IÉSEG Magazine "CHANGE - A new way of talking business" - Numéro 8

Page 1

EMPOWERING CHANGEMAKERS FOR A BETTER SOCIETY A NEW WAY OF TALKING BUSINESS NICE TO MEET YOU Édouard Reis Carona, rédacteur en chef à Ouest-France /P.22 08 FÉVRIER 2023 BUSINESS AND RESEARCH Chaînes logistiques : la vieille histoire des œufs et du panier /P.16 GOOD NEWS Business angels : la diversification au pouvoir /P.21
A BETTER SOCIETY DIVERSITÉ, MODE D’EMPLOI P.04

ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE NUMÉRO... MERCI À :

• Lucas Amaral Lauriano

• Benjamin Bréhin

• Mathieu Chassignet

• Mohamed Chtatou

• Jérôme Dumont

• Verena Ehrler

• Hélène Genéty

• Ronald McGarvey

• Gouri Mohan

• Marie Patfoort

• Laure Quédillac

• Édouard Reis Carona

• Anne-Laure Thomas

• Paul-Marie Vilbé

NUMÉRO 08

Le magazine qui porte un autre regard sur le business

IÉSEG

3 rue de la Digue - 59000 Lille

1 parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr

Février 2023

Directeur de publication et rédacteur en chef :

Laure Quedillac

Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Laetitia Dugrain-Noël, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon, Vincent Schiltz, Laure Quedillac

Conception & réalisation : Caillé associés

Rédaction : Caillé associés

Photographies : Andrane de Barry, Armée de Terre, Céline DSM - Studio Zendegi, GRS IDF-OM, IÉSEG, iStock2023, Norauto France, Observatoire des villes du transport gratuit

A BETTER SOCIETY Réussir la diversité, un défi quotidien /P.08

BUSINESS AND RESEARCH

Se diversifier pour grandir : le cas Norauto /P.14

GOOD NEWS

Intégration : le pari de la diversité /P.18

GOOD NEWS

Mobilité : ça se diversifie, mais… /P.20

02 N°08 I A new way of talking business LOOK

RETROUVEZ PLUS D’ANALYSES, PERSPECTIVES ET RECHERCHES DE CET EXPERT SUR IÉSEG INSIGHTS

DIVERSITÉS RÉELLES

Étudier ou travailler à l’IÉSEG, c’est expérimenter au quotidien toutes les richesses de la diversité, ou plutôt des diversités. Depuis une quinzaine d’années, l’École cultive l’Internationalisation at home, et se distingue par une centaine de nationalités différentes sur ses campus parmi ses étudiants, ses collaborateurs et ses professeurs. Chacun d’entre nous croise tous les jours un autre qui ne lui ressemble pas ou pas tout à fait. Qu’elles touchent au genre, à l’âge, au handicap, aux origines, aux langues ou aux cultures, les diversités sont partout - et se pose alors la question du terrain d’entente, de la compréhension mutuelle, du chemin que chacun doit faire vers l’autre. Rien de plus facile sur le papier, rien de plus délicat dans la réalité. Au-delà des intentions, la prise en compte des diversités ne peut avoir de sens que sur le terrain et sa réussite ne peut se jauger que par la preuve, dans le respect de chacun et chacune.

Avec 7 500 élèves, 500 collaborateurs et 2 000 étudiants internationaux, l’IÉSEG peut certes se targuer de faire vivre la diversité au quotidien, ne serait-ce qu’au travers des différences culturelles qui font sa vitalité. Mais faire de l’école une communauté culturellement intelligente, inclusive attentive, bienveillante et respectueuse ne se décrète pas. Cela suppose un patient travail cent fois remis sur l’ouvrage, une attention constante qui trouve sa place dans notre projet éducatif, dans notre recherche et dans la formation de nos équipes. En témoigne le Passeport de diversité culturelle, que tous les étudiants doivent obtenir avant de partir en échange académique international. En témoigne aussi, la création d’un centre d’excellence pour l’engagement interculturel, le IÉSEG Center for Intercultural Engagement (ICIE). Né en 2016, il rassemble des chercheurs en management, ressources humaines, marketing… qui explorent la nature des relations au sein des organisations, la dynamique des groupes de travail divers ainsi que le développement de compétences interculturelles. En témoigne enfin le programme de formation “Dealing daily with diversity”, destiné à l’ensemble de nos collaborateurs.

Encore faut-il rester attentif : la diversité est plurielle et d’autres thèmes, d’autres attentes émergent, à commencer par celle d’une plus grande diversité sociale. Il nous revient d’y veiller chaque jour et de nous en saisir pour accompagner la marche du monde.

“La prise en compte des diversités ne peut avoir de sens que sur le terrain et sa réussite ne peut se jauger que par la preuve, dans le res‹pect de chacun et chacune.”
Caroline ROUSSEL
03 A new way of talking business I N°08 BETWEEN US
Directrice générale de l’IÉSEG

A BETTER SOCIETY DIVERSITÉ, MODE D’EMPLOI

Médias, publicités, chartes d’entreprises, politiques publiques… C’est un mot que l’on trouve partout, souvent décliné au pluriel. Mais au fond, de quoi parlet-on quand on parle de diversités ? Que signifie ce terme parfois mis à toutes les sauces ? La planète est-elle de plus en plus respectueuse des diversités ou fait-on face au contraire à un mouvement de repli, loin des discours affichés ? Le point en compagnie de Mohamed Chtatou, enseignant et chercheur en linguistique et en anthropologie culturelle à l’université de Rabat.

QUELLE DÉFINITION

DONNERIEZ-VOUS DE LA OU PLUTÔT DES DIVERSITÉS ?

Au sens anthropologique du terme, la diversité renvoie au fait qu’il existe, dans toute société, différentes manières de faire coexister les différences. Celles-ci peuvent être extrêmement variées, de l’origine ethnique à la religion en passant par les traditions culturelles ou par l’éducation. Dans le monde moderne, la diversité consiste à laisser cohabiter ces mille manières d’être et de vivre dans un même espace. Les pays occidentaux en général, et la France en particulier, en sont de bons exemples : de gens de toutes religions, de toutes cultures et de toutes origines y vivent ensemble et en paix.

L’ÊTRE HUMAIN ESTIL NATURELLEMENT DOUÉ

POUR LA DIVERSITÉ OU CETTE ACCEPTATION DE L’AUTRE ESTELLE UN ACQUIS HISTORIQUE ?

Les deux ! L’histoire de l’humanité est celle d’une constante migration des peuples, des ethnies et des groupes humains, chacun doté de ses traditions, de ses mœurs et de sa culture propre. À bien des égards, ces mouvements étaient plus faciles jadis qu’aujourd’hui. Les frontières, les visas ou les passeports sont

une invention plutôt récente à l’échelle de l’espèce humaine… Attention toutefois à ne pas tomber dans une forme d’idéalisation de ce passé : ces mouvements n’allaient pas sans accrochage et sans conflit armé, souvent déclenchés pour des questions religieuses ou culturelles, lorsque tel ou tel groupe humain était persuadé que sa culture ou sa religion était la meilleure. Lorsque l’Empire romain s’est étendu dans l’ensemble de la Méditerranée, c’est avec la conviction que la civilisation romaine était la seule digne de s’imposer. Pour Rome, tout ce qui est extérieur à l’Empire est barbare, donc inférieur et destiné à être civilisé par la langue, la culture, la religion et le droit romain, quitte à employer la force. Nous n’en sommes plus là dans les sociétés démocratiques : l’acceptation de l’autre y est garantie par la loi.

LE RACISME PERSISTE POURTANT DANS CES DÉMOCRATIES…

Oui, mais il est illégal. Le droit des cités grecques, à Athènes notamment, institutionnalisait la différence entre citoyens et métèques. Aujourd’hui, le droit garantit l’égalité entre des citoyens de toutes fois et de toutes origines. On trouve des mosquées, des synagogues ou des temples hindous en France.

LA MONDIALISATION EST SOUVENT ACCUSÉE DE GOMMER LES DIFFÉRENCES ET DE FAIRE PESER LA MENACE D’UNE FORME DE STANDARDISATION DES CULTURES. EST-CE JUSTIFIÉ ?

La mondialisation tend à gommer certaines différences qui touchent aux langues, aux cultures, aux traditions architecturales ou gastronomiques et, plus généralement, à nos manières de vivre, au risque d’une certaine uniformisation de notre quotidien. La manière dont certaines fêtes comme Halloween se sont petit à petit implantées dans l’ensemble du monde en est un effet frappant, mais cela touche aussi à certaines pratiques sociales et commerciales comme le Black Friday. J’y vois à titre personnel un réel danger pour la diversité. En s’imposant petit à petit comme un idiome universel, la langue américaine favorise la disparition de dizaines de langages locaux et régionaux, ce que l’Unesco déplore régulièrement. Nous devons nous prémunir contre cette domination silencieuse qui passe aussi par la musique, le cinéma ou la malbouffe. Des résistances existent, mais ces oppositions ne sont pas sans danger lorsqu’elles prennent la forme d’un retour en force d’un nationalisme exacerbé, particulièrement marqué en Europe ces

05 A new way of talking business I N°08
“Aujourd’hui, le droit garantit l’égalité entre des citoyens de toutes fois et de toutes origines. On trouve des mosquées, des synagogues ou des temples hindous en France.”

dernières années. Celui-ci peut prendre la forme d’un fascisme culturel qui voit la diversité et le multiculturalisme comme une menace pour la culture d’un pays.

COMMENT LA DIVERSITÉ

S’EXPRIME-T-ELLE AUJOURD’HUI DANS UN PAYS COMME LE MAROC, SOUVENT SURNOMMÉ LE “ROYAUME AUX MILLE ROYAUMES” ?

Au cours des siècles, toute l’histoire du Maroc a été marquée par l’arrivée successive de peuples aux traditions et aux cultures très différentes, des Hébreux aux Phéniciens ou aux Romains en passant par les Wisigoths, les Berbères, les Français ou les Espagnols. La Constitution de 2011 évoque d’ailleurs dans son préambule ces “affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen” qui sont venus converger avec ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharienne pour lui donner son unité. Cette diversité se retrouve partout dans sa population, mais aussi dans sa cuisine ou dans une musique particulièrement métissée. Le Maroc est une porte entre l’Afrique et l’Europe, et réciproquement.

53 %

DES SALARIÉS FRANÇAIS ESTIMENT QUE DES MOUVEMENTS COMME #METOO OU #BALANCETONPORC ONT EU UN IMPACT DANS LEUR ENTREPRISE MAIS UN TIERS DES FEMMES SEULEMENT SE SENTENT À L’AISE POUR ÉVOQUER LE SUJET DANS LE CADRE PROFESSIONNEL. (CEGOS, 2022)

ENCORE TROP DE SALARIÉS VICTIMES DE DISCRIMINATIONS

Menée au printemps 2022, la dernière enquête internationale réalisée par le CEGOS, un organisme de formation professionnelle, montre qu’il reste du chemin à parcourir dans le monde professionnel en termes de diversité et d’inclusion. Menée dans sept pays (France, Allemagne, Brésil, Italie, Grande-Bretagne, Espagne, Portugal), elle montre que les discriminations restent quotidiennes chez les actifs : 82 % des salariés interrogés (74 % en France) disent en avoir été témoins au moins une fois et 63 % (54 % en France) indiquent en avoir été victimes. Au-delà de l’apparence physique, du sexe, de l’origine, du handicap ou de l’état de santé, l’âge est le premier motif évoqué - y compris chez les plus jeunes : 40 % des 18-24 ans ont déclaré avoir subi un tel type de discrimination. Mais les choses pourraient changer : non seulement 82 % des actifs (77 % en France et 90 % chez les 18-24 ans) militent pour le déploiement de politique de diversité au sein de leur entreprise, mais l’inclusion devient un facteur crucial pour l’image de marque des employeurs : 84 % des collaborateurs interrogés en font un critère déterminant au moment de choisir un nouvel employeur, un indice qui monte à… 100 % chez les 18-24 ans.

06 N°08 I A new way of talking business A BETTER SOCIETY
“La mondialisation tend à gommer certaines différences qui touchent aux langues, aux cultures, aux traditions architecturales ou gastronomiques et, plus généralement, à nos manières de vivre, au risque d’une certaine uniformisation de notre quotidien.”

UNE ARMÉE QUI RESSEMBLE AU PAYS

Avec 16 000 postes à pourvoir par an, l’armée de Terre est l’un des principaux employeurs de France, notamment auprès des jeunes. Féminisation, intégration… loin des clichés, la diversité trouve sa place dans les rangs.

UNE ARMÉE QUI SE FÉMINISE

Longtemps exclusivement masculine, l’armée française est aujourd’hui l’une des plus féminisées du monde avec 15,5 % de femmes dans ses effectifspour l’essentiel dans l’armée de Terre, la plus importante des quatre branches des forces françaises (air, terre, marine et gendarmerie). “Exigence, mérite, fraternité, équité, dépassement, altruisme… les valeurs de l’armée de Terre séduisent autant les jeunes femmes que leurs camarades hommes. Et le mot militaire s’écrit de la même manière au féminin et au masculin”, souligne le colonel Paul-Marie Vilbé, chef du groupement de recrutement et de sélection Île-deFrance et Outre-Mer pour l’armée de Terre qui rappelle que les femmes peuvent aujourd’hui accéder aux mêmes postes que leurs camarades masculins, avec des perspectives de carrière identiques. “Toutes les spécialités leur sont ouvertes. Lors du recrutement, chaque soldat, homme ou femme, va obtenir en fonction des places disponibles une spécialité qui correspond à ses attentes, ses résultats aux évaluations… Une femme soldat peut tout à fait être maître de chien, tireur d’élite, pilote d’hélicoptère, parachutiste, plongeur de combat, travailler aux ressources humaines…”

DIVERSITÉ SOCIALE ET MÉRITOCRATIE

“L’armée de Terre cherche les meilleurs profils, quel que soit leur parcours. En dehors du fait que nous ne recrutons pas

des personnes avec un casier judiciaire, nous ne faisons aucune discrimination à l’engagement. La seule condition est liée à l’âge : il faut avoir de 16 à 32 ans, insiste Paul-Marie Vilbé. Nos soldats ne sont pas jugés sur leurs origines, leurs niveaux de diplôme ou leurs convictions mais sur leurs mérites, leurs engagements et leurs aptitudes. On recrute des aptitudes à devenir soldat et non pas des compétences. En conséquence, ces compétences professionnelles sont acquises lors des différentes formations qui représentent 25 % du temps d’un militaire.” Avec de réelles perspectives de carrière, y compris pour des militaires dépourvus de tout diplôme : “contrairement à une légende tenace, il n’y a par exemple aucune nécessité d’être ingénieur pour devenir pilote d’hélicoptère”, sourit le colonel Vilbé. Égalité de traitement, égalité des chances… longtemps attachée à l’armée, l’idée que les officiers proviennent tous des mêmes familles et des mêmes milieux sociaux n’est plus vraie depuis longtemps : aujourd’hui, 58 % des sous-officiers de l’armée de Terre sont issus du rang et 51 % des officiers de carrière sont d’anciens sous-officiers et militaires du rang, l’institution jouant à plein un rôle d’escalier social pleinement assumé.

DES CARRIÈRES AUX PERSPECTIVES VARIÉES

On l’oublie souvent : au-delà des militaires combattants, l’armée de Terre ouvre l’accès à une vaste gamme de métiers,

chacun exigeant des compétences très diverses, de la logistique à la maintenance en passant par la restauration, la santé ou… la musique. “Les 16 000 jeunes que nous recrutons chaque année peuvent exercer leurs talents dans seize grands domaines d’emplois distincts, avec 117 spécialités différentes”, explique le colonel Vilbé. Une nécessité opérationnelle face à des menaces qui évoluent et qui va de pair avec la constante transformation de métiers et de savoir-faire en perpétuelle évolution. “Nos valeurs sont immuables, mais l’armée de Terre d’aujourd’hui n’est pas celle des années 2000 et n’est pas non plus celle des années 2030. Rejoindre les rangs de l’armée, c’est la garantie d’évoluer avec elle.”

Colonel Paul-Marie VILBÉ, chef du groupement de recrutement et de sélection Île-de-France et Outre-Mer pour l’armée de Terre.
07 A new way of talking business I N°08

RÉUSSIR LA DIVERSITÉ, UN DÉFI QUOTIDIEN

En 2020, Deloitte objectivait ce que beaucoup constataient déjà : la diversité est un facteur de performance. D’après l’enquête du cabinet, les entreprises engagées dans une démarche d’inclusion ont 60 % de chances supplémentaires de voir leur productivité et leurs profits s’améliorer. Mais comment passer de l’intention aux actes ? Comment faire de la diversité une réalité ? Réponse en sept points.

1 UNE MISSION COMPLEXE Âge, origine, genre, orientation sexuelle… S’emparer de la question de la diversité n’est jamais simple, explique Anne-Laure Thomas, directrice Diversités, équité et inclusion France du groupe L’Oréal. “Mon travail s’appuie sur le droit. Or, il existe en France 25 critères distincts de discriminations. Pour rester lisible, mon action se concentre sur plusieurs thématiques : l’égalité femme-homme, le handicap, les origines sociales et ethniques, l’âge, l’apparence physique et l’orientation sexuelle. Ces six axes permettent de traiter un vaste nombre de situations. Ma priorité est de travailler en lien étroit avec les RH pour qu’aucun collaborateur ne soit victime de discrimination lors de son recrutement, puis dans son quotidien et dans sa carrière.” Une évolution qui correspond à un mouvement de fond dans la société : aujourd’hui, sept Français sur dix

considèrent qu’au-delà des enjeux économiques, les entreprises doivent aussi s’emparer des questions sociales.

2 LE RÔLE ESSENTIEL DE LA GOUVERNANCE

L’implication des cadres dirigeants est déterminante pour la réussite des politiques en faveur de la diversité. L’étude Deloitte donnait à cet égard un résultat en demi-teinte : en 2020, seuls 40 % des dirigeants et des DRH estimaient que la direction générale doit être le principal sponsor de la diversité et de l’inclusion. Un engagement pourtant essentiel, estime Anne-Laure Thomas : “le groupe L’Oréal est impliqué depuis vingt ans sur le sujet, le Comex l’évoque régulièrement et ses membres sont présents aux événements que nous organisons autour de la diversité. C’est une manière d’incarner une politique, d’ouvrir la voie. La tolérance zéro que nous

Anne-Laure THOMAS, directrice Diversités, équité et inclusion France du groupe L’Oréal.

08 N°08 I A new way of talking business A BETTER SOCIETY

revendiquons en matière de discrimination n’est pas seulement affichée : elle est portée au plus haut niveau. Cela crée un climat de confiance qui permet à chacun de se sentir légitime pour s’exprimer.”

3 EMBARQUER TOUT LE MONDE, DES CADRES AUX SALARIÉS

Reste à favoriser l’appropriation par tous des questions de diversité. “Il s’agit de faire infuser la culture d’ouverture et de bienveillance au quotidien, explique Anne-Laure Thomas. Les salariés concernés étant les mieux placés pour évoquer ces sujets, nous les mobilisons pour multiplier les témoignages et les actions sur nos sites, du siège aux usines.” “La participation des salariés est essentielle, confirme Lucas Amaral Lauriano, enseignant et chercheur à l’IÉSEG. Lorsqu’ils participent à la définition des priorités et à la mise en place de mesures concrètes, ils comprennent, acceptent et s’engagent davantage.” Mais attention : l’engagement de tous passe aussi par l’implication des cadres. “Chaque collaborateur doit sentir que ses managers sont prêts à écouter ses difficultés et à s’emparer de questions ou de situations inattendues. Une réponse rapide face à un cas concret renforce l’engagement des salariés.”

4 PARIER SUR LA FORMATION

La lutte contre les clichés ou les stéréotypes qui peuvent déboucher sur des discriminations passe par un effort de formation considérable, mais nécessaire pour briser certaines idées reçues : pour prendre ce seul cas, qui sait que 80 % des handicaps sont invisibles ? Chez L’Oréal, chaque nouveau collaborateur passe une journée entière à se former aux enjeux de la diversité. Un véritable défi pour les managers, mais une étape essentielle, estime Lucas Amaral Lauriano : “La formation permet d’aligner les collaborateurs à la vision et aux valeurs portées par l’entreprise, tout en clarifiant des questions qui ne sont pas nécessairement claires pour tout le monde, comme le sens du sigle LGBTQIAP+, parfois mal connu des personnes mêmes qu’il concerne.”

5 UN EFFORT DE LONGUE HALEINE

Parmi les dangers qui guettent les entreprises engagées, l’un des plus sérieux consiste à croire que l’essentiel est acquis. “C’est un travail de longue haleine qu’il ne faut jamais lâcher”, insiste Anne-Laure Thomas en rappelant que

l’égalité femme-homme en est le meilleur exemple : “la question du sexisme montre que rien n’est jamais acquis. Il y a bien sûr eu d’énormes progrès mais certains clichés demeurent.

6 MESURER LE CHEMIN ACCOMPLI

Toute politique en faveur de la diversité peut s’évaluer à travers différents indicateurs. Certains sont légalement obligatoires, comme le recensement des personnes en situation de handicap ou l’index égalité qui dresse le bilan annuel des écarts de salaire entre hommes et femmes dans les entreprises de plus de 50 salariés. D’autres peuvent être mis en place par les services RH, mais Anne-Laure Thomas propose d’aller plus loin : “pour nous assurer que L’Oréal ne pratique aucune discrimination à l’embauche, nous avons organisé plusieurs campagnes de testing en nous appuyant sur un cabinet spécialisé. Outre l’intérêt de ce regard extérieur et objectif, c’est un excellent moyen d’évoquer plusieurs critères différents.”

7 S’EMPARER DES NOUVELLES THÉMATIQUES

Avec l’évolution de la société, la notion de diversité évolue constamment. De nouvelles attentes émergent et des enjeux hier tabous s’expriment plus ouvertement. Pour les entreprises, suivre ces tendances est essentiel, explique AnneLaure Thomas : “les freins à la diversité ne touchent pas tant aux questions les plus anciennes qu’à des sujets plus neufs comme la santé mentale des jeunes ou

RETROUVEZ PLUS D’ANALYSES, PERSPECTIVES ET RECHERCHES DE CET EXPERT SUR IÉSEG INSIGHTS

celle des femmes.” Certains enjeux hier peu ou mal exprimés, comme les douleurs liées à l’endométriose, se frayent un chemin dans le débat public, donc dans les entreprises. “L’accompagnement des femmes au moment de la ménopause en est un bon exemple, souligne Anne-Laure Thomas : 30 % des arrêts de travail chez les femmes de plus de 45 ans sont liées aux symptômes qui touchent une partie d’entre elles, alors que des aménagements peuvent s’imaginer.” Hier comme aujourd’hui, la diversité n’a pas fini d’évoluer. “L’idée n’est pas d’en faire trop, mais d’accompagner ceux qui en ont besoin.”

80 %

DES DRH ET DES DIRIGEANTS CONSIDÈRENT QUE LA DIVERSITÉ ET L’INCLUSION CONSTITUENT DES AVANTAGES COMPÉTITIFS (DELOITTE, 2020)

Lucas AMARAL LAURIANO, enseignant et chercheur à l’IÉSEG.
09 A new way of talking business I N°08

ENTREPRISES ET DIVERSITÉ :

POURQUOI (PARFOIS) ÇA COINCE ?

Genre, handicap, âge, apparence, origines… Née aux États-Unis à la fin des années 60, la question de la diversité dans le monde professionnel ne s’est véritablement imposée dans le débat public français qu’au cours des années 2000. Dix-huit ans après la création de la charte de la diversité en entreprise, signée à ce jour par plus de 4 000 organisations, où en est-on ? À quelle limite les entreprises se heurtent-elles ? Le point avec Gouri Mohan, enseignante et chercheuse à l’IÉSEG.

48 % DES SALARIÉS FRANÇAIS DISENT AVOIR ÉTÉ VICTIMES DE DISCRIMINATION DANS LEUR PARCOURS PROFESSIONNEL*. POURQUOI LES ENTREPRISES PEINENT-ELLES À TRADUIRE LEURS POLITIQUES DIVERSITÉ EN ACTES ?

Les initiatives prises par les entreprises ne dépassent pas toujours le stade du discours. Beaucoup ne cherchent pas réellement à démanteler les modes de fonctionnement qui font que certains groupes sont favorisés de manière disproportionnée par rapport à d’autres, qu’on parle de recrutement, de sélection, de promotion ou de rémunération.

COMMENT CES RÉSISTANCES PEUVENT-ELLES S’EXPLIQUER ?

qu’implique une transformation durable. La deuxième raison est d’ordre structurel. L’organisation du pouvoir favorise les groupes majoritaires et, consciemment ou inconsciemment, ces groupes ne sont pas toujours prêts à ouvrir la voie aux minorités pour leur accorder davantage d’influence et de pouvoir de décision dans l’entreprise. La troisième raison touche à nos propres préjugés. Nous sommes tous sensibles à des stéréotypes personnels

RETROUVEZ PLUS D’ANALYSES, PERSPECTIVES ET RECHERCHES DE CET EXPERT SUR IÉSEG INSIGHTS

Il n’y a pas une mais plusieurs raisons. La première tient au fait que parvenir à un changement réel suppose un effort soutenu sur une longue période. Autrement dit, il faut créer et maintenir des pratiques qui peuvent ne pas être rentables à court terme. La plupart des organisations sont préoccupées par leur image, sans vouloir faire face aux coûts

Gouri MOHAN, enseignante et chercheuse à l’IÉSEG.
10 N°08 I A new way of talking business A BETTER SOCIETY
“Il faut impérativement que les dirigeants soient prêts à assumer les coûts associés à la transformation de leur entreprise. Leur plus grand défi consiste à se montrer convaincants en interne.”

basés sur notre perception de certaines caractéristiques : l’âge, le sexe, l’origine ethnique, la langue… Déconstruire ces préjugés nécessite des changements aux niveaux collectif et individuel, via un effort de formation sur la conscience de soi, la communication, les différences culturelles…

QU’EST-CE QUI PEUT VÉRITABLEMENT AIDER À L’EXPRESSION DE LA DIVERSITÉ ?

Il faut impérativement que les dirigeants soient prêts à assumer les coûts associés à la transformation de leur entreprise. Leur plus grand défi consiste à se montrer convaincants en interne, en démontrant que leurs initiatives sont justifiées et que ces mesures ne sont pas mises en place pour faire comme tout le monde. S’ils sont intimement persuadés de la nécessité d’un changement et s’ils sont capables de faire comprendre au reste de l’organisation qu’elle a tout à y gagner, cela fait une grande différence. L’argument purement économique en faveur de la diversité n’est d’ailleurs pas suffisamment mis en avant. En affectant l’adhésion des employés cela peut conduire à l’étiolement de ces initiatives au fil du temps.

EXISTE-T-IL UNE FORME D’INQUIÉTUDE DANS CERTAINES ORGANISATIONS CONCERNANT LA DIVERSITÉ ? CERTAINS MANAGERS CRAIGNENT-ILS PAR EXEMPLE DE PERDRE UNE SORTE D’IDENTITÉ COMMUNE, DE CULTURE D’ENTREPRISE ?

Les recherches montrent que les formations obligatoires sur la diversité provoquent souvent des réactions négatives, au point de renforcer parfois les préjugés à l’encontre des groupes minoritaires. À ceci s’ajoute le fait que les réseaux sociaux informels entre les employés constituent une ressource importante dans les organisations. Comme la plupart des gens ont tendance à construire l’essentiel de leurs relations sociales au sein de leurs propres groupes démographiques, ils peuvent interpréter la diversité comme une menace pour le statu quo, pour la manière dont les choses se font jusque-là.

CERTAINES ENTREPRISES

CRAIGNENT-ELLES UN “EFFET DE QUOTA” EN PROMOUVANT DES PERSONNES QUI POURRAIENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME ILLÉGITIMES PAR LEURS COLLÈGUES ?

C’est particulièrement vrai dans le cas de l’embauche de femmes : le recrutement d’une nouvelle candidate féminine peut un peu vite être qualifiée d’embauche pour la diversité, au détriment des qualités propres de la candidate. Pour les équipes RH, démontrer qu’une candidate est véritablement légitime en termes de compétence et d’expérience pour occuper un poste identifié “politique de diversité” est encore plus délicat que dans le cadre d’un recrutement classique. Et si la personne recrutée manque de crédibilité, le choix peut en effet s’avérer coûteux à long terme. Il existe d’ailleurs une autre facette à ce phénomène, celui de la “falaise de verre”. Les femmes sont, plus souvent que les hommes, embauchées à des postes à haut risque, où elles sont plus susceptibles d’échouer…

48 % DES SALARIÉS FRANÇAIS DISENT AVOIR ÉTÉ VICTIMES DE DISCRIMINATION DANS

GRANDS GROUPES : DES PROGRÈS À FAIRE

Les grandes entreprises donnent-elles l’exemple en matière de diversité et d’inclusion ? Oui et non. Si la plupart ont déployé depuis longtemps des programmes dédiés ou thématiques (égalité salariale, meilleure intégration des collaborateurs victimes de handicap, inclusion des salariés LGBTQ+…), leurs effets tardent à se faire sentir. En termes d’égalité hommesfemmes, seul un petit tiers des 120 plus grands groupes français comptent 30 % de femmes à des postes de direction, respectant ainsi de manière anticipée le quota de représentation fixé à l’horizon 2027 par le législateur*. Concernant la mixité, le constat est plus préoccupant encore : 3,5 % des dirigeants de comités exécutifs et 4,2 % des membres des conseils d’administration - sont issus des minorités dites visibles.

*Votée en décembre 2021 et destinée aux entreprises de plus de mille salariés, la loi Rixain impose d’ici 2027 un quota de 30 % de femmes parmi les cadres-dirigeants et les membres des instances dirigeantes. Ce taux doit atteindre 40 % d’ici 2040.

LEUR PARCOURS PROFESSIONNEL.
11 A new way of talking business I N°08
*Enquête Cabinet Occurrence et PwC, 2021

LA FONDATION IÉSEG : UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT

Née en 2013, la Fondation IÉSEG a soutenu financièrement plus de soixante-dix étudiants depuis sa création pour répondre à l’une de ses grandes missions : permettre au plus grand nombre de jeunes d’avoir accès à une formation de qualité. Elle souhaite aujourd’hui monter en puissance. Objectif : multiplier les projets à fort impact.

3,5 MILLIONS D’EUROS

C’EST LE MONTANT DES DONS QUE LA FONDATION SOUHAITE RÉUNIR D’ICI FIN 2027.

LA FONDATION SOLLICITERA L’ENSEMBLE DU RÉSEAU DE L’ÉCOLE TANT EN FRANCE QU’À L’INTERNATIONAL.

UNE AMBITION RÉAFFIRMÉE

Changement de braquet en vue pour une Fondation qui fête ses dix ans cette année et souhaite amplifier les efforts qu’elle mène au service de la “communauté” IÉSEG : étudiants, diplômés, entreprises, monde socio-économique, parents, professeurs et personnel administratif de l’école. Une ambition assumée pour Laure Quédillac, corporate relations director de l’IÉSEG et déléguée générale de la Fondation : “Cet anniversaire est à la fois une occasion et le symbole d’une volonté de développement qui s’inscrit pleinement dans le cadre du nouveau plan stratégique de l’école. Sa raison d’être ne change pas et les projets existants seront bien entendus poursuivis. L’objectif sera d’accompagner l’école dans son développement durable et globale en soutenant de nouvelles initiatives comme des chaires de formation et de recherche, le développement de nouveaux programmes de formation, l’octroi de différentes bourses”.

QUATRE AXES DE DÉVELOPPEMENT

La nouvelle stratégie de la Fondation s’appuie sur quatre grandes ambitions. La première, vouée à l’innovation et à l’entrepreneuriat, englobera l’ensemble des actions destinées à favoriser la créativité par la collaboration et la transversalité auprès de l’écosystème IÉSEG. La deuxième, centrée sur les territoires et les enjeux socio-économiques, veut accompagner les organisations dans la prise de conscience des transformations fondamentales qui bouleversent nos sociétés. La troisième est tournée vers l’ambition de fournir une éducation de qualité, veut contribuer au développement des valeurs et des compétences des jeunes en garantissant un apprentissage interdisciplinaire, très lié à la réalité du monde socio-économique. “Le quatrième axe constitue l’ADN même de la Fondation : favoriser la diversité et l’inclusion en multipliant les projets et les initiatives qui peuvent faire une véritable différence, concrète et palpable”, explique Laure Quédillac.

Laure QUÉDILLAC, corporate relations director de l’IÉSEG et déléguée générale de la Fondation.
12 N°08 I A new way of talking business A BETTER SOCIETY

HÉLÈNE GENÉTY, NOUVEAU VISAGE DE LA FONDATION

Hélène Genéty a rejoint la Fondation IÉSEG en septembre 2022. Auprès de la déléguée générale Laure Quédillac, sa première mission consiste à créer le plan stratégique de la Fondation avant de déployer la mise en œuvre des activités qui toucheront l’ensemble des services de l’école en France et à l’international. Elle est titulaire d’un Master 2 recherche en Histoire de l’Art et d’un Master 2 professionnel en gestion du patrimoine culturel de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle s’est formée en 2022 aux questions de management notamment par le biais d’une formation continue dispensée par Cornell University. Avant d’intégrer la Fondation IÉSEG, elle a mis en place sous la responsabilité du secrétaire général des Compagnons du Devoir un service national dédié au mécénat et aux partenariats, avant d’en assurer le développement pendant six ans. Elle a auparavant acquis une expertise sur les enjeux du mécénat à la Fondation du Patrimoine (Délégation du Limousin). En lien avec son cursus universitaire, elle a étudié l’impact de l’art sur les pratiques commerciales au sein de directions artistiques (Le Bon Marché Rive Gauche, Hermès International). Son premier poste à l’UNESCO, en 2010, l’a amenée à travailler sur la conservation de la collection des œuvres d’art de l’organisation. De retour en France à l’été 2022 après une année aux États-Unis où elle a travaillé dans le service communication et mécénat d’une banque alimentaire du Minnesota (Feeding America), elle souhaite aujourd’hui contribuer pleinement à l’essor de la Fondation IÉSEG.

Contact : www.fondation.ieseg.fr h.genety@ieseg .fr

L’ÉGALITÉ DES CHANCES POUR DÉBUTER LE DÉPLOIEMENT DE LA FONDATION

Les bourses pour les étudiants constituent l’axe le plus visible de cette stratégie. “Le développement de la Fondation commence par le sujet crucial de l’égalité des chances pour aider chaque étudiant à aller au maximum de ses compétences. C’est un impératif moral et sociétal, mais aussi le moyen de garantir l’expérimentation des diversités en offrant une expérience de vie étudiante plurielle, plus épanouissante et plus variée”, souligne la nouvelle responsable de la Fondation, Hélène Genéty (voir ci-contre). La Fondation s’est fixée comme objectif de mettre en place des bourses sur-mesure, adaptées aux besoins des étudiants (bourses de vie, d’excellence, de mobilité à l’international, de recherche) tout en travaillant sur l’ouverture sociale de l’IÉSEG de façon transverse entre les différents services de l’école. Le but est d’imaginer et de soutenir des projets à fort impact sociétal : la création d’un observatoire des métiers sur l’insertion des jeunes, un fonds de

solidarité à destination des étudiants en difficulté financière, des modules de formation inclusive d’apprentissage pour les lycéens et les étudiants : “l’accessibilité au digital pour tous”.

13 A new way of talking business I N°08

SE DIVERSIFIER POUR GRANDIR : LE CAS NORAUTO

Filiale de Mobivia (Midas, Altermove, Auto 5, Carter Cash), Norauto est la plus ancienne des marques du groupe. Fondée en 1970 par Éric Derville, l’enseigne s’appuie aujourd’hui sur un réseau de plus de 410 centres en France et, au total, plus de 630 en comptant ses pays d’implantation que sont l’Espagne, la Belgique, le Portugal, l’Italie et l’Argentine. Un succès qui doit beaucoup à la capacité de l’entreprise à évoluer. Le point avec Jérôme Dumont, responsable communication et marketing de la marque.

POUR BEAUCOUP DE CONDUCTEURS, NORAUTO EST D’ABORD UNE ENTREPRISE DE RÉPARATION ET D’ENTRETIEN AUTOMOBILE. EST-CE TOUJOURS LE CAS ?

C’est en effet notre métier depuis 1970. Mais celui-ci a évolué : aujourd’hui, Norauto se présente plutôt comme un acteur capable de proposer à chaque conducteur des solutions pour l’accompagner dans sa mobilité dans une période marquée par le besoin d’aller vers une route plus responsable. Qu’elles soient technologiques ou comportementales, les automobilistes vont faire face à des transformations inédites, le tout dans un

contexte économique tendu et face à des enjeux environnementaux considérables. Cette transition nous conduit à diversifier nos services et nos produits pour accompagner les nouveaux usages. Nous avons ainsi développé des services de location de produits qui connaissent un vrai succès, notamment pour ce qui est des chaînes pour la neige.

PEUT-ON DIRE QUE LA DIVERSIFICATION FAIT PARTIE DE L’HISTOIRE DE NORAUTO ?

L’automobile a toujours évolué et notre métier consiste à accompagner les conducteurs. Nous avons toujours répondu présents et nous avons toujours

14 N°08 I A new way of talking business BUSINESS AND RESEARCH
“Qu’elles soient technologiques ou comportementales, les automobilistes vont faire face à des transformations inédites, le tout dans un contexte économique tendu et face à des enjeux environnementaux considérables.”

été attentifs à l’évolution des usages et des besoins. Nous venons par exemple de commercialiser des câbles de recharge électrique. Certains services font partie de cette diversification, comme le vitrage en lien avec Carglass. S’adapter, innover, évoluer est une nécessité absolue. C’est de cette manière que nous gagnons la confiance de nos clients et ce n’est pas un hasard si nous sommes la marque préférée des Français dans notre catégorie.

AU-DELÀ DE LA RÉPARATION ET DE LA VENTE, LA DIVERSIFICATION

CONCERNE-T-ELLE AUSSI LES

SERVICES QUE VOUS PROPOSEZ ?

Le contexte nous y oblige : développement des usages digitaux, changements comportementaux renforcés par le confinement… Nous commençons ainsi à déployer une offre à domicile, comme le fait de nous rendre sur place en cas de panne de batterie. C’est un service particulièrement apprécié de nos clients.

VOUS AVEZ LANCÉ AU PRINTEMPS

DERNIER UNE OFFRE DESTINÉE

AUX PROFESSIONNELS, AVEC UN SERVICE DE LOCATION DE VÉLOS DE FONCTION. NORAUTO N’EST

PAS NÉCESSAIREMENT ASSOCIÉE

AUX MODES DE DÉPLACEMENTS

DITS “DOUX”. NE CRAIGNEZ-

VOUS PAS QUE VOS CLIENTS

PEINENT À S’Y RETROUVER ?

Nous pensons qu’un automobiliste responsable est un automobiliste qui sait se passer de son véhicule dans certains cas, par exemple pour se tourner vers le vélo et notamment vers les modèles électriques. Nous ne pensons pas qu’il

Jérôme DUMONT, responsable communication et marketing.

s’agit d’un risque mais bien d’un service complémentaire que nous nous devons de proposer. Nous venons d’ailleurs d’ouvrir dans le centre de Lille un nouveau concept baptisé “Norauto solutions urbaines” qui fait la part belle aux modes de déplacements doux. Ce n’est pas tant un nouveau métier qu’une extension de notre activité originelle.

COMMENT RÉUSSIR SA

DIVERSIFICATION ? FAUT-IL

S’ENTOURER DE PARTENAIRES, RACHETER D’AUTRES

ENTREPRISES OU TOUT DOITIL ÊTRE INTERNALISÉ ?

Probablement les trois… Il n’y a pas de recette miracle. Dans le cas de notre accord avec Carglass, nous avons choisi de nous associer à un leader reconnu pour avoir la garantie d’une excellente expérience client. Certains services sont conçus en partenariat, d’autres le seront en interne parce qu’ils correspondent à l’ADN de l’entreprise et parce que nous disposons des compétences et des ressources nécessaires. Notre seule règle pour prendre ce type de décisions tient en deux questions : que souhaite le client ? Et comment nous assurer de lui proposer la meilleure des solutions ?

15 A new way of talking business I N°08
“S’adapter, innover, évoluer est une nécessité absolue. C’est de cette manière que nous gagnons la confiance de nos clients et ce n’est pas un hasard si nous sommes la marque préférée des Français dans notre catégorie.”

CHAÎNES LOGISTIQUES : LA VIEILLE HISTOIRE DES ŒUFS ET DU PANIER

Pandémie, guerre en Ukraine, pénurie de matières premières… Plusieurs événements majeurs sont venus bouleverser la manière dont nos sociétés et leurs entreprises se procurent les produits dont elles ont besoin. La mondialisation des échanges atteint-elle ses limites ? Faut-il diversifier ses modes d’approvisionnements pour les sécuriser ? Éléments de réponse avec deux spécialistes de la logistique et de la supply chain, Verena Ehrler et Ronald McGarvey, professeurs à l’IÉSEG.

PEUT-ON PARLER D’UNE CRISE DES APPROVISIONNEMENTS ?

Si le dérèglement des grands circuits qui alimentent l’économie n’est pas nouveau en soi, les derniers mois ont été marqués par de puissantes perturbations, explique Verena Ehrler : “la pandémie et la guerre en Ukraine ont montré la nécessité d’améliorer la durabilité, l’efficacité et la résilience des chaînes d’approvisionnement, en jouant un rôle d’accélérateur.” D’autant que ces perturbations ne sont pas près de cesser, estime Ronald McGarvey : “les risques inhérents aux chaînes d’approvisionnement mondialisées sont connus depuis longtemps. Mais ces perturbations restaient jusqu’ici cantonnées à une région géographique spécifique ou à un secteur particulier. Le Covid a eu un impact sur toutes les régions et tous les secteurs”, explique le chercheur qui prévient : “le changement climatique aura des effets similaires, bien que distribués dans le temps et l’espace. De nouvelles stratégies de chaîne d’approvisionnement sont nécessaires pour éviter des pénuries d’approvisionnement similaires à l’avenir.”

QUELS SONT LES SECTEURS LES PLUS TOUCHÉS ?

Si le défi des approvisionnements touche tous les secteurs, l’industrie agro- alimentaire est particulièrement concernée, explique Verena Ehrler : “L’érosion des sols et les conditions

RETROUVEZ PLUS D’ANALYSES, PERSPECTIVES ET RECHERCHES DE CES EXPERTS SUR IÉSEG INSIGHTS

météorologiques extrêmes auront un impact sur l’agriculture. L’inflation actuelle conduit déjà à une hausse des coûts alimentaires et la tendance se fera plus lourdement sentir encore si nous ne prenons pas les mesures adéquates.” Autre exemple d’effet domino : la pénurie de semi-conducteurs a un impact majeur sur un nombre considérable d’industries, observe Ronald McGarvey : “les

constructeurs automobiles ont dû réduire leur production de dix-sept millions de véhicules en 2021 et 2022. La nature extrêmement complexe de la chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs et la dépendance mondiale à des fabricants concentrés dans une zone géographique limitée en fait un cas d’école des risques inhérents à une chaîne d’approvisionnement moderne, à grande échelle.”

Verena EHRLER et Ronald MCGARVEY, professeurs à l’IÉSEG.
16 N°08 I A new way of talking business BUSINESS AND RESEARCH

DIVERSIFIER SES APPROVISIONNEMENTS PERMET-IL DE RÉPONDRE À

L’INCERTITUDE ?

Face à ces perturbations présentes ou futures, comment réagir ? “Trois stratégies interdépendantes permettent de garantir la résilience de la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise, rappelle Ronald McGarvey : une visibilité optimale sur l’ensemble de la supply chain, le maintien d’un stock-tampon de produits rares ou lents à approvisionner et une agilité améliorée pour pouvoir rapidement se tourner vers d’autres produits ou processus.” Quant à la nécessité de se tourner vers de nouveaux fournisseurs, tout dépend de la situation spécifique de chaque entreprise, souligne Verena Ehrler : “il n’existe pas de solution unique mais attendre n’est pas une option. Diversifier ses sources d’approvisionnement permet d’éviter de placer tous ses œufs dans le même panier, en veillant cependant à la qualité des relations avec les fournisseurs, en se concentrant sur un nombre limité de relations solides.” D’autant que multiplier les fournisseurs complexifie encore certains processus, alerte Ronald McGarvey : “étant donné les attentes croissantes des consommateurs en matière de durabilité environnementale, les entreprises doivent veiller à leur réputation, donc surveiller les pratiques de leurs fournisseurs. Toute expansion des sources d’approvisionnement augmente mécaniquement cette charge.”

LA MISE À JOUR DES DRAGONS

C’est le plus ancien et le plus célèbre des jeux de rôle. Popularisé par la série Stranger Things, Donjons & Dragons (D&D) évolue toujours, près de 50 ans après sa naissance. Objectif : attirer de nouveaux pratiquants sans les heurter.

40 millions de joueurs à travers le monde, des centaines de milliers d’heures de stream sur Twitch, des clins d’œil incessants dans la pop culture… D&D serait-il devenu mainstream ? Filiale du groupe américain Hasbro, l’éditeur Wizards of the Coast peut en tout cas se vanter d’avoir réussi un pari délicat : diversifier sa gamme et son public. Pour dépoussiérer l’image d’un loisir longtemps associé aux seuls geeks, l’éditeur a d’abord parié sur l’enrichissement d’un univers initialement inspiré des classiques de la fantasy, Seigneur des Anneaux en tête. Comment ? En élargissant le terrain de jeu pour proposer d’autres univers : mondes vampiriques ou gothiques, Londres au temps de Sherlock Holmes, mystères d’un Orient inspiré des Mille et une Nuits… De quoi attirer de nouveaux amateurs, séduit par la liberté d’un jeu qui permet à chacun de créer ses propres scénarios. Reste à concilier les attentes de trois générations d’adeptes - la première a vu arriver de nouveaux joueurs, mais aussi de nouvelles joueuses. Au monde un rien stéréotypé, très européen et très masculin des premières années a succédé un jeu plus respectueux des différences, libéré du simplisme des premiers temps pour gagner en profondeur et en diversité. Un positionnement revendiqué par Wizards of the Coast, qui assume de rompre avec certains stéréotypes faciles ou blessants - quitte à revisiter ses propres classiques en gommant des clichés qui ne passent plus comme dans Curse of Strahd, un classique qui se situe dans l’équivalent des Carpathes au temps de Dracula. L’œuvre originale faisait intervenir les Vistani, un peuple fictif directement inspiré de la culture gitane - hélas jusqu’à la caricature. Tout juste traduite en français, la dernière édition a été aménagée pour gommer certains éléments, jugés inacceptables aujourd’hui.

17 A new way of talking business I N°08

INTÉGRATION : LE PARI DE LA DIVERSITÉ

Après Paris, Lyon, Nantes, Strasbourg au tour de Bordeaux et de Lille. Dans la capitale des Hauts-de-France, l’antenne lilloise de l’association Singa, spécialisée dans l’aide aux nouveaux arrivants, a lancé un incubateur destiné à accompagner ceux d’entre eux qui cherchent à créer leur entreprise. Objectif : participer au dynamisme économique du territoire bien sûr, mais aussi changer le regard sur les migrants, explique Marie Patfoort, coordinatrice Entrepreneuriat Lille pour l’ONG.

QUELS SONT LES OBJECTIFS DE SINGA ?

Il y a dix ans, ses fondateurs* se sont intéressés à un constat dressé par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Personnes Réfugiées (UNHCR) : en France, seuls 12 % de celles et ceux qui arrivent sur notre territoire sont en contact avec d’autres personnes que les spécialistes de l’action sociale. La philosophie de Singa, c’est que leur intégration passe par le renforcement des liens entre eux et le reste de la population. Historiquement,

l’ONG proposait des rencontres artistiques, linguistiques ou sportives, pensées pour faire tomber les barrières et les préjugés. Ces activités se poursuivent, mais Singa s’est également penchée depuis sur la question de l’insertion économique en s’attachant à soutenir les entrepreneurs potentiels, décidés à créer leur activité en France. En les aidant à développer leurs compétences et à donner vie à leur projet, Singa souhaite les aider à révéler leurs talents tout en favorisant l’activité économique des territoires.

PAR VOS ACTIONS, SOUHAITEZVOUS FAIRE ÉVOLUER L’IMAGE PARFOIS NÉGATIVE ASSOCIÉE À CES NOUVEAUX ARRIVANTS ?

L’imaginaire collectif associe trop souvent le mot “migrant” à l’angle du coût humanitaire ou aux questions sécuritaires. L’un de nos buts consiste à lutter contre ce narratif qui oppose le “nous” et le “eux” en démontrant que les nouveaux arrivants sont un facteur d’enrichissement mutuel, d’innovation sociale et de dynamisme économique.

Marie PATFOORT, coordinatrice Entrepreneuriat Lille pour Singa, suit par ailleurs l’exec MBA de l’IÉSEG.
18 N°08 I A new way of talking business GOOD NEWS

#CONTACTER L’ASSOCIATION contactlille@singa.fr

#POUR EN SAVOIR PLUS www.singafrance.com

#FACEBOOK

https : //www.facebook.com/SingaLille/

#INSTAGRAM @singa_lille

#LINKEDIN

https : //www.linkedin.com/company/singa-lille/

SINGA, UNE COMMUNAUTÉ AU SERVICE DE L’INSERTION

Créée en 2012, Singa (“lien” en lingala, une langue bantoue parlée au Congo) regroupe aujourd’hui plus de 50 000 membres dans dix-huit villes et dans sept pays. Fondée pour faciliter l’insertion des nouveaux arrivants - réfugiés, migrants, demandeurs d’asile - dans leur pays d’accueil, l’association les accompagne en les aidant à développer leur réseau social et professionnel, qu’il s’agisse de trouver un travail ou de créer une entreprise. Depuis 2016, ses incubateurs ont favorisé la création de 320 start-ups.

EN 2022, SINGA A LANCÉ SON SIXIÈME INCUBATEUR À LILLE. EN QUOI CE PROGRAMME CONSISTET-IL ET À QUI SE DESTINE-T-IL ?

Ce programme d’accompagnement qui dure six mois consiste à proposer gratuitement aux personnes qui arrivent en France et qui souhaitent y créer leur activité un ensemble d’outils et de ressources pour les aider à sécuriser leur structure. Entreprise, association, start-up… Chaque porteur de projet bénéficie d’un accompagnement individuel régulier, mais nous proposons également des temps de formation collectif pour mettre l’ensemble de la promotion en contact avec des experts venus de différents domaines : stratégie commerciale, communication, gestion comptable et financière, aspects juridiques… Ces six mois sont aussi l’occasion pour les incubés de développer leur réseau professionnel au travers d’opérations de networking. La première promotion, lancée en 2022, a permis d’accompagner une dizaine d’entrepreneurs. La deuxième est en cours. En tout, une vingtaine de personnes bénéficieront de ce programme en 2023.

COMMENT CHOISISSEZ-VOUS LES PERSONNES ET LES PROJETS QUE VOUS ACCOMPAGNEZ ?

Nos critères de sélection ne sont pas particulièrement détaillés ou contraignants. Au-delà de l’appétence des incubés pour cette démarche collective, nous leur

demandons de maîtriser le niveau B2 en Français Langue Étrangère (FLE) et nous assurer ainsi qu’ils peuvent suivre les formations dispensées. Comme il s’agit de sécuriser en quelques mois la phase de lancement de l’entreprise, le programme s’adresse plutôt à des candidats qui ont déjà une idée relativement précise de leur marché, de leur modèle économique et des produits ou des services qu’ils souhaitent proposer. Nous proposons d’ailleurs d’autres types de suivi à ceux dont le projet n’est pas encore suffisamment mûr.

À QUOI RESSEMBLE LE PROFIL DES DIX PREMIERS ENTREPRENEURS ACCOMPAGNÉS À LILLE ?

La première promotion a réuni six femmes et quatre hommes d’âges, de nationalités et de profils très différents. Leurs activités touchent à des domaines divers qui vont du commerce équitable à l’édition, l’informatique, la communication, le digital ou la restauration. L’une de nos incubées, Maryse, lance par exemple sa marque de café équitable issu de l’agriculture biologique des plantations du Congo Kinshasa. Un journaliste, Dashamir, a créé Albanian Daily, un site web de presse généraliste franco-albanais, après avoir suivi une formation en management des médias à l’IAE de Lille. De con côté, Pitschou veut fonder une association de reconditionnement de matériel informatique avec l’objectif de former des personnes éloignées de l’em-

ploi. Adel lance un commerce de boissons à base de jus de grenades biologiques de Tunisie en se fournissant auprès de petits producteurs locaux engagés dans une agriculture durable et éco-responsable… C’est extrêmement varié.

AVEC QUELS PARTENAIRES TRAVAILLEZ-VOUS ?

Tous nos programmes sont financés par des structures locales, nationales ou internationales : fondations, BPI France… Nous pouvons également compter sur le soutien des acteurs de l’écosystème entrepreneurial, très développé à Lille : BGE, les missions locales, les CMA… Nous nous appuyons également sur les professionnels des dispositifs d’accompagnement sociaux et d’aides aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, pour les inviter à orienter les porteurs de projet vers nous. Enfin, nous invitons bien sûr tous les professionnels qui le souhaitent à nous rejoindre pour partager leur expertise et leurs réseaux avec nos incubés.

19 A new way of talking business I N°08
*Nathanaël Molle, Guillaume Capelle et Alice Barbe.

MOBILITÉ : ÇA SE DIVERSIFIE, MAIS…

Avec un trafic en hausse de 11 % sur les neuf premiers mois de 2022 par rapport à 2021*, la tendance se confirme : le vélo est le grand gagnant d’une mobilité qui évolue, au moins en milieu urbain. Au point de remettre en cause l’omniprésence de la voiture ?

Davantage de vélos, moins de voitures ? L’impression de voir le nombre de cyclistes progresser à vue d’œil le long des grands axes urbains n’est pas une illusion, confirme Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité à la direction régionale de l’ADEME Hauts-de-France. “L’engouement n’a pas commencé avec le Covid mais la pratique du vélo a de fait augmenté de plus d’un tiers en France entre 2019 et 2022. Et la hausse se poursuit”. Très en vogue aux débuts de la pandémie pour des raisons sanitaires, le “vélotaf” s’est installé, beaucoup de salariés se tournant vers le vélo pour éviter les transports collectifs aux heures de pointe.

CLIVAGES EN SÉRIE

Mais cette diversification des modes de déplacement ne touche pas tous les publics de la même manière, explique Mathieu Chassignet en pointant une série de clivages qui touchent notamment aux catégories socio-professionnelles : “Alors qu’il y a vingt ans, la pratique du vélo était plutôt propre aux gens modestes, la tendance est en train de s’inverser. Ceux qui s’y mettent aujourd’hui sont souvent des cadres et des CSP+.” L’âge joue également, et c’est d’ailleurs la principale alerte des études menées sur le terrain : “les enfants se déplacent de moins en moins à vélo. Entre 2008 et 2019, la pratique a diminué de moitié

chez les moins de 18 ans, essentiellement par peur des accidents mais aussi pour tenir compte d’une norme sociale qui veut qu’on laisse de moins en moins les enfants se déplacer seul dans l’espace public.” De fait, un écolier sur deux est déposé en voiture par ses parents, contre un sur quatre au début des années 2000. Autre distinction, celle qui touche au genre : “les pratiques des hommes et des femmes sont différentes. Les premiers se déplacent cinq à dix fois plus que les secondes en deux roues motorisées et se mettent plus facilement au vélo. Les femmes se déplacent davantage à pied ou en transports collectifs.” Dernière grande différence enfin : le critère géographique : “en milieu rural ou périurbain, la pratique continue de stagner”, explique Mathieu Chassignet pour qui ce n’est pas un hasard : “les grandes villes sont le seul espace où un effort a été engagé pour sécuriser la pratique, par exemple en généralisant les zones à 30 km/h. En milieu périurbain, rien ne remet vraiment en cause la place de la voiture.”

Mathieu CHASSIGNET, ingénieur mobilité à la direction régionale de l’ADEME Hauts-de-France.
20 N°08 I A new way of talking business GOOD NEWS

2,8 MILLIONS

DE VÉLOS ONT ÉTÉ VENDUS

L’AN DERNIER POUR 1,6 MILLION DE VOITURES NEUVES.

BUSINESS ANGELS : LA DIVERSIFICATION AU POUVOIR

Loin de l’image qu’on s’en fait parfois, les business angels ont vu leur profil se démocratiser avec le temps, même si leur objectif ne change pas : investir dans de jeunes entreprises dans lesquelles ils croient pour appuyer leur réussite. Et il n’y a pas que la tech pour les séduire ! Le point avec Benjamin Bréhin, délégué général de la Fédération Nationale des Business Angels, France Angels, depuis 2011.

COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS LE RÔLE D’UN BUSINESS ANGEL AUJOURD’HUI ?

Pour un investisseur, prendre une part dans le capital d’une entreprise dans laquelle on croit est certes une manière de diversifier son patrimoine mais d’abord un engagement qui demande de la passion, de l’engagement et de la curiosité. On n’investit pas seulement son argent personnel, mais aussi son temps. Pourquoi ? Parce qu’on croit au potentiel de croissance d’une jeune activité dont nous accompagnons le décollage et parce qu’on croit à l’équipe qui le mène. Qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, ces néo-entrepreneurs ont besoin de fonds, certes, mais aussi d’un accompagnement. Notre rôle est de leur apporter notre vécu, notre expérience, notre réseau relationnel et nos conseils.

DANS LES MÉDIAS, LES BUSINESS

ANGELS

SONT SOUVENT ASSOCIÉS AU MONDE DE LA HIGH TECH ET DU DIGITAL. EST-CE SI VRAI ?

EFFORT PUBLIC EN VUE

Moralité : la pratique du vélo progresse là où on lui donne les moyens de progresser. Ce qui n’est pas encore le cas, les collectivités locales consacrant dix euros par habitant et par an au vélo contre 300 pour l’automobile. L’État en a conscience : alors qu’il avait prévu en 2018 d’engager 350 millions d’euros sur sept ans en faveur du vélo, 150 millions supplémentaires ont été débloqués dans le cadre du plan de relance et 250 millions devraient être dépensés pour la seule année 2023, dont 200 dédiés aux infrastructures. Une bonne raison de regonfler les pneus de son vieux VTC…

*Baromètre “Vélo & Territoires”, octobre 2022.

Les projets que nous soutenons sont bien plus diversifiés que l’on croit, comme le profil des business angels d’ailleurs. Le cliché du milliardaire arrivé qui investit dans une start-up ne correspond pas à la réalité du terrain, des profils et des parcours des investisseurs que réunit France Angels depuis 2001. Depuis le Covid, on sent une véritable appétence pour les projets tournés vers l’humain, la santé et la société. La tech est certes un terrain propice aux opportunités. Nous n’allons sans doute pas investir dans un commerce classique mais tous les secteurs ont leurs atouts, y compris dans le domaine sociétal ou environnemental sur tous les territoires où nous sommes implantés - la proximité est particulièrement importante à nos yeux. En novembre dernier, nous avons par exemple lancé AgriAngels, un nouveau réseau dédié aux projets qui se montent dans le monde agricole. Un nombre croissant de nos membres se tournent vers des projets à impact.

21 A new way of talking business I N°08
Benjamin BRÉHIN, délégué général de la Fédération Nationale des Business Angels, France Angels.

L’ENJEU DE LA CONFIANCE

Méfiance croissante, désintérêt marqué, fracture générationnelle… Le journalisme a-t-il encore un avenir à l’heure où 26 % des Français, toutes générations confondues, disent s’informer sur Internet via les réseaux sociaux plutôt qu’au travers des médias* ? Pourquoi ne s’y retrouvent-ils plus ? Comment réparer un lien qui se distend ? Quels contenus journalistiques proposer pour séduire un lectorat de plus en plus critique ? Le point avec Édouard Reis Carona, rédacteur en chef à Ouest-France.

OUEST-FRANCE EST-IL UN JOURNAL RÉGIONAL OU UN QUOTIDIEN NATIONAL ?

Les deux ! Qu’un évènement se produise à proximité ou à l’autre bout de la planète, notre travail consiste à le couvrir avec la même rigueur, avec une ambition éditoriale qui n’oppose pas le local, le national et l’international mais qui va de la commune au monde. Ouest-France a toujours eu des rédactions International, National ou Europe qui viennent compléter un maillage régional particulièrement dense. Au niveau local, Ouest-France peut compter sur une soixantaine de rédactions réparties sur tout son territoire et sur un réseau de plus de 3 000 correspondants locaux. Aux niveaux national et international, le titre s’appuie sur ses différents services et sur un réseau de 200 correspondants pigistes, répartis dans le monde entier. C’est ce qui permet à nos lecteurs d’accéder chaque jour à toutes les informations, sans avoir besoin d’un autre journal. Ouest-France est un quotidien complet, généraliste, populaire, grand public et accessible à tous, avec un prix au numéro qui est le moins élevé de France.

680 000

EXEMPLAIRES DE SON ÉDITION PAPIER. EN PRENANT EN COMPTE SES VERSIONS NUMÉRIQUES, LE TITRE TOUCHE CHAQUE MOIS

23 MILLIONS

DE LECTEURS.

LA PRESSE EST PARFOIS ACCUSÉE DE NE PAS OFFRIR UN REFLET FIDÈLE DE L’ÉTAT DU MONDE. AVEZ-VOUS VU CERTAINS THÈMES JUSQUE-LÀ MARGINAUX PRENDRE DAVANTAGE DE POIDS ÉDITORIAL CES DERNIÈRES ANNÉES ?

Deux thèmes ont pris une importance nouvelle. La crise des gilets jaunes a mis en évidence un véritable fossé entre une partie des citoyens et des médias accusés de porter la seule voix des puissants. Nous avons cherché à corriger cette perception en insistant davantage encore sur la notion de reportages et d’enquêtes de proximité, en couvrant davantage les questions de vie quotidienne, de pouvoir d’achat… L’autre grand sujet qui perce est celui de l’environnement et de la question climatique, devenus un angle transversal essentiel de notre projet éditorial. Nous formons petit à petit l’ensemble de nos journalistes à intégrer cette dimension au quotidien, à chaque étape de leur travail. Nous mettons à leur disposition un ensemble d’outils destinés à les y aider. Comme pour d’autres questions comme le genre ou l’égalité, nous avons également mis en place des

Édouard REIS CARONA, rédacteur en chef à Ouest-France. PREMIER JOURNAL FRANCOPHONE AU MONDE, OUEST-FRANCE ÉCOULE CHAQUE JOUR
22 N°08 I A new way of talking business NICE TO MEET YOU

réseaux de compétences qui réunissent les journalistes experts de tel ou tel sujet. Pour prendre l’exemple du procès des attentats du Bataclan, tous ceux qui ont couvert le sujet dans nos colonnes sont spécialisés police-justice.

COMME D’AUTRES TITRES DE LA PRESSE ÉCRITE, OUESTFRANCE S’EST TOURNÉ VERS LE NUMÉRIQUE. COMMENT VOTRE TRAVAIL EN LIGNE S’ARTICULET-IL AVEC L’ÉDITION PAPIER ?

Nous ne voulons pas opposer les supports et nous n’écrivons pas pour le papier ou pour le web, mais pour produire un contenu journalistique de qualité. C’est seulement lorsque celui-ci est prêt qu’on se pose la question du meilleur mode de diffusion. Nous avons la chance de disposer de différents desks qui traitent les événements à différents niveaux. Le premier suit l’information en temps réel et couvre l’actualité au plus près, dans une logique de web first. Quelques heures plus tard, l’information initiale est retravaillée avec l’aide des journalistes et des services spécialisés, dont le travail consiste à enrichir le regard et à amener une expertise à un contenu qui peut être mis en ligne ou dirigé vers l’édition papier, selon les cas. Les deux univers se complètent et ne s’opposent pas, aucun support ne vient cannibaliser l’autre. Même si le nombre d’abonnés web devrait à terme dépasser le nombre d’abonnés print, les deux courbes progressent d’ailleurs parallèlement.

ON DIT BEAUCOUP QUE LES JOURNALISTES SE RESSEMBLENT, SORTENT DES MÊMES ÉCOLES, PARTAGENT LES MÊMES POINTS DE VUE… COMMENT VEILLEZ-VOUS À LA DIVERSITÉ DES ÉQUIPES ?

Cette question rejoint en partie celle de l’égalité homme-femme. Ces dernières années, Ouest-France a mis en place une politique RH volontariste pour travailler sur l’égalité salariale, pour permettre à

UN LIEN ABIMÉ

À en croire le baromètre La Croix relation n’est pas au beau fixe entre les médias et les Français, de moins en moins passionnés par l’actualité. En 2022, seuls 62 % des sondés lui portent encore un intérêt, soit cinq points de moins en un an. Le mouvement est encore plus prononcé chez les 18-24 ans, qui ne sont plus que 38 % à s’intéresser aux évènements qui font l’actualité, soit… 13 points de moins qu’en 2021. Au hit-parade des reproches exprimés par les sondés, c’est bien la fiabilité du travail des journalistes qui est pointée : seuls 44 % des personnes interrogées estiment que les médias fournissent des informations fiables et vérifiées et 62 % considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Reste un paradoxe qui fait aussi figure de lueur d’espoir : en dépit de cette crise de confiance, les médias sont toujours considérés comme des outils importants pour le bon fonctionnement de la démocratie. 83 % des sondés disent attendre des journalistes “qu’ils pointent du doigt les fausses informations diffusées.”

davantage de journalistes femmes d’accéder à des postes de management et pour arriver à davantage d’équilibre dans des rédactions qui étaient naguère encore plutôt masculines. Sur dix journalistes recrutés aujourd’hui à Ouest-France, six ou sept sont des femmes. En termes de diversité, nous cherchons à recruter des profils aussi représentatifs que possible de la société dans son ensemble. Les écoles de journalisme nous y aident d’ailleurs en recrutant des élèves sans doute différents les uns des autres que par le passé. Cela passe aussi par une forme d’internationalisation : j’ai personnellement recruté un Argentin au numérique, une Brésilienne aux réseaux sociaux…

VOTRE LECTORAT EST-IL REPRÉSENTATIF DE LA SOCIÉTÉ OU CERTAINS PROFILS SONTILS SUR-REPRÉSENTÉS ?

Le fait que 70 % des internautes qui visitent notre site web n’habitent pas dans l’ouest de la France montre que OuestFrance est devenu un acteur national de l’information. En région et sur le print, notre lectorat reste encore plutôt âgé et rural, très attaché à un journal auquel il reste souvent abonné toute sa vie. Tout le défi consiste à rajeunir ce public, ce qui passe à la fois par des contenus et par une offre d’abonnements adaptée : les plus jeunes n’ont pas toujours 35 ou 40 € à consacrer chaque mois à un média.

*Baromètre La Croix, 2022.

23 A new way of talking business I N°08
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.