African Banker French, Q2 2018

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Édition française

BANKER

ENTRETIENS Rosine Sori-Coulibaly

Ministre de l’Économie, des finances et du développement du Burkina Faso

Malado Kaba

Ministre de l’Économie et des finances de Guinée

Diakarya Ouattara

Directeur général de Coris Bank International

Daouda Coulibaly

Directeur général de la Société ivoirienne de banque

À L’HEURE DU TOUT AFRIQUE Rémy Rioux

Le succès de l’appli Ecobank Mobile Franc CFA Sauvetage à la grecque N°34 | Juin - Juillet - Août 2018 • Zone CFA 5 000 F.CFA • France et zone Euro 8€ • Algérie 600 DA • Tunisie 7 000 TD • Maroc 60 Dh • États-Unis $9,95 • Maurice 300 MR • Royaume-Uni £5,50 • Suisse 15 FS

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SOMMAIRE

AFRICAN BANKER

NOVEMBRE - DÉCEMBRE - JANIVER 2018

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À L’HEURE DU TOUT AFRIQUE Rémy Rioux

IC PUBLICATIONS FRANCE

609 BAT A 77 RUE BAYEN 75 017 PARIS Tél. : +  33 1 44 30 81 00 Fax : +  33 1 44 30 81 11 E.mail : info@icpublications.com Website : www.icpublications.com

GRANDE-BRETAGNE

IC PUBLICATIONS 7 COLDBATH SQUARE LONDON EC1R 4LQ Tél. : + 44 20 7841 32 10 Fax : + 44 20 7713 7898 E.mail : icpubs@africasia.com Website : www.africasia.com

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Afif Ben Yedder

ÉDITEUR

Omar Ben Yedder

RÉDACTEUR EN CHEF

Hichem Ben Yaïche h.benyaiche@icpublications.com

COORDONNATEUR DE LA RÉDACTION Junior Ouattara

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Laurent Soucaille

RÉDACTION

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COLLABORATEURS EXTÉRIEURS

Estelle Brack, Djamila Colleu, Olivier Deau, Mathieu Galtier, Christine Holzbauer, Seydou Ka, Alain Le Noir, Dhafer Saïdane, Tiego Tiemtoré, Geoffroy Touroumbaye, Samia Lokmane Khelil.

DIRECTION ARTISTIQUE Daniel Benharrosh

V.P. DÉVELOPPEMENT

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PRODUCTION

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DIFFUSION

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ABONNEMENTS

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IMPRIMEUR

Stones Ashford Ltd The Invicta Press Ashford - Kent

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AFP (Sauf mention particulière)

N° DE COMMISSION PARITAIRE 0120 T 90333

ISSN

1757-1413 Trimestriel Dépôt légal : juin 2018 © 2017 - IC Publications

DÉCIDEURS 18 Rémy Rioux À l’heure du Tout Afrique 24 Rosine Sori-Coulibaly Des indicateurs macroéconomiques satisfaisants 28 Malado Kaba L’État prend ses responsabilités 32 Diakarya Ouattara Pari réussi 36 Daouda Coulibaly La SIB joue son rôle dans le développement 40 BEAC Les défis d’Abbas Mahamat Tolli 42 Cameroun Louis-Paul Motazé Et maintenant, les Finances 43 Jonas Komlan Siliadin Une approche globale de la banque 46 Tchad Noubasra Natolban UBA a les moyens de faire plus 47 Libye Sadiq al-Kabir Un gouverneur en équilibre précaire

FINANCES ET MARCHÉS 50 Burkina Faso Un fonds d’investissement pour les start-up 51 Algérie Des banques en manque de trésorerie 53 Niger Ouverture à la finance islamique ACTIVITÉS BANCAIRES 54 Banque numérique 4 millions de personnes ont choisi l’appli Ecobank 58 Bénin - Niger Sonibank à la conquête d’un marché concurrentiel 59 Togo Les banques soutiennent Tirsal ANALYSES 62 Faut-il limiter l’activité des banques étrangères ? 66 L’essor du financement participatif 68 Franc CFA Sauvetage à la grecque 72 L’Afrique au rendez-vous de la blockchain


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BRÈVES

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Nominations & Agenda Par Laurent Soucaille

Younes El Masloumi, vient de rejoindre la BMICE (Banque maghrébine d’investissement et du commerce extérieur) en tant que responsable du pôle opérations en charge des financements structurés et du commerce extérieur. Le nouveau responsable a une longue expérience dans la banque en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ; il a ainsi conduit l’absorption au Mali de la BDM et de la BMCD, ainsi que la restructuration au Congo de LCB Bank. Créée en 2015 à l’initiative de la Tunisie, du Maroc, de l’Algérie, de la Mauritanie et du Maroc (20% des parts chacun), la BMICE affiche un capital de 150 millions $.

Le conseil de surveillance de Société Générale Maroc a nommé un homme du sérail, Ahmed El Yacoubi, en tant que directeur général. En effet, sa carrière dans l’établissement a commencé en 1996, au sein de la direction des systèmes d’information. En 2007, il prend la tête du secrétariat général de la banque. Il est nommé directeur général adjoint en charge du pôle ressources générales et banque de flux en 2012. En 2014, il intègre le siège du groupe à Paris au poste de directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest. En charge du développement commercial de la région, il participe également à l’extension de la stratégie d’innovation pour tout le continent africain. Il crée le premier « Laboratoire Innovation » à Dakar, et supervise le lancement de la solution de monnaie mobile YUP, qui permet d’accéder à une gamme complète de services transactionnels et financiers, sans posséder de compte en banque.

La banque panafricaine UBA confie à Martin Che la direction régionale en Afrique centrale. Plus précisément, le nouveau responsable supervisera les activités de la banque au Gabon, au Cameroun, au Congo et au Tchad. Ancien d’Ecobank Cameroun et d’Union Bank of Cameroon, Martin Che s’était fait remarquer, entre 2013 et 2015, en redressant spectaculairement la filiale congolaise de UBA, dont le coefficient d’exploitation était revenu de 86 % à 45 %. « Conformément à l’objectif de UBA de se classer parmi les trois premières banques d’importance systémique dans chacun de nos pays de présence en Afrique, j’ai hâte de travailler avec les différentes parties prenantes, pour ajouter de la valeur et tenir haut le flambeau des activités de UBA en Afrique », souligne-t-il. Le groupe marocain Saham poursuit sa restructuration. Désormais, son pôle immobilier est dirigé par Amine Guennoun. Diplômé en Management et finance de l’université Paris Dauphine, le nouveau directeur général de 38 ans a entamé sa carrière dans la banque et l’assurance avant d’intégrer en 2009 Palmeraie Développement, où il a pris la direction du pôle immobilier en 2017. Il a notamment piloté avec succès l’augmentation de capital du promoteur immobilier Résidences Dar Saada. Raza Hasnani devient directeur de l’Investissement en infrastructures d’Africa50, après onze années passées à la direction générale du groupe Abraaj. Ce diplômé du Frankin & Marshall College et de la Wharton School, au cours de sa carrière, est également passé par Deloitte, Credit suisse et ExxonMobil. Fonctionnant sur le modèle des fonds d’investissement, Africa50 Projet Finance a pour vocation de prendre des participations de quelque 20 millions $ dans des projets ou d’être sponsor de fonds.

CDC Group a nommé Tenbite Ermias en tant que nouveau responsable de l’Afrique. La société britannique investit actuellement dans plus de 650 entreprises africaines, fournissant des capitaux à long terme et un soutien pour les aider à croître et à créer des emplois. Tenbite Ermias est un consultant en gestion ayant déjà supervisé des projets mondiaux, d’Afrique du Sud aux États-Unis, aux Émirats arabes unis ou au Kenya. Il a été partenaire chez McKinsey durant trois ans, avant de rejoindre le Boston Consulting Group pendant plus de treize ans. Il est originaire d’Éthiopie et possède des diplômes d’ingénieur de l’université de Stanford. Tenbite a une expérience significative dans le travail avec des organisations publiques et privées sur le développement économique, la santé et l’infrastructure, ainsi que des clients de private equity couvrant les secteurs de la consommation, des biens industriels et de l’agriculture dans diverses régions d’Afrique.

AGENDA Rappelons que les 53e assemblées annuelles de la Banque africaine de développement et la 44e assemblée du conseil des gouverneurs du Fonds africain de développement (FAD), se déroulent du 21 au 25 mai 2018 à Busan, en Corée du Sud. Des milliers de délégués, des chefs d’État, des représentants des secteurs public et privé, les partenaires au développement, etc., réfléchiront à l’industrialisation de l’Afrique, l’une des « cinq priorités » de la BAD. Un des moments forts de ces rencontres est une table ronde présidentielle de haut niveau, « Accélérer l’industrialisation de l’Afrique : ouvrir le présent à l’avenir ». L’occasion, pour les dirigeants politiques d’Afrique et de Corée, de présenter leurs visions et stratégies en matière d’industrialisation, ainsi que des idées pour surmonter les défis à venir s’agissant de mise en œuvre. La BAD commentera également la version actualisée de Perspectives économiques en Afrique qui vient de paraître. Le Forum annuel du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique se déroulera du 25 au 27 juin, à Tunis. Il aura pour thème principal : « Le rôle des banques africaines dans l’intégration du continent. » Différents intervenants sont attendus, au cours de séances plénières et de débats. Entre autres questions, la contrainte des normes prudentielles sera abordée. Pour en savoir plus : www.club-banque.net


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BRÈVES INTERNATIONAL

AFRIQUE DE L’OUEST RÉGIONAL

PRÊT JAPONAIS DE 700 MILLIONS $ AU FAD L’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a signé le 7 février un accord de prêt de 73,601 milliards de yens (environ 700,9 millions $) avec le Fonds africain de développement (FAD), au titre de l’Aide publique au développement (APD). Ce prêt représente la contribution du Japon à la 14e reconstitution du Fonds (FAD-14) et constitue le premier prêt d’APD de la JICA au FAD. Le prêt permettra au FAD de soutenir les pays bénéficiaires pendant la période du FAD-14 (1er janvier 2017 au 31 décembre 2019), et contribuera à la croissance économique ainsi qu’à la réduction de la pauvreté dans les pays les moins développés. « Avec ce prêt de 700 millions $ qui vient

s’ajouter aux 328 millions $ sous forme de dons, le Japon a largement contribué à la capacité d’engagement du FAD pour la période 2017-2019 », commente le président du Groupe de la BAD, Akinwumi Adesina, soulignant que « le Japon est le deuxième plus grand contributeur du FAD en termes cumulatifs. Le Japon a augmenté ses contributions de manière significative au fil du temps ». Selon l’ambassadeur du Japon en Côte d’Ivoire, Hiroshi Kawamura, « cette contribution portera la participation du gouvernement japonais à 7,3 %, contre 6,7 % pour le FAD-13 ». Le versement du prêt s’étalera sur la période du FAD-14, jusqu’au 31 décembre 2019.

LA BID SOUTIENT ORABANK Oragroup, holding du groupe bancaire Orabank, a reçu 40 millions d’euros à la suite de l’accord de financement signé en décembre 2017 avec la Société islamique pour le développement du secteur privé (SID), filiale de la BID (Banque islamique de développement). Ces fonds vont permettre à Oragroup, via ses filiales Orabank Gabon, Orabank Togo et Orabank Côte d’Ivoire (ainsi que les succursales d’Orabank Côte

d’Ivoire au Burkina Faso, en Guinée Bissau, au Mali, au Niger et au Sénégal), de financer de manière exclusive dans les prochains mois, des projets éligibles portés par des PME opérant dans les pays membres de la SID. L’accord prend la forme d’un contrat de Wakala entre la SID et chacune des filiales sélectionnées. « Avec cette ligne de financement, nous allons augmenter significativement notre impact sur le développement économique de la région : création d’emplois, industrialisation de nos économies, transformation locale et création de valeur, redistribution de la richesse, lutte contre la pauvreté, émergence d’une classe moyenne… », a réagi Binta Touré Ndoye, directrice générale d’Oragroup. « Les PME sont la clé de la croissance inclusive et du décollage africain, or elles sont pour l’instant les grandes oubliées des acteurs bancaires traditionnels. Ce programme avec la SID va nous permettre de faire un pas supplémentaire dans cette direction avec une plus grande inclusion financière. »

Nouveau système d’information SAB pour la CIF La Confédération des institutions financières d’Afrique de l’Ouest (CIF), acteur majeur de la microfinance en Afrique subsaharienne, a confirmé son choix du progiciel de gestion bancaire SAB AT pour son système d’information. Le contrat de fourniture du nouveau système a été signé le 5 mars à Ouagadougou en présence d’Henri Assaf, directeur général de la SAB française, et Inoussa Savadogo et Alou Sidibé, respectivement président et directeur général de la CIF. Regroupement de six établissements de microfinance localisés dans divers pays d’Afrique de l’Ouest : la Faîtière des Caisses populaires du Burkina (FCPB) ; la Faîtière des Caisses d’épargne et de Crédit Agricole mutuel du Bénin (FECECAM-Bénin) ; la Faîtière des Unités coopératives d’épargne et de crédit du Togo (FUCEC-Togo) ; l’Union des Caisses mutuelles d’épargne et de crédit du Mali (KAFO JIGINEW) ; le Réseau des Caisses d’épargne et de crédit du Mali (NYESIGISO) ; et l’Union des Mutuelles du partenariat pour la mobilisation de l’épargne et le crédit au Sénégal (UM-PAMECAS), la CIF est le réseau le plus puissant de microfinance dans la zone Uemoa, avec notamment plus de 4 millions de clients. Le projet consistera à concevoir une solution commune aux six établissements, basée sur SAB AT et les progiciels de ses partenaires Digitech, Mapping et Arabsoft, et à la déployer successivement par lot de pays, en respectant un planning de trois années.


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BRÈVES INTERNATIONAL

DIX NOUVEAUX ENGAGEMENTS DE LA BOAD Le conseil d’administration de la BOAD (Banque ouest africaine de développement), présidé par Christian Adovelande, a approuvé de nouvelles opérations dont 15 prêts à moyen et long termes pour un total de 190 milliards de F.CFA, portant sur le financement partiel de : Trois projets en Côte d’Ivoire : - Construction de barrages et aménagements de périmètres irrigués dans le district de Denguélé (régions de Kabadougou et de Folon) et quatre barrages. Montant : 15,5 milliards de F.CFA (22,6 millions d’euros). - Aménagement et gestion intégrée du bassin-versant du Gourou, pour renforcer et sécuriser le réseau d’assainissement du district d’Abidjan. Montant : 29,5 milliards de F.CFA (45 millions d’euros). - Implantation d’une unité de production de ciment par les Ciments de Côte d’Ivoire (Cimivoire), filiale du Cim Metal Group burkinabé. Montant : 25 milliards de F.CFA (38,1 millions d’euros).

Trois projets au Burkina Faso : – Programme d’appui au développement des économies locales (PADEL) 2017-2020 dans sept régions (Sahel, Nord, Boucle du Mouhoun, Est, Centre nord, Centre est, Centre sud). Montant : 30 milliards de F.CFA (45,7 millions d’euros). - Renforcement du réseau d’assainissement des eaux pluviales de Ouagadougou (phase 3). Montant : 10 milliards de F.CFA (15,2 millions d’euros). - En faveur de Fidelis Finance – Burkina Faso, création d’une sixième ligne de refinancement d’investissements productifs dans les secteurs éligibles, comportant un volet « Accord-cadre de refinancement (ACR) » et un volet « ligne de crédit-bail ». Montant : 5 milliards de F.CFA. Deux projets au Sénégal : - Programme prioritaire de désenclavement du Sénégal (phase III). Montant : 30 milliards de F.CFA. - Extension des capacités des Ciments du Sahel (CDS) à Kirène. Montant : 25 milliards de F.CFA. Un projet au Bénin : - Programme d’assainissement pluvial de Cotonou (tranche d’urgence). Montant : 20 milliards de F.CFA. Le conseil d’administration a également approuvé une prise de participation de la BOAD au capital du Fonds Cauris IV pour une durée de vie de dix ans. L’objectif est d’investir dans des PME (dont 20 % dans des entreprises en création) recherchant du capital et de l’expertise, dans les régions cibles (pays de la Cedeao hors Nigeria et d’Afrique centrale francophone). Montant : 5 milliards de F.CFA.

BURKINA FASO

ACCORD TRIENNAL AVEC LE FMI

Le Fonds monétaire international a approuvé le 14 mars en faveur du Burkina Faso un nouvel accord triennal 2018-2020 au titre de la facilité élargie de crédit (FEC) pour un montant de 108,36 millions de DTS (environ 157,6 millions de dollars, ou 90 % de la quotepart du pays) en appui au programme national de réformes économiques et financières. Le programme vise à atteindre une position viable de la balance des paiements, à réaliser une croissance inclusive et à réduire la pauvreté en créant un espace budgétaire pour les dépenses prioritaires dans les domaines de la sécurité, de la politique sociale et de l’investissement dans les infrastructures. Il a également pour objectif de catalyser des financements officiels et privés, ainsi que de renforcer la résilience à des chocs économiques futurs. La décision du conseil d’administration permet de décaisser immédiatement 18,06 millions de DTS (environ 26,3 millions $). Le solde sera échelonné sur la durée du programme, sous réserve de revues semestrielles. Selon Mitsuhiro Furusawa (FMI), « les perspectives économiques du Burkina Faso sont globalement favorables, mais sont exposées à des risques. La croissance économique s’est accélérée et les recettes ont augmenté. La situation sécuritaire et des problèmes internes constituent les principaux risques pesant sur les perspectives ».


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AFRIQUE DE L’OUEST

AGRÉMENT POUR LA BANQUE AGRICOLE Le Premier ministre, Paul Kaba Thieba, a présidé le 22 mars une réunion d’information sur la création de la Banque agricole du Faso (BADF), en présence des acteurs du monde paysan, des banquiers, des responsables du système financier décentralisé, des assurances… « La commission bancaire de l’Uemoa a jugé notre projet crédible et réalisable, lors de sa session du 14 mars dernier, et a octroyé l’agrément à notre banque, à votre banque. » Évoquant la disparition de la Caisse nationale de Crédit Agricole, le chef du gouvernement a déclaré que toutes les dispositions sont prises pour pérenniser cet outil grâce à un mécanisme bien étudié et un dispositif de fonctionnement densifié. L’actionnariat de la nouvelle entité compte 13 organisations du monde rural, trois sociétés d’État,

huit sociétés privées et 70 personnes physiques, pour un capital de 14, 277 milliards de F.CFA (21,8 millions d’euros), contre 10 milliards de F.CFA au minimum exigés par la réglementation bancaire en vigueur. Le secteur bancaire classique n’a pas toujours accompagné comme il le faut le monde agricole, reconnaissait le Premier ministre, relevant le faible taux de financement accordé aux producteurs, de l’ordre de 15 %. Cette nouvelle banque corrigera les faiblesses structurelles du monde rural, offrant la possibilité d’appuis pour la maîtrise de l’eau à des fins agricoles ou d’élevage, le développement de l’entrepreneuriat agricole et agroalimentaire, le renforcement de la liaison productionmarché… De son côté, le président de la Confédération paysanne du Faso, Bassiaka Dao, a demandé aux autorités de veiller à ce que les politiques ne se mêlent pas de la gestion administrative ou financière, ni des conditions d’octroi des crédits, comme cela fut le cas dans le passé.

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BRÈVES AFRIQUE DE L’OUEST CÔTE D’IVOIRE

1,14 MILLIARD D’EUROS DE LA BANQUE MONDIALE Le président Alassane Ouattara a reçu le 23 mars, à Abidjan, le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, Makhtar Diop. À l’issue de l’entretien, ce dernier a annoncé un soutien de plus de 750 milliards de F.CFA (1,14 milliard d’euros) de son institution à la Côte d’Ivoire en faveur du secteur agricole. « Dans le domaine de l’agriculture, nous allons, très bientôt, présenter au conseil d’administration de la Banque mondiale un projet de 200 millions de dollars, soit environ 110 milliards de F.CFA pour appuyer le secteur de l’anacarde. Plus tard dans le courant de l’année, c’est un autre projet de 300 millions $, soit environ 150 milliards de F.CFA, qui sera mis en œuvre pour appuyer la filière cacao », a déclaré Makhtar Diop. « Ce soutien s’explique par l’importante production d’anacarde et aussi par le poids de la filière cacao dans l’économie ivoirienne », a-t-il précisé. Makhtar Diop a également annoncé la mise à la disposition du gouvernement ivoirien, au cours de cette année fiscale de la Banque qui se termine en juin, de 1 milliard $ supplémentaire, pour soutenir les efforts de développement du pays.

DÉMARRAGE DE LA BRM SÉNÉGALAISE Le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, a présidé le 9 février à Abidjan le lancement de la succursale ivoirienne de la Banque régionale de marchés (BRM) sénégalaise. « Les réformes, notamment celle du crédit-bail, devraient permettre aux banques et établissements financiers d’améliorer l’offre de crédit pour accompagner les opérateurs économiques dans le financement de leurs activités, en particulier les PME, moteurs d’une croissance plus inclusive », a déclaré le chef du gouvernement. De même, « la classe moyenne en pleine expansion, devrait également avoir accès aux meilleures offres de services bancaires et financiers à des taux d’intérêt soutenables. » Le Premier ministre a souligné la détermination du gouvernement à accompagner la BRM dans la réussite de sa mission en Côte d’Ivoire. Le président de la BRM,

Mansour Cama, a pour sa part exprimé l’engagement de son groupe à soutenir les grands projets du pays. La BRM est la première institution bancaire de la zone de l’Uemoa, spécialisée par choix stratégique dans les activités de banque d’affaires et de marchés. Créée en décembre 2005 et opérationnelle depuis mai 2007, la BRM a un actionnariat diversifié : TransAfrica Holdings, BEI, BOAD, Amsa-Vie, Caisse de sécurité sociale du Sénégal, SONAM Mutuelle, Prévoyances Assurances, CNART Assurances, La Sécurité Sénégalaise et des promoteurs et personnes physiques. Ces derniers détiennent 45,5 % du capital, les investisseurs institutionnels régionaux 29,1 %, les institutions financières de développement 16 % et les investisseurs internationaux 9,4 %.

SOUTIENS DES ÉTATS-UNIS À LA SANTÉ Deux accords de coopération de plus de 167 milliards de F.CFA (255 millions d’euros) ont été signés le 15 mars à Abidjan avec les États-Unis par le ministre ivoirien des Affaires étrangères, Marcel AmonTanoh, pour renforcer la santé et la gouvernance, « L’USAid nous accorde un don dans le domaine de la santé durable d’une valeur de 164,92 milliards de F.CFA, et un don dans le domaine de la promotion de la paix et la bonne gouvernance à hauteur de 2,251 milliards de F.CFA. Ces dons permettront d’aider au développement économique et social de la Côte d’Ivoire », a déclaré le ministre. Pour sa part, la chargée d’Affaires de l’ambassade des États-Unis, Katherine

Brucker, a annoncé que l’aide américaine à la Côte d’Ivoire avoisinera les 300 millions $ (160 milliards de F.CFA) par an dans les années à venir. Katherine Brucker avait participé le 12 mars à la toute première réunion sur l’orientation stratégique de la première étude nationale sur l’impact du VIH, une enquête qui a porté sur plus de 20 000 personnes à ce jour. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a bénéficié début mars de l’Initiative présidentielle américaine de lutte contre le paludisme pour un montant de 25 millions $ (13 milliards de F.CFA), qui permettra l’achat d’intrants et médicaments au profit des populations de 34 districts sanitaires.


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AFRIQUE DE L’OUEST

PROMOTION DE LA MICROFINANCE Le ministre de l’Économie et des finances, Adama Koné, a présidé le 22 mars à Abidjan l’ouverture de la première édition des Journées nationales de la microfinance (JNM). « Le gouvernement a décidé d’accompagner et de soutenir davantage le secteur de la microfinance, afin de le rendre plus inclusif et plus performant », a déclaré le ministre, déplorant cependant que 16 % seulement de la population dispose d’un compte bancaire en 2016, avec un taux de pénétration de la microfinance de 6 %. Le gouvernement souhaite faire du secteur de la microfinance un acteur majeur de l’inclusion financière, en appui au secteur bancaire classique et à celui des assurances, pour restructurer et redynamiser le tissu économique et financier. À cette fin, une stratégie nationale pour l’inclusion financière a été élaborée, qui favorise l’accès de la population à une large gamme de services financiers diversifiés, avec un secteur de la microfinance assaini, restructuré et professionnel. Adama Koné s’est toutefois félicité que le secteur de la microfinance soit déjà en voie de professionnalisation et de modernisation. Ainsi, au 31 décembre 2017, le système financier décentralisé enregistrait 1,3 million de clients et 34,2 milliards de F.CFA de fonds propres, pour une épargne mobilisée s’établissant à 306,6 milliards de F.CFA (467,4 millions d’euros).

Le chantier de la Caisse des dépôts avance La Côte d’Ivoire a choisi les banques d’affaires Benoit & Associés et one2five advisory, firme dirigée par Benoît Chervalier dédiée au conseil financier souverain en Afrique, pour mettre en place sa Caisse des dépôts et consignations. L’institution centralisera la gestion des dépôts réglementés et des fonds de retraites. Surtout, elle constituera un outil innovant dédié au financement à moyen et long terme de l’économie ivoirienne, en particulier dans le domaine des PME et des infrastructures. Les deux banques d’affaires réaliseront une levée de fonds internationale, notamment en Asie. L’économie ivoirienne a augmenté de 7,6 % en 2017 et l’État vient de réussir une levée obligataire eurobond de 1,7 milliard d’euros en deux tranches, avec pour la première fois de l’histoire financière africaine, une maturité à trente ans.

MALI

ACCORD PRÉLIMINAIRE AVEC LE FMI Une mission du FMI, dirigée par Boriana Yontcheva, a séjourné à Bamako du 12 au 16 mars 2018 pour achever les entretiens sur la huitième revue du programme économique et financier du Mali qui est soutenu par la facilité élargie de crédit (FEC) du FMI, ainsi que sur les consultations de 2018 au titre de l’article IV. La première partie des entretiens s’était tenue du 29 octobre au 11 novembre 2017.

« Les autorités maliennes et les services du FMI sont parvenus à un accord préliminaire, sous réserve de l’approbation par la direction et le conseil d’administration du FMI. Il est prévu que ce dernier examine le rapport des services du FMI en avril 2018. L’achèvement de la revue permettra de mettre à disposition du Mali 31,65 millions de DTS (environ 46 millions $) », a déclaré Boriana Yontcheva à l’issue de la mission. « L’économie malienne a continué de se redresser en 2017 malgré des défis sécuritaires persistants. La croissance du PIB reste vigoureuse, à 5,3 % selon les estimations, portée par de bonnes récoltes et une demande intérieure robuste. L’inflation a été modérée, restant bien en deçà du plafond régional. Les résultats budgétaires ont dépassé les projections du programme. Le déficit budgétaire de 2017 a été limité à 3 % du PIB : les dépenses ont été réduites, l’aide extérieure ayant été inférieure aux prévisions d’environ 0,8 % du PIB, et les recettes ont été légèrement supérieures à l’objectif fixé. Les perspectives macroéconomiques demeurent globalement positives, mais l’économie fait face à des risques de détérioration croissants, notamment en raison d’une situation sécuritaire volatile. Par ailleurs, d’éventuelles pressions sur les dépenses pendant une année électorale et la diminution de l’aide extérieure représentent des risques budgétaires », a-t-elle précisé.

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BRÈVES AFRIQUE DE L’OUEST MAURITANIE

SÉNÉGAL

1,5 MILLIARD $ D’AFREXIMBANK La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) attirera 1,5 milliard $ vers la Mauritanie pour financer le développement du commerce et les infrastructures s’y rapportant, aux termes d’un protocole d’accord signé le 19 février à Nouakchott par son président Benedict Oramah, qui conduisait une délégation d’investisseurs et de responsables de la banque. À l’issue d’une rencontre avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz et plusieurs ministres, Benedict Oramah a déclaré que la banque voyait des opportunités pour « soutenir le Plan stratégique pour la croissance accélérée et la prospérité partagée de la Mauritanie à travers le financement de projets clés qu’elle a identifiés dans les secteurs de l’agro-industrie, des pêches, de la construction d’hôtels et de la logistique et infrastructures liées. » Sur le montant annoncé, 500 millions $ iront au développement du secteur privé, sous forme de lignes de crédit aux banques locales. Le milliard restant sera levé par Afreximbank après évaluation de projets éligibles soutenant la construction d’infrastructures facilitant le commerce, de parcs industriels, de zones économiques spéciales et d’unités de transformation du poisson. Les investisseurs venaient des secteurs énergie, pétrole et gaz, services financiers, agriculture, télécoms, immobilier et industrie d’Égypte, du Burkina Faso, du Nigeria et de Tunisie.

Benedict Oramah

123 communes pour la phase pilote du Pacasen La Banque mondiale a approuvé un crédit IDA de 110 millions $ en faveur du Programme d’appui aux communes et aux agglomérations du Sénégal (Pacasen), qui permettra d’améliorer radicalement la gouvernance et l’efficacité des services publics au niveau local. Le premier objectif est d’améliorer les finances locales en augmentant les dotations de l’État aux collectivités locales, en introduisant des critères d’allocation objectifs et équitables, et en renforçant les capacités des municipalités afin qu’elles soient en mesure de développer leurs recettes propres. Le programme vise en second lieu à rationaliser la gestion des investissements publics au niveau d’un certain nombre de collectivités urbaines afin d’améliorer les services à la population. « Le nouveau programme devrait aboutir en cinq ans à une hausse remarquable des infrastructures de services publics municipales et redynamiser, au niveau national, le processus de décentralisation budgétaire et administratif, conformément aux objectifs de l’Acte III de la décentralisation », déclarait Louise Cord, directrice des opérations de la Banque mondiale pour le Sénégal. L’opération bénéficiera d’un cofinancement de 80 millions d’euros de l’AFD (Agence française de développement). Le coût total du Pacasen est évalué à 260 millions $ (139 milliards de F.CFA)

DE L’ÉLECTRICITÉ POUR L’EST DE DAKAR La JICA (Agence japonaise de coopération internationale) a signé le 8 février à Dakar un accord de don de 2,934 milliards de yens (14,7 milliards de F.CFA) avec le gouvernement sénégalais, pour le projet de réhabilitation d’urgence et de renforcement du réseau de distribution énergétique dans la région de Dakar. Le projet prévoit la réhabilitation et le renforcement d’une station de commutation de la cimenterie SOCOCIM, située dans la partie est de la région de Dakar, en la transformant en sous-station. Le projet permettra également d’améliorer le réseau de distribution dans la région environnante afin de stabiliser l’approvisionnement énergétique dans la partie est de la région de Dakar, en particulier dans les nouvelles zones de développement. TOGO

APPUI DE LA BID À LA MICROFINANCE Le ministre de l’Économie et des finances, Sani Yaya, a signé le 14 mars à Djeddah avec le président de la BID (Banque islamique de développement), Bandar Mohamed Hamza Hajjar, deux accords de prêt d’un montant total de 20 millions $ (10,7 milliards de F.CFA) pour le financement du projet d’appui à la microfinance (un prêt sur les ressources du Fonds de solidarité islamique pour le développement/FSID et un prêt sur les ressources ordinaires de la BID, de 10 millions  $ chacun). Ce dispositif vise l’amélioration de la finance inclusive, la réduction de la pauvreté et le renforcement de la résilience des bénéficiaires aux chocs socio-économiques et climatiques. Ce projet, selon le ministère de l’Économie et des finances, « permettra d’améliorer les conditions de vie et de créer des emplois par le renforcement des capacités financières, techniques et institutionnelles des partenaires et des parties prenantes en matière d’appuis à la finance inclusive. Au moins 60 000 personnes seront formées et auront accès à la microfinance et à la finance islamique. De plus, environ 1 000 emplois seront créés ».


BRÈVES

AFRIQUE DE L’OUEST

NOUVEL APPUI CHINOIS L’ambassadeur de Chine au Togo, Liu Yuxi, et le ministre de l’Économie et des finances, Sani Yaya, ont signé le 13 février à Lomé un accord de coopération économique et technique sous forme de don d’un montant de 100 millions de yuans, soit environ 8,4 milliards de F.CFA. Selon le ministre, cette enveloppe globale pourra être utilisée pour des projets à convenir d’un commun accord, et dont les conventions seront signées ultérieurement entre les deux pays. « Après environ un demi-siècle de relations diplomatiques fructueuses, la Chine a contribué au développement de la nation togolaise avec diverses réalisations dans des domaines variés, notamment la construction de l’aéroport international Gnassingbé Eyadema, le stade de Kegué, le nouveau parlement en construction… Cette coopération continuera de se renforcer et permettra d’accroître le portefeuille de projets d’intervention de la Chine en faveur du Togo », a déclaré Sani Yaya.

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AFRIQUE CENTRALE RÉGIONAL

Cinq nouveaux financements de la BDEAC La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) a approuvé cinq propositions de financement pour un montant total 33,125 milliards de F.CFA (50,5 millions d’euros), en faveur des projets suivants : - Au Gabon, le développement d’une infrastructure de stockage des hydrocarbures à Libreville par la société Gabon Global Logistics (GGL) pour 20 milliards de F.CFA ; et la réhabilitation et l’élargissement de la route nationale PK 5 - PK 12 pour 5 milliards de F.CFA ; - En Centrafrique, la création d’un complexe agro-industriel de palmiers à huile par la société Palm d’Or pour 4,5 milliards de F.CFA ; - Au Cameroun, la construction de

la petite centrale hydroélectrique de Mbakaou Carrière pour 800 millions de FCFA ; - En Guinée Équatoriale, la construction du Centre hospitalier Mama Bang à Bata, pour 2,9 milliards de F.CFA. Dans le cadre de la mobilisation de nouvelles ressources, le conseil d’administration a par ailleurs approuvé la mobilisation de deux lignes de crédit auprès de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) pour un montant total de 35 millions $ (18,6 milliards de F.CFA). Ces nouvelles ressources vont procurer à la BDEAC davantage de moyens pour le financement des projets des PME-PMI de la Cemac.


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BRÈVES

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BRÈVES AFRIQUE DU NORD CAMEROUN

Nouveaux financements publics

Le président Paul Biya a autorisé par décrets en date du 2 février 2018 le ministre de l’Économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, Louis Paul Motaze (remplacé le 2 mars par Alamine Ousmane Mey), à signer :

CENTRAFRIQUE

APPUI DE LA BAD AUX RÉFORMES ÉCONOMIQUES Le ministre de l’Économie, du plan et de la coopération, Félix Moloua, et le responsable-pays de la BAD pour la Centrafrique, Joel Sibaye Tokindang, ont signé le

- Avec la Société Générale une convention de crédit acheteur de 140,065 millions d’euros (91,88 milliards de F.CFA) et une convention de crédit financier de 25,578 millions d’euros (16,78 milliards de F.CFA) pour le financement du Projet de renforcement et de stabilisation des réseaux de transport d’électricité de la ville de Douala - Avec la Société internationale islamique de financement du commerce (ITFC), du groupe de la BID, un accord de prêt Mourabaha de 68 millions d’euros (44,61 milliards de F.CFA) pour le financement des importations de pétrole brut de la Société nationale de raffinage (Sonara) - Et avec l’IDA (Banque mondiale) un accord de prêt de 19,9 millions de DTS (16,6 milliards de F.CFA) pour le financement additionnel du Projet de renforcement des capacités du secteur minier (Precasem). Le chef de l’État a par ailleurs autorisé par décret en date du 2 février également le ministre des Finances, Alamine Ousmane Mey (remplacé le 2 mars par Louis Paul Motaze), à émettre des titres publics d’un montant maximum de 260 milliards de F.CFA (396,4 millions d’euros) pour le financement des projets de développement inscrits dans la loi de Finances 2018.

5 février à Bangui un accord de don d’environ 10,2 millions $ destiné à financer la seconde phase du Programme d’appui aux réformes économiques et financières (PAREF II). Cet appui budgétaire programmatique contribuera à l’amélioration de la gestion des finances publiques et à la relance de la croissance économique, parmi les priorités du Plan national de relèvement et de consolidation de la paix pour la Centrafrique (RCPCA) adopté en octobre 2016. De manière spécifique, cet appui vise à améliorer le recouvrement des recettes fiscales ; la transparence et le taux d’exécution du budget (notamment dans les secteurs sociaux) ; et à consolider la croissance économique à travers une amélioration du climat des affaires et de la gouvernance dans les secteurs productifs comme l’agriculture, la forêt et les mines.

RD CONGO

PRÊT DE LA BAD À RAWBANK La Banque africaine de développement a accordé le 7 mars un prêt de 15 millions $ à la Rawbank congolaise, première banque commerciale du pays avec 24 % de parts de marché et 300 000 clients. Au prêt s’ajoute une subvention d’assistance technique au profit de Rawbank pour des programmes de formation et de renforcement des capacités des promoteurs de PME. Rawbank a été sélectionnée mi-février par la SFI, filiale de la Banque mondiale, comme première institution financière privée pour recevoir et dispenser cette formation Business Edge en Afrique centrale. Cette action ciblera les femmes entrepreneures. Cette première collaboration de la BAD avec la Rawbank permettra, en premier lieu, de soutenir le secteur privé en RD Congo,

en particulier les PME qui bénéficieront de 30 % de la ligne de crédit. En second lieu, ce prêt permet à la BAD d’apporter son concours à un groupe bancaire solide, à capitaux africains, et doté d’une volonté d’accompagner les acteurs économiques congolais dans leur effort de croissance. Le prêt sera en priorité affecté aux besoins en capitaux à moyen et long termes d’une quinzaine de projets dans les secteurs de l’industrie, des infrastructures, de la construction, de l’hôtellerie, de la distribution et du commerce. Outre l’appui important au secteur privé, il va soutenir des projets dans des secteurs clés de l’économie congolaise, la création de milliers d’emplois ainsi que l’accompagnement de centaines d’entrepreneurs locaux de PME.



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BRÈVES

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BRÈVES AFRIQUE DU NORD TCHAD

GABON

REMBOURSEMENT DE LA DETTE INTÉRIEURE L’État gabonais a signé une convention de règlement définitif de sa dette intérieure – dette due par l’État aux entreprises locales – avec un ensemble de créanciers constitués sous la forme d’un Groupement d’intérêt économique, dénommé « Club de Libreville », dont le chef de file est le groupe BGFI Bank. L’avantage de ce mécanisme est de permettre la consolidation et le rééchelonnement de la dette détenue par l’État. « L’effort de remboursement est conséquent », souligne la présidence de la République. Il porte sur un montant de 310 milliards de F.CFA, soit 77 % du montant total de la dette initiale évaluée à 400 milliards de F.CFA (610 millions d’euros). Au final, 177 entreprises gabonaises regroupées au sein de ce GIE en bénéficieront, les PME étant particulièrement privilégiées. « C’est un signal fort envoyé au secteur privé qui retrouve des marges de manœuvre pour investir et qui regagne confiance dans la parole de l’État », souligne le directeur de cabinet du président de la République, Brice Laccruche Alihanga. « La renégociation et la restructuration de la dette publique dans des termes plus favorables nous permettent in fine de retrouver les capacités nécessaires pour relancer l’économie à travers des politiques d’investissement ambitieuses. »

En contrepartie de cet effort important opéré par l’État gabonais, les entreprises bénéficiaires se sont engagées à réinvestir une partie des montants remboursés afin de participer à la relance de l’économie nationale sous la forme de création d’emplois, de reprise des chantiers arrêtés, etc. Le directeur général du Budget et des finances publiques, Fabrice Andjoua Bongo Ondimba, rappelle que le Club de Libreville « n’est pas une nouveauté. Nous sommes aujourd’hui à la 7e tranche de ce club. » Le directeur général de la Dette, Hugues Mbadinga Madiya, précise : « Selon la dernière revue du FMI, le taux d’endettement du Gabon est de 59 % du PIB. Voici trois ans, il était de l’ordre de 37 - 39 % du PIB. De manière chiffrée, cela représente près de 4 100 milliards de F.CFA, dont près de 60 % de dette extérieure et le reste de dette intérieure. Pour des raisons de transparence dans le cadre du programme avec le FMI, nous avons comptabilisé des éléments que nous n’intégrions pas à l’époque dans la dette. Ce sont tous ces éléments consolidés qui constituent l’encours de la dette gabonaise aujourd’hui… Ce taux reste raisonnable au regard des critères de convergence de la zone Cemac qui sont de 70 %. Mais notre objectif est de revenir à un seuil stratégique qui avoisinerait les 40 %. »

Projet d’irrigation avec le Koweit

Issa Doubragné, ministre de l’Économie et de la planification du développement, et Hamad S. Al-Omar, directeur général adjoint du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe (FKDEA), ont signé le 20 février à NDjaména un accord de prêt de 7 millions de dinars koweïtiens (23,8 millions $) en faveur du Projet d’irrigation dans les régions du lac Tchad et du Bahr El Gazel. Celui-ci vise l’irrigation de 1 684 hectares de terres agricoles à partir de deux sources, le lac et les eaux souterraines. Le coût total du projet est évalué à 15,89 milliards de F.CFA (24,2 millions d’euros). Le projet comprend principalement des travaux de génie civil et d’électromécanique pour aménager les terres agricoles et construire cinq réseaux d’irrigation : Talia (1 227 ha) et Yaola (350 ha) dans la région du lac Tchad, et Hamatiya 1, 2 et 3 (respectivement 23 ha, 65 ha et 19 ha) dans le Bahr El Gazel.


BRÈVES

AFRIQUE CENTRALE

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AFRIQUE DU NORD

ALGÉRIE

LE FNI SOUTIENT LES TECHNOPARCS L’Agence nationale de promotion et de développement des parcs technologiques (ANPT), « vient d’acquérir un prêt de 15 milliards de dinars du Fonds national d’investissement (FNI) après approbation par le Conseil des participations de l’État (CPE), en janvier dernier, du programme de développement des infrastructures de l’Agence ». Ce plan d’appui aux entreprises et startups spécialisées dans les TIC, prévoit un montant de 6 milliards DA (42,7 millions d’euros) pour le parachèvement de certaines structures du cyberparc de Sidi Abdellah à Alger, 4 milliards DA (28,5 millions d’euros) pour le technoparc d’Annaba, 2,5 milliards DA pour la réalisation du technoparc d’Oran et plus de 2 milliards DA pour le technoparc de Ouargla. Pour le cyberparc de Sidi Abdellah, 2 milliards DA concerneront l’achèvement en centre d’affaires de deux tours et d’un auditorium de 600 places, initialement conçus comme un hôtel et dont les gros œuvres sont achevés depuis plusieurs années. « Un data center commercial est également prévu » précise son directeur général, Abdelhakim Bensaoula. Au technoparc d’Annaba, « un mini-multilocataires et un incubateur seront opérationnels au mois de mai prochain. Un projet de réamé-

nagement ou de remise en état de bâtiments déjà existants (qui appartenaient à l’entreprise SIDER et repris par l’ANPT en 2011) est en cours afin de les exploiter dès mai prochain », et l’ANPT a prévu « un espace de 2 000 m2 qui va être mis à la disposition de micro-entreprises ». Concernant le technoparc d’Oran, « le lancement des travaux est imminent. Le projet sera réalisé sur un terrain vierge situé à proximité de l’université ». À Ouargla, des discussions « sont en cours » avec l’administration locale « pour délimiter la parcelle de terrain prévue à cet effet afin d’entamer les travaux qui débuteront au courant de cette année ». MAROC

COOPÉRATION BMCE BANK OF AFRICA - CHINA DEVELOPMENT BANK Un mémorandum d’entente a été signé, le 23 mars à Casablanca, entre Liu Xin, directeur général, branche Zhejiang, de China Development Bank (CDB) d’une part, et Brahim Benjelloun Touimi, administrateur directeur général exécutif délégué de BMCE Bank of Africa et président de BoA Group, et Mohammed Agoumi, directeur général délégué, en charge de la Coordination de l’international de BMCE Bank of Africa, d’autre part. À travers cet accord, CDB et BMCE Bank Of Africa visent à renforcer la coopération et l’investissement entre les entreprises des deux pays, en marge du mémorandum d’entente relatif à l’initiative « One Belt, One Road » signé entre le Maroc et la Chine en novembre 2017. Selon la BMCE Bank Of Africa, la signature du mémorandum d’entente intervient dans un contexte de développement des programmes d’infrastructure incluant transports, construction automobile, parc technologique, investissement et commerce, outre des projets de développement durable liés aux questions sociales et à l’environnement, qui renforcent la pertinence des projets précités. Cet accord intervient en marge de l’ouverture imminente de la succursale BMCE Bank of Africa à Shanghai.

SANLAM MONTE À 100 % DANS SAHAM FINANCES Le groupe sud-africain Sanlam a conclu le 8 mars des accords par lesquels il porte à 100 % sa participation (directe et indirecte) dans la société marocaine Saham Finances, pôle assurance du groupe Saham, dont il détenait déjà 46,63 % du capital (30 % acquis en février 2016 et 16,63 % en mai 2017). Sanlam acquiert toutes les actions de Saham Assurance SA, propriétaire des 53,37 % restants de Saham Finances, auprès de Moulay Hafid Elalamy et de Ghita Lahlou El Yacoubi. La transaction représente un montant de 1,05 milliard de dollars. La transaction, effectuée sur la base d’un prix de 1 450 Dh l’action de Saham Assurance Maroc, oblige Sanlam à lancer une offre publique d’achat (suivie d’un probable retrait de la cote) auprès des actionnaires minoritaires. « Suite à cette acquisition, Sanlam, avec le réseau de Saham Finances, couvre 39 pays dans l’assurance-vie et non-vie et ambitionne de développer davantage sa présence sur le continent africain. L’opération s’inscrit dans la stratégie d’extension de la couverture géographique à l’international du groupe Sanlam et permet ainsi de consolider sa position au rang de leader du secteur de l’assurance en Afrique », selon Raymond Farhat, administrateur du groupe Saham. Moulay M’Hamed Elalamy, également administrateur de Saham, précise que les capitaux qui proviendront de la cession seront réinvestis en totalité, pour se transformer en fonds d’investissement panafricain, en s’alliant avec des partenaires internationaux. « Nous avons l’ambition de renforcer davantage sa position d’acteur stratégique continental. La cession permettra de renforcer l’impact du groupe Saham, actif dans plusieurs secteurs et qui, depuis sa base marocaine, compte plus de 14 000 collaborateurs. » Le fonds investira dans de nouveaux secteurs jugés à fort potentiel et créateurs d’emploi. Des acquisitions stratégiques sont en cours et devraient être annoncées prochainement.


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BRÈVES

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BRÈVES AFRIQUE DU NORD

LIGNE DE CRÉDIT DE LA BEI POUR ATTIJARIWAFA BANK

Mohamed El Kettani, PDG de Attijariwafa bank, et Flavia Palanza, directrice des opérations de prêt dans les pays du voisinage à la BEI (Banque européenne d’investissement), ont signé, le 5 mars à Casablanca, une ligne de crédit de 100 millions d’euros pour renforcer le soutien aux PME et ETI. Cette nouvelle ligne de crédit, octroyée à des conditions favorables grâce à la notation triple A de la BEI, permettra à Attijariwafa Bank de renforcer sa capacité d’intervention en faveur des entreprises marocaines, facilitant ainsi l’accès de ces dernières à un financement attractif et adapté à leurs besoins, notamment via des maturités plus longues de prêt. Une attention particulière sera portée au secteur industriel notamment manufacturier et aux services, ainsi qu’à l’impact social de la nouvelle ligne de crédit qui devrait soutenir environ 3 500 emplois. « Il faut retenir l’orientation à fort impact social qui sera donnée à l’utilisation de cette ligne, par le financement de projets industriels et de services qui contribueront à créer des emplois notamment pour nos jeunes », souligne Mohamed El Kettani. Qui a l’« intime conviction » que cette ligne « répondra aux besoins de financement d’activités offshore orientées à l’export comme l’écosystème automobile ».

UN 4e TRADE CENTER POUR LA BMCI La BMCI (Banque marocaine pour le commerce et l’industrie), filiale à 66,74 % de BNP Paribas, a inauguré le 7 mars son nouveau centre de compétence en commerce international, le Trade Center de Rabat, une étape importante dans le dispositif global que la BMCI souhaite mettre à disposition des entreprises à travers le pays. « Pour la BMCI, l’ouverture de ce 4e Trade Center s’inscrit dans la stratégie du One Stop Shop du réseau Corporate PME-PMI et grandes entreprises », a déclaré Idriss Bensmail, membre du directoire en charge de la Banque de l’entreprise. « Cette nouvelle initiative s’inscrit dans la démarche d’accompagnement des échanges internationaux des entreprises marocaines, et dans notre stratégie de développement dans l’ensemble des régions du Royaume. Ainsi, la BMCI ouvre à sa clientèle PME-PMI et grandes entreprises les portes d’un réseau international à travers les structures spécialisées représentées par plus de 100 Trade Centers BNP Paribas, répartis sur les cinq continents. » La BMCI compte déjà trois autres Trade Center à Casablanca, Tanger et Agadir, ainsi que 15 centres d’affaires et agences entreprises. TUNISIE

APPUI DE L’AFD À LA POLITIQUE DE LA VILLE À l’occasion de la visite d’État du président Emmanuel Macron, le ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, Zied Ladhari, et le directeur général de l’AFD (Agence française de développement), Rémy Rioux, ont signé, le 31 janvier, une convention de crédit de 77 millions d’euros en faveur du deuxième Programme d’appui à la politique de la ville. L’AFD soutient par ce prêt souverain le nouveau programme sectoriel Proville 2 placé sous la maîtrise d’ouvrage du ministère de l’Équipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire (MEHAT) et mis en œuvre par l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (ARRU). Inscrit au plan quinquennal

de développement, ce programme vise la rénovation et l’intégration (via des travaux de voirie, de drainage, d’assainissement et d’éclairage public, la construction d’équipements sociaux collectifs, de locaux d’activité et de lotissements sociaux) de 146 quartiers à l’échelle nationale jugés prioritaires. Il intègre une composante de renforcement de capacités à destination de l’ARRU, des collectivités locales tunisiennes et du MEHAT (pilotage et mise en œuvre, maintenance des réalisations, développement d’outils d’urbanisme préventif etc.). Cofinancé par la BEI, le Proville 2 bénéficiera d’une subvention de 30 millions d’euros de l’Union européenne, gérée par l’AFD.

SOUTIEN DE LA BERD À L’UBCI Pierre Bérégovoy, directeur général de l’UBCI (Union bancaire pour le commerce et l’industrie) du Groupe BNP Paribas, et Suma Chakrabarti, président de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), ont signé le 19 février à Tunis, trois accords représentant une enveloppe totale de près de 50 millions d’euros. Le prêt de 30 millions d’euros prévu par le premier accord servira à financier les PME clientes partenaires de l’UBCI. Le second accord prévoit une ligne d’accompagnement des opérations de commerce international de 10 millions $ qui permettra à l’UBCI de soutenir les exportations et les importations de ces mêmes acteurs de l’économie tunisienne, dans le cadre du Trade Facilitation Programme (TFP) de la BERD. Une troisième ligne, de 10 millions d’euros, permettra à l’UBCI d’augmenter sa capacité de financement des gros projets, via un mécanisme de partage des risques. L’UBCI devient ainsi la première banque qui signe une ligne de partage des risques avec la BERD dans la région du sud et de l’est de la Méditerranée. Depuis septembre 2012, date à laquelle les opérations de la BERD ont commencé en Tunisie, la Banque a investi 540 millions d’euros répartis sur 31 projets à travers le territoire. Le soutien du développement régional du pays, en dehors de Tunis, est une priorité de la Banque, qui de ce fait a ouvert en octobre 2016 un deuxième bureau à Sfax.



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DÉCIDEURS

AFRICAN BANKER

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Rémy Rioux Directeur général de l’AFD

À L’HEURE DU TOUT AFRIQUE L’Agence française de développement est en pleine transformation. Rémy Rioux, qui entre dans sa troisième année à sa tête, explique ses choix stratégiques. Entretien avec Hichem Ben Yaïche

Vous présidez l’International Development Finance Club. Comment comptez-vous renforcer les synergies entre chaque banque de développement qui le compose ? L’International Development Finance Club, que je préside depuis octobre 2017, est le réseau unique des 23 plus grandes banques de développement nationales à vocation internationale. Il incarne le nouveau monde puisque trois quarts de ses membres viennent du Sud. Il pèse plus de 3 500 milliards de dollars d’actifs et réalise plus de 800 milliards $ de financements annuels. C’est le troisième pilier du financement du développement, le plus puissant financièrement, aux côtés du Système des Nations unies et des banques multilatérales de développement. Avec la capacité unique de mobiliser en profondeur nos pays pour le développement et l’action internationale. Depuis sa création en 2011, le Club a orienté ses premières activités autour du climat et du développement urbain durable. Nous multiplions aussi les liens entre nos membres et les projets en cofinancement. Mon objectif est double pour les prochaines années. D’une part, offrir encore plus de services à nos membres pour renforcer nos coopérations, préparer ensemble plus de projets et faciliter l’accès aux financements internationaux. D’autre part, je veux que la voix des banques de développement soit mieux entendue dans les débats internationaux sur le financement du développement et que notre Club reçoive plus fortement les orientations de la communauté internationale. Et bien sûr, aller beaucoup plus loin sur le climat. En 2016, nous avons collectivement contribué à hauteur de 160 milliards $ à la lutte contre le changement climatique, un montant en

hausse significative depuis la COP21. Les banques multilatérales y ont consacré, selon la même méthodologie, 30 milliards $. Il faut aller beaucoup plus loin tous ensemble. C’est l’urgence ! Vous achevez votre deuxième année à la tête de l’AFD. Dans ce cadre, où en êtes-vous de la mise en œuvre du « Tout Afrique », qui est un changement de modèle de pensée dans l’approche du continent ? « Tout Afrique », notre nouveau mot d’ordre, exprime une évidence. Si l’on cessait, dans nos têtes et dans nos organisations, de couper l’Afrique en deux, entre Afrique de Nord d’un côté et Afrique subsaharienne de l’autre, que verrait-on ? Si l’on sortait d’une vision duale du continent, quelles réalités, quelles diversités et quelles dynamiques verrions-nous apparaître ? Il faut décentrer notre regard porté sur le continent. Pour prendre toute sa mesure, d’abord : qui sait que l’Afrique pèse aujourd’hui autant, économiquement et démographiquement, que l’Inde ? « Tout Afrique », c’est aussi voir que le Sahel est au

Nous avons identifié plus de 500 nouveaux projets que nous allons mettre en œuvre pour plus de 7 milliards d’euros lors des cinq prochaines années. L’objectif est clair : atteindre directement les populations.


DÉCIDEURS

AFRICAN BANKER

JUIN - JUILLET - AOÛT 2018

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DÉCIDEURS

AFRICAN BANKER

Des domaines multiples d’intervention

JUIN - JUILLET - AOÛT 2018

Agriculture durable 8%

Gouvernance 11%

Education 2% Santé 2%

Environnement 3%

Des domaines

Financement du secteur privé 19% d’intervention multiples Eau et Education assainissement

Ville durable

2017

80%

2016

2015

Afrique

de l’effort financier total

Énergie propre 19 % Gouvernance 11%

Afrique

Eau et assainissement 12%

Ville durable 13%

Afrique

80% de l’effort financier total

Afrique

80% de l’effort

50%

des engagements

2017

2016

2015

2014

2013

10,4

2017

2016

2014

8,3

9,4

2013

Transports 10%

2015

2014

6,8

2012

Financement du secteur privé 19%

Un seuil symbolique franchi Engagements de l’AFD, en millions d’euros

2011

Agriculture durable 8%

Education 2% Santé 2%

10,4

9,4

2013

Environnement 3%

2011

Des domaines multiples d’intervention

8,3

2012

6,8

2012

2011

centre de la carte, au centre du continent. Le Sahara n’a jamais ration internationale et le développement, du 8 février dernier, 2% Environnement 12% 13% 3% clair etSanté été un désert. C’est une mer que traversent les échanges et bien Transports nous a donné un mandat exigeant, avec des moyens Financement 10% 2% des menaces, hélas, aujourd’hui. « Tout Afrique », c’est voir les accrus. Il a fixé cinq priorités pour la politique dévelopdu de secteur privé Agriculture régions et les dynamiques africaines culturelles, économiques, pement : ladurable stabilité internationale, le climat,19% l’éducation, Énergie linguistiques. Migratoires également – les migrations intral’égalité entre8% les femmes et les hommes, propreet la santé. L’AFD 19 % africaines sont plus importantes que celles entre l’Afrique et gérera des moyens en dons supplémentaires très significatifs, l’Europe. avecTransports 1 milliard d’euros dès 2019, pour contribuer fortement à Gouvernance 11% L’AFD veut être la première institution non-africaine à l’atteinte10% de la cible de 0,55 % de notre revenu national consacré voir l’Afrique comme les Africains eux-mêmes, avec ambition au développement en 2022. La priorité sera donnée au canal Énergie et avec respect. « Tout Afrique », c’est au fond sortir définitivebilatéral, qui bénéficiera de deux tiers des moyens budgétaires propre ment d’une vision héritée de l’époque coloniale. Le président supplémentaires, et un tiers pour l’aide multilatérale. Notre 19 % Emmanuel Macron, l’a dit avec force dans son discours de mandat s’élargit : insertion régionale Eau et sectoriel et géographique Ville Gouvernance assainissement durable Ouagadougou, fin novembre 2017. Car le développement, c’est des Outremers, adaptation au changement climatique dans le 12% 11% 13% aussi une question de représentations de la carte terrestre à la Pacifique, Albanie, etc. carte mentale. Et puis, nous allons constituer groupe puissant et Un seuilunsymbolique franchi « Tout Afrique », enfin, c’est la nouvelle stratégie de l’AFD cohérent avec, en plus deEngagements notre filiale Proparco dédiée de l’AFD, au ensecteur millions d’eu avec des engagements financiers en nette augmentation. Nous privé, l’entrée dans le groupe AFD d’Expertise France, l’agence Eau et Ville les avons accrus de 15 % en 2017 pour atteindre 5,2 milliards française d’expertise technique internationale. assainissement durable Nous disposerons 10,4 9,4 d’euros, soit 50 % de nos financements de l’année. Et nous allons ainsi dans le même groupe 12% de l’ensemble13% 8,3 des instruments de continuer ! C’est notre grande priorité. notre aide bilatérale : les dons,6,8 les prêts, les fonds propres, les garanties, la recherche, le secteur privé et l’expertise. Charge Avec l’augmentation des moyens financiers de l’AFD, à nous, vous avez raison d’insister sur ce point, de les utiliser comment comptez-vous rebattre les cartes pour transformer de la façon la plus agile et efficace, au service des populations cette maison et lui donner les moyens de la souplesse et de que nous souhaitons accompagner dans leurs trajectoires de l’agilité ? développement durable. L’AFD est le bras armé de l’État. Sous l’impulsion du L’AFD est la plus ancienne institution de développement gouvernement et notamment du ministre des Affaires étran– créée il y a 77 ans, en 1941 par le général de Gaulle à Londres – franchiest d’être l’agence de développement la plus gères Jean-Yves Le Drian, la politique de développement est Un seuil symbolique mais notre ambition Engagements de l’AFD, en millions d’euros fortement relancée. Le comité interministériel pour la Coopéjeune et la plus innovante !


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des engagements

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Des voix s’élèvent pour mettre en cause le principe de l’Aide au développement. Laquelle enfermerait les pays dans une logique les empêchant de se prendre en charge ou de suivre un schéma de développement en adéquation avec leur vocation. Cet outil est-il toujours pertinent ? Je vais sur le terrain très régulièrement. Pour visiter nos projets, aller à la rencontre de nos partenaires. Aussi bien les chefs d’État et les ministres, que les maires, les entrepreneurs, les paysans, les jeunes qui innovent. Eh bien oui, le monde change, il est en mouvement et c’est une excellente chose ! Si la réduction de la pauvreté demeure une priorité, beaucoup de pays et de territoires se sont enrichis. Et puis, nous avons clairement conscience désormais des « biens communs » à l’ensemble de l’humanité qu’il nous faut impérativement préserver : le climat, la santé, la biodiversité, la stabilité financière, etc. Cela ne veut pas dire que la politique de développement, notre capacité d’action collective dans la mondialisation, n’a plus de pertinence. Elle reste essentielle, même s’il faut certainement la redéfinir et la transformer, comme s’y emploie Emmanuel Macron. Elle est désormais au service des Objectifs de développement durable dont la logique puissante est en train de se déployer. Tous les pays du monde ont désormais le même agenda, constitué des 17 ODD. Cela veut dire que nous sommes tous des pays en développement, des pays en transition, à partir de points de départ très différents bien entendu. Et nous devons tous converger vers des sociétés à développement humain élevé et à faible empreinte écologique. Et le faire vite ! Et puis, la politique de développement, c’est une politique qui doit marcher dans les deux sens. Une politique de l’amitié et de l’échange. Nous sommes tous voisins et nous devons échanger sur nos expériences pour nous réinventer et nous mettre collectivement sur des trajectoires de développement durable, moins émissives en CO2, moins inégalitaires, plus inclusives et résilientes. Pour aller dans cette direction inédite et ambitieuse, je préfère parler de solidarité et de coopération plutôt que d’aide. Et parler du Sud, à mesure que l’équilibre du monde se déplace, plutôt que, de façon trop simple et un peu condescendante, des « pays en développement ». Les pays émergents et en développement représentent déjà 60 % du PIB mondial. L’investissement est plus fort au Sud qu’au Nord. La part de l’investissement dans le PIB est la même dans la zone euro qu’en Afrique subsaharienne, dont on dit pourtant qu’elle traverse une crise. La politique de développement doit se transformer pour répondre à la transformation du monde. Le président Emmanuel Macron dit qu’il n’y a pas de « politique africaine ». Mais, qu’il le veuille ou non, l’Afrique est liée à la France. Comment interprétez-vous la position présidentielle en la matière ? J’ai eu l’honneur d’accompagner le président de la République à Ouagadougou, en novembre 2017. Il a parlé sans filtre à la jeunesse et elle l’a écouté, dans un moment de grande intensité. « Lorsque je vous parle de vous, je vous parle aussi de moi », leur a-t-il expliqué. Sans donner de leçons car « je suis comme vous, d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un

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milliards €

15%

+

en Afrique

Résultats 2017, source AFD

Les Français favorables à l’aide au développement Selon les conclusions de l’enquête annuelle réalisée pour le compte de l’AFD par Ipsos, l’aide au développement est plutôt bien comprise mais les réalités de terrain sont parfois méconnues. L’institut a interrogé un panel représentatif d’un millier de Français. Ainsi, 70 % des personnes interrogées sont “favorables” à un soutien aux pays en voie de développement (PVD), bien que 26 % seulement se déclarent “bien informés” sur le sujet – un chiffre faible mais en augmentation. Les Français estiment, pour 70 % d’entre eux, que la situation des PVD peut avoir un impact sur leur vie quotidienne, en France ; ils étaient 82 % à répondre ainsi en 2015. La moitié du panel ne sait pas ce qu’est l’AFD et 43 % “en ont entendu parler”. À noter que 75 % des personnes qu’Ipsos qualifie de “bien informées” sur l’aide considèrent que celle-ci est efficace. Les Français estiment que l’aide au développement constitue “un devoir” et améliore concrètement le bien-être des populations. Sans surprise, ils placent l’éducation comme prioritaire (93 %), suivie de l’accès à l’eau et de la stabilité politique. En matière de développement, les idées reçues persistent, constate Ipsos. Si une large majorité (68 %) sait que l’Afrique enregistre une forte croissance depuis quinze ans, près de 70 % considèrent – à tort – que la scolarisation stagne en Afrique, que la migration subsaharienne va principalement vers les pays du Nord, ou bien que l’Afrique est le continent le plus en proie aux conflits. LS


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continent colonisé », parce que le rôle de l’Afrique sera central pour notre siècle et qu’il « s’y jouera une partie du basculement du monde ». Il a exposé une vision « Tout Afrique », pour faire tomber « ces barrières qu’on a longtemps mises dans nos représentations, dans nos lectures, dans nos analyses. Ce ne sont plus les barrières de l’Afrique d’aujourd’hui. Elles ne viennent que plaquer en quelque sorte un passé qui doit passer, des représentations qui ont été, des constructions qui doivent évoluer. » C’est en cela qu’il n’y a plus de politique africaine de la France. À nous, à l’AFD, de transformer cette vision en action pour convaincre la jeunesse africaine que nous la considérons et que nous souhaitons contribuer à apporter des solutions aux problèmes auxquels elle fait face. Abordons les sujets qui fâchent en Afrique : mal-gouvernance, patrimonialisation, pillage, etc. Comment faites-vous pour cheminer entre toutes ces contraintes ? La France ne saurait rester inerte face à cette situation. Évidemment. C’est un risque sérieux face auquel les banques de développement ont mis en place des procédures strictes. L’AFD a toute la rigueur d’une institution financière, supervisée par la Banque de France et appliquant les meilleures normes en matière de lutte contre la corruption ou le blanchiment d’argent. Notre action dans le domaine de la gouvernance connaît également une croissance rapide, avec plus d’un milliard d’euros d’engagements en 2017. Et puis, nous mettons fortement l’accent sur l’évaluation de nos projets pour montrer aux populations du Sud que nous servons et à nos concitoyens que leur engagement a permis la réalisation de projets et la mise en œuvre de politiques publiques qui ont changé la réalité. Plus largement, il est utile de se regrouper entre partenaires, pour être plus forts et pour innover. C’est la logique de l’Alliance Sahel, cette coalition d’acteurs résolus lancée en juillet 2017 par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Elle réunit la France, l’Allemagne, l’Union européenne – au sein de laquelle l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni s’impliquent fortement –, avec la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Programme des Nations unies pour le développement, en lien étroit avec les membres africains du G5 Sahel. Nous avons identifié plus de 500 nouveaux projets que nous allons mettre en œuvre pour plus de 7 milliards d’euros lors des cinq prochaines années. L’objectif est clair : atteindre directement les populations, pour qu’elles aient accès aux services de base (éducation, santé), à des emplois, à des ressources durables (eau, agriculture). L’AFD est fière d’accueillir l’unité de coordination de l’Alliance et s’est dotée d’une direction régionale Sahel pour coordonner nos efforts collectifs sur le terrain. C’est la mission de la politique de développement d’aller dans les zones les plus difficiles, là où personne ne va plus, à la racine des vulnérabilités. D’agir « en 3D » avec les acteurs de la défense et de la diplomatie, pour faire prendre en compte le moyen et le long terme dans le temps de la crise. Et d’avoir le réflexe d’aider les acteurs dits « non souverains », c’est-à-dire de diversifier les canaux de financement au-delà des États pour renforcer aussi les collectivités locales, les entreprises publiques et privées, les ONG et les fondations, au plus près du terrain. Ces

Je veux que la voix des banques de développement soit mieux entendue dans les débats internationaux sur le financement du développement. acteurs non souverains représentent déjà plus de la moitié des engagements financiers de l’AFD pour 5 milliards d’euros, en hausse de 30 % en 2017, une signature qui nous distingue parmi nos homologues. Quelle est la réalisation qui vous tient le plus à cœur ? Il y en a tant ! J’en citerais deux. La première, c’est l’accélération de notre mobilisation pour le climat. Avec les migrations, c’est le défi de notre génération. Il faut inciter chaque pays, par le dialogue et la mise à disposition de financement et de technologies adaptés, à se placer sur une trajectoire soutenable, qui concilie préservation de l’environnement et progrès social. Lors du One Planet Summit, le 12 décembre 2017, nous avons réuni plus de trente banques de développement, nationales et multilatérales, et nous nous sommes engagés, dans une déclaration commune, à aligner nos actions climatiques sur l’accord de Paris et à favoriser par nos financements le développement d’alternatives durables aux investissements liés aux énergies fossiles. L’AFD veut être à la pointe de ce combat. C’est le sens de notre nouvelle stratégie : être la première agence « 100 % accord de Paris ».

La deuxième chose qui me tient à cœur, c’est l’image de la politique de développement et de notre agence qui la sert. Je veux surprendre ! Je veux la changer en explorant de nouveaux domaines pour montrer que nous nous transformons et multiplier les liens entre notre pays et le Sud, dans les deux sens. L’AFD développe ses activités dans les domaines des industries culturelles et créatives, de l’enseignement supérieur, de l’innovation et du numérique, du social business, de l’éducation au développement et à la solidarité internationale. Elle a même été chargée par le président de la République de bâtir une plateforme de transformation par le sport, pour rapprocher le monde du sport et celui du financement du développement, avec les Jeux olympiques de Paris en 2024, en ligne de mire. n


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BURKINA FASO Rosine Sori-Coulibaly Ministre de l’Économie, des finances et du développement

DES INDICATEURS MACROÉCONOMIQUES SATISFAISANTS Malgré un contexte sécuritaire préoccupant, le Burkina Faso enregistre des résultats encourageants, sous l’impulsion du PNDS 2016-2020, estime la ministre de l’Économie, Rosine Sori-Coulibaly. Des progrès à confirmer. Propos recueillis par Marie-France Réveillard

Comment expliquez-vous les résultats économiques du Burkina Faso ? L’atteinte de ces résultats repose notamment sur les investissements publics. Avec la mise en œuvre en 2017 du Programme d’investissements publics, de l’ordre de 1 200 milliards de F.CFA (1,83 milliard d’euros) dans l’énergie, l’agro-industrie et les infrastructures hydroagricoles, la relance économique, entamée en 2016, s’est confortée en 2017, avec une croissance du PIB de 6,8 %. Les dépenses en capital ont bondi de 392,8 milliards de F.CFA (74,6 %) par rapport à 2016, atteignant 919,2 milliards. Cela s’explique par des dépenses exécutées sur ressources propres, pour 319,7 milliards. Dans quelles mesures la transformation structurelle définie dans le PNDES peut-elle conduire à davantage d’inclusivité ? Le PNDES permet d’assurer une croissance forte et soutenue, génératrice d’emplois et de revenus : nous affichons plus de 50 000 emplois décents par an et nous prévoyons la baisse de l’incidence de la pauvreté en dessous de 35 % d’ici à 2020. Le schéma adopté conduit à plus d’inclusivité car il permet de relever le défi de la bonne gouvernance, de l’amélioration de la qualité des institutions, de la disponibilité et de l’employabilité de ressources

humaines adaptées aux besoins de l’économie nationale. Il répond au défi du développement des secteurs productifs et de la transformation des produits nationaux, pour un développement industriel durable générateur d’emplois. Quels sont les principaux secteurs d’activité qui soutiennent la croissance ? Le secteur primaire qui emploie près de 80 %, a contribué pour 27,4 % au PIB en 2017 contre 29,1 % en 2016. La contribution du secteur secondaire au PIB est passée de 20,7 % en 2016 à 21,2 % en 2017. Enfin, la contribution du secteur tertiaire (au sens large) est passée de 50,3 % en 2016 à 51,3 % en 2017. La croissance écono-

En 2018, l’activité économique devrait maintenir son dynamisme, avec une croissance de 6,9 %. Dans le secteur primaire, l’activité sera soutenue par la consolidation des actions entreprises en 2017 et par la poursuite des grands chantiers de modernisation de l’agriculture.


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mique a pratiquement toujours été tirée par le secteur tertiaire. En emplois, le secteur primaire a totalisé 8 265 675 dans l’agriculture vivrière, l’agriculture de rente, l’élevage, la sylviculture et la pêche, en 2017, pour 493 502 emplois dans le secteur secondaire, tandis que le secteur tertiaire représentait 483 090 emplois. Quelle est la stratégie déployée pour attirer les investisseurs étrangers ? L’amélioration du climat des affaires a favorisé la création d’entreprises et a facilité la gestion des conflits, par la mise en place de structures comme le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMCO) et les tribunaux de commerce, avec des délais réduits pour rendre les jugements, ainsi qu’une législation et une réglementation qui protègent les investissements privés et accordent des avantages fiscaux à travers le Code des investissements, le Code général des impôts et autres textes de loi et textes réglementaires. Ensuite, le gouvernement a opté pour la mise en œuvre de pôles de croissance économique comme Bagré ou Sourou. Nous déployons également une stratégie de partenariat public-privé pour attirer les investisseurs privés étrangers. La loi PPP accorde des avantages fiscaux et douaniers aux partenaires privés, en plus des avantages accordés par le Code des investissements. Ainsi, un régime fiscal et douanier en fonction de la nature de l’investissement peut être accordé, durant toutes les phases de développement du projet depuis la phase de construction à celle d’extension, en passant par celle d’exploitation. Quels sont les principaux axes pour développer les infrastructures indispensables pour soutenir un développement pérenne ? Comment les financer ? Les infrastructures indispensables sont orientées vers la transformation des bases productives pour améliorer la compétitivité. Pour ce faire, nous suivons les orientations suivantes : la disponibilité en quantité de l’énergie pour les besoins du secteur industriel, la réduction des coûts des facteurs de production, la dynamisation de la recherche-développement vers les besoins réels d’innovations techniques et technologiques nationaux ou encore l’instauration d’une dynamique de réallocation des ressources et des activités à faible productivité vers des activités à plus forte productivité. Ces infrastructures se déclinent en 87 projets structurants dans le PNDES et sont évaluées à hauteur de 7 449 milliards de F.CFA. Quelles sont les performances du Burkina en matière de mobilisation des ressources internes ? Après la période 2014-2015 marquée par des crises sociopolitiques, celle 2016-2017 a été plus favorable. Les recettes sont passées de 1 119,02 milliards de F.CFA en 2013 à 1 072,49 milliards en 2014 puis à 1 060,72 milliards en 2015. Cependant, avec la reprise de l’activité économique à partir de l’année 2016, le niveau de mobilisation des ressources internes est passé de 1 236,51 milliards de F.CFA en 2016 à 1 384,97 milliards en 2017. Ces résultats reposent en partie sur la géolocalisation des marchandises en transit, l’usage de scanners dans les principaux bureaux de dédouanement à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, l’externalisation de l’évaluation des véhicules d’occasion de moins de dix ans et des engins de travaux publics confiée au

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38,27 Allemagne

43,03 Suisse

59,75 Japon

68,44 Danemark

271,41 FMI

386,70 Unicef

700,94 BAD

Quels sont les principaux partenaires économiques du Burkina ? Pour les partenaires bilatéraux, les cinq plus grands contributeurs sur les années 2016 et 2017, sous le critère des conventions de financements signées, sont la France (92,34 milliards de F.CFA), le Danemark (68,44 milliards), le Japon (59,75 milliards), la Suisse (43,03 milliards) et l’Allemagne (38,27 milliards). Leurs contributions ont représenté 70 % des ressources bilatérales sur ces deux années. Les partenaires européens restent en tête de liste. Les partenaires nord-américains, notamment le Canada et les États-Unis, sont classés respectivement, 6e et 15e. Sur la base des décaissements pour le financement des programmes et projets de développement, pour la période 2007-2016, les cinq principaux partenaires multilatéraux ont été la Banque mondiale (2 076,98 millions $), l’Union européenne (1 640,50 millions $), la BAD (700,94 millions $), l’Unicef

Principaux contributeurs multilatéraux 2016 et 2017 (Millions de $)

1 640,50

Quel regard portez-vous sur la création d’une monnaie commune dans la zone Cedeao ? Elle est une nécessité. La décision a été prise sur fond de multiples problèmes concernant la multiplicité des monnaies non convertibles, le faible volume des échanges, le système financier sous-développé et la faiblesse des systèmes de paiement transfrontalier et des transactions connexes. L’objectif à moyen terme du programme de coopération monétaire est de créer une monnaie unique et une Banque centrale commune pour la région de la Cedeao. La cinquième réunion de la Task Force présidentielle qui s’est tenue le 21 février 2018 à Accra, a réaffirmé l’engagement politique à réaliser la monnaie unique de la Cedeao en 2020 et l’engagement des pays membres à ratifier et à mettre en œuvre tous les protocoles et conventions de la Communauté. Elle a adopté la feuille de route révisée pour le programme de la monnaie unique de la Cedeao et instruit l’ensemble des acteurs à mettre en œuvre la feuille de route révisée.

UE

Comment rendre compatible la maîtrise du budget avec les revendications sociales ? Les revendications sociales que vous évoquez sont celles portées par les syndicats des travailleurs salariés des administrations publiques d’État et de ses démembrements. Elles portent généralement sur les conditions de vie et de travail des salariés. La catégorie de dépenses en cause est celle relative aux charges salariales dont le niveau est passé de 23 % des dépenses totales du budget de l’État en 2013 à 33 % en 2017, amenuisant fortement les capacités de l’État à faire face à certaines dépenses d’investissements porteuses de croissance. Pour limiter ce risque majeur qui gangrène nos finances publiques, le chef de l’État a recommandé une réforme urgente du système de rémunération. Courant 2018, une conférence nationale sur la rationalisation du système de rémunération des agents publics de l’État sera organisée.

Principaux contributeurs bilatéraux 2016 et 2017 (Milliards de F.CFA)

92,34

Centre de contrôle des véhicules automobiles, l’interconnexion des systèmes informatiques douaniers nationaux avec ceux des pays voisins, le renforcement de la lutte contre la fraude, grâce au nouvel outil d’analyse du risque (SYGICOD), le redéploiement du personnel et la facture normalisée.

France

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2 076,98

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Banque Mondiale

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(386,70 millions $), le FMI (271,41 millions $). Au niveau des partenaires multilatéraux, les cinq plus grands contributeurs en 2016 et 2017, pour les conventions signées, sont la BID (381,61 milliards de F.CFA), la Banque mondiale (367,62 milliards), l’UE (279,63 milliards), la BAD (108,33 milliards), la BOAD (49,75 milliards). Ces cinq bailleurs représentent 92,37 % du volume total des conventions signées auprès des multilatéraux en 2016 et 2017. Les financements mobilisés sous forme de conventions d’établissement signées avec les ONG et associations de développement s’élèvent à 92,56 milliards de F.CFA.


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Quel est à ce jour l’impact de la situation sécuritaire sur l’économie nationale ? Le terrorisme a eu des impacts négatifs sur les investissements étrangers, en particulier dans les secteurs des mines, du tourisme et de l’hôtellerie. Le coût estimé des manques à gagner occasionnés par les attaques de janvier 2016 à Ouagadougou au niveau des hôtels, agences de voyages et restaurateurs, s’élève à près de 883 millions de F.CFA. Au niveau des finances publiques, la contraction des chiffres d’affaires dans ces secteurs directement touchés (tourisme, hôtellerie, restauration) réduit la perception de taxes sur le tourisme et des recettes de service. Les attaques terroristes renchérissent également les dépenses publiques et privées avec la prise en charge des pertes en vie humaine, des blessés, des dégâts matériels et des aspects sécuritaires. Des mesures visant au renforcement des moyens sécuritaires ont été prises comme la création d’un comité interministériel, l’opérationnalisation de l’Agence nationale de renseignement, le renforcement des contrôles pour sécuriser les frontières et les villes, le renforcement des mesures de sécurité dans les hôtels ou encore la réactivation de la police de proximité. En outre, la dotation des ministères en charge de la sécurité, a sensiblement augmenté. En 2017, le montant affecté à la sécurité a augmenté de 19,1 milliards de F.CFA par rapport à 2016. Selon le rapport Doing Business 2018, le Burkina est classé 148e des pays sur 190 pays et accuse un recul de deux places cette année, après plusieurs années de hausses. Comment y remédier ? Ce recul de deux places pourrait s’expliquer par l’absence de réformes significatives et réussies dans les domaines du raccordement à l’électricité, de l’obtention de prêts, de la protection des investisseurs minoritaires, de l’exécution des contrats et du paiement des taxes et impôts. Une analyse comparative des scores du Burkina Faso dans chaque domaine montre qu’il n’y a pas eu d’actes véritables qui permettent de lever les lourdeurs et autres désagréments dans l’objectif de rejoindre les meilleures pratiques mondiales et même dans l’Uemoa. En matière de création d’entreprise, même si de façon générale, le Burkina Faso occupe une place intéressante (74e), il est classé cinquième dans l’Uemoa. On note des efforts au niveau des procédures et des délais pour faciliter la création d’entreprise, les coûts restent. Le coût de la création d’une entreprise au Niger représente 8,3 % du revenu par habitant contre 42,6 % au Burkina Faso. Nous pouvons y remédier

L’objectif à moyen terme du programme de coopération monétaire est de créer une monnaie unique et une Banque centrale commune pour la région de la Cedeao.

d’une façon générale en nous inspirant des bonnes pratiques d’autres pays plus performants. L’île Maurice et le Rwanda, qui se distinguent par leurs réformes vigoureuses, nous indiquent le chemin à suivre. Quelles sont les perspectives de croissance ? En 2018, l’activité économique devrait maintenir son dynamisme. Nous prévoyons une croissance de 6,9 %. Au niveau du secteur primaire, l’activité sera soutenue par la consolidation des actions entreprises en 2017 et par la poursuite des grands chantiers de modernisation de l’agriculture. Concernant le secteur secondaire, il devrait atteindre une croissance de 8,3 %. Quant au secteur tertiaire, il bénéficierait des performances enregistrées dans les secteurs primaire et secondaire et sa valeur ajoutée devrait augmenter de 6,8 % en 2018. Au niveau de l’emploi, la croissance serait tirée par la consommation finale (6,3 points de contribution à la croissance), l’investissement (2,4 points), les échanges extérieurs s’étant repliés (-1,8 point). L’inflation, sous l’hypothèse d’une bonne pluviosité et de la poursuite des mesures gouvernementales, devrait rester dans la limite de la norme communautaire en 2018, soit en dessous de 3 %. Néanmoins, je dois reconnaître que les perspectives de croissance restent sujettes à des facteurs de risques tels que les attaques terroristes, la vulnérabilité de l’agriculture aux aléas climatiques, la persistance des revendications sociales, la faible mobilisation des ressources pour le financement du PNDES et la volatilité des cours des matières premières… n


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Malado Kaba Ministre de l’Économie et des finances (Guinée)

L’ÉTAT PREND SES RESPONSABILITÉS En janvier 2016, Malado Kaba est devenue la première femme ministre de l’Économie et des finances en Guinée. Tête de proue d’une vaste série de réformes structurelles, elle revient sur les objectifs du PND. Propos recueillis par Marie-France Réveillard Vous avez intégré le gouvernement en pleine crise Ebola. Concrètement, quelles ont été les répercussions économiques de l’épidémie ? À mon arrivée, la Guinée accusait le double choc de la crise Ebola et de la chute du prix des matières premières. À l’issue de cette épidémie, la croissance était retombée à 3,5 % avec une inflation à deux chiffres. La baisse du cours de la bauxite a été moins sévère que celle d’autres matières premières comme celle du pétrole notamment, mais la situation était très critique. Le déficit des finances publiques représentait 6,8 % du PIB et nos réserves de change ont été très amoindries. Quelles ont été les priorités définies par le gouvernement pour soutenir la croissance ? Nous avons poursuivi les réformes engagées au niveau des finances publiques, notamment avec l’accroissement du taux de recouvrement des recettes, une meilleure maîtrise et la qualification des dépenses publiques. Puis, nous avons réduit le taux d’inflation, passé de 20 % en 2011 à 8,2 % en 2016. Nos efforts ont porté leurs fruits car, en 2017, la croissance atteint 6,7 % ! Au niveau monétaire, le taux de change a été stabilisé, une loi relative à l’inclusion financière a été adoptée. Nous sommes aussi en pleine réforme concernant les marchés publics pour augmenter la transparence et généraliser la dématérialisation. Nous avons entamé le règlement de la dette intérieure, dont le niveau pénalise durement nos

PME. Nous venons également d’adopter une politique dite de « contenu local » qui doit favoriser le développement de nos PME, grâce aux transferts de technologies. Quels sont les principaux objectifs associés à cette stratégie ? Nous avons opté pour la diversification car notre économie reste très dépendante du secteur minier. Le secteur secondaire, incluant les mines, représentait environ 28 % du PIB en 2016. Cela semble peu mais cela correspond à 80 % des revenus d’exportation ! Le secteur tertiaire est le plus important avec une prédominance du commerce, y compris informel – qui représente 47 % de notre économie. Nous souhaitons atteindre une croissance à deux chiffres d’ici à 2020 et pour ce faire, nous donnons la priorité au développement des infrastructures routières et énergétiques, au secteur de l’agriculture et à l’agrobusiness. À ce jour, nous disposons de six millions d’hectares de terres potentiellement arables dont 80 % ne sont pas exploitées. Nous cherchons aussi à augmenter notre chaîne de valeur dans le secteur agricole ou dans le secteur minier avec la transformation de la bauxite en alumine notamment. Nous développons également notre potentiel hydroélectrique d’une capacité de 6 000 MW que nous voulons exporter, à terme, dans la sous-région. Le développement du secteur énergétique demeure une priorité. Grâce à la mise en service du barrage de Kaleta en 2015, un quart de

Avec le franc guinéen, nous disposons d’un instrument supplémentaire basé sur notre taux de change et sur notre monnaie ; nous conservons la capacité de procéder à un ajustement monétaire, si nécessaire.


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la population guinéenne bénéficie aujourd’hui de l’électricité, tandis que le barrage de Souapiti qui sera achevé à l’horizon 2020 permettra également de réduire la fracture énergétique. Quelles sont les dispositions du gouvernement pour attirer les acteurs privés en Guinée ? Nous souhaitons une participation accrue du secteur privé pour accompagner notre politique de diversification et notamment en matière agricole. Nous avons adopté, à cet effet, une loi consacrée aux partenariats public-privé. Le PNDES sera financé à hauteur de 38 % par le secteur privé, notamment à travers les PPP qui représentent des mécanismes complexes pour lesquels nous avons élaboré un cadre juridique précis, simple et clair. Nous poursuivons les réformes au niveau juridique et réglementaire, lesquelles apporteront des garanties supplémentaires pour rassurer les investisseurs. Les statuts de la magistrature ont été révisés, les rémunérations des magistrats ont été réévaluées pour renforcer leur indépendance. Depuis 2011, plusieurs actions ont été menées dont la création d’un guichet unique, baptisé « One Stop Shop », qui permet de créer une entreprise en 48 heures. Vous avez récemment dématérialisé la vignette automobile, quels sont les premiers résultats de cette démarche ? Effectivement, l’acquisition des vignettes automobiles a été dématérialisée via Orange Money. Nous sommes passés d’un niveau de recouvrement de 20 milliards de francs guinéens en 2016 (1,87 million d’euros) à près de 60 milliards en 2017 (5,6 millions d’euros) : les résultats sont sans appel. On évite le plus possible la manipulation d’espèces afin de lutter contre la fraude et sécuriser les recettes.

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Nous voulons optimiser l’utilisation du digital et notamment le mobile-banking qui présente l’avantage de créer un lien direct entre les utilisateurs et le percepteur des taxes. Les citoyens acceptent de payer l’impôt s’ils sont assurés de la destination des fonds et de leur bon usage. La crainte d’une mauvaise gestion des comptes publics a longtemps été la source d’une certaine défiance… À l’issue du Groupe consultatif du PNDES, les promesses d’investissements ont atteint 21 milliards $. La Guinée dispose-t-elle de la capacité nécessaire pour s’assurer du décaissement intégral des fonds ? Précisément, le PNDES offre un cadre structuré, lui-même soutenu par le Plan national d’investissements qui a identifié des projets classés en différentes catégories en fonction de leur degré de maturité. Cette architecture nous permet d’appréhender nos objectifs à l’horizon 2020 de façon précise. Ensuite, il existe toute une série de réformes engagées sur les études de faisabilité pour mieux cerner les projets rentables. Nous optimisons également la passation des marchés pour réduire les lenteurs administratives et fluidifier le processus global, en raccourcissant, voire en supprimant certaines étapes jugées superflues. Nous réformons le cadre juridique des accords de financement, grâce à un outil de suivi informatique dédié. Nous avons réduit le délai de mise en vigueur des accords qui s’étendaient sur une période de 12 à 24 mois avant 2016, à seulement trois à quatre mois aujourd’hui. La capacité d’exécution a été accélérée simultanément. Tout cela devrait nous permettre d’absorber beaucoup plus de fonds.


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Le franc guinéen est-il un atout ou un inconvénient pour l’économie ? Même si l’objectif de la Cedeao est de créer une monnaie commune pour favoriser l’intégration régionale, disposer du franc guinéen reste un atout pour l’instant… Les pays appartenant à une union monétaire n’ont que la politique budgétaire pour s’adapter en cas de choc externe. Ce n’est pas notre cas, nous disposons d’un instrument supplémentaire basé sur notre taux de change et sur notre monnaie ; nous conservons la capacité de procéder à un ajustement monétaire, si nécessaire. Quelles sont les principales réformes engagées au sein de votre ministère depuis votre arrivée ? Notre ambition est de structurer un ministère au service des populations; je cherche à le rendre plus transparent, pour gagner la confiance des Guinéens. Toutefois, la perception de la Guinée a beaucoup évolué en quelques années. Un effort de transparence a été mené comme en témoignent la publication en ligne d’informations liées à la passation de marchés publics ou encore la liste des contrats octroyés de gré à gré. Nous souhaitons que les informations liées à l’endettement deviennent publiques rapidement. Nous voulons augmenter notre capacité d’analyse écono-

mique avec des outils adéquats. Nous poursuivons également nos efforts en matière de dette intérieure qui atteint à ce jour, entre 20 % et 25 % du PIB. Nous voulons lancer un message fort aux opérateurs privés car, même si le poids du passé nous empoisonne, l’État prend ses responsabilités. Vous avez récemment signé un accord stratégique avec la Chine qui investit 20 milliards $ pour le développement des infrastructures et des services, en échange de ressources minières : ne craignez-vous pas le surendettement ? Cet accord porte sur vingt ans. Il se déroulera par grappes de projets. Nous allons utiliser les royalties issues de la production minière, donc nous ne gageons pas nos ressources ! Nous utilisons nos ressources minières comme effet de levier pour pouvoir mobiliser des ressources supplémentaires dans le cadre d’un endettement maîtrisé qui vise à financer des projets productifs. Le nouveau programme discuté avec le FMI prévoit un accès à une enveloppe non concessionnelle de plus de 500 millions $. Il nous faut garder à l’esprit qu’un pays ne peut se développer avec la seule aide au développement, laquelle est loin d’être suffisante… n



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Diakarya Ouattara Directeur général de Coris Bank International

PARI RÉUSSI Coris Bank International célèbre cette année ses dix ans d’existence. L’occasion de faire le point avec le directeur général de la filiale au Burkina Faso, Diakarya Ouattara, qui souligne l’importance de CBI dans le financement de l’économie. Propos recueillis par Marie-France Réveillard

Quelles sont les différentes composantes de CBI et que représente le groupe en 2018 ? Dès sa création, en 2008, Coris Bank International a développé l’ambition d’être la banque de référence pour l’accompagnement des PME-PMI et des particuliers en Afrique. Elle a ainsi engagé une stratégie de développement. Au niveau national, elle a créé un des plus importants réseaux d’agences ; elles sont 42 dont une agence mobile. En vue de notre diversification, nous avons créé des branches spécialisées dans d’autres métiers de la finance, comme l’assurance avec Coris Assurances IARD et Vie ; l’intermédiation boursière avec Coris Bourse ; l’investissement et le conseil avec Coris Capital. À l’international nous disposons de trois filiales et deux succursales respectivement en Côte d’Ivoire, au Mali, au Togo, au Bénin et au Sénégal. Avec une politique managériale rigoureuse, orientée vers la clientèle qui est estimée aujourd’hui à plus de 272 000 clients, Coris Bank International a su développer sa stratégie commerciale avec des offres de produits et de services diversifiés répondant aux besoins de la clientèle. Dans sa dynamique d’innovation continue et dans le souci de répondre à une demande du marché, la banque a lancé en 2016 sa « fenêtre islamique » dénommée Coris Baraka, la toute première du pays.

Nous souhaitons contribuer à relever le défi de l’inclusion financière en proposant de nouvelles solutions et de nouveaux modes de paiement pouvant permettre aux populations d’avoir accès aux services financiers.


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Que représente CBI dans le secteur bancaire au Burkina Faso ? Sur une décennie, Coris Bank International a pleinement assuré sa mission de financement de l’économie nationale. Elle a financé l’économie pour plus de 2 000 milliards de F.CFA (3,05 milliards d’euros) et près de 225 000 demandes de financement ont été satisfaites. La banque est également très active auprès du monde rural et du secteur agricole ; elle est le plus grand contributeur du pool local dans le financement du coton. Elle se positionne aujourd’hui comme un acteur clé dans le financement global de l’économie. Ainsi, les PME-PMI qui sont reconnues comme le moteur de la croissance des économies africaines et qui constituent la clientèle cible de Coris Bank International, représentent 60 % de l’encours global du portefeuille de crédit, soit un encours de financement de 250 milliards de F.CFA (381 millions d’euros) en 2016 et 307 milliards en 2017 (468 millions d’euros).

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Quels sont aujourd’hui les principaux axes stratégiques ? Forte de ces acquis, Coris Bank International poursuivra sa dynamique de croissance et de satisfaction de sa clientèle et en participant à l’émergence de notre économie. Nos priorités sont le renforcement du capital humain par le développement des compétences et la culture de la performance ; le renforcement de la structure organisationnelle pour soutenir la croissance durable ; l’optimisation continue des systèmes d’information et l’innovation technologique pour une transformation digitale de l’offre des produits et services financiers : le lancement de la banque digitale ; l’amélioration continue de la relation clientèle ; la maîtrise des risques pour un portefeuille sain ; l’adaptation réussie aux évolutions réglementaires sur les plans comptable et prudentiel, ainsi que la consolidation des synergies au sein du groupe.


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Coris Bank International : « La banque autrement » ; dans quelles mesures ? Coris Bank International a révolutionné l’environnement bancaire à travers des innovations majeures. En effet, elle est pionnière dans le service continu de banque de 7 heures à 18 heures ; l’ouverture le dimanche et les jours fériés ; la certification ISO 9001 version 2008 en 2010, puis la certification ISO 9001 version 2015 en 2016. La baisse des frais de tenue de compte pour les salariés qui sont passés de 2 000 F.CFA à 995 F.CFA, après une année entière de gratuité offerte en 2010 ; la bancarisation des étudiants bénéficiaires du Foner à travers la carte Academia ; le lancement de la première agence mobile au Burkina Faso ; le lancement de la première fenêtre islamique au Burkina Faso dénommée Coris Baraka ; l’organisation de Coris Days depuis 2008. Quelles sont les dernières actions citoyennes menées par CBI ? Depuis 2008, Coris Bank International s’est largement engagée dans l’accompagnement d’initiatives et de projets concourant au bien-être des populations. À ce titre, nous pouvons retenir : le soutien à l’entreprenariat privé des jeunes avec des dons en espèces accordés aux étudiants porteurs de projets, par la Fondation Coris ; le soutien au ministère de la Santé pour la lutte contre le virus Ebola ; les divers dons aux associations œuvrant dans le cadre de la santé, de la salubrité et de l’hygiène dans la commune de Ouagadougou ; la contribution à l’amélioration de la sécurité routière à travers des dons de matériels aux mairies et aux forces de défense et de sécurité ; les Coris Days, organisés annuellement ; et les différentes campagnes de plantations d’arbres. Dans quelle mesure intégrez-vous la digitalisation dans votre stratégie de développement ? La révolution numérique impacte énormément le monde bancaire et lui offre des opportunités d’innovation. Coris Bank International, dans sa dynamique d’innovation constante a inscrit la transformation digitale dans ses priorités stratégiques pour saisir les opportunités que lui offrent les nouvelles technologies et développer de nouveaux produits et services. Aussi au cours de cette année, la banque va lancer sa banque digitale. Face au taux de bancarisation très faible dans la zone Uemoa, nous souhaitons contribuer à relever le défi de l’inclusion financière en proposant de nouvelles solutions et de nouveaux modes de paiement permettant aux populations exclues du système financier classique d’avoir accès aux services financiers. Diakarya Ouattara est le directeur général de Coris Bank International, la banque leader au Burkina Faso. Riche d’une vingtaine d’années d’expérience dans le secteur bancaire, il a occupé plusieurs postes à hautes responsabilités au sein de Coris Bank International et auprès de plusieurs institutions financières avant d’être porté à la tête de la prestigieuse institution bancaire. Il a notamment assumé la fonction de directeur général adjoint à Coris Bank International en 2013 et celle de directeur général par intérim à la Banque Internationale pour l’Afrique au Niger en 2012 après neuf années passées à la BICIA-B.

Quel message avez-vous à l’endroit du public et de vos partenaires ? Nous tenons à remercier fortement notre clientèle ainsi que l’ensemble de nos partenaires pour la confiance continuelle dont nous avons bénéficié depuis la création de la banque. Notre institution poursuivra sa dynamique sa dynamique de satisfaction de la clientèle à travers une offre de produits et services adaptés. Elle renforcera son programme d’inclusion bancaire et financière de la population en poursuivant son déploiement géographique et en étendant es programmes de crédits. Nous saisirons toutes les nouvelles opportunités pour renforcer nos offres de services afin de maintenir notre statut de banque leader au Burkina Faso. n



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Daouda Coulibaly Directeur général de la Société ivoirienne de banque

LA SIB JOUE SON RÔLE DANS LE DÉVELOPPEMENT Évoquant un pays marqué à la fois par la croissance, la concurrence entre banquiers et la sous-bancarisation, le directeur général de la SIB (groupe Attijariwafa bank) fait le point sur la réussite de son établissement. Propos recueillis par Junior Ouattara Où en est le groupe Attijariwafa bank ? Déjà, en 2015, votre maison mère avait financé la Côte d’Ivoire à hauteur de plus 150 milliards de F.CFA. L’investissement que vous évoquez avait fait suite au rachat de la SIB (Société ivoirienne de banque) par Attijariwafa bank. Nous sommes une banque universelle avec un réseau d’agences, et des marchés spécialisés à destination des grandes entreprises, du Middle Market, du Retail Banking… Nos équipes sont devenues plus « agressives » et nous avons élargi notre réseau en passant de 13 agences en 2009 à 58 agences. La question de la sous-bancarisation se pose-t-elle toujours en Côte d’Ivoire avec autant d’acuité ? Oui, malheureusement, le problème est réel. Moins de 15 % des Ivoiriens ont un accès à la banque. Les banques jouent leur rôle avec l’extension de réseaux. En créant des agences, nous permettons aux populations de pouvoir ouvrir un compte. Chaque année, nous « bancarisons » plus d’une vingtaine de milliers de personnes. À quoi est due cette réticence de la population à aller vers les banques ? C’est une conjugaison de plusieurs

facteurs. Les gens ont appris pendant longtemps à fonctionner sans une banque. Il faut donc arriver à les convaincre que dans leur intérêt, il est important d’avoir un compte bancaire surtout s’ils veulent faire des affaires ; c’est une question de crédibilité et de traçabilité de leurs activités. Beaucoup d’argent en liquide circule de main en main, de sorte que les gens ne voient pas forcément l’intérêt de se bancariser. De plus, pour une partie de la population notamment les bas revenus, la banque est encore considérée comme étant réservée à une élite. Enfin, il est possible que nous autres banquiers, appliquions des frais encore trop élevés. Certes, la Banque centrale a rendu gratuits un certain nombre de services, mais nous sommes dans un environnement où les coûts élevés de structure et de fonctionnement ne permettent pas aux banques la gratuité des services. Nous voyons aussi de nouveaux entrants dans le système bancaire. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 27 banques et les nouvelles qui arrivent continuent de se mettre sur le même segment que les anciennes. Elles ne cherchent pas, par exemple, à se spécialiser en banque agricole, ou en banque du bâtiment.

Le banquier accompagne l’entrepreneur dans sa croissance et dans son développement. Le nombre de gens qui ont commencé doucement, que les banques ont accompagné et qui sont aujourd’hui devenus de grands acteurs est impressionnant !


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Cette sous-bancarisation n’est-elle pas aussi liée à la réputation des banquiers ? Le banquier n’est pas l’ennemi des entreprises, bien au contraire. Le banquier accompagne l’entrepreneur dans sa croissance et dans son développement. Le nombre de gens qui ont commencé doucement, que les banques ont accompagné et qui sont aujourd’hui devenus de grands acteurs est impressionnant ! Nous accompagnons nos clients pour qu’ils puissent accéder à un toit, acheter une voiture, scolariser leurs enfants ! Le banquier est un accompagnateur, nous à la SIB, nous nous voyons comme un créateur de développement, de croissance, de bonheur… Le Mobile Banking s’impose-t-il comme une alternative à la sous-bancarisation ? Il est une alternative, sans doute. Aujourd’hui, les populations africaines ont démontré leur capacité d’adaptation, à en juger par le nombre de smartphones. Elles bénéficient d’offres de services adossés. Ces nouvelles économies innovantes doivent être surveillées et contrôlées. Cela sécurise l’épargnant, et donne à l’État une idée des flux économiques. Le Mobile Banking est un moyen, en tout cas, d’inclusion financière. La SIB a été élue Meilleur établissement du secteur financier en Côte d’Ivoire. En toute humilité, nous partageons un sentiment de fierté, parce que tous les matins, à la SIB, ce sont des hommes et des femmes qui se lèvent, qui viennent à la banque, qui travaillent, qui essaient de donner leur meilleur d’eux-mêmes. Leur travail est ainsi reconnu, le service qu’ils rendent aux clients est reconnu ; notre métier, c’est d’abord les hommes et les femmes qui font la différence. Pour autant, cette récompense nous donne des obligations. Nous devons continuer sur cette voie, faire plus et progresser davantage. C’est ce que j’ai dit à mes collaborateurs, nous devons voir ce prix comme un point d’étape, non comme un accomplissement. Comment fait la SIB pour échapper à la méfiance ? Nous pratiquons un métier très simple : il faut être transparent avec ses clients. Leur dire ce que vous êtes capable de faire, ce que vous êtes capable de leur offrir ; savoir expliquer vos produits, de sorte que le client s’engage en toute connaissance de cause. Et nous exécutons les choix des clients, pas les nôtres ! Les banques tiennent toutes ce même discours… Peut-être, mais notre ADN est africain, cela nous donne une sensibilité sur le continent qui fait que nous sommes différents des autres. J’insiste sur la qualité des hommes et des femmes. Une seule personne, en dépit de son intelligence, ne peut pas tout faire. Elle doit fédérer les directeurs et les collaborateurs dans un système de followerships, pour tirer, tous ensemble, la banque vers le haut. C’est ce que nous essayons de faire à la SIB. Ce qui fait que nous avons tous et toutes un engagement certain et solide avec notre établissement.

Le fait que le directeur général de la SIB soit ivoirien, à la tête d’une filiale d’une banque marocaine, est-ce important ? Certes, en étant Ivoirien, j’ai une connaissance du marché, des acteurs, ce qui peut aider. Cela étant, le poste exige surtout quelqu’un qui est très bien formé, qui a un esprit agile, qui fait preuve de flexibilité et d’adaptation. C’est d’ailleurs le cas dès 2009 ; le directeur général qui est arrivé au moment du rachat de la banque était Marocain. Il a rapidement compris les enjeux et a mis la SIB sur la rampe ; nous ne faisons que marcher dans ses pas. Comment la SIB a-t-elle progressé dans le peloton de tête des banques ivoiriennes, elle qui n’était que huitième, il y a peu ? À fin décembre 2016, sur certains critères, nous étions effectivement sur le podium ! Si nous prenons le critère « dépôt clientèles », nous étions quatrièmes, sur les critères de « créances » et de « crédits aux clients », nous étions troisièmes. En matière de résultats, nous sommes bien sur le podium. Je n’ai qu’une explication, l’appui du groupe Attijariwafa et le travail et l’implication des équipes.

il faut sortir des idées préconçues pour aller vers des nouveaux produits et services qui soient adaptés à des populations spécifiques.

Comment s’est présenté l’exercice précédent de la SIB ? Nous avons, avec l’appui du groupe, apporté des innovations en matière de banque digitale, en matière de nouveaux produits et services, avec la création d’une plateforme crédit et


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consommation, d’une salle de marchés… À fin 2016, nous étions en avance sur le business plan présenté aux marchés lors de notre Offre publique de vente. Il était prévu un résultat autour de 16 milliards de F.CFA, nous avons fini à plus de 17 milliards. Comment sortir des sentiers battus pour faire de l’inclusion financière une réalité ? S’il y a de nouveaux entrants sur le marché et que nous faisons tous la même chose, nous aurons assez peu d’impact sur le marché. Il faut donc se poser les bonnes questions, pourquoi le taux de bancarisation reste-t-il si faible ? À la SIB, nous tentons de trouver les réponses permettant d’aller chercher ceux qui ne sont pas encore bancarisés. Et là, il faut sortir des idées préconçues pour aller vers de nouveaux produits et services qui soient adaptés à des populations spécifiques. Nous arrivons à proposer des produits innovants, souvent seuls, parfois avec des partenaires. Nous proposons ainsi le Confirming, qui est un outil de financement des PME ; « le crédit conso » qui permet de finaliser un dossier d’octroi de crédit dans un délai maximum de 48 heures. En matière de partenariat, nous avons signé avec Cargill et la SFI un accord de financement des coopératives, qui a permis à des coopératives dans le domaine du café et du cacao d’avoir du matériel roulant neuf. Nous avons avec Cargill, la SFI et Orange, créé un produit visant à bancariser des milliers de planteurs ; ils peuvent avoir accès au Mobile Banking, adossé à un compte bancaire pour permettre l’inclusion financière. Bref, nous sortons du banquier classique qui attend les clients !

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À terme, verrons-nous la SIB créer des filiales dans les secteurs de l’habitat et de l’agriculture ? En nous associant avec Cargill, nous prenons une bonne option, parce que Cargill a beaucoup d’expérience dans le domaine agricole. Nous ne sommes pas encore sur ce segment de l’agrobusiness, à la différence de Cargill. Comment votre banque accompagne-t-elle la Côte d’Ivoire vers l’émergence en 2020 ? Nous jouons notre rôle pour accompagner le Plan national de développement. Nos équipes ont été désignées Meilleurs SVT (spécialistes en valeur du Trésor) au titre de l’année 2016 parce que nous avons su accompagner l’État dans sa levée de fonds sur les marchés. Quels conseils donnez-vous aux Franco-Ivoiriens, membres de la diaspora, qui souhaitent investir en Côte d’Ivoire ? Nous ne faisons pas de différence entre nos clients. Quel que soit celui qui se présente, qu’il soit sur le territoire ou qu’il vienne d’ailleurs, nous le recevons d’abord en tant que client. Nous regardons le projet qu’il nous propose et comment est structuré son business plan, est-ce un projet porteur ? Nous donnons les conseils nécessaires pour mieux présenter le projet. Il ne faut surtout pas qu’ils se contentent de venir avec une bonne idée ! Il faut que leur offre corresponde à un besoin. Ils doivent bien connaître le marché. Évidemment, on leur demandera un minimum d’implication financière, au minimum 20 % du projet global. Que pensez-vous de la question de l’assainissement du secteur bancaire ? La Banque centrale travaille sur la question avec le renforcement du nouveau dispositif prudentiel (Bâle 2, Bâle 3) et l’entrée en vigueur d’un nouveau plan comptable en début d’année. Sans oublier le seuil minimal de 10 milliards de F.CFA de fonds propres, que les banques devront toutes respecter très rapidement. Quelles sont vos grandes orientations ? Elles sont très simples : continuer de grandir, à étendre le réseau, faire croître notre niveau d’emplois, donc de crédits, notre niveau de dépôts, donc de ressources, et être toujours à la pointe de l’innovation. Nous devons être à l’écoute du marché, à l’écoute des clients, de leurs besoins et mettre à leur disposition les produits et services adaptés. n


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LES DÉFIS D’ABBAS MAHAMAT TOLLI Le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale mise sur une embellie de la situation économique, monétaire et financière. Il devra cependant s’atteler à améliorer le bilan de la gestion des réserves de change et poursuivre les réformes. N’Djaména, Geoffroy Touroumbaye

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uivant le principe de rotation par ordre alphabétique institué en 2010, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli a été nommé à la tête de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) lors de la 27e session extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) tenue à Malabo (Guinée équatoriale) le 30 juillet 2016. Si la nomination du neveu du président tchadien Idriss Déby Itno avait été vue par certains comme un signe de népotisme, son CV parle en sa faveur. À 44 ans, il a déjà un parcours exceptionnel dans son pays et dans la sous-région : directeur des Douanes et droits indirects, direction du Cabinet civil du président de la République, ministre des Finances (2005-2008), ministre des Infrastructures et des équipements, secrétaire général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale, et président de la BDEAC (Banque de développement des États de l’Afrique centrale). Alors qu’Abbas Mahamat Tolli prenait officiellement les rênes de la BEAC, le 31 mars 2017, les pays de la sous-région, pour la plupart exportateurs de pétrole, étaient durement frappés par la chute du prix du baril. Aujourd’hui, rien n’a véritablement changé. La croissance de la CEMAC, en termes réels, a été faible en 2017, après un tassement de 0,2 % en 2016, a révélé le gouverneur. Le Cameroun, leader de la zone, affiche une croissance solide, 5,6 % en 2016 et 5,7 % en 2017. Le Tchad a mis fin à la récession (-3,5 % en 2016) pour afficher une croissance négative de seulement 0,3 % en 2017. Le redressement devrait se confirmer, selon les perspectives

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économiques publiées début janvier par la Banque mondiale, à 4,7 % en 2018 et à 6,3 % en 2019. La Banque mondiale prévoit pour le Gabon une croissance soutenue : après 3,2 % en 2016 et 3,8 % en 2017, elle s’attend à 4 % en 2018 puis 2019. Croissance ralentie, pour le Congo respectivement 4,6 % en 2016, 4,3 % en 2017, et 3,7 % les deux années suivantes. En proie à une crise économique, la Guinée équatoriale pourrait s’enfoncer dans la récession : (-5,7 % en 2016 et en 2017, -6,6 % en 2018 et en 2019). Enfin, la Banque mondiale ne publie pas de statistiques concernant la République centrafricaine.

Des mesures de redressement

« En 2018, nous n’allons pas sortir de la zone de turbulences, mais les perspectives économiques sont globalement favorables. Cela va se matérialiser par une accélération de la croissance, autour de 3 %. Il y aura une stabilisation du déficit budgétaire, autour de 3 % également », a déclaré Abbas Mahamat Tolli, à l’issue de la quatrième réunion ordinaire du Comité de politique monétaire de la BEAC, tenue le 19 décembre, à Yaoundé. Si, au cours de l’année 2017, le taux de couverture extérieure de la monnaie est de 60 %, grâce notamment aux décaissements extérieurs, ce taux sera de 66 % en 2018. Les réserves de devises pour les importations des biens et services se situeraient à 3,1 mois, contre 2,1 mois en 2017. Ces perspectives économiques s’expliquent par une amorce des équilibres macroéconomiques grâce à la mise en œuvre des programmes avec le FMI dans quatre des six pays de la sous-région : Cameroun, Gabon, Tchad, Centrafrique. Le Congo et la Guinée équatoriale sont toujours en négociation avec le FMI. « Si les six pays membres de la CEMAC avaient adhéré au programme avec le FMI, la situation aurait été plus reluisante », lâche Abbas Mahamat Tolli, qui ne cesse de leur conseiller de diversifier leurs économies, en valorisant les productions locales afin de préserver les devises.

Les évolutions à venir seraient le résultat, entre autres, des mesures de resserrement de la politique monétaire engagées depuis le mois de mars 2017 visant à réduire le volume de la liquidité de Banque centrale pour atténuer la pression sur les réserves de change. En effet, le principal taux de refinancement de la BEAC a été relevé de 50 points de base en mars 2017 à 2,95 %, tandis que les objectifs de refinancement ont globalement été légèrement diminués. En rapport avec les besoins de liquidité, les concours de la BEAC au système bancaire ont enregistré une forte augmentation, s’élevant à 548,6 milliards de F.CFA (836,3 millions d’euros) à fin septembre 2017 (dont 481,6 milliards au titre des interventions ordinaires et 67 milliards en refinancement des crédits d’investissements productifs) contre 438,2 milliards un an auparavant. Sur le marché des titres publics, les émissions lancées ont permis aux États de lever 650 milliards

Le Plan stratégique 2017-2020 a permis d’élaborer, sur la base des enseignements tirés de l’état des lieux du fonctionnement de la BEAC, une stratégie centrée autour d’une trentaine de projets structurants.


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de F.CFA (991 millions d’euros) au cours des dix premiers mois de 2017 contre 991 milliards en 2016. Avec la suppression définitive du financement direct des États par la Banque centrale, décidée par le conseil d’administration de la BEAC lors de sa session du 5 août 2017, ce marché se présente désormais comme la seule source de mobilisation de l’épargne pour la couverture des besoins de financements publics. Si le système financier de la CEMAC demeure globalement solide, les signes de vulnérabilité sont apparus, face aux perspectives économiques encore fragiles, et constituent d’importants défis pour la Cobac et la BEAC.

Les réformes se poursuivront

En matière de gestion des réserves de change, l’évolution enregistrée à partir du second semestre 2017 a montré des signes encourageants. En effet, le taux de couverture extérieure de la monnaie est passé de 53,9 % au 30 juin 2017 à 58,6 % au 31 août 2017, puis à 58,9 % au 30 septembre 2017. Ce retournement de tendance résulte de l’effet conjugué du resserrement de la politique monétaire engagé depuis le mois de mars 2017, des décaissements opérés au profit des États sous programme avec le FMI, de l’application des mesures d’ajustement effectuées dans chaque pays, des contrôles renforcés sur les transferts sortants et la position extérieure des établissements de crédit, et de l’application plus stricte des dispositions conventionnelles sur le rapatriement effectif des recettes d’exportations. S’agissant de la situation comptable de la Banque, le résultat net estimé pour les neuf premiers mois de l’année 2017 s’établissait à 89,5 milliards contre 197,2 milliards un an plus tôt. En 2018, l’un des grands chantiers d’Abbas Mahamat Tolli est de poursuivre les réformes de son institution. Afin de contribuer au redressement économique et financier de la sous-région dans un contexte de déséquilibres macroéconomiques importants et de forte baisse des réserves de change résultant de la chute des cours du pétrole, la BEAC a adopté, au cours de l’année 2017, une série de mesures visant à améliorer la gouvernance et le fonctionnement de la Banque, la gestion des réserves de changes, l’efficacité de la politique monétaire, l’intégration financière, le référentiel comptable, et la surveillance du système financier. D’autres améliorations sont également attendues de la réalisation du Plan Stratégique de la Banque (PSB) 2017-2020 dont le processus lancé en mars 2017 a permis d’élaborer, sur la base des enseignements tirés de l’état des lieux

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du fonctionnement de la BEAC, une stratégie centrée autour d’une trentaine de projets structurants. « L’adoption du projet du Plan stratégique par les organes de décision et de contrôle de la Banque (comité d’audit, conseil d’administration et comité ministériel) permettra de consolider les acquis des dix dernières années et d’achever la modernisation de la BEAC en la dotant des procédures, outils et moyens nécessaires pour accomplir efficacement ses missions

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d’institut d’émission moderne et répondant aux standards internationaux », a-t-il expliqué. Comme solution au problème des liquidités d’urgence dont les banques ont besoin, le Comité de politique monétaire de la BEAC vient d’adopter la décision portant cadre général dudit dispositif, pour permettre aux établissements de crédit jugés solvables, de faire face aux tensions temporaires de liquidité pouvant affecter la stabilité financière. n


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CAMEROUN Louis-Paul Motazé

Ex ministre de l’Économie

ETMAINTENANT, LESFINANCES À la faveur du réaménagement ministériel du 2 mars 2018, l’exministre de l’Économie (58 ans) a été nommé au sensible ministère des Finances où il imprime déjà sa marque. Ses défis restent importants. Douala, Beaugas-Orain Djoyum

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l fait déjà parler de lui au ministère des Finances. Louis-Paul Motazé, le nouveau ministre qui a effectué un jeu de chaises musicales avec Alamine Ousmane Mey, désormais en charge du ministère de l’Économie, a sanctionné 13 collaborateurs, jugés indélicats, au début du mois d’avril 2018. Soit un mois seulement après sa prise de fonction. La majorité des fonctionnaires sanctionnés à au moins trois mois de suspension, officient à la Direction générale des impôts. Il leur est reproché, entre autres fautes, les lenteurs dans le traitement des dossiers, l’absentéisme, le non-respect de l’obligation de réserve, la corruption ou encore le détournement de deniers publics. En effet, le ministre Louis-Paul Motazé y arrive dans un contexte assez particulier. La lutte contre le terrorisme, dans plusieurs zones du Cameroun, nécessite une forte mobilisation de l’armée, et donc d’importants financements. Pourtant, les ressources ne sont pas extensibles et la mobilisation des recettes non pétrolières, à elle seule, ne peut pas permettre à Yaoundé de venir à bout de ses défis.

Parlant de ces recettes hors pétrole, sur les 2 813 milliards de F.CFA (4,29 milliards d’euros) attendus, l’administration fiscale doit produire 1 983 milliards. Pas besoin, dans ces conditions, de fonctionnaires indélicats qui pourraient freiner l’élan enclenché. L’administration douanière, elle, devra générer 800 milliards de F.CFA (1,22 milliard d’euros). Le budget du Cameroun pour l’année 2018 à 4 513,5 milliards de F.CFA (6,88 milliards d’euros). Autant il met de l’ordre dans ses rangs, autant le ministre devra combler et responsabiliser ses effectifs dans certaines directions qui n’ont jamais eu de responsables nommés, à l’instar de la division de la Communication

Une circulaire du ministre des Finances autorise le remboursement automatique de la TVA, sans contrôle préalable des entreprises ; une bouffée d’oxygène pour les PME.

et des relations publiques, tandis que l’organigramme le prévoit. Plus encore, le Cameroun tiendra en 2018 trois élections : sénatoriales, législatives et présidentielle (en octobre 2018). Ce qui va nécessiter quelque 50 milliards de F.CFA (76 millions d’euros). En 2011 par exemple, pour la seule élection présidentielle, 21 milliards de F.CFA avaient été déboursés. Certains observateurs soulignent, à ce propos, que la promotion de Motazé se justifie par la volonté du président Biya de voir les élections se tenir sans anicroches, côté financier du moins.

L’homme des grands chantiers

Autre défi : le remboursement de la TVA aux entreprises. Le programme a déjà


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commencé, 82 milliards de F.CFA ayant été restitués aux entreprises l’an dernier, allégeant le poids de la dette de l’État due aux entreprises. Le Premier ministre, Philemon Yang, fait de ce remboursement une priorité pour l’année en cours ; aussi le ministre des Finances a-t-il signé une circulaire qui autorise un remboursement automatique de la TVA, sans contrôle préalable des entreprises. Enfin, le ministre des Finances devra également accorder une oreille attentive à la prise en charge des enseignants dont beaucoup, mécontents, ont manifesté dans les rues pour réclamer le paiement de leurs arriérés de salaire. Louis-Paul Motazé, le Camerounais de la rue l’a connu en 2007 : le président Paul Biya venait de nommer ministre de l’Économie celui qui était alors directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) depuis septembre 1999. Le nouveau promu s’est attelé à un chantier important qui l’exposait régulièrement aux médias : la coordination de l’élaboration du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Il fallait harmoniser non seulement les avis des bailleurs de fonds, mais également ceux des populations, de la société civile, des hommes politiques et bien entendu des membres du gouvernement. Ce qu’il réussit à faire et en 2010, le DSCE était lancé. Toujours au ministère de l’Économie, il est chargé du lancement de grands chantiers. Notamment celui de construction du complexe industrialo-portuaire de Kribi. Après quatre ans à ce ministère, il est affecté à la Primature aux côtés de Philémon Yang en qualité de secrétaire général. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer le pilotage de certains projets comme celui de Kribi. Il a une vue globale sur l’ensemble des grands projets du pays et est la voix du Premier ministre qui lui délègue parfois sa signature. En 2015, le président Biya le ramène au ministère l’Économie afin de poursuivre des « grandes réalisations ». Ce qui vaut à Motazé le surnom de « Monsieur grands chantiers ». Puis, en mars 2018, le neveu de JeanneIrène Biya, l’ex-Première dame du pays, est nommé ministre des Finances. De l’ethnie « bulu » du Dja-et-Lobo (département d’origine du chef de l’État), Louis Paul Motazé a été major de sa promotion l’ENAM (École nationale d’admnistration et de magistrature) en 1983. Il est également titulaire d’un DESS en transport international et d’un DEA en droit public. n

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Jonas Komlan Siliadin

Directeur Risque et réglementaire, Conix Consulting

UNEAPPROCHE GLOBALE DELABANQUE Derrière sa figure lisse de banquier, Jonas Komlan Siliadin porte ses convictions politiques, qui l’ont conduit à l’exil. Portrait d’un banquier engagé. Dakar, Seydou Ka

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la suite d’une présentation sur l’impact des nouvelles normes prudentielles (Bâle 2 et Bâle 3) sur le système bancaire, début février, dans un hôtel de Dakar, Jonas Siliadin est assailli de questions par l’aréopage de banquiers qui assistaient aux Journées annuelles du club des dirigeants de banques et d’établissements de crédit d’Afrique. Face aux vives critiques de ces derniers contre une réforme jugée « trop contraignante et précipitée », l’homme reste droit dans ses bottes. « Les loups ne se mangent pas entre eux », lancet-il à ses collègues, les invitant à avoir une approche « réceptive » de cette réforme et de privilégier le dialogue avec le régulateur. Une prise de position de « banquier central » qui s’explique, visiblement, par son parcours à la fois de banquier, d’auditeur interne, mais aussi de décideur public. Incontestablement, Jonas Siliadin est un homme aux multiples casquettes. Né d’un père commissaire de police et d’une mère institutrice, dans le sud du Togo, Jonas Siliadin a reçu une éducation marquée « par la rigueur, le travail, la droiture et le sens du devoir ». Admis à passer une partie de ses journées avec sa mère, au milieu de ses élèves, il se souvient avoir été émerveillé de voir qu’elle savait autant de choses sur le soleil, la pluie, les fleuves, les plantes, les animaux et surtout de nombreuses astuces pour faire des calculs. « Je compris ainsi très vite que l’addition ou la multiplication rendait plus riche que la soustraction et la division, en règle générale ; je compris surtout que les nombres étaient des juges de paix, en ce qu’ils suffisaient

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souvent à donner la mesure des choses. Entre celui qui a deux oranges et celui qui n’en a qu’une, il est a priori établi un rapport de force indéniable, la forme et le goût ne sont alors que secondaires même si, comme je le saurai plus tard, le secondaire peut receler l’essentiel », raconte-t-il.

La politique et l’exil

C’est donc naturellement qu’il opta pour des études de finance après le baccalauréat. Diplômé de l’Institut technique de banque (ITB) du Centre de formation de la profession bancaire (CFPB) de Paris, Jonas Siliadin est aussi titulaire de deux Masters professionnels en Diplomatie et négociations stratégiques (Paris XI) et en Banque et finance (Paris V). Il commence sa carrière comme chargé d’études à la Société nationale togolaise d’investissement (SNI), mais dès 1999, il rejoint le cabinet du président de l’Assemblée nationale comme chargé de communication et de relation avec la presse. Quinze mois plus tard, le président de l’Assemblée nationale devient Premier ministre et lui son chef de cabinet. Ce cheminement, là aussi, ne relève pas du hasard. En effet, Jonas Siliadin a flirté avec la politique très tôt. Dès l’âge de 16 ans. « J’ai milité dans les démembrements scolaires du parti unique à l’époque. Je m’y suis construit un réseau et un parcours qui détermineront la première partie de ma carrière après mes études. » Lorsqu’il intègre l’attelage du Premier ministre Agbéyomé Kodjo, le processus démocratique au Togo était « en panne » depuis plusieurs années. « Le chef du gouvernement poussait le président Eyadema à faire des réformes pour favoriser l’exercice effectif du pluralisme politique. En juin 2002, la mésentente entre les deux hommes arrive à son point culminant : le Premier ministre et une partie de son équipe dont moi, sont contraintes à l’exil pour préserver son intégrité physique », relate Jonas Siliadin. « Je n’ai pu remettre les pieds au Togo qu’en août 2009, soit plus de sept ans d’exil. Désormais, je rentre régulièrement au pays où je retrouve le reste de ma famille et mes amis », dit-il. Lui qui porte toujours un regard attentif sur la situation politique au Togo vit « difficilement », la crise qui secoue actuellement le pays. « J’espère que le Togo va sortir de cette situation d’exception dans la sous-région, qui fait de nous Togolais les derniers de la classe, j’espère que nos dirigeants vont revenir à la raison pour


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que le Togo se mette enfin sur la voie de la démocratie et du pluralisme. » Il n’exclut pas de rentrer au pays pour apporter sa contribution au développement.

Retour à la finance

Installé donc en France « pour des questions de force majeure », Jonas retourne à ses premières amours, la finance, avec à la clé un premier contrat d’une année à la BRED, de 2002 à 2003 comme chef de projet, puis au Crédit Agricole de 2003 à 2007 comme auditeur. En 2007, il rejoint la banque du groupe Carrefour comme contrôleur prudentiel, puis comme responsable Europe du contrôle permanent, de juillet 2010 à novembre 2015, date à laquelle il a intégré le cabinet Conix Consulting en qualité de Manager de la division Risque et réglementaire. « Avec mes vingt consultants, nous accompagnons les principales banques françaises dans l’alignement de leur dispositif de gestion des risques sur les évolutions réglementaires : supervision prudentielle, protection de l’intérêt de la clientèle, éthique et transparence des marchés, sécurité financière… ».

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Parallèlement à ses activités dans la banque, il a exercé, de 2006 à 2015, comme professeur associé à temps partiel, à l’université Paris Est-Marne-la-Vallée, où il avait en charge des séminaires sur la réglementation des activités bancaires, la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), la finance décentralisée. Et depuis 2011, il est maître de conférences au Centre de formation de la profession bancaire (CFPB). Où il assure des formations en France et en Afrique. Il n’est donc pas rare de le rencontrer dans une ville africaine en train de former les cadres de la banque sur le management, la gestion des risques et le droit bancaire.

Aller-retour entre la théorie et la pratique

En dehors de la finance et de la politique, « JKS » a une autre passion : l’écriture. C’est d’ailleurs « la plus ancienne » de ses activités. Il a notamment publié, en 2013, aux éditions du Panthéon, L’oasis aux vautours, une pièce de théâtre en trois actes, relatant la lutte pour le partage du pouvoir, entre deux sœurs, princesses et cohéritières du royaume de

Dans tous les pays où les dispositifs bâlois ont été implantés, nous avons toujours assisté à un processus progressif, itératif. Des retours de terrains observés par les superviseurs permettent d’améliorer le test, celui-ci nourrit les travaux sur le terrain et vice versa

leurs parents décédés de la malaria. En 2014, il fait paraître aux éditions L’Harmattan : Togo, démocratie impossible ?, un essai qui analyse les difficultés pour construire la démocratie au Togo et propose des solutions pouvant permettre le progrès. Il a aussi apporté sa contribution (« Afrique : fera-t-on la banque autrement ? ») à l’ouvrage collectif Banque et finance en Afrique : les acteurs de l’émergence (Revue Banque édition, décembre 2015). Enfin, en 2016, il signe, Comprendre la banque et son environnement en zone euro. Le livre dresse un panorama de l’activité bancaire, décrivant notamment les grandes familles de risques associés et retraçant les mutations dans la gestion prudentielle et la supervision, avec l’instauration de l’union bancaire et les nouvelles prérogatives de la BCE. Une riche expérience aussi bien dans le public que dans le privé qui permet à Jonas Siliadin d’avoir une approche globale de la banque. « Ce n’est pas seulement parce que j’ai travaillé dans le public et dans le privé, mais c’est aussi parce que j’enseigne, donc cet aller-retour entre la théorie et la pratique me donne une vision assez complète de l’activité bancaire. » Il observe de près l’évolution du secteur en Afrique. « La banque africaine de demain sera une banque dynamique, innovante, qui fait des expérimentations, mais qui doit se concentrer sur sa clientèle telle qu’elle évolue. En effet, les Africains sont en avance sur un certain nombre de technologies, le mobile banking par exemple, et sont très appétents sur tout ce qui est réseaux sociaux. La banque africaine devra pouvoir s’aligner sur ces besoins, et s’ancrer sur les réalités de son terroir », dit-il. Il souligne aussi l’importance de la donnée, devenue vitale pour le secteur bancaire. Au KYC (Know your custumer) classique, il adjoint le KYD (Know your data). Concernant les craintes exprimées par la profession sur le « risque » réglementaire, Jonas Siliadin relativise. « Dans tous les pays où les dispositifs bâlois ont été implantés, nous avons toujours assisté à un processus progressif, itératif. Des retours de terrain observés par les superviseurs permettent d’améliorer le test, celui-ci nourrit les travaux sur le terrain et vice versa ». Cependant, il peut y avoir un « arbitrage » qui ne soit pas forcément aligné sur les besoins réels de l’économie, et qui serait défavorable notamment aux PME, à l’agroindustrie, l’artisanat, des secteurs caractérisés par l’informel où l’information n’existe pas, « ce qui peut amplifier artificiellement le risque ». n



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TCHAD Noubasra Natolban

Administrateur général d’UBA Tchad

UBAALES MOYENSDE FAIREPLUS

À 53 ans, Noubasra Natolban a pris, début mars, les rênes de la filiale de United Bank for Africa (UBA). Une consécration pour ce passionné de finance dont la nouvelle mission est de consolider la place de sa banque sur l’échiquier national. N’Djaména, Geoffroy Touroumbaye

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émocrate et rigoureux. Ainsi, se définit le nouveau patron d’UBA Tchad, premier Tchadien à diriger aujourd’hui une banque au capital entièrement étranger. Noubasra Natolban, qui remplace le Nigérian Aliyu Salami, est l’un des témoins et des principaux artisans de la belle aventure d’UBA au Tchad, qu’il a intégrée dès ses débuts en janvier 2009. En neuf ans, il aura occupé tous les postes jusqu’au sommet : tout à tour directeur des opérations, directeur d’exploitation, directeur général adjoint (en charge de l’exploitation puis du secteur public), et aujourd’hui administrateur directeur général. Après 26 ans dans le monde des finances, ce transfuge de la Société Générale Tchad (SGT) et de la Société Générale de Banque au Cameroun (SGBC) sait que « la réussite est un fardeau qu’on crée et qu’il faut batailler dur, au quotidien et dans la crainte de Dieu, pour la maintenir ». Il se remémore le long chemin parcouru, les obstacles surmontés, les doutes et les adversités vaincus, etc. « Nous vivons dans un environnement social où le système du pays ne vous permet pas de produire ce que vous êtes. Je le dis à mes jeunes frères qu’on a passé du temps à me reprocher, à me dire de ne pas faire ou de ne pas essayer, que c’est trop risqué, que ce n’est pas bon, que c’est impossible, que tu ne connais pas le milieu où tu vas, que ce sont des aventures, que tu vas regretter, etc. »

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Mais Noubasra Natolban a cru en lui, se répétant toujours que « rien n’est donné ». « L’énergie que vous avez en vous, la confiance en vous, personne ne vous la prendra et personne ne peut l’avoir à votre place. Doutez chaque soir, mais réveillez-vous chaque matin avec plus d’énergie et d’enthousiasme », confie-t-il.

Un réseau en progression

Avec le même enthousiasme, le nouveau directeur général d’UBA connaît l’ampleur de ses nouvelles responsabilités : faire progresser sa banque. Neuf ans après sa création, UBA Tchad s’est taillé une belle place sur le marché bancaire du pays, avec sept agences dans le pays (six à N’Djaména et une à Moundou, la capitale économique). « Notre réseau est en progression et suit le rythme normal de la vie économique du pays. L’objectif est de couvrir le territoire national », déclare Noubasra Natolban. Pour 2018, UBA a deux projets sous la main : s’implanter à Abéché (la grande ville de l’Est) et dans une ville du sud du pays en prospection. En 2019, la banque sera dans la région du lac Tchad et à Goz-Beida, ainsi de suite avec une remontée vers le nord du pays. « Nous consoliderons nos forces et nos succès, en profitant des canaux à faible coût et à fort impact pour étendre notre portée dans le pays. À mesure que nous continuons de renforcer notre pénétration de l’économie tchadienne pour réaliser nos aspirations, en matière de taille et de part de marché, nous tirerons davantage profit des opportunités de synergie à travers le réseau de notre groupe. Nous nous appuierons sur les technologies et le dévouement de nos employés pour devenir la banque de choix au Tchad », explique le directeur général d’UBA Tchad. Sa banque compte placer, d’ici fin 2018, 200 TPE (terminaux de paiement électroniques) et 35 GAB (guichets automatiques de banque), en plus de ceux existants. « Une galerie de GAB sera bientôt installée dans un quartier de N’Djamena. » Le Tchad, très dépendant des recettes pétrolières, est exposé à des pressions importantes depuis la forte chute des cours, entamée en 2014. Les termes de l’échange se sont considérablement détériorés. Entre 2013 et 2017, le déficit des transactions courantes y est passé de 1 % à 12 % et le déficit budgétaire de 2 % à 9 %. Les déficits des transactions courantes ont été principalement

financés par les réserves de change. Pourtant, les banques de la place continuent à résister à la crise. « Tant bien que mal, UBA se bat. Elle allait mieux se comporter et prétendre à une meilleure place dans la position des banques de la place, n’eut été cette crise que j’appelle la récession, qui a déjoué tout pronostic. UBA a les moyens de faire plus malgré cette crise », rassure son directeur général.

Nous sommes dans la digitalisation, avec des nouveaux produits très performants et innovants qui captent tout client en possession d’un smartphone. C’est la banque à domicile ou nomade.


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Une expertise reconnue

Crise ou pas, UBA Tchad peut déjà surfer sur sa réussite. Ces trois dernières années, le magazine The Banker l’a désignée « banque de l’année au Tchad », mettant en avant son sens de l’innovation et son engagement en faveur de l’inclusion financière. « Être reconnue Banque de l’année dans son propre pays constitue pour notre banque la preuve d’une gestion renforcée, d’un modèle commercial consistant et d’une prudente approche de gestion des risques », se réjouit Noubasra Natolban. « Ce prix montre que l’efficacité et les moteurs de croissance commerciale que nous avons mis en place commencent à porter leurs fruits et à donner des résultats. Nous sommes certains de maintenir ce rendement afin de conserver le prix en 2018 », ajoute-t-il. UBA Tchad a des milliers de clients auxquels elle rend des services via ses sept agences. La banque a pour but de doubler sa clientèle d’ici un an, en profitant du réseau de téléphonie mobile 3G du pays et en se concentrant sur les petites villes et les régions rurales. Cette ambition va de pair avec le l’objectif de développer la gamme de produits électroniques pour les services bancaires mobiles et en ligne. Même si la monétique est une activité relativement récente au Tchad, UBA, l’avant-dernière née, a surclassé la monétique classique, selon son directeur général. « Nous sommes dans la digitalisation, avec des nouveaux produits très performants et innovants qui captent tout client en possession d’un smartphone. C’est la banque à domicile ou nomade. Le client n’a plus besoin de venir à la banque si ce n’est pour discuter business avec son banquier », rassure Noubasra Natolban qui annonce le lancement imminent d’un « digital banking très performant ». Cependant, à l’instar des autres banques de la place, UBA Tchad fait face à un problème de taille : un taux de bancarisation faible. « C’est un mal grave qui impacte négativement l’économie du pays », déplore Noubasra Natolban selon qui il faut sensibiliser la population et l’amener à comprendre que les espèces disparaîtront bientôt pour faire place à la virtualité. « Cela a commencé dans certains pays africains tels que le Kenya où on ne peut rien acheter sans les TPE et les cartes électroniques. Au Kenya, même les mendiants et les cireurs de chaussures sont dotés de TPE ! Au Tchad, nous en sommes loin. C’est un problème de culture. La monnaie digitale va s’imposer petit à petit et UBA y travaille », conclut ce passionné de la banque qui, à ses quelques « heures perdues », enseigne les techniques bancaires dans deux écoles commerciales de la capitale, aime écouter la musique et pratiquer le sport. n

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LIBYE Sadiq al-Kabir

Gouverneur de la Banque centrale de Libye

UNGOUVERNEUR ENÉQUILIBRE PRÉCAIRE Le gouverneur de la Banque centrale de Libye, Sadiq al-Kabir, est annoncé sur le départ depuis des années. Avec la reprise en main politique qui se dessine et la crise financière, la fin de son règne approche mais, jusqu’ici, il se maintient et s’accroche à sa place. Tripoli, Mathieu Galtier

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n le dit quasi en exil à Malte, alors qu’il passe le plus clair de son temps au siège de la Banque centrale, située entre la médina et le port de Tripoli. On l’annonce démissionnaire ou renvoyé trois fois par semaine, il n’a pas bougé de son poste de gouverneur de la Banque centrale de Libye (BCL) depuis le 12 octobre 2011, alors

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que Kadhafi était à Syrte. Sadiq al-Kabir est à l’image du pays : toujours sur un fil. Cet art de l’évitement lui a permis de rester en place bien qu’il ait dû quitter son poste en septembre 2017, après six ans en fonction. En 2014, la guerre de Tripoli a provoqué la division politique du pays avec un parlement à l’Ouest et un à l’Est. Il en a été de même avec la Banque centrale de Libye (BCL). La communauté internationale, qui reconnaît la Chambre des Représentants (CdR), le Parlement de Tobrouk à l’Est, aurait logiquement dû prendre langue avec Ali al-Hibri puis Mohamed al-Choukri, les deux gouverneurs successifs de la BCL à l’Est. Or, c’est toujours vers Sadiq al-Kabir qu’elle se tourne. « Les diplomates ont compris que pour les questions financières, l’important n’est pas qui a le pouvoir politique mais qui a l’identifiant SWIFT et c’est al-Kabir qui l’a », précise un observateur international. La Banque centrale de l’Est en est réduite, elle, à quémander des prêts auprès de banques commerciales. Pour asseoir son pouvoir et éviter une nouvelle trahison – ­ Ali al-Hibri était son vice-gouverneur avant qu’il ne se fasse élire par le Parlement de Tobrouk à la tête de la branche orientale de la Banque centrale en septembre 2014 – le banquier s’est entouré d’une garde rapprochée au sein du conseil d’administration dont Tarek Magariaf, l’une de ses éminences grises. Il exige que la moindre décision passe par lui.


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Une paranoïa justifiée : la tête de Sadiq el-Kabir a été mise à prix, on évoque la somme de 2,5 millions d’euros. Pour se protéger, le gouverneur a obtenu la protection rapprochée de la puissante force Rada, dirigée par le salafiste Abderraouf Kara. Il demeure ainsi le gardien du trésor, mais un trésor qui s’amenuise : les réserves en devises sont passées de 71,8 milliards d’euros en 2014 à 39,6 milliards en 2017. Surtout, le tout-puissant argentier libyen est accusé de corruption. Abdellah Fellah, président du conseil des businessmen libyens, s’est interrogé au printemps dernier sur la rapidité et la facilité à laquelle la Banque centrale a accordé pour près de 9 milliards d’euros de lettres de crédit à des entrepreneurs « proches de la direction de la BCL ». Mais, pour l’instant, aucune preuve concrète n’a pu être présentée. « Il vaut mieux un équilibre précaire avec al-Kabir que plonger

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dans l’inconnu », estime un haut-responsable d’une institution financière internationale. Mais, aujourd’hui, la crise financière l’oblige à se découvrir et il n’est pas sûr qu’il s’en sorte. « Il a souvent invoqué l’argument sécuritaire quand on l’a accusé de n’avoir pas trouvé de remède à la crise monétaire. Ce prétexte (infondé) sera plus difficile à avancer si Tripoli devient une capitale où la sécurité est acceptable », prévient Jalel Harchaoui, doctorant spécialiste de la Libye à l’université Paris-VIII. Mohamed Raied, PDG d’Al-Naseem, principal fabricant de produits laitiers, menaçait au printemps d’arrêter sa production si la Banque centrale ne lui fournissait pas de nouvelles lettres de crédit pour importer.

Sukuks plutôt que dévaluation

Depuis janvier, les compagnies doivent prouver qu’elles ont en dinars libyens l’équivalent de la valeur des marchandises qu’elles veulent faire venir de l’extérieur. Husni Bey, dont l’empire HB Group est l’un des plus fleurissants du pays, continue d’exiger publiquement de Sadiq el-Kabir qu’il dévalue le dinar. Au marché officiel, l’euro s’échange 1,62 dinar libyen ; au marché noir, il grimpe à 10,80 dinars. Cette politique drastique n’a pas forcément l’aval des économistes qui précisent que la dévaluation doit s’accompagner d’un contrôle politique pour s’assurer que des billets ne soient pas fabriqués en douce – en 2016, la Banque centrale

Sous pression internationale et pour s’affranchir de l’influence misratie, Faez Serraj a donné des gages aux leaders de l’Est. Sadiq alKabir, originaire de l’Ouest mais mal vue par Misrata, pourrait faire les frais de ces querelles politiques.

de l’Est a fait imprimer pour 2,48 milliards d’euros de billets en Russie – et que les devises mises sur le marché après la dévaluation ne s’évaporent pas du circuit monétaire, « avec toutes les milices qui pullulent dans le pays, notamment au sud où la frontière est poreuse, comment en être sûr ? », s’interroge un responsable libyen d’une agence d’expertise commerciale européenne. Les experts penchent plutôt pour un changement des billets sur une courte période pour réintroduire dans l’argent dans le circuit bancaire. Sadiq al-Kabir semble se diriger vers une troisième voie en forme de pied de nez aux financiers occidentaux. En novembre 2017, lors du Forum sur le secteur bancaire libyen, Abdurrahman Habil, membre du comité directeur de la BCL, a évoqué la possibilité d’avoir recours aux sukuks. Le financier envisage d’adosser ces obligations islamiques au baril de pétrole. Une stratégie fondée notamment sur la bonne tendance de la production avec 975 000 barils par jour. En 2017, le déficit budgétaire a ainsi baissé de 48 % passant de 20,3 à 10,6 milliards de dinars, soit 6,5 milliards d’euros.

Victime de la rivalité EstOuest ?

Mais il s’agit aussi et surtout de tenter de contrer l’influence grandissante du politique dans les affaires monétaires. La Banque centrale est affiliée au gouvernement d’union nationale (GUN) basé à Tripoli. Or, la politique économique du GUN est principalement dictée par le vice-Premier ministre, Ahmed Maetig, lui-même entrepreneur et très proche de Mohamed Raied – ils sont tous deux originaires de la ville de Misrata – et de Husni Bey. Pour contrer cette influence, Faez El-Serraj, le Premier ministre, s’est rapproché de Aboubaker al-Jafal, le vice-ministre des Finances, originaire de l’Est. Sous pression internationale et pour s’affranchir de l’influence misratie, Faez Serraj a donné des gages aux leaders de l’Est. Sadiq al-Kabir, originaire de l’Ouest mais mal vue par Misrata, pourrait faire les frais de ces querelles politiques. Aucun nom ne s’impose pour le remplacer mais si le politique arrive à reprendre la main sur les questions monétaires, cette absence de leadership ne sera plus perçue comme un problème, au contraire. Une fin qui serait ironique pour celui qui s’est maintenu à la tête de la Banque centrale grâce à l’instabilité politique. n



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FINANCES ET MARCHÉS

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BURKINA FASO

UN FONDS D’INVESTISSEMENT POURLESSTART-UP À travers le programme « Burkina Start-up », le président Roch Marc Christian Kaboré veut rendre concrète sa promesse de campagne : créer des conditions favorables pour l’insertion professionnelle des jeunes. Ouagadougou, Rodrigue Arnaud Tagnan

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epuis 2017, le Burkina Faso dispose d’un fonds d’investissement de 10 milliards de F.CFA échelonné sur cinq ans, destiné à financer la création des start-up. Concrétisé en juillet 2017 par le ministère de l’Économie, des finances et du développement, à travers le Fonds burkinabè pour le développement économique et social (FBDES), le programme « Burkina Start-up » identifie de nouvelles entreprises rentables et les accompagne dans le développement de leurs activités. D’après Blaise Parfait Kiemdé, directeur général du fonds, l’objectif du gouvernement est de faciliter l’accès des jeunes pousses à un financement direct. Tout en permettant à l’État, via le FBDES une prise de participation (capital-risque ou capital de croissance) de l’ordre de 10 %.

Une stimulation pour l’auto-entrepreneuriat

Pour la phase pilote de ce programme qui a débuté en 2017, l’État avait mis à la disposition du FBDES quelque 3 millions d’euros, alors que celui-ci avait reçu 421 dossiers pour un besoin de financement qui s’élevait à 22 millions d’euros. Le budget disponible a permis de sélectionner douze jeunes entreprises, ayant chacune bénéficié d’un appui financier de 23 000 à 61 000 euros. « L’annonce du programme a suscité un engouement chez la plupart des jeunes diplômés, y compris ceux de la diaspora ; les jeunes d’aujourd’hui veulent de plus en plus s’essayer à l’auto-entrepreneuriat », se réjouit le directeur du FBDES. Blaise Parfait Kiemdé nourrit fortement l’espoir de voir naître des entreprises porteuses de croissance et capables de stimuler dans l’immédiat l’économie du

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De jeunes pousses dynamiques Depuis quelques années, les jeunes Burkinabè se font de plus en plus remarquer dans le domaine de l’innovation. En l’espace de quatre ans, au moins une dizaine d’incubateurs ont vu le jour à Ouagadougou. Créé en 2015, le centre d’entreprenariat numérique BeoogoLab, dirigé par le jeune Mahamadi Rouamba, témoigne du dynamisme et du génie créateur de la jeunesse burkinabè, qui a su profiter de l’ouverture au monde avec les technologies de l’information et de la communication. À l’actif de Mahamadi Rouamba, dont la structure génère déjà un chiffre d’affaires annuel de plus de 760 000 euros : la conception de la plateforme QG Jeune pour la promotion de la santé sexuelle et reproductive ; et la plateforme mobile HealthBurkina permettant au ministère de la Santé d’avoir une remontée en temps réel des informations sanitaires des six districts de la région du Nord. Ces deux plateformes numériques ont été conçues par TICAnalyse, le bureau d’ingénierie numérique et d’appui conseil en transformation digitale qu’il a fondé en 2011. TICAnalyse constitue un puissant levier de financement pour les projets soutenus le centre d’incubation BeoogoLab. « Nous disposons non seulement des fonds, mais aussi de la ressource humaine et technique », explique Mahamadi Rouamba. Actuellement, BeoogLab accompagne onze projets, dont six en incubation et cinq en accélération, dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’éducation. À 32 ans, le jeune gestionnaire de projet technologique est convaincu que le développement des services en ligne offre des opportunités d’investissement dans le e-commerce, secteur à fort potentiel de croissance en Afrique et au Burkina Faso. Ainsi, depuis mai 2017, TICAnalyse a lancé SwagPay, une plateforme de paiement en jetons électroniques. SwagPay permet d’acheter et de vendre sur Internet en toute sécurité via les porte-monnaie mobiles. « Nous avons remarqué que beaucoup de transactions se font sur les réseaux sociaux. Mais, les acteurs n’ont aucun moyen de payement direct. D’où l’idée de lancer cette plateforme, car le rôle d’une start-up, c’est d’identifier un problème et proposer une solution », argumente-t-il. Outre BeoogoLab, le Burkina Faso compte des incubateurs tout aussi dynamiques tels que la Fabrique, spécialisée dans l’entrepreneuriat social, ou encore le technopôle 2iE qui évolue dans l’environnement. Le challenge serait d’arriver à créer une bonne synergie d’action entre ces différents acteurs pour renforcer un peu plus le pôle de développement que constitue Ouagadougou.


FINANCES ET MARCHÉS

Burkina Faso. De son côté, Mahamadi Rouamba, promoteur du centre d’incubation BeoogoLab, se montre plus prudent. Il prévient de tout excès d’optimisme qui engendrerait des désillusions : « Il est impératif qu’on fasse comprendre aux jeunes qu’une idée n’est pas une entreprise. Et que sa mise en œuvre ne génère pas nécessairement de plus-value. » Sur ce point, Blaise Parfait Kiemdé tient à rassurer : « Les douze retenus sont ceux qui avaient leur entreprise déjà formalisée. C’està-dire qu’au stade de la sélection, ils étaient à la maturation d’un plan d’affaires. Notre apport a été de les former en entrepreneuriat et de les accompagner sur le plan juridique pour le démarrage de leurs activités. Aujourd’hui chacune de ces start-up est une entreprise qui fonctionne en bonne et due forme. » La dernière enquête multisectorielle continue, effectuée en 2014 par l’Institut national des statistiques et de la démographie (INSD), indique un taux de chômage important chez les jeunes actifs : 14,1 %. Dans son programme présidentiel, le futur chef de l’État avait fait de l’emploi des jeunes une priorité de son quinquennat.

Une solution pérenne au chômage des jeunes

Le programme « Burkina Start-up » ambitionne ainsi de créer pour les cinq prochaines années 10 000 emplois directs à travers la naissance d’une centaine de PME. Si le programme couvre tous les secteurs d’activité, le FBDES accorde une attention particulière aux projets innovants à fort potentiel de croissance, admet son directeur Blaise Parfait Kiemdé : « Nous pensons que l’innovation est au cœur du développement. Et nous voulons nous assurer que ceux que nous accompagnons ont un business model viable, qu’ils sont capables d’optimiser leur intervention pour participer à la croissance à court terme. » De fait, les projets sélectionnés en 2017 concernent des secteurs structurants de l’économie burkinabè telles que l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications et les TIC. Deux projets ont séduit le jury. Le premier, Agri Minga, propose une solution technologique pour la culture des terres arides à partir d’un mécanisme facilitant l’approvisionnement des plantes en éléments nutritifs. Tandis que le second, Faso Drone, permet de détecter et d’éliminer, grâce aux aéronefs conçus à cet effet, les espèces envahissantes dans les exploitations agricoles. n

AFRICAN BANKER

ALGÉRIE

DES BANQUES EN MANQUE DE TRÉSORERIE Les réserves des établissements publics algériens ont beaucoup baissé depuis 2014. Leur mise à contribution dans le financement de projets d’infrastructures et d’emprunts publics, les a fragilisés davantage. Alger, Samia Lokmane-Khelil

L

e gouvernement a injecté dernièrement, l’équivalent de 7 milliards d’euros dans les banques commerciales publiques afin de résoudre la crise des liquidités à laquelle elles sont confrontées depuis des mois. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia a reconnu que le pays « fait face à des difficultés financières sérieuses » et que l’augmentation des ressources des banques servira à financer l’investissement et relancer la machine économique.

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La crise des liquidités a débuté avec la chute des cours des hydrocarbures en 2014. Constatant la réduction drastique de ses revenus, l’État s’est tourné vers les banques, leur demandant de décaisser des sommes de plus en plus importantes pour financer son budget. Elles ont été également invitées à financer les grands projets d’infrastructures. En 2016, les banques ont contribué à plus de 4 milliards d’euros de souscriptions, via le grand emprunt obligataire lancé par le ministère des Finances. Résultat, leurs trésoreries se sont asséchées. La pénurie des espèces a touché également Algérie-Poste. En 2017, une grande panique s’est emparée des retraités, à la suite de retards dans le versement de leurs pensions. Dans une lettre adressée au ministère, le directeur général de la Poste a révélé que les sommes fournies par le Trésor public sont en deçà des besoins.

Trop de dépenses

À la même période, la Banque algérienne de développement rural (BADR) a aussi commencé à montrer des signes d’étranglement financier. Plusieurs facteurs liés à l’association de l’établissement à des projets de financement trop lourds (comme le rachat de 51 % de l’opérateur téléphonique


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FINANCES ET MARCHÉS

AFRICAN BANKER

Djezzy par l’État algérien), sa souscription à l’emprunt obligataire, le soutien aux projets d’emploi des jeunes et l’ampleur des dettes agricoles, ont épuisé ses ressources. Pour l’économiste Ferhat Aït Ali, l’opération de l’emprunt obligataire a eu un effet « désastreux ». Il estime qu’il faut aujourd’hui, arrêter de gérer les banques de manière bureaucratique et suivant le mode de l’injonction et les aléas économiques. « Avant la détérioration des marchés pétroliers, l’argent coulait à flots et les banques disposaient de fonds, de surliquidités, mais elles ne savaient pas quoi en faire, en raison, entre autres, du manque de capacité d’absorption et du manque de formulation de projets, observe l’économiste Ahmed Mokkadem. Elles avaient tout de même injecté, en 2014 par exemple, près de 70 milliards d’euros dans l’économie nationale. » n

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La crise des liquidités a débuté avec la chute des cours des hydrocarbures en 2014.

3 questions à…

NABIL DJEMAÂ

Expert judiciaire en finance et banque

LA BOUFFÉE D’OXYGÈNE EST ÉPHÉMÈRE L’État a-t-il la possibilité de résoudre la crise de liquidités des banques ? Durant les années 2000, les banques algériennes ont été en position de surliquidité chronique, grâce à une remontée des cours du brut. Cette vulnérabilité de la liquidité bancaire aux prix du brut avait conduit la Banque d’Algérie, en ce temps-là, à relever le taux des réserves obligatoires de 4 % à 8 % des fonds des banques. À compter de 2014, suite à la chute drastique des prix du brut, la Banque d’Algérie opère une démarche inverse. Le taux des réserves obligatoires est réduit à 4 % à partir en 2017, conférant aux banques des capacités additionnelles, au titre du financement de l’économie, de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. D’autres mesures ont été également introduites par la Banque d’Algérie pour juguler les effets pervers de cette sous-liquidité préjudiciable. Mais devant la persistance du choc externe, les mesures suscitées n’ont pas permis de stabiliser la place bancaire et financière, ce qui a amené l’État à rechercher d’autres ressources. L’emprunt externe ayant été dogmatiquement exclu, le recours au financement interne était inéluctable. Finalement, il a été annoncé par le ministre des Finances que la planche à billets a été actionnée pour un montant de 4 milliards d’euros en 2017 et que le besoin pour 2018 est de 12 milliards d’euros. Comment expliquez-vous la crise des liquidités des banques ? La rareté de la liquidité dans les banques trouve son origine dans la diminution des dépôts du secteur des hydrocarbures et aussi dans les nombreux crédits bancaires à long terme octroyés par les banques publiques aux opérateurs économiques. Les surliquidités des « années de vaches grasses » ont été rapidement englouties et épongées par les crédits à l’économie, accordés par les banques aux entreprises durant les dernières années, principalement aux secteurs productifs (industrie, agriculture et tourisme). D’autant que ces crédits sont d’une maturité relativement longue et de surcroît assortis de différés de paiement, pour une bonne part, ce qui rend cette manne financière

non recyclable rapidement, et peut conduire à l’étouffement. Les banques ont été également sollicitées pour financer certaines opérations stratégiques, ce qui a asséché leurs fonds. L’ABEF estime que les fonds disponibles sont estimés entre 600 à 700 milliards de dinars, ce qui est très largement en deçà de la moyenne des fonds qui doivent être disponibles. Grâce à l’amendement de la loi sur la monnaie et le crédit et à l’introduction du financement non conventionnel, autorisant le trésor public à s’endetter au niveau de la Banque d’Algérie sur le moyen terme, les banques vont pouvoir indirectement reconstituer cette liquidité. Mais il s’agit d’une bouffée d’oxygène éphémère qui présente des risques et qui ne peut être renouvelée indéfiniment. La planche à billets présente des limites et comporte des règles à respecter. En 2020, si la situation persiste, l’usage du même dopage pour juguler la crise de liquidité ne produira pas le même effet. Telle une drogue, les effets néfastes se produiront à terme et le système monétaire et financier sera apathique à toute injection de liquidités, débouchant fatalement sur une bulle monétaire difficilement contrôlable. À moins que les prix du brut ne s’emballent, ce qui permettra de desserrer l’étau et d’accorder un autre répit. Leur viabilité est-elle menacée à terme ? À court terme probablement non, mais à long terme, si la situation persiste, ce qui n’est pas souhaitable, la menace est certaine. Il faut ne pas perdre de vue que le secteur bancaire est à dominante publique puisque 90 % des actifs financiers relèvent des six principales banques publiques. Mais ces dernières doivent relever d’autres défis. En matière de digitalisation financière, de modernisation des systèmes financiers des banques, de taux de bancarisation, du e-paiement et de la carte bancaire, de télépaiement, de dotation des commerçants en TPE, etc., nous sommes à l’âge de la pierre taillée par rapport à d’autres pays qui ne sont pas plus avancés que nous, sur le plan économique. Bref, un énorme chantier attend notre système bancaire pour combler le retard pris.


FINANCES ET MARCHÉS

NIGER

OUVERTURE À LA FINANCE ISLAMIQUE Le gouvernement du Niger ouvre son marché à la finance islamique pour favoriser l’élargissement de l’accès des populations à une gamme de services plus large et répondre aux besoins de la clientèle. Niamey, Sani Aboubacar

L

es institutions de microfinance nigériennes peuvent désormais offrir à leurs clients des produits et services de la finance islamique. Le gouvernement du Niger a approuvé, en janvier 2018, l’adoption du projet de loi modifiant et complétant la loi du 21 janvier 2010 portant réglementation des Systèmes financiers décentralisés (SFD). Les modifications apportées à cette loi par l’exécutif nigérien consistent en la mention explicite de la possibilité offerte aux SFD de réaliser des opérations conformes aux principes de la finance islamique, ainsi qu’au renvoi aux instructions de la Banque centrale des dispositions particulières traitant des modalités d’exercice de l’activité de la finance islamique, par les institutions de microfinance. Pour le gouvernement, il s’agit de créer un environnement plus favorable à l’éclosion de nouveaux produits pour les SFD. Une nécessité mise en relief par le développement des institutions de microfinance, l’évolution de leurs activités et la recherche d’une meilleure inclusion financière des

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populations. Se réjouissant de l’adoption de cette loi, Abdoulaye Guédé, président de l’Association nigérienne pour la promotion de la finance islamique (ANPFI), précise que deux SFD (ASSUSSU SA et KOKARI) ont entrepris d’exploiter ce système financier, mais de manière limitée « parce qu’il n’existe pas encore de cadre légal et institutionnel devant régir le système financier islamique ». Dès janvier 2017, la BCEAO avait entamé, avec l’appui des partenaires au développement, des réflexions en vue de promouvoir les activités de la finance islamique au sein de l’Uemoa. La loi portant réglementation des SFD, en vigueur dans l’Union, ne comporte pas de dispositions spécifiques permettant à ces institutions de proposer exclusivement ou à titre principal des produits relevant de la finance islamique. La nouvelle loi va ainsi définir le champ d’action de tous les SFD et toutes les règles nécessaires à l’exploitation complète du système financier islamique.

Le défi de l’inclusion financière

Les amendements apportés à la loi visent ainsi à insérer l’activité conforme aux principes de la finance islamique dans le système de microfinance classique. Compte tenu de ce qu’ils savent des interdits religieux, beaucoup de Nigériens ne déposent même pas leur argent en banque et, a fortiori, ne demandent pas à ces banques de financer leurs besoins en activité. Le chef du projet Finance islamique de l’institution de microfinance ASSUSSU SA, Ahmed Sidi Ibrahim, un des SFD autorisés à fournir des produits de la finance islamique au Niger par la BID depuis 2014, reste optimiste. « Avec une population en majorité de confession musulmane, un faible taux de bancarisation et un fort besoin de financement, la finance islamique a de beaux jours devant elle », soutient-il. Un avis que partage Amadou Taher, doctorant en finance islamique : « Avec une forte population musulmane, majoritairement rurale, la microfinance islamique pourrait jouer un rôle crucial contre l’insécurité alimentaire et aider ainsi au bon développement économique du Niger. » Selon le président de l’ANPFI, on peut s’attendre à l’installation de banques islamiques aussitôt que le cadre institutionnel et légal sera adopté. Quelques doutes subsistent :

Avec une forte population musulmane, majoritairement rurale, la microfinance islamique pourrait jouer un rôle crucial contre l’insécurité alimentaire et aider ainsi au bon développement économique du Niger.

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alors que les banques prêtent à un taux d’intérêt compris entre 10 % et 15 %, les institutions de microfinance appliquent un taux de 24 %. Un taux assez lourd du point de vue charge auquel l’emprunteur serait soumis, même s’il reste en deçà du plafond fixé par les autorités monétaires (27 %). Il y a lieu de se demander, comment dans le système financier islamique, les institutions financières et bancaires se débrouillent pour se prendre en charge ? La réponse est dans la règle de partage des profits et des pertes que permet la finance islamique, répond Abdoulaye Guédé. « Même si vous êtes démuni, c’est-à-dire que vous n’avez rien comme capital de départ, une institution financière islamique est prête à mettre à votre disposition le capital requis moyennant le partage des résultats d’exploitation. Mais la clé de répartition des résultats est arrêtée d’un commun accord dès le départ », explique-t-il. « C’est ainsi que les banques islamiques et les SFD islamiques doivent se débrouiller pour pouvoir se prendre en charge, en excluant de prendre en compte le taux d’intérêt », insistet-il. n

Un secteur en mutation Longtemps dominé par les SFD mutualistes, le marché de la microfinance nigérien a connu durant la dernière décennie l’arrivée de nouvelles formes des institutions (IMF, associations et sociétés). Le secteur est marqué depuis quelque temps par une chute drastique du nombre des SFD en activité normale. Ainsi, de 115 en 2009, leur nombre est passé à 53 en 2012. En 2016 le secteur comptait 42 SFD dont trois sociétés anonymes et 39 institutions mutualistes et coopératives. Ces institutions sont concentrées à Niamey qui en compte 22, contre deux à Zinder, deuxième ville du pays, et trois à Maradi, la capitale économique. Seulement un tiers des communes (sur les 256) dispose d’un point de services SFD, selon l’Agence de régulation du secteur de la microfinance (ARSM), constitué en 2010 et qui aura permis d’assainir le secteur. L’ensemble des SFD totalisent 189 agences et le nombre de bénéficiaires est évalué à 1 019 387 pour un taux de pénétration estimé à 4 %.


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ACTIVITÉ BANCAIRE

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BANQUE NUMÉRIQUE

4 MILLIONS DE PERSONNES ONT CHOISI L’APPLI ECOBANK Ecobank a toujours été l’établissement financier le plus novateur d’Afrique. Bien avant d’acquérir sa notoriété actuelle, la banque avait ouvert un réseau d’agences dans toute l’Afrique centrale, et c’est ainsi qu’elle est devenue la banque la plus présente sur le continent. Par Stephen Williams

A

ujourd’hui, Ecobank innove dans un autre domaine : la banque numérique dans les 33 pays d’Afrique où elle est implantée. Son appli Ecobank Mobile – que l’on peut télécharger gratuitement sur un smartphone connecté à l’Internet –, facilite cette mission que la banque s’est fixée. L’appli place la banque à portée de main de tous les clients. Pour Ade Ayeyemi, directeur général du groupe, l’objectif est de proposer des services novateurs, efficaces et à moindre coût à ceux qui étaient jusqu’alors exclus de l’économie formelle et « va donc bien au-delà de l’offre des agences classiques et des réseaux de GAB ». En Afrique, plus de 300 millions d’adultes ne possèdent pas de compte bancaire. « Les clients ont accès aux services financiers grâce à l’appli Ecobank Mobile sur leur dispositif mobile 24h/24, 7j/7 », se réjouit Ade Ayeyemi. « Nous avons amené d’excellents services aux particuliers dans les 33 pays d’Afrique où nous sommes présents. » En avril, deux semaines avant l’assemblée générale annuelle de la banque, il a annoncé qu’Ecobank avait traité presque autant de transactions sur l’appli Ecobank Mobile depuis le début de l’année que dans tout le second semestre 2017. Alors que l’appli a conquis un million de clients dans l’année de son lancement, elle a vu les téléchargements tripler durant les six mois suivants, après avoir amélioré les fonctions proposées, portant le nombre d’utilisateurs à 4 millions. Jusqu’ici, le nombre de clients augmente


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de 700 000 par mois en moyenne et 1 milliard $ de transactions ont été traitées au moyen de cette technologie révolutionnaire. Au vu de cette croissance, il semblerait qu’Ecobank soit sur la bonne voie pour atteindre son objectif de 100 millions de clients.

Des services bancaires pratiques pour tous

Patrick Akinwuntan, administrateur exécutif de la division Consumer Banking, précise qu’Ecobank veut donner à tous les Africains l’accès aux services financiers, en alliant aux services proposés des canaux bancaires pratiques, accessibles et efficaces. « Nous voulons être la banque numérique de choix pour tous les Africains », souligne-t-il. « Proposer des services est une chose, donner à nos clients une souplesse inégalée en est une autre. Les points Ecobank Xpress que l’on trouve à présent dans les quartiers vous permettent de déposer de l’argent sur votre compte Ecobank Xpress sur votre appli et de réaliser des paiements numériques au moyen de l’appli en utilisant Ecobankpay. Vous pouvez également retirer des fonds en monnaie locale que des proches pourraient vous avoir envoyés à l’aide de notre service de transfert immédiat novateur ou de Xpress Cash. » Ecobank s’est également associée au premier opérateur mobile d’Afrique, MTN, pour proposer des services de banque numérique à leurs clients et élargir l’inclusion financière. Les deux sociétés mettront à profit leurs atouts dans le but de fournir de nouveaux services sur le continent. « MTN, avec son nombre important d’abonnés, son vaste réseau, ses produits numériques novateurs et son intérêt vis-à-vis des services financiers mobiles, s’est associé à Ecobank qui offre des produits de banque numérique révolutionnaires afin de permettre aux consommateurs d’ouvrir un compte et d’envoyer de l’argent instantanément par le biais de la banque dotée du réseau le plus vaste du continent africain », a détaillé Ade Ayeyemi.

Révolution financière

L’Africa Digital Money and Banking Forum qui s’est tenu à Abidjan, en Côte d’Ivoire, au mois de mars, a mis l’accent sur la révolution des finances numériques sur le continent. Robert Ochola, directeur de la stratégie à la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) était l’un des principaux intervenants. L’an dernier, Afreximbank a conclu un accord de financement du commerce de 500 millions  $ avec Ecobank, considéré comme « une collaboration où tout le monde est gagnant », a commenté Ade Ayeyemi. La présentation de Robert Ochola à la conférence d’Abidjan a fait connaître les initiatives technologiques menées par Afreximbank pour stimuler le commerce intra-africain : il s’agit d’une base de données permettant aux entreprises et aux banques d’Afrique de vérifier les informations concernant les clients, d’une plateforme de paiement transfrontalière et de l’utilisation de la blockchain pour faciliter le commerce intra-africain.


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Ces initiatives complémentent l’appli Ecobank Mobile. Alors que l’appli stimule le commerce transfrontalier de détail, Afreximbank s’intéresse au commerce de gros intra-africain. Présent au premier Forum Africa Digital Money and Banking, African Banker a eu l’occasion de s’entretenir avec Paul-Harry Aithnard, qui a participé à l’élaboration de la stratégie numérique de la banque de 2008 à 2012, alors qu’il était directeur de la recherche d’Ecobank. Aujourd’hui installé à Abidjan, il est directeur de la gestion des titres et des actifs à la banque. « Ecobank devra numériser ses services ; nos clients doivent utiliser la banque numérique et l’Afrique doit se numériser. Cela signifie que nous devons automatiser notre façon de travailler, nos processus. C’est ainsi que nous améliorons notre productivité et notre rentabilité. C’est la première étape de la numérisation. La deuxième étape consiste à inciter nos clients à utiliser les services numériques. L’appli Ecobank Mobile est le principal outil de cette étape », a expliqué M. Aithnard. Le spécialiste montre à quel point l’appli Ecobank Mobile est pratique : « On peut transférer de l’argent partout en Afrique et effectuer des paiements. Je peux envoyer de l’argent à mes parents au Togo, à mes filles ou à mon frère au Sénégal. Je paie la femme de ménage avec l’appli mobile ;

elle n’a même pas besoin de l’appli. Il me faut simplement son numéro de téléphone ou un numéro de compte bancaire. C’est très pratique. » Il s’est également montré très enthousiaste sur la capacité de l’appli à encourager l’épargne des particuliers.

Un puissant levier

Selon le vice-président de la Banque africaine de développement, Pierre Guislain, « l’Afrique est un pionnier de la banque mobile et la finance numérique est un puissant levier à notre disposition pour transformer la vie des gens au bas de la pyramide ». « L’Afrique a considérablement bénéficié de la révolution du téléphone mobile », estime Pierre Guislain, en précisant qu’environ la moitié des services d’argent mobile se trouvaient en Afrique subsaharienne, où 80 % de la population a accès au téléphone mobile. « L’Afrique est un pionnier du numérique et je suis convaincu que les outils numériques novateurs peuvent permettre une croissance inclusive dans les économies émergentes. La révolution numérique recèle le même potentiel aujourd’hui que le téléphone mobile il y a 20 ans. Nous devons libérer ce potentiel », soutient-il. Il ne fait aucun doute qu’Ecobank partagerait ce point de vue. n

L’Afrique est un pionnier de la banque mobile et la finance numérique est un puissant levier à notre disposition pour transformer la vie des gens.


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BÉNIN - NIGER

SONIBANK À LA CONQUÊTE D’UN MARCHÉ CONCURRENTIEL Nouvelle venue au Bénin, Sonibank privilégie l’accompagnement des PME. Dans un secteur très concurrentiel, la banque nigérienne entend s’imposer comme un pont économique entre le Bénin et l’importante diaspora du Niger. Un pari à suivre. Cotonou, Max-Savi Carmel

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eader de la banque au Niger, avec 21 % de parts de marché, Sonibank (société nigérienne de banque) entame son extension régionale par le Bénin. Principale ambition, faire de Niamey un hub financier qui développe des ramifications dans les pays de l’UEMOA. Comptant sur ses 182 milliards de F.CFA (277,5 millions d’euros) de dépôts estimés en 2017, Sonibank, détenue à hauteur de 25 % par la Société tunisienne de banques (STB) fait du Bénin un enjeu important. D’autant qu’une partie de sa clientèle est constituée d’importateurs dépendant du port de Cotonou. La filiale

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béninoise, dotée de 12 milliards de F.CFA de fonds propres, devrait ouvrir plusieurs agences en 2018, dans la capitale avant de viser, dès 2019, les grandes villes. L’ouverture de l’antenne béninoise est aussi un défi de rapprochement de près de 12 % de ses gros clients que constituent les importateurs et transporteurs. Le lancement officiel a mobilisé toute l’ambassade du Niger, Niamey faisant de cette banque un outil de sa diplomatie économique, d’autant plus cruciale que son implantation est la première à l’étranger. D’ailleurs, aux nombres des grands actionnaires figurent des sociétés publiques, Nigelec qui a le monopole de l’électricité, et la Société nigérienne des produits pétroliers (Sonidep). Sans compter la Caisse nationale de Sécurité sociale.

Un secteur prolifique et concurrentiel

Avec 16 banques qui totalisent 190 milliards de F.CFA de capital cumulé (290 millions d’euros), le secteur bancaire reste assez dyna-

mique au Bénin. Notamment avec de grandes enseignes comme BoA (Bank of Africa), leader du marché par ses 520 milliards de dépôts stables enregistrés chaque année grâce à une cinquantaine d’agences sur le territoire. La plupart des banques se cantonnent aux prestations classiques dans un pays où le taux de bancarisation avoisine les 20 % largement au-dessus de la moyenne, de 16 %, dans l’espace UEMOA.

Cibler les PME et les PMI

Avec le capital le plus élevé, 35 milliards de F.CFA (53,36 millions d’euros), BGFIBank Bénin est la seule à faire de la gestion de patrimoine sa spécialité, bien que l’essentiel de la clientèle béninoise jouisse de revenu plutôt modeste. Au-delà des prestations traditionnelles, Sonibank veut assouplir les conditions d’accès aux prêts pour favoriser une culture d’entrepreneuriat. Une stratégie risquée, préviennent les analystes financiers qui craignent un taux de remboursement inconstant, à moyen terme. Un avertissement

Cette nouvelle banque constitue un instrument au service de la diplomatie économique de Niamey. Cette volonté d’extension très forte doit conduire à une présence accrue, en Afrique, ces prochaines années.


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qui ne décourage pas Hamza Salissou, le directeur général de la filiale du Bénin. Son défi est d’aider les entreprises béninoises qui ont vu en grande partie leurs chiffres d’affaires diminuer par la politique de rigueur du gouvernement. « Nous leur ouvrons nos portes », insiste le directeur général du groupe, Souley Oumarou pour qui, cette implantation en terre béninoise est une chance pour les entreprises. À son lancement officiel, le 23 mars 2018, le directeur général a insisté sur sa politique d’orientation qui cible les entreprises. « Nous voulons être une banque d’investissements qui accompagne les PME et les PMI dans leur développement », a confirmé Hamza Salissou, pour qui, « un plan d’action dans ce sens est déjà élaboré ». Sonibank veut être avant tout la banque de l’investissement, visant essentiellement les jeunes entrepreneurs et les projets innovants, selon Moussa Haitou, qui préside le conseil d’administration. Au Bénin, l’accès aux prêts pour les entreprises est un parcours délicat et les taux exorbitants, parfois jusqu’à 15 % et en moyenne autour de 10 %, limitent les possibilités de financement des PME.

Un plan d’extension

Sonibank entend répondre à cette difficulté. Elle veut accompagner prioritairement des projets qui rapprochent le Niger et le Bénin ; cette nouvelle banque veut ainsi être un instrument au service de la diplomatie économique de Niamey. Cette volonté d’extension très forte doit conduire à une présence accrue, en Afrique, dans les prochaines années. Si l’arrivée sur le marché béninois réussit, Sonibank devrait rapidement couvrir les pays de la Zone franc. Annoncée au Togo et en Côte d’Ivoire, la banque nigérienne pourrait rapidement s’étendre au Mali, au Sénégal et au Burkina Faso, dans les cinq ans. Si la banque n’a pas encore l’expérience de l’international, elle pourra compter sur des experts de la BCEAO et de la BOAD, qui font partie de ses principaux actionnaires, et qui ont, bien sûr, l’expérience du terrain sous-régional. De plus, Sonibank veut aussi compter sur la communauté nigérienne présente dans la plupart des capitales africaines où elle tient un pan de l’économie, notamment dans le commerce de proximité. Compte tenu de la concurrence du marché et de la position dominante d’Ecobank en Afrique de l’Ouest, le pari est loin d’être gagné pour la banque nigérienne. n

TOGO

LES BANQUES SOUTIENNENT TIRSAL Inspiré du Nirsal, son équivalent nigérian, Tirsal est un outil de redynamisation et de compétitivité pour l’agriculture. Il permet de contourner les tracasseries bancaires classiques tout en accroissant le volume des financements par des prêts. Lomé, Max-Savi Carmel

L

e fonds Tirsal (Togo Incentive-Based Risk Sharing System for Agricultural Lending) ou Mécanisme incitatif de financement agricole fondé sur le partage des risques, a été lancé le 25 avril, à Lomé, par le chef de l’État en personne. Faure Gnassingbé tient à un projet dont il a fait une priorité de sa politique. Il permettra aux acteurs de l’agriculture d’accéder plus facilement aux prêts bancaires sans endurer les tracasseries habituelles, l’État se portant garant. Un atout qui devrait accélérer la révolution agricole dans un secteur ou le manque de financements est le premier frein au développement. Débutant par la culture du riz et du maïs, deux denrées de grande consommation au Togo, le projet s’élargira à d’autres productions. Plusieurs banques et institutions financières sont de la partie. Pourtant, en raison des risques liés aux intempéries et de l’absence de produits d’assurance adaptés, le secteur de l’agriculture est celui qui bénéficie le moins de prêts auprès des banques, au Togo. Orabank avait investi dans cette niche mais a revu ses ambitions à la baisse, à cause de l’instabilité du climat et des difficultés des agriculteurs à s’adapter à la pluviométrie.

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Avec Tirsal, le gouvernement veut faire passer les prêts bancaires pour le secteur agricole de 0,3 % à 5 % du total des prêts octroyés chaque année par les banques. Il vise, à l’horizon 2021, à faciliter l’accès aux financements à plus d’un million d’agriculteurs, ce qui représente un quart des acteurs d’un secteur qui occupe en tout 65 % des Togolais. Constituant 38 % du PIB, 20 % des ressources à l’exportation du Togo proviennent de l’agriculture. Cet accès aux prêts devrait multiplier par deux les ressources agricoles à l’exportation et augmenter le pouvoir d’achat par la stabilisation du coût des produits alimentaires, selon les prévisions du gouvernement. Le projet passe par la mobilisation de partenaires financiers. Ce que ne facilite pas la crise politique qui a un impact important sur les banques, lesquelles doivent composer avec l’atonie de l’activité économique. En 2017 pourtant, l’agriculture a contribué pour 1,7 point à la croissance économique. Les banques craignent une perte de près du tiers des investissements attendus en 2018 si aucune solution à la crise politique n’est trouvée les prochains mois.

Faire du Togo un hub agricole

La stabilité sociale et politique n’est pas qu’un gage pour les agriculteurs mais devrait aussi faciliter l’exportation vers les pays voisins, l’une des priorités du Tirsal. Ce qui est loin d’être gagné, compte tenu des manifestations récurrentes qui bloquent plusieurs fois par semaine la ville de Lomé et certaines grandes villes de l’intérieur, ralentissant l’activité. Prenant exemple sur le Nigeria, le gouvernement togolais veut faire du pays un hub agricole sous-régional, en l’imposant notamment en Afrique francophone occidentale. Pour y parvenir, Tirsal favorise l’élaboration d’une politique agricole adaptée et actionne des outils de gestion des risques, tout en consolidant les maillons des différentes chaînes de valeur agricole. Avec pour finalité de

Déjà, les banques se mobilisent et adaptent leurs cahiers de charge au Tirsal. Même si, beaucoup sollicitées par le gouvernement ces derniers mois, elles ont une marge de manœuvre réduite.


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ACTIVITÉ BANCAIRE

AFRICAN BANKER

renforcer la contribution de l’agriculture à l’économie par sa modernisation et la transformation de la production. D’où une place de choix à l’agroalimentaire. En assurant à l’agriculture une assistance technique conséquente, le partage des risques et des mesures incitatives en faveur des acteurs, Tirsal remettra au travail une partie importante de la jeunesse, ainsi que les femmes qui constituent la principale main-d’œuvre d’un secteur trop dominé par les produits de rente, notamment le coton. C’est pourquoi le gouvernement veut diversifier les cultures par la promotion de nouveaux produits notamment l’anacarde.

Les banques se mobilisent

Reste à sensibiliser la population aux risques d’abus : certains cherchant le

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plus souvent, avec de pareils projets, des échappatoires pour ne pas payer les frais qu’ils seraient en mesure d’acquitter. Le taux de couverture des besoins nationaux en produits céréaliers par la production nationale étant déjà de 106,37 % (en 2017), Tirsal aura une influence plus forte sur la part d’exportation. Le gouvernement veut mettre les banques à contribution. Déjà, la BAD (Banque africaine de développement) et l’APBEF-Togo (Association professionnelle des banques et établissements financiers) sont activement impliquées. Ces deux structures devront rassurer des banques commerciales très réticentes à financer l’agriculture. Déjà, les banques se mobilisent et adaptent leurs cahiers des charges au Tirsal.

Néanmoins, trop sollicitées par le gouvernement en cette période de crise, elles auront une marge de manœuvre réduite. À la fin de l’année dernière, plusieurs banques ont dû, à la demande du ministère des Finances, avancer les salaires des fonctionnaires aux temps forts de la crise alors que les caisses de l’État étaient vides. L’endettement du Togo ayant dépassé 83 % du PIB, la réalisation du projet nécessiterait des efforts supplémentaires. Et son impact risque de ne pas être aussi vite ressenti que prévu. L’inflation étant passée d’un rythme annuel de 0,8 % à près de 1,3 %, les Togolais pourraient devoir patienter avant de ressentir dans leur quotidien les premiers changements dus à Tirsal. Même si les institutions financières semblent prêtes à mettre la main à la poche. n


FINANCES ET MARCHÉS

AFRICAN BANKER

NOVEMBRE - DÉCEMBRE - JANVIER 2018


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ANALYSE

AFRICAN BANKER

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FAUT-IL LIMITER L’ACTIVITÉ DES BANQUES ÉTRANGÈRES ? L’essor des banques étrangères en Afrique offre certes l’avantage d’un élargissement de l’offre que permet la saine concurrence, mais accentue les risques systémiques. Faut-il s’en inquiéter, faut-il légiférer ? Par Dhafer Saïdane*

L

es banques internationales dominent aujourd’hui pratiquement le marché bancaire africain. Elles représentent plus de 60 % des actifs totaux. Les banques dites « étrangères », « internationales » ou « sans frontières » sont des banques dont l’origine de la maison mère se situe dans un pays étranger. Cette information issue d’une des dernières publications de la Banque mondiale, Global Financial Development Report 2017/2018, montre que les banques internationales peuvent avoir des effets opposés. Elles peuvent exercer un effet bénéfique sur les pays d’accueil par leur dynamique de croissance. Mais elles peuvent aussi avoir un effet dévastateur par la transmission et l’amplification des risques dits systémiques. L’un des plus gros défis des autorités monétaires des pays africains consiste donc à optimiser les avantages des activités bancaires transfrontalières tout en minimisant leurs coûts. Facile à dire, pas évident à faire ! À ce propos Jim Yong Kim, le président du Groupe de la Banque mondiale, semble sceptique : « Face à l’évolution du secteur bancaire, une question cruciale s’impose : la finance sera-t-elle l’ami ou l’ennemi de la lutte contre la pauvreté ? » Pourtant, il

semblait, depuis les travaux fondateurs de Ronald McKinnon et d’Edward Shaw, qui datent déjà de 1973, que la question de la causalité et des bienfaits de la finance sur la croissance n’est plus à poser. D’autant que ces travaux s’inscrivent dans la droite lignée de la vision de la Banque mondiale. Alors pourquoi son président doute-t-il aujourd’hui ? En fait, la mondialisation financière a brouillé les cartes et complexifié les relations entre les pays. L’effet de la finance sur la croissance a un côté pile et un côté face.

Un marché bancaire de plus en plus panafricain

Côté pile, Jim Yong Kim précise : « Les activités bancaires internationales présentent un risque de contamination de l’instabilité, en particulier pour les pays qui n’ont pas de réglementations et d’institutions solides, et il est indispensable d’atténuer ce risque. » Côté face, le président de la Banque mondiale ajoute : « Sans concurrence bancaire, les pauvres ne seront pas en mesure d’avoir accès à des services financiers

L’un des plus gros défis des autorités monétaires des pays africains consiste donc à optimiser les avantages des activités bancaires transfrontalières tout en minimisant leurs coûts. Facile à dire, pas évident à faire ! La réduction de la voilure : vers une démondialisation financière avec Bâle III ? Ce que les banques africaines doivent savoir. L’impact de Bâle III sur les banques de financement et d’investissement est la « réduction de la voilure » par la limitation l’octroi de crédits aux grandes entreprises car cette activité est exigeante en fonds propres coûteux. La tendance générale est à la limitation des encours de crédit avec une priorité donnée au court terme, à la réduction du financement bancaire à long terme, et une orientation vers le recours au marché obligataire : Une tarification à la hausse, et un « durcissement » de la relation commerciale mettant en évidence l’importance de la qualité de la négociation, Des crédits bancaires plus restrictifs, vu les contraintes de fonds propres alloués, une aversion plus ressentie aux maturités longues et aux engagements élevés, Un arbitrage risque/rentabilité plus serré, et une sélection en amont plus restrictive


40 % des actifs

20 60 10 50

% des actifs

Pacifique

Asie centrale

1997

50 20

40

Europe et Asie centrale

Amérique latine et Caraïbes

20 Est asiatique Pacifique

200

200

Amérique latine et Caraïbes

par région de 2005 à 2013 Figure 1 – Part des actifs bancaires étrangers 20060 200 201 par région de 2005 à 2013

0

Figure 4 – Banque étrangère en Afrique : le50 cas Ecobank 60 Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

Amérique latine 40 50 et Caraïbes % des % actifs des actifs

Europe et Asie centrale

40 30

Moyen-Orient et Afrique du Nord

30 20020

150

200

Afrique subsaharienne

Europe et Asie centrale Europe et Asie centrale

70

Amérique Moyen-Orient latine et Afrique 60 etAmérique Caraïbes 40 Moyen-Orient du Nord latine et Afrique et Caraïbes du200 Nord 50 200 30

2011

7,5

200

20

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères

512

200 40

4,7

10

Asie du Sud Asie du Sud 201 201

2,2 2,4

30

Afrique subsaharienne Afrique subsaharienne

OEC Hauts revenus OEC Hauts revenus

3,3

20

0

30 60

OEC Hauts revenus

Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères

50

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

50

10

Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères Est asiatique 9,2 2,6Europe 4,3et 2,3 0 7,1 Pacifique Asie centrale 70 Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères Est asiatique Europe et Pacifique Asie centrale 60 70 Actifs (millions $)

Amérique latine etAmérique Caraïbes latine 2005et Caraïbes

10 40 UEMOA

Est asiatique Pacifique

10

AWA

Europe et Asie centrale

1997

2001

% of foreign % of foreign banks banks

2015

20 50

1997

50 60

CESA

2001

1997 2001 Bankers 2005 Source: Global Financial Development Report 2017/2018: without Borders

Nigeria

UEMOA AWA CESA Parent Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

40 50

Amérique 30 40 latine et Caraïbes 20 30 2005 10 20

201

70

201

% of foreign banks

292

60

200

Af subsa

60

Est asiatique Pacifique Est asiatique Pacifique

70

Asie du Sud

Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères

010 0

Moyen-Orient et Afrique du Nord

200

Asie du Sud

285 Figure 2 – Part des banques régionales dans les banques étrangères

Nigeria 0 30

201

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

20 10 Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

40 70

Asie du Sud

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

0 Amérique Moyen-Orient Asie Afrique OEC latine et Afrique du Sud subsaharienne Hauts revenus Est asiatique Europe et Pacifique Asie centrale et Caraïbes du Nord Figure 1 – Part des actifs bancaires étrangers

Europe et Asie centrale

10

Est asiatique Pacifique

Moyen-Orient et Afrique du Nord

20 10

30 0

% of foreign banks

% des actifs

40 10

20

Afrique subsaharienne

50

Est asiatique Pacifique 30

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

% of foreign banks % of foreign banks

60

10 Asie du0Sud

Moyen-Orient et Afrique du Nord 2009 2013

latine et Caraïbes 2005

2001

63

Figure 1 – Part des actifsJUIN bancaires étrangers ANALYSE AFRICAN BANKER - JUILLET - AOÛT 2018 20 par région de 2005 à 2013

Figure 0 1 – Part des actifs bancaires étrangers par 40 région de 2005 à 2013 Est asiatique Europe et Amérique 60 30

30

% des actifs

% of

Figure 30 1 – Part des actifs bancaires étrangers par région de 2005 à 2013

Moyen-Orient et Afrique du Nord 2009 2013

Asie du Sud

Moyen-Orient et Afrique

Moyen-Orient Asie du Nord et Afrique du Sud du Nord 2009 2013 2009 2013

Afrique subsaharienne

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders 0 010

Est asiatique Moyen-Orient Europe et Amérique Moyen-Orient Afrique Asie Afrique Amérique Asie 0 Pacifique Asie centrale latine et Afrique Sud 4 – Banque du étrangère ensubsaharienne Afrique : le cas Ecobank latine Est asiatique et Afrique du Sud Figure etAmérique Caraïbes du Nordsubsaharienne Europe et Moyen-Orient Asie Afrique CaraïbesPacifique1997 duAsie Nord 42009 – Banque en Afrique : le cas Ecobank centrale latine et Afrique2013 étrangère du Sud subsaharienne 2001 2005Figure Figure 3 - Part de marchés des groupesetbancaires et Caraïbes du Nord Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders 2005d’origine en zone Uemoa1997 par zone2001 géographique en2009 2015 2001 2013 2005 1997 2009 2013

Est asiatique Pacifique

Europe et Asie centrale

Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders Source: Global Financial Development Report 2017/2018: Bankers without Borders

150 28,3 %

285

150

33,6 %4 – Banque étrangère en Afrique : le cas Ecobank Figure

285

Figure 4 – Banque étrangère en Afrique : le cas Ecobank

292

Figure 4 – Banque étrangère en Afrique : le cas Ecobank

150

292

% Figure 4 – Banque 14,6 étrangère en Afrique : le cas Ecobank 13,3 %

285 6,6 %

1,2 % Maghreb

UMOA

292 150

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Source : Direction du Trésor - 19/05/2017

512 292

CEMAC

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2,4 %

150 150

512 2011 512

Nigeria Nigeria

UEMOA

2011

2015 2011 UEMOA

2011

7,5

4,7 2011 2,2 7,5 2,4

7,5

9,2 7,5 AWA

CESA

Actifs (millions $)

7,5

Actifs (millions $)

UEMOA

4,7

AWA

2,2 2,4

3,3

3,3 4,7

2,2 2,4

3,3

9,2 2015 Nigeria UEMOA 9,2 $) 2015 Actifs (millions CESA

4,7

9,2

2015

512 Nigeria

AWA

7,5

512

285 285

292 Non affilié Autres zones 292

285

2011

Nigeria Actifs (millions UEMOA $)

7,1

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CESA

Nigeria

2,3

7,1AWA 2,6 CESA 4,3 2,3 AWA

9,2

2015 4,3

CESA

Parent

2,6 4,3des groupes 2,3 bancaires Figure7,1 3 4,7 2,2- Part 2,4de marchés 3,3 Nigeria UEMOA AWA CESA Parent

en zone Uemoa par zone géographique d’origine en 2015

UEMOA

Actifs (millions Nigeria


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ANALYSE

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Jim Yong Kim, le président du Groupe de la Banque mondiale

essentiels, de nombreuses entreprises seront dans l’impossibilité de s’ouvrir à de nouveaux marchés, et la croissance dans les pays en développement piétinera. » Les restrictions que s’infligent les banques étrangères dans les pays en développement depuis la crise financière mondiale de 2007-2009 auront alors pour conséquence d’entraver le potentiel de croissance de ces pays. L’accès des entreprises et des ménages à des financements indispensables sera ainsi limité. L’Afrique subsaharienne n’a pas eu besoin de choisir entre ouverture et fermeture. Ce choix s’est imposé à elle puisque presque 60 % des actifs de son marché bancaire sont détenus par des banques étrangères. L’Afrique serait-elle donc par défaut ouverte à la finance mondiale ? Pas tout à fait.

On note en fait que la part des banques régionales dans les banques dites étrangères domine de plus en plus en Afrique. En d’autres termes, le marché bancaire est en réalité de plus en plus panafricain comme en peut témoigner la structure du marché bancaire en zone Uemoa. Il est frappant de noter que la part de marché des banques étrangères du Nord, ici l’Union européenne, ne représente

que 14,6 % dans toute la zone Uemoa. Il apparaît clairement que la part de marché des banques européennes dans la zone Uemoa se partage approximativement entre la Société Générale pour 9,3 % et BNP Paribas pour 4,8 %. La crise de 2007-2009 a suscité des retraits stratégiques de la part des banques des pays riches dans les pays du PECO (Europe centrale et orientale) mais aussi en Afrique. Une réévaluation

Avec de bonnes pratiques, la présence de banques étrangères aura des incidences systémiques positives : une meilleure stabilité financière, une concurrence accrue et une plus grande résilience aux chocs.


ANALYSE

des avantages et des coûts des activités bancaires internationales est en train d’être réalisée. Les restrictions qui en découleront peuvent enrayer le processus de mondialisation des services financiers et l’essor des prêts extraterritoriaux qui avaient marqué la décennie précédente. Les pays en développement vont probablement devoir reconsidérer le rôle des banques internationales et la dynamique financière Nord-Sud. Le rôle des banques internationales du Nord offrant du crédit à une échelle planétaire et accélérateur de la croissance économique africaine est de plus en plus discutable. À la suite de la crise 2007-2008, les banques d’origine africaine ont commencé à remplir le vide laissé par les banques des pays riches en étendant

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leurs opérations à l’étranger. Une nouvelle tendance se dessine. Elle conduit à une hausse des relations bancaires entre pays en développement et à une régionalisation Sud Sud des opérations bancaires internationales. Si l’on prend l’exemple de la zone Uemoa, la Direction du Trésor français dans une note de mai 2017, affirme que « la part de marché cumulée des groupes à capitaux africains est passée de 49 % en 2004 à 70 % en 2015. Celle des filiales françaises a été divisée par deux (29 % à 14 %) sur la même période ».

qui concernent près de 30 % des pays en développement, privent ces économies de l’accès au crédit mondial, au détriment des entreprises et des ménages. La réglementation n’est donc pas la panacée. Pour preuve le volume total des actifs des plus grandes banques du monde a augmenté de 40 %. Cela signifie que les efforts de régulation déployés depuis la crise ne sont pas parvenus à régler le problème des banques « trop importantes pour faire faillite ». Il y a donc toujours moyen de déjouer la réglementation.

« Too Big To Fail » : éviter un Mc Fadden Act

La solution est suggérée par Asli Demirguc-Kunt, directrice de la recherche à la Banque mondiale. Qui précise que « l’ouverture aux banques internationales n’est pas une garantie de stabilité ou de développement financiers ». Elle ajoute qu’il importe de respecter des préalables. En effet, avec « les bonnes politiques et les bonnes institutions en place, l’ouverture peut conduire à une plus grande compétitivité et contribuer à amortir les chocs économiques au niveau local. L’ouverture peut ainsi accroître l’accès à des capitaux indispensables pour stimuler la croissance ». Si l’on adopte les bonnes pratiques, la présence de banques étrangères et l’ouverture, conjuguées au bon fonctionnement des marchés financiers, auront des incidences systémiques positives : une meilleure stabilité financière, une concurrence accrue et une plus grande résilience aux chocs. Les bienfaits de l’ouverture aux banques étrangères ne sont plus à démontrer si cette ouverture s’accompagne de bonnes pratiques et d’une bonne gouvernance. Shanta Devarajan, directeur principal de la Banque mondiale pour l’Économie du développement, précise d’ailleurs : « On ne pourra pas atteindre les niveaux de croissance économique nécessaires pour mettre fin à la pauvreté sans un secteur financier compétitif et stable. » Le panafricanisme bancaire serait-il donc la nouvelle expression de la mondialisation financière en Afrique, vecteur d’intégration et de croissance durable ? n

Le groupe Ecobank (Figure 4), en est l’expression la plus claire. Ce groupe panafricain est désormais actif dans 33 pays d’Afrique. Il possède aussi des bureaux à Paris, Pékin, Dubaï, Johannesburg et Londres, ce qui lui permet de capter des capitaux dans les pays riches pour favoriser les investissements dans l’ensemble du continent africain. Ce marché bancaire de plus en plus afro-africain présente cependant des risques qu’il importe de pointer. Le problème est le suivant : comment garantir la stabilité des systèmes bancaires domestiques en ayant un contrôle suffisant des filiales bancaires interétatiques ? L’histoire américaine contemporaine nous fait remémorer le fameux Mac Faden Act de 1927. Cette loi américaine stipulait qu’une banque ne pouvait pas être présente dans plus de deux États à la fois. Le McFadden Act avait pour objectif de favoriser la concurrence entre les banques nationales et garantir la stabilité en interdisant la création de filiales bancaires porteuses de risques interétatiques. Cette loi a été depuis amendée par le Riegle-Neal Act de 1994. Doit-on envisager un Mac Fadden Act à l’échelle de l’Afrique ? Certainement pas. Avec la montée des risques et des incertitudes au sujet des avantages de l’ouverture, certains pays se sont inquiétés de l’expansion récente des grands établissements internationaux. Ils se sont renfermés et ont ainsi limité l’activité des banques étrangères. Ces restrictions,

De bonnes pratiques bancaires

Skema Business School, directeur de l’Université d’été des banquiers africains


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ANALYSE

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L’ESSOR DU FINANCEMENT PARTICIPATIF Répondant à un besoin, la pratique du crowdfunding pourrait connaître un essor rapide, en Afrique. Des plateformes émergent, initialement orientées vers le don, elles diversifient leur approche. Par Estelle Brack

I

nexistante il y a dix ans, la finance participative s’est développée à partir du Royaume-Uni en 2006, puis des États-Unis en 2007, dans le sillage du renforcement des réglementations bancaires et financières, en réponse à la crise financière mondiale de 2008, et au premier rang desquelles Bâle III. Si les chiffres restent, en valeur absolue, encore modestes, la vitesse de progression de cette technique de financement nouvelle est impressionnante. Ainsi, selon les chiffres de l’industrie, les financements levés par les plateformes de financement participatif ont atteint au niveau mondial 34,4 milliards de dollars à la fin de l’année 2015, à comparer aux 16,2 milliards $ levés en 2014. Depuis 2012, les levées de fonds par ce canal ont été multipliées par 12. Si l’ensemble des compartiments de financements se développe, celui des prêts mobilise les financements les plus importants, avec plus de 70 % des montants levés par les plateformes. Ainsi, sur les 34,4 milliards $, 25,1 milliards ont été levés sous forme de prêt, 2,85 milliards sous forme de don, 2,68 milliards sous forme de prime, 2,56 milliards sous forme de capital, 811 millions sous forme hybride et 405 millions sous forme de redevance. La finance participative mobilise à présent des volumes de capitaux plus importants que les Business Angels et sa trajectoire la

rapprocherait du volume de financements levés par capital-investissement (Private Equity). Selon les projections du Massolution Crowdfunding Industry Report de 2015 et de PwC, la finance participative pourrait alors atteindre plus de 150 milliards $, à horizon 2025, dont 96 milliards pour les seuls pays émergents, pays qui devraient à cet égard offrir un potentiel de croissance important.

Un potentiel important pour l’Afrique

La Banque mondiale estime que les pays émergents représentent aujourd’hui tout au plus 2 % du marché des financements participatifs, soit approximativement un montant de 430 millions $ (hors Chine). L’Afrique reste très en retrait, bien après l’Asie et l’Amérique latine. Le continent africain offre, pourtant, un potentiel très important, notamment parce qu’y sont présents des facteurs propices à l’épanouissement de ce mode de financement. En dépit du niveau modeste des montants levés jusqu’à présent, les initiatives foisonnent comme en atteste le nombre de plateformes créées sur le continent, telles que Thundafund ou M-Changa, respectivement en Afrique du Sud et au Kenya. Pour autant, un très grand nombre de plateformes non-résidentes, notamment localisées aux

États-Unis (comme Fundly.com, Globalgiving. org, Gofundme.com, Indiegogo, Kickstarter, Kiva.org, Razoo.com, Youcaring.com ou Zidisha.org) ou encore au Royaume-Uni (comme la récente plateforme Emerging Crowd) et principalement actives dans le secteur de la microfinance et du don, semblent particulièrement dynamiques dans certains pays d’Afrique subsaharienne. Les plateformes françaises (comme Babyloan, KissKissBankBank ou encore Ulule) ne semblent pas en reste. Il existe des facteurs propres au continent africain qui augurent d’un développement dynamique d’une finance participative. Les techniques de financement collectif sont en effet présentes dans de nombreuses cultures en Afrique et les tontines l’illustrent parfaitement. En Afrique, le crowdfunding viendrait compléter les financements mobilisés par la microfinance. En effet, avec un encours de crédit d’un peu plus d’un milliard de dollars au sein de la seule Uemoa, la microfinance représente depuis quelques années une source significative de financement des entreprises, principalement du secteur informel. Un nombre encore limité de ces entreprises se développe suffisamment et accède ensuite au secteur formel : l’enjeu de la microfinance est désormais d’accompagner ces microentreprises vers le secteur formel pour permettre au crowdfunding de

Le succès de type de plateformes et, plus généralement des plateformes non-résidentes, est illustratif du fait que la diaspora utilise la finance participative pour financer des projets locaux.


ANALYSE

prendre le relais du financement sur des montants plus importants. En outre, finance participative et microfinance se combinent déjà, l’une servant à lever les capitaux auprès des internautes, l’autre agissant sur le terrain pour distribuer les microcrédits auprès des entrepreneurs locaux. C’est le modèle mis en œuvre par Kiva.org, avec son réseau de Field Partners constitués notamment d’institutions de microfinance. Le succès de ce type de plateformes et, plus généralement des plateformes non-résidentes, est illustratif du fait que la

AFRICAN BANKER

diaspora utilise la finance participative pour financer des projets locaux.

Quelques contraintes

La diaspora africaine, qui constitue un des premiers gisements d’investisseurs sur le continent, paraît favorable au développement de ces outils. Parallèlement, le rattrapage économique de grande ampleur en cours sur le continent africain est freiné par les difficultés rencontrées par les petites entreprises et des projets innovants à accéder au financement.

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En effet, le crédit bancaire, d’une part, se concentre sur certains secteurs seulement et se caractérise par des spreads élevés, des maturités relativement courtes et une aversion généralisée au risque. Les marchés boursiers ont, d’autre part, une taille et une liquidité modestes et cela, malgré l’existence de bourses dédiées aux PME comme Nilex en Égypte ou Altex en Afrique du Sud. Enfin, le capital-investissement rencontre un faible taux de pénétration sur le continent, avec 3,6 milliards $ levés en Afrique subsaharienne durant l’année 2015, à comparer aux 44 milliards levés au total dans les pays émergents durant la même période. C’est dans le secteur traditionnel du don (avec ou sans contrepartie) que le crowdfunding s’est d’abord développé en Afrique, relève la Banque mondiale. Ainsi, les principales plateformes résidentes, M-Changa (Kenya) et Thundafund (Afrique du Sud) sont des plateformes de don. Dans ce contexte, il existe bien un potentiel de croissance important pour le crowdequity et le crowdlending en Afrique, à l’instar de ce qui se passe dans le reste du monde. Le taux de bancarisation en Afrique est l’un des plus faibles au monde. Or, les solutions de paiement généralement utilisées par les plateformes de crowdfunding (cartes bancaires, Paypal, Apple Pay, etc.) nécessitent pour les porteurs de projet, comme pour les internautes, de disposer d’un compte bancaire. Toutefois, le développement rapide des services financiers sur mobile (tels les porte-monnaie électroniques et les solutions de M-payment) devrait permettre de lever cet obstacle. M-Changa est ainsi l’une des premières plateformes à marier mobile wallets et crowdfunding en utilisant la solution de paiement par mobile, mises en œuvre par M-Pesa. n

Comment cela marche… Le financement participatif (ou crowdfunding) permet à des porteurs de projet de lever des fonds, par l’intermédiaire d’une plateforme internet spécialisée, auprès d’un large public d’internautes composé de personnes physiques ou morales, sans aucune limite géographique, comme le permet l’Internet. Peuvent être financés par cet intermédiaire la création de start-up, des projets culturels, artistiques ou associatifs. Le modèle se décline en trois grands types de plateformes : Les plateformes de prêt, rémunéré ou non. C’est le crowdlending ou

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peer-to-peer lending. Les plateformes de don, avec ou sans contrepartie. Lorsque le don est réalisé avec une contrepartie, cette dernière correspond généralement à une récompense sous forme de biens ou services liés au projet financé. Les plateformes qui lèvent des financements sous forme de titres financiers (actions ou titres de dette, voire bons de caisse dont les mini-bonds). C’est le crowdequity.


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ANALYSE

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FRANC CFA

SAUVETAGE À LA GRECQUE Les pays de la CEMAC ont rejeté l’option de la dévaluation du franc CFA. Choisissant de facto, l’option de la consolidation budgétaire, sous le magistère du FMI. Option lourde en dégâts humains, dans des pays sans aucun filet social, comme le Congo. Par Désiré Mandilou

F

ace à la contrainte d’ajustement, les pays de la CEMAC ont choisi, unanimement, de ne pas toucher au franc CFA. Pourtant, la dévaluation de la monnaie nationale est le seul instrument qui améliore la compétitivité d’un pays, de manière indolore pour le pouvoir d’achat. Malheureusement, la culture économique étant la chose la moins partagée en Afrique, on y considère la dévaluation comme une punition. Si l’on dévalue par exemple la monnaie CFA d’Afrique centrale de 70 % par rapport à l’euro, le prix des exportations dans le reste du monde baisse de 70 %, ce qui améliore leur compétitivité. La balance commerciale se redresse également, parce que les importations deviennent plus onéreuses de 70 % et diminuent en conséquence. Il suffit alors d’inclure dans les mesures d’accompagnement de la dévaluation, le contrôle des prix pour garantir la rigidité à la hausse des prix domestiques et limiter la perte de pouvoir d’achat des salaires. La dévaluation ouvrirait d’autre part, la perspective de création d’une offre nationale de produits de consommation courante de substitution. L’idéal étant que cette offre soit manufacturée, engageant ainsi le pays dans une proto-industrialisation par substitution aux importations. C’est cela, l’ajustement par

les flux réels. Évidemment, le côté obscur de la dévaluation reste l’alourdissement de la dette extérieure, libellée en devises. Incidence facile à traiter comme nous le verrons ci-après. Heureusement pour les pays de la CEMAC, notamment pour le plus endetté d’entre eux, le Congo Brazzaville, il existe aujourd’hui une alternative aux vieilles lunes restrictives du FMI. Cette alternative d’ajustement, non formalisée par la théorie économique, mais efficiente sur le terrain, fait référence à la manière dont la Zone euro a géré ses dettes souveraines.

Le Consensus de Francfort

Retour sur image. Le Congo est aujourd’hui exclu des marchés financiers internationaux. Quelle a été la réponse européenne lorsque la Grèce s’est retrouvée dans la même situation ? Un ajustement budgétaire draconien sur le papier, mais toujours différé dans les faits. Jusqu’à ce que la Grèce obtienne la garantie de soutien du reste de l’Europe. Par contre, l’apport massif d’argent frais en provenance de la BCE (Banque centrale européenne) a été instantané. Cet apport de capitaux, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a permis aux banques européennes d’effacer le risque grec de leurs bilans. En

clair, la BCE a payé les dettes grecques aux banques privées pour éviter un krach bancaire à l’échelle européenne. La BCE a géré le risque systémique. Toutefois, l’ajustement structurel d’une économie s’étale sur plusieurs périodes. Avant le retour à l’excédent budgétaire primaire (hors les intérêts de la dette), la Grèce devait bénéficier d’un financement quasi automatique de ses déficits infrapériodiques. Le principal créancier de la Grèce, l’Allemagne, a refusé l’automaticité des refinancements infra-périodiques. En contrepartie des efforts constatés sur le terrain, la Grèce devait accéder aux nouvelles ressources requises par son ajustement. Les séquences de l’ajustement ont alors été les suivantes. D’abord un hair cut, un effacement unilatéral par les créanciers, d’une large fraction de la dette grecque. Ensuite, une mutualisation de la dette grecque à l’échelle de la Zone euro via le Mécanisme européen de stabilité (MES). Celui-ci est un fonds abondé par tous les pays membres de la Zone euro, à hauteur de 700 milliards d’euros. À raison de 80 milliards sous forme de liquidités, et 620 milliards d’euros restants constitués de capital appelable auprès des États en cas de tension. Aujourd’hui, la Commission

Au fondement de toute zone monétaire se trouve la solidarité entre les pays membres. Pourquoi deux poids, deux mesures ? Solidarité en Zone euro, chacun pour soi en Zone CFA ; insouciance en Italie, souffrances au Congo ?


ANALYSE

européenne envisage de transformer le MES en Fonds monétaire européen. L’ambition est de fournir aux pays de la Zone euro, en cas de nécessité, des financements sous des conditionnalités plus légères que celles du FMI. Le constat est simple. En Zone euro, point d’ajustement sans mutualisation de la dette. Point de sacrifices pour les populations européennes.

Le choix européen de l’endettement

Pour que le refinancement des dettes souveraines européennes soit soutenable sur la longue période, s’est appliquée la ZIRP (Zero Interest Rate Policy). Laissons à nouveau parler les faits. En 2005, la dette publique française est à 67 % du PIB. Le service annuel de la dette pèse 45 milliards d’euros dans le budget de la France. Michel Pébereau rédige un rapport qui met en garde le gouvernement contre le choix collectif de « la vie à crédit ». En 2007. Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, déclare que « le rapport Pébereau est son livre de chevet ». Malheureusement, cinq ans plus tard, à l’élection de François Hollande, la dette publique française avait bondi de 30 points de PIB, soit 600 milliards d’euros. Aujourd’hui, dix ans plus tard, l’encours de la dette française est à presque 97 % du PIB. Paradoxalement, la charge de la dette pèse toujours 45 milliards d’euros dans le budget de l’État. Les intérêts payés au reste du monde sont restés inchangés, en dépit d’une augmentation du stock de dette de 50 %. Ceci, du fait de la baisse des taux auxquels s’endette la

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France aux environs de zéro. Au total, en Zone euro, la crise des dettes souveraines a été traitée par une politique monétaire expansive appelée Quantitative easing (QE), et par une mise au plancher des taux d’intérêt. Chaque mois, chaque pays membre de la Zone euro, recevait, et reçoit encore de la BCE, a minima, 65 milliards d’euros au titre du QE. La neutralisation du taux de change en tant qu’instrument d’ajustement au sein de la Zone euro a produit d’une part, une intervention massive et soutenue de la BCE, doublée d’une mutualisation des dettes (le MES) ; d’autre part, l’affaissement du prix de l’argent aux environs de zéro. Tout cela, sur une très, très longue période. Plus de dix ans ! Nous tenons donc en main les deux modalités d’ajustement les plus indolores au monde, hors la dévaluation. Le QE a, de fait, permis à certains pays européens, de purement et simplement zapper l’ajustement. L’Italie, dont la dette publique est à 134 % du PIB, s’est exonéré de tout ajustement. C’est clair, les citoyens européens n’aiment pas souffrir. Ils n’aiment ni tailler dans les dépenses publiques, ni subir des baisses de pouvoir d’achat. Tous ces sacrifices sont inutiles, car il suffit d’acheter du temps avec une création exponentielle de liquidités pour revenir à la croissance, tôt ou tard. Le retour de la croissance rétablit les équilibres budgétaires, et diminue les encours de dette. C’est ce que l’on observe aujourd’hui. Le déficit budgétaire français vient en 2017, de descendre enfin, en dessous de 3 % du PIB. L’Allemagne a un excédent budgétaire de 38,4 milliards

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d’euros (1,8 % du PIB), et le plus grand excédent courant au monde. La Grèce est à nouveau sur les marchés financiers. Les obligations grecques portant 4 % de taux d’intérêt sont devenues les plus rentables du marché européen.

Acheter du temps en Zone franc

Il n’y a donc plus rien à inventer pour l’ajustement des pays CEMAC, membres de la Zone franc. Si l’on fait un copier-coller des solutions de la Zone euro, en Zone CFA, le policy mix congolais, c’est-à-dire la combinaison de politique budgétaire et de politique monétaire pour gérer la dette, sera aisée. Primo, point de dévaluation, mais rachat massif des titres de la dette publique congolaise par la BEAC. Aussi longtemps que nécessaire. La monétisation du déficit public congolais n’est cependant efficiente que pour annuler la dette intérieure. Que faire face à la dette extérieure exprimée en devises ? C’est le point deux du policy mix. Secundo, mutualiser de la dette des pays CFA. Nul besoin de créer une institution supplémentaire au sein de la Zone CFA. En fait, dans la Zone franc, la mutualisation de la dette et la mise en commun des réserves sont l’avers et l’envers d’une même médaille : le compte d’opérations. Il est impossible d’avoir l’un sans l’autre. La centralisation des réserves sans la mutualisation de la dette est un non-sens, une absurdité. En principe, les échéances de dette extérieure devraient être assurées par le Mécanisme africain de stabilité financière.


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ANALYSE

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J’ai nommé le compte d’opérations au Trésor de France auquel abondent tous les pays CFA. Et auquel devrait également abonder le pays tuteur, la France. S’il est vrai que la Zone CFA exprime une communauté de destin qui transcende les frontières, les mers, comme les niveaux de développement. Les quatorze pays africains plus la France, doivent donc émettre sur le marché international des capitaux, des titres communautaires CFA, dont le produit sera affecté à la diminution des ratios d’endettement dans la CEMAC jusqu’en zone soutenable. Cette solidarité intra-Zone CFA n’est pas négociable. En effet, au fondement de toute zone monétaire se trouve la solidarité entre les pays membres. Pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures ? Solidarité en Zone euro, chacun pour soi en Zone CFA. Insouciance en Italie, souffrances au Congo ?

Dynamique de croissance hors pétrole

C’est uniquement dans un tel cadre de solidarité que les injonctions faites à l’administration congolaise pour une meilleure gouvernance prendront sens. C’est en effet la solidarité européenne qui

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a permis au Premier ministre grec, Alexis Tsipras, d’obtenir la majorité au parlement pour appliquer des mesures pour le moins impopulaires. Dans le cas du Congo, le retour à la croissance sera d’autant plus rapide, que ce pays dispose de très larges marges de manœuvre. L’administration aux affaires au Congo pense que le retour à la croissance est conditionné par une remontée des cours du pétrole. Alors que l’actuelle crise de la dette est une extraordinaire opportunité pour susciter une dynamique de croissance hors pétrole. Il faut d’abord ouvrir les vannes de la création monétaire ex nihilo, ensuite, adopter une politique directive du crédit. En effet, la dette totale du Congo est insignifiante. On appelle dette totale, la dette publique augmentée de la dette des entreprises et de celle des ménages. La dette totale est une variable clé de la gestion macroéconomique d’un pays. Quand la dépense publique diminue pour cause d’ajustement, la dette

privée doit augmenter, jouant ainsi un rôle contra-cyclique. Inversement, en phase de désendettement des agents privés, la dette publique s’accroît pour maintenir stable la demande. C’est ce qui s’est passé en Espagne lors du krach immobilier, ou aux États-Unis, en 2008. Année au cours de laquelle la dette totale américaine a atteint 400 % du PIB, par hausse brutale de la dette publique. Aujourd’hui encore, avec un PIB américain évalué à 19 377 milliards $, la dette totale de ce pays reste à 370 % du PIB ! Le Congo est très loin de tels ratios. Il dispose encore de larges marges d’endettement privé, utilisables pour relancer une dynamique de croissance, non adossée au pétrole.

Une dette très faible

À ce jour, les banques ne prêtent presque pas aux entreprises congolaises. Elles n’existent que pour accompagner les multinationales, non pour générer une capacité productive propre au Congo.

Il n’existe pas des humains incapables de souffrir, les Européens, et des humains assignés à la souffrance, les Noirs subsahariens.


ANALYSE

Relancer le système productif congolais en usant du levier du crédit aux entreprises et aux ménages est donc une aventure obligée. En Chine, le crédit à l’économie représente depuis près de trente ans 125 % à 130 % du PIB. C’est ce qui a permis à ce pays de rattraper les États-Unis. Quand on a un projet productif en Chine, l’argent n’est jamais un problème. Quand le système bancaire formel ne finance pas, il existe un Shadow Banking moins regardant sur les garanties et autres obstacles au crédit. La dette totale de la Chine est aujourd’hui à 230 % du PIB, hors secteur financier. En Afrique CFA, le crédit à l’économie est de l’ordre de 10 % à 12 % du PIB avec une pointe à 25 % du PIB en Côte d’Ivoire. Bref, le Congo a de la marge. Les ménages congolais ne doivent rien au système bancaire. Hors quelques crédits immobiliers dans les zones urbaines, immédiatement présentés au réescompte de la Banque centrale, le crédit aux ménages est inexistant au Congo. Pas de consommation à crédit. Pas de crédit revolving, ni simplement de cartes de fidélité. Au Congo, tout, absolument tout s’achète cash, sans délais de paiement. Qu’il s’agisse du petit électroménager ou de l’achat d’une automobile. Handicapant dans le même mouvement le niveau de vie des populations, et la croissance. La dette des ménages est l’un des moteurs de la croissance, puisqu’elle démultiplie la consommation. Quand les entreprises peuvent également s’endetter pour financer l’investissement, les deux moteurs de la croissance donnent leur pleine mesure. En système capitaliste, l’expansion économique repose en premier et en dernier ressort sur une montagne de crédits. Au commencement de l’histoire du développement se trouve la dette générique, le préfinancement bancaire de la production. Cette dette est dite générique parce que le système bancaire ne possède pas la monnaie qu’il crée. Le mouvement même de la création définit une cession à autrui, un prêt. Symétriquement, le système productif ne possède pas non plus la monnaie de création bancaire, puisque cette dernière est assortie d’une clause de restitution à échéance (crédit). Le crédit en création de monnaie est donc purement circulatoire. Il a pour unique fonction de générer la contrepartie productive de l’émission monétaire. C’est à cela que va servir la politique d’aisance monétaire de la BEAC, mettre le

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feu à l’économie congolaise hors pétrole, accroître la contrepartie productive des émissions monétaires. La croissance induite permettra à l’État congolais de réaliser des excédents budgétaires primaires, auxquels pourront s’adosser les remboursements de dette. Voilà, succinctement résumé, l’ajustement indolore sur très, très longue période, telle que pratiqué en Zone euro. Cette alchimie monétaire est d’autant plus efficace, d’autant plus rapide, que le Quantitative Easing se double d’une politique directive du crédit : quels secteurs, quelles entreprises, quels montants etc. C’est ce que démontre l’exemple de l’Islande. Ce pays d’à peine 300 000 habitants a fait de sa Banque centrale, détenue à 100 % par l’État, l’unique source de création monétaire sous toutes ses formes : pièces, billets, monnaie scripturale. Les banques commerciales sont devenues des sociétés spécialisées dans le suivi et la bonne fin des crédits accordés par la Banque centrale. Des sous-traitants de l’allocation de crédit, en quelque sorte.

Réformer la Zone franc

L’Islande a ensuite mis les taux d’intérêt au plancher. Pour que l’activité bancaire conserve une certaine rentabilité organique, les banques ont dû suppléer les En 2008, la dette totale américaine a atteint 400 % du PIB, par hausse brutale de la dette publique.

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firmes privées en compétences managériales. Les banques islandaises ont directement géré des firmes au bord du dépôt de bilan. L’ajustement y a été quasi instantané. Dès 2010, la croissance de ce pays dépassait déjà la moyenne européenne. Au point que le FMI a organisé plusieurs missions en Islande pour s’instruire des mesures mises en œuvre par les Islandais. Apparemment, le FMI n’a rien appris. Pour finir, nous dirons que le policy mix congolais, rendu bancal par la désactivation de l’offre de monnaie, impose des sacrifices inutiles aux congolais, comme au reste de la CEMAC. Restaurer les équilibres macroéconomiques sur le seul levier budgétaire est bête et méchant. Le Congo est conjoncturellement illiquide en devises, mais non pas insolvable sur le temps long. Le FMI devrait veiller à ne pas changer de doctrine d’ajustement selon les latitudes. Quantitative Easing, c’est-à-dire pluie de liquidités pour les pays développés, licenciements, hausses des impôts, baisse des salaires etc. pour les pays subsahariens. Les Congolais savent désormais, sur quoi doivent porter les négociations, Il s’agit d’acheter du temps avec la création monétaire ex nihilo de la BEAC, le QE intra-Zone franc. Pour ce faire, il convient de rendre l’institution de la Zone franc, compatible avec le nouveau modèle d’ajustement validé en Zone euro, et quasiment indolore pour les populations. Il n’existe pas des humains incapables de souffrir, les Européens, et des humains assignés à la souffrance, les Noirs subsahariens. Tout ajustement requiert des mesures restrictives, mais l’intensité de ces mesures, leur impact social est fonction du temps dont on dispose. L’Europe s’est acheté dix ans de délai d’ajustement avec le Quantitaive Easing. Elle vient à peine d’entamer la décrue de ses dettes souveraines. L’Afrique doit également s’acheter du temps via la création monétaire exponentielle. Si le cadre monétaire que constitue la Zone CFA ne le permet pas, il est impératif de le faire évoluer. Ce sont les crises qui font évoluer les institutions. Les politiques radicales d’avant-crise, deviennent alors la norme d’après-crise. Les lignes de résolution de la dette du Congo ici proposées sont claires, simples, et immédiatement opératoires. Il reste à les mettre en œuvre pour rendre effectifs, la solidarité intra-Zone franc, et l’ajustement par les flux réels, c’est-à-dire la croissance. n


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L’AFRIQUE AU RENDEZ-VOUS DE LA BLOCKCHAIN Dans les transformations actuelles de la finance, la technologie blockchain est celle qui change le plus les habitudes des acteurs. Tunis accueille au mois de mai, une importante réunion de banquiers centraux. Par Karim Zine-Eddine, directeur des études de Paris Europlace

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a technologie blockchain s’adresse à l’ensemble des activités financières, de la banque de détail aux activités des marchés financiers les plus sophistiqués, en passant par l’assurance, la gestion de fonds, et leurs chaînes de création de valeur. Le monde financier est en ébullition depuis 2008, année de l’apparition de cette technologie portée dans un premier temps par le bitcoin. Depuis, les cryptomonnaies se sont démultipliées, mais surtout le monde financier a découvert le potentiel de cette technologie, qui porte ces cryptomonnaies, et sa forte capacité à transformer la chaîne de création de valeur en finance. C’est dans ce contexte que la BCT (Banque centrale de Tunisie), Paris Europlace (s’appuyant sur son laboratoire de la finance africaine, AfricaFinLab) et le cabinet de conseil Talan Group, ont lancé l’Africa Blockchain Summit, avec pour ambition d’analyser l’impact de la blockchain sur la finance africaine autour de Banques centrales, africaines et internationales, ainsi que de la Banque mondiale, de la BRI (Banque des règlements internationaux) et des institutions financières publiques et privées. Le 14 mai à Tunis, est le premier rendez-vous en Afrique réunissant, à ce

niveau, la pluralité des acteurs l’écosystème de la blockchain, pour débattre et analyser l’impact de cette technologie sur la finance africaine.

Quels enjeux ?

La Blockchain, ou « technologie des registres distribués », (Distributed Ledger Technology), est tout d’abord une technologie, dont l’application la plus connue est la cryptomonnaie Bitcoin, ou encore Ripple, Ethereum, Dash, NEO, etc. La blockchain permet de créer, stocker et diffuser n’importe quel type de transaction (titres de propriété, titres de dettes, contrats, etc.) avec une grande sécurité et fiabilité et de manière complètement décentralisée, c’est-à-dire sans l’intervention d’une autorité centrale et sans risque de manipulation ou de violation de la transaction ou information enregistrée. Il existe deux types de « registres distribués ». Le premier est la blockchain publique ouverte et accessible à tous, – les cryptomonnaies en sont une bonne illustration. Le second est la blockchain privée, déployée au sein d’une institution ou d’un réseau d’institutions financières ; elle crée ainsi un consortium et est gérée de manière totalement décentralisée. Le déploiement d’une telle technologie toucherait le cœur des systèmes d’informa-

tion, d’organisation et de création de valeur des institutions financières. Conscients de l’enjeu de cette technologie, et de l’impact potentiel sur leurs activités et du risque qu’elle peut faire peser sur leur business model et donc leurs revenus, les acteurs financiers sont mobilisés pour la maîtriser et en comprendre les tenants et aboutissants. Bien sûr, les autorités de marchés sont concernées par cette technologie et ses défis. Nombreuses ont été les Banques centrales, y compris en Afrique, à souligner les risques portés par les cryptomonnaies et en parallèle à mener des expérimentations sur la blockchain et son impact sur le système financier et sa stabilité.

L’Africa Blockchain Summit devrait devenir un rendez-vous régulier de l’Afrique avec cette technologie disruptive, mais qui peut lui permettre d’avancer très vite dans la modernisation de ses systèmes bancaires et financiers.


ANALYSE

Au niveau mondial, des travaux, réflexions et expérimentations ont été lancés par les Banques centrales ; en France, la Banque de France a ainsi lancé un registre des identifiants créanciers SEPA (Single Euro Payments Area) décentralisé. Les Banques centrales du Japon, de Chine et de Russie expérimentent des solutions de paiement et de règlement livraison basés sur la blockchain. Il en est de même pour l’autorité monétaire de Singapour, qui a lancé un projet de règlements transfrontaliers en temps réel ; la Banque du Canada a lancé le projet test sur son système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV), etc. Toutes les Banques centrales au niveau mondial ont lancé des initiatives blockchain pour tester, comprendre et tenter de maîtriser cette technologie. Dans une approche multilatérale, la Banque mondiale et le FMI suivent ces développements et émettent des avis. Il en est de même de la BRI, qui a notamment publié un rapport analytique sur la blockchain dans les services de paiement, de compensation et de règlement livraison.

Les ambitions de l’Afrique

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Les institutions financières banques, assurances, sociétés de gestion sont, de même, fortement impliquées dans cette dynamique, elles engagent de nombreuses expérimentations et applications opérationnelles. En France, la Société Générale a lancé trois plateformes blockchain, We.trade pour le paiement sécurisé entre PME européennes, Newco pour le posttrade dans le secteur énergétique et Easy Trading Connect pour le négoce international de matières premières. Pour sa part, BNP Paribas a réalisé, en début d’année, une première transaction de souscription en s’appuyant sur une solution blockchain, JP Morgan teste une plateforme d’émission de titres de dettes ICBC, en Chine a lancé une plateforme blockchain d’approvisionnement, etc. Les exemples se multiplient au niveau mondial et l’ensemble des grandes institutions internationales explorent cette technologie, à la fois très prometteuses, mais également fortement disruptive. Dans ce domaine, les initiatives en

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Afrique restent assez timides. Au niveau des Banques centrales, seule la South African Reserve Bank (SARB) a lancé, en février 2018, un proof of concept (PoC), visant à répliquer la compensation et le règlement-livraison interbancaire basée sur une cryptomonnaie, Ethereum. Les Banques centrales africaines suivent ces évolutions de près. C’est le cas de la BCT, qui vient de se doter d’un laboratoire blockchain. De même, la Banque centrale du Nigeria a constitué un comité qui finalise une feuille de route. Au Kenya enfin, un cercle de réflexion réuni par le gouvernement analyse les enjeux et le déploiement de la blockchain. Le secteur privé africain est plus dynamique et engagé dans ce processus. Contrairement aux pays dont les systèmes financiers sont plus matures, où les initiatives sont portées par les acteurs financiers « traditionnels », en Afrique celles-ci sont portées par des Fintechs ou des entreprises technologiques, c’est le cas d’Hightech Payment Systems, multinatio-


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nale marocaine, leader dans l’édition des solutions de paiement électronique, de DigitUS, start-up tunisienne spécialisée dans la crypto-finance qui, avec l’appui de La Poste tunisienne, déploie une solution blockchain de paiement et de transferts de fonds.

Une approche multidimensionnelle

De son côté, le Nigeria Virtual Terminal Network, spécialisé dans le paiement mobile, a constitué un lab blockchain. En Afrique du Sud, on note l’initiative Springblock, un consortium réunissant des acteurs bancaires et qui vise à implémenter la blockchain dans toutes les transactions bancaires et financières, pour développer de nouvelles solutions. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’Africa Blockchain Summit, qui a pour ambition de contribuer aux réflexions et travaux en cours, pour en tirer les meilleures pratiques pour l’Afrique. Il s’agit

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de proposer dans une approche africaine, une nouvelle grille d’analyse et de compréhension de cette technologie, de sensibiliser sur la nécessité d’en comprendre les tenants et aboutissants afin d’en appréhender les risques et opportunités pour une mise en œuvre efficiente en Afrique. Les promoteurs de l’Africa Blockchain Summit ont souhaité déployer une approche multidimensionnelle de la blockchain, pour en identifier les défis, les enjeux et les applicatifs potentiels sur la finance africaine. Trois séquences complémentaires sont ainsi prévues au programme : La première, institutionnelle, la Conférences des Banques centrales, réunissant experts blockchain au sein des Banques centrales et hauts responsables de la finance, africains et internationaux. La deuxième sera consacrée à des ateliers sur des usages concrets de la blockchain dans le secteur financier.

Enfin, la troisième séquence sera axée sur la recherche et l’innovation, à travers un Hackathon réunissant FinTechs, académiciens, chercheurs et développeurs autour d’un défi blockchain, centré sur les préoccupations opérationnelles. Cet événement donnera lieu à la présentation d’un livre blanc sur la blockchain en Afrique, qui visera à la fois à identifier des axes de développement dans une optique tenant compte des réalités africaines et à la lumière des expérimentations et leçons tirées des pratiques internationales. L’édition 2018 est la première édition de l’Africa Blockchain Summit ; l’ambition de ses promoteurs est d’en faire un rendez-vous régulier de l’Afrique avec cette technologie disruptive dans de nombreux pays, mais qui pourrait permettre à l’Afrique d’avancer très vite dans la modernisation de ses systèmes bancaires et financiers. n




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