IÉSEG Magazine "CHANGE - A new way of talking business" - Numéro 9

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BUSINESS AND RESEARCH La toile complexe des collectifs numériques /P.14

A NEW WAY OF TALKING BUSINESS

GOOD NEWS

Théâtre d’impro : pour l’amour du risque /P.18

NICE TO MEET YOU

Laura di Muzio, ancienne joueuse internationale de rugby à VII et à XV, présidente du Stade Villeneuve Lille Métropole et consultante France Télévisions /P.22

EMPOWERING CHANGEMAKERS FOR A BETTER SOCIETY
09 MARS 2024
P.04
A BETTER SOCIETY LE COLLECTIF EN QUESTIONS

ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE NUMÉRO... MERCI À :

•Matthieu Barlet

•Valérie Bertrand

•Mamta Bhatt

•Bernard Coulaty

•Laura di Muzio

•Laurent Dubois

•Grégoire Hugel

•Jorge Jacob

•Laurence Kaufmann

•Bernadett Koles

•Jérôme Moreau

•Frédéric Panni

•Cyril Saunier

NUMÉRO 09

Le magazine qui porte un autre regard sur le business

IÉSEG

3 rue de la Digue - 59000 Lille 1 parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr

MARS 2024

Directrice de publication : Caroline Roussel

Rédactrice en chef : Laure Quedillac

Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Laetitia Dugrain-Noël, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon, Vincent Schiltz, Laure Quedillac

Conception & réalisation : alcalie.fr

Rédaction : alcalie.fr

Photographies : FESPA France, Georges Fessy (2003 ©Familistère de Guise), IÉSEG, ©Félix Imhof / UNIL, iStock2024, Ligue majeure d’improvisation, Sylvain Navaux (2023 ©Familistère de Guise), Xavier Renoux (2016 ©Familistère de Guise)

A BETTER SOCIETY

Forger le collectif, un défi pas simple /P.11

A BETTER SOCIETY

Le Familistère de Guise, une expérience collective hors du commun /P.12

GOOD NEWS

GOOD NEWS

Victimes : un tabou collectif /P.20

Formation : le challenge de la grande échelle /P.21

02
N°09 I A new way of talking business LOOK
“Notre projet pédagogique repose sur un triptyque : savoirs, savoirfaire, savoir-être. Chacun de ces piliers est indissociable de la volonté de jouer collectif.”

LE COLLECTIF, QUESTION DE TEMPS LONG

Comment naît le goût du collectif et quand ? On pourrait croire que tout est joué lorsqu’un jeune bachelier nous rejoint en première année ou lorsqu’un professionnel expérimenté intègre l’un de nos programmes Executive. Après tout, nous sommes exposés depuis le plus jeune âge au regard de l’autre et la socialisation est un long processus qui commence dès la crèche. Depuis l’enfance, l’être humain apprend à devenir un animal social. Pour autant, croire que le sens du collectif est inné - ou qu’il est acquis une fois pour toutes passé un certain âge - serait à notre sens une erreur, et une erreur d’autant plus grave que le monde n’a peut-être jamais été aussi incertain qu’aujourd’hui. Dans un environnement aussi mouvant et aussi rapide, les lignes bougent, les identités et les collectifs aussi. Réunir des individus en un même lieu ou dans une même structure ne suffit de toute évidence plus à croire qu’un groupe se transforme en équipe par magie. L’union fait toujours la force mais le nombre de variables qui menacent la cohérence de nos collectifs est tel que préserver cet atout précieux suppose un effort constant. Le constat vaut dans le monde privé comme dans la sphère publique ou professionnelle.

Que peut l’IÉSEG à son échelle ? Avoir de l’impact. Comment ? Par l’apprentissage, par l’exemple et par une pratique constante. Notre projet pédagogique repose sur un triptyque : savoirs, savoir-faire, savoir-être. Chacun de ces piliers est indissociable de la volonté de jouer collectif. À l’École, on ne se penche pas uniquement sur un corpus de savoirs ou de compétences. On apprend à savoir interagir au sein d’une équipe - à faire en sorte que le tout soit davantage que la somme de ses parties, pour citer Aristote. Cette dimension ne se décrète pas et s’enseigne difficilement, mais elle s’expérimente et elle se vit chaque jour dans nos classes, dans nos projets, dans nos couloirs ou au sein de nos associations. La diversité de nos équipes vient évidemment servir cette démarche. Élément de singularité de l’École, cette hétérogénéité infuse dans nos formations comme dans nos programmes ou dans notre manière d’accompagner nos étudiants - des jeunes bacheliers qui entament leur vie d’adulte chez nous jusqu’aux cadres plus aguerris qui viennent s’y enrichir.

Si l’IÉSEG se distingue, c’est bien par cette constante mise en valeur du collectif. Ce dernier pousse à l’échange et tout échange est un dialogue, une dialectique qui permet d’avancer. Vieille comme la philosophie, cette interrogation permanente sur la meilleure manière d’articuler le “je” et le “nous” fait partie de notre identité même.

03 A new way of talking business I N°09 BETWEEN US

Du monde du sport à celui de la politique en passant par les sphères militantes, le terme “collectif” s’est partout imposé, jusque dans l’entreprise. L’idée de collectif de travail y est au centre de toutes les attentions : comment le faire naître, comment l’entretenir, comment en jouer pour favoriser l’engagement ou la performance… Mais qu’entend-on exactement par collectif ? Qu’est-ce qui distingue un collectif d’une équipe, d’un groupe ou d’une communauté ? Définition et éclairage avec Laurence Kaufmann, docteure en sciences sociales et professeure à l’Université de Lausanne.

COMME SOCIOLOGUE, QUELLE DÉFINITION DONNEZ-VOUS DU COLLECTIF, UN NOM ET UN ADJECTIF DONT LES FRONTIÈRES SEMBLENT FLOUES ?

Le mot n’a commencé à s’installer dans le monde des sciences sociales qu’après 2010, alors qu’on ne parlait jusque-là que de société ou de communauté. Mais le terme de société renvoie plutôt à des liens relâchés ou éphémères tandis que celui de communauté suppose des relations particulièrement fortes, par exemple dans le cas d’une communauté religieuse. La notion de collectif ne préjuge pas de la nature des relations qui relient les individus entre eux : elle laisse ouverte la question de leur mode de regroupement. Étudier un collectif consiste à s’intéresser aux manières dont un ensemble de “je” parviennent à former un “nous”.

QUAND PEUT-ON DIRE D’UN ENSEMBLE D’INDIVIDUS QU’IL DEVIENT UN COLLECTIF ?

Prenons le cas d’un cercle littéraire qui choisit de se réunir à intervalles réguliers pour discuter de Shakespeare et qui décide après de longues discussions que sa meilleure pièce est Hamlet. Même s’il n’en est pas nécessairement convaincu à titre personnel, chaque membre de ce

cercle défendra cette position officielle. Le collectif que forme le cercle littéraire pense et agit en son propre nom. De même, lorsqu’une équipe de football dispute un match, chaque joueur est en quelque sorte comptable du résultat collectif, même s’il ne marque pas.

UN NOUVEAU MEMBRE INTÈGRET-IL DE FAIT UN COLLECTIF OU CELA SUPPOSE-T-IL UNE AUTRE FORME D’ADHÉSION, UN ENGAGEMENT PARTICULIER ?

Un individu peut appartenir à un collectif sur le papier sans en être membre au sens fort du terme, en tout cas tant qu’il ne raisonne pas en termes de “nous” et tant qu’il ne s’y engage pas de manière significative. Ce passage du “je” au “nous” peut être relativement lâche. Plus ces liens sont denses, plus l’écart entre le “je” et le “nous” s’estompe ou disparaît, plus le collectif se rapproche de la communauté.

EXISTE-T-IL DES COLLECTIFS SPONTANÉS OU INFORMELS ?

Le collectif commence très tôt et à tout petit niveau. Un exemple classique s’intéresse au cas de deux personnes qui ne se connaissent pas très bien mais qui décident de marcher ensemble. Le simple fait de s’aligner sur le pas de

“Lorsqu’une équipe de football dispute un match, chaque joueur est en quelque sorte comptable du résultat collectif, même s’il ne marque pas.”

l’autre crée une sorte de système tacite de droits et d’obligations. Marcher avec quelqu’un, c’est s’engager à l’attendre s’il doit refaire son lacet ou enlever un caillou de sa chaussure. C’est une sorte de scène primitive du collectif : en ajustant son comportement sur l’autre, on crée un micro-nous. La puissance de ce “nous” est évidemment bien supérieure dans des situations plus complexes.

UN VIEUX PROVERBE VEUT QUE L’UNION FASSE LA FORCE. EST-CE LA RAISON D’ÊTRE D’UN COLLECTIF ? Oui, mais cette vision cohabite avec l’idée inverse qui veut que le collectif puisse nous ralentir. C’est particulièrement net dans le débat scolaire actuel : les groupes de niveaux reposent sur l’idée qu’une partie des élèves freine les autres. Il existe une forme de tension permanente entre cette idée et le pari contraire, celui qui voit la complémentarité des compétences comme un moyen de nous rendre plus forts.

QUELLE PLACE OCCUPENT LA COMPÉTENCE, LE TALENT OU L’INITIATIVE INDIVIDUELLE DANS UN COLLECTIF ?

Tout dépend de la forme que prend le collectif concerné. Certains sont suffisamment intelligents pour tolérer les forces qui émergent d’en bas, contribuent et proposent tandis que d’autres s’engluent dans des processus hiérarchiques qui barrent toute forme d’initiative. Tout est question d’équilibre : les collectifs qui se veulent “sans tête” ou sans ego, comme les Gilets Jaunes ou les Anonymous, se retrouvent rapidement confrontés à de véritables problèmes décisionnels.

05 A new way of talking business I N°09

A BETTER SOCIETY

L’excès d’horizontalité n’est pas plus viable que l’excès de verticalité. Le collectif n’est pas l’ennemi de la hiérarchie ou de l’autorité, à condition que celle-ci ne repose pas sur un simple argument d’autorité mais sur des compétences ou des fondations solides. La pire autorité est celle de l’arbitraire.

EXISTE-T-IL DES LIMITES OU DES DANGERS LIÉS À UNE IDENTIFICATION

EXCESSIVE AU COLLECTIF ?

Il peut arriver que le “je” s’efface devant un “nous” qui finit par occuper toute la place, au risque de déboucher vers des processus de radicalisation sectaire, politique… Dans un processus totalisant, il n’y a plus de place pour la prise de distance de l’individu, qui ne se pense plus que par le collectif – un collectif qui s’unifie grâce à la figure de l’ennemi et l’opposition entre “nous” et “eux”.

QUELLES SONT LES RACINES

D’UN COLLECTIF ? QU’EST-CE QUI LUI PERMET DE DURER ?

Ceux qui perdurent sont ceux qui ne se contentent pas d’un affichage formel ou abstrait mais qui tissent des liens plus profonds. Pour tenir ensemble, il faut se devoir quelque chose les uns aux autres. Ce n’est pas seulement de l’interdépendance ou de la sollicitude. Appartenir pleinement à un collectif, c’est se sentir l’obligé de l’autre.

“Le collectif n’est pas l’ennemi de la hiérarchie ou de l’autorité, à condition que celle-ci ne repose pas sur un simple argument d’autorité mais sur des compétences ou des fondations solides.”

“TROISIÈME

VAGUE” : QUAND LE COLLECTIF S’EMBALLE

Laurence KAUFMANN, docteure en sciences sociales et professeure à l’Université de Lausanne.

LAURENCE KAUFMANN ET DANNY TROM (DIR.), QU’EST-CE QU’UN COLLECTIF ? DU COMMUN À LA POLITIQUE, ÉDITIONS DE L’EHESS, 2010.

Adaptée au cinéma en 2008 (“Die Welle” de Dennis Gansel), l’expérience menée au lycée Cubberley de Palo Alto par Ron Jones, reste emblématique. En 1967, ce jeune professeur d’histoire diplômé de Stanford fit face à une gageure : comment enseigner la mécanique du nazisme à de jeunes Californiens ? Ron Jones parie sur la mise en situation. Il propose à la classe de créer son propre mouvement, “Troisième Vague”, doté de ses règles propres et de son “uniforme”. Prévue pour une journée, l’expérience s’étend sur quatre jours au cours desquels Ron Jones expose quatre slogans : “La force par la discipline”, “La force par la communauté”, “La force par l’action”, “La force par la fierté”. Chaque élève reçoit une “carte” de membres et des lycéens tirés au hasard sont chargés de dénoncer ceux qui ne respectent pas les règles du groupe. Mais en cinq jours, l’expérience échappe à tout contrôle. 200 lycéens se joignent à La Vague, des listes de réfractaires circulent et des phénomènes de harcèlement apparaissent. Lorsqu’une bagarre éclate au cours d’un match, Ron Jones met fin à l’expérience avec une conférence censée présenter au groupe un leader national qui n’existe pas. Piégés, les élèves réalisent alors qu’ils se sont laissé manipuler. Isolée, l’expérience de Ron Jones ne fait pas partie d’un programme de recherche, n’a jamais été répliquée et n’a donné lieu à aucune publication scientifique. Elle n’est donc pas une expérience scientifique et relève du simple témoignage, mais elle n’en pose pas moins des questions cruciales sur la facilité avec laquelle un groupe peut se laisser entraîner au service d’un discours de haine.

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LE COLLECTIF AU DÉFI DE LA DIVERSITÉ

Organisation collective par excellence, l’entreprise n’est jamais faite que d’hommes et de femmes qui doivent apprendre à travailler ensemble. Et quand il s’agit d’innover, d’aborder un enjeu de manière différente ou de sortir des réflexes acquis, pouvoir compter sur des profils diversifiés est un indéniable avantage. Mais comment s’y prendre ? Comment créer un collectif de travail et comment en tirer le meilleur lorsqu’on réunit des personnes aux profils différents ? L’éclairage de Mamta Bhatt, professeure dans la filière Human Resource Management de l’IÉSEG.

En France plus qu’ailleurs, le monde professionnel fait face à une accusation récurrente liée à son prétendu manque de diversité, un entre-soi qui vire pour les plus critiques à l’endogamie. Profils identiques, formations analogues, parcours professionnels équivalents… Le reproche, pour être honnête, ne touche pas que les entreprises : le monde politique, comme celui des médias, fait régulièrement face au même reproche et la pop culture s’amuse depuis longtemps de ces entreprises où chacun ne serait que la copie conforme de son voisin.

LE DIFFICILE ACCORD DU PLURIEL

Le cliché a pourtant vécu et la diversité s’est depuis longtemps invitée dans le monde du travail. Mais que permet-elle ?

Et comment intégrer des profils variés sans fissurer le collectif ? “On sait que la diversité facilite l’innovation, la créativité et la prise de décision, souligne Mamta Bhatt. Une équipe aux profils hétérogènes peut analyser une question sous différents angles et les entreprises aux profils diversifiés sont mieux placées pour comprendre les besoins d’une clientèle variée.” Sans oublier que cette stratégie contribue à attirer les meilleurs : “de plus en plus de personnes souhaitent travailler dans des entreprises qui soutiennent la diversité et offrent un environnement inclusif à leurs employés.” Inutile de se voiler la face pour autant : nature humaine oblige, la diversité dans un collectif ne va pas toujours de soi. Les préjugés, les discriminations ou les problèmes

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Mamta BHATT, professeure dans la filière Human Resource Management de l’IÉSEG.
07 A new way of talking business I N°09

A BETTER SOCIETY

de communication ne disparaissent pas par magie. Consciemment ou non, chacun a tendance à favoriser les membres de son groupe et à ne pas tenir compte des opinions de ceux qui sont différents d’eux. “Pour profiter pleinement des avantages de la diversité, il est important de construire un environnement inclusif et de faire des efforts”, explique Mamta Bhatt.

ENVIRONNEMENTS

INCLUSIFS, MODE D’EMPLOI

Pour y parvenir, la taille de la société est nécessairement décisive, relève Mamta Bhatt. “Au regard des ressources dont ils disposent, les grands groupes peuvent plus facilement déployer des politiques structurées et explicites en faveur de la diversité. En revanche, leurs structures bureaucratiques peuvent ralentir leur mise en œuvre. Les petites entreprises disposent de ressources limitées mais peuvent se montrer plus adaptables et plus rapides.” Quel que soit le profil de l’entreprise, la construction d’un collectif à la fois divers et sain relève de la

volonté du dirigeant et de ses managers, explique la chercheuse. “Le succès d’une équipe éclectique dépend de la manière dont la force unique de chaque personne est exploitée. L’une des manières d’y parvenir consiste à encourager une communication ouverte pour permettre à chacun de partager ses points de vue. Un autre moyen consiste à créer des opportunités pour faciliter le contact, par exemple au travers d’objectifs communs, de moments brise-glace ou de formations croisées qui permettent à chaque membre de tirer profit de l’expertise des autres. Mais c’est tout l’environnement de travail au sens large qui doit encourager le respect des différences.”

LUTTER CONTRE SES PROPRES RÉFLEXES

Ce qui n’est pas simple : “pour gérer un collectif diversifié, les managers doivent développer les compétences culturelles nécessaires, ce qui implique de reconnaître ses préjugés et de s’efforcer d’y remédier.” Ce qui est d’autant moins simple que chacun est victime de ses

propres stéréotypes et de ses angles morts : “Certains aspects de la diversité, comme les différences sexuelle et ethnique, ont reçu plus d’attention que d’autres et les organisations ont déjà pris des mesures en ce sens. En revanche, d’autres aspects comme le handicap ou la condition cognitive ont suscité moins d’attention. Les entreprises commencent seulement à réaliser que les personnes atteintes de neurodiversité possèdent des compétences uniques qui peuvent permettre davantage de productivité et d’innovation. Pour progresser, la sensibilisation des managers peut être d’un grand secours, comme le fait de favoriser un climat d’écoute et de communication ouverte et sûre au sein de l’équipe. Des entretiens réguliers avec les membres peuvent aider à comprendre comment ils se sentent et s’ils ont des préoccupations.” L’expérience joue, les formations aussi mais rien ne se fait sans engagement : “les recherches suggèrent qu’en général, la formation obligatoire n’est pas aussi efficace que la formation volontaire”, constate Mamta Bhatt.

LEVER LES POCHES DE RÉSISTANCE

Reste à relever le défi dans des secteurs traditionnellement très genrés : univers du soin, BTP, ingénierie… “Plusieurs mesures pourraient être prises pour veiller à ce que ces branches se diversifient progressivement en s’attaquant aux problèmes structurels qui entravent la diversité, ainsi qu’aux problèmes d’interaction quotidiens. Une étape clé consiste à instaurer des pratiques d’embauche inclusives comme la sélection de CV à l’aveugle, des panels d’entretien diversifiés ou un langage inclusif dans les descriptions de poste”, explique Mamta Bhatt. Tout en alertant : “Tout effort qui vise à modifier le statu quo peut se heurter à une résistance, les membres de l’organisation tendant à considérer les efforts en faveur de la diversité et de l’inclusion comme inutiles.” D’autant que les groupes sous-représentés risquent de ne pas trouver beaucoup de personnes comme eux dans leur quotidien, donc de ne pas s’épanouir au travail. Le chemin reste long.

08 N°09 I A new way of talking business

EURATECHNOLOGIES : FAIRE DES DIFFÉRENCES UNE FORCE

Fondé en 2009 dans les bâtiments d’une ancienne filature lilloise, EuraTechnologies est le plus grand incubateur de start-up d’Europe avec ses 145 000 m² de locaux. Plus qu’une simple juxtaposition de talents, l’accélérateur porte une démarche particulière, basée sur la rencontre et les échanges. Comment faire naître un collectif sur ce campus de jeunes pousses aux ambitions et aux profils très hétérogènes ? Les réponses de Matthieu Barlet, program director France et directeur du site de Blanchemaille.

QUE PEUT APPORTER LE COLLECTIF À DES CRÉATEURS D’ENTREPRISES QUI SE DISTINGUENT PAR LEUR DIVERSITÉ ?

La première difficulté qu’affronte un créateur d’entreprise est la solitude. EuraTechnologies a été précisément fondée voici quinze ans pour rompre cet isolement en réunissant les ressources et les compétences utiles dans un même lieu. Que celui-ci soit né dans les Hautsde-France n’est pas un hasard dans la mesure où la région affiche une longue et puissante tradition entrepreneuriale, du textile à l’industrie en passant par le retail. Il n’y a bien sûr pas de recette magique mais une certitude : le premier rôle d’un incubateur, c’est de désenclaver les différentes initiatives. C’est aussi se donner les moyens de réfléchir ensemble à la culture de l’entrepreneuriat dans

ce qu’elle a de plus pragmatique. Cette réflexion se fait de manière collective en croisant l’expérience de tous les incubés. C’est en se mesurant au collectif qu’on peut véritablement éprouver une initiative ou une idée, faire mûrir un projet. C’est en testant son modèle, son produit ou son service et en se confrontant au regard des autres qu’on affine ce que l’on porte. Le collectif permet de sortir la tête du guidon, d’ouvrir les yeux et de bénéficier de l’expérience et du regard des autres, et notamment des “anciens”. Les partenaires de l’écosystème viennent également apporter leur expertise dans le cadre de mentoring.

COMMENT CRÉER LES

CONDITIONS DE CETTE OSMOSE ENTRE LES DIFFÉRENTS

PORTEURS DE PROJETS ?

Au-delà des temps purement pédagogiques, le lieu en lui-même joue beaucoup sur la naissance d’un collectif. Ceux qui se rendent chaque jour sur les sites de Lille, de Roubaix, de Willems, de Saint-Quentin ou sur le campus cyber Hauts-de-France de Lille Métropole plutôt que de rester chez eux le font, bien sûr, pour y trouver un ensemble d’outils et de services mais aussi pour le plaisir de rejoindre un lieu convivial et agréable. Faire grandir son entreprise n’est pas simple. Retrouver sur place des personnes qui passent par les mêmes épreuves crée une solidarité et une entraide palpables. Au gré des activités, des événements et des animations proposées, chacun peut mesurer les avantages de retrouver un écosystème qui rend tout ce qu’on lui donne. Chacun peut apporter quelque chose à l’autre et réciproquement, en fonction de ses compétences ou de son expérience et chacun en tire à son tour les bénéfices.

COMMENT MESUREZ-VOUS L’EFFET DES ACTIONS MISES EN PLACE POUR FAVORISER CE SENTIMENT D’APPARTENANCE À UN COLLECTIF ?

Ce n’est pas un hasard si l’immense majorité des entrepreneurs qui passent par nos parcours d’incubation demande à conserver des locaux sur place ensuite. La plupart des entreprises que nous accompagnons ne partent que pour des raisons logistiques ou lorsque leur croissance et leur politique commerciale le nécessitent. Un autre indicateur clé touche à leur mobilisation lorsqu’on les sollicite pour participer à des jurys de sélection des nouveaux incubés. Ils répondent aussi présents pour aider des entrepreneurs qui traversent des difficultés de tout ordre, y compris sur le plan personnel. Mais la meilleure preuve de cet attachement à EuraTechnologies, c’est qu’ils deviennent très souvent nos premiers ambassadeurs à l’extérieur, parfois des années après leur passage.

EURATECHNOLOGIES ACCOMPAGNE ENVIRON

200

NOUVEAUX ENTREPRENEURS CHAQUE ANNÉE DANS SES DIFFÉRENTS PROGRAMMES.

09 A new way of talking business I N°09
Matthieu BARLET, program director France et directeur du site de Blanchemaille.

A BETTER SOCIETY

GÉRER LES DIFFÉRENCES

Si tout n’est pas parfait en matière de diversité, les collectifs de travail se caractérisent par une internationalisation et une hétérogénéisation croissantes. Pour en tirer le meilleur, deux grandes visions s’affrontent, explique Jorge Jacob, professeur de marketing à l’IÉSEG.

LA DIVERSITÉ PROGRESSE

DANS L’ENTREPRISE. COMMENT

TIRER LE MEILLEUR DE CES COLLECTIFS PLURIELS ?

Il n’existe aucune méthode d’approche unique pour tirer parti de la diversité d’une équipe dans une entreprise car l’exploitation de cette pluralité est influencée par des idéologies et des systèmes de croyances qui guident la manière dont les individus perçoivent et abordent les groupes culturels et ethniques dans un contexte donné. On peut distinguer principalement deux approches qui valorisent la diversité de différentes manières : une vision “colorblindness*” qui minimise les différences pour mettre l’accent sur les points communs et une vision multiculturelle qui favorise une mosaïque de cultures. Chaque entreprise peut adopter la voie qui correspond à ses valeurs, à sa culture organisationnelle, à la nature de sa main-d’œuvre, au secteur dans lequel elle opère…

LA FRANCE TEND PLUTÔT VERS LA PREMIÈRE VOIE. POURQUOI ?

Depuis la Révolution française, la France a favorisé l’émergence d’une culture de l’assimilation qui s’appuie sur des valeurs universelles qui l’emportent sur l’origine de chacun. Le discours public en France minimise délibérément les différences culturelles, religieuses ou ethniques, renvoyées dans la sphère privée pour promouvoir un sentiment d’égalité et d’unité dans le pays. Cette vision a des avantages et des inconvénients. Dans son principe, cette vision défend l’idée que toutes les différences potentielles entre les groupes doivent être évitées pour atténuer les tensions. Les recherches révèlent toutefois quelques inconvénients potentiels car cette approche conduit paradoxalement à une indésirable augmentation de la discrimination et des préjugés. Sans

le savoir, les partisans d’une approche colorblindness peuvent perpétuer l’ethnocentrisme en attendant des autres qu’ils se conforment aux normes de leur communauté.

D’AUTRES PAYS ABORDENT-ILS LA QUESTION DIFFÉREMMENT ?

L’approche multiculturelle considère que la culture et l’ethnicité sont au cœur de l’identité des individus. Elle préserve les cultures minoritaires contre les pressions de l’assimilation en soulignant l’importance des différences culturelles. Le multiculturalisme permet d’envisager la diversité sous un angle différent en mettant l’accent sur des différences en considérant qu’elles peuvent constituer une force.

CELA NE RISQUE-T-IL PAS D’ENTRAVER L’EXPRESSION DU COLLECTIF ?

Un grand nombre de recherches montrent que les membres des groupes non dominants préfèrent souvent le multiculturalisme dans les organisations car il correspond à leurs besoins et à leur désir de reconnaissance. L’exploitation de cette diversité permet d’obtenir des résultats positifs comme l’innovation, l’inclusion et une meilleure compréhension des besoins des différents consommateurs mais introduit effectivement de la complexité. Mais cela peut aussi involontairement conduire à des effets indésirables. Cela peut rendre leur différence par rapport aux autres plus visible aux membres de groupes non dominants. De plus, pour les membres des groupes dominants, le multiculturalisme peut favoriser le sentiment d’exclusion et donc déclencher des menaces entre les groupes. Il est essentiel de trouver un juste équilibre pour maximiser les avantages du multiculturalisme sans compliquer l’expression collective.

*Littéralement “daltonienne”

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“Le discours public en France minimise délibérément les différences culturelles, religieuses ou ethniques, renvoyées dans la sphère privée pour promouvoir un sentiment d’égalité et d’unité dans le pays.”
Jorge JACOB, professeur de marketing à l’IÉSEG.
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FORGER LE COLLECTIF, UN DÉFI PAS SIMPLE

Le collectif, d’accord, mais de quoi parle-t-on ? Comment le définir, comment le faire naître et comment l’entretenir ? L’éclairage de Bernard Coulaty, ancien DRH (Danone, Pernod Ricard) et directeur académique de l’Executive Mastère Spécialisé “Direction Transformation et Développement Humain” de l’IÉSEG.

C’EST QUOI, UN COLLECTIF ?

Qu’est-ce qui fait qu’un groupe de personnes devient un collectif ? “Il ne suffit évidemment pas de faire travailler des gens ensemble pour obtenir un collectif par magie, relève Bernard Coulaty. En sport comme dans l’entreprise, une équipe se définit par la capacité de ses membres à se faire mutuellement confiance pour parvenir à un objectif commun, en l’occurrence économique dans le monde professionnel.” Les différences sont minces à un détail près : “dans une entreprise, on compte plusieurs collectifs : celui du comité de direction, celui des managers, des collaborateurs de chaque service… La spécificité du monde professionnel tient à cette difficulté supplémentaire : parvenir à faire travailler ce méta-collectif ensemble et faire en sorte que chacun joue le jeu sans poursuivre sa propre stratégie.”

QU’EST-CE QUI REND UN COLLECTIF PLUS EFFICACE QU’UN AUTRE ?

Plus un secteur économique est concurrentiel, plus le collectif doit être performant pour réussir face aux concurrents. Comment peut-on huiler la machine pour la rendre plus performante ? “Dans un monde aussi volatil que le nôtre, l’agilité, la solidarité, la capacité à innover et la créativité font la différence sans jamais perdre de vue la notion de bien-être. Tout l’art du manager consiste à s’assurer que le collectif ne soit pas exposé à des phénomènes de harcèlement ou d’épuisement, tout en luttant contre l’individualisme. Comme le disait Aimé Jacquet : “ce n’est pas de porter le même maillot qui fait une équipe, c’est de transpirer ensemble”. On retrouve dans l’entreprise des enjeux qui traversent d’ailleurs l’ensemble de la société”, observe Bernard Coulaty.

COMMENT ENTRETENIR

LA FLAMME ?

Départs, recrutements, fusions… Un collectif de travail est rarement stable. Comment gérer l’imprévu et comment intégrer les nouveaux sans déséquilibrer le collectif ? “C’est la capacité à créer de l’engagement qui fait le bon manager. Cela demande d’osciller constamment entre deux dangers : l’excès de bienveillance et l’excès d’exigence. En poussant trop loin le curseur dans un sens ou dans l’autre, on peut mettre le collectif en danger de deux manières. Trop de bienveillance peut saper la performance, trop de défis peuvent conduire à des phénomènes de saturation ou de burn-out.” Pour ne pas tomber de Charybde en Scylla, “il faut couper les deux bouts de l’omelette, résume Bernard Coulaty. Les meilleurs patrons sont ceux qui sont à la fois capables de protéger les équipes tout en les faisant grandir.”

RESTER COLLECTIF DANS UN MONDE INDIVIDUALISTE Télétravail, turn-over… Les pratiques professionnelles ont changé et dans le monde du travail comme ailleurs, la tendance à l’individualisme vient parfois compromettre l’expérience commune. Comment y parvenir ? “Il faut à la fois savoir engager, communiquer, coacher, écouter, gérer le quotidien… Les défis sont tels que bien des collaborateurs ne cherchent plus à occuper ces postes, d’où la crise du management que nous connaissons. Elle est d’autant plus profonde qu’il s’agit d’un domaine dans lequel la formation ne fait pas tout. Le meilleur conseil serait de ne surtout pas se précipiter pour désigner un nouveau manager, mais de prendre le temps nécessaire pour choisir celle ou celui qui a, à la fois, le tempérament et les aptitudes nécessaires pour tirer le meilleur de son équipe.”

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Bernard COULATY, directeur académique de l’Executive Mastère Spécialisé “Direction Transformation et Développement Humain” de l’IÉSEG.
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LE FAMILISTÈRE DE GUISE, UNE EXPÉRIENCE COLLECTIVE HORS DU COMMUN

Créé au XIXe siècle, le Familistère de Guise a accueilli jusqu’à 2 000 habitants sur un site qui tient à la fois de la cité ouvrière et de l’expérience sociale à grande échelle. Imaginée par Jean-Baptiste Godin, cette utopie concrète reposait sur un mélange d’idéalisme et de pragmatisme, au service d’un projet collectif résumé d’une phrase par son fondateur : “le plaisir de chacun est augmenté du plaisir de tous.” Retour sur une expérience sans pareille.

Rome ne s’est pas faite en un jour, le Familistère de Guise non plus. Construit progressivement entre 1859 et 1884, le site s’est organisé autour de la manufacture créée par son fondateur, Jean-Baptiste Godin. Aux trois ailes qui abritent les logements du Palais social se sont ajoutés des équipements collectifs : une “nourricerie”, des écoles, un théâtre, un économat, un jardin d’agrément, une bibliothèque, une buanderie-piscine… Cité à part entière avec son habitat, ses services collectifs et son organisation sociale propre, le Familistère s’est élevé sur des bases à la fois utopiques et pragmatiques, explique son directeur, le conservateur du patrimoine Frédéric Panni : “Même s’il le passe au crible de ses propres convictions et de son expérience, Godin s’inscrit indubitablement dans le courant de pensée de Charles Fourier et de ceux que Marx qualifiait de socialistes

utopiques. Mais Godin ne se pense pas comme un utopiste. En fondant le Familistère, il s’inscrit dans une démarche de science sociale. Comme Newton a formulé certaines lois fondamentales de la physique, il s’agit de comprendre les règles qui gouvernent la vie en société pour aller vers une forme d’harmonie collective, capable de permettre aux plus démunis de s’émanciper.”

LA FORTUNE AU SERVICE DE L’ACTION

Cette sensibilité au sort des plus modestes s’explique probablement par ses propres origines. Fils d’ouvrier et serrurier de formation, Godin quitte son village de Thiérache à 15 ans pour un tour de France qui lui permet de prendre conscience des conditions de vie de la classe ouvrière, au temps de la première révolution industrielle. De ce voyage,

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Frédéric PANNI, conservateur du patrimoine du Familistère.
A BETTER SOCIETY

le jeune autodidacte revient avec une conviction et un but, développe Frédéric Panni : “Il estime que ceux qui produisent les richesses ont le droit d’accéder à une forme d’émancipation collective, qu’elle soit sociale, économique ou intellectuelle. Pour y parvenir, il n’y a, à ses yeux, qu’une possibilité : associer le capital et le travail en s’assurant que le second gouverne le premier.” Entreprenant et doué, Godin fait fortune en s’imposant sur le marché en pleine expansion des poêles de chauffage. L’industriel dispose alors des moyens nécessaires pour financer les premières expériences sociales, comme le phalanstère fondé par Victor Considerant au Texas. L’expérience est un échec et Godin y laisse un tiers de sa fortune mais en tire les leçons qui vont permettre au Familistère de voir le jour.

QUE CHACUN PROFITE DE TOUS

Pour agir, Godin s’appuie sur son savoirfaire d’industriel. Organisateur né, il conçoit un projet entièrement financé par les bénéfices industriels. “Son entreprise n’a qu’un but, insiste Frédéric Panni : dégager les richesses qui vont bénéficier aux travailleurs sous la forme d’institution sociale d’abord, puis d’habitat collectif et enfin de système économique avec la création en 1880 de la Société du Familistère, une coopérative de production.” Sans jamais oublier la protection collective : couverture sociale, assurance face aux accidents, caisse de retraite… Au cœur du XIXe siècle, l’expérience du Familistère est visionnaire et très en avance sur son temps. Pour donner naissance à son projet collectif, Godin adopte une approche pragmatique. “Le Familistère s’édifie sans architecte, avec Godin comme maître d’ouvrage, et son plan d’ensemble a comme particularité de pouvoir être réalisé progressivement. Tout repose à ses yeux sur la liberté individuelle de chacun : nul n’est obligé d’habiter au Familistère pour travailler à l’usine.” Mais petit à petit, le Familistère voit le jour autour des trois immeubles d’habitation - le Palais socialconstruits à quelques encablures de l’usine autour de vastes cours couvertes. Traversants, les appartements comptent plusieurs pièces et sont chauffés. Les écoles sont mixtes et obligatoires jusqu’à 14 ans. Le Familistère fonctionne en autogestion, chacun est copropriétaire. Pensé en fonction des convictions hygiénistes et modernistes de son fondateur, le lieu reflète l’idée que le collectif permet de créer des “équivalents de richesse.” Si les ouvriers ne peuvent y accéder de manière individuelle, ils en bénéficient par la mise en commun. “Les services que le riche

retire de la domesticité sont remplacés par des institutions communes”, écrit Godin.

L’APPRENTISSAGE DU COLLECTIF

Ce sens du commun n’est pas une évidence, explique Frédéric Panni : “Godin ne croit pas à la spontanéité d’une organisation sociale harmonique qui naîtrait par magie. Sa cité n’est pas une fin en soi, simplement le milieu idéal pour réussir la transformation sociale, une habitation collective pensée pour qu’une collectivité puisse s’y épanouir.” Le Familistère devient alors un lieu d’apprentissage pour un processus d’émancipation collectif. “Godin crée toutes sortes de structures autogérées dotées de responsables élus : un comité des fêtes, un autre pour l’assurance maladie, un autre pour la pharmacie… Les habitants y font l’apprentissage de la démocratie sociale et lui se voit comme une sorte de contrôleur d’un processus lent.” L’industriel multiplie les conférences au théâtre pour enseigner les “bienfaits de la coopération, de la participation et de la responsabilité collective” à ses salariés. Quitte à rappeler inlassablement ce que suppose une expérience de démocratie sociale : “écouter autrui, apprendre à s’exprimer pour être compris par les autres, savoir défendre ses arguments…”.

EXPÉRIENCE UNIQUE

Pour le reste, Godin croit aux vertus du dialogue pour faire émerger une réelle fraternité entre les habitants du Familistère.

Les coursives qui donnent accès aux appartements sont autant d’occasions de rencontres entre les ouvriers, quelle que soit leur position dans la hiérarchie de l’usine - manœuvres, employés de bureau ou cadres. Les fenêtres intérieures et la vie collective dans un espace aéré mais clos permettent aussi l’émulation : un intérieur bien tenu doit pousser chacun à entretenir son propre logement, le regard de l’autre - et sa désapprobation potentielle - étant à la fois un moteur et une motivation.

UNE LONGÉVITÉ REMARQUABLE

Dissoute en 1968, l’association fondée par Godin fonctionnera pendant 80 ans encore après sa mort en 1888, une longévité remarquable qui pose question : pourquoi l’expérience du Familistère n’a-t-elle pas été déclinée ailleurs ? “Le Familistère repose en partie sur le succès de la manufacture Godin*, mais aussi parce que cette expérimentation collective est initiée par un homme dont la pensée traverse tout le projet. Le Familistère est un incontestable succès, avec 2 000 personnes, mais il n’a pas essaimé. Cela pose la question de la nature même du Familistère : si c’est une expérience, pourquoi n’est-elle pas réplicable ? Aussi admirable soit-elle, la question de savoir la réussite du Familistère doit tout à son fondateur - aussi paradoxale que ce soit pour une expérience collective.

*Aujourd’hui sous contrôle du groupe

Les Cheminées Philippe.

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LA TOILE COMPLEXE DES COLLECTIFS NUMÉRIQUES

Hier encore, le concept de communautés en ligne aurait fait sourire les sceptiques, peu convaincus par la solidité des liens qui se tissaient déjà au temps des forums et des canaux IRC (ICQ ou MSN Messenger…). Les réseaux sociaux sont passés par là et plus personne aujourd’hui ne distingue vraiment les liens qui se tissent sur la Toile de ceux qui se créent “IRL”. Sont-ils pour autant de même nature ? Quelles sont les spécificités de ces collectifs et de nos doubles immatériels qui les composent ? Les réponses de Dr Bernadett Koles, professeure à l’IÉSEG et spécialiste des communautés numériques.

Mondes virtuels, médias sociaux, jeux en ligne… Après des années passées à explorer les méandres des communautés du web, Bernadett Koles s’est plus récemment penchée sur les groupes qui se créent autour de certains créateurs de contenus : blogueurs, Youtubeurs, streamers, figures d’Instagram… Pourquoi ces personas du digital attirent-elles autant ? “Les stars de cinéma, les joueurs de football, les groupes de musique et les autres célébrités ont toujours su attirer les fans mais l’émergence des médias sociaux leur a permis d’étendre leur présence aux espaces en ligne”, explique Bernadett Koles. “Les plateformes digitales ont des

atouts importants, comme la suppression des frontières géographiques et spatiales ou la capacité à s’adresser plus souvent à leurs fans de manière plus créative et innovante. Mais plus intéressant encore, d’autres communautés virtuelles se sont formées autour de personnes inconnues jusque-là, de manière plus organique et autonome. Les plateformes ont permis à des gens “ordinaires” de se faire un nom et d’attirer un public autour de leurs passions”, souligne Bernadett Koles. “Je m’intéresse particulièrement à ces communautés en raison de leur influence sur la trajectoire de la personnalité numérique qui les réunit au départ.”

607 MILLIONS

D’ABONNÉS SUR INSTAGRAM, CRISTIANO RONALDO EST LA PERSONNE LA PLUS SUIVIE DU MONDE SUR UN RÉSEAU SOCIAL. AVEC

14 N°09 I A new way of talking business BUSINESS AND RESEARCH

SENTIMENT D’APPARTENANCE

Explorer ce qui différencie ces vastes collectifs virtuels des communautés hors ligne est une question passionnante. “Elles en partagent diverses caractéristiques mais s’en distinguent sur certains points. Les plateformes permettent par exemple une plus grande interactivité, que ce soit entre les célébrités ellesmêmes ou entre les membres de la communauté ou du “fan-club” parce qu’il est très facile de s’engager en utilisant les likes, les emojis ou en commentant les posts des autres.” Mais ce n’est pas tout : “les plateformes permettent aux fans de s’engager de manière asynchrone, par exemple en interagissant avec les comptes sociaux de leur star favorite, mais aussi de manière synchrone, en participant à un événement en direct” - ce qui est l’un des fondements mêmes du streaming.

“Immersifs, ces environnements déclenchent par ailleurs l’excitation, la curiosité ou le sentiment d’appartenance. Les communautés numériques donnent aux membres une forme de contrôle et de potentiel de cocréation en aidant à leur tour à faire évoluer l’identité numérique même de la célébrité. Cela permet des expériences dynamiques, réciproques entre la célébrité et ses fans, mais aussi entre followers.” On ne le dira jamais assez, insiste la chercheuse : “les engagements et les relations noués dans ces cadres virtuels sont tout aussi réels et profonds - si ce n’est plus - que ceux du monde physique.”

STARS DES RÉSEAUX

Oubliez les animateurs télé : aujourd’hui, les personnalités les plus suivies sur les plateformes et les réseaux rassemblent des communautés et réalisent des audiences à faire pâlir Nagui ou Karine Le Marchand. En France, les influenceurs les plus appréciés des Français sont les Youtubeurs McFly & Carlito qui comptent 7,5 millions d’abonnés, loin devant Lena Situations, toujours puissante avec ses 4,2 millions d’abonnés sur Instagram et ses 2,5 millions de followers sur YouTube. Du côté des streamers de jeux vidéo, c’est sans surprise Squeezie qui sort vainqueur avec 18 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube et son influence littéralement écrasante auprès des 15-24 ans. Et la relève arrive avec des personnalités comme Léa Elui. Vous n’avez jamais entendu son nom ? Il va falloir vous y habituer : à 22 ans, la jeune star de Tik Tok est la Française la plus suivie sur les réseaux sociaux, avec plus de 30 millions de followers.

RETROUVEZ PLUS D’ANALYSES, PERSPECTIVES ET RECHERCHES DE CET EXPERT SUR IÉSEG INSIGHTS

Profonds, mais jusqu’où ? Comment ces collectifs gèrent-ils les divergences de vue, les désaccords ou les conflits internes ? “Ce qui rassemble ces communautés, c’est un personnage numérique avec ses centres d’intérêt, ses passions et son expertise propres”, appuie Bernadett Koles. “Cette identité doit être cohérente et évoluer sous peine de mettre en péril les fondements mêmes de la communauté. Si celle-ci perçoit moins d’authenticité ou de fidélité de la part de la personne qui les réunit, la concurrence féroce qui règne dans l’écosystème des streamers et des influenceurs risque de l’emporter, puisque les fans ont l’embarras du choix. Le rythme et la régularité des posts et du contenu sont tout aussi importants : par exemple, les streamers de jeux vidéo sont souvent tenus de suivre un calendrier strict et beaucoup témoignent qu’ils ne peuvent pas prendre de vacances ou de véritables pauses pour pouvoir assurer la continuité nécessaire au maintien de leur base de followers. Parfois, la violence et le harcèlement peuvent s’inviter dans ce monde complexe et souvent impitoyable : “certains cas d’intimidation sont très préjudiciables aux créateurs de contenu et à leurs communautés. Il s’agit d’une plainte fréquente de la part de streamers de jeux vidéo en ligne, en particulier de femmes, qui vont parfois jusqu’à remettre en question leur présence en ligne. Les plateformes et les agences de régulation peuvent jouer un rôle essentiel à cet égard en identifiant les moyens de créer une expérience en ligne plus agréable et plus durable pour tous.”

Bernadett KOLES, professeure à l’IÉSEG et spécialiste des communautés numériques.
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AGRI EN VOSGES

En 2018, quatre exploitations agricoles des Vosges se sont associées pour installer la première unité de méthanisation de leur département. Objectif : alimenter les habitants en énergie propre, valoriser les déchets organiques et contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Un pari collectif qui demande un effort constant.

LES COOPÉRATIVES AGRICOLES EN FRANCE, UN MODÈLE MENACÉ D’ESSOUFFLEMENT ?

Le principe de l’économie coopérative a largement séduit un secteur agricole très sensible aux valeurs de soutien et d’entraide, au point de représenter 40 % du secteur agro-industriel hexagonal. Si les 2 200 coopératives françaises existantes comptent quelques géants (InVivo, Tereos, Agrial…), l’essentiel du tissu coopératif repose toujours sur des TPE ou des PME. Reste que cette idée d’engagement collectif se trouve confrontée à une crise d’un genre nouveau : à en croire l’Observatoire de la gouvernance des coopératives agricoles, 75 % des coopératives font face à un recul de l’engagement des adhérents, de moins en moins nombreux à participer à des instances où leurs voix pèsent pourtant à égalité. Sans doute faut-il y voir la conséquence de la vaste concentration engagée depuis déjà dix ans : marqué par un recul de 25 % du nombre de coopératives, ce mouvement s’est aussi soldé par un éloignement des centres de décision. Au risque de voir un cercle vicieux se mettre en place : frustrée de se sentir moins représentés, une partie des agriculteurs risquent de se désengager davantage encore pour devenir des adhérents fantômes.

Avec ses grandes bâches blanches et ses bâtiments à la silhouette arrondie, on ne peut pas rater l’unité de biométhanisation qui s’étend sur un peu plus d’un hectare à la sortie de Chaumousey, dans le Grand Est. Inaugurée en juin 2019, l’installation permet de fournir 5 000 habitants en biométhane, un gaz vert obtenu grâce aux effluents d’élevage des quatre exploitations agricoles qui composent la SAS Agri GN Vosges, alimentée par les déchets organiques produits par quelque 600 bovins.

UN PROJET COLLECTIF

Un petit tour de force pour un projet qui ne pouvait être que collectif, se souvient Cyril Saunier, l’un des huit associés engagés : “Les conduites de gaz du réseau public longent nos exploitations, ce qui permettait d’ouvrir des perspectives en matière de biométhanisation. Mais pour des questions de rentabilité et de volume de travail, il était difficilement imaginable que chaque exploitant construise sa propre petite unité de son côté.” Le montant des investissements nécessaires - cinq millions d’euros - décourage aussi les initiatives isolées. Soutenu par la Chambre d’Agriculture, un projet collectif voit alors le jour, avec des solutions de

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financement adaptées par des prêts bancaires, mais pas seulement : “les acteurs publics ont apporté 1,2 million d’euros de subvention et chacun des huit associés a investi 50 000 euros.” Un choix fort : “nos fermes n’ont pas toutes la même taille et toutes les exploitations ne sont pas en mesure d’injecter les mêmes quantités de déchets mais nous avons tenu à ce que chacun apporte un capital égal. C’est une manière de nous sentir tous impliqués de la même manière”, explique Cyril Saunier. À cette égalité des montants investis répond une gouvernance adaptée : “le règlement prévoit que les grosses décisions se prennent à l’unanimité.” La gestion quotidienne, elle aussi, se fait sur la base d’un juste équilibre des tâches,

avec un système d’astreintes. “Gérer l’installation représente l’équivalent d’un ETP et demi sur l’année. Dans chaque ferme, un associé est désigné pour dégager le temps nécessaire. Trois d’entre nous s’occupent de la partie technique et un autre associé s’occupe de la partie administrative. Chacun note ses heures pour que tout le monde s’y retrouve.”

TERRAIN D’ENTENTE

Membre de plusieurs coopératives agricoles (voir encart), Cyril Saunier n’a pas hésité une seconde à se lancer dans ce projet collectif : “dès qu’on peut travailler à plusieurs, ça vaut le coup”. Mais tout ne va pas de soi pour autant : “il faut s’assurer que les intérêts personnels ne

DEUX QUESTIONS À GRÉGOIRE HUGEL

l’emportent pas sur l’intérêt commun. Quand on se retrouve à huit autour d’une table, ce n’est pas simple. Les premiers mois, le consensus était facile. Avec le temps, c’est parfois plus complexe parce que nous devons nous mettre d’accord sur la stratégie à adopter.” Le juste équilibre entre les attentes individuelles et l’intérêt collectif suppose de constants ajustements et un échange régulier - une fois par mois, voire par semaine. Jusqu’ici, les désaccords exprimés se sont toujours résolus sans nécessiter l’intervention d’un médiateur extérieur. “On arrive constamment à trouver un terrain d’entente”, conclut Cyril Saunier, toujours convaincu par l’idée que l’union fait la force.

Directeur général de Mignotgraphie et d’Olinda, Grégoire Hugel défend les intérêts du secteur de la sérigraphie au sein de FESPA France, une organisation qui regroupe plus de 500 professionnels de la communication visuelle. Des concurrents qui savent aussi collectivement défendre des professions sous tension.

QUELS SONT LES OBJECTIFS DE FESPA FRANCE ?

Au-delà d’un but évident qui consiste à partager la passion commune qui nous réunit, nous nous impliquons collectivement autour des questions législatives. Enseignes, sérigraphie, signalétique, installation... Tous nos métiers sont soumis à des cadres réglementaires d’autant plus complexes qu’ils évoluent constamment. Certains menacent notre existence même, comme l’idée d’interdire les enseignes lumineuses. Nous nous battons pour peser dans le débat et sensibiliser les élus locaux et nationaux en les incitant à dépasser le dogmatisme ou les idées reçues. Enfin, nous avons le projet de refonte de l’ensemble de notre convention collective, aujourd’hui datée sur certains points. Les questions de formation sont également abordées. Certains de nos métiers n’existaient pas naguère encore et nous souhaitons faire reconnaître de nouveaux cursus et de nouveaux diplômes.

VOUS FORMEZ UN COLLECTIF, MAIS VOUS ÊTES ÉGALEMENT DES CONCURRENTS. EST-CE UN PROBLÈME

?

Nous ne sommes pas des concurrents mais des confrères et souvent des amis. Il nous arrive bien sûr de nous positionner sur les mêmes marchés mais nous n’en parlons jamais au sein de FESPA

France pour des raisons déontologiques évidentes. Ce qui n’empêche pas la solidarité : à mon initiative, l’association intervient auprès des entreprises en difficulté en leur apportant un soutien, une écoute et des conseils adaptés.

# ALLER PLUS LOIN

http://www.fespa-france.fr

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Une partie des membres de FESPA France.

THÉÂTRE D’IMPRO : POUR L’AMOUR

DU RISQUE

Monter sur scène sans texte, sans accessoire, sans décor et sans mise en scène : c’est le pari de l’improvisation. Comment créer quelque chose quand on ne peut s’appuyer sur rien ou presque ? Comment s’appuyer sur le reste de la troupe pour inventer un texte, un personnage et un récit ? Comment faire en sorte qu’une troupe réussisse à créer chaque soir un nouveau miracle, éphémère et inédit ? Les explications de Laurent Dubois, directeur général de la Ligue Majeure d’Improvisation.

Laurent

EN IMPROVISATION, LE SPECTACLE N’EXISTE PAS JUSQU’AU MOMENT OÙ LES COMÉDIENS MONTENT SUR SCÈNE. COMMENT S’Y PRÉPARE-T-ON ?

Cela demande une base technique, des codes et un sens de l’écoute qui se travaillent en amont. L’improvisation, c’est la science du temps présent. Sur scène, chacun doit être là ici et maintenant pour répondre à la proposition qu’un autre comédien lui fait et qu’il ne connaît par définition pas. Il faut une disponibilité pleine et entière pour être capable d’accueillir ce qui arrive, quoi que ce soit. On ne peut pas refuser ce qui vient d’être

dit : toute la salle l’a entendu. Même si ce n’est pas là qu’on voulait aller, il faut l’accepter pour en faire quelque chose et pour inventer la suite de l’histoire et du personnage. Le reste relève du lâcherprise. C’est ce qui permet la naissance d’un moment collectif qui dure quelques minutes à peine mais qui tient de la magie. La sincérité des comédiens est déterminante : si le collectif croit à ce qu’il incarne sur scène, le public suit. D’une certaine manière, le meilleur compliment qu’un spectateur puisse nous faire est de sortir convaincu que tout était écrit. Même si ça n’est jamais le cas, c’est le signe que la troupe a trouvé la bonne alchimie.

QU’EST-CE QUI ATTIRE UNE COMÉDIENNE OU UN COMÉDIEN D’IMPROVISATION ?

Il faut avoir le goût du risque, aimer le côté casse-gueule. Dans le cinéma ou dans le théâtre classique, on travaille dans des environnements précis et millimétrés. L’improvisation reste une terre inconnue, un univers dans lequel rien n’est sûr. Et c’est le but ! Il faut se méfier comme de la peste de la facilité, de la routine ou des réflexes en évitant par exemple la tentation de retrouver des choses, des personnages ou des univers qui ont fonctionné. En improvisation, le risque est de se contenter de peu, surtout face

DUBOIS, directeur général de la Ligue Majeure d’Improvisation.
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PETITE HISTOIRE DES MATCHS D’IMPRO

Forme la plus connue du théâtre d’improvisation, les matchs d’impro sont nés en 1977 de l’imagination de deux comédiens québécois du Théâtre Expérimental de Montréal, Robert Gravel et Yvon Leduc. Décidés à proposer une nouvelle expérience au public, ils choisissent de parodier l’univers du hockey sur glace. Partout dans le monde, la forme imaginée à Montréal demeure avec son rituel et ses matchs qui opposent deux équipes mixtes de sept personnes sous l’autorité d’un arbitre chargé de faire respecter quelques règles d’or. On ne refuse jamais les thèmes proposés, on ne décroche pas de son personnage… Le cadre varie par la durée des matchs, le nombre de joueurs, le thème proposé, la nature d’une improvisation mixte ou comparée…

à une salle qui n’est pas habituée et des spectateurs qu’il est relativement facile d’impressionner.

À QUOI RESSEMBLE

UNE RÉPÉTITION AU SEIN

D’UNE TROUPE D’IMPRO ?

90 % du temps, on fait de l’impro, justement ! Le reste du temps, on se nourrit d’imaginaires et d’univers variés : des films, des pièces, de la musique… Sans qu’elle soit nécessairement commune, il faut pouvoir s’appuyer sur une forme de culture générale.

SUR SCÈNE, IL N’Y A PAS DE DÉCOR, PAS DE COSTUME, PAS D’ACCESSOIRE. EST-CE UNE LIMITE ?

C’est parfois pire encore. En match d’impro (voir encart), on est habillé d’un maillot de hockey, ce qui n’aide pas vraiment à incarner un chevalier ou un cosmonaute… Le reste du temps, ce vide est plutôt une opportunité dans la mesure où il pousse à la prise de risque. Le public apprécie d’autant plus que l’improvisation fonctionne aussi parce qu’on est en permanence sur le fil et que les spectateurs attendent le moment où on va se planter.

LA NOUVELLE JEUNESSE DU JEU DE RÔLE OU LE RETOUR

EN GRÂCE

DU COLLECTIF

Merci Stranger Things. Dans la foulée de la série Netflix et de ses nombreux clins d’œil aux parties de Donjons & Dragons (D&D) des années 1980, le jeu de rôle traverse un nouvel âge d’or. Largement pratiqué à partir des années 1970 avant de céder le pas au jeu vidéo, le jeu de rôle connaît un come-back. À l’opposition entre les joueurs, le jeu de rôle préfère une collaboration indispensable pour mener une partie à bien. Réunis pour un récit collectif improvisé en temps réel, les joueurs doivent coopérer pour progresser malgré les pièges d’un scénario qui se déroule sous l’autorité d’un maître de jeu. Décliné en série, au cinéma ou en jeu vidéo, le jeu de rôle traduit par son succès l’évolution des goûts des consommateurs, lassés de l’atmosphère ultra-compétitrice des jeux classiques.

LES RATÉS SE PRODUISENT FORCÉMENT. COMMENT PEUTON LES COMPENSER ?

En match d’impro, c’est le travail de l’arbitre. Lorsqu’il siffle une faute, c’est en général pour détourner sur lui l’attention du public et protéger une comédienne ou un comédien mal embarqué. Le reste du temps, aucun improvisateur ne laisse un camarade en difficulté - ce qui ne veut pas dire qu’on arrive toujours à sauver une proposition qui a mal démarré, mais que tout le monde s’implique pour lancer une bouée.

EST-CE FACILE D’INTÉGRER DE NOUVEAUX MEMBRES DANS UN COLLECTIF BIEN HUILÉ ?

Le sang neuf est précieux pour éviter la routine. Intégrer des nouveaux, c’est une manière de retrouver du piquant et de se lancer de nouveaux défis. Mais ce n’est pas facile : quand on commence, on progresse en général rapidement mais on se heurte ensuite à un plafond de verre que seuls les virtuoses parviennent à franchir, au prix d’une humilité et d’un travail considérables.

BEAUCOUP D’ENTREPRISES S’INTÉRESSENT À L’IMPROVISATION EN L’INTÉGRANT NOTAMMENT À LEURS PROGRAMMES DE FORMATION. POURQUOI ?

Le lien est évident dans la mesure où les entreprises naviguent aujourd’hui dans des eaux incertaines, sans savoir de quoi demain sera fait. Le meilleur plan stratégique du monde peut exploser en vol n’importe quand et la pandémie l’a bien montré. Cet inconnu, c’est notre matière première. Nous pouvons transmettre à des cadres et à des managers un ensemble d’outils qui peuvent les aider à affronter un événement qui n’était pas dans le plan de match. Plutôt que de le fuir, de le craindre ou de le nier, on peut les armer pour en tirer quelque chose d’intéressant.

# ALLER PLUS LOIN

https://ligue-improvisation.com/

19 A new way of talking business I N°09

VICTIMES : UN TABOU COLLECTIF

Alors que sur le papier le droit français est l’un des plus protecteurs pour les victimes de comportements déplacés ou répréhensibles, le monde professionnel peine encore à s’emparer du sujet. Comment lutter contre ce poison qui menace le collectif ? Les réponses de Jérôme Moreau, président de France Victimes.

Aucun collectif humain n’échappe au risque, trop souvent passé sous silence, de voir une partie de ses membres victimes d’un ou de plusieurs autres. Harcèlement sexuel, moral... Si le monde du travail y est particulièrement exposé, c’est parce qu’à l’exigence de performance et de compétition s’ajoutent de potentiels phénomènes d’emprise ou de domination - autant de barrières qui peuvent brider la parole des victimes. Si beaucoup se taisent, “le silence se lève pourtant peu à peu”, estime Jérôme Moreau. Notamment depuis #MeToo, mais pas seulement. “La notion même de victime est évolutive, dans la société comme dans l’entreprise. On est passé d’une notion strictement pénale - qui reste bien sûr au cœur de la démarche de France Victimes - à une vision du préjudice et du traumatisme qui dépasse le cadre strict des infractions au Code pénal ou au Code du travail.”

LA FIN D’UN TABOU

Si des freins culturels restent à dépasser, certaines entreprises comme L’Oréal ou Super U ouvrent la voie en matière de veille et de prévention, explique Jérôme Moreau : “je crois beaucoup à l’impact des pionniers comme je crois au fait qu’aujourd’hui, les gens connaissent mieux leurs droits, ce qui change la donne.” Le rôle de France Victimes n’est pas neutre : présente sur le territoire des 167 tribunaux judiciaires de l’Hexagone, la fédération est le seul réseau capable d’accompagner et de protéger gratuitement les victimes sur le plan social, judiciaire et psychologique, quel que soit leur profil. Organisme formateur, France Victimes intervient également

Jérôme MOREAU, président de France Victimes.

20 N°09 I A new way of talking business GOOD NEWS

• LA FÉDÉRATION FRANCE VICTIMES

REGROUPE 130 ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES SPÉCIALISÉES DANS L’AIDE AUX VICTIMES.

• GRATUIT ET ACCESSIBLE 7 J/7 J, LE 116 006 EST LE NUMÉRO NATIONAL D’AIDE AUX VICTIMES.

en amont auprès des entreprises et de grandes écoles pour les aider à progresser en matière de détection et de prévention. “On en revient toujours à rappeler ce que sont les droits fondamentaux des personnes : on ne transige pas avec le respect, l’intégrité des corps et la dignité. Une fois ce rappel posé sur les interdits, tout le reste en déroule : le consentement, les discriminations sur le handicap, l’origine ou l’âge, le harcèlement...” Si France Victimes ne peut évidemment pas tout prendre en charge, cette approche est essentielle : “tout doit être fait pour agir avant qu’il y ait des victimes.”

FORMATION : LE CHALLENGE DE LA GRANDE ÉCHELLE

Travail d’orfèvre, la formation suppose des réglages

précis. Comment s’y prendre quand il s’agit de former rapidement de vastes cohortes ?

MMA, MAAF GMF... Autant de mutuelles qui appartiennent toutes au groupe Covéa, l’un des principaux acteurs français du marché de l’assurance. Avec ses 21 000 collaborateurs et ses 11,5 millions de clients et de sociétaires dans l’Hexagone, Covéa est régulièrement confronté à des enjeux de formation souvent décisifs, explique Valérie Bertrand, consultante interne et responsable du projet au sein du groupe Covéa. En 2019, le groupe affronte un vaste défi : former 680 managers pour répondre aux priorités fixées dans le plan stratégique (Covéavenir). “Ce dernier se décline en cinq mots qui forment l’acronyme de Covéa : Coopérer, Oser, Valoriser, s’Engager et Agir, ajoute Valérie Bertrand. Le premier résume l’une des ambitions du groupe : favoriser le développement d’une culture commune dans un ensemble qui associe des marques aux identités très fortes, chacune douée de sa propre culture. Il fallait donc créer des passerelles entre les pratiques managériales diverses, tout en valorisant le travail des managers, relais essentiels des ambitions du groupe.”

CONSTRUIRE UN COLLECTIF PAR TEMPS DE PANDÉMIE

Conçu en 2019-2020, le dispositif s’est conclu fin 2022 - un délai plus long que prévu, Covid oblige. “Initialement, nous souhaitions donner le coup d’envoi avec un grand événement dans un lieu prestigieux. La pandémie a tout bouleversé mais nous avons pu maintenir le principe d’un événement collectif, dans un format distanciel original d’émission télévisée, sur le principe des Late Shows américains”, poursuit Valérie Bertrand. Bouleversé, le programme fixé doit évoluer. Avec l’aide de la CEGOS et de l’IÉSEG, une équipe projet de douze personnes se charge alors de concevoir le programme avec le soutien de plusieurs experts internes. “L’originalité du dispositif tient au fait qu’il a été conçu sur-mesure, relève Valérie Bertrand. Construit autour de huit sprints différents, le programme prévoyait des outils d’autodiagnostic préalables pour aider chaque participant à choisir les parcours les plus adaptés à ses attentes, aux enjeux de sa direction et aux besoins de ses équipes.”

DES APPROCHES JUGÉES INSPIRANTES

Au-delà des formats classiques, le programme s’appuie sur des business visits qui ont pu se tenir en présentiel. Organisées avec l’IÉSEG et très appréciées, elles ont amené les managers à s’ouvrir à d’autres formes de pensée et à d’autres approches, unanimement jugées inspirantes. Conçu pour un temps plus court, le calendrier initial s’est évidemment étiré en raison de la pandémie. “Il a fallu s’adapter mais les planètes ont fini par s’aligner, résume Valérie Bertrand. Nous avons pu terminer par un grand événement en présentiel qui a permis d’atteindre l’objectif initial : créer une dynamique collective, un socle managérial commun. Le dispositif a favorisé les échanges entre les managers de nos différentes marques et leur a permis de réseauter tout en leur offrant des moments de respiration.” Les enquêtes de satisfaction ont montré que le dispositif avait été particulièrement apprécié.

Valérie BERTRAND, consultante interne et responsable du projet au sein du groupe Covéa.

21 A new way of talking business I N°09

TRAVAIL D’ÉQUIPE

Ancienne joueuse internationale de rugby à VII et à XV et présidente du Stade Villeneuve Lille Métropole, Laura di Muzio s’est progressivement imposée comme une voix familière sur le service public. Consultante depuis sept ans, elle commente aux côtés de Jean Abeilhou les compétitions féminines diffusées sur différentes chaînes de France Télévisions. Elle a notamment suivi le beau parcours des Bleues lors du dernier tournoi des Six Nations, terminé à la deuxième place derrière l’Angleterre. Pour Change, elle revient sur une carrière qui laisse toujours la place au collectif, sur le terrain et en dehors.

VOUS AVEZ COMMENCÉ LE RUGBY À L’ADOLESCENCE. ÉTAIT-CE DÉJÀ PAR GOÛT DU COLLECTIF ?

Je ne me suis pas tournée vers le ballon ovale pour ça dans la mesure où je pratiquais déjà un sport collectif à cette époque - le football, en l’occurrence. Ce qui m’a attiré vers le rugby, c’est la bienveillance avec laquelle on m’a accueillie dès les premiers entraînements. J’étais plutôt timide et introvertie. Je me suis sentie rassurée dès la première séance et immédiatement adoptée par la famille du rugby.

LE RUGBY REPOSE PAR NATURE SUR L’ADDITION ET LA COMPLÉMENTARITÉ DE TALENTS INDIVIDUELS. COMMENT CONCILIER LES RÔLES DE CHACUN ET L’ASPECT COLLECTIF ? Quoiqu’il arrive, c’est toujours l’équipe qui prime. Comme joueuse, comme coach puis comme présidente, j’ai toujours veillé à garder ce cap. Chaque athlète doit, bien sûr, progresser individuellement pour performer et pour exploiter au mieux ses capacités mais chacune n’est que le maillon d’une grande chaîne. C’est vrai pour

tous les sports collectifs mais le rugby l’incarne de manière particulièrement prononcée. Ses règles et son essence même font que seul le collectif peut réussir. Vous pouvez disposer du meilleur joueur du monde dans votre équipe, il n’arrivera à rien tout seul. En basket, en football ou au handball, on peut chercher plus facilement l’exploit individuel en servant les attaquantes ou les attaquants restés en pointe. Au rugby, la balle ne peut être donnée que vers l’arrière, ce qui implique qu’on ne peut littéralement pas avancer et marquer sans l’appui de ses camarades. Tout le monde est au soutien derrière celle ou celui qui porte la balle. Personne n’est isolé mais l’individu n’est rien sans le groupe.

VOUS AVEZ ÉTÉ JOUEUSE, CAPITAINE, COACH… LE MESSAGE EST-IL TOUJOURS LE MÊME À CES DIFFÉRENTS POSTES OU DOITON L’INCARNER DIFFÉREMMENT À CHAQUE FOIS ?

Le ton et les mots changent mais le fil rouge ne varie jamais. Si les éducateurs de tel ou tel petit club tiennent exactement le même discours de fond que dans les hautes sphères des instances nationales, c’est parce que la performance passe nécessairement par là. On s’y habitue dès le plus jeune âge, par exemple en ramassant le matériel tous ensemble après l’entraînement. Ne pas laisser un copain tout seul dans le bus, ne pas s’emporter contre un coéquipier, ne pas lui faire de reproches quand il lâche un ballon… Ce sont des principes qui s’apprennent très tôt mais que l’on garde

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ensuite toute sa vie, à chaque échelon. La force d’un bon entraîneur, c’est de savoir composer un groupe soudé et cohérent. On n’est pas performant parce qu’on a de grands joueurs, on est performant parce qu’on est capable d’entretenir une solidarité à toute épreuve au sein d’un groupe.

VOUS AVEZ DÉCOUVERT UN NOUVEAU RÔLE EN DEVENANT CONSULTANTE VOICI QUELQUES ANNÉES. Y AVEZ-VOUS RETROUVÉ CETTE DIMENSION COLLECTIVE ?

Lorsqu’on commente un match à la télévision, tout passe par un trinôme. Comme consultante, j’apporte un regard stratégique et technique au commentateur qui décrit en direct ce qui se passe sur le terrain. Sur le bord de la pelouse enfin, le journaliste de terrain recueille, de son côté, d’autres éléments sur ce qui se passe sur le banc, au plus près de l’action et des joueurs. Et ce n’est que la face visible de l’iceberg : il y a toute une équipe qui se charge de la réalisation proprement dite : le choix des plans, des ralentis, des caméras… Tout se fait dans l’urgence pour diffuser la bonne image au bon moment avec le bon commentaire et la bonne intensité, tout ça sans se marcher sur les pieds…

COMME ANCIENNE JOUEUSE, VOUS VIVEZ NÉCESSAIREMENT CES MATCHS AVEC UNE INTENSITÉ PARTICULIÈRE. EST-CE FACILE DE MAÎTRISER SA PASSION ?

Tout dépend des matchs mais c’est évidemment plus intense lorsqu’on suit un match de l’équipe de France dans une grande compétition ou lorsqu’on connaît une partie des joueuses qui sont sur le terrain. C’est plus simple de prendre de la hauteur sur des matchs à moindre enjeu mais il m’arrive bien sûr de m’emballer. Il y a peu de temps, une ancienne coéquipière du XV de France, Romane Ménager, a traversé le terrain pour marquer contre la Nouvelle-Zélande. J’en ai fait tomber mon collègue de sa chaise… Le temps d’une action, je me suis comportée en spectatrice plutôt qu’en consultante. Mais c’est normal : le sport est là pour nous faire vivre des émotions.

VOUS VOUS ENGAGEZ DEPUIS LONGTEMPS EN FAVEUR DU SPORT FÉMININ. MANQUE-T-IL ENCORE UN DÉCLIC POUR QU’IL OCCUPE ENFIN LA PLACE QU’IL MÉRITE ?

En termes de médiatisation, les choses progressent. Cela fait plusieurs années que les grandes chaînes de télévision diffusent les rencontres des équipes de France de rugby, de basket, de handball…

LE SPORT FÉMININ, SEIZE FOIS MOINS EXPOSÉ QUE LE SPORT MASCULIN

Si le temps d’antenne consacré à la retransmission de compétitions sportives féminines a progressé ces dix dernières années (+ 10 % par rapport à 2014 et + 50 % sur les trois dernières années), le fossé qui sépare le sport féminin du sport masculin reste béant en dépit de performances remarquables, comme en témoigne le sacre des handballeuses françaises lors du dernier championnat du monde. Dans une étude récente, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) constate ainsi que toutes disciplines confondues, le volume horaire de sport masculin est seize fois plus élevé que celui du sport féminin : 71,5 % contre… 4,5 % pour le sport féminin*. L’envie est pourtant là, rappelle l’Arcom : tous sexes confondus, 64 % des personnes interrogées se déclarent prêtes à regarder davantage de sport féminin pour peu que l’offre proposée soit plus importante, et 82 % des sondés le jugent aussi intéressant à suivre que le sport masculin.

*Les 24,1 % restants correspondent aux compétitions mixtes comme les Jeux Olympiques.

Les performances sont là, sur le terrain comme en termes d’audience : lors du dernier tournoi féminin des Six Nations, le cap des trois millions de spectateurs a été franchi pour plusieurs gros matchs. Pour que les choses perdurent, il faut capitaliser sur le succès des Bleues pour faire évoluer le championnat. C’est là que les choses pêchent encore : tout le monde peut voir les matchs de l’équipe féminine de foot ou de rugby mais les matchs de la D1 ou du Top 14 féminins ne sont pas diffusés. L’échelon territorial n’est pas encore suffisamment bien organisé ou marketé pour atteindre un public qui ne demande pourtant que ça.

VOUS ÊTES DEVENUE L’UN DES VISAGES DU SPORT FÉMININ. VOUS RETROUVEZ-VOUS DANS CE RÔLE D’AMBASSADRICE ?

Je l’assume et je fais tout mon possible pour porter mes combats et faire évoluer les mentalités mais je ne tiens pas pour autant à revendiquer cette place de rôle modèle. Quel que soit le ballon derrière lequel on court, chacune d’entre nous est à son échelle un exemple et porte un même message. Chaque sportive lutte à sa manière contre ces injustices et ces différences de traitement qui ne s’expliquent que par le sexe des athlètes.

PRATIQUE SPORTIVE : UNE FÉMINISATION QUI PLAFONNE

5,9 MILLIONS

DE FEMMES ONT OBTENU UNE LICENCE SPORTIVE EN 2022, SOIT 20,8 % EN UN AN. LARGEMENT DUE AU REBOND POST-COVID, CETTE FORTE HAUSSE MASQUE POURTANT UN DÉCALAGE DES PRATIQUES : LES FEMMES NE REPRÉSENTENT TOUJOURS QUE 38 % DES LICENCIÉS FRANÇAIS, UNE PROPORTION QUI N’A PROGRESSÉ QUE DE 2 % EN DIX ANS.

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