IÉSEG Magazine "CHANGE - A new way of talking business" - Numéro 11
BUSINESS AND RESEARCH
Directions financières : les transformations d’une fonction cruciale /P.17
GOOD NEWS
Formations, transformations /P.18
NICE TO MEET YOU
Guillaume Koudlansky de Lustrac, sportif aguerri et consultant en transition écologique /P.22
INQUIÉTUDES
P.04
ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE NUMÉRO... MERCI À :
• Tristan Clay
• Antoine Decouvelaere
• Verena Ehrler
• Tristan Ferté
• Élodie Gentina
• Maja Korica
• Guillaume Koudlansky de Lustrac
• Rémi Lefebvre
• Corinne Michel
• Gouri Mohan
• Hayley Moore
• Marie Redon
• Laetitia Sergent
• Corinne Statnik
• Camille Thiriez
NUMÉRO 11
Le magazine qui porte un autre regard sur le business
IÉSEG
3, rue de la Digue - 59000 Lille
1, parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr
Juin 2025
Directrice de publication : Caroline Roussel
Rédactrice en chef : Laure Quedillac
Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Laetitia Dugrain-Noël, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon, Vincent Schiltz, Laure Quedillac
Conception & réalisation : alcalie.fr
Rédaction : alcalie.fr
Photographies : ACALY, Benoît Dupont, Nicolas Eymard, IÉSEG, istock2025
A BETTER SOCIETY Égalité femmes-hommes : une transformation à (tout) petits pas /P.13
BUSINESS AND RESEARCH Quand l’énergie se met à l’économie circulaire /P.16
“Notre responsabilité consiste à accompagner nos étudiants dans leur transformation grâce notamment à un suivi individualisé.”
Caroline ROUSSEL, directrice générale de l’IÉSEG.
TRANSFORMER L’INCERTAIN
Le monde de l’enseignement supérieur évolue et n’échappe pas aux transformations qui touchent nos sociétés. Qu’elles soient démographiques, technologiques, environnementales, économiques ou géopolitiques, notre mission consiste à les anticiper pour répondre de manière stratégique, lucide et responsable.
Dans l’enseignement supérieur, la première de ces mutations touche à l’intensification d’une concurrence internationale d’autant plus prononcée que la tendance démographique est implacable. À partir de 2027, le nombre de jeunes de 15 à 18 ans commencera à décroître sur un rythme qui ne cessera de s’accélérer ensuite. Nous devons donc constamment adapter la manière dont nous articulons nos missions - formation, recherche, service aux entreprises - dans une société qui comptera bientôt plus de seniors actifs que de jeunes étudiants. Cet effort s’inscrit aussi dans un contexte marqué par l’engagement. Engagement au service de la transition écologique, à travers une politique de réduction de notre empreinte carbone. Engagement pour l’innovation pédagogique, en exploitant de façon judicieuse les nouvelles technologies - notamment l’IA - pour les mettre au service des enseignants et des apprentissages. Engagement pour une économie responsable enfin, capable de rendre nos sociétés meilleures.
Cette responsabilité passe par la formation des jeunes générations. Notre mission première est humaine : chaque année, l’École accueille des jeunes au sortir de l’adolescence. Trois à cinq ans plus tard, nos diplômés sont des adultes prêts à s’emparer d’une existence qui ne fait que commencer. Tous sont différents, tous ont un regard qui leur est propre, tous s’apprêtent à poursuivre un projet de vie qui se construit petit à petit. Notre responsabilité consiste à les accompagner dans cette transformation très personnelle. Grâce à un suivi individualiséqu’il soit pédagogique, académique ou lié à leur projet professionnel - grâce aux stages et à l’attention constante que nous portons à leur bien-être et à leur réussite académique, nous contribuons au développement d’une autonomie qui se renforce encore avec l’expérience internationale que leur apporte notre vaste réseau de 300 universités partenaires. Cette exigence se prolonge bien au-delà du diplôme : notre lien avec les alumni reste fort, par la vitalité du réseau des anciens comme par les programmes de formation continue ou les modules ciblés que nous proposons. La transformation se joue tout au long de la vie et c’est bien sur cet horizon que l’IÉSEG se projette.
Le monde change à vue d’œil et la démocratie va mal. Dans son dernier rapport, l’Economist Intelligence Unit (EIU), émanation du magazine “The Economist”, alerte une fois encore : le nombre de pays considérés comme des démocraties “à part entière” ou “imparfaites” est passé de 74 à 71 en 2024, tandis que 96 pays sont définis comme des régimes “hybrides” ou franchement autoritaires. Pire encore, la moyenne mondiale est tombée à 5,17/10, son plus bas niveau depuis la création de l’indice en 2006. La démocratie serait-elle en train de passer de mode ? Le point en compagnie de Rémi Lefebvre, politologue et professeur à l’Université de Lille.
EN FRANCE COMME EN EUROPE, LA DÉMOCRATIE
SEMBLAIT UN ACQUIS QUI
PARAÎT POURTANT MENACÉ. LA MENACE EST-ELLE RÉELLE ?
Nous pouvons en effet parler d’un processus de déconsolidation démocratique. La démocratie repose sur plusieurs fondamentaux qui paraissaient encore solides il y a 20 ans. Certains avaient même vu la chute du bloc soviétique comme une sorte de fin de l’histoire et comme le triomphe de la démocratie occidentale sur le bloc soviétique*. Nous sommes plus ou moins consciemment partis du principe que la démocratie serait l’horizon indépassable de l’histoire.
MAIS LES CHOSES CHANGENT…
Il est assez difficile d’en fixer le début, mais cette tendance s’accélère nettement depuis dix ans. On pense bien sûr à ce qui se passe aux États-Unis, mais le phénomène n’a pas attendu le deuxième mandat de Donald Trump pour se faire sentir. Partout ou presque, l’abstention
devient un phénomène de masse et le discrédit des responsables politiques atteint des sommets : plus de sept Français sur dix les estiment plus ou moins corrompus**. Des piliers comme l’État de droit, le vote, les partis politiques sont en train de s’éroder. Notre société se trouve chaque jour plus fragmentée, avec des phénomènes de polarisation qui s’accentuent. Produire du commun devient plus difficile. À l’inverse, on voit des forces autoritaires puissantes gagner du terrain. Les transformations qui nous attendent dans les prochaines décennies - la transition écologique, l’augmentation des migrations… - devraient encore renforcer cette fragilité.
1851 AVEC NAPOLÉON III, 1940
AVEC VICHY… LA DÉMOCRATIE
FRANÇAISE A CONNU SON LOT DE CRISES PAR LE PASSÉ. POURQUOI ?
D’une certaine manière, la crise est un état routinier de la démocratie. Le discrédit des élites politiques est un phénomène tout aussi ancien - il suffit d’évoquer
l’antiparlementarisme des années 30 ou le poujadisme des années 50. Cela s’explique sans doute par le fait que la démocratie est un régime politique qui produit toujours de l’incertitude et de la déception parce que c’est un processus qui demande du temps pour s’informer, écouter, débattre, délibérer et qui produit des attentes toujours nouvelles et difficiles à honorer comme l’égalité.
POURQUOI LA CRISE ACTUELLE SERAIT-ELLE PLUS GRAVE ?
“ Les piliers de la démocratie sont les écoles, les universités, les médias et le système judiciaire. Ils sont tous attaqués.”
JASON STANLEY, PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE À L’UNIVERSITÉ DE TORONTO (“LE MONDE”, 2 MAI 2025)
6,6 %
SEULEMENT DE LA POPULATION MONDIALE VIVENT EN “DÉMOCRATIE À PART ENTIÈRE” (THE ECONOMIST INTELLIGENCE UNIT, 2024)
Parce que le temps devient une denrée rare. Tout le monde est pris dans l’urgence, individuellement et collectivement. Un événement chasse l’autre en permanence : le terrorisme, le Covid, les gilets jaunes, la crise géopolitique, la crise institutionnelle… Cette centrifugeuse permanente crée un climat anxiogène, doublé de l’impression qu’on ne maîtrise plus rien. Le temps de la réflexion se réduit. Si l’écologie disparaît des agendas politiques, ce n’est pas un hasard : elle exige du temps et elle invite à se projeter vers un futur inquiétant. À l’heure où le présent se dérobe déjà sans cesse, la crise de la démocratie est aussi une crise de l’avenir.
VOUS ÉVOQUIEZ UN PHÉNOMÈNE QUI S’ACCÉLÈRE. POUR QUELLES RAISONS ?
Plusieurs phénomènes me semblent y concourir. La mondialisation en est un dans la mesure où elle vient bouleverser le principe des États-nations, où la démocratie s’entendait comme un régime soudé autour d’une communauté nationale. La globalisation bouleverse cette perception en laissant planer l’idée qu’on ne contrôle plus rien. L’autre facteur
marquant tient du paradoxe : en réalité, le niveau d’exigence à l’égard de la démocratie a beaucoup augmenté. Preuve en est qu’une proportion non négligeable de la population demande à participer à la vie politique et à la prise de décision. Il y a 25 ans, on se contentait de voter. Aujourd’hui, les gens ont davantage la parole qu’avant, mais ils veulent aussi être entendus. Beaucoup de citoyens veulent peser autrement - c’est une minorité, certes, mais une minorité très active. Le troisième phénomène renvoie au poids du numérique : le web et les réseaux sont un élément de perturbation et d’approfondissement de la crise.
POURQUOI ?
Le web renforce la polarisation des opinions, avec une forme de populisme numérique qui ne fait que refléter la puissance des GAFAM. Le contexte technologique n’est pas favorable à la démocratie. Il pourrait l’être, parce que le fonctionnement des réseaux pourrait conduire à davantage d’implication et de participation, mais les faiblesses de sa régulation poussent à sa fragilisation.
*Cf. “La Fin de l’histoire et le Dernier Homme”, de Francis Fukuyama (1992).
**Enquête CEVIPOF, 2025.
FACE À CETTE TRANSFORMATION RAPIDE, LA DÉMOCRATIE
A-T-ELLE DES ATOUTS ?
“Là où grandit le péril grandit aussi ce qui sauve”, pour citer Hölderlin. Nous entrons dans un moment de vérité qui se résume à une alternative : soit nous entamons une réflexion sur les nouvelles manières de “faire démocratie”, soit nous allons vers le chaos. L’hypothèse pessimiste, c’est celle où les forces hostiles à la démocratie deviennent assez puissantes pour changer complètement de système. Ce danger d’une dérive autoritaire est réel, mais nous avons aussi vu émerger des expériences intéressantes, comme la convention citoyenne sur le climat. L’initiative a démontré que 300 personnes tirées au sort sont tout à fait capables de produire de l’intelligence collective quand on leur en laisse le temps. La résilience peut aussi venir de l’échec des forces au pouvoir : la Pologne a montré qu’on peut revenir d’une dérive illibérale. Le problème, c’est que la démocratie ne peut plus se résumer à voter tous les cinq ans. Les citoyens ne s’en satisfont plus, notamment les plus jeunes. Tout le défi consiste à concilier la démocratie représentative classique avec d’autres formes plus directes, plus participatives et plus consultatives.
Rémi LEFEBVRE, politologue et professeur à l’Université de Lille.
WEIMAR, L’AVERTISSEMENT
Une légende tenace veut qu’Hitler ait été élu par les Allemands en 1933. Dans le récent ouvrage* qu’il vient de consacrer à la chute de la République de Weimar, l’historien du IIIe Reich Johann Chapoutot rappelle que rien n’est plus faux : Hitler a été nommé chancelier par le président Hindenburg, et non élu, au lendemain d’élections législatives qui avaient été marquées par un net recul du parti nazi, le NSDAP**. La chute rapide de la République de Weimar est bien le résultat d’un choix politique, pas d’un vote populaire majoritaire.
*Johann Chapoutot, “Les Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ?”, Gallimard, 2025.
**Parti national-socialiste des travailleurs allemands
ET SI LE DRH ÉTAIT
UNE IA ?
Les ressources humaines n’échappent pas à l’intelligence artificielle, dont les algorithmes interviennent dans plusieurs processus RH. Où en est-on ? L’éclairage de Hayley Moore, chercheuse postdoctoral à l’IÉSEG.
L’IA PEUT-ELLE AMÉLIORER LE PROCESSUS DE RECRUTEMENT ? COMMENT ?
L’IA peut optimiser le début d’un processus de recrutement, par exemple en automatisant certaines tâches comme le filtrage des candidats ou l’envoi des courriers de refus. Cela permet aux recruteurs de dégager du temps pour se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée, comme les entretiens. L’IA est aussi utilisée pour la présélection des CV, en recherchant des mots-clés et en classant les candidats selon leur adéquation avec le poste. Une première limite de cette automatisation tient au fait que ces systèmes peuvent manquer des candidats qualifiés pour peu que leur CV utilise un langage différent de celui du modèle d’apprentissage. De plus, ces outils peuvent reproduire certains biais antérieurs s’ils sont formés sur des bases de mauvaise qualité. Amazon a ainsi abandonné un outil de recrutement qui pénalisait les CV des femmes, ayant été formé sur des données majoritairement masculines. Cela montre comment des données biaisées peuvent entraîner des résultats discriminatoires, même si le système semble neutre. Sans regard humain, ces outils peuvent renforcer les préjugés.
L’IA
PEUT-ELLE AMÉLIORER
LES PROGRAMMES DE FORMATION
ET LA GPEC* ?
L’IA peut améliorer la formation et la planification des équipes en identifiant des lacunes actuelles ou futures en matière de compétences, en particulier dans des grands groupes. Elle peut analyser les évaluations de performance, les transitions professionnelles et les programmes de formation pour recommander des parcours ad hoc. L’IA pourrait également prévoir les pénuries de compétences en analysant le marché de l’emploi, par exemple, pour anticiper la concurrence sur des savoirs très disputés. Elle peut enfin être utilisée pour personnaliser l’apprentissage en recommandant des modules ou en créant des environnements d’apprentissage adaptatifs.
CERTAINES TÂCHES
ADMINISTRATIVES PEUVENT-ELLES ÊTRE AUTOMATISÉES GRÂCE À L’IA ?
Elle est utile pour des dispositifs RH routiniers, formels et répétitifs : planifier des entretiens, envoyer des messages automatisés, répondre aux questions les plus courantes d’un nouveau salarié pour les accompagner dans certaines procédures. Elle peut aider l’encadrement dans
la répartition des équipes en analysant la disponibilité et les compétences des collaborateurs pour générer des plannings optimisés. Mais l’IA joue aussi un rôle croissant dans des tâches complexes comme l’évaluation des employés, la prévision du turnover, l’engagement... Certains modèles prédictifs peuvent favoriser la fidélisation en identifiant les premiers signes de désengagement, ce qui permet aux responsables d’agir avant que les problèmes ne s’aggravent. Certains outils exploitent des données anonymisées pour suivre l’évolution du moral, détecter un risque d’épuisement professionnel... Bien utilisée, l’IA n’est pas seulement un outil d’automatisation, c’est aussi une source d’analyse et d’aide à la décision. Mais elle ne peut en aucun cas remplacer le regard humain.
*Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.
Hayley MOORE , chercheuse postdoctoral à l’IÉSEG.
L’INDUSTRIE FRANÇAISE À LA CROISÉE DES CHEMINS
Les trente dernières années auront été douloureuses pour l’industrie française. Le secteur peut pourtant compter sur des atouts prometteurs et sur quelques géants, à condition de se transformer.
Championne de la désindustrialisation, la France ? Le mouvement y a été en tout cas plus prononcé qu’ailleurs : depuis les années 80, la part du secteur industriel dans le PIB y est passée de 25 % à 16,8 %*, très en deçà de ses voisins allemand (25 %), italien (22 %) ou suisse (20 %). La chronique de ce recul constant a été alimentée par une longue liste de départs, de faillites ou de rachats, souvent associés à une casse sociale qui a laissé des traces dans la mémoire collective, d’Alstom à Whirlpool en passant par Ascoval. Toujours du côté des mauvaises nouvelles, le secteur se confronte à des défis structurels : le manque de foncier (40 % des parcs industriels sont d’ores et déjà saturés), un coût de main-d’œuvre horaire très supérieur à la moyenne européenne (43,6 euros contre 34 euros) et des délais administratifs à rallonge - installer une usine en France est en moyenne deux fois plus long que dans le reste des pays de l’OCDE**. S’y ajoutent enfin des difficultés de recrutement pour 65 % des dirigeants du secteur.
DES ATOUTS CERTAINS
L’Hexagone conserve pourtant de puissants atouts dans la perspective d’un éventuel renouveau. Si le pays a perdu la moitié de ses usines et un tiers de ses emplois industriels depuis 1995, une entreprise du CAC 40 sur deux relève du secteur secondaire - des géants mondiaux (Air Liquide, Bouygues, TotalEnergies, Stellantis…) qui alimentent un solide tissu de sous-traitants dans des filières critiques, de l’automobile à la défense, la pharmacie ou l’aéronautique. Beaucoup s’allient pour porter des projets d’envergure comme Stellantis et TotalEnergies sur les moteurs électriques (voir ci-contre) ou Airbus, Air Liquide et Vinci Airports sur l’hydrogène aérien. Plus largement, la French Tech et ses 30 “licornes” ont un potentiel d’autant plus indéniable qu’elles se positionnent largement sur des technologies de rupture de l’industrie du futur - souvent décriée sur ce point, la France reste le seul pays européen à figurer dans le top 10 des clusters technologiques mondiaux. Même si sa
puissance de frappe n’est évidemment pas celle de la Chine ou des États-Unis, la France est ainsi présente sur six des dix domaines technologiques transverses considérés comme cruciaux pour l’industrie du futur*** : les biotechs, l’informatique quantique, les cleantechs, l’internet des objets, la 5G et l’IA. Lancé en 2021, le plan d’investissement France 2030 (54 milliards d’euros) est en partie conçu pour rattraper le retard industriel français et investir dans les technologies innovantes. De 2017 à 2023, l’industrie a créé 130 000 emplois.
UN RENOUVEAU MENACÉ
Reste que réindustrialiser n’est pas simple et demande des volumes d’investissement considérables pour moderniser les usines et mobiliser les écosystèmes, dans un contexte international délicat. Massivement soutenue par l’État, l’embellie post-Covid - réelle - patine depuis quelques mois. Si la France reste le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers, la faiblesse de la
demande européenne et des coûts de l’énergie trop élevés plombent un tableau qui se complique encore avec la politique douanière américaine, à la fois illisible et brutale, et une surproduction de l’industrie chinoise qui pousse les tarifs vers le bas. La transition environnementale complique encore la donne, déstabilisant certaines filières tout en en faisant émerger d’autres. Bilan des courses : la sidérurgie et la chimie sont en souffrance, freinées par la baisse de la demande dans le secteur automobile. À l’inverse, la santé, l’agroalimentaire, l’énergie et les industries liées à l’économie circulaire ont le vent en poupe. La création nette d’emplois s’en ressent : après 81 637 créations en 2023, le bilan 2024 s’arrête à 31 223 créations de postes. Autre point : les investissements industriels ont continué de progresser (+ 9 %) de 2023 à 2024.
L’année 2025 s’annonce donc plus incertaine que jamais : si l’effort de défense majeur annoncé au niveau européen est supposé tirer l’activité industrielle de l’armement vers le haut, le flou qui règne sur le montant des droits de douane étatsuniens pourrait inciter certains acteurs à délocaliser une partie de leur production outre-Atlantique, au risque de ralentir le rythme des investissements en France et en Europe, investissements pourtant bien nécessaires.
*BPI, 2024
**INSEE, 2023
***McKinsey, 2023
LES HAUTS-DE-FRANCE, CAS D’ÉCOLE
Portée par des projets de grande envergure, notamment dans le domaine des batteries automobiles, la région concentre des investissements industriels majeurs depuis trois ans. Mais la route reste incertaine. Dans une région longtemps associée au déclin de son bassin minier, l’électricité ferait presque figure de nouvel Eldorado. Dans le secteur nucléaire d’abord, avec l’annonce d’une future extension de la centrale de Gravelines, appelée à accueillir deux nouveaux EPR sur un site qui accueille déjà les réacteurs les plus puissants d’Europe de l’Ouest, un chantier à 18 milliards d’euros. Dans le monde automobile ensuite, et surtout, avec quatre gigafactories opérationnelles ou en passe de l’être. ACC (une coentreprise qui associe Stellantis, Mercedes et TotalEnergies), produit déjà depuis 2024 des cellules de batteries destinées à plusieurs constructeurs, dont Stellantis. S’y ajoutent le sino-japonais AESC à proximité de Douai, Tiamat à Amiens et Verkor à Dunkerque : l’entreprise grenobloise y dispose déjà d’un premier site opérationnel et a déposé des demandes d’autorisation pour Verkor 2 et Verkor 3. Objectif de cette “Battery Valley” : produire deux millions de batteries d’ici à 2030, avec 20 000 emplois à la clé. Ambitieux, le chiffre englobe les recrutements attendus du côté des fabricants de substances chimiques, des fournisseurs de composants en tous genres et des recycleurs. Or, ces projections se heurtent à des imprévus, dans un secteur plombé par la morosité du secteur automobile. Le projet imaginé par Suez et Eramet à Dunkerque se confronte ainsi au retrait du deuxième, tandis que le Canadien Li-Cycle temporise pour confirmer l’installation de son usine de retraitement du côté de Harnes, dans le Pas-de-Calais. Là encore, l’année 2025 sera cruciale.
COMMENT AIR FRANCE INDUSTRIES SE TRANSFORME À BAS BRUIT
Maintenance des flottes existantes, nouveaux modèles d’appareils, incertitudes géopolitiques… Face aux nombreux défis qu’il affronte, le secteur aérien civil se transforme constamment, explique Corinne Michel, directrice transformation, innovation et développement durable chez Air France Industries.
QUELLE PLACE OCCUPE
AIR FRANCE INDUSTRIES AU SEIN D’AIR FRANCE ?
Notre mission consiste à assurer la maintenance des six modèles de moyen et de long-courrier (Airbus et Boeing) qui opèrent pour Air France. Cela concerne la réparation des moteurs et des équipements et la gestion de la supply chain, une activité transverse qui inclut la gestion des stocks nécessaires aux opérations. Nos 7 500 collaborateurs n’opèrent pas uniquement au service de la compagnie Air France : la moitié de nos activités de maintenance, réparation et révision (MRO*), notamment moteurs et équipements, sont destinées à des clients externes.
CELA VOUS PLACE AU CENTRE
D’UNE VASTE GALAXIE DE PARTENAIRES, DE FOURNISSEURS, DE CONCURRENTS… COMMENT CET ÉCOSYSTÈME ÉVOLUE-T-IL ?
Air France Industries travaille avec une vaste gamme d’acteurs du monde aéronautique : constructeurs d’avions, fabricants de moteurs, équipementiers… Nos relations oscillent entre une concurrence parfois intense et des partenariats de plus en plus poussés. Pour prendre un cas concret, les constructeurs sont relativement peu présents sur le marché de l’après-vente. Ils dépendent donc des compagnies pour obtenir des données sur le vieillissement et la fiabilité de leurs modèles, ce qui crée un écosystème très imbriqué et interdépendant. La profonde mutation du transport aérien fait que cette coopération devient de plus en plus cruciale pour répondre aux défis de la transition environnementale par exemple.
COMMENT INNOVE-T-ON DANS VOTRE DOMAINE D’INTERVENTION ?
L’innovation doit nous permettre de réduire nos délais et nos coûts de maintenance, mais aussi d’accompagner la transition environnementale du secteur aérien. Elle doit donc servir un objectif de réactivité, de compétitivité, de durabilité et d’amélioration de la performance opérationnelle. Cela englobe notamment l’utilisation de la réalité virtuelle pour développer les compétences des mécaniciens et des techniciens ou l’impression 3D de pièces en polymère essentiellement destinées aux équipements en cabine, évidemment après certification - y compris des portesavon... Cela nous permet de répondre notamment aux tensions de la chaîne d’approvisionnement mondiale sur certaines pièces. Nous ne disposons pas d’un service R&D dédié, mais nous travaillons avec des institutions prestigieuses comme l’École polytechnique féminine, l’IPSA, l’ISAESUPAERO et les Arts et Métiers autour de sujets comme la mobilité douce ou la valorisation de nos déchets. Nous nous appuyons également sur un tissu de start-up dans des domaines comme la réalité virtuelle ou les technologies vertes.
ON A LE SENTIMENT D’UNE QUÊTE
CONTINUE DE PETITS GAINS PLUTÔT
QUE D’UNE RUPTURE MAJEURE… Air France Industries se distingue en effet par une culture de l’adaptation permanente, ce qui est logique : nous gérons à la fois des flottes anciennes et des modèles plus récents. Cela nécessite une adaptation constante sans opérer pour autant un changement radical de modèle. Cette approche incrémentale privilégie donc l’amélioration continue plutôt que des changements
Corinne MICHEL, directrice transformation, innovation et développement durable
“La profonde mutation du transport aérien fait que la coopération avec les différents acteurs devient de plus en plus cruciale pour répondre aux défis de la transition environnementale.”
disruptifs. Air France Industries peut s’appuyer également sur une démarche d’innovation participative initiée voici 30 ans qui permet d’inclure les salariés. Cette culture de l’adaptation ne peut que nous profiter au moment où les enjeux de transition environnementale s’installent.
*Maintenance, Repair and Overhaul.
chez Air France Industries.
MARKETING DIGITAL : UNE NOUVELLE ÈRE ?
Si le marketing a changé depuis les débuts de l’ère numérique, l’explosion des IA génératives semble marquer une nouvelle étape dans l’histoire d’un domaine qui n’en finit pas de se redessiner. Experte en webmarketing et membre du collectif engagé Kokoï, Laetitia Sergent plaide pour une approche responsable.
QU’EST-CE QUI FAIT
AUJOURD’HUI LE SUCCÈS D’UNE
CAMPAGNE DE WEBMARKETING ?
Les évolutions de comportements des internautes et des algorithmes des plateformes font que la croissance via le webmarketing est moins accessible aux entreprises qu’il y a 5-6 ans. De manière générale, la publicité en ligne nécessite de plus en plus des contenus soignés, avec un travail vidéo, éditorial et graphique de qualité. Il est aussi nécessaire d’avoir une approche multicanale, qui croise les relations publiques, le marketing d’influence, le référencement... C’est une contrainte mais ce n’est pas inabordable. Si des marques haut de gamme ont tout intérêt à passer par une agence de production, il reste une place pour des budgets plus raisonnables. Certaines entreprises peuvent par exemple confier ce travail à des jeunes collaborateurs qui ont les codes et seront en mesure de créer des contenus authentiques.
LES SOLLICITATIONS SE MULTIPLIENT. COMMENT EXISTER AU MILIEU DES AUTRES ?
La guerre de l’attention s’intensifie parce que l’univers digital est de plus en plus saturé. Voici dix ans, seule une petite part des entreprises se lançaient dans des campagnes de marketing digitales. Aujourd’hui, toutes se posent la question, y compris dans le B2B. Disposer d’une vitrine sur le web est une nécessité mais l’attention baisse mécaniquement ; savoir capter le regard devient essentiel sur tous les supports (site web, réseaux sociaux, publicité, influence…).
Laetitia SERGENT, experte en webmarketing et membre du collectif engagé Kokoï (IÉSEG 2014).
LE MARKETING EST UNE FONCTION PAR ESSENCE CRÉATIVE. QUE CHANGE L’ARRIVÉE DES IA ?
Les IA ont un véritable impact sur certaines fonctions comme la traduction. Elles permettent aussi d’automatiser une partie de la gestion des campagnes web ou de gagner en rapidité sur le plan des contenus, même si elles ne remplacent pas (encore) le travail créatif. Cela étant, leur émergence pose des questions d’autant plus fondamentales que le monde du webmarketing est moins réglementé que celui de la publicité classique. L’IA permet de produire facilement des publicités mensongères à l’insu des consommateurs, ce qui pose de véritables questions éthiques et légales.
UN ENCADREMENT EXISTE
POURTANT AVEC LA LOI RGPD...
L’Europe a eu raison de fixer des limites à la quantité de données que peuvent aspirer les grands acteurs mondiaux (Google, Meta…). Malheureusement, de nombreux sites sont toujours en infraction. De plus, les principales plateformes publicitaires (Google ou Meta) ont mis en place de nouveaux paramètres de tracking qui permettent de compenser cette perte de données (tout en continuant de respecter le RGPD). Depuis cette loi, il est plus difficile pour les entreprises qui la respectent de mesurer la performance d’une campagne, parce qu’une partie importante des internautes refusent de céder leurs données via les cookies.
LES INTERNAUTES SERAIENT DONC PLUS MÉFIANTS QU’HIER ?
Ils cherchent en tout cas à retrouver une forme de confiance. Le marketing responsable consiste à prendre en compte ces nouvelles attentes en rassurant les consommateurs. Je crois qu’il est par exemple important de consacrer une partie de son site web à expliquer son processus de production de manière transparente, en retrouvant une forme de proximité entre la marque et ses clients.
MANAGER, UNE FONCTION QUI NE FAIT PLUS RÊVER ?
Longtemps considéré comme une étape-clé dans une carrière, le management attire moins, notamment chez les jeunes collaborateurs. Pourquoi et peut-on en sortir ?
Dirigeant d’entreprise, vous cherchez à sélectionner le manager idéal pour une équipe clé ? Bon courage. À en croire l’APEC, seuls 56 % des cadres de moins de 35 ans envisageaient en 2023 de diriger un jour une équipe, soit sept points de moins que l’année précédente. De quoi s’inquiéter ? Oui et non, pour Élodie Gentina, professeure en marketing à l’IÉSEG et spécialiste de la génération Z, celle qui postule aujourd’hui à des fonctions d’encadrement - ou pas. “Il reste bien sûr des jeunes prêts à prendre des responsabilités, mais tout dépend du type de management qui règne dans l’entreprise. Les modèles les plus rigides attirent moins parce que ces schémas souvent très hiérarchiques ne correspondent plus à une vision du monde construite sur la notion de réseau et de communauté.” Mauvaise nouvelle : la France paraît à cet égard en retard sur ses voisins, à en croire l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS). Dans un récent rapport consacré aux pratiques managériales dans quatre secteurs économiques de premier plan (l’automobile, l’hôtellerie-restauration, le
digital et l’assurance), l’organisme relève justement que “les pratiques managériales apparaissent plus verticales que chez nos voisins, la reconnaissance au travail y est plus faible et la formation des managers plus académique.” Soit l’exact opposé des attentes d’une génération qui privilégie le dialogue et l’explication… Plus qu’une crise du management en tant que telle, c’est bien à une transformation de la perception de ce que doit être un manager que les entreprises doivent donc s’adapter.
CHANGER LES RÈGLES DU JEU
Autre point à prendre en compte, les “privilèges” traditionnels associés à la fonction - reconnaissance, salaire - ne suffisent plus à séduire, explique Élodie Gentina : “Une étude du cabinet de recrutement Robert Walters a montré qu’environ 70 % des jeunes estiment que les postes de middle management correspondent à des fonctions très stressantes, pour un gain de rémunération peu satisfaisant au regard des responsabilités qu’ils doivent endosser.” Si le salaire ne fait pas tout, comment séduire à nouveau ?
Une première piste consiste à écouter les attentes des jeunes cadres, tout simplement, souligne Élodie Gentina : “Cette génération ne fonctionne plus autour de l’idée d’un plan de carrière, avec une progression méthodique d’échelon en échelon. Ce qui est important à ses yeux, c’est d’occuper des fonctions intéressantes, d’apprendre au quotidien, de se former constamment.” Alors ? Alors le salaire n’est plus qu’une condition nécessaire, mais pas suffisante.
Élodie GENTINA, professeure en marketing à l’IÉSEG et spécialiste de la génération Z.
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Pour attirer, les entreprises devront proposer davantage de flexibilité (télétravail, horaires…), mieux accompagner les prises de poste et clarifier une fonction qui ne doit plus éloigner les jeunes cadres du terrain. Cadres ou pas, “les jeunes actifs veulent être constamment nourris, sans se replier sur des missions d’encadrement classiques”, commente Élodie Gentina qui prévient : cette tendance est tout sauf un effet de mode et les entreprises n’auront pas le choix. Transformer leurs pratiques est un impératif : “Si leurs managers ne trouvent pas de l’intérêt à leurs missions, ils partiront.”
ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES : UNE TRANSFORMATION À (TOUT) PETITS PAS
Inscrite dans la loi depuis 1946, l’égalité des sexes peine à s’imposer dans le monde professionnel. Pourquoi ?
Les chiffres sont têtus. Au niveau mondial, l’Organisation internationale du travail relevait que quand un homme gagnait un dollar en 2004, une femme ne touchait que 47 cents. Vingt ans plus tard, elle reçoit… 51,8 cents. Quant à la France, l’égalité salariale n’est toujours pas atteinte : en 2022, l’INSEE relevait un écart de salaire net de 13,9 % pour un ETP. Encore la question salariale n’est-elle que le symptôme d’une question systémique. À l’occasion de la Journée internationale des femmes 2025, deux professeures de l’IÉSEG, Gouri Mohan et Maja Korica, ont animé un webinaire, auquel Emma Jacobs du “Financial Times” a participé, dédié à un phénomène d’autant plus préoccupant qu’une forme de backlash semble d’ores et déjà engagé, expliquait ainsi Maja Korica : “Les progrès sur la dernière décennie en matière d’inclusion et de diversité sont menacés ; cela suscite des doutes quant à la sincérité de certaines entreprises qui sont revenues sur leurs engagements en la matière.” Au-delà des discours affichés, pointent les deux chercheuses, les préjugés et les obstacles structurels persistent, des doutes sur la crédibilité professionnelle des jeunes femmes aux questions d’âgisme, en passant par l’équilibre vie familiale/vie professionnelle.
TROIS POINTS ESSENTIELS
Pensé comme un espace de discussion ouverte, le webinaire a permis de dégager trois points essentiels. De manière sans doute contre-intuitive, le docteur Bobbi Thomason a ainsi souligné que la résistance aux droits des femmes est paradoxalement un signe de progrès, tout en insistant sur le rôle essentiel des réseaux féminins pour permettre aux femmes de surmonter les défis systémiques au travail, notamment par le partage des expériences et l’action collective. De son côté, la docteure Heejung Chung est revenue sur une critique sou-
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vent adressée aux politiques DEI, dont l’intérêt économique serait moindre que prévu, en renversant la charge de la preuve : où sont les éléments qui permettraient d’affirmer qu’un monde dirigé par des hommes serait le modèle le plus efficace ? Pour Maja Korica, “cette reformulation est cruciale : les systèmes d’inégalité obligent les groupes marginalisés à prouver leur valeur, ce qui détourne leur énergie des progrès réels. Dans de nombreux cas, ceux qui remettent en question les efforts en faveur de la diversité ne cherchent pas à être convaincus ; ils veulent vous distraire.” Troisième point enfin : la docteure Heejung Chung a pointé l’idée que le féminisme serait un jeu à somme nulle - en clair, que les
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gains obtenus par les femmes se feraient au détriment de leurs collègues masculins. Rien n’est plus faux, souligne la chercheuse qui a rappelé que les avancées obtenues concernent tout le monde, pas seulement les femmes - le cas des politiques de travail flexibles en est le meilleur exemple. Les organisations les plus actives en matière de flexibilité attirent et fidélisent les meilleurs talents, tous genres confondus, et peuvent ainsi compter sur des équipes plus fortes et plus résilientes. Le webinaire s’est conclu sur une affirmation centrale : le débat sur la carrière des femmes ne concerne pas que ces dernières. Il nécessite une action collective, des changements structurels et de nouvelles approches stratégiques.
Gouri MOHAN, professeure de ressources humaines à l’IÉSEG.
Maja KORICA, professeure de management stratégique à l’IÉSEG.
LES QUATRE DÉFIS DE L’AGRICULTURE EUROPÉENNE
Si l’agriculture ne “représente” que 1,4 % du PIB de l’UE, les crises sont venues rappeler son caractère vital au moment où des injonctions parfois paradoxales pèsent sur tout un secteur. Tour d’horizon d’une transformation parfois douloureuse.
DÉGAGER UN REVENU DÉCENT
POUR DES PROFESSIONNELS DE PLUS EN PLUS ÂGÉS
Si les disparités sont importantes d’un secteur et d’une région à l’autre, le revenu moyen d’un agriculteur européen ne dépasse pas 28 800 euros net par an - une question cruciale dans un secteur vieillissant qui peine à séduire, donc à assurer le renouvellement des générations. Le défi est sensible en France, où 200 000 des 450 000 agriculteurs atteindront l’âge de la retraite dans les dix ans qui viennent.
CONCILIER AGRICULTURE ET ÉCOLOGIE
Pesticides, résilience aux évènements climatiques, mégabassines... Particulière-ment éruptive, la question environnementale parasite régulièrement le débat public autour d’un secteur qui représente 12 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe, mais qui subit surtout une demande complexe : améliorer ses rendements pour garantir
l’indépendance alimentaire du continent, tout en réduisant les intrants les plus nuisibles. Le flou réglementaire n’aide pas à y voir clair : alors que la dernière version de la PAC conditionnait depuis 2023 le versement des aides à des pratiques environnementales plus strictes, la multiplication des colères agricoles a conduit l’UE à freiner sur certains points. Pourtant, la majorité des agriculteurs se dit favorable à une transition qu’ils savent indispensable, face à un dérèglement climatique dont ils sont les premiers témoins.
NOURRIR LA POPULATION, MAIS À QUEL PRIX ?
La Covid, la guerre en Ukraine et l’explosion des coûts de l’énergie ont eu un impact évident sur le prix des denrées alimentaires. Parvenir à concilier la juste rémunération des producteurs et le pouvoir d’achat des consommateurs - les plus fragiles en tête - relève de la quadrature du cercle. D’autant que les produits les plus durables sont les premiers impactés,
comme en témoigne le recul du bio : de 2020 à 2023, les ventes de produits bio ont reculé de 12 % dans la grande distribution. Si le marché s’est stabilisé en France (12 milliards d’euros en 2024), les volumes y sont en recul de 7 %.
LES LIMITES DE LA LIBRE-CONCURRENCE
Les événements géopolitiques récents - l’évolution des cours du blé depuis l’agression russe en Ukraine en est un exemple - sont venus rappeler l’importance de la souveraineté alimentaire. Des questions de concurrence non faussée s’y ajoutent, le monde agricole ne cessant d’ailleurs pas de pointer la menace des produits étrangers, parfois produits à des coûts imbattables dans des régions du globe qui ne sont pas soumises aux mêmes standards sanitaires et environnementaux. C’est tout l’enjeu des ratifications de l’accord UE-Mercosur.
UNE NOUVELLE ÉPOQUE
POUR LE PALAIS RAMEAU
Tristan FERTÉ (IÉSEG 2022) (à gauche) en compagnie de ses deux associés.
DANS L’AISNE, PAYZAN REPENSE L’APÉRO
Créé en 2023 dans l’Aisne, Payzan propose depuis une gamme de produits apéritifs variée. Objectif : transformer le marché de l’apéritif en France avec ses produits à base de soja bio cultivé localement. Une histoire familiale qui reflète aussi les transformations du monde agricole.
Payzan, c’est l’histoire d’un trio qui s’est installé sur les terrains de la ferme familiale exploitée depuis le XIXe siècle. Avec son frère et la compagne de celui-ci, Tristan Ferté incarne la cinquième génération de cette famille d’exploitants. Ensemble, les trois trentenaires ont eu l’idée d’exploiter les produits de la ferme pour valoriser une production locale, bio et responsable. “L’idée consistait à imaginer des produits savoureux et bons pour la santé, vendus au juste prix, résume Tristan Ferté. On s’est dit qu’il y avait quelque chose à imaginer autour des produits tartinables, houmous et des petites graines grillées, tout ce que l’on peut associer à l’apéro, dans une logique épicurienne et gourmande.” Une approche business assumée : “Les exploitants sont des chefs d’entreprise à part entière”, insiste Tristan Ferté. Diplômé de l’IÉSEG, il relève l’importance d’intégrer des notions de marketing dans le monde agricole en général et pour Payzan en particulier : “Notre cible, c’est un public qui veut retrouver du sens dans les produits qu’il déguste. Produire sur la ferme les produits que nous intégrons à nos recettes est important pour séduire une clientèle plutôt urbaine.” Aujourd’hui référencé dans 150 points de vente répartis entre Lille, Paris et Reims, Payzan est déjà rentable, vise les 300 points de vente d’ici deux ans et développe également une offre pour les entreprises : coffrets, ventes privées, apéros à la ferme, dégustations
Emblématique de Lille et du quartier Vauban, le palais Rameau connaît une nouvelle jeunesse depuis sa réouverture en mars, après trois ans de travaux.
Propriété de la ville de Lille, le bâtiment, inauguré en 1881 et historiquement dédié aux expositions horticoles, a été confié pour 25 ans à Junia, l’école d’ingénieurs qui a financé sa rénovation et qui englobe notamment l’ISA, l’Institut Supérieur d’Agriculture de Lille. Passablement dégradé depuis les années 60, le lieu a bénéficié d’une restauration de grande envergure qui a transformé le visage de ce bâtiment monumental (25 m de haut, 4 000 m2 de surface, 6 000 m2 de parc). Une cure de jouvence et un retour aux sources : au fil du temps, le site avait perdu sa vocation originelle pour servir de centre d’examens, de vide-greniers, de bureau de vote, de salle de vente et même de... salle de billard. “Agriculture urbaine, circuits courts, cultures raisonnées, travail sur les saveurs… Aujourd’hui dédié aux innovations qui touchent l’agriculture et l’alimentation de demain, explique Corinne Statnik, responsable du département Business Management de l’École. Le site, ses laboratoires dernier cri et ses salles de classe créent un environnement propice à la recherche.” Mais pas seulement : pour assurer son équilibre financier, le site accueille aujourd’hui une vaste gamme d’opérations événementielles, dans un lieu magnifique en plein cœur de Lille. Le calendrier est déjà bouclé pour plusieurs mois...
QUAND L’ÉNERGIE SE MET À L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE
À force de débattre du mix énergétique ou des avantages et des inconvénients des énergies renouvelables, on finirait par oublier que le secteur de l’énergie pose aussi des questions d’infrastructures et de matériel. Diplômé de l’École Centrale de Lille et spécialiste innovation et solutions digitales chez Cegelec* Nord, Camille Thiriez gère, entre autres, le projet Circable. Objectif : fournir aux professionnels du bâtiment des solutions de réemploi de câbles électriques, une solution efficace pour décarboner leurs chantiers.
EN QUOI CONSISTE LE PROJET CIRCABLE ?
L’économie circulaire est une tendance majeure dans le monde de l’énergie et des réseaux électriques. Le but est de s’appuyer davantage sur l’existant plutôt que sur des produits neufs. Circable est une filière de réemploi des câbles électriques qui consiste à récupérer des câbles en fin de vie et à les retraiter pour les réinstaller dans des bâtiments rénovés ou dans des constructions neuves.
CONCRÈTEMENT, COMMENT PROCÉDEZ-VOUS ?
Nous rachetons les câbles récupérés par les professionnels de la déconstruction qui interviennent lorsqu’un bâtiment est restructuré ou démoli. Sur notre site de Lesquin, des opérateurs en insertion
vérifient l’état de chacun des câbles et le reconditionnent, ce qui consiste essentiellement à les recouper pour obtenir des longueurs standardisées et à les mettre en couronne pour les revendre aux équipementiers spécialisés, essentiellement au sein du groupe Vinci.
POURQUOI LES CÂBLES SE PRÊTENT-ILS À CE RÉEMPLOI ?
Les verrous ne sont pas d’ordre technique : il faut évidemment mettre en place les protocoles adéquats mais ce sont des produits qui vieillissent très bien, avec très peu de perte de performance. Nous sommes plutôt confrontés à des challenges de performance opérationnelle et économique. C’est contre-intuitif, mais pour le moment avoir recours au réemploi n’est pas moins cher que de se procurer des câbles neufs.
POURQUOI ?
Le réemploi implique de déposer les produits, de les transporter, de les retraiter, le tout avec un haut niveau d’exigence sur la qualité du produit... L’énergie comme le bâtiment sont des secteurs où chaque famille de métiers a industrialisé ses processus, avec des produits proposés à des prix très compétitifs. Par comparaison, la récupération des câbles et le processus qui permet leur réemploi restent relativement artisanaux. En revanche, cela permet d’apporter de la valeur environnementale au bâtiment qu’ils permettront d’équiper. Or, les acteurs du bâtiment sont amenés à décarboner leur construction pour respecter les seuils maximum de carbone par mètre carré construit. Ces câbles réemployés peuvent les y aider en s’intégrant dans une démarche globale.
Camille THIRIEZ, spécialiste innovation et solutions digitales chez Cegelec Nord.
QU’ENTENDEZ-VOUS PAR LÀ ?
L’une des caractéristiques de l’économie circulaire, c’est qu’elle implique de repenser l’ensemble de la chaîne de valeur, donc la façon dont les acteurs interagissent ensemble. Il faut inventer toute une chaîne logistique efficace pour récupérer nos câbles auprès des déconstructeurs dans de bonnes conditions, avant de les retraiter. Sur un chantier, installer des câbles de réemploi n’est pas tout à fait la même chose que d’utiliser des câbles neufs. Chaque étape de la chaîne doit être optimisée pour industrialiser cette solution, la rendre compétitive et atteindre la triple performance : économique, environnementale et sociétale.
*Filiale de Vinci Énergies.
UN KM DE CÂBLE ISSU DU RÉEMPLOI, C’EST...
• 3 TONNES D’ÉQUIVALENT CO2 EN MOINS
• 56 KILOS D’EXTRACTION DE CUIVRE ÉVITÉS
• 69 M3 DE CONSOMMATION D’EAU ÉCONOMISÉS
• 10 HEURES D’INSERTION PROFESSIONNELLE
DIRECTIONS FINANCIÈRES
: LES TRANSFORMATIONS D’UNE FONCTION CRUCIALE
Inaugurée en 2023 avec le soutien de la DFCG* et d’Axys, la chaire de recherche “CFO and Sustainable Transformation” de l’IÉSEG se consacre à l’étude de la direction financière dans les entreprises.
Une fonction qui s’est profondément transformée, explique sa responsable Marie Redon, professeure de comptabilité et docteure en sciences de gestion.
Consacrées à l’évolution des directions financières, les recherches de Marie Redon l’ont amenée à plonger dans l’histoire d’une fonction qui s’est constamment redessinée depuis les années 80. Après avoir analysé un millier de CV et mené une centaine d’entretiens, la chercheuse distingue trois évolutions principales : “Il y a quarante ans, le directeur financier était avant tout le garant de la production d’états financiers conformes à la réglementation. Souvent issus de l’audit externe ou de la comptabilité, ces profils se distinguaient par une forte expertise technique.” Au début des années 90, la fonction s’est ensuite élargie pour faire du directeur financier un business partner : la fonction s’est installée comme une charnière entre la direction générale et les services opérationnels.
UNE TRANSFORMATION PLURIELLE
Depuis les années 2010, explique Marie Redon, “la fonction de CFO s’est complexifiée avec l’intensification de la financiarisation qui a engendré une scission des rôles de CFO. Le Compliance CFO est concentré sur la production d’états financiers conformes à des réglementations comptables et financières toujours plus strictes au lendemain de scandales comme celui d’Enron. Le Cash Manager CFO se focalise sur des sujets d’optimisation des coûts, et doit parfois piloter des mesures sensibles d’ajustement structurel comme des fermetures de sites ou des licenciements.” Mais l’évolution la plus
marquante de la fonction s’oriente vers le Risk Management. “Dans cette position très stratégique entre les actionnaires et le président-directeur général, le CFO est avant tout chargé de minimiser la volatilité du cours de l’action par la maîtrise de tous les risques, qu’ils soient organisationnels, politiques, environnementaux... Ce rôle confère un pouvoir considérable au directeur financier.” L’avenir de la fonction s’annonce tout aussi complexe. Les évolutions technologiques - l’apparition de l’IA notamment - ouvrent de nouvelles perspectives aux directeurs financiers qui vont devoir maîtriser de nouveaux outils. L’autre grande évolution découle de l’urgence climatique : “Les réglementations comptables et financières évoluent pour intégrer la performance extra-financière au bilan comptable. Le directeur financier est appelé à jouer un rôle plus global, lié à la société dans son ensemble”. Face à ces transformations multiples, le directeur financier est désormais appelé à embrasser de nouveaux défis pour réinventer sa fonction et saisir l’opportunité de s’élever encore davantage. Ces thématiques font l’objet de recherches menées par la Chaire CFO & Sustainable Transformation (en partenariat avec la DFCG et Axys : axys-consultants.com). Si vous souhaitez témoigner ou contribuer, contactez Marie Redon : m.redon@ieseg.fr
*Association Nationale des Directeurs Financiers et de Contrôle de Gestion
FORMATIONS, TRANSFORMATIONS
Nouveaux sujets, nouveaux formats, nouvelles attentes, nouvelles réponses : comme le reste de la société, le monde de la formation évolue, explique Antoine Decouvelaere, directeur délégué de l’Executive Development & Innovation à l’IÉSEG.
LA FORMATION CONTINUE DES MANAGERS S’ADAPTE LOGIQUEMENT À L’ÉVOLUTION DES ATTENTES DES ENTREPRISES. QU’EST-CE QUI A CHANGÉ CES DERNIÈRES ANNÉES ?
Certains fondamentaux ne changent pas, notamment pour tout ce qui concerne le socle des compétences managériales et de gestion. On voit en revanche émerger de nouveaux sujets, comme la prise de décision dans l’incertitude, le management multigénérationnel, l’intégration de l’intelligence artificielle dans les métiers et la stratégie, la durabilité. Mais le principal enjeu touche à l’évolution de ce que les entreprises attendent des programmes de formation.
QU’ENTENDEZ-VOUS PAR LÀ ?
Les entreprises y voient désormais un levier de transformation et d’accélération de leur évolution. Auparavant, la formation était principalement perçue comme un
moyen de développer les compétences des collaborateurs pour les fidéliser, améliorer leur performance, favoriser leur épanouissement… Face à des défis multiples, les entreprises doivent évoluer plus rapidement aujourd’hui dans un monde qui plus est incertain. Beaucoup tablent sur la formation pour faciliter ces transitions au niveau collectif, donc en dépassant une somme de progressions individuelles pour améliorer leur performance globale.
COMMENT CELA SE TRADUITIL DANS VOS PROGRAMMES ?
Cette double perspective individuelle et collective nous amène à davantage intégrer les projets stratégiques dans les parcours de formation. Depuis 2022, l’IÉSEG a par exemple développé avec Vertbaudet un programme complet de formation, le “Vertbaudet Leadership Program”. Construit sur un an, il est conçu
pour répondre aux enjeux stratégiques, transformationnels et humains de l’entreprise. La première année, le programme s’est construit autour d’une remise à plat du modèle managérial, avec une vingtaine de leaders impliqués. La deuxième promotion s’est concentrée sur les relais de croissance, un enjeu plus directement lié au business, tandis que la troisième promotion va plancher sur des projets à fort impact social, sociétal et environnemental... Dans chaque cas, le déroulé conjugue des modules de formation sur la connaissance de soi et le management stratégique, des projets en équipe, des visites d’entreprises inspirantes, des temps de coaching individuel…
CE TRAVAIL NE S’APPROCHET-IL PAS DE CELUI D’UN CABINET DE CONSEIL ?
Pas vraiment. L’IÉSEG agit plutôt comme un accompagnateur de la transformation. Notre valeur ajoutée tient au fait que nous pouvons combiner toutes les forces de l’école : ses enseignants-chercheurs, mais aussi ses étudiants parfois qui interviennent dans nos programmes Executive, notre réseau d’entreprises partenaires, nos universités partenaires à travers le monde, et notre centre d’innovation pédagogique. Grâce à cette approche 360 °, la formation continue est un outil qui vient faciliter cette transformation. Cette tendance nouvelle nous conduit d’ailleurs à imaginer d’autres manières de concevoir la formation, avec une visée plus large et plus orientée impact.
AVEZ-VOUS DES EXEMPLES ?
Dans plusieurs cursus, nous proposons désormais aux participants de travailler sur des stratégies d’entreprises venues du monde de l’économie sociale et solidaire. Nous collaborons notamment avec AlterEos sur les défis stratégiques qui la concernent. La formation devient alors un moyen de mobiliser des ressources
Antoine DECOUVELAERE, directeur délégué de l’Executive Development & Innovation à l’IÉSEG (IÉSEG 2007).
intellectuelles au profit d’entreprises qui en ont besoin, avec une dimension sociale marquée. L’objectif est de nourrir non seulement l’individu mais aussi son organisation et la société dans son ensemble. La formation permet de faire mûrir des idées et de les diffuser largement. Elle renforce l’alignement des personnes formées avec des valeurs et un style de management tout en les amenant à dépasser les frontières de leur cadre professionnel pour servir la société au sens large.
CETTE ÉVOLUTION TRANSFORMET-ELLE LA MANIÈRE DONT VOUS CONCEVEZ LES APPRENTISSAGES OU LES FORMATIONS ?
Nos méthodes pédagogiques évoluent forcément, afin de répondre à ces nouveaux enjeux. Mais ce qui change aussi, c’est la posture de nos équipes internes à l’IÉSEG et des enseignants-chercheurs, qui préparent énormément les modules afin de répondre aux enjeux de nos clients. Proposer des formats sur-mesure implique de s’appuyer sur des profils d’experts et d’enseignants capables d’écouter, de comprendre et de challenger. Dans cette volonté d’être des partenaires de la transformation, nous sommes amenés à développer l’interdisciplinarité, en couplant nos forces avec des écoles d’ingénieurs ou des réseaux d’experts métiers. Nous avons par exemple construit un partenariat avec Ponts Formation Conseil, la formation continue de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, pour proposer un nouveau certificat : “Dirigeants de PME à l’ère de la transition” auprès des dirigeants de PME qui se confrontent aux questions de transition écologique. Un projet similaire est en cours avec la Cité de l’IA avec qui nous avons développé un programme de formation à destination de Leaders Data/IA, ainsi qu’une collaboration avec le Campus Cyber à EuraTechnologies, afin d’accompagner les managers de la cybersécurité.
ACALY : FAIRE POUSSER LES IDÉES
Diplômé de l’ICAM, Tristan Clay a fondé la société de conseil en ingénierie ACALY en 2015. Objectif : accompagner les entreprises tout au long de la phase qui permet de transformer un problème ou une idée en produit ou en solution opérationnelle.
Face à l’évolution rapide des technologies, beaucoup d’entreprises sont confrontées à des problématiques techniques ponctuelles qu’elles ne peuvent pas toujours résoudre en interne et qui ne justifient pas toujours un ou plusieurs recrutements. D’où le recours à des consultants experts pour des besoins spécifiques, explique Tristan Clay : “Nos clients veulent pouvoir démarrer rapidement des projets qui nécessitent des compétences précises. Decathlon a, par exemple, fait appel à nous pour développer un banc d’essai spécifique pour deux de ses marques, une compétence qu’ils ne possédaient pas en interne à ce moment-là.” Reste à résoudre une équation délicate : parvenir à s’immerger rapidement dans les habitudes d’une entreprise qui a ses process, ses habitudes, ses attentes…
BIEN COMPRENDRE LES ATTENTES DU CLIENT
Comment trouver l’alchimie qui permet d’accompagner rapidement et efficacement des clients tous différents ? “Nous les accompagnons en définissant clairement leurs besoins et en rédigeant un cahier des charges précis. Notre rôle est d’identifier les bonnes personnes, avec les bonnes compétences et le bon feeling, pour répondre à une attention qu’il faut cerner précisément - c’est même crucial : quel est le besoin, quel est le livrable ? Pour nos projets à engagement, nous commençons toujours par un audit, en immergeant l’un de nos collaborateurs chez le client pour bien comprendre ses attentes et ses contraintes. Ensuite, nous organisons notre prestation en lots, avec des livrables et des plans de contrôle réguliers”, précise Tristan Clay. Présente à Lille, Bruxelles, Lyon, Nantes et Lausanne, ACALY emploie aujourd’hui 400 personnes qui sont autant d’ingénieurs caméléons, capables de s’adapter à des contextes et à des besoins très différents. “On n’aide pas un client à concrétiser son idée et on ne répond pas à son besoin si on n’est pas capable de s’adapter soi-même, insiste Tristan Clay. L’expertise est une chose, l’agilité en est une autre, intimement complémentaire.” D’autant plus dans des métiers où la technologie évolue à toute allure, explique le dirigeant d’une entreprise qui consacre un temps et des moyens considérables à la formation de ses équipes.
Tristan CLAY, fondateur d’ACALY.
MAGIC BOX
À la fois symbole et vecteur de la mondialisation, le container fêtera ses 70 ans l’année prochaine. Retour sur une invention qui a changé le visage de la logistique.
Des amphores grecques aux sacs de jute ou aux caisses en tous genres, l’histoire du commerce est celle d’une longue réflexion : comment transporter des marchandises facilement et au moindre coût ? Après quelques tâtonnements, c’est l’entrepreneur américain Malcolm McLean qui met au point le container moderneune “boîte” de métal de 20 pieds de long pour 8 de large et 8,5 de haut, d’où son acronyme officiel d’EVP (équivalent 20 pieds). Indice de référence, l’EVP permet d’évaluer la capacité des grands ports internationaux : Shanghai, le plus important, a ainsi géré 49 millions d’EVP en 2023.
INTERMODAL PAR EXCELLENCE
“McLean était obsédé par la maîtrise des coûts, explique Verena Ehrler, directrice académique à l’IÉSEG et spécialiste de la supply chain. Les résultats sont impressionnants : en peu de temps, McLean pouvait déjà proposer des tarifs de transport 25 % moins chers.” Standardisation oblige, les coûts de manutention diminuent de manière phénoménale. Pour les entreprises, c’est l’occasion d’éloigner leurs entrepôts des zones portuaires vers des terrains plus accessibles et plus proches des zones de consommation. Si d’autres formats se sont développés (30 et 40 pieds) depuis 1956, le container
conserve son atout premier : intermodal par excellence, il passe facilement des paquebots aux trains et des trains aux camions. Cerise sur le gâteau, le container peut transporter toutes les marchandises imaginables au prix de quelques aménagements, par exemple avec des modèles réfrigérés, et toujours plus facilement traçables grâce aux puces RFID et à la blockchain.
SYMBOLE DE LA MONDIALISATION
Aujourd’hui, 250 millions de containers transitent chaque année dans le monde, souligne Verena Ehrler en insistant sur la remarquable fiabilité d’une chaîne qui ne perd guère que… 2 à 600 EVP chaque année. “C’est une proportion d’autant plus infime que les plus grands porte-conteneurs transportent jusqu’à 24 000 EVP dans des mers parfois agitées.” De temps à autre pointé du doigt comme l’emblème des excès de la mondialisation et de la société de consommation, le container est loin d’être le mode de transport le plus impactant, rappelle la chercheuse. “L’essentiel du trafic mondial transite par des containers mais le transport aérien, le plus carboné, progresse. Il répond à un besoin d’immédiateté qui interroge nos comportements de consommateurs plus que le vecteur choisi.”
Verena EHRLER, directrice académique à l’IÉSEG et spécialiste de la supply chain.
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CROISSANCE GRISE
La France prend de l’âge - et vite. Conséquence logique du baby-boom et de l’allongement de l’espérance de vie, le profil de sa population commence tout juste une transformation qui s’accélère : la France de 2023 compte déjà 26 % de personnes de plus de 60 ans et d’ici dix ans, le pays comptera 18 millions de retraités (65 ans et plus) pour… 12 millions de moins de 25 ans.
Les conséquences sur notre modèle de société sont évidentes : pénurie de maind’œuvre, explosion de la dépendance et des dépenses de santé, transformation des logements des personnes âgées, blocage d’une épargne dont la génération suivante hérite de plus en plus tard… Déjà, certains scandales comme celui des maisons de retraite sonnent comme un avertissement : la France, où il se vend chaque jour davantage de couches pour les seniors que pour les nourrissons, est-elle prête pour affronter ce défi qui concerne l’ensemble des pays riches, Japon et Corée du Sud en tête ?
LES PORTE-CONTAINERS TRANSPORTENT
1 MILLIARD
DE TONNES DE MARCHANDISES CHAQUE ANNÉE.
NE PAS CONFONDRE
CAUSES ET CONSÉQUENCES
Que l’écrasante majorité des échanges mondiaux passent par des EVP pose une autre question cruciale, à l’heure où Donald Trump multiplie les coups de pression autour de Suez ou de Panama. Préoccupant, quand on se rappelle que la fermeture du canal de Suez pendant six jours en 2021 s’était soldée par une interminable file d’attente de 422 navires… Sommes-nous trop dépendants des fameuses boîtes ? Là encore, Verena Ehrler appelle à ne pas confondre causes et conséquences : “La question logistique n’est que la conséquence d’un système plus large. Si les containers sont indispensables, c’est parce que la production mondiale s’est fractionnée et qu’aucun pays ne peut produire sur son seul territoire les biens dont il a besoin.”
DES QUESTIONS SANS RÉPONSE
Le seul thème de la dépendance laisse circonspect : alors que l’âge moyen de la perte d’autonomie se situe autour de 83 ans, ce sont chaque année quelque 20 000 personnes supplémentaires qu’il faudra héberger dans des établissements spécialisés, soigner, entourer et accompagner. Quant à la facture des retraites, son explosion est inexorable : chiffrée à 340 milliards d’euros aujourd’hui, elle atteindra 427 milliards en 2040 - plus de deux fois le volume des dépenses de santé. Que la France vieillisse, c’est inéluctable. Qu’elle vieillisse bien, c’est une autre affaire qui se résume à quantité de questions qui restent largement sans réponse : comment pourvoir les postes laissés libres par les jeunes retraités ? Comment financer les dépenses liées au grand âge ? Comment améliorer l’attractivité des métiers d’aide à la personne ?
MONTAGNE : LA PEUR DU VIDE
Sportif aguerri, le consultant en transition écologique Guillaume Koudlansky de Lustrac n’en était pas à son premier exploit quand il s’est lancé dans un pari un peu dingue en 2024 : relier les 300 stations de ski françaises à vélo. 9 500 km et 200 000 m de dénivelé positif plus tard, le trentenaire en est revenu plus décidé que jamais à trouver comment concilier la protection d’un milieu fragile et l’activité de ses habitants. Un défi qui suppose des transformations profondes.
OÙ VOTRE ENGAGEMENT ÉCOLOGIQUE TROUVE T-IL SON ORIGINE ? J’ai vécu plusieurs années en Isère, mais dans mon enfance, j’ai passé quatre ans au Brésil. Les enjeux environnementaux y sont abordés dès l’école primaire, où on nous sensibilise à la déforestation de l’Amazonie, à la protection des espèces menacées… J’ai pris conscience vers 20 ans du fait que notre mode de consommation pousse à la déforestation, notamment en raison de notre consommation de viande. J’ai réalisé que je faisais partie du problème. Je me suis tourné vers le véganisme, mais je me suis
interrogé plus largement sur mon mode de vie. Après le Covid, je suis revenu dans le Vercors pour y poser mes valises. C’est un massif où le manque de neige affecte déjà les stations : chaque année, la question se pose de savoir si certaines vont pouvoir ouvrir. Mais le problème, c’est que la moitié de la population vit du tourisme. Dix millions de Français vivent près de la montagne. Que vont devenir ces gens ? C’est une bombe à retardement qui menace des économies entières. Il faut agir et il faut agir vite.
D’OÙ L’IDÉE DE FAIRE LE TOUR DES STATIONS FRANÇAISES…
Pour prendre la mesure de ce qui se joue, je me suis dit que la meilleure manière de faire consistait tout simplement à partir à la rencontre des acteurs de la montagne. La question est toute simple : qu’est-ce qu’on peut faire ? La réponse, en revanche… J’ai ressenti ce besoin viscéral d’aller sur place et d’échanger pour comprendre ce qui peut être mis en place, les modèles possibles, les leviers à débloquer, les freins à lever pour éviter un drame comme celui que le bassin minier a connu avec la fin du charbon. Comme je ne suis pas un expert des politiques territoriales, je me suis tourné vers des spécialistes pendant trois mois, station après station. Tous sont de fins connaisseurs des territoires montagnards : des élus, des gestionnaires de domaine, des représentants d’associations locales, des collectifs citoyens… Ces entretiens ont donné un podcast, Nouvelles Pistes, qui permet de dessiner des solutions.
VOUS ÊTES UN HABITUÉ DES EXPLOITS SPORTIFS*, MAIS VOTRE DÉMARCHE REPOSE SUR UN DÉFI PHYSIQUE HORS DU COMMUN. POURQUOI CE CHOIX ?
C’était clairement le plus difficile des défis que je me suis lancé. Ce type d’initiatives est aussi l’occasion d’attirer l’attention du grand public sur des causes que j’estime essentielles. Si nous ne changeons pas, personne ne le fera pour nous. C’est une manière de faire ma part. Le sport est un levier puissant dans la mesure où il permet de toucher des gens qui ne sont pas encore sensibilisés à ces questions.
QU’AVEZ-VOUS APPRIS AU COURS DE CE PÉRIPLE ?
Je suis parti d’une posture finalement assez naïve : je ne sais rien, je veux découvrir. Ce qui est certain, c’est que les médias qui annoncent d’ores et déjà la fin du ski se trompent : on pourra toujours skier dans certaines stations en 2050. La différence, c’est qu’une activité
Guillaume KOUDLANSKY DE LUSTRAC, sportif aguerri et consultant en transition écologique.
“Ce qui est certain, c’est que
les médias qui annoncent d’ores et déjà la fin du ski se trompent : on pourra toujours skier dans certaines stations en 2050. La différence, c’est qu’une activité qui concerne aujourd’hui 300 stations n’en concernera plus qu’une minoritéles mieux exposées, les plus hautes…”
QUAND L’OR BLANC COMMENCE À MANQUER
Changement climatique oblige, la montagne change à vue d’œil. Et pour cause, les milieux montagnards se réchauffent deux fois plus vite que les autres écosystèmes : dans les Alpes et les Pyrénées, la moyenne des températures s’est élevée de 2 °C au XXe siècle, contre 1,4 °C sur le reste du territoire. Spectaculaire au niveau des glaciers qui se réduisent comme peau de chagrin, ce bouleversement joue aussi sur un enneigement qui recule constamment depuis les années 70. Moins important, plus variable, il menace directement l’économie du ski, surtout pour les stations de basse altitude : d’après le GIEC*, l’épaisseur moyenne de neige en hiver devrait diminuer de 10 à 40 % entre 2031 et 2050. Un défi colossal pour l’Hexagone : avec 53,9 millions de journées de ski, la France se classe au deuxième rang mondial du tourisme hivernal, juste derrière les États-Unis.
*Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
qui concerne aujourd’hui 300 stations n’en concernera plus qu’une minoritéles mieux exposées, les plus hautes… La conséquence est claire : skier sera plus cher et donc toutes les stations devront se transformer.
DE QUELLE MANIÈRE ?
Il n’y a pas de solution standard parce que chaque station est différente. La diversification des activités est bien sûr essentielle mais pas suffisante car elles rapportent peu en comparaison du ski et car toutes les communes n’offrent pas les mêmes possibilités : proposer des parcours de VTT du côté de Val-d’Isère ne serait par exemple pas simple parce que les pentes y sont particulièrement raides en fin de station et moins compatible avec sa clientèle moins sportive. C’est
plus facile du côté de Loudenvielle, qui mise sur le développement du vélo, des thermes accessibles toute l’année… La transformation d’un territoire touristique hivernal en un lieu qu’on peut fréquenter toute l’année passe par des approches systémiques qui changent d’un territoire à l’autre. On peut aussi faire en sorte de réduire la dépendance au tourisme en proposant d’autres activités, en facilitant l’implantation de nouvelles entreprises… Bourg-Saint-Maurice développe par exemple un campus alpin pour former des gens qui n’ont plus besoin de se rendre à Lyon, Annecy, Grenoble, Paris… Il faut plus généralement penser plus loin que la station, travailler avec tout le massif, construire des offres complémentaires pour attirer des publics variés. Jouer collectif est essentiel.
*Recordman mondial du marathon couru à l’envers (en 3h25), Guillaume Koudlansky de Lustrac s’est également fait connaître en traçant le plus grand dessin GPS jamais réalisé à vélo - les anneaux olympiques - sur une distance de 2 196 kilomètres.