors des pistes. et puis un jour de 2015, une avalanche t’a emporté : raconte-nous ? C’était le 7 février, je m’en souviens comme si c’était hier. Je voulais faire découvrir la “peuf” à mon jeune cousin. Les semaines de vache maigre en termes de neige m’avaient conditionnées : on devait en profiter ! Nous étions sur l’Aiguille du Fruit près du télésiège de Chanrossa sur Courchevel Moriond. La descente se dessinait face à moi mais un doute subsistait dans ma tête. J’ai conseillé à mon cousin d’attendre, de laisser un peu de marge entre lui et moi le temps que j’aille voir. Je me suis avancé et là, la plaque s’est décrochée sous mes skis. Ton premier réflexe ? Ça bouillonne dans ma tête, je crie « avalanche » pour que mon cousin comprenne ce qu’il se passe. J’essaye tant bien que mal de flotter sur la neige quand derrière moi, une nouvelle plaque se détache, tape mes skis et me fait déchausser. À ce moment là, je suis dans une machine à laver, rien ne me permet de bouger, je me fais secouer dans tous les sens.
Je suis dans une macHine À Laver Que se passe t-il dans ta tête ? Quand on te donne des conseils, on te dit de mettre les bras en croix devant ton visage pour te protéger mais en réalité, il est impossible de faire un seul mouvement volontaire. Les tonnes de neige m’emportent avec une telle force que je prie pour m’en sortir tout en pensant sincèrement être perdu. Puis tout s’arrête… L’espace d’un instant ça se calme, mon visage est à découvert mais la neige continue lentement de glisser et finit de m’ensevelir complètement sans que je ne puisse rien faire. À cet instant, je suis sûr d’être foutu. Je connais les règles de survie et je sais que les 15 premières minutes sont cruciales alors pour me calmer et éviter de paniquer je hurle, comme un cri de détresse qui tente d’évacuer mon anxiété. tu pouvais respirer ? Heureusement, je n’ai pas de neige dans la bouche, facteur d’étouffement, pas de douleur non plus et il y a une légère cavité qui me permet de respirer. Alors pour ne pas gaspiller l’oxygène, j’essaye de me calmer dans un silence assourdissant, un silence de mort… Que se passe t-il ensuite ? J’essaye de me recentrer et je m’aperçois que je peux bouger ma main droite, qu’elle semble être dégagée. C’est un véritable soulagement, je vais peut-être pouvoir gratter la neige pour m’en sortir. Mais c’est un leurre, la neige est tellement compactée qu’il est totalement impossible de bouger, de déplacer un cm2 de cette prison glacée. La seule chose qu’il me reste c’est attendre ! Attendre que l’on vienne me dégager, en espérant que ça sera rapide. Ou bien attendre que tout s’arrête… c’est une angoisse indicible. ton cousin est alors venu te chercher ? J’ai senti qu’il me serrait la main et ce fut le plus grand soulagement de toute ma vie. J’ai su que j’allais m’en sortir : quel bonheur. Lui et trois autres skieurs, qui avaient assisté à la coulée, sont venus me dégager, d’abord le visage puis le reste du corps. Dans mon malheur, j’ai eu la chance de me retrouver dans une bonne position : les jambes sous 1,50 m de neige mais le visage sous 70 cm et la main tendue vers le haut. Une fois que j’ai vu la lumière traverser l’épaisseur de neige, que j’ai entendu le bruit du pelletage, un sentiment d'apaisement m’a envahi, d’autant que mon corps ne me faisait pas souffrir.
et quand tu as été libéré, quelle a été ta première réaction ? Je me suis mis face à l’avalanche (50 m de large sur 250 m de long) et je l’ai regardé, secoué et ébranlé. J’ai bien sûr remercié mes sauveteurs et le pisteur venu constater la coulée qui, par ses conseils et son vécu, m’a beaucoup tranquilisé. Je n’étais pas blessé physiquement, ce fut une chance mais j’étais déboussolé alors j’ai voulu redescendre. N’ayant plus de skis, mon cousin m’en a prêté un et nous sommes descendus tous les deux, comme ça. Arrivé chez moi, j’ai senti le besoin de sortir et d’aller voir mes amis qui étaient sur les pistes comme pour exorciser ce que j’avais vécu. C’était d’ailleurs l’un des conseils du pisteur : il fallait que je remonte vite sur les skis pour transformer cet accident en quelque chose de positif. comment as-tu vécu l’après ? Je continue de penser à tout ce qui s’est passé, aux secondes qui ont précédé le drame. Évidemment, il y avait des signes : une semaine avant, le vent avait beaucoup soufflé formant des plaques à vent (avalanches les plus fréquentes), des personnes avait été ensevelies sous le télésiège de Chanrossa 4 jours avant… J’aurais dû renoncer mais j’ai découvert que plus que le B.A. BA de la sécurité (check météo, arva pelle sonde, consultation du BRA – Bulletin des Risques d’Avalanche – discussion avec les pisteurs…) c’est le facteur humain le plus dangereux : quand tu t’entêtes et t’obstines. Dans mon cas, il s’agissait d’emmener mon cousin coûte que coûte, à cause du peu d’occasion qu’on avait eu dans la saison. C’est ce facteur qui t’envoie inévitablement au casse-pipe. C’est tout ce qui concerne ton état psychologique qu’il faut redouter ! il y a un avant et un après ? Même si je n’étais pas l'inconscient qui part en montagne sans s’être renseigné sur tous les sites, sans s’être entraîné au trio DVA - pelle - sonde, sans étudier les différentes couches de neige… je renonce beaucoup plus qu’avant. Renoncer n’est pas lâche, c’est au contraire une vraie forme de sagesse. Mais c’est le problème des années minables en termes de neige, pour beaucoup, profiter du peu de fois où ça tombe devient une idée fixe et conduit souvent à la catastrophe.
renoncer n’est Pas LÂcHe tu as un conseil à partager en tant que rescapé ? En ce qui me concerne, j’ai eu besoin de lire, de chercher, de trouver des témoignages de personnes qui avaient vécu la même chose que moi. C’est non seulement une thérapie personnelle mais ça peut permettre aussi à ceux qui n'ont pas connu ça, de prendre conscience grâce à une certaine forme d’empathie. Il y a un site super pour ça : www.powder.com Je conseillerais aussi à tous ceux qui pratiquent le hors-piste d’investir dans un sac airbag : ça n’empêche pas l’avalanche mais ça peut peut-être sauver une vie. Et je dirais aussi de ne jamais sortir sans son trio DVA, pelle, sonde même si on a prévu de faire que de la piste. Vous allez peut-être être témoin d’une coulée, vous pourrez peut-être intervenir rapidement pour sortir quelqu’un… Moi je ne m’en sépare plus. Et bien sûr, l’entraînement à son utilisation est indispensable pour être opérationnel. Johanne B.
TeSTImonY Freerider Robin Garnier survived an avalanche on February 7th, 2015. Robin and his cousin were situated near the chairlift Chanrossa in Courchevel Moriond, ready to ski down l'Aiguille du Fruit. Unfortunately Robin triggered an avalanche by moving forward and was swept away by tons of snow. Buried under a thick layer of snow, there was nothing to do but wait. His cousin and three other skiers who saw everything happen rescued him. The avalanche measured 50 metres by 250 metres. Luckily, Robin wasn't physically injured but he remains deeply traumatized by this adventure.