Villes Africaines - Angola

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African Le magazine des dirigeants africains

BUSINESS G ro u p e I C P u b li c at i o n s

HORS SÉRIE N°1

Bâtir “la perle de l’Afrique” Kilamba, nouvelle ville modèle La destination préférée des investisseurs Urbanisme : le social avant le profit Les villes africaines du futur La planification urbaine est une priorité La ville est un vecteur de paix

VILLES AFRICAINES

M 04758 - 1H - F: 4,50 E - RD

En partenariat avec le ministère de l’Urbanisme et du logement de la République d’Angola et Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU-A)

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● France : 4,50 € • Zone euro : 4,50 € Zone CFA : 2 700 F. CFA Algérie 240 DA • Tunisie 6 000 DT • Maroc 40 Dh Suisse SFr 7 • Royaume-Uni £3,90 • USA $5.50 • Canada $ 6,00

Angola : les fondations de la réussite



Sommaire

Hors Série Villes africaines | www.icpublications.com FRANCE IC PUBLICATIONS 609 BâT. A 77, RUE BAYEN 75017 PARIS Tél : + 33 1 44 30 81 00 Fax : + 33 1 44 30 81 11 Courriel : info@icpublications.com Site Internet : www.africasia.com GRANDE-BRETAGNE IC PUBLICATIONS 7 COLDBATH SQUARE LONDON EC1R 4LQ Tél : + 44 20 7841 32 10 FAX : + 44 20 7713 78 98 E.mail : icpubs@icpublications.com Website : www.icpublications.com DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Afif Ben Yedder ÉDITEUR Omar Ben Yedder RÉDACTEUR EN CHEF Hichem Ben Yaïche h.benyaiche@icpublications.com COORDONNATRICE ÉDITION FRANÇAISE Sophie Lavarene COORDONNATEUR DE LA RÉDACTION Junior Ouattara SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Laurent Soucaille RÉDACTION Christian d’Alayer, David Baché, Estelle Bracke, Marie Bousquet, Djamila Colleu, Dounia Ben Mohamed, Gérard Choisnet, Olivier Deau, Julien Evina, Hind Filali, Mathieu Galtier, Amour Gbovi, Christine Holzbauer, Ridha Kefi, Yasmina Lahlou, Carole Lambert, Samia LokmaneKhelil, Babacar Justin Ndiaye, Thiery Noungou, Nicolas Négoce, Tiego Tiemtore, Jocelyn-Francis Wabout, Guillaume Weill-Raynal, Antonin Tisseron

V.P. - DÉVELOPPEMENT Saliba Manneh s.manneh@icpublications.com COMMUNICATION / PUBLICITÉ Flavie Mérat f.merat@icpublications.com Soraya Menouar s.menouar@icpublications.com Medrine Chitty, Elisée Marie, Darren Moore BUREAU MAGHREB Nejib Ben Yedder n.benyedder@icpublications.com Mohamed Ali Aboudi m.aboudi@icpublications.com PRODUCTION Richard Briggs r.briggs@icpublications.com DIFFUSION Jean-Claude Bétard ABONNEMENTS FRANCE Françoise Peter peter@icpublications.com 1 an 6 numéros : 35€ (40€*) 2 ans 12 numéros : 65€ (72€*) 3 ans 18 numéros : 95€ (108€*) * Reste du monde www.icpublications.com

4 Éditorial Pourquoi Villes africaines ?

66 Nouvelles villes Luanda, moderne et joyeuse

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Jean-Pierre Mbassi

Villes unies

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IMPRIMEUR Headley Brother Ltd. Ashford, Kent TN24 8HH

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Repenser les villes africaines

La dimension africaine

74 Les Provinces Uíge : un avenir radieux 80 Benguela : sur la voie de la prospérité 83 Cabinda, le « Koweït de l’Afrique»

CRÉDITS PHOTOS AFP (sauf mention particulière) ISSN : 1759-1945 N° DE COMMISSION PARITAIRE 0419 K 89806 Bimestriel Dépôt légal : mars 2015 © 2015 - IC Publications

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Grand entretien

José António Maria da Conceição e Silva, ministre angolais de l’Urbanisme et du logement

24 Transformation réussie Adriano da Silva, directeur du logement 26 Indicateurs 28 Histoire L’Angola renaît de ses cendres 30 Chronologie de l’Angola 36 Économie Le plein essor 42 Des logements pour tous 46 Nouvelles villes : Kilamba Ville modèle 58 Entretien Maria Luísa Abrantes, DG ANIP

DIRECTION ARTISTIQUE Daniel Benharrosh

62 Immobilier Un secteur jeune et prometteur

DIRECTRICE GÉNÉRALE Leila Ben Hassen l.benhassen@icpublications.com

65 Architecture Préserver le caractère angolais

Le plan directeur de Luanda

Concevoir la ville du futur

Points de vue d’experts

84 Quand le bien social passe avant le profit 86 Les villes aident à surmonter l’héritage des conflits 88 Planifier avec le peuple, non pour le peuple 90 L’entretien, une priorité 94 La dimension économique de la politique urbaine 97 Villes et transformation économique 98 Mot de la fin Faites-nous rêver ! Également disponible en anglais et en portugais. Veuillez contacter icpubs@icpublications.com pour en obtenir une copie.


É D I TO R I A L

C’était en avril 2013, à l’occasion d’une conférence sur les infrastructures urbaines au Cap, organisée par IC Events, que j’ai pris connaissance du gigantesque projet de logements conçu par le gouvernement de l’Angola. Par Anver Versi

Pourquoi Villes africaines ?

J

osé António Maria da Conceição e Silva, ministre de l’Urbanisme et du logement, avait expliqué aux participants de la conférence que le pays avait lancé un programme de construction de 1 million de nouveaux logements, à l’horizon 2017, afin de loger décemment les millions de personnes déplacées pendant la guerre, qui vivaient entassés dans les bidonvilles de la capitale, Luanda, et d’autres villes, telles que Lobito, Benguela et Uíge. Le déficit de logements, qui s’est considérablement creusé avec les années de guerre, touchait toutes les catégories de professions : les fonctionnaires, les enseignants, les médecins, les mécaniciens, les commerçants… En réalité, le ministre décrivait une situation que connaissaient tous les participants venus d’Afrique et de pays en développement. Les villes africaines, bâties sur le modèle colonial pour des objectifs coloniaux, n’étaient plus adaptées aux besoins du continent. La population africaine s’est considérablement augmente en l’espace d’un demi-siècle et l’afflux continu de migrants quittant les zones rurales pour trouver un emploi en ville s’est intensifié. Les campagnes se vident dans les villes, mais celles-ci, délimitées par des frontières réelles et artificielles d’une époque révolue, sont incapables de s’agrandir. D’une certaine façon, les villes ont éclaté et les nouveaux habitants se sont bâti des abris de manière anarchique. Des bidonvilles sordides se sont développés comme des tumeurs. Ce phénomène n’est pas particulier à l’Afrique. Il y a deux siècles, Londres et Paris étaient composés en grande partie de bidonvilles. Il suffit de lire l’œuvre de Charles Dickens (Oliver Twist, David Copperfield, etc.) pour se plonger dans un univers sombre où rôdent la maladie et la misère. Ces villes font aujourd’hui l’envie des Africains — mais des poches de misère

4 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015

subsistent et il faut faire preuve d’une incroyable ingéniosité pour trouver des solutions. Voici 50 ans, ce fut au tour de l’Asie de s’attaquer à ses villes, au bord de l’explosion. Certaines, telles Bombay, Calcutta et Dhaka, s’efforcent toujours de devenir vivables pour la majorité de ses habitants et non seulement pour une petite minorité riche. D’autres, comme Singapour, Tokyo et Séoul, sont devenues de superbes métropoles où on peut habiter, travailler et se divertir. En Chine, près de 55 % de la population totale vit en ville. Pendant des décennies, le gouvernement a tenté de contenir l’exode rural, mais les Chinois sont toujours parvenus à contourner les obstacles sur leur chemin. Aujourd’hui, l’État encourage au contraire le mouvement vers les villes. Il a découvert, comme d’autres avant lui, que les villes créent des richesses. La densité de population, la lutte pour la survie et la course implacable pour réussir semblent cristalliser la créativité et stimuler les inventions. Les pays les plus riches sont très urbanisés. Au Royaume-Uni, moins de 10 % de la population vit en zone rurale tandis qu’aux États-Unis, les agriculteurs ne représentent que 1 % à 2 % de la population. Il semblerait que, là où les villes sont bien aménagées, davantage de richesses sont créées. La Chine a récolté les fruits de son programme d’urbanisation et vient de ravir la place de première puissance économique aux États-Unis. La planification, le développement, la réalisation et la gestion des « nouvelles villes » de Chine (bâties autour des conurbations anciennes comme Pékin, Shanghai et Nankin) sont repris comme modèles dans les cursus universitaires d’urbanisme partout dans le monde. Ces villes ont aboli le mythe, selon lequel les villes évoluent et s’adaptent avec le temps et ne nécessitent que quelques « retouches » ici et là. Elles évoluent et s’adaptent, mais deviennent aussi parfois un ensemble de ghettos dangereux et inefficaces. Toutes les économies d’échelle qu’elles peuvent apporter sont perdues quand règne le chaos. Tout dérive des villes Les villes qui sont en dysfonctionnement favorisent les troubles sociaux — donnant lieu à une hausse de la criminalité, de la violence, du vandalisme, de l’ignorance, de la colère, du chômage et des extrémismes, ainsi qu’à un nihilisme destructeur. Les villes sont à double tranchant, capables de forger un brillant avenir ou de se retourner contre nous et nous détruire. Chaque jour, l’actualité mondiale est le reflet de ces deux évolutions. Il n’est pas exagéré de dire qu’en Afrique, aucun aspect de la vie moderne n’est


A n ve r

Ve r s i

reconnaître que je n’en connaissais pas les détails. La barrière de la langue et le fait que nous n’avions pas de correspondant dans le pays nous avaient laissés dans l’ignorance. Je n’avais vu qu’un extrait sur le site Web de la BBC, pour le moins sarcastique, qui comparait l’un des nouveaux centres urbains, Kilamba, à une ville fantôme !

plus important aujourd’hui que l’état de l’urbanisation. Les autres secteurs de l’économie progressent ou régressent en fonction de l’état des villes. Même l’agriculture, qui fait l’objet de tant d’attention, dépend de la santé des villes, qui constituent le principal marché des denrées produites dans les zones rurales tandis que les financements, les équipements et la recherche qui accroissent la productivité agricole proviennent des villes. Il n’est pas étonnant que les plus grands experts africains se préoccupent de l’état des villes africaines. Le problème est complexe, car il n’est pas possible de fermer une ville pendant les travaux, qui doivent être réalisés en occasionnant le moins de gêne possible. Mais plus personne en Afrique ne doute de la nécessité d’agir. C’est pour discuter de ces sujets que les délégués — ministres du Logement et de l’aménagement urbain, maires, architectes, ingénieurs, économistes, financiers, experts dans le domaine social et culturel, urbanistes, autorités civiques, et autres acteurs — se sont réunis à la première Conférence sur les infrastructures urbaines en Afrique, au Cap. C’est alors que le ministre José António Maria da Conceição e Silva a mentionné le vaste projet de rénovation urbaine de son pays, dont fait partie le programme de construction de logements publics, sans doute le plus ambitieux jamais réalisé en Afrique. J’avais bien entendu parler d’un projet de développement urbain en Angola, mais je dois

Ci-dessus : Construction dans les environs de la baie de Luanda.

Une initiative à l’échelle de l’Afrique Quand le ministre nous a annoncé que des milliers de logements avaient déjà été construits, nous nous sommes montrés sceptiques. Il nous a invités à venir en Angola pour juger par nousmêmes et a proposé d’organiser le deuxième forum sur les infrastructures urbaines d’Afrique à Luanda. Les délégués ont accepté l’invitation avec enthousiasme. Si, en effet, la réalité était à la hauteur de ce qu’il nous avait décrit, nous aurions de précieuses leçons à tirer et à partager avec le reste de l’Afrique. La rapidité avec laquelle le ministre avait pris sa décision était impressionnante. José António Maria da Conceição e Silva était convaincu qu’il n’y avait pas de temps à perdre et que le problème était trop sérieux en Afrique pour tergiverser. Alors que nous nous préparions à partir, plusieurs experts dans le domaine ont manifesté leur intérêt pour le sujet. Un mois plus tard, lors du Forum sur le leadership qui s’est tenu à New York, nous avons discuté avec Jean-Pierre Elong Mbassi, secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique, qui nous a aidés à organiser la conférence sur les infrastructures urbaines. Il a suggéré l’idée qu’un Hors Série d’African Business, soit consacré entièrement au thème des villes, si crucial pour le développement de l’Afrique. Nous avons accepté et voici le premier numéro de ce qui deviendra, nous l’espérons, un trimestriel dédié aux villes africaines. Dans cette édition, nous nous concentrons sur l’Angola et ses Novas Centralidades que nous plaçons dans le contexte africain. D’autre part, nous analysons le contexte historique et économique du pays, car l’on ne peut bâtir des villes durables sans tenir compte des réalités sociales, politiques et économiques dans lesquelles elles émergent. L’Angola étant un vaste pays, il ne nous a pas été possible de voyager partout et de tout voir. Nous avons donc mis l’accent sur les projets les plus emblématiques du programme d’urbanisation et nous avons donné la parole à divers experts, d’Angola et d’ailleurs, afin de donner une dimension supplémentaire à notre magazine. Le premier Hors Série Villes africaines est notre contribution à la discussion essentielle, et urgente, sur les moyens de fonder les belles villes de nos rêves. n

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P O I N T

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V U E

D ’ E X P E R T

La priorité du programme de développement Entre 2010 et 2050, la population urbaine africaine aura triplé. Il y a urgence à faire de la gestion de l’urbanisation une priorité. Par Jean-Pierre Mbassi, secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique

L

’Afrique vit un basculement de son peuplement depuis bientôt deux générations. De majoritairement rurale au moment des indépendances dans les années 1960, sa population s’est rapidement urbanisée au cours des 50 dernières années au point que la part de la population urbaine dans la population totale est estimée en 2010 à environ 40 % avec un taux de croissance urbaine de 5 % en moyenne par an. À ce rythme, dans moins de dix ans (horizon 2020), les experts estiment que la population urbaine de l’Afrique sera supérieure à la population totale de l’Union européenne et à la population urbaine totale de l’Amérique latine et des Caraïbes ; et que l’Afrique entrera dans l’âge urbain vers 2035, cette entrée marquant le seuil où la part de la population urbaine dans la population totale du continent sera désormais majoritaire. Entre 2010 et 2050, la population urbaine de l’Afrique aura été multipliée par trois, passant de 400 millions à 1 200 millions d’habitants, ce qui veut dire que les villes africaines abriteront l’équivalent de la population totale actuelle du continent, ou le quart de la population urbaine mondiale. Il s’agit de l’une des transformations majeures du continent dont il convient de prendre urgemment toute la mesure. L’urbanisation rapide est sans aucun doute un des éléments explicatifs de la dynamique de la démo-cratisation en cours sur le continent, dynamique qui s’accompagne souvent

d’un mouvement de décentralisation. Au plan politique et institutionnel, cela se traduit par l’émergence des autorités territoriales, autorités publiques chargées de la gouvernance de proximité, qui sont en première ligne dans la gestion de l’urbanisation, notamment en ce qui concerne l’accès aux services de base, la promotion du développement économique des territoires, et l’amélioration du cadre et des conditions de vie des populations. L’urbanisation est au cœur de la transformation économique du continent. En 2015, les villes contribuent déjà pour plus de 60 % au PIB de l’Afrique alors qu’elles abritent un peu moins de la moitié de sa population. De ce fait, même les villes sont au centre de la transformation structurelle du continent, car de leur attractivité et compétitivité vont dépendre l’attractivité et la compétitivité des économies. En conséquences, les villes doivent être considérées comme l’horizon de l’habitat des populations africaines, comme c’est le cas partout ailleurs dans le monde. Elles sont les lieux d’accueil de la majorité des activités industrielles et technologiques. Elles sont les points de connexion privilégiés des régions et pays d’Afrique à la dynamique de l’économie mondialisée. Du fait de leur densité plus élevée qu’en zone rurale, elles permettent un accès plus facile et permanent aux services essentiels à une plus grande partie de la population et, ce faisant, leur off rent un meilleur cadre et de meilleures conditions de vie. Les villes sont au cœur des enjeux de la

démocratie et de la citoyenneté. L’urbanisation non maîtrisée recèle des risques et lance des défis aux populations et aux décideurs en termes de prise en compte de concentrations des populations pauvres dans des zones urbaines sous équipées ou impropres à la construction ; d’inadéquation entre la croissance démographique et les possibilités de développement des activités économiques et de l’emploi, notamment pour les jeunes ; de gestion des migrations ; de développement des inégalités et des discriminations de tous ordres ; de difficulté de maintien de l’inclusion sociale et de la cohésion entre citadins ; de respect des exigences du développement durable ; de bonne gouvernance, de promotion de la démocratie et de la citoyenneté. Il est donc crucial pour le devenir des pays africains et du continent dans son ensemble que la question de l’urbanisation rapide et des villes figure parmi les priorités des politiques et stratégies de développement et de transformation structurelle de l’Afrique. En tant qu’organisation dédiée à la promotion de la décentralisation et du rôle des autorités locales et régionales dans le développement du continent, Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU-A) salue le lancement de ce magazine trimestriel consacré aux Villes africaines qui stimulera la réflexion et favorisera les échanges d’idées et d’expériences sur la gestion de l’urbanisation de l’Afrique. Le rôle de ses villes et territoires dans la transformation et le développement du continent devient de plus en plus déterminant. n

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Les villes africaines se développent à un rythme sans précédent, ce qui crée de nombreuses opportunités commerciales, mais aussi de grandes inégalités et parfois des tensions sociales. Bâtir des villes qui répondent à la fois aux besoins des résidents et des investisseurs constitue un défi majeur pour les gouvernements africains.

Repenser les villes africaines Mégapoles africaines 2015 Population

Le Caire 11,0 m

Khartoum 4,5 m Kano 3,3 m Abidjan 4,2 m Lagos 10,8 m Kinshasa 8,4 m

Ci-dessus : les plus grandes métropoles africaines (Population en millions d’habitants)

Nairobi 3,2 m Dar es Salaam 3,4 m

Johannesburg 3,8 m Cape Town 3,5 m

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Re p e n s e r

Population Population urbaine urbaine en Afrique en Afrique 1970 -1970 2050* - 2050*

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c o n c e p t i o n

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Mégapoles africaines 2015 Population

Part desPart citadins des citadins dans la dans population la population totale, en totale, % en %

Le Caire 11,0 m

Total deTotal la population de la population urbaineurbaine

1,26 milliard 1,26 milliard 400,1400,1 millions millions 53,3 millions 53,3 millions

Khartoum 4,5 m Kano 3,3 m

Abidjan 4,2 m Lagos 10,8 m

Nairobi 3,2 m

Kinshasa 8,4 m

Dar es Salaam 3,4 m

1,26milliard 1,26milliard

de personnes de personnes vivrontvivront dans les dans villes les villes africaines africaines d’ici à 2050, d’ici à plus 2050, que plus la que population la population totale du totale continent du continent aujourd’hui. aujourd’hui.

Sources: ONU Sources: Habitat ONU; Habitat PNUD ; ;FMI PNUD ; FMI

Johannesburg 3,8 m Cape Town 3,5 m Afrique Afrique de l’Ouest de l’Ouest 138,9 138,9 m - 44,3 m -% 44,3 %

Afrique Afrique du Nord du Nord 102 m102 - 51,2 m -%51,2 %

Population urbaine Population urbaine par région, par région, 2010 2010

Afrique de l’Est 78,0 m - 23,3 %

Afrique centrale 51,9 m - 40,9 %

a f r i c a i n e s

S

2050 2050 2010 2010 1970 1970

57,7 %57,7 % 39,2 % 39,2 % 23,5 % 23,5 %

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Mégapoles Mégapol afr 2015 2015 Population Populati

Afrique australe 33,8 m - 58,5 %

ur une île artificielle du golfe de Guinée, Eko Atlantic est un immense chantier devant Bar Beach, la plage de Lagos où s’amoncellent les détritus. Pourtant, sur les palissades, les architectes imaginent une ville qui rappelle davantage celle d’un émirat arabe que la capitale commerciale du Nigeria. À seulement 4 km de là, 250 000 personnes sont entassées à Makoko, un bidonville de constructions sur pilotis en bois et en tôle ondulée. Ce sont les deux visages de la croissance urbaine au XXIe siècle, Abidjan Abidjan 4,2 m4 en Afrique subsaharienne. Bien que Lago l’explosion démographique dans les conurbations telles que Lagos et Nairobi soit une aubaine pour les sociétés de biens de consommation et les investisseurs immobiliers, elle cristallise – voire exacerbe – les inégalités sociales et économiques. « Eko Atlantic est hors normes. C’est une utopie qui sera inaccessible » affirme Francis Owusu, professeur de l’aménagement du territoire régional et des communautés à l’Iowa State University, expert de l’urbanisation africaine. Les îles urbaines aux logements luxueux, comme Eko Atlantic, ne reflètent pas les villes où elles sont créées. « Nous voyons les villes africaines comme des villes occidentales, poursuit Francis Owusu, or les villes doivent résulter du contexte culturel dans lequel elles émergent. Une nouvelle ville trop éloignée de la culture dans laquelle elle se situe Afrique Afrique de l’E ne peut être fonctionnelle, car elle ne m 78,0 78,0 - 23,3 m répond pas aux besoins des gens. » L’urbanisation de l’Afrique s’est accélérée au XXIe siècle. La part des Africains vivant en ville demeure inférieure à 50 %, mais ce chiffre masque l’énorme augmentation de la population urbaine en chiffres absolus. Sur les 100 villes qui affichent la croissance la plus rapide dans le monde, 25 se situent en Afrique. En 2010, l’ONU estimait que 400 millions de personnes vivaient en zone urbaine en Afrique ; d’ici à 2050, ce chiffre atteindra 1,26 milliard. En 1970, les citadins étaient un peu plus de 53 millions sur le continent. En l’espace de deux générations, la population citadine

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Un marché du travail saturé Dans de nombreuses régions d’Afrique, au lieu de tours resplendissantes, l’urbanisation s’est surtout manifestée par l’expansion des quartiers pauvres, d’habitat spontané, générant un profond malaise devant les inégalités sociales et économiques. La recherche de solutions durables aux conséquences socio-économiques de l’urbanisation en Afrique, tout en préservant un environnement où le secteur privé local et international peut prospérer, constitue l’un des principaux défis auxquels est confrontée la génération actuelle. « À ce rythme de croissance, les

Sources : ONU Habitat ; PNUD ; FMI

En l’espace de deux générations, la population citadine a été multipliée par huit. Dans une génération, elle aura à nouveau quadruplé. Cet essor de la population représente une excellente opportunité économique.

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2070

La population totale de l’Afrique dépassera les 3 milliards de personnes et continuera de croître.

4,4x La densité de la population atteindra 79 personnes/km2, le double de celle 2010.

La population urbaine africaine dépassera 1 milliard de personnes

2040

La population urbaine en Afrique dépassera les 50 % de la population totale du continent

La population africaine sera supérieure à celles d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud réunies

8,7 x

Entre 2000 et 2050, elle augmentera de

2050

Entre 1950 et 2000, la population urbaine a été multipliée par

2030 2035

a été multipliée par huit. Dans une génération, elle aura à nouveau quadruplé. Cet essor de la population représente une excellente opportunité économique. Le McKinsey Global Institute prévoit que, d’ici à 2030, les 18 plus grandes villes du continent auront un pouvoir d’achat annuel cumulé de 1 300 milliards $. Les projets visant à profiter de la prospérité urbaine reçoivent beaucoup de subventions. Des centres commerciaux fleurissent d’Accra à Nairobi ; Walmart a décidé d’acquérir la chaîne de supermarchés sud-africaine Massmart en 2010, voyant l’opportunité de capter la classe moyenne urbaine qui délaisse les réseaux informels pour les supermarchés. La BAD (Banque africaine de développement) estime que la classe moyenne compte 355 millions de personnes – un chiffre qui démontre les progrès du continent. Néanmoins, la BAD reconnaît que la classe moyenne inférieure est fragile et pourrait sombrer à nouveau dans la pauvreté. Même les personnes touchant un salaire de « classe moyenne » de 2 $ par jour vivent parfois dans des abris de fortune en ville, sans accès fiable aux infrastructures. En réalité, 62 % des citadins d’Afrique subsaharienne vivent dans des bidonvilles, la capacité des villes à absorber les migrants demeurant limitée.

La population urbaine africaine est supérieure à 400 millions de personnes sur un total de plus d’un milliard

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2010

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Re p e n s e r

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En 2011, le nombre de ménages africains qui disposent d’un revenu discrétionnaire était de

En 2020, il sera de

90 m

128 m

355 m d’Africains font partie de la classe moyenne, avec des revenus compris entre 2 et 20 $ par jour.

Les dépenses totales de consommation en Afrique atteindront 1,4 million de milliards $ d’ici à 2020, à la faveur de l’augmentation de la population et des revenus.

L’Afrique comptera 1,1 milliard d’individus en âge de travailler en 2040, soit davantage que la population totale aujourd’hui.

Sources : ONU Habitat ; PNUD ; FMI

En 2020, 48 % des Africains auront atteint le second cycle d’éducation, une hausse de 40 % par rapport à 2012.

D’ici à 2018, les réseaux mobiles compteront 806 m d’abonnés, contre 105 m aujourd’hui.

En 2015, 2 millions de voitures seront vendues pour la seule Afrique subsaharienne.

D’ici à 2020, la main-d’œuvre aura augmenté en Afrique plus que dans les autres régions du monde, progressant de

122 m

D’ici à 2020, la main-d’œuvre aura augmenté en Afrique plus que dans les autres régions du monde, progressant de

122 m

D’ici 2030, le pouvoir d’achat total des 18 plus grandes villes africaines atteindra

1 300 Mds $

ources : ONU Habitat ; PNUD ; FMI

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D’ici 2030, le pouvoir d’achat total des 18 plus grandes villes africaines atteindra

1 300 Mds $

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urbanistes ne peuvent faire face à l’afflux massif des gens dans les villes », soutient Francis Owusu. « Dans les autres régions du monde, l’industrialisation a précédé l’urbanisation. La situation en Afrique est différente : les gens viennent en ville non pas parce qu’il y a des emplois, mais parce qu’il y a la promesse d’emplois. » Les nouvelles populations urbaines se retrouvent face à un marché du travail saturé, où la main-d’œuvre est bon marché mais la vie chère. Dans ce contexte, la mobilité sociale est difficile et la richesse demeure concentrée au sommet. Le boom de l’immobilier profite uniquement à ceux qui disposent d’un capital abondant. « En Afrique, quand les gens s’installent en ville et qu’ils n’ont pas de travail, ils transposent leur mode de vie rural dans un contexte urbain. C’est cela qui conduit aux bidonvilles. Les bidonvilles sont une extension de la vie rurale en zone urbaine », analyse Francis Owusu. Les gouvernements doivent repenser entièrement la conception des villes africaines. Il est indispensable de cesser de bâtir des villes hors contexte. « L’objectif n’est pas de créer une ville qui ressemble à New York. Je pense que nous devrions commencer par adopter la perspective des résidents, en oubliant nos idées préconçues sur l’aspect que doit avoir une ville », ajoute Francis Owusu, pour qui « nous avons besoin d’une forme urbaine fonctionnelle, qui réponde aux besoins des gens, au lieu d’impressionner les visiteurs. » Il est nécessaire de revoir la défi nition des quartiers formels et informels. Dans un contexte où la majorité de la population urbaine vit dans les quartiers informels, il ne convient pas de l’exclure de la conception des villes. « Nous devons réexaminer cette notion de quartiers informels dans le contexte africain et clarifier la distinction entre quartiers formels et informels », précise le spécialiste. « Tant que nous continuerons à utiliser ces termes, nous créerons des paysages urbains utopiques en Afrique. » L’agence des Nations unies

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pour les établissements humains, Part de la population vivant dans des bidonvilles ONU-Habitat, a également conclu %, 2007 population living in slums Percentage of urban dans son rapport 2014 intitulé L’État Sources: ONU Habitat ; ONU DESA des villes d’Afrique, que le continent %, 2007 devait modifier son approche dePercentage of urban population living in slums Sources: UN Habitat; UN DESA l’urbanisme : %, 2007 « Les modèles de développement urbains de l’Afrique de l’après-in-Sources: UN Habitat; UN DESA dépendance étaient fondés sur des concepts, des philosophies et des conditions adaptés aux économies avancées au milieu du XXe siècle. Il est clair à présent que cette approche est inadaptée à l’Afrique, compte tenu de l’urbanisation très rapide, du nombre limité d’industries en ville, des coûts élevés des carburants fossiles, de la diminution des ressources, de la féroce concurrence économique et financière mondiale, ainsi que des menaces que représente le changement climatique. » Plusieurs gouvernements africains ont tenté de désengorger les villes en créant des conurbations satellites reliées aux centres urbains par des 90 < routes : Lekki (proche de Lagos) et Konza City, dans la banlieue de 80< 90 Nairobi, ont été conçues comme des 70 < 80 villes autonomes. « Les nouvelles villes bâties pour 60 < 70 désengorger les grandes concen50 < 60 trations urbaines favoriseront l’expansion des bidonvilles, car elles < 50 ne sont destinées qu’aux personnes à revenus élevés », prévient ONU-Ha90 < bitat. « Il est donc quasiment certain 90 < que ces nouvelles villes seront bientôt 80< 90 entourées de bidonvilles, habités par 80< 90 la main-d’œuvre à faible revenu qui 70 < 80 travaille pour ces villes. » 70 < 80 En revanche, l’Angola a adopté 60 < 70 un modèle différent pour déconges60 < 70 tionner les villes qui ont accueilli 50 < 60 les réfugiés fuyant la guerre civile. 50 < 60 Le pays construit des villes à bas <<50 coût et subventionne le prix d’achat. 50 Il a également mis en œuvre un vaste programme de logements en auto-construction pour les démunis. Les bidonvilles Bien souvent, les bidonvilles ne sont pas reconnus comme tels par les pouvoirs publics. Les quartiers, comme celui de Korogocho, à Nairobi, où vivent plusieurs dizaines de milliers de gens près de la décharge de Dandora, n’existent pas officiellement. Une grande partie des habitants

de ce bidonville travaille pour les industries de services de Nairobi, mais comme la population en âge de travailler dépasse largement le nombre d’emplois disponible, le coût de la main-d’œuvre est faible et les gens ne peuvent pas s’offrir un meilleur logement. « Nous craignons que ces villes finissent par ressembler aux villes

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sud-africaines ou brésiliennes, qui comptent parmi les plus inégales au monde. Au Kenya, une vaste population ouvrière travaille pour le compte des classes moyennes et supérieures mais il est très difficile de passer de la classe ouvrière à la classe moyenne ou supérieure », prévient Jeff rey Paller, qui étudie l’urbanisation et la politique africaine à

Un quart des 100 villes les plus dynamiques du monde sont en Afrique

25 %


Re p e n s e r

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Accès aux services, En pourcentages

Luanda

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Électricité Mobile Réseau d’égouts Eau courante

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Électricité Mobile Réseau d’égouts Addis Ababa to services, Access selected toAfrican services, cities selected African cities Eau courante

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Luanda Lagos

Luanda

Sources: ONU

Électricité Electricity Mobile Mobile RéseauNairobi d’égouts Addis Ababa Sewerage Nairobi Addis Abeba Eau courante Habitat ; ONU DESA Piped Water

Sources: ONU Habitat ; ONU DESA

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Electricity Mobile Sources: ONU Habitat ; ONU Sewerage Luanda Sources: ONUDESA Habitat ; ONU DESA Piped Water

Electricity Mobile Sewerage Addis Abeba Piped Water

Bates University. La transformation des bidonvilles prend du temps et nécessite une compréhension du contexte politique souvent complexe et des droits fonciers. « L’obtention d’une reconnaissance juridique et politique, ainsi que de services municipaux, nécessite une longue NU Habitat ; ONU DESA Sources: ONU Habitat ; ONU DESApolitique », explique l’univerlutte sitaire.

a f r i c a i n e s

bidonvilles – testé par certaines institutions de financement du développement comme la Banque mondiale –, n’est pas la panacée. Il est le résultat d’autres processus politiques et économiques. Dans certains cas, les élites politiques ont intérêt à ce que l’existence de ces quartiers ne soit pas reconnue. Dans d’autres, comme à Kibera, le plus grand bidonville de Nairobi, la situation est compliquée par des conflits d’intérêts économiques et des revendications sur les terres. « La revalorisation du bidonville de Kibera pose problème au gouvernement kényan : les gens qui obtiennent les titres de propriété ne sont pas nécessairement ceux qui y résident ni ceux qui en ont le plus besoin », regrette Jeff rey Paller. « Dans un scénario idéal, tous ceux qui y habitent devraient obtenir un titre de propriété. Ce serait merveilleux. Mais nombreux sont les désaccords sur le propriétaire légitime. Il y a des gagnants et des perdants. Il est crucial de s’intéresser aux titres de propriété mais cela doit être associé à davantage d’opportunités de mobilité sociale. »

Électricité Mobile Réseau d’égouts Eau courante

Nairobi Accès auxAccess services, to services, selected African cities En pourcentages Percentage

Lagos

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Addis Abeba

Les droits fonciers sont essentiels. Sans eux, les résidents des bidonvilles n’investiront pas dans des constructions de meilleure qualité, les collectivités locales n’installeront pas d’infrastructures et les gouvernants ne reconnaîtront pas les communautés. Pour autant, Jeffrey Paller estime que l’octroi de droits fonciers aux

Le secteur privé L’afflux de capitaux, en grande partie internationaux, dans les villes africaines, peut sans aucun doute être un avantage pour les bidonvilles, mais seulement si certaines conditions sont respectées, poursuit Jeffrey Paller : « Tout d’abord, il doit y avoir un fort leadership des résidents du quartier. Ensuite, il est nécessaire que les résidents se fassent confiance, et aient un système en place pour agir de manière collective. Enfin, le quartier doit être reconnu par les autorités. » Et l’universitaire de conclure : « Si ces trois conditions sont réunies, j’ai constaté que des investissements importants pouvaient aider les habitants. Si elles ne sont pas respectées – et souvent, elles ne le sont pas –, les capitaux serviront seulement des intérêts privés. » De son côté, Francis Owusu se demande si les investissements privés ne contribuent pas davantage à creuser les inégalités, plutôt qu’à les estomper : « Les partenariats public-privé procurent des logements et des infrastructures aux gens qui en

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Population des 10 plus1985-2025* grandes villes Africa’s 10 largest cities, d’Afrique (milliers de personnes) 1985-2025* Population (million people)

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Dar Es Salaam Khartoum Kano Abidjan Johannesburg

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Nairobi Le Cap Kano

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2025

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Johannesburg Cape Town

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ont les moyens, à la classe moyenne, qui est de plus en plus nombreuse dans les villes africaines. » Bien sûr, la propriété est l’un des moyens d’améliorer la mobilité sociale, et le spécialiste conseille aux gouvernements d’aider les citoyens à emprunter de l’argent pour devenir propriétaires : « Les financements ne sont pas disponibles ; les gens n’ont pas accès aux crédits et, s’ils y ont accès, les taux d’intérêt sont exorbitants. Le gouvernement pourrait créer un cadre qui facilite l’accès à l’emprunt. » Des fonds publics doivent être alloués aux infrastructures urbaines, estime Francis Owusu, car les investisseurs privés auront des difficultés à justifier la construction d’infrastructures d’approvisionnement en eau, de canalisations d’évacuation et de transports dans les quartiers pauvres. « On attend du secteur privé qu’il bâtisse les infrastructures dans les villes mais il ne le fera que pour les citadins qui en ont les moyens », ajoute-t-il. « Les villes ne sont pas censées être des entreprises privées. On présente la privatisation comme la solution à tous les maux, mais les villes occidentales n’ont pas été bâties par le secteur privé. Ce sont les États qui ont beaucoup investi. » Ce que les gouvernements et le secteur privé pourraient faire de mieux, c’est d’investir dans des industries à forte intensité de main-d’œuvre. Les projets destinés au secteur financier, comme Eko Atlantic, ou aux entreprises technologiques, tel Konza City, ne créeront pas le grand nombre d’emplois nécessaires aux migrants s’installant dans les villes. « Un bon point de départ serait d’utiliser l’emploi comme critère pour accorder des avantages aux investisseurs. Tout le monde parle du secteur des services mais beaucoup de pays ne sont pas prêts à passer au secteur des services et doivent développer un secteur industriel », confirme Francis Owusu. Qui conclut : « Pour résoudre les problèmes de l’urbanisation, il ne faut pas se concentrer sur les logements mais sur la santé économique de la ville. »

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Zoom : Angola

Sommaire

LES FONDATIONS DE LA RÉUSSITE

Hors Série Villes africaines | www.icpublications.com

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Grand entretien José António Maria da Conceição e Silva, ministre angolais de l’Urbanisme et du logement Transformation réussie Adriano da Silva, directeur du logement

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Indicateurs

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Histoire L’Angola renaît de ses cendres Chronologie de l’Angola

30 36 42

Économie Le plein essor Des logements pour tous

46

Nouvelles villes : Kilamba Ville modèle

72

58

Entretien Maria Luísa Abrantes, DG ANIP

74

62

Immobilier Un secteur jeune et prometteur

65

Architecture Préserver le caractère angolais

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Nouvelles villes Luanda, moderne et joyeuse

Le plan directeur de Luanda Concevoir la ville du futur

Les Provinces Uíge : un avenir radieux 80 Benguela : sur la voie de la prospérité 83 Cabinda, le « Koweït de l’Afrique» 84

Point de vue d’expert Quand le bien social passe avant le profit


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Dans un entretien en deux parties avec Anver Versi, rédacteur en chef d’African Business, le ministre angolais de l’Urbanisme et du logement, José António Maria da Conceição e Silva, présente sa vision de l’Angola et le programme de logements sociaux du pays – le plus ambitieux d’Afrique. Dans la première partie, il place cette initiative dans le contexte politique, économique et social de l’Angola. Dans la deuxième partie, il détaille le grand projet de son ministère.

L’impératif social José António Maria da Conceição e Silva, ministre de l’Urbanisme et du logement Depuis la fin de la guerre civile en 2002, le gouvernement du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) a mis en œuvre un vaste programme de reconstruction nationale. Le pays affiche aujourd’hui la baisse la plus rapide du taux de pauvreté et vous avez entrepris l’un des programmes de construction de logements les plus ambitieux d’Afrique. Que défend votre parti ? Le socialisme démocratique est au cœur du MPLA. Nos politiques ont donc une forte dimension sociale. Le parti dirige le pays depuis son indépendance en 1975, car il s’agit du mouvement qui a su le mieux répondre aux aspirations du peuple angolais.

Le socialisme démocratique est enraciné dans les valeurs du parti, qui n’a pas perdu de vue sa vocation d’origine : la croissance économique du pays et la distribution des fruits de la croissance à l’ensemble de la population. Cette philosophie a dicté toutes nos politiques et c’est la forme que prend le socialisme en Angola.

les incorpore dans ses politiques. Nous nous efforçons d’instaurer les conditions favorables aux investissements privés, locaux et étrangers. La création d’un secteur privé dynamique est un élément essentiel de nos politiques. Le MPLA se considère comme un régulateur et la promotion du secteur privé est réglementée.

Bien que vous ayez une orientation socialiste démocratique, vous avez activement encouragé le secteur privé. Est-il exact que vous envisagez une privatisation plus importante, dans un avenir proche ? Même si le parti possède une forte dimension sociale, il est tout à fait conscient des réalités du marché et

Quels secteurs vont demeurer publics et quels secteurs seront ouverts à la privatisation ? Tout d’abord, il faut comprendre que la privatisation est un processus en cours et que nous ne changerons pas de cap dans un avenir proche. Aujourd’hui, l’unique secteur dans lequel nous avons besoin du

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contrôle de l’État est l’énergie. Des entreprises sont engagées, mais il s’agit de sociétés publiques. L’État gère également, en grande partie, les secteurs de l’éducation et de la santé, cependant seule l’énergie est entièrement sous le contrôle de l’État. À l’avenir, il est possible que nous demandions à des entreprises privées de participer au secteur énergétique. Quelle est la principale source d’énergie en Angola et existe-t-il un déficit énergétique ? Plus des deux tiers de l’énergie angolaise proviennent de centrales hydroélectriques. Nous possédons 23 centrales, dont 16 sont hydroélectriques. Nous avons quatre centrales au diesel, trois centrales diesel et turbines à gaz, ainsi qu’une centrale thermique. Le barrage de Matala, sur le fleuve Cunene, est la principale source d’électricité dans le Sud-Ouest de l’Angola. La centrale hydroélectrique de Cambambe sur le fleuve Kwanza, à la frontière des provinces de Cuanza Norte et de Bengo, a une puissance de 180 MW, suffisante pour alimenter plus de 120 535 foyers. Je ne vous cite ici que quelques exemples, mais n’oubliez pas que, pendant la guerre civile, beaucoup de centrales, en particulier celles dans les zones contrôlées par l’Unita, ont été sérieusement endommagées ou même détruites. Des investissements très importants ont été réalisés pour effectuer des travaux dans ces centrales. Par exemple, la construction du barrage de Gove

2017-2018, mais aussi en position d’exporter vers les pays voisins. Dans quel état avez-vous retrouvé le pays en 2002 ? Le pays avait été dévasté par la guerre. Par exemple, il était impossible de se rendre en voiture d’une province à l’autre ! Comme vous le savez, l’agriculture était florissante en Angola. Avec la guerre, les champs étaient devenus inutilisables à cause des mines et les populations rurales se sont réfugiées en ville. Cela a eu des répercussions profondes sur les villes. Elles n’étaient pas conçues pour accueillir tant de monde. Les gens se fabriquaient des abris où ils le pouvaient. Les services sont devenus tout à fait insuffisants. Beaucoup d’infrastructures ont également été détruites avec l’arrivée massive des populations rurales.

a débuté en 1969 et s’est achevée en 1975, mais le travail a cessé avec la guerre civile. Le barrage a finalement été inauguré par le président Dos Santos en 2012. L’objectif du barrage est de produire de l’électricité et de maîtriser les inondations. Nous investissons beaucoup dans de nouveaux projets énergétiques. Nous espérons non seulement être autonomes en

Ci-dessus : le Président José Eduardo dos Santos de l’Angola inaugure un projet hydroélectrique.

“Nous devions réparer les infrastructures pour reconnecter les diverses régions du pays et relancer l’économie ; nous devions déminer les campagnes dans l’espoir de redynamiser l’agriculture et nous devions développer rapidement les secteurs de l’éducation et de la santé.” 18 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015

Quelle a été la priorité du gouvernement il y a 13 ans ? Nous avions plusieurs priorités. Nous devions réparer les infrastructures pour reconnecter les diverses régions du pays et relancer l’économie ; nous devions déminer les campagnes dans l’espoir de redynamiser l’agriculture et nous devions développer rapidement les secteurs de l’éducation et de la santé. Avez-vous bâti des écoles et des hôpitaux ? Des écoles, des hôpitaux, des dispensaires et toutes les infrastructures associées à l’éducation et à la santé. Nous avons dû également former suffisamment de personnel qualifié. Pour mesurer l’ampleur des travaux et de la formation, par où avez-vous commencé ? Il a fallu prendre un point de départ. Nous ne nous sommes pas limités aux infrastructures de santé et d’éducation – infrastructures physiques et ressources humaines. Nous avons dû développer de la même manière tous les autres secteurs. Nous avons entrepris des travaux dans le secteur


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des transports (routes, chemins de fer, ports, aéroports), le secteur de l’énergie, l’approvisionnement en eau, le traitement des eaux usées, etc. La gestion de ces activités et le travail quotidien de gouvernance et d’administration étaient également à prendre en compte. Peu de gens hors de l’Angola se rendent compte de l’immense tâche à laquelle le gouvernement a dû s’atteler en 2002. Certains pays vous ont-ils aidés ? Les Angolais qui étaient à l’étranger sont-ils revenus ? Même pendant la guerre, nous envoyions les étudiants à l’étranger ; nous voulions continuer à former les jeunes et à améliorer la qualité de nos ressources humaines. Je suis moi-même allé au Portugal pour me spécialiser. Beaucoup d’Angolais sont partis en Europe de l’Est. Les pays de l’Est nous ont bien soutenus pendant la guerre civile. Nous étions les bienvenus chez eux et nous y avons reçu une formation de qualité. D’autres Angolais sont partis en Europe de l’Ouest. Un grand nombre de nos médecins ont été formés en Russie et à Cuba. Encore aujourd’hui, ils ont la réputation d’être parmi les meilleurs médecins d’Afrique. Quelles sont les priorités du gouvernement au cours des dix prochaines années ? La santé, l’éducation et les infrastructures. Il est essentiel de continuer à les renforcer : d’une part, elles attirent des investissements étrangers, d’autre part, elles permettent d’industrialiser et de diversifier l’économie. Nous avons un programme spécifique pour l’industrialisation de l’Angola. La diversification de l’économie est cruciale pour que le pays soit moins dépendant du pétrole. Nous voulons éviter la « malédiction des ressources » dont sont victimes de nombreux pays producteurs de pétrole. Nous prévoyons d’utiliser les revenus issus des hydrocarbures pour diversifier

C o n c e i ç ã o

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de croissance, à deux chiffres depuis longtemps, et nous jouons un rôle clé dans la stabilité du continent.

Une éducation de qualité et la formation ont été des priorités.

“Les nations africaines s’intéressent beaucoup à présent à ce que nous faisons et aux succès que nous connaissons. Elles nous considèrent comme un exemple du progrès de l’Afrique.” notre économie assez rapidement. La part du secteur non-pétrolier dans le PIB du pays est déjà en augmentation. Comment voyez-vous la place de l’Angola au sein de l’Afrique ? L’Angola est un pays important sur le continent et dans l’Union africaine. Nous sommes un modèle en termes d’indicateurs

Pourtant, en tant que pays lusophone, qui a vécu une longue période de guerre, l’Angola demeure un mystère pour le reste de l’Afrique… C’est précisément pour cette raison que l’Angola suscite tant d’intérêt aujourd’hui ! Nous sommes l’un des cinq pays lusophones d’Afrique et il est vrai que cela a rendu la communication difficile hors de la sphère lusophone. Les autres pays d’Afrique connaissaient peu l’Angola, hormis le fait qu’il était en proie à une guerre civile sanguinaire. Mais cela a changé rapidement. Les nations africaines s’intéressent beaucoup à présent à ce que nous faisons et aux succès que nous connaissons. Elles nous considèrent comme un exemple du progrès de l’Afrique. Nous sommes connus pour nos programmes qui apportent la croissance et la stabilité au pays. En outre – j’insiste là-dessus – nous avons mis en œuvre un vaste programme de réconciliation nationale. Il a donné de bons résultats et il assure la paix et la stabilité que connaît le pays aujourd’hui. On ne doit pas oublier que ce nous avons accompli jusqu’ici n’a été possible que grâce à la paix. Je suis convaincu que d’autres pays de la région, qui ont connu une guerre civile comme nous ou qui sont encore en guerre, peuvent tirer des leçons de notre exemple. L’Angola joue-t-il actuellement un rôle actif dans l’Union africaine ? La meilleure preuve que je puisse vous donner est l’appui massif que nous avons reçu de l’Union africaine quand nous avons été élus membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce vote de confiance reflète le rôle important que joue l’Angola en termes de réconciliation et de stabilité en Afrique et dans l’Union africaine. n

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Créer la perle de l’Afrique L’Angola fait partie des rares pays à avoir élaboré une politique et un programme d’urbanisation à l’échelle nationale. Comment ce processus est-il né ? Le mouvement d’urbanisation en Afrique est irrépressible. Dans quelques années, la plus grande partie de la population africaine vivra en ville. Mais, hormis quelques pays qui prennent de véritables mesures — peut-être le Nigeria, le Kenya et des nations nord-africaines comme le Maroc — beaucoup se contentent de discussions, mais agissent peu ! La plupart des pays d’Afrique espèrent que la question de l’urbanisation se résoudra d’elle-même. Nous savons qu’il n’en sera rien. Nous avons entrepris de nous attaquer à la question dès que cela a été possible. Notre objectif était non seulement de résoudre le problème des infrastructures urbaines et du logement, mais aussi de créer de nouveaux centres de croissance. Il est important d’insister sur le fait que c’est le Président lui-même qui a formulé et dirigé le programme d’urbanisation et de logement. José Edouardo Dos Santos nous a ordonné de tout mettre en œuvre pour lancer ce projet — ces projets, devrais-je dire — afin de proposer aux Angolais des logements de qualité à un prix abordable. Il a coordonné l’action au plus haut niveau politique pour souligner son importance dans le développement national. À la faveur de l’appui présidentiel, le programme a bénéficié de toutes les ressources nécessaires. Grâce à l’engagement et à l’enthousiasme du chef de l’État, il a pu progresser rapidement. Comme vous l’avez vu dans les provinces, le concept était très

la construction de 1 million de logements financés à hauteur de 11,5 % par le secteur public, 12 % par les partenariats public-privé, 8 % par les coopératives et 68,5 % en auto-construction. Le troisième élément du PNUH : le renouveau urbain. Nous mettons en œuvre des politiques d’infrastructure urbaine adéquates pour rénover et moderniser les quartiers vétustes.

ambitieux. Mais nous avons réussi. Le projet en est toujours à ses débuts, et nous rencontrerons certainement des obstacles, mais les nouvelles villes, comme Kilamba, ont radicalement transformé la façon dont vivent les gens ordinaires. Les « nouvelles villes » constituent une innovation majeure en termes de logements sociaux en Afrique. Quels modèles avez-vous suivi ? Les nouvelles villes sont issues du Programme national d’urbanisme et d’habitat (PNUH), coordonné par une Commission nationale présidée par le président de la République. Le programme principal comporte plusieurs volets. Premier volet : l’urbanisation. Il regroupe différentes études d’aménagement du territoire (plans d’urbanisation, etc.), la constitution des réserves de financement et leurs infrastructures. Deuxième volet : la reconstruction nationale qui implique

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Ci-dessus : Les nouvelles villes comme Kilamba changent la façon dont les gens vivent.

En quoi le PNUH va-t-il résoudre certains des problèmes de logement hérité du passé ? Compte tenu des prévisions de croissance démographique, on estime à 60 % le déficit actuel de logements. Le PNUH va réduire ce déficit de manière significative et contribuera à la régularisation des coûts du marché immobilier dans le pays. Il s’agit d’une vaste initiative associant de nombreux ministères ainsi que d’autres organismes. Comment avez-vous procédé ? Comment avez-vous choisi les sous-traitants, par exemple ? En Angola, comme à Singapour, l’une des villes du monde que je préfère, l’État possède toutes les terres — à l’exception de quelques propriétés privées dans les villes. C’est un immense avantage, car nous pouvons planifier exactement les travaux à effectuer et les réaliser. Bien entendu, on ne peut pas chasser les gens de chez eux dans les bidonvilles sans leur donner un autre toit. Nous avons adopté la « reconstruction in situ ». Concernant les sous-traitants, nous avons des procédures juridiques claires avec des appels d’offres nationaux et internationaux, supervisées par des autorités compétentes.


“La rénovation urbaine, la construction de villes et de logements impliquent non seulement les infrastructures, mais aussi une multitude d’autres éléments nécessaires à une vie agréable et productive en ville.”

Votre ministère a-t-il été créé pour s’occuper de cette question ? Il existait un ministère de l’Aménagement urbain et de la construction, chargé de la construction des routes et des bâtiments publics. Nous avons senti la nécessité de créer un ministère distinct, dédié à l’Urbanisme et au logement, qui pourrait avoir accès aux autres ministères, comme celui de l’Environnement, de l’eau, de l’énergie, etc., pour réaliser la construction des nouvelles villes et la rénovation des autres. La rénovation urbaine, la construction de villes et de logements impliquent non seulement les infrastructures, mais aussi une multitude d’autres éléments nécessaires à une vie agréable et productive en ville. C’est, en effet, une entreprise vaste et complexe, qui nécessite la coordination de multiples aspects : expertise, juridique, communication, financement, revenus… Êtes-vous satisfait des progrès réalisés ? Il reste beaucoup à faire, mais je suis assez content de ce qui a été accompli à ce jour. L’idée d’échanger du pétrole contre des constructions réalisées par des entreprises chinoises semble avoir donné de très bons résultats… Nous possédons des ressources dont les Chinois ont besoin tandis qu’ils peuvent nous offrir les constructions qui nous manquent. Nous avons signé des contrats similaires avec d’autres. Jusqu’à présent, cela fonctionne.

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La qualité de construction de certaines structures, en particulier celles réalisées par des entreprises chinoises, a fait l’objet de vives critiques. Certains des bâtiments que nous avons visités présentaient des fi ssures et avaient subi des dégâts des eaux. Qui est responsable des réparations ? Je reconnais que les finitions, parfois, ne sont pas à la hauteur, mais, quand on considère l’ampleur du projet et la rapidité de la construction, cela est inévitable. Je ne suis pas d’accord pour associer les défauts de construction aux Chinois. Ce sont d’excellents maçons depuis des siècles. Beaucoup d’autres acteurs ont participé : concepteurs, superviseurs, chefs de projet, sous-traitants, fournisseurs de matériaux, etc. Les contrats stipulent qu’au bout d’une période de deux ans, pendant laquelle il est possible de savoir ce qui va et ce qui ne va pas, l’entreprise de construction aura la responsabilité de réparer les défauts. Ce n’est pas inhabituel — vous trouverez des situations similaires dans presque tous les travaux de construction. Le plus urgent pour nous est de construire des logements décents pour le plus grand nombre de citoyens. Ils ont suffisamment attendu. Les défauts de construction seront résolus au fur et à mesure, mais on ne peut pas attendre de trouver le système parfait pour démarrer la construction. Il faudrait attendre indéfiniment ! Vous avez visité Kilamba et parlé aux résidents. Que vous ont-ils dit ? Dans l’ensemble, ils sont ravis. Les bâtiments sont très beaux et les appartements spacieux et bien conçus. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit des plus beaux logements sociaux non seulement d’Afrique, mais aussi du monde en développement. N’avez-vous pas eu un problème parce qu’ils étaient trop chers pour le public auquel ils étaient destinés ? Oui. Les prix d’origine étaient trop élevés pour beaucoup de ménages mais, dès que le gouvernement s’en est rendu compte, il a réalisé des ajustements. Nous avons établi le coût d’un appartement de

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2 Des ouvriers fixant l’infrastructure d’un projet de logement dans les villes nouvelles.

“N’oubliez pas que notre parti a une forte dimension sociale et que nous pouvons facilement nous adapter si cela correspond au souhait du peuple. Nous avons la responsabilité de proposer des logements décents à la majorité des gens.”

quatre pièces à 90 000 $ environ, proposé des emprunts à échéance plus longue ainsi que des conditions de prêt aussi favorables que possible. Certains ont été surpris par la rapidité avec laquelle nous avons procédé aux ajustements. N’oubliez pas que notre parti a une forte dimension sociale et que nous

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pouvons facilement nous adapter si cela correspond au souhait du peuple. Nous avons la responsabilité de proposer des logements décents à la majorité des gens. Quand le Président a pris connaissance des plans d’origine, il a demandé que la superficie minimale soit de 120 m2 au lieu de 100 m2, considérant que les Africains ont tendance à avoir de grandes familles et qu’ils ne devaient pas se sentir à l’étroit. Les mensualités d’un appartement comme celui-ci avoisinent 150 $. Songez au fait que Luanda est l’une des villes les plus chères du monde, vous comprendrez ce que signifie ce projet pour la qualité de vie des gens ordinaires. Mais il semble que la majorité des matériaux utilisés pour les constructions est importée. Avez-vous le projet d’encourager la production locale de certains matériaux ? Oui, pour favoriser la fabrication locale des matériaux de construction, nous avons offert des avantages au secteur — sous forme d’allégements fiscaux principalement. Nous espérons réduire substantiellement le coût de l’immobilier, grâce à une construction meilleur marché. Outre les grands projets de logements sociaux, des dizaines d’autres projets de construction sont en cours, notamment à Luanda. Les projets de Sambizanga, de Cazenga et de Lobito, sur le front de mer, sont extrêmement ambitieux. S’ils se concrétisent, l’Angola pourrait-il devenir une version africaine de Singapour ? Pourquoi pas ? En fait, les plans de Sambizanga et Cazenga ont été conçus par une société singapourienne. Avant de devenir une « ville-jardin », Singapour était l’un des pires bidonvilles d’Asie il y a une soixantaine d’années. Et il n’y a pas de pétrole ! Nous pouvons y arriver si la volonté est là. L’Angola souhaite devenir la perle de l’Afrique et je pense que nous y parviendrons. n



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Transformation réussie Adriano João da Silva, directeur du logement, ministère de l’Urbanisme et du logement

M

ême en ne jetant qu’un regard rapide sur le programme d’urbanisation angolais, on se rend compte qu’il s’agit d’un projet de développement urbain tout à fait exceptionnel de par son échelle. La réalisation d’un programme d’une telle ampleur nécessite la mise en place de moyens administratifs adaptés tout en conservant suffisamment de souplesse pour s’ajuster rapidement à l’évolution des besoins. Pour avoir une idée de l’organisation administrative qui sous-tend ce programme, j’ai rencontré Adriano João da Silva, directeur du logement au ministère de l’Urbanisme et du logement. J’ai tout de suite compris qu’il faudrait plusieurs jours pour découvrir toutes les fonctions de son service. Da Silva a expliqué que la structure hiérarchique était dominée par le ministre de l’Urbanisme et du logement, du secrétaire d’État, et de trois directeurs exécutifs chargés chacun du logement, de l’infrastructure urbaine et de l’aménagement territorial. Bien que les services aient chacun des attributions différentes, ils doivent travailler ensemble pour réunir les divers facteurs de production — sites de construction adéquats, autorisations, infrastruc-

tures de base (eau, électricité, égouts, stations d’épuration, voirie, etc.), promoteurs, entreprises du bâtiment, financements et matériaux — afin que les projets soient réalisables. Da Silva est expert dans le logement, en particulier dans le logement social. Il a pourtant insisté sur le fait que le secteur privé jouait un rôle essentiel dans la réalisation du programme de construction de 1 million de nouveaux logements d’ici à 2017. « Nous avons créé plusieurs partenariats public-privé (PPP) et nous souhaitons impliquer davantage le secteur privé. Les investissements étrangers sont les bienvenus — les rendements sont excellents », a-t-il affirmé. L’État apporte une contribution financière à hauteur de 20 % dans les projets PPP, tandis que l’investisseur verse 80 % des fonds. En échange, l’investisseur a accès aux terrains, la plupart du temps sur des sites déjà urbanisés, équipés des infrastructures de base, reliés aux services et pour lesquels les autorisations ont été accordées. Une importante capacité administrative De leur côté, les investisseurs doivent montrer leur capacité à respecter des normes de construction spécifiques et à mettre

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les logements sur le marché. L’État ne s’implique pas directement. Souvent, les promoteurs doivent proposer des logements pour les différents niveaux de revenus : bas, moyen et élevé. « Le plafond de prix pour un logement à bas coût est fixé à 60 000 $, mais un prix de 30-35 000 $ est plus réaliste compte tenu des moyens de ce segment du marché », souligne Da Silva. En revanche, le prix des logements destinés aux revenus élevés n’est pas plafonné. Le ministère a réservé 100 hectares de terres dans chaque province du pays aux logements à bas coût. « Nous voulons construire des logements hors de Luanda et des grandes villes pour désengorger les villes et contenir l’exode rural », dit-il. « Nous n’essayons pas d’enrayer l’urbanisation, comme certains le croient — l’urbanisation est inéluctable. D’autre part, elle a le potentiel de transformer les économies et d’améliorer considérablement la qualité de vie des gens. Nous tentons de maîtriser l’urbanisation et d’éviter la prolifération de bidonvilles hideux. D’où le concept de “ville nouvelle” où les habitants profitent de tous les avantages qu’offre la vie urbaine moderne sans vivre dans la promiscuité. C’est la voie de l’avenir non seulement en Angola, mais aussi dans le reste de l’Afrique, où la question de


A d r i a n o

d a

S i l v a

Adriano da Silva, le directeur national du logement dans le ministère de l’Urbanisme et de l’habitat.

la planification urbaine est devenue une priorité », poursuit-il. Il a souligné que des promoteurs et des entreprises du bâtiment telles que le géant chinois Citic, CIF (China International Fund), ainsi que des sociétés angolaises comme Imogestin et Kora Angola, construisaient un grand nombre de logements à Zango, et dans les provinces de Benguela, Bengo, Cabinda, Huíla, Lunda Norte, Uíge, Kwanza-Sud, Luanda, Moxico, Bié et Huambo. En outre, chacune des 164 municipalités du pays affecte des parcelles de terrain hors des principales zones bâties, à la construction de 200 logements. La plupart des logements à bas coût seront bâtis en « auto-construction », c’est-à-dire que l’État offre des conseils tandis que les futurs propriétaires se chargent de la construction. L’Angola possède une longue tradition dans ce domaine et, en apportant des recommandations adéquates, Da Silva espère que ce type d’habitation sera de bonne qualité. Pour l’avenir, il estime que divers projets présentent un fort potentiel d’investissement : par exemple, les phases 2 et 3 de Kilamba qui prévoient la réalisation d’un grand nombre de logements, dont des maisons destinées à des ménages à revenu élevé. n

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I N D I CAT E U R S

10

1

3

4

8

5

Zaire Uige

Bengo

Angola : indicateurs

La devise de l’Angola est Virtus Unita Fortior, une expression latine signifiant « L’union fait la force ».

Cuanza Norte

Luanda Norte

Malanje Luanda Sul

Cuanza Sul

Bié Huambo Moxico

Benguela

Huila

Namibe

Cuando Cubango Cunene

9

7

26 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015

2

6


i n d i c a t e u r s

Gouvernement Le pouvoir exécutif est exercé par le Président, le Vice-président et le Conseil des ministres. Géographie Septième pays d’Afrique en termes de superficie, l’Angola est bordé par la Namibie au sud, la République démocratique du Congo au nord et la Zambie à l’est. Sa côte Ouest donne sur l’océan Atlantique. La capitale est Luanda. L’enclave de Cabinda est bordée par la République du Congo et la République démocratique du Congo. Administration L’Angola est découpé en 18 provinces (províncias) et en 163 cantons, eux-mêmes divisés en 475 communes (townships).

Les plus grandes villes d’Angola

Nom

Province

1. Luanda 2. Huambo 3. Lobito 4. Benguela 5. Lucapa 6. Kuito 7. Lubango 8. Malanje

Luanda Huambo Benguela Benguela Lunda Norte Bié Huíla Malanje

9. Namibe 10. Soyo

Namibe Zaire

Événements récents Le 16 octobre 2014, l’Angola est élu pour la deuxième fois membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, avec 190 voix sur 193. Son mandat a débuté le 1er janvier 2015 pour une durée de deux ans. Le même mois, le pays a pris la tête du Comité des ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale d’Afrique au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, suite aux débats qui ont eu lieu aux assemblées annuelles des deux institutions. Depuis janvier 2014, la République d’Angola préside la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Début 2015, le secrétaire exécutif de la CIRGL, Ntumba Luaba, indiquait que les membres de l’organisation devaient suivre l’exemple de l’Angola, en raison des grands progrès accomplis en 12 ans de paix, notamment en termes de stabilité socio-économique et politico-militaire. Avec un stock d’actifs correspondant à 70 milliards $ (6,8 milliards Kz), l’Angola est à présent le troisième marché financier d’Afrique subsaharienne, précédé du Nigeria et de l’Afrique du Sud. En octobre 2014, le pays a entamé la mise en chantier du premier câble sous-marin à fibre optique dans l’hémisphère sud. Le projet vise à faire de l’Angola un hub continental, pour améliorer les connexions Internet au niveau national et international. Le premier satellite angolais, AngoSat-1, sera prêt pour un lancement en orbite en 2016 ; il assurera des services de télécommunications dans le pays. Selon Aristides Safeca, secrétaire d’État aux Télécommunications, le satellite sera également utilisé pour la télévision, l’Internet et l’administration électronique. Il demeurera en orbite au mieux pendant 18 ans. n

Langues nationales reconnues

Kikongo, tchokwé, umbundu, kimbundu, ngangela, kuanyama

Groupes ethniques (2000)

Ovimbundu

36 %

Ambundu Bakongo Autres groupes africains Métis Chinois Européens

25 % 13 % 22 % 2 % 1 % 1 %

Gentilé

Angolais

Gouvernement Président Vice-président

République présidentielle unitaire José Eduardo dos Santos Manuel Vicente

Organe législatif

Assemblée nationale

Indépendance

du Portugal, le 11 novembre 1975

Géographie Superficie

Superficie en eau (%) Population Population totale Densité

PIB (PPP) Total Par habitant

1 246 700  km2 481 354 miles2 23e pays du monde négligeable 24 383 301 hab (recensement 2014) 14,8 hab/km2 (199e rang mondial) 38,4 hab/miles2 Estimations 2014 139 059 milliards $ (64e rang mondial) 6 484  $ (107e rang mondial)

PIB (nominal) Total Par habitant

Estimations 2014 129 785 milliards $ (61e rang mondial) 6 052 $ (91e rang mondial)

Gini (2009) IDH (2013)

42,7 moyen 0,526 (faible (149e rang)

Monnaie au 31 janvier 2015

Kwanza (AOA) 1 $ = 105 Kwanza

Informations générales UTC+1 Fuseau horaire Pas d’heure d’été à droite Conduite Indicatif téléphonique +244 AO Code ISO 3166 .ao Domaine Internet

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H I S T O IR RY E

28 African Business | Hors SĂŠrie Villes africaines | MARS 2015


L’Angola renaît de ses cendres

Peu de pays d’Afrique ont subi autant de conflits et de traumatismes que l’Angola. Les Angolais disent qu’à travers ces épreuves, ils se sont forgé un tempérament d’acier et qu’ils sont devenus plus forts et plus déterminés. Le passé est toujours très vivace dans leur l’esprit et le boom actuel de la construction ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’histoire du pays.

L

es gratte-ciel émergent si rapidement autour de la splendide baie de Luanda, la capitale de l’Angola, que les photographes se plaignent que leurs photos de la ville ne soient déjà plus d’actualité quand ils les remettent à leurs clients. Pourtant, au milieu des échafaudages devant la multitude de nouveaux immeubles en construction et des innombrables tours d’acier, de béton et de verre étincelantes, se trouvent encore quelques bâtiments anciens, mais gracieux, qui appartiennent à une époque révolue. Le bâtiment de la Banque nationale, par exemple, vieux de 150 ans, date de l’époque où les colons portugais ont importé en Angola quelques-uns de leurs concepts architecturaux les plus raffinés. Le nouvel édifice du Parlement, une superbe structure surmontée d’un majestueux dôme rose, rend hommage au riche passé du pays.

À gauche : fresque du musée Fort São Miguel.

Bien que l’Angola bâtisse un nouveau pays sur les ruines d’une guerre qui l’a ravagé, bien que les bâtiments ultramodernes chassent l’ancien, l’histoire a partout laissé son empreinte. Outre les musées aux riches collections, tels que le Musée de l’esclavage, qui dépeint dans toute son horreur ce commerce inhumain et qui rappelle les souffrances qu’a endurées le peuple angolais, ainsi que la détermination et le courage dont il a fait preuve, le Mémorial d’Agostinho Neto est incontournable. Telle une fusée de marbre, cette tour élancée domine une vaste place et des jardins, au cœur de Luanda. Inauguré le 17 septembre 2012, jour d’anniversaire de Neto (né en 1922), le mémorial abrite une multitude de photos, de documents et d’objets liés à sa vie et aux conflits meurtriers qu’a connus le pays sous sa présidence. D’immenses tableaux aux abondants détails recréent quelques batailles décisives ayant impliqué les forces angolaises.

Surplombant une colline qui domine la baie de Luanda, le Fort São Miguel fut érigé en 1576 par l’explorateur portugais Paulo Dias de Novais qui fonda également la ville de São Paulo da Assunção de Loanda, aujourd’hui Luanda. La forteresse fut jadis une ville fortifiée protégée par des canons, ainsi que le point de départ des centaines de milliers d’Angolais capturés pour être envoyés comme esclaves dans les colonies portugaises de Sao Tomé, puis du Brésil. Cette ville devint la capitale administrative du pouvoir colonial portugais. La forteresse, aujourd’hui restaurée, abrite le Musée des Forces armées. Un ensemble de fresques en relief dans l’allée qui conduit au musée retrace l’histoire tragique de la guerre d’Indépendance en Angola, la guerre civile, la fin de la guerre et, enfin, la paix. Toutes les personnalités historiques importantes, António Agostinho Neto — premier Président du pays

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H I STO I R E

Ci-contre : une statue du XVIIe siècle de la Reine Ana Nzinga (aussi connu sous le nom d’Ana de Sousa Nzinga Mbande). Ci-dessous : une peinture murale de l’histoire angolaise À droite : Un monument dont le bas-relief évoque la lutte pour l’indépendance, avec les premiers et actuels présidents.

Le musée retrace l’histoire tragique de la guerre d’Indépendance en Angola, la guerre civile, la fin de la guerre et, enfin, la paix.

— José Eduardo dos Santos – le Président actuel –, Jonas Savimbi, le chef de l’Unita tué dans une fusillade, et d’autres acteurs sont représentés. Dans la cour, se trouvent d’imposantes statues de Portugais célèbres : Paulo Dias de Novais, Diogo Cão, connu pour être le premier Européen à avoir foulé le sol angolais, Vasco de Gama qui a franchi pour la première fois le cap des Tempêtes, rebaptisé cap de Bonne-Espérance et qui a découvert la route des Indes, et le poète Luis de Camões. Un vibrant hommage Jadis, ces statues trônaient au milieu de places en ville. Aujourd’hui, elles semblent ne pas être à leur place, comme si elles provenaient d’un navire naufragé. À l’entrée du musée,

on découvre une belle statue de la grande reine d’Angola au XVIIe siècle, la reine Nzinga, habile tacticienne qui fit alliance avec les Néerlandais pour combattre les Portugais et conduisit deux fois l’armée portugaise à la défaite, en 1644 et 1647. Elle dirigea en personne la résistance face aux Portugais. Dotée d’un sens aigu de la diplomatie, elle sut conclure des alliances lorsqu’elles semblèrent préférables à la confrontation. Elle est célèbre pour avoir refusé d’accepter le statut de subordonné lors des négociations avec les Portugais et avoir exigé d’être traitée en égale. Son indépendance d’esprit imprègne encore à ce jour le peuple angolais et l’on dit que des femmes se marient sous sa statue, symbole de leur liberté et de leur indépendance. La cour

1885 – 1930 1951

1956

Chronologie de l’Angola XIVe siècle

Royaume de Kongo

1575

Les Portugais arrivent à Luanda.

XVIIe et XVIIIe siècles L’Angola devient une escale d’approvisionnement en esclaves majeure pour les Portugais. Entre 1580 et 1680, plus de 1 million d’esclaves sont déportés au Brésil.

1836

Le Portugal abolit officiellement la traite transatlantique.

Le Portugal renforce son autorité coloniale sur l’Angola ; des résistances locales persistent.

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De colonie, l’Angola devient province d’outre-mer.

Création du mouvement d’indépendance socialiste, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), basé au nord du Congo.

1950 – 1961 Le mouvement nationaliste se développe ; il débute une guérilla.


Indépendance

1961

Le travail forcé est aboli après que des émeutes sur les plantations de café ont fait 50 000 morts. La lutte pour l’indépendance se fait plus violente.

1974

Révolution des œillets au Portugal – l’empire colonial s’effondre.

1976

Le MPLA prend le dessus.

1979

Le leader du MPLA, Agostinho Neto, meurt. José Eduardo dos Santos lui succède en tant que Président.

1987

Les forces sudafricaines pénètrent en Angola, en soutien à l’Unita.

1988

L’Afrique du Sud accepte l’indépendance de la Namibie en échange du retrait des troupes cubaines d’Angola.

1989

Dos Santos et le leader de l’Unita, Jonas Savimbi, signent un cessez-lefeu, mais le conflit se poursuit.

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H I STO I R E

abrite également des armes diverses utilisées pendant les guerres — des avions russes, des tanks, des véhicules blindés des forces de défense sud-africaines du temps de l’apartheid, des mitraillettes. À l’intérieur du bâtiment, les murs sont ornés de carreaux de faïence portugais, les azulejos, qui retracent avec moult détails l’histoire de la conquête portugaise de l’Angola. Même si les questions soulevées par les objets exposés peuvent sembler étranges à des enfants nés après la guerre, il est fascinant de voir l’intérêt qu’ils portent à leur histoire. Les adultes partagent également cet intérêt pour l’histoire de leur pays, broyé par la plus atroce guerre par procuration de l’époque moderne. En parcourant les rues des quartiers modernes de Luanda, on oublie facilement, pourtant, que la guerre civile, qui a duré près de 30 ans, s’est achevée seulement en 2002. Depuis, le pays a réalisé des prouesses dont beaucoup ont fait l’éloge : un taux de croissance de l’ordre de 11,1 % entre 2000 et 2010 (le PIB a augmenté en moyenne de 20 % entre 2005 et 2007), le déclin le plus rapide du taux de pauvreté, l’un des plus vastes programmes de logements sociaux d’Afrique et des investissements colossaux dans les infrastructures. En racontant son histoire, l’Angola dresse un tableau de son évolution douloureuse, mais aussi glorieuse à travers les siècles. Le pays écrit encore son histoire, mais aujourd’hui, les outils qu’il utilise sont le ciment, la pierre, l’acier, le verre et la volonté inébranlable de bâtir les plus belles villes du continent africain.

Le pays écrit encore son histoire, mais aujourd’hui, les outils qu’il utilise sont le ciment, la pierre, l’acier, le verre et la volonté inébranlable de bâtir les plus belles villes du continent africain.

Ci-contre : un blindé de la défense sudafricaine capturé dans la guerre d’Afrique du Sud de la frontière.

Vers la paix

1991 Avril Le MPLA renonce au marxismeléninisme en faveur de la social-démocratie.

Mai Dos Santos et Savimbi signent un traité de paix à Lisbonne qui aboutit à une nouvelle Constitution autorisant la mise en place d’une république multipartite.

1992

1993

1994

1995

Septembre Des élections présidentielles et législatives ont lieu. Des observateurs de l’ONU les considèrent comme libres et régulières dans l’ensemble.

L’ONU impose des sanctions à l’Unita. Les États-Unis reconnaissent le MPLA.

Le gouvernement et l’Unita signent l’accord de paix de Lusaka.

Dos Santos et Savimbi confirment leur engagement en faveur de la paix. Les 7 000 premiers casques bleus de l’ONU arrivent.

Dos Santos obtient davantage de voix que Savimbi, qui refuse de participer au second tour et reprend les armes.

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L’histoire de l’Angola, en bref Royaumes L’Angola est un vaste pays — deux fois la taille de la France — qui s’étend, d’ouest en est, de la côte Atlantique à la Zambie et, du nord au sud, de la RD Congo à la Namibie. Il était l’épicentre des royaumes Bantu d’Afrique centrale. Parmi les plus importants, notons le royaume Kongo, qui a dominé le nord-ouest de l’Angola et a débordé en RD Congo, au Congo et dans le sud du Gabon. Le royaume Mbunda, dans le sud-est de l’Angola, a perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il s’agissait de royaumes sophistiqués, très organisés, possédant des liens commerciaux qui s’étendaient au-delà de l’Empire Mutapa au Zimbabwe. Ils savaient bien travailler les métaux, le bois, l’os et la céramique, et produisaient divers objets pratiques, comme des armes redoutables. Leur talent artistique est admirable – leurs sculptures stylisées ont conduit Picasso au cubisme, a affirmé le célèbre peintre. Certains objets de la région ont été vendus à des millions de dollars dans des ventes aux enchères à Londres et à New York.

Ci-dessus : les azulejos peints stannifères carrelage en céramique de la période coloniale.

L’époque portugaise Au XVe siècle, les Portugais, qui veulent arriver aux Indes par voie maritime en contournant l’Afrique, établissent plusieurs comptoirs le long de la côte Atlantique. Peu à peu, ils fortifient ces comptoirs et les utilisent comme base pour poursuivre leurs explorations sur

1996

1997

Un gouvernement d’union nationale est formé avec Savimbi ; il est prévu que les forces de l’Unita intègrent l’armée régulière.

Avril Savimbi refuse son poste et ne participe pas à la cérémonie d’inauguration du gouvernement d’union nationale.

Mai La tension monte. Peu de forces de l’Unita ont intégré l’armée.

les côtes, mais aussi à l’intérieur du continent. L’explorateur portugais Paulo Dias de Novais fonde São Paulo de Loanda (Luanda) en 1575. Il s’y installe avec 400 soldats et une centaine de familles de colons. Quelques années plus tard, en 1587, les Portugais érigent un nouveau fort à Benguela, qui devient une ville en 1617. À cette époque, ils pratiquent déjà la traite des Noirs qui leur servent de main-d’œuvre dans leurs plantations du Brésil. Ce commerce va se poursuivre jusqu’au XIXe siècle. Les Portugais développent également le commerce lucratif de matières premières, de défenses d’éléphants, de cornes de rhinocéros et de poissons séchés. Ils étendent leur présence sur les

côtes continentales par une série de traités et de guerres tout au long du XVIe siècle. Mais d’autres puissances européennes tentent de résister à leur domination et, pendant une brève période (de 1641 à 1648), ils sont chassés de Luanda par les Néerlandais, qui ont fait alliance avec des figures locales, comme la reine Ana Nzinga. Néanmoins, les Portugais se montrent peu enclins à s’étendre à l’intérieur des terres en Angola jusqu’à la ruée vers l’Afrique et la Conférence de Berlin, en 1885. Plusieurs expéditions militaires sont organisées pour « établir une présence » à l’intérieur comme l’exige la Conférence de Berlin, mais, en 1906 encore, seul 6 % du territoire est sous autorité portugaise.

1998

1999

2002

Les hostilités reprennent. Des milliers de personnes sont tuées dans les quatre années qui suivent.

L’ONU met fin à sa mission de maintien de la paix.

Février Savimbi est abattu par l’armée gouvernementale. Un nouveau cessez-le-feu est signé peu de temps après.

African Business | Hors Série Villes africaines | 33


H I STO RY

Ce n’est qu’après avoir vaincu la résistance du roi Mbunda, Mwene Mbandu I Lyondthzi Kapov, que le gouvernement portugais proclame en 1951 l’Angola « Province d’outre-mer ». La lutte pour l’indépendance Le vent du changement qui suit la fin de la deuxième Guerre mondiale souffle sur le monde, incitant les colonies d’Afrique et ailleurs dans le monde à demander leur indépendance. En Angola, le mouvement pour l’indépendance est dirigé par trois groupes : le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) dirigé par Agostinho Neto, le Front national de libération de l’Angola (FNLA) mené par Holden Roberto et l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), conduite par Jonas Savimbi. Agostinho Neto, fils d’un pasteur méthodiste, poursuit des études de médecine au Portugal et s’engage tôt dans la lutte pour l’indépendance. Arrêté par les autorités portugaises, exilé, placé en maison d’arrêt, il parvient à s’échapper au Maroc et au Zaïre. Il ne peut obtenir l’aide du gouvernement Kennedy, mais il devient l’ami de Fidel Castro et rencontre Che Guevara en 1965. L’indépendance En 1974, au Portugal, un coup d’État militaire renverse Marcelo Caetano, qui avait succédé au dictateur Antonio Salazar. Baptisé « Révolution des œillets », cet événement met fin à la guerre

coloniale entre le Portugal et l’Angola. Neto devient le premier président d’Angola. La guerre civile Dès la proclamation de l’indépendance, les trois principaux mouvements politiques s’affrontent, soutenus par des puissances étrangères ayant leurs propres objectifs économiques et idéologiques. L’Angola devient un théâtre de la guerre froide, avec les États-Unis, le Zaïre et l’Afrique du Sud qui soutiennent le FNLA et l’Unita tandis que le MPLA reçoit l’appui de l’Union soviétique et de Cuba. L’Angola s’enfonce dans l’une des guerres les plus tragiques de l’histoire du continent. En raison des millions de mines dispersées dans les campagnes, les gens cherchent refuge dans les villes. Aujourd’hui encore, l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique se trouve à Luanda. Pour aggraver la situation, 300 000 à 500 000 Portugais qui géraient la plus grande partie des entreprises, quittent le pays pour s’installer en Afrique du Sud, en Europe ou aux États-Unis. Ils laissent un trou béant dans l’économie et sabotent même des centrales, des fermes et d’autres services vitaux, menant l’Angola près de la faillite. On estime qu’aujourd’hui, environ 200 000 Portugais vivent en Angola. Fuyant la crise économique dans leur pays, de plus en plus de Portugais partent en quête d’opportunités dans l’État africain en plein essor. Neto est mort en 1979 et José

Démobilisation

2002 Mai Le commandement militaire de l’Unita annonce que 85 % de ses forces armées sont réunies dans des camps de démobilisation. Certains craignent que les pénuries alimentaires dans les camps menacent le processus de paix.

Juin L’ONU lance un appel pour venir en aide aux milliers de réfugiés qui rentrent chez eux après le cessez-le-feu. Août L’Unita dissout sa branche armée. « La guerre est terminée », proclame le ministre angolais de la Défense.

2003

2004

2005

2006

Février La mission de l’ONU surveillant le processus de paix se retire.

Septembre La production pétrolière atteint 1 million de barils par jour.

Juin L’Unita, désormais parti politique, élit Isaias Samakuva à sa tête.

Décembre Le gouvernement affirme que 300 000 trafiquants de diamants étrangers ont été expulsés.

Juin Le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, se rend en Angola et promet d’allouer un nouveau crédit de plus de 2 milliards $, en plus de la ligne de crédit de 3 milliards $ que Pékin a déjà accordée à Luanda.

Août Le gouvernement signe un traité de paix avec un groupe séparatiste dans l’enclave du Cabinda au nord.

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Octobre Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés débute le « rapatriement final » des Angolais qui ont fui la guerre civile en RDC.Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés débute le « rapatriement final » des Angolais qui ont fui la guerre civile en RDC.


À un rythme et une ampleur étonnants de reconstruction, le pays rattrape le temps perdu.

À gauche : le Mausolée du premier président, Agostinho Neto. Ci-contre : un avion de chasse portugais des années 1950 capturé.

Élections

Eduardo dos Santos lui succède. Il maintient la ligne socialiste du MPLA, mais il laisse, par la suite, les forces du marché jouer un rôle dans la croissance économique du pays. La guerre entre le MPLA et l’Unita continue de faire rage, mais, lors de l’effondrement du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, l’Unita perd son principal allié. En 2002, Savimbi tombe sous les balles gouvernementales et l’Unita signe un cessez-le-feu peu de temps après, mettant fin à 27 ans de conflit. L’Angola s’attache à présent à reconstruire son économie, ses infrastructures et son système social. À un rythme et une ampleur étonnants de reconstruction, le pays rattrape le temps perdu. n

Période récente

2008

2009

2010

Septembre Premières élections parlementaires en 16 ans.

Mars Le Pape Benoît XVI célèbre la messe devant plus de 1 million de personnes à Luanda.

Janvier L’Angola accueille la Coupe d’Afrique des Nations. L’équipe togolaise est attaqué par des séparatistes du Cabinda. Une nouvelle Constitution renforce le pouvoir du Président et abolit son élection au suffrage universel.

2012 Septembre Le président de la RDC, Joseph Kabila, se rend en Angola. Les relations entre les deux pays voisins se sont détériorées en 2009 quand l’Angola a commencé à expulser les immigrants congolais clandestins, engendrant une riposte de la RDC.

Septembre Le MPLA, au pouvoir, remporte une victoire confortable aux élections législatives, assurant un nouveau mandat pour le président Dos Santos. Les observateurs de l’Union africaine considèrent que les élections sont libres et régulières.

2014 Octobre L’Angola crée un fonds souverain de 5 milliards $ pour investir les recettes pétrolières du pays dans des projets.

Mai Premier recensement national depuis 1970. Les chiffres (non définitifs) annoncent une population de 24,3 millions d’habitants.

African Business | Hors Série Villes africaines | 35


É C O N O M I E

36 african cities angola march 2015


U n e

é c o n o m i e

e n

p l e i n

e s s o r

L’Angola est l’un des pays qui connaît la plus forte croissance non seulement en Afrique mais aussi dans le monde. Le pays est parvenu à atteindre cette croissance remarquable en seulement 13 ans de paix, et ce malgré la destruction quasi-totale de toute son économie.

Une économie en plein essor

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epuis quelques mois, la chute des cours du pétrole atténue le formidable essor de la construction, en Angola : confronté à une baisse de ses revenus, le gouvernement a reconnu que des coupes dans les dépenses seraient nécessaires. Pour autant, ce ralentissement ne fait que mettre en lumière l’importance des travaux entrepris dans les infrastructures, qui devraient contribuer à diversifier l’économie du pays et à créer des emplois, à long terme. Des siècles de colonisation ont laissé leur empreinte sur l’économie angolaise et continuent d’avoir un impact important sur les programmes d’investissement actuels. Comme d’autres puissances coloniales, les Portugais ont bâti des infrastructures conçues pour exporter des matières premières en Europe, en accordant peu d’attention au développement économique local et au commerce avec les territoires voisins. À leur époque, trois lignes de chemins

de fer allant d’Est en Ouest furent réalisées pour transporter des produits agricoles et des minerais vers les ports de Namibe, Lobito et Luanda, sur la côte Atlantique. Le coût humain de la colonisation a été très élevé. Les Portugais ont imposé des conditions de travail proches de la servitude ou de l’esclavage. En outre, la colonisation était concentrée sur les côtes, dans les plantations et dans les mines, tandis que les autres régions du pays devaient s’administrer seules, en dépit de réseaux commerciaux traditionnels perturbés. Les conséquences de cette organisation se font encore sentir aujourd’hui, le portugais n’étant que la troisième ou quatrième langue de nombreux Angolais. Le mode de gouvernement de Lisbonne, ses tentatives pour conserver le contrôle du pays et la rapidité de son retrait ont laissé la population dans une grande pauvreté. La « Révolution des Œillets », en 1974 au Portugal, a été bien accueillie, mais elle s’est suivie de la guerre civile angolaise, qui a

“L’Angola est devenu la troisième économie d’Afrique subsaharienne, précédée du Nigeria et de l’Afrique du Sud”

À gauche : la banque d’Angola.

duré 27 ans ; le pays a été l’un des théâtres de la guerre froide et de la lutte contre la suprématie blanche en Afrique du Sud. Malgré l’essor de l’industrie pétrolière, l’Angola était un pays ravagé lorsque la guerre s’est achevée, en 2002. On ne pouvait pas parler de cohésion nationale, le gouvernement avait peu d’influence dans certaines régions du pays, l’éducation et les services de santé étaient très limités pour la grande majorité de la population.

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É C O N O M I E Depuis 2002, la situation économique de l’Angola s’est nettement améliorée, grâce à l’importante production pétrolière. En partie, les investissements réalisés ont profité à la population. Incontestablement, l’économie angolaise est en plein essor, marquée par une forte reprise du secteur de la construction, bien que la chute des cours du pétrole vienne la ralentir, à court terme. Le défi lié au cours du pétrole Les hydrocarbures représentent environ 60 % du PIB, 75 % des recettes de l’État et 95 % des revenus d’exportation ; 1,3 % de ces revenus proviennent des diamants. Les immenses revenus pétroliers ont fait de l’Angola l’une des économies les plus fortes de l’Afrique au cours des dix dernières années, avec une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 10 % sur la période 2006-2010. Le pays est devenu la troisième économie d’Afrique subsaharienne, précédée du Nigeria et de l’Afrique du Sud. Pour 2015, Luanda tablait initialement sur une croissance de 8,8 %, mais ces prévisions devraient être revues à la baisse. Pour équilibrer le budget 2015, le prix du baril devait atteindre 98 $ en moyenne. En dessous de 81 $, le gouvernement a besoin d’emprunter pour financer son budget, sauf à décider de réduire de dépenses. En novembre, il prévoyait encore un déficit budgétaire de 2 % cette année et les trois années suivantes, mais à moins que le cours du pétrole ne remonte rapidement – ce qui semble improbable aujourd’hui – ce chiffre semble bien optimiste. Le président José Eduardo dos Santos admet que l’année 2015 sera « difficile sur le plan économique en raison du prix pétrolier très bas ». Il prévient : « Certaines dépenses publiques seront réduites et des projets différés. Nous allons instaurer des contrôles du budget de l’État et une discipline financière plus stricte pour conserver notre stabilité. » Le Président tient à rassurer : « Toutefois, nous allons maintenir notre politique de réduction de la pauvreté. Des Angolais vivent avec très peu ou presque rien. » Pour accroître ses revenus, le gouvernement a diminué les

subventions. Le prix de l’essence est passé de 75 kwanza/litre à 90 kwanza/litre (0,86 $/litre) et celui du diesel de 50 kwanza/litre à 60 kwanza/litre, en décembre. Les liens entre Luanda et la Chine ont permis de limiter les difficultés. En décembre, Pékin a accepté d’octroyer à Sonangol 2 milliards $ pour financer les projets liés aux hydrocarbures, en vue d’augmenter les revenus disponibles. Il semble que de nombreuses sociétés pétrolières – publiques et privées – limitent leurs investissements dans le secteur de l’amont. Les prêts chinois à Luanda ont atteint 16,5 milliards $ depuis la fin de la guerre. On dit qu’il s’agit généralement de contrats « pétrole contre infrastructures ». Cela se vérifie en grande partie, mais la

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situation est un peu plus complexe. La société chinoise Sinopec s’est engagée dans une coentreprise avec Sonangol et produit du pétrole angolais. Cette exploitation est essentielle à la politique de sécurité énergétique de Pékin, qui importe actuellement à peu près la moitié de la production pétrolière angolaise. L’Angola reconnaît la nécessité d’élargir la base économique du pays. José Filomeno Dos Santos, fils du Président et président du fonds souverain du pays, explique : « Nous souhaitons réellement diversifier le portefeuille, notamment à cause de la chute du cours du pétrole. Nous allons nous pencher sur des partenariats public-privé, des concessions de l’État, des investissements industriels, tels que des usines de production ou d’assemblage, etc. » n

Ci-dessus : le port des ferrys. Page ci-contre : la voie express Cacuaco - Viana.


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Le terminal à conteneurs de Luanda, exploité par APM Terminals et Gestão de Fundos, demeure la plateforme la plus importante du pays

Secteur par secteur PÉTROLE ET GAZ L’Angola est le deuxième producteur pétrolier d’Afrique subsaharienne, précédé du Nigeria. La production s’élève à 1,7 million barils/jour et une série de nouveaux projets devrait permettre au pays de produire plus de 2 millions b/j dans un avenir proche. Le pays continue d’encourager la prospection, en dépit de quelques tentatives infructueuses, ces derniers temps. En faisant les calculs de tous les projets prévus par BP, Total, Chevron et autres, la production pourrait dépasser 2,5 millions b/j d’ici à sept ans ; la quasi-totalité de la production

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supplémentaire se situe en eaux profondes, où l’exploitation est beaucoup plus coûteuse. Ces gisements sont les plus susceptibles d’être gelés si les grandes compagnies devaient réduire leurs coûts. Néanmoins, le pays doit beaucoup à son territoire maritime en eaux profondes. Avant le développement des techniques d’exploitation de ces gisements, la production, dans des puits terrestres et dans les eaux peu profondes de Cabinda, ne dépassait pas 800 000 b/j. D’ailleurs, bien que les gisements en eaux profondes soient ceux qui produisent aujourd’hui le plus grand nombre de barils, Cabinda demeure une source importante de pétrole. L’exploitation des ressources gazières a permis de diversifier quelque peu l’économie nationale. Une usine de GNL a été achevée à Soyo, voici deux ans, par la société pétrolière nationale Sonangol et les majors pétroliers qui l’approvisionnent en gaz, mais des problèmes d’exploitation ont conduit à l’arrêt de la production et des milliards de dollars sont consacrés à la correction de défauts de conception. TRANSPORT ROUTIER ET FERROVIAIRE Les trois principales lignes de chemin de fer ont été sérieusement endommagées lors de la guerre civile mais les réparations touchent à leur fin. Pour prendre un exemple, China Hyway gère les réparations du chemin de fer de Moçâmedes, long de 860 km, qui part du port de Namibe, au sud, et se dirige, à l’est, vers la ville de Menongue. Une nouvelle ligne secondaire va être construite entre Tchamutete et la frontière namibienne. Les travaux ont été financés par une série de prêts, dont une ligne de crédit de 400 millions $ de la Banque de développement de Chine. Autour des trois lignes de chemin de fer, les routes doivent être améliorées ou de nouvelles routes construites pour relier les villes de province aux gares. La ligne de chemin de fer de Benguela est également rénovée au-delà de la frontière est du pays afin de transporter, pour les exporter, les minerais de la RD Congo et de la Zambie vers Lobito, qui fera ainsi concurrence aux ports d’Afrique du Sud et de Tanzanie. En 2014, les gouvernements

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d’Angola, de RD Congo et de Zambie ont signé un accord spécifiant que Caminho de ferro de Benguela (CFB), la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) et Zambia Railways Limited (ZRL) étaient responsables de l’entretien et de l’exploitation des deux tronçons vers la Zambie et la RD Congo. Le passage aux frontières fera également l’objet de travaux afin d’accélérer le traitement des marchandises. PORTS Des travaux de modernisation ont été entrepris dans les trois ports à l’aide de fonds privés et publics. En particulier, le ministre des Transports, Augusto da Silva Tomás, a annoncé que 120 milliards de kwanzas (1,14 milliard $) allaient être investis dans les conteneurs, les équipements liés au vrac sec et au carburant du port de Lobito. « Cet investissement améliorera la compétitivité du port de Lobito, augmentera sa capacité et sa sécurité, et en fera un acteur plus dynamique de l’internationalisation des sociétés angolaises et de l’économie angolaise », a-t-il expliqué. Néanmoins, le terminal à conteneurs de Luanda, exploité par APM Terminals et Gestão de Fundos, demeure la plateforme la plus importante du pays ; il assure la manutention de près de 1 million d’EVP (équivalent vingt pieds). La construction d’un nouveau terminal à conteneurs est prévue à 50 km au nord de la capitale à Barra do Dande. Il sera équipé de postes d’amarrage en eaux profondes capables d’accueillir des navires de bien plus grande taille qu’à Luanda. AÉROPORTS Depuis peu, les infrastructures aéroportuaires en Angola sont transformées. L’actuel aéroport international Quatro de Fevereiro à Luanda a été modernisé tandis que le nouvel aéroport de la capitale, l’un des plus ambitieux projets de construction du pays, est en cours de réalisation hors de la ville. Il sera équipé de deux doubles pistes, dont l’une pourra accueillir les plus gros avions de ligne du monde. La société publique chinoise, Citic Construction, principal sous-traitant sur ce chantier, devrait achever les travaux mi-2017, mais des retards sont possibles. En novembre, le secrétaire d’État à la Construction, António Flor, a annoncé

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Construction en cours Ă Luanda.


U n e que l’aéroport international de Luanda devrait accueillir au moins 15 millions de passagers par an, dont les deux tiers seront des passagers internationaux, ainsi que 50 000 tonnes de fret par an. Le China International Fund a financé l’aéroport qui sera exploité par Emirates dans le cadre d’un contrat de dix ans, conclu avec la compagnie aérienne angolaise TAAG. S’exprimant lors d’une réunion du Business Council for International Understanding à Chicago en novembre, le ministre des Transports Augusto da Silva Tomás a précisé : « Nous sommes en train de faire construire, à environ 40 km de la capitale, Luanda, un vaste aéroport moderne qui sera l’un des plus grands d’Afrique. Des avions comme le Boeing 787 Dreamliner pourront y atterrir ». D’autre part, des aéroports régionaux ont été modernisés, y compris ceux d’Uíge et de Luena, tandis que l’aéroport de Dundo, dans la province de Lunda Norte devrait rouvrir d’ici la fin de l’année. L’exploitant aéroportuaire national, Enana, gère un réseau de 29 aéroports de différentes tailles à travers le pays. Il a consacré 400 millions $ à leur modernisation. Quelques nouveaux aéroports sont également en cours de construction, comme à Ondjiva, dans la province de Cunene, où le vieil aérodrome sera remplacé. ROUTES Comme les lignes de chemin de fer, les liaisons routières avec ces nouveaux aéroports sont améliorées ; 89 km de routes vont relier l’aéroport d’Ondjiva à d’autres villes de la province de Cunene. Le gouvernement a élaboré un ambitieux programme national de construction et de modernisation routières, bien que l’insuffisance des financements ait freiné les travaux. Le directeur national du bureau de la planification du ministère de la Construction, Carlos Santos, estime que 1 114 km de routes principales ont été achevés en 2014, sur les 3 500 km à réaliser. En outre, 646 km de routes secondaires et 703 km de routes tertiaires ont été construits. Bien que les entreprises du bâtiment chinoises et brésiliennes soient celles qui aient le plus fait parler d’elles, des sociétés angolaises ont également remporté quelques contrats. En octobre, Omatapalo – Engenharia e Construção et Marsanto ont obtenu

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des contrats pour construire des routes principales dans la province de Lunda Norte pour le montant de 135 millions $. Omatapalo doit réaliser une section de 90 km de l’EN 190 reliant les villes de Dundo et Nzagi, tandis que Marsanto est responsable d’une section de 87 km de l’EN 170 entre Lubalo Camaxilo et l’intersection avec l’EN 225. Dans les deux cas, les travaux devraient durer deux ans. AGRICULTURE La majorité de la population travaille dans l’agriculture, mais l’Angola n’a pas encore retrouvé le statut de grand exportateur agricole qu’il avait acquis avant-guerre. Ses dirigeants espèrent que la modernisation des trois lignes de chemin de fer permettra l’émergence du secteur agricole dans la partie est du pays. Ces dix dernières années, le développement économique était surtout concentré autour de Luanda et, dans une moindre mesure, près d’autres zones côtières. Une grande partie de l’alimentation consommée dans les villes est importée à coût élevé. L’amélioration des infrastructures ferroviaires et routières devrait favoriser la production intérieure. Le déminage se poursuit dans les régions où les agriculteurs avaient renoncé aux cultures commerciales, en raison de l’insécurité alimentaire, de l’absence de marchés facilement accessibles et, pendant la guerre, du risque d’être chassés de leurs terres avant la récolte. Avant l’indépendance, la principale culture d’exportation était le café, suivie du maïs, du sisal et du tabac. La production de cultures de rente a quasiment disparu pendant les années de guerre, les propriétaires terriens portugais ayant fui le pays au moment de l’indépendance. MINERAIS Les diamants constituent la deuxième source de revenus de l’Angola. Pendant la guerre civile, la plus grande partie de la production était aux mains de l’Unita ou de sociétés minières non réglementées, mais l’État a progressivement repris le contrôle du secteur. Aujourd’hui, plusieurs sociétés publiques et privées exploitent des mines, mais il existe toujours des sites informels. Le ministère de la Géologie et des mines s’était fixé l’objectif de générer 1,3 milliard $ à partir de l’exploitation des mines de diamants, objectif

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qu’il avait déjà quasiment atteint au mois de novembre 2014. Le pays est le troisième exportateur de diamants d’Afrique. L’Angola était un important exportateur de minerai de fer à la fin de l’ère coloniale, produisant 5,7 millions de tonnes en 1973, mais la production a cessé au moment de l’indépendance et n’a pas repris à grande échelle, en raison de l’insuffisance de la capacité de transport. Toutefois, la modernisation des lignes de chemin de fer est ouest devrait favoriser un nouvel essor de l’industrie minière, l’octroi de nouvelles licences d’exploitation et un regain de la prospection. BANQUES Le classement des 100 premières banques d’African Business, compte sept banques angolaises, le chiffre le plus élevé jamais atteint. La première banque du pays, Banco Espírito Santo Angola, figure au 26e rang du classement, avec des fonds propres de catégorie 1 de 1 022 millions $. En revanche, le palmarès des 250 premières entreprises ne comporte aucune société angolaise, ce qui témoigne de la domination de l’économie par les sociétés publiques et pétrolières. La Commission angolaise des marchés boursiers prévoit la création d’une place boursière, afin d’encourager la mise en cotation de certaines entreprises parapubliques. CONSTRUCTION Il ne fait aucun doute que Luanda est l’une des villes qui construit le plus en Afrique actuellement. Des milliards de dollars sont injectés dans l’immobilier et, dans une moindre mesure, dans les secteurs de l’énergie, de l’eau et des routes. L’un des plus grands défis que doit relever le pays est l’offre de logements et d’emplois, qui font cruellement défaut, en partie à cause de la guerre, mais pas seulement. Le gouvernement compte sur la construction de nouvelles villes pour combler le déficit en matière de logements. Ces constructions se retrouvent à la périphérie des plus grandes villes du pays, en particulier autour de Luanda, comme Km 44, Capari, Kilamba Kiaxi, Cacuaco et Zango, qui sont en cours de construction ou en projet. Actuellement, le projet de Kilamba Kiaxi, situé à une trentaine de kilomètres du centre de Luanda, est le plus avancé. n

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Des logements pour tous

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uanda est aujourd’hui l’un des plus grands centres de construction sur le continent africain. On y voit partout des grues et des bétonneuses. Les tractopelles s’activent comme des fourmis. Mais environ trois quarts des 4,3 millions d’habitants de Luanda vivent dans des bidonvilles, appelés musseques. Ils habitent des quartiers sans accès à l’électricité, à l’eau propre, et sans canalisations d’évacuation. Pourtant, Luanda est la ville la plus chère au monde pour les expatriés, avec des loyers

mensuels entre 10 000 et 18 000 $ pour un logement moderne de cinq pièces. Pour réduire le déficit de logements, de nouvelles villes sont bâties, généralement à la périphérie des plus grandes cités du pays, en particulier autour de Luanda, comme Km 44, Capari, Kilamba Kiaxi, Cacuaco et Zango, qui sont en cours de construction ou en projet. Actuellement, le projet de Kilamba Kiaxi, situé à une vingtaine de kilomètres du centre de Luanda, est le plus avancé. Malgré l’insuffisance de logements, la plupart des

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Le centre-ville de Dundo, dans le nord de Luanda.

appartements de Kilamba Kiaxi sont restés vides pendant plus d’un an en raison des prix trop élevés. En février 2013, le gouvernement a décidé de réduire le prix des petits appartements. De 125 000 $, leur prix a été fi xé à 70 000 $ afin d’attirer davantage de gens, qui ont alors profité de la formule locationvente proposée par l’État. Kilamba Kiaxi est à présent une ville dynamique dotée d’excellentes routes, d’écoles, de terrains de sport et d’autres services. Les phases deux et trois, avec la construction de commerces, feront de Kilamba une ville autonome et permettront de


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Dans le cadre du Programme national d’urbanisme et d’habitat, le gouvernement prévoit que le secteur privé finance seulement 12 % des nouveaux logements, le reste étant confié à l’État. désengorger Luanda. Actuellement, le loyer mensuel d’un appartement de cinq pièces avoisine 150 $. Les résidents n’ont pas le droit de vendre ou louer leur appartement sans autorisation mais il semble que cela soit pratiqué malgré tout. D’autre part, de nombreux acheteurs potentiels se sont plaints de l’uniformité des propriétés, mais les premiers acquéreurs ont personnalisé leur logement, peignant les murs de différentes couleurs et ajoutant des extensions, tandis que d’autres ont ouvert des magasins. Kilomba est aujourd’hui une ville vivante et animée. Le rôle prédominant de l’État Le gouvernement dirige activement le développement urbain de Luanda, y compris dans les quartiers résidentiels. Dans le cadre du Programme national d’urbanisme et d’habitat, le gouvernement prévoit que le secteur privé finance seulement 12 % des nouveaux logements, le reste étant confié à l’État. Ce chiff re semble exclure les quartiers d’habitat spontané mais – à moins que le cours du pétrole demeure très bas – le gouvernement prendra tôt ou tard la responsabilité de coordonner de vastes programmes de logements. Le programme d’auto-

construction par lequel l’État fournit les infrastructures de base (approvisionnement en eau, traitement des eaux usées, électricité) ainsi que des conseils constitue un volet important du plan du gouvernement visant à off rir un logement à chaque famille angolaise. Cette tâche devrait être quelque peu facilitée par les résultats du premier recensement national réalisé depuis l’indépendance. L’impressionnant exercice de logistique a eu lieu l’an dernier et les 7 millions de questionnaires complétés sont toujours en cours de traitement mais l’Institut national des statistiques estime la population angolaise à 24 millions d’habitants, un chiff re relativement faible par rapport à la superficie du pays. Les résultats définitifs donneront des détails sur la structure de la population, le type de logement occupé, le lieu d’emploi et les moyens de transport, facilitant la planification à long terme. Le gouvernement angolais affirme que la plupart de ces projets de logements sociaux sont destinés à off rir une compensation aux gens qui perdent leur logement informel. Reste à voir combien de ces logements seront effectivement donnés gratuitement mais il est

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indéniable que des centaines de milliers de logements à bas coût ont été construits. Le programme de Zango à la périphérie sud-est de Luanda permettra à lui seul de loger 200 000 personnes. Les logements sont simples, sur un seul étage, et semblent s’être inspirés de propriétés similaires en Afrique du Sud, où des millions de logements à bas coût ont été réalisés par l’État afin d’accueillir des gens résidant dans les bidonvilles. L’Angola a choisi la même solution que l’Afrique du Sud pour résoudre ce problème. En novembre, la Banque industrielle et commerciale de Chine a accepté d’accorder un prêt de 120 millions $ afin de contribuer au financement de la Phase 1 du projet Futungo de Belas à Luanda, de 150 millions $. Le programme en trois phases prévoit la réalisation de logements, d’hôtels, d’installations sportives et de locaux commerciaux sur une période de dix ans. Les fonds seront utilisés pour la construction de l’immobilier mais aussi d’infrastructures d’électricité, d’eau et de traitement des eaux usées. Un rythme moins soutenu dans les provinces Le rythme de la construction s’est également accéléré dans les provinces, mais il y est moins eff réné. À Ndalatando, capitale de la province de Kwanza Norte, Sonangol Imobiliária construit 4 000 appartements dans des immeubles de trois, quatre et cinq étages qui accueilleront plus de 30 000 personnes. Le programme devrait être achevé d’ici à fin 2016. De vastes projets de logements à Uíge, Benguela, Cacuaco, Lobito, Cabinda et ailleurs sont réalisés par des entreprises chinoises.

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É C O N O M I E En outre, la société portugaise Tomás de Oliveira a remporté un contrat de 125 millions $ pour bâtir 1 000 logements dans la province de Lunda Sul pour le projet Pérola Verde. Il manque dans le pays des petites et moyennes entreprises locales, capables de réaliser des projets à moindre échelle. Cela permettrait de créer une industrie du bâtiment plus saine et plus réceptive aux besoins locaux. Pour cela, il faudrait, outre des compétences plus larges, un environnement d’investissement plus attrayant et plus favorable au secteur privé. Des résidences sécurisées Bien que les plus démunis soient ceux qui aient le plus besoin de nouveaux logements, beaucoup d’investissements privés sont injectés dans la réalisation de logements de luxe, qu’il s’agisse de tours ou de résidences sécurisées, de plus en plus prisées partout dans le monde. Ces maisons ou appartements partagent parfois des parties communes, comme des jardins ou un centre de loisirs, et l’accès est réservé aux seules personnes autorisées. Ils sont entourés de murs, de clôtures électriques, de gardes armés accompagnés de chiens, qui donnent un sentiment de sécurité mais aussi d’isolement. Il ne fait aucun doute que ces résidences, très communes en Afrique du Sud, rendent plus criantes encore les différences entre les riches et les pauvres. En Angola, les résidences sécurisées sont souvent réservées aux étrangers. Par exemple, l’entreprise angolaise Operatec a réalisé le Centre de développement de Malembo dans la province de Cabinda pour accueillir les employés des sociétés pétrolières, notamment ceux du parc industriel de Cabinda Gulf Oil Company. Construit pour la somme de 100 millions $, il devrait être achevé cette année et loger 1 440 personnes. Il proposera également une piscine, une salle de musculation, une salle de jeux, une cantine et des services associés. 44 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015


U n e L’industrie pétrolière a contribué à faire augmenter le prix de l’immobilier. Non seulement les salariés des sociétés pétrolières ont un salaire plusieurs fois supérieur au salaire local moyen mais aussi les sociétés pétrolières savent qu’elles parviendront toujours à vendre les propriétés qu’elles achètent et n’hésitent donc pas à payer des prix élevés. De même, la résidence sécurisée Pasadiso à Lunda Sul est proche des complexes résidentiels de Chevron, Exxon Mobil et Total, ainsi que du Centre de convention de Sonangol. Chaque logement possède quatre chambres, trois salles de bains et une piscine privée, et dispose d’installations sportives communes et de transports quotidiens jusqu’au centre de Luanda. Cette option séduit de plus en plus, la circulation dans la capitale angolaise étant toujours plus difficile. La réalisation de l’usine de GNL à Soyo à l’extrême nord du pays a suscité un boom de la construction résidentielle dans la ville pour loger les employés de l’usine ainsi que les personnes venues s’installer en quête de travail dans les services auxiliaires. Omatapalo Engenharia e Construção Civil, par exemple, a accompli la moitié de la construction d’un nouveau complexe comprenant 400 logements à une vingtaine de kilomètres de la ville. Réalisé par Sonangol, le programme inclut également une école, un hôpital, une bibliothèque et des installations sportives. Des complexes intégrés Nombre de projets immobiliers comprennent des bureaux et des équipements de loisirs en plus des logements. L’une des initiatives les plus ambitieuses est celle de Commandante Gika, en cours de construction dans le quartier d’Alvalade de Luanda. Les investissements à hauteur de 820 millions $, provenant de sociétés locales et internationales, vont permettre la réalisation de deux immeubles résidentiels, de deux immeubles de bureaux, d’un hôtel 5 étoiles et du Luanda Shopping Mall, qui sera le plus grand centre commercial d’Angola.

Page ci-contre : des travailleurs sur un chantier de construction. Ci-dessus : de grandes compagnies chinoises ont élaboré des projets de logements à Uíge, Banguela, Cacuaco, Lobito, Cabinda et d’autres sites.

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Certains appartements sont déjà en vente. Autre projet similaire : le Sky Tower, qui comprend des logements, des bureaux et des commerces. Achevé en 2013 au coût de 65 milliards de kwanza (675 millions $) au bout de quatre ans de travaux, il a été réalisé par Teixeira Duarte pour le promoteur Escom, et financé par Banco Espírito Santo Angola. Le coût élevé des matériaux de construction affecte également le prix de l’immobilier. Le ciment et les autres matériaux de base sont produits localement, mais tout le matériel de plomberie et les équipements électriques sont généralement importés à un coût élevé. Toutefois, en octobre, le gouvernement et les entreprises du bâtiment locales ont créé un groupe technique pour enquêter sur la capacité du pays à produire les matériaux de construction et à réfléchir aux moyens d’améliorer le débit et la diversité de l’approvisionnement. La ministre de

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l’Industrie, Bernarda Martins, a également proposé la création d’une Association des entreprises de matériaux de construction. « Ces industries doivent continuer à travailler et à investir, en particulier dans l’innovation et la qualité de leurs produits, afin que le marché puisse absorber tout ce qu’elles produisent », a souligné le directeur de l’Institut du développement industriel de l’Angola, António Dias da Silva. La fabrication des appareils ménagers a progressé dans le pays. En 2013, une société angolaise du nom d’Inovia a créé une usine avec 200 ouvriers pour le coût de 38 millions $. L’usine produit des biens électroniques ménagers et devrait doubler son personnel. Bernarda Martins a affirmé que l’usine était « un excellent exemple de contribution à l’économie nationale pour réduire la dépendance du pays vis-à-vis du secteur pétrolier en termes de part du PIB, des exportations et des recettes fiscales ». Lucy Corkin, analyste du risque souverain chez Rand Merchant Bank, a précisé : « Nous voyons l’émergence d’une classe moyenne à Luanda. Mais les infrastructures matérielles et sociales angolaises sont insuffisantes pour répondre à ses exigences en termes de biens et services ». Des études réalisées en 2012 ont montré que le déficit de logements en Angola se chiffrait à 1,7 million. En 2013, environ 65 000 nouveaux logements ont été construits dans le pays dans le cadre du Programme national d’urbanisme et d’habitat. Sous bien des aspects, le marché immobilier angolais est à un stade précoce de son développement. Les crédits sont difficiles à obtenir et les agents immobiliers vendent essentiellement des propriétés neuves et chères, car les gens déménagent très peu. Beaucoup de logements sont acquis par les sociétés pétrolières, qui continuent de les utiliser une fois les employés d’origine partis. Il sera intéressant de voir si le prix de l’immobilier se maintiendra quand des logements plus anciens feront concurrence aux logements neufs. n

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V I L L E S

Située non loin de Luanda, Kilamba est la première et la plus avancée des novas cidades (nouvelles villes) qui émergent partout en Angola. Elle est aujourd’hui considérée comme un modèle en termes de construction et de gestion. Par Anver Versi

Ville modèle

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ilamba ne se situe qu’à quelque 30 km de Luanda, mais il faut beaucoup de temps pour s’y rendre. Sortir de Luanda pour rejoindre l’autoroute tient du parcours du combattant ! La circulation est, à toute heure, d’une lenteur inouïe. J’ai d’abord cru que les embouteillages étaient dus aux accidents de la route avant de me rendre compte que le problème venait du grand nombre de véhicules circulant sur des routes qui n’ont

absolument pas été conçues pour supporter un tel volume. Les voitures finissent quand même par avancer : les conducteurs manœuvrent dans les espaces les plus étroits pour gagner un mètre ou deux. Ce, sans la mauvaise humeur que l’on rencontre sur les routes dans bien des pays d’Afrique. Les passagers s’affairent souvent sur leur mobile ou leur tablette. « La voiture est mon deuxième bureau », confie l’un d’eux. Quand on sait que l’on va passer beaucoup de temps dans la voiture, autant en faire bon usage.

Les routes sont aujourd’hui modernisées et il est prévu de construire des artères de transport modernes, dont des viaducs, des métros et même des monorails aériens. Mais tant que ces grands projets de construction en cours ne seront pas achevés, la circulation à Luanda demeurera très lente. D’ailleurs, les routes surchargées donnent une bonne idée de la densité de population de la ville et expliquent pourquoi le gouvernement a décidé de créer des villes nouvelles plutôt que d’agrandir les villes existantes.

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N O U V E L L E S

Quand j’ai enfin entr’aperçu la nouvelle ville, j’en ai eu le souffle coupé. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais je ne m’étais pas préparé à ce spectacle qui émergeait de la brume matinale tel un spectre.

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Kilamba n’est pas une ville-satellite comme les nouveaux centres qui sont apparus le long de Thika Road à Nairobi, ni même comme Sandton, le nouveau quartier d’affaires de Johannesburg. Elle a été conçue dès le premier jour comme une nouvelle ville qui sera un jour autonome en infrastructures et en services. Non seulement elle permettra de désengorger Luanda, mais aussi elle créera une économie locale. Les logements, les écoles, les terrains de jeu, les espaces commerciaux, les parcs, les transports publics, les routes et les systèmes de gestion de la circulation respectent des exigences de qualité élevées. D’orientation socialiste, le gouvernement MPLA du président José Eduardo dos Santos souhaite proposer aux citoyens les meilleurs niveaux de vie que peut le permettre la richesse du pays.

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Une fois sortis de Luanda, il ne nous a pas fallu longtemps pour parcourir la courte distance sur l’autoroute, parfaitement entretenue, qui mène à Kilamba. Quand j’ai enfin entr’aperçu la nouvelle ville, j’en ai eu le souffle coupé. Je ne savais pas à quoi m’attendre mais je ne m’étais pas préparé à ce spectacle qui émergeait de la brume matinale tel un spectre. La masse compacte d’immeubles, aux teintes bleues, vert et jaune pastel, semblait s’étendre sur des kilomètres le long de la route. Bien que nous nous attendions à un projet de vaste envergure, nous étions sans voix. Quand nous avons pénétré dans le complexe, nous avons eu le sentiment d’avoir fait un bond en avant dans le temps. Les routes sont en excellent état, bordées de panneaux clairs. Les feux sont équipés d’une minuterie numérique, indiquant quand ils vont changer

Ci-dessus, de gauche à droite : les infirmières Georgina Maquina, Lurdes Mussungo et le Dr Filomena Neto au centre de santé Kilamba. En haut à droite, un enfant se fait vacciner. En dessous : Godlive Luvualu, directeur général de la santé Kilamba.


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Les passages piétons sont larges et bien indiqués et, à la différence de ce qui se passe ailleurs en Afrique, les voitures s’arrêtent quand le feu passe au rouge pour laisser les piétons traverser en toute sécurité. PROFIL

Centre de santé de Kilamba (Centro de Saúde de Kilamba)

de couleur. Je n’en avais vu qu’en Scandinavie, à Singapour et à Tokyo. Les passages piétons sont larges et bien indiqués et, à la différence de ce qui se passe ailleurs en Afrique, les voitures s’arrêtent quand le feu passe au rouge pour laisser les piétons traverser en toute sécurité. Nous sommes tombés une seule fois sur un chauffard qui n’a pas respecté le feu rouge, mais notre conducteur nous a assuré qu’il n’irait pas loin et qu’il serait vite repéré par les caméras qui contrôlent les vitesses. D’ailleurs, un numéro de téléphone permet d’avertir les autorités de toute infraction au Code de la route. J’avais peine à croire que nous étions en Afrique ! Nous nous sommes arrêtés à un arrêt de bus pour demander notre chemin. Il y avait un abri et des bancs. Comme dans le reste de l’Afrique, les taxis minibus que l’on voit partout constituent le principal

Cet impressionnant centre de santé, le premier de plusieurs nouveaux centres, a été officiellement inauguré en septembre 2014 par le gouverneur de Luanda, Graciano Domingos, et le ministre de la Santé, José van Dúnem, mais il était ouvert au public depuis le mois d’avril. Le docteur Godelive Luvualu, directrice du centre, et le docteur Filomena Neto, administratrice de la DPSL (Direcção Provincial de Saúde de Luanda – Direction provinciale de la santé de Luanda) nous ont fait visiter les lieux. Le Dr Luvualu, qui a obtenu son diplôme de médecine en Ukraine, présente le centre de santé de 30 lits : « Outre les services médicaux généralistes, la pédiatrie, la maternité, les soins prénataux et le planning familial, nous mettons en œuvre des services de laboratoire et de radio. » Dans le laboratoire bien équipé, nous avons vu les infirmières Georgina Máquina et Lourdes Mussungo analyser des échantillons au microscope. « Nous prévoyons de réaliser gratuitement des échographies prénatales, des radios et des analyses d’urine et de sang », souligne le Dr Luvualu. Lors de notre visite, nous avons observé l’infirmière Marisa Nair Falcão administrer des vaccins à plusieurs jeunes enfants qui attendaient patiemment leur tour, accompagnés de leur mère. « Nous recevons environ 200 patients par jour, commente-t-elle, mais nous espérons faire passer bientôt la capacité à 300. Nous voyons surtout des cas de malaria, de diarrhée et d’hypertension. Nous traitons les cas sérieux pendant 72 heures et, s’il n’y a pas de signes d’amélioration notables, nous les transférons par ambulance à l’hôpital central de Luanda. » En septembre, le centre a participé à un vaste programme national de lutte contre la rougeole et la polio. L’objectif de la campagne était de vacciner 7,7 millions d’enfants, âgés de six mois à 10 ans avant la fin de l’année 2014. « Nous vaccinons également les enfants de Kilamba âgés de six mois à cinq ans contre la polio, le tétanos et l’hépatite B, et nous prescrivons de la vitamine A », ajoute le Dr Filomena Neto. Le centre compte 54 employés, dont 26 infirmières et quatre médecins (deux Angolais et deux Cubains).

moyen de transport bien que des bus parcourent aussi les itinéraires. Des motos, bien entretenues par leurs jeunes propriétaires, transportent les gens pour une somme modique. Ici, les minibus sont bleu ciel et en bien meilleur état que ceux que l’on trouve ailleurs sur le continent. Les routes forment une grille, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Les immeubles flambant neufs de quatre et huit étages sont peints dans des couleurs pastel à deux tons : les bleus, verts, marron et crème dominent. Chaque appartement de Kilamba dispose d’un parking. Des espaces verts et des jardins commencent à apparaître. Le long des rues, on trouve des restaurants, des cafés, des magasins, des coiffeurs, etc. Nous sommes arrivés quand la plupart des gens étaient au travail et les enfants à l’école, si bien que les rues étaient plutôt désertes. Nous avons fini par trouver notre interprète, une jeune femme du nom de Tatiana, qui nous a raconté qu’elle vivait à Kilamba avec sa mère dans un appartement de quatre pièces. Elle avait un emprunt sur 25 ans et ses mensualités s’élevaient à 150 $. Visite guidée Nous nous sommes rendus aux bureaux de la ville où les nouveaux administrateurs municipaux, Francisco Changane, Djamila Franco et Óscar Veríssimo da Costa, nous ont présenté l’histoire du projet et fait visiter la ville. Djamila Franco, directrice de la Gestion urbaine de Kilamba, est architecte et participe aux recherches et à la planification de nouvelles villes potentielles. « Je suis entrée au Bureau de reconstruction national, créé en octobre 2004 en tant que service supra-ministériel sous la responsabilité directe du président José Eduardo dos Santos », préciset-elle. « À l’époque, mon équipe était chargée de trouver de nouveaux sites à construire – en tenant compte de différents facteurs, tels que la structure du terrain, les niveaux d’occupation et la proximité des principaux centres urbains. » Le bureau, dit-elle, comprenait des professionnels de tous les secteurs : des économistes, des architectes, des ingénieurs en travaux publics, des sociologues,

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N O U V E L L E S des anthropologues… « Nous voulions créer un concept totalement angolais », affirme-t-elle. Le plan directeur a été conçu par un institut chinois, selon des spécifications angolaises. « Par exemple, le président dos Santos a demandé aux architectes que les appartements à quatre pièces aient une superficie de 110 mètres carrés au lieu des 100 mètres carrés classiques, car la plupart des familles africaines sont composées de six ou sept membres. » La réalisation du plan directeur a posé beaucoup de problèmes, dont certains qu’il était impossible d’anticiper. Tout d’abord, il a fallu choisir l’emplacement de la nouvelle ville. Elle devait être suffisamment proche de Luanda pour que les gens travaillant dans la capitale acceptent d’y habiter, mais pas trop proche non plus car l’exercice aurait été inutile. Le site devait se trouver à proximité de sources fiables d’eau et d’électricité et être constructible, c’est-à-dire sur un terrain non marécageux pour éviter l’affaissement des immeubles. Bien qu’en Angola, les terres appartiennent toutes à l’État (à l’exclusion de quelques propriétés historiques), il était important de ne pas déloger sans compensation les personnes occupant le terrain. « Peu de personnes vivaient sur le site que nous avons choisi mais il y en avait quand même quelques-unes », confie Djamila Franco. Le ministère de la Culture a été chargé d’évaluer l’impact de la construction sur la vie des gens qui occupaient le terrain. Il a proposé une compensation et fait une offre de relogement satisfaisante pour les parties. Dès lors, les travaux ont pu débuter. C’était un projet gigantesque. Bien que l’Afrique du Sud post-apartheid ait également réalisé un programme de construction très ambitieux, aucun projet de cette envergure n’avait été tenté en Afrique, jusque-là. L’objectif était de loger un demi-million de personnes une fois les trois phases du projet achevées. Le seul pays de l’époque moderne à avoir mis en œuvre des projets de cette échelle est la Chine, où les entreprises du bâtiment, les architectes, les géomètres, les

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Le plan directeur a été conçu par un institut chinois, selon des spécifications angolaises. ingénieurs (eau, électricité, travaux publics, mécanique, égouts, etc.), les monteurs, les peintres et les jardiniers sont passés maîtres dans la préparation et la réalisation de tels projets. L’expérience acquise au fil de la révolution urbaine en Chine a permis de créer un cadre ultraorganisé de spécialistes et d’ouvriers capables de réaliser des projets en un temps record. Poursuivant ses propres rêves, Pékin est devenu un partenaire commercial majeur de l’Angola, achetant du pétrole et vendant des produits manufacturés très divers. Parallèlement, les sociétés de bâtiment chinoises, alliant méthodes de construction anciennes et techniques modernes, ont entièrement transformé le paysage africain en construisant des stades, des édifices publics, des ponts, des ports, des aéroports, des routes, des voies de chemin de fer, des centres commerciaux et des logements. Il était logique que l’Angola et la Chine trouvent un accord qui soit

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Ci-dessus et à droite : de nouveaux blocs de logement dans Kilamba et l’intérieur d’un nouvel appartement. Page ci-contre, de haut en bas : Djamila Franco, directeur de gestion urbaine de Kilamba et Óscar Verissimo da Costa, conseiller politique pour le Bureau d’administration de Kilamba.


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Jardin d’enfants Les petits princes

(Centro Infantil Pequenos Príncipes)

Les sociétés de bâtiment chinoises, alliant méthodes de construction anciennes et techniques modernes, ont entièrement transformé le paysage africain.

Ce jardin d’enfants au cœur de Kilamba comporte des pièces spacieuses bien aérées. La directrice, Lurdes Franco, et la directrice éducative, Fátima de Assis, nous ont montré les locaux, inaugurés en 2013. Le centre accueille 200 enfants âgés de trois mois à cinq ans. Il est doté de salles de lecture, d’ateliers de peinture, d’une infirmerie et d’une cantine. « Les enfants qui passent la journée ici ont une routine qui associe discipline et jeux, avec des activités pédagogiques, des moments de jeux, des siestes et des repas », explique Lurdes Franco. Le personnel du jardin d’enfants comprend six enseignants et 20 assistants. En outre, des puéricultrices s’occupent des jeunes enfants que les parents amènent tôt le matin. Elles prennent également en charge les enfants en fin de journée quand les parents ne peuvent venir les chercher qu’après la fermeture officielle du centre. Le centre ouvre avant le lever du soleil, vers 5 heures du matin. « La plupart des enfants continuent de dormir jusqu’à 7 h 30, heure à laquelle les jardins d’enfants ouvrent vraiment leurs portes. Nous ouvrons si tôt pour les parents qui travaillent à Luanda et qui doivent déposer leurs enfants à 5 heures pour être sur leur lieu de travail à 8 heures, en raison des embouteillages », explique Lurdes Franco. La directrice éducative Fátima de Assis a participé à divers stages au Royaume-Uni et applique des méthodes issues de ces expériences : « J’ai beaucoup appris là-bas, en particulier pour les enfants à besoins éducatifs particuliers. » Elle nous a conduits dans une salle gaie, pleine de peluches, destinée à accueillir les enfants ayant des difficultés d’apprentissage ou des problèmes de comportement. « Nous essayons d’avoir un assistant par enfant en difficulté, et nous nous formons sur les stratégies permettant de soulager le stress auquel sont soumis certains enfants. » Fátima, qui était auparavant enseignante en maternelle, explique que depuis la fin de la guerre, le nombre d’écoles disposant de personnel et de matériel spécialisé dans les enfants en difficulté a augmenté. Si 60 000 enfants à besoins éducatifs particuliers ont intégré le système scolaire, « il reste beaucoup de travail pour faire face aux besoins réels du pays ».

bénéfique aux deux nations. Estimée à 3,5 milliards $, la construction devait être financée par une ligne de crédit chinoise en échange de pétrole angolais. La China International Trust and Investment Corporation (CITIC) a obtenu le principal contrat et il a été prévu que la première phase soit achevée en l’espace de trois ans seulement. « En août 2008, le Président a posé la première pierre, se rappelle Djamila Franco, Trois ans plus tard, le 11 juillet 2011, le Président est revenu sur les lieux pour l’inauguration de la nouvelle ville. » Contre toute attente, les Chinois étaient parvenus à installer les infrastructures – eau, électricité, égouts, routes, feux de circulation –, et à ériger les bâtiments en à peine trois ans. La logistique nécessaire pour acheminer les tonnes de ciment, d’acier, de bois, de verre, de canalisations, de câbles ainsi que les grues, les dragues, les excavatrices, les rouleaux compresseurs et autres matériaux et machines pour construire la nouvelle ville est difficilement imaginable. Plus tard, nous avons eu l’occasion de visiter une autre ville en cours de construction. Un ingénieur a fait remarquer que les travaux devaient être aussi colossaux que ceux mis en œuvre pour ériger les pyramides d’Égypte au temps des Pharaons ; je n’ai pu qu’être d’accord avec lui ! On considère souvent avec indifférence la grande vague de construction chinoise qui déferle sur l’Afrique et d’autres régions du monde et l’on insiste même sur les failles, oubliant l’expertise, l’organisation et le travail immenses qu’exige la réalisation de ces projets titanesques. Pourtant, il ne fait pas de doute que certains travaux effectués par des Chinois, et d’autres pays, sont de mauvaise qualité. Les pays développés, qui disposent de tout un arsenal de réglementations conçues pour éviter ces abus, ne sont pas épargnés. La qualité des travaux ne dépend donc pas de la nationalité de l’entrepreneur mais des normes de qualité qu’il s’est fixées. Bien sûr, il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce qu’un projet de cette envergure soit exempt de défauts.

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Le rêve devient réalité L’inauguration de la ville, en 2011, fut un véritable événement dans l’ensemble du pays. La majorité des jeunes n’avait connu que les dangers et les privations de la guerre, tandis que les plus âgés se rappelaient avoir souffert d’exclusion à l’époque coloniale portugaise. « Même pour nous qui connaissions le programme dès le début, lance Óscar Veríssimo da Costa, conseiller politique au Bureau de l’administration de Kilamba, c’était comme un rêve de voir une belle ville sortir de terre, là où il n’y avait rien auparavant. Nous avions peur de nous réveiller un matin pour découvrir que cela n’avait été qu’un rêve. Mais, non, la ville était bien réelle, comme l’avait promis le Président. » Kilamba s’étend sur 50 200 hectares, divisés en 24 quartiers regroupant 715 immeubles qui abritent 20 002 appartements. La ville compte 24 crèches, neuf écoles primaires, huit écoles secondaires, un centre de santé et 50 km de routes. Les infrastructures publiques sont ultramodernes. Le fleuve Kwanza fournit l’eau. Nous avons visité une station d’épuration qui traite 35 000 mètres cubes par jour et une usine de traitement de l’eau potable d’une capacité de 40 000 mètres cubes par jour. À la différence des autres villes africaines, y compris Luanda, plusieurs centrales électriques garantissent un approvisionnement ininterrompu en électricité. Le système de télécommunications semble parfaitement fonctionner et, à la tombée de la nuit, les lampadaires inondent la ville de lumière. Bien qu’un agent de sécurité soit affecté à chaque immeuble, la criminalité est quasi-absente. La ville s’anime le soir quand les gens rentrent du travail et sortent, après le dîner, rencontrer des amis, faire un jogging, jouer au basket ou au football aux heures moins chaudes de la journée. Nous avons remarqué que les Angolais aimaient beaucoup les plantes et les fleurs. Tous les balcons resplendissent de fleurs aux couleurs

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vives et de verdure. Il n’y a aucun détritus dans les rues. On trouve des poubelles un peu partout et nous avons appris que salir les rues pouvait être sanctionné d’une amende. On nous a fait visiter un appartement témoin au rez-dechaussée de l’un des immeubles. Il était composé de trois chambres, d’un salon-salle à manger, d’une grande cuisine, d’une salle de bains et de toilettes. L’appartement était beaucoup plus spacieux qu’il n’y paraissait de l’extérieur. Les finitions – sol, lampes, encadrement des fenêtres, portes, etc. – sont de bon goût sans être extravagantes. Les élégants ascenseurs sont silencieux et rapides. Des espaces de rangement ont été prévus et on trouve même un petit espace derrière la cuisine où faire sécher le linge au soleil, une excellente idée car rien n’est plus laid que du linge qui pend aux balcons. L’appartement type comprend une chambre assez vaste, deux autres chambres de taille plus petite, mais raisonnable, pour les enfants et peut-être un parent ou des membres de la famille en visite. Sept ou huit personnes peuvent facilement dormir dans un appartement de cinq pièces – très pratique pour les familles nombreuses d’Afrique. Visiter un appartement modèle et vivre dans un appartement peuvent être deux choses très différentes. Nous avons eu la chance d’être invités à dîner, dans l’un de ces logements, chez un architecte du ministère de l’Urbanisme et du logement, qui nous avait guidés pendant notre voyage. L’hospitalité angolaise est légendaire et, malgré l’invitation de dernière minute, sa femme et sa fille nous ont préparé un dîner digne de rois. Nous avons ainsi pu voir à quoi ressemblait la vie dans l’un de ces appartements. Les enfants avaient beaucoup d’espace pour jouer. L’épouse de notre ami architecte nous a expliqué qu’elle était ravie de leur logement et de l’ambiance qui régnait dans le quartier. Les faibles mensualités leur ont permis d’acheter tous les appareils électroménagers et les meubles dont ils

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C’était comme un rêve de voir une belle ville sortir de terre, là où il n’y avait rien auparavant. Nous avions peur de nous réveiller un matin pour découvrir que cela n’avait été qu’un rêve. Mais, non, la ville était bien réelle, comme l’avait promis le Président.

À droite : L’école primaire 16-juin. En haut, son principal, Georgina Abraão.


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École primaire 16-juin (Escola de Ensino Primário 16 de Junho) La directrice de l’école primaire, Georgina Abraão, grande femme à l’allure athlétique, autrefois vedette de l’équipe de basket féminine d’Angola, est fière de nous faire visiter sa nouvelle école. Les classes comptent entre 25 et 30 élèves, « comme en Europe », souligne-t-elle, mais l’école accueille environ 1 000 enfants qui viennent à tour de rôle. La plupart vivent à Kilamba mais beaucoup viennent des environs. « Nous adoptons progressivement l’uniforme scolaire, financé par l’État, et nous sommes très heureux d’avoir été choisis pour le lancement de Meu Kamba [‘Mon ami’ en langue Kimbundu], un programme national qui introduit des ordinateurs à l’école primaire », explique-t-elle. Jusqu’à présent, l’école a reçu 80 ordinateurs portables qui aident les enfants à apprendre le portugais, les maths et les sciences. « Nous voulons contribuer à la transformation des modèles éducatifs traditionnels et l’informatique est très motivante. Elle a permis d’améliorer la présence à l’école et la qualité de l’enseignement. » Les salles de classe sont disposées autour d’une grande cour. Elles sont équipées de tables, de chaises et d’outils éducatifs. Outre un terrain de basket, un grand terrain permet de pratiquer le foot et l’athlétisme. Les enfants sont curieux, pétillants et joueurs, mais très disciplinés. Ils nous ont confié qu’ils adoraient aller à l’école et qu’ils s’y amusaient beaucoup !

avaient besoin sans trop s’endetter. Les enfants vont à l’école du quartier et la maîtresse de maison travaille à l’université Agostinho Neto non loin de là. Seul le père de famille, qui travaille à Luanda, passe du temps dans les transports. La famille peut ainsi profiter de temps ensemble. La ville s’anime le soir. Les rues, désertes dans la journée, sont bondées. « Il faut venir ici un week-end, nous assurent nos hôtes, Il y a vraiment beaucoup d’ambiance festive. » Plus tard dans la soirée, nous sommes passés devant un terrain de basket où nous avons vu deux des garçons très concentrés sur leur jeu, sous les projecteurs – un univers très, très éloigné de celui de la ville surpeuplée de Luanda où ils vivaient auparavant. Une avalanche de demandes Nous avons poursuivi notre visite de Kilamba le lendemain. Óscar Veríssimo da Costa, conseiller politique du Bureau de l’administration de Kilamba, nous a dit qu’actuellement, la ville comptait quelque 70 000 habitants. Cela représente environ 70 % de la capacité totale de la première phase du projet. « Pourquoi les médias internationaux ont-ils présenté Kilamba comme une ville fantôme ? », lui ai-je demandé. « Ce n’est sûrement pas une ville fantôme aujourd’hui », s’exclame-t-il en riant, à moins que les gens que l’on voit ne soient des fantômes ! » Mais il a reconnu que, peu après l’achèvement des travaux, Kilamba n’était guère animée. « En juillet 2011, les appartements se vendaient entre 125 000 et 200 000 $. Le prix était bien trop élevé pour la petite classe moyenne de Luanda. » Avec la désertion des campagnes et le coup d’arrêt au développement économique qui ont résulté de la guerre, l’Angola est l’un des pays du monde les plus inégaux en termes de revenus. Les personnes qui possèdent les compétences, l’argent et les réseaux gagnent beaucoup. Nous avions rendu visite à une famille aisée qui louait un appartement sur quatre niveaux dans un quartier huppé, où les loyers vont de 12 000 à 18 000 $ par mois.

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Les jeunes diplômés qui entament une carrière ne peuvent se permettre un loyer aussi exorbitant, confirme Óscar da Costa. « Ils vivent sous des toits de tôle ondulée dans des structures de fortune, décrit-il, ils rêvent de s’échapper mais jusqu’à présent, ils n’ont pas eu les moyens de le faire ». Kilamba leur a donné l’occasion de vivre autrement mais ils ne pouvaient obtenir de crédit pour régler les mensualités à l’avance. « Même si les prix des appartements de Kilamba étaient relativement bas, les jeunes diplômés ne pouvaient trouver l’argent pour y vivre. » Début 2013, le président dos Santos a décidé qu’il fallait agir : l’objectif du projet était de proposer des logements à la population, et non d’atteindre le seuil de rentabilité ni de réaliser des bénéfices. Le prix d’un appartement 4 pièces d’environ 110 mètres carrés, à 125 000 $ minimum, a alors été abaissé à 70 000 $ tandis que les plus grands appartements à 200 000 $ ne pouvaient plus dépasser 180 000 $. Le gouvernement a créé une filiale de financement, Sonip, du géant pétrolier public, Sonangol, pour accorder des crédits immobiliers couvrant 90 % du coût sur une période de 10-30 ans à un taux d’intérêt fixe de seulement 2,2 %. L’effet a été immédiat. À peine les mesures ont-elles été rendues publiques que les administrateurs 54 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015


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Centre de formation professionnelle BN-Angola CITIC

La ville s’anime le soir. Les rues, désertes dans la journée, sont bondées. « Il faut venir ici un week-end », nous assurent nos hôtes. « Il y a vraiment beaucoup d’ambiance festive. »

De gauche à droite : les étudiantes Maria Cabaça, Nazambe Teresa Alberto et Matilde Raimundo au centre de formation professionnelle BN-Angola CITIC. Une salle de classe, une étudiante en coiffure et Frederik José dos Santos, coordinateur pédagogique.

ont dû faire face à une avalanche de demandes. « La demande était si forte que les administrateurs ont eu d’énormes difficultés à traiter les dossiers. Mais il était indispensable d’effectuer des vérifications pour éviter la fraude ou les spéculateurs profitant des bas prix, avant de valider le dossier et d’autoriser les futurs acheteurs à demander un crédit à Sonip », explique Óscar da Costa. Comme ils ne pouvaient traiter que 1 200 demandes par jour à peu près, les gens faisaient la queue pendant des jours simplement pour

La nouvelle ville de Kilamba se distingue par l’intérêt qu’elle porte à la formation professionnelle. L’objectif est double : dispenser une formation professionnelle à des fins d’emploi mais aussi s’assurer qu’il existe suffisamment de personnel formé pour entretenir la nouvelle ville. Cette stratégie s’inspire des pratiques utilisées en Chine où elles ont rencontré un franc succès. Les Chinois y attachent tant d’importance que le centre a été inauguré en mai 2014 par le Premier ministre chinois lui-même, Li Keqiang, et le vice-président angolais, Manuel Domingos Vicente. Le coordonnateur éducatif, Frederik José dos Santos, nous a expliqué que le centre provenait d’une initiative privée de la société chinoise CITIC, qui a bâti Kilamba. Le centre forme de jeunes Angolais de la municipalité de Belas, où se situe Kilamba, aux compétences nécessaires à l’entretien de la ville : maçonnerie, mécanique, électricité, plomberie, réfrigération, peinture, jardinage, administration, nettoyage, cuisine, couture et autres activités spécialisées. Dans l’une des salles, nous avons vu une formation sur l’entretien des ascenseurs. Tous les étudiants portent un uniforme fourni par le centre et, à la fin du stage, ils reçoivent une boîte à outils pour qu’ils puissent créer leur micro-entreprise au cas où ils ne trouveraient pas d’emploi rapidement. Frederik nous a conduits dans une salle TIC très bien équipée, où une dizaine d’étudiants suivaient un stage sur les logiciels d’administration. La jeune Maria Cabaça nous a raconté qu’elle voulait apprendre l’anglais, voyager, puis s’installer à Kilamba, sa « ville idéale » pour y travailler et y fonder un foyer. « J’imagine que mes ambitions ne sont pas très différentes de celles de beaucoup de filles d’Europe et d’ailleurs ! » Nous avons aussi brièvement assisté à divers ateliers : cuisine, jardinage, entretien des voitures, ainsi qu’à un cours de couture et de décoration très vivant, animé par Elizabete Manuel. La classe, composée de femmes de tous âges, travaillait des objets faits à la main pour les fêtes de Noël. Elizabete Manuel a eu la générosité de donner, à chacun de nous, un cadeau réalisé par ses étudiantes, en nous lançant avec un large sourire : « Bienvenue chez les femmes pleines de talent d’Angola… » La joie et la bonne humeur étaient visiblement au rendez-vous.

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remplir leur dossier. « Le projet de Kilamba a permis de créer des emplois », ajoute-t-il. « Nous avons environ 7 000 jeunes diplômés qui travaillent ici, 1 500 agents de la sécurité, 5 000 agents de nettoyage et nous tentons d’attirer davantage d’entreprises du secteur privé. » D’autre part, le délai de traitement des demandes de crédit par Sonip étant trop long, c’est une société immobilière spécialisée, Imogestin qui a pris le relais. « Cette ville sera un modèle pour les économies des pays émergents et des autres pays, non seulement pour les nombreux logements abordables qu’elle a fournis, mais aussi pour les emplois qu’elle a créés et pour sa contribution au développement d’une économie locale », se réjouit-il. Une ville qui prend vie Ce n’est que le début d’une vaste entreprise. « Nous avons déjà commencé la réalisation de la deuxième phase », explique Djamila Franco. « Nous bâtissons 7 000 appartements et 5 000 maisons mitoyennes et nous allons bientôt

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commencer la construction d’un hôpital, de quatre cliniques, de 12 centres de soins, de trois institutions financières, de plusieurs bureaux de Postes, de garages, de commissariats, de casernes de pompiers, de parkings, d’églises, d’un cimetière et de bien d’autres sites. » Nous avons visité certaines des maisons mitoyennes en construction. Elles sont spacieuses, bien conçues et possèdent un jardin ainsi qu’une allée pour y garer sa voiture. Bien plus chères que les appartements, elles sont destinées à des cadres à plus haut revenu. « L’objectif principal est de regrouper toutes les classes de revenus au sein de la même ville sans créer de barrière entre elles », explique Óscar da Costa. « Actuellement, environ 6 000 travailleurs – 1 734 Chinois et 4 754 Angolais – sont impliqués dans la construction de 2 780 maisons individuelles et 5 220 appartements de quatre pièces qui devraient être disponibles au deuxième semestre 2015 », ajoute Djamila Franco. « Dans le cadre de la troisième phase, nous allons développer davantage de services pour

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Tous les urbanistes du continent devraient se rendre en Angola pour voir ce que l’on peut accomplir quand l’on fait preuve de détermination et que l’on est animé d’un profond sentiment de fierté nationale.


K i l a m b a À gauche : le stade Luanda - l’arène et l’une des entrées. Ci-contre : Abílio Forwelos, directeur du stade.

Stade national de Roller Hockey L’Angola a accueilli le championnat du monde de Roller Hockey en 2013 dans son stade ultramoderne à la sortie de Luanda. C’est l’un des trois stades – un autre se trouve à Malange et le dernier à Namibe – qui permet la pratique de ce sport, de plus en populaire non seulement dans le pays, mais aussi partout à travers le monde. L’Espagne a remporté le championnat 2013 et l’événement a été retransmis en direct dans la moitié des pays du monde. La nuit, on peut voir l’éclairage du stade à des kilomètres à la ronde : un système d’éclairage sophistiqué fait briller les murs et les fait changer de couleur.

les nouveaux résidents. Nous comptons construire un métro et un réseau de chemin de fer, des terrains de sport, des clubs, des banques, un hôtel. La ville continue de croître à tous les niveaux », assure-t-elle. Le secteur privé sera plus impliqué dans les phases deux et trois, quand le nouveau centre-ville commencera à émerger. La phase trois mettra davantage l’accent sur les loisirs et le divertissement. Kilamba est le plus ambitieux projet en cours de réalisation en Afrique. Son slogan « C’est là que vit la vie » ne pourrait être plus adapté. Le modèle est répliqué dans plusieurs provinces angolaises où nombre de projets ont été achevés. Le pays se reconstruit activement. Dévasté par la guerre, l’Angola pourrait devenir la perle de l’Afrique en l’espace d’une génération. C’est un véritable exploit : tous les urbanistes du continent devraient se rendre en Angola pour voir ce que l’on peut accomplir quand l’on fait preuve de détermination et que l’on est animé d’un profond sentiment de fierté nationale. n

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E N T R E T I E N

Outre les placements importants réalisés dans le pétrole et le gaz, les investissements étrangers affluent dans d’autres secteurs, notamment les infrastructures et l’immobilier. L’Agence nationale de l’investissement privé est chargée d’accueillir et d’assurer le suivi de tous les projets dans le pays. Anver Versi a rencontré sa présidente, Maria Luísa Abrantes.

La destination des investissements la plus prisée d’Afrique Maria Luísa Abrantes, présidente de l’Agence nationale de l’investissement privé

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aria Luísa Abrantes, présidente de l’Agence nationale de l’investissement privé (ANIP), est l’une des personnes les plus occupées d’Angola. Elle enchaîne rendez-vous sur rendez-vous – car les investisseurs ont désormais les yeux rivés sur l’Angola. Malgré son emploi du temps chargé, elle a accepté de me recevoir, car elle tenait à effectuer une mise au point sur le véritable potentiel d’investissement dans le pays. À l’heure exacte où nous avions rendez-vous, à la seconde près, on nous a fait entrer dans son bureau, aménagé avec goût. Quelques minutes plus tard, belle et éclatante, elle nous a accueillis, nous a serré

la main avec enthousiasme et est tout de suite entrée dans le vif du sujet – non sans quelques plaisanteries pour nous mettre à l’aise. J’ai compris pourquoi elle faisait tant impression sur les investisseurs qu’elle rencontre. Tout en elle évoque l’efficacité, la maîtrise et la rapidité. L’ANIP met en place les conditions favorables à la réalisation d’investissements aussi bien d’origine nationale qu’étrangère – et renseigne les investisseurs sur les réglementations qui régissent le Code des investissements dans le pays. L’agence assure le suivi de toutes les propositions, qu’elles proviennent de multinationales pétrolières ou du bâtiment ou qu’elles concernent des projets beaucoup plus modestes, visant à produire les biens et services dont l’Angola a besoin.

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Reflet de l’orientation socialiste du MPLA, la politique d’investissement du pays privilégie le bien-être des citoyens. Elle a adopté une approche globale, utilisant les recettes issues du pétrole pour accélérer la croissance dans tous les autres secteurs. « Par exemple, l’Angola détient environ 12 % des ressources d’eau africaines et de grandes superficies de terres arables. Avant la guerre, notre production agricole était l’une des plus élevées du continent. Nous aimerions retrouver cette place et, bien sûr, produire des cultures pour notre population et celles de nos voisins », explique-t-elle. L’Angola jouit d’une excellente situation géographique : « Nous servons de passerelle entre l’océan Atlantique et l’Afrique centrale et


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E N T R E T I E N australe. L’Angola donne accès à un marché bien plus vaste que notre population actuelle de 24 millions d’habitants ; il s’agit d’un marché d’environ 100 millions d’habitants quand l’on inclut la RDC, la Zambie, et tous les autres pays proches du nôtre », précise-t-elle. En effet, Kinshasa, la capitale de la RD Congo, n’est qu’à 45 minutes d’avion et de nombreux Congolais viennent tous les jours en Angola pour travailler ou faire du commerce. Les infrastructures de transport reliant l’Angola à ses voisins ont été modernisées ou sont sur le point de l’être. La réalisation des liaisons de chemin de fer du port de Lobito aux régions riches en minerais de la RDC et de la Zambie devrait débuter prochainement. Le port de Lobito est en cours d’expansion et possède à présent une section conçue pour la réception de minerais. Ce port est une aubaine pour la RDC et la Zambie, car il va réduire considérablement les coûts de transport des minerais ainsi que des importations. « Mais ce n’est qu’un aspect du tableau. Les opportunités d’investissement sont innombrables dans presque tous les secteurs : l’agroalimentaire, la transformation, la fabrication, l’énergie, l’éducation, la santé, les transports, le tourisme, le divertissement, l’immobilier, les commerces et bien d’autres encore ! », se réjouit Maria Luísa Abrantes. « L’Angola rattrape les années perdues et nous avons une multitude de projets. Alors que l’État joue un rôle central dans certains secteurs, tels que l’énergie, l’éducation et la santé, dans lesquels il injecte des milliards de dollars, le secteur privé devient un partenaire important dans de plus en plus de secteurs, comme les infrastructures », poursuit-elle.

Ci-dessus : le nouvel aéroport de Catumbela.

“Sans des infrastructures adaptées, on ne possède pas les bases permettant la croissance économique et l’on ne peut attirer des investissements privés.”

« Sans des infrastructures adaptées, on ne possède pas les bases permettant la croissance économique et l’on ne peut attirer des investissements privés. C’est la raison pour laquelle, depuis la fin de la guerre en 2002, le gouvernement a investi des sommes colossales dans les routes, les chemins de fer, les ponts, les ports et les aéroports. » Une multitude de projets d’infrastructures Maria Luísa Abrantes a énuméré une longue liste de projets d’infrastructures. Le nouvel aéroport international de Luanda rivalisera avec celui de Johannesburg, une fois terminé ; un port sec à Luanda est en cours d’achèvement. La construction de nouveaux ports à Caxito dans la province de Bengo et à Porto Amboim dans la province du Kwanza Sul devrait débuter prochainement. Le nouveau Parlement de Luanda, magnifique, sera bientôt inauguré tandis que les députés ont emménagé dans le nouveau Parlement de Benguela l’an dernier. J’étais curieux de savoir quelle était la place des investissements privés dans le programme de logements sociaux : « En raison des contraintes budgétaires actuelles et

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de la nécessité d’éviter une baisse de qualité des services, nous nous tournons de plus en plus vers les entreprises privées », confie-t-elle. « C’est dans ce domaine social que le besoin d’une société privée se fait sentir ; elle peut être plus efficace ou plus à même de fournir les ressources nécessaires pour des investissements essentiels. » Les entreprises privées ont progressivement remplacé les sociétés publiques dans des activités non essentielles. Dans le secteur des logements sociaux, l’État a fait appel à des sociétés privées – étrangères et locales, comme Kora Angola et Imogestin – pour réaliser des projets selon des normes bien définies. « L’un des éléments essentiels qui définit le concept du partenariat public-privé (PPP) est le partage des risques, note-t-elle, le partage des risques entre les entités publiques et privées doit être corrélé à la capacité de chaque partie à gérer ces risques, qui doivent être énoncés très clairement dans le contrat. » Le transfert du risque au secteur privé doit être « réel et significatif ». Elle considère que les initiatives PPP pouvaient provenir soit de l’État, soit d’une entreprise privée, et qu’elle était toujours prête à discuter des problèmes qui pouvaient se poser, ainsi que des réglementations souvent complexes qui régissent ces initiatives. Les investissements étrangers en Angola ont bondi. De 1,7 milliard $ en 2011, ils se chiffraient à 7,4 milliards $ en 2014. Ils proviennent principalement des États-Unis, de France, de Belgique, d’Italie, du Brésil, du Portugal, de Norvège et de Chine. « La Chine est numéro un aujourd’hui », indique la responsable. Bien sûr, le Portugal demeure un investisseur majeur dans les secteurs non pétroliers. À cet instant, sa secrétaire est venue nous rappeler que le temps qui nous était imparti était écoulé et que l’heure du prochain rendez-vous était venue. En sortant, nous avons vu une petite délégation dirigée par l’ambassadeur d’une grande puissance économique entrer dans son bureau. La secrétaire a haussé les épaules : une autre journée chargée dans la semaine de Maria Luísa Abrantes… n



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Comment créer une industrie immobilière à partir de rien ? Pendant des décennies, les investissements dans l’immobilier angolais ont été quasi-inexistants, mais la forte demande actuelle en matière de propriétés résidentielles et commerciales a conduit à l’émergence d’agences informelles. Désormais, la situation se stabilise. La plus grande agence angolaise, Imogestin, ouvre la voie. Nous nous sommes entretenus avec la directrice financière de la société.

Un secteur jeune et prometteur Branca do Espírito Santo, directrice financière, Imogestin –SA

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e marché de l’immobilier « n’a pas atteint sa maturité », nous explique Branca do Espírito Santo, directrice financière d’Imogestin. « Il n’en est qu’à la phase de démarrage. » Néanmoins, le marché connaît une croissance rapide, alors que le nombre de propriétés disponibles ne cesse d’augmenter. Outre les centaines de milliers d’appartements subventionnés présents sur le marché, ou sur le point de l’être, la demande en matière d’espaces de bureaux, en particulier dans la capitale, est « impressionnante » souligne Branca do Espírito Santo. Son bureau est situé dans une grande tour au cœur de la capitale. De ses fenêtres, on voit de nouvelles tours, au design souvent curieux, ainsi que d’innombrables structures en construction. Aucun local commercial n’a été construit pendant la guerre, soit de 1975 à 2002. Depuis, alors que le pays affiche une croissance à deux chiffres, la demande en matière

d’espaces de bureaux a largement dépassé l’offre. « Presque tous les bureaux en construction ont déjà été vendus », précise-t-elle. « Les entreprises recherchent désespérément des bureaux. » Beaucoup, y compris de grandes multinationales, ont converti des résidences en bureaux. De vieilles demeures dans les quartiers huppés de Miramar et d’Alvalade sont utilisées comme lieu de travail — des ambassades s’y sont installées. Nous avons effectué notre visite seulement quelques jours après qu’Imogestin ait annoncé qu’elle allait remplacer Sonip et Delta Real Estate dans la gestion des ventes des nouvelles villes, à la suite des plaintes concernant la lenteur du traitement des demandes — les candidats ayant souvent dû passer la nuit dehors pour ne pas perdre leur place dans la file d’attente. Vu le caractère récent de cette décision, Branca do Espírito Santo n’a pas souhaité en dire plus sur la manière dont sa société allait

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gérer la procédure. « Mais soyez convaincus que nous le ferons aussi bien que possible — nous avons l’expérience », assure-t-elle. Quelques semaines plus tard, le PDG de la société, Rui Cruz, a fait savoir que serait traité en priorité le cas des gens qui ont déjà payé leur propriété mais n’ont pas encore reçu les clés. Imogestin travaille également sur les modalités pratiques pour traiter rapidement les centaines de milliers de dossiers qui se sont empilés sur ses bureaux. Imogestin est l’un des plus grands promoteurs du pays. Il est complexe de mettre en place des outils financiers dédiés à la construction immobilière en Angola. Ceux-ci font appel à des financements provenant de banques locales telles que Banco BAI (qui est également actionnaire d’Imogestin) et Banco Millennium. Des sociétés portugaises sont également partenaires dans plusieurs projets d’Imogestin. Branca do Espírito Santo nous a fait visiter deux des projets de sa


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Outre les centaines de milliers d’appartements subventionnés présents sur le marché, ou sur le point de l’être, la demande en matière d’espaces de bureaux, en particulier dans la capitale, est impressionnante.

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société, présentant des édifices de plus de 20 étages, qui en sont à des stades avancés de réalisation. Les tours de Kianda, qui abriteront surtout des bureaux et des magasins, tirent leur nom d’une célèbre sirène, personnage mythique de la tradition angolaise. Non loin de là se trouve Máxima, vaste complexe ultramoderne qui comprendra des zones résidentielles et une galerie marchande avec, entre autres, des boutiques haut de gamme. D’autre part, Imogestin a réalisé plusieurs programmes de logements sociaux pour le compte de l’État et participe à la construction d’hôtels à Lobito. Fin des transactions informelles Branca do Espírito Santo est également présidente de l’Apima, association des professionnels de l’immobilier d’Angola. En raison du gel total du développement urbain pendant la guerre, il existait peu de promoteurs et d’agents immobiliers officiels en 2002. Une bonne partie des transactions était réalisée en dehors du cadre imposé par la loi. Bien que la terre appartienne à l’État, certaines propriétés, comme celles de l’Église catholique, sont privées. En outre, certaines personnes possèdent des terres et des propriétés depuis l’ère coloniale. D’autres se sont approprié les terres en les occupant. Tous ces facteurs ont créé un marché de l’immobilier désordonné qu’il a fallu organiser. L’Apima a été fondée à cette fin en 2008, avec 30 membres. « Il n’est pas nécessaire de devenir membre mais l’adhésion présente des avantages », explique sa présidente. On ne sait pas précisément combien d’agences immobilières exercent des activités en Angola. « 2010–11 a été la dernière année des transactions informelles – y compris pour les agents immobiliers et les entreprises du bâtiment », poursuit-elle. « Des lois ont été promulguées récemment. Aujourd’hui, les agents immobiliers doivent obligatoirement immatriculer leur société avec un capital authentifié. » Malgré cela, la pression de la demande a conduit à la construction rapide de logements de qualité dans certaines villes comme à Talatona. « La demande en matière

En 2010, on manquait d’environ 1 million de m2. Aujourd’hui, ce chiffre est de 600 000 m2.

Branca do Espírito Santo, Directrice financière, Imogestin –SA

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de logements haut de gamme a atteint un plateau », précise-t-elle. « La plupart des maisons très chères, avec sols et murs en marbre et même des robinets en or, ont déjà trouvé un propriétaire. » Néanmoins, les loyers dans les nouvelles résidences sécurisées peuvent facilement atteindre 12 000 à 18 000 $ par mois. Les multinationales tendent aussi à loger le personnel expatrié dans des complexes sécurisés dans lesquels on trouve des magasins et des installations de loisirs. Reste à voir si le secteur privé, qui recherche un taux de rendement minimum de 15 %, continuera d’investir dans l’immobilier haut de gamme, à présent que les revenus nationaux issus du pétrole ont chuté. Les taux d’intérêt des crédits immobiliers étaient, au moment de l’entretien, de l’ordre de 12 %-15 %, contre 25 % environ en 2010–11. La plupart des financements proviennent des banques car il n’existe pas encore d’institutions dédiées au crédit immobilier. « La classe moyenne a souffert de l’absence de titres de propriétés », explique Branca do Espírito Santo. « L’État et le secteur privé prennent des mesures pour essayer de résoudre ce problème, maintenant que la demande en matière de logements adéquats est stable, en particulier à Luanda. » Branca do Espírito Santo a étudié la microéconomie à l’université Martin-Luther, en Allemagne, avant de retourner en Angola où elle a travaillé au ministère de la Planification. Pendant la guerre, elle gérait des fonds pour développer l’agriculture au sein d’une ONG allemande. Elle est entrée dans le secteur de l’immobilier il y a 16 ans, avant que Banco BAI, une société d’assurance, plusieurs particuliers et elle-même, décident de fonder Imogestin. Dans quelle mesure la demande en matière de propriétés, résidentielles et commerciales, est-elle satisfaite ? « Je dirais qu’en 2010, on manquait d’environ 1 million de m2. Aujourd’hui, ce chiffre est de 600 000 m2. » Le secteur immobilier angolais est encore relativement jeune et manque parfois de structure, mais il n’en est pas moins le plus prometteur d’Afrique. n


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Chaque nouvelle structure bâtie dans la ville modifie le paysage urbain et souvent les perceptions que les gens ont d’eux-mêmes, pour le meilleur et pour le pire. Il est donc essentiel que la conception urbaine reflète les valeurs traditionnelles.

Préserver le caractère angolais Victor Leonel A.C. Miguel, président de l’Ordre des architectes angolais

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’Ordre des architectes angolais a été fondé en 1996 dans le but de structurer l’industrie, où architectes qualifiés et imposteurs se faisaient concurrence dans un environnement très hostile. « Ce n’est qu’après l’instauration de la paix en 2002 que le besoin d’architectes s’est fait sentir, alors que les gens commençaient à investir dans l’immobilier résidentiel et commercial », précise Victor Miguel, président de l’Ordre. Le secteur était complexe ; il était devenu nécessaire de créer un institut sur lequel pouvaient compter les personnes et les entreprises, ainsi que l’État qui s’étaient lancés dans des projets de construction. L’Association des architectes est devenue l’Ordre des architectes angolais, aujourd’hui affilié à un institut international. Il compte 800 membres, dont 99 % sont angolais. Les autres membres

viennent du Cap Vert, de São Tomé et Príncipe, de Cuba et du Portugal. Le boom de la construction ne s’est pas traduit immédiatement par des carnets de commandes bien remplis, pour les architectes d’Angola, regrette M. Miguel. « Les contrats liés aux grands projets sont allés à des multinationales et il était même difficile d’obtenir des travaux de sous-traitant. » La situation s’est considérablement améliorée. Sa société a participé à l’élaboration d’un projet majeur – une école financée par l’État pour former des journalistes. D’autre part, de plus en plus de gens construisent leur propriété ou l’agrandissent et s’adressent à des architectes locaux. Les architectes angolais contribuent aujourd’hui à presque tous les projets majeurs, tels que Kilamba, où ils sont en mesure d’apporter de précieuses connaissances locales à leurs collègues chinois, portugais ou israéliens. « Nous comprenons les gens, leurs goûts, leurs moyens financiers ; nous savons quelles constructions conviennent le mieux dans notre environnement. Après tout, c’est ici que nous avons grandi », insiste M. Miguel, qui a étudié l’architecture pendant cinq ans à l’université Agostinho Neto. Il redoute que le pays ne perde ses valeurs architecturales traditionnelles. « Bien entendu, ce n’est pas simple, concède-t-il. En fin de compte, tous les logements aujourd’hui se ressemblent : un salon, peut-être une salle à manger, des chambres,

des salles de bain, une cuisine, des placards et, si possible, un petit jardin. D’une certaine manière, les logements modernes sont uniformes. Mais j’estime qu’il est possible d’apporter sa propre influence culturelle afin que les structures aient un caractère angolais. » Il nuance : « Un enfant affamé ne cherche que la nourriture. La priorité est de loger les gens qui n’ont pas eu de logement décent depuis longtemps et qui avaient peut-être abandonné l’espoir de vivre un jour dans un appartement moderne. » L’architecte considère qu’avec le temps, les villes finiront par acquérir leur identité – tout comme d’autres villes du monde ont réussi à préserver la leur malgré les transformations. « Quand l’on érige un bâtiment, on modifie la vue – tout architecte change la ville, pour le meilleur ou pour le pire. Que la construction soit réussie ou ratée, il modifie le paysage urbain et par là-même, il modifie la vie dans cet environnement et la perception que les gens ont d’eux-mêmes. Il faut donc faire preuve de sagesse dans les choix que l’on fait », relève-t-il. Victor Leonel Miguel souligne le fait que les architectes, en Angola, se réjouissent du boom de la construction mais qu’ils aimeraient être davantage impliqués dans les projets. « Nous avons l’occasion de briller – et nous avons d’excellentes idées ! Les villes que nous bâtissons aujourd’hui seront le patrimoine des générations à venir. » n

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Tandis que les programmes de construction de logements sociaux se poursuivent autour des villes, la capitale fait peau neuve et pourrait devenir, une fois les travaux terminés, la ville la plus moderne et attrayante d’Afrique.

Luanda, moderne et joyeuse

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utre les centaines de milliers de logements construits un peu partout dans le pays, l’Angola a entrepris de rénover ses grandes villes, en particulier Luanda, où de grands travaux vont métamorphoser la capitale. La frénésie de construction se fait sentir dans tous les quartiers. De vieux bâtiments sont démolis pour être aussitôt remplacés par de nouveaux édifices. Les ouvriers s’activent sur les échafaudages et des pancartes proclament haut et fort que Luanda est entre les mains des promoteurs. Luanda s’offre une cure de jouvence. La vieille ville, conçue pour accueillir entre 300 000 et 400 000 habitants, disparaît « sous nos yeux », selon les termes de notre guide architecte, tandis qu’une « nouvelle ville flambant neuve émerge, tout aussi rapidement ». Tous les vieux édifices de Luanda ne sont pas détruits : « On trouve ici de fabuleux joyaux architecturaux portugais datant du XVIIIe siècle », explique l’architecte Bento Soito. « Nous restaurons, restructurons et modernisons les quartiers historiques de la ville. Nous n’envisageons sa démolition que s’il s’avère impossible de restaurer une structure. » L’architecte est le directeur général du cabinet technique de la reconversion urbaine de Cazenga, Sambizanga et Rangel. Situés au cœur de la ville, ces trois quartiers regroupaient, jusqu’à très récemment, plus d’habitants par mètre carré que toute autre ville du monde. Luanda compte aujourd’hui près de 6,5 millions d’habitants ! C’est dans l’un de ces quartiers que l’on trouvait le célèbre Mercado Roque Santeiro, le plus grand marché informel du continent. Dans ce vaste labyrinthe d’échoppes et d’étals, on pouvait acheter un peu tout ce qu’on voulait. Ces quartiers attiraient, pendant la guerre, les millions de migrants des régions rurales du pays, qui fuyaient la violence des conflits. Ainsi est né un gigantesque bidonville, digne de celui de Dharavi à Bombay. En 2010, profitant des recettes pétrolières élevées, le président Dos Santos, lui-même né à Sambizanga, a décidé qu’il était temps de panser

La vieille ville disparaît sous nos yeux , tandis qu’une nouvelle ville flambant neuve émerge, tout aussi rapidement.

Ci-dessus : Pedro Resende de Oliveira B. Leão (à gauche), de la section Urbanisme et gestion de l’Office technique, et Bento Soito, le directeur général de l’Office technique pour la reconstruction de Cazenga, Sambizanga et Rangel.

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cette plaie béante au cœur de la ville, qu’est ce bidonville. Il a alors fondé le Cabinet technique de la reconversion urbaine de Cazenga, Sambizanga et Rangel, sous sa responsabilité directe. La mission de ce bureau est de démolir le bidonville et y bâtir la ville la plus moderne d’Afrique. Tout cela doit être accompli sans éviction forcée. Les personnes déplacées doivent être relogées in situ, dans des structures de qualité et leur moyen de subsistance ne doit pas être affecté. Le démantèlement et le transfert du Mercado Roque Santeiro dans le quartier de Cacuaco, ont été les premières mesures prises. Nous avons vu ce marché lors de notre visite à Cacuaco — une version réduite de Kilamba dont l’architecture rappelle le style danois


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“Notre objectif est de bâtir une ville modèle, fonctionnelle, durable, inclusive, capable de donner à ses habitants et aux visiteurs un sentiment de dignité, de joie et une qualité de vie élevée.”

moderne. Le nouveau marché municipal de Panguila est plus petit, mais se situe dans un espace propre et équipé d’un système unique de collecte, de traitement et de recyclage des déchets produits sur place. Des banques, des restaurants et des cinémas s’ouvrent aux alentours. Dignité, joie et qualité de vie Sambizanga est, malgré tout, resté un lieu vivant, où l’on peut toujours acheter toutes sortes de choses. Mais le marché a disparu et, sur le terrain qu’il occupait, des infrastructures de base — canalisations d’eau, système d’égouts, électricité, voirie, système de télécommunications, fossés de drainage — sont déjà en place. De leurs bureaux à Sambizanga, Bento Soito et son équipe supervisent leur domaine : une zone d’environ 54 000 m2 qui, une fois les travaux

achevés, devrait permettre de loger quelque 2,5 millions de personnes, d’ici à 2025. « Notre objectif est de bâtir une ville modèle, fonctionnelle, durable, inclusive, capable de donner à ses habitants et aux visiteurs un sentiment de dignité, de joie et une qualité de vie élevée », explique Bento Soito, qui précise qu’il s’agit des instructions exactes du président José Eduardo dos Santos. Mais comment déplacer tant de personnes sans provoquer de troubles sociaux ? « Nous avons une approche à “effet boule de neige”, explique l’architecte. Quand une boule de neige roule, elle grossit. L’idée est de lancer le processus et de créer une dynamique qui prendra de l’ampleur. » Il précise : « Nous voulons construire des logements dans des

zones non occupées aux alentours et déplacer progressivement les habitants dans ces quartiers. Cette stratégie permettra d’urbaniser les nouveaux quartiers par phases, après le transfert des habitants venant des zones dégradées. Nous espérons que cette stratégie de reconversion urbaine formera un cycle d’actions durables et qu’elle servira d’exemple pour intervenir dans d’autres localités. » Nous avons ensuite visité un site à Cazenga, dans les environs, où nous avons vu des rangées entières d’immeubles à quatre étages presque terminés, comptant 16 appartements par étage. Des ouvriers chinois appliquaient les dernières couches de peinture, posaient les portes et les fenêtres et apportaient les touches de finition avant de mettre les logements à disposition. Les infrastructures étaient prêtes,

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y compris les stations d’épuration, l’éclairage public, les centrales électriques et le réseau routier. Un établissement d’enseignement secondaire est en cours d’achèvement. Des ouvriers nous ont dit que le terrain était encore vierge quatre mois auparavant. C’était difficilement imaginable ! Bento Soito précise que les infrastructures de base, sur la moitié des 60 hectares réservés pour la première phase du projet de rénovation urbaine et 90 % des 30 hectares réservés dans le même objectif à Sambizanga, avaient été réalisées. Les 2 000 appartements de Cazenga achevés fin 2014 sont attribués à des personnes dont les logements ont été démolis pour faire place aux nouvelles constructions. En fait, les 128 premiers logements bâtis à Cazenga sont occupés depuis 2013. L’exercice de relogement devrait concerner 3 millions d’habitants dans « la zone d’intervention », mais il ne sera pas possible de reloger tout ce monde à Luanda. « Le processus d’expansion, de relogement de la population et de développement du territoire ne doit pas être limité à cette zone, affirme Bento Soito, les secteurs près de Cacuaco, Viana et Kilamba doivent également absorber une partie de cette population. » Le nouveau plan directeur Les urbanistes angolais ont le plan très ambitieux de convertir ce bidonville en une ville africaine modèle du XXIe siècle. Plusieurs plans directeurs ont été élaborés pour la ville, dont un financé en partie par la Banque mondiale dans les années 1990, mais l’afflux massif de migrants a coupé court à toute tentative de réelle mise en œuvre de ces plans. Un nouveau plan directeur a été conçu en 2012 à la suite de discussions avec toutes les sections de la société civile et les prestataires de services publics, tels que le distributeur d’électricité EDEL, la société publique de distribution d’eau potable de Luanda EPAL, ainsi que le géant privé des télécommunications Unitel. Le célèbre cabinet-conseil en solutions 70 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015


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Des zones marécageuses inesthétiques et malsaines étaient apparues. Le plan prévoit de transformer cet inconvénient en avantage en canalisant l’eau vers des plans d’eau, des jardins urbains et de nombreux espaces verts. Ci-contre : vue de la “Skyline” de Luanda depuis Miramar, avec ses constructions en cours. Ci-dessus : vue sur la Marginale, qui longe la baie.

urbaines durables singapourien, Surbana, a également été consulté. Bento Soito souhaite voir des zones de verdure dans le nouveau quartier afin que les résidents et les visiteurs aient le sentiment de se trouver dans une ville-jardin tout en étant proches de tous les services modernes. Notre guide ne se fait pas d’illusion sur la difficulté de réaliser un tel complexe. Compte tenu du nombre d’entreprises et d’agences impliquées, il est essentiel que « tout le monde avance dans la même direction » et que l’exécution du plan soit organisée de manière à minimiser les conflits et les perturbations. Ce sera, affirme-t-il, un test de la « capacité d’organisation multidisciplinaire de la société angolaise » et un signe que le processus de transformation est sur la bonne voie. L’État se chargera des infrastructures de base et de certains domaines comme les logements sociaux, mais le secteur privé sera invité à participer

au développement immobilier et à la construction de propriétés à prix supérieur. L’architecture du nouveau projet est basée sur la structure de Welwitschia Mirabilis, une plante endémique du désert du Namib et qui est l’un des symboles du pays. Bento Soito nous a expliqué que le drainage naturel était extrêmement mauvais dans ce quartier, où des zones marécageuses inesthétiques et malsaines étaient apparues. Mais le plan prévoit de transformer cet inconvénient en avantage en canalisant l’eau vers des plans d’eau, des jardins urbains et de nombreux espaces verts. Ceux-ci formeront un cadre attrayant pour les commerces, les installations sportives, les restaurants et les hôtels. Outre les routes, des pistes cyclables et des sentiers piétonniers sont prévus. Le but est de limiter la circulation motorisée. Bento Soito souhaite « l’oxygénation de l’espace et l’humanisation du territoire ». n

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Concevoir la ville du futur En cours d’élaboration, le plan directeur d’urbanisme de Luanda, destiné à faire de la capitale une ville du XXIe siècle, devrait être achevé d’ici à quelques mois.

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ous avons rencontré l’architecte Hélder José, directeur de l’Ipgul (Instituto de Planeamento e Gestão Urbana de Luanda — Institut de planification et de gestion urbaine de Luanda) dans son bureau situé en plein cœur de Luanda, où les gens s’affairaient malgré l’heure tardive. Il nous a annoncé que le plan directeur définitif de la ville et de la province de Luanda devrait être présenté mi-juin au président dos Santos. C’est la Banque mondiale qui avait demandé la réalisation de cette étude dans les années 1990, mais l’institution s’est retirée par la suite. C’est alors que l’État a pris la relève. L’étude a été achevée en 1996, mais entre le moment où elle a débuté et l’année 2000, Luanda, surpeuplée, était devenue méconnaissable. « Nous avons mis en œuvre une partie du plan, par exemple, les routes, mais il est devenu évident à partir des années 2000, que le plan était inadapté », confie Hélder José. Le bureau de l’Institut de planification et de gestion urbaine de Luanda est chargé de concevoir un plan directeur global et d’effectuer les mille et un ajustements qui s’imposent. Il dirige également la conceptualisation et tient compte de différents modes de transport, de l’évolution du paysage, des voies d’eau, etc. « Notre tâche est de concevoir un plan directeur qui fasse de la capitale une ville moderne du XXIe siècle. Notre objectif est de créer un plan rationnel dans lequel sont juxtaposés de manière logique tous les éléments d’une ville moderne : les édifices résidentiels et commerciaux, les réseaux routiers et la régulation de la circulation, les ponts, les liaisons ferroviaires, les ports, les aéroports, les parcs, les aires de détente, les stades, etc. », explique l’architecte.

Certains se demandent si Luanda doit demeurer la capitale commerciale et politique du pays ou si la capitale politique devrait être transférée ailleurs « Alors que nous essayons d’attirer une partie de la population hors du centre-ville, nous devons faire en sorte que Luanda puisse absorber l’augmentation de population et nous devons tenir compte de cette croissance dans la prévision des structures nécessaires, notamment l’eau, les égouts, les écoles, les hôpitaux, les musées, les galeries d’art, les magasins, etc. », ajoute-t-il. « Nous devons veiller à ce que la ville ne perde pas son caractère. C’est l’une des plus vieilles villes dans cette partie du monde et ce patrimoine nous est cher. Nous possédons de magnifiques édifices datant du XVIIIe siècle, qui ont besoin d’être restaurés », insiste Hélder José. Il précise que 80 % de la ville fonctionne sur le mode informel ; « Nous tentons d’intégrer ce secteur

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dynamique, mais non régulé dans l’économie formelle », soutient-il. L’un des objectifs majeurs du plan directeur est de réduire les embouteillages. Aujourd’hui, les routes sont totalement saturées. Cela coûte à la ville des milliards de dollars en efficacité perdue et réduit considérablement le temps de travail ainsi que la productivité. Le plan prévoit d’étendre la grande Estrada de Viana, qui traverse la province, et de construire des ponts et des rocades afin de fluidifier la circulation. Les liaisons vers le nouvel aéroport international seront également conçues de manière à éviter les embouteillages. « Nous avons diverses possibilités pour développer les transports dans la ville et la province », poursuit Hélder José. « Le réseau de transports sera fonctionnel et moderne. Aujourd’hui, des zones sont isolées et nous voulons les intégrer à l’aide de routes, d’un métro aérien, d’hydroglisseurs et de catamarans afin de relier diverses parties en utilisant la mer et les voies d’eau. » L’unique voie de chemin de fer desservant la ville est en cours de rénovation et une seconde ligne est prévue. La modernisation de Luanda fait débat : certains se demandent si la ville doit demeurer la capitale commerciale et politique du pays ou si la capitale politique devrait être transférée ailleurs — comme l’ont fait beaucoup de pays africains. Tandis que les discussions sur l’avenir de Luanda se poursuivent, et qu’Hélder José peaufine le plan directeur de la ville, Luanda continue de s’étendre. De nouvelles tours commerciales de 20 étages viennent d’être achevées et le quartier d’affaires le plus moderne d’Afrique prend forme. n



H EI S T PO RR OY V I N C E S L

Un avenir radieux Quels ont été les effets du vaste programme d’urbanisation angolais sur les provinces éloignées ? Pour trouver des éléments de réponse, Anver Versi et son équipe se sont rendus à Uíge, au nord du pays, l’une des provinces les plus touchées par la guerre civile.

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a première fois que nous avons quitté Luanda, c’était pour nous rendre dans la ville d’Uíge, capitale de la province du même nom. Elle est située à environ 300 km au nord-est de la capitale, non loin de la frontière Sud de la RD

Congo. Nous avons fait le voyage en voiture et, une fois sortis des embouteillages de Luanda, nous avons pu rouler à vive allure sur une excellente route. Notre chauffeur nous a expliqué que cette route avait été modernisée depuis peu alors qu’elle était auparavant l’une des plus dangereuses du pays. Les forces de l’Unita se cachaient dans la jungle, de part et d’autre de la route, et lançaient souvent des attaques sur ceux qui s’aventuraient par là. Bénéficiant de précipitations annuelles importantes, la province est toujours verdoyante et les terres sont fertiles. Nous avons croisé peu de véhicules : un 4x4 ou un camion

lourdement chargé, de temps à autre. Les seules personnes qui ont tenté de nous arrêter étaient des enfants et des villageois voulant vendre des légumes ou de la viande. Uíge, jadis centre du puissant royaume Kongo, était en déclin au début du XXe siècle. Les colons portugais l’ont longtemps délaissée avant de découvrir que son climat et son sol étaient parfaits pour la culture du café. Ils créèrent alors de vastes plantations, qui fonctionnaient grâce au travail forcé, et augmentèrent le rendement des petits exploitants locaux. À partir des années 1950, Uíge était le plus grand producteur de café du pays et fit de l’Angola le deuxième exportateur de café d’Afrique. C’est pourquoi Uíge s’est retrouvée dans l’œil du cyclone pendant la lutte pour l’indépendance, puis lors de la guerre civile. Les habitants ont joué un rôle déterminant dans la rébellion contre les excès des Portugais et ont formé le Front national de libération de

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Malgré l’histoire douloureuse qu’elle a connue, la ville d’Uíge est très agréable. Les routes sont larges, bien entretenues et les gens sont très fiers de leur cité. Sur le chemin de l’école, des écolières font une pause dans Central Park, la place principale de la ville de Uíge, au large de la Rua Dr Agostinho Neto.


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À droite : à Quilomoc City, juste à l’extérieur de Uíge, la deuxième phase de la construction est en cours. Page de droite et ci-dessous : les nouveaux immeubles de la première phase.

Les habitants étaient très intéressés par les nouveaux projets de logement en cours d’achèvement 76 African Business | Hors Série Villes africaines | mars 2015

l’Angola (FNLA), l’un des trois mouvements d’indépendance. Uíge a particulièrement souffert pendant la guerre civile, alors que les forces de l’Unita profitaient de la dense végétation de la région pour se cacher et lancer des attaques. L’Unita a occupé Uíge à plusieurs reprises et ce n’est qu’après l’accord de paix en 2002 que la vie a pu reprendre son cours normal. Malgré l’histoire douloureuse qu’elle a connue, la ville d’Uíge est très agréable. Les routes sont larges, bien entretenues et les gens sont très fiers de leur cité. Ils étaient ravis de nous montrer les lieux d’intérêt et les nouveautés de leur ville. Le lendemain, nous avons flâné sur le marché où l’on trouve en abondance les produits locaux, en particulier les célèbres piments et bananes de la région. Près du marché, quelques jeunes hommes avaient poli leur moto-taxi, devenue étincelante. Ils arboraient leur machine avec fierté – « le meilleur service de moto-taxi au monde », lança l’un d’eux. Comment le contredire ? Les habitants étaient très intéressés par les nouveaux projets de logement en cours d’achèvement non loin des villes d’Uíge et de Negage. Optimisme Nous avons rencontré le vicegouverneur, Afonso Luviluku, qui nous a chaleureusement accueillis. Interrogé sur les effets de la guerre pour Uíge, il a répondu sans détour : « La province a été ravagée par près de 30 ans de guerre civile.


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“Depuis que nous avons de nouvelles routes, l’activité industrielle se développe dans la province. La production de café reprend et nous nous intéressons à la prospection des minerais” Les services et le commerce étaient quasiment paralysés. La perte de bétail et la destruction des infrastructures ont contribué à accroître la pauvreté. Les gens n’avaient rien. Personne n’osait s’aventurer dans les rues après 18 heures et nos villes étaient vides ». Pour autant, « nous sommes déterminés à aller de l’avant. Nous n’avons pas le temps de nous lamenter ! » À Luanda, nous avions vu que les gens étaient optimistes quant à l’avenir ; nous étions heureux de constater qu’ils étaient tout aussi positifs ici. « Depuis que nous avons de nouvelles routes, l’activité industrielle se développe dans la province. La production de café reprend et nous nous intéressons à la prospection des minerais », poursuit-il. La province, qui possède une structure géologique similaire à celle de la province du Katanga en RD Congo, produisait un cuivre de haute qualité jusqu’à ce que la guerre vienne interrompre l’extraction. « Actuellement, nous négocions les droits de prospection des mines de Mavoio, à la frontière avec le Congo, avec un consortium angolais ; l’extraction reprendra bientôt », explique-t-il. Les dépôts alluviaux contiennent également de l’argent, du cobalt et des diamants. « À présent, l’État réalise une étude détaillée des ressources minérales de l’Angola. On a également trouvé ici des dépôts d’or, de plomb, de manganèse, de vanadium et de zinc. D’autre part, comme nous avons de la pluie 10 mois par an, nous possédons d’abondantes ressources hydriques, dans lesquelles il serait intéressant d’investir », précise-t-il. Malgré les dégâts causés par la guerre, la province d’Uíge est l’une des plus riches d’Angola, du point de vue agricole. « Nous produisons surtout des haricots, du manioc, des cacahuètes, du coton et des bois durs. Nos piments sont célèbres dans le monde pour leur

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arôme et nos bananes sont les plus sucrées d’Angola. On peut dire, en toute honnêteté, qu’Uíge est, en termes de ressources naturelles, l’une des provinces les mieux dotées du pays ! » Aujourd’hui, la province se développe à un rythme record, affirme le vice-gouverneur : « Il ne se passe pas un jour, sans que l’on apprenne qu’un nouveau projet est en cours de réalisation ici ou là : une école, une clinique, un hôpital, un centre de sports… Nous nous efforçons de créer les meilleures conditions pour que les gens puissent travailler, étudier et s’épanouir sur le plan personnel. » Selon le recensement national de 2014, la province compte 1,45 million d’habitants, dont 52 % de femmes. Les villes d’Uíge et de Negage sont les plus peuplées. La ville de Quilomoço Nous avons visité la nouvelle ville de Quilomoço, à 30 km d’Uíge, pour voir où en était l’état du projet. Le chef de chantier, Pedro Morais, a bien voulu nous guider. Pedro Morais, ingénieur portugais, travaille chez Kora Angola, la filiale angolaise de Kora, grande entreprise des BTP israélienne. La participation de Kora Angola est inscrite dans le contrat PPP, qui permet la réalisation de l’ambitieux programme de logements de l’État. L’entreprise est chargée de construire 40 000 appartements et maisons dans les provinces de Luanda, Uíge, Kwanza-Sul, Huambo, Bié et Moxico. Kora Angola s’est engagée à gérer et coordonner la construction de 4 500 habitations dans la province, d’ici à 2017. Pedro Morais est convaincu que l’entreprise achèvera les travaux avant la date butoir. Il nous a fait visiter la ville en construction de Quilomoço. Elle comprend 1 010 appartements, quatre crèches, six écoles maternelles, six écoles primaires, un centre de formation, un centre de santé et un centre de sports. Bien que ce site soit encore inhabité, il est impressionnant. À la différence de beaucoup de projets de logements sociaux, il ne donne

pas l’impression d’une « production de masse ». Les urbanistes ont attaché beaucoup d’importance à la qualité de la vie quotidienne des résidents. On trouve dans cette ville de nombreux espaces verts où les gens pourront se retrouver et les enfants jouer. L’agencement des structures n’est ni oppressant, ni aliénant. La construction sur ce terrain de 15 hectares a débuté en juillet 2012 et sera bientôt achevée. « Les immeubles sont prêts, les routes goudronnées, les espaces verts ont été plantés et 70 % des infrastructures nécessaires sont en place », résume-t-il. Un projet similaire est en cours de réalisation dans la ville voisine de Negage. Kora Angola coordonne l’exécution des plans, fournit les

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Les habitants semblent de plus en plus confiants : “Autrefois, l’avenir s’annonçait difficile – aujourd’hui, nous sommes pleins d’espoir.”


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À gauche : les taxis motos devant le marché. À droite : Afonso Luviluku, le gouverneur de la province de Uíge. Ci-dessous : Une vue du sud de Uíge.

matériaux nécessaires et sous-traite des travaux. Une autre société, Angolac, est responsable des infrastructures. Pedro Morais précise que 70 % de la main-d’œuvre travaillant sur ce projet (800 personnes à l’étape finale) est locale, conformément aux directives du gouvernement concernant la création d’emplois lors de la construction des nouvelles villes. « Les ouvriers angolais sont très intéressés par l’apprentissage de techniques de construction, telles que la plomberie, la pose de carrelage, le travail du plâtre, etc. », précise-t-il, ajoutant que les Angolais sont également d’excellents superviseurs. « Ces travailleurs et ces managers joueront un rôle dans l’avenir du pays. » De fait, le transfert de compétences et de technolo-

gie constitue un élément important du programme d’urbanisation. L’objectif n’est pas seulement de bâtir de nouvelles villes modernes, mais aussi de transformer le pays. Un nouveau départ Selon Afonso Luviluku, le vice-gouverneur, les nouvelles villes comme celles de Quilomoço « représentent un nouveau départ pour les familles qui y vivront, mais incarnent aussi un changement d’attitude : les villes ne sont plus des problèmes, mais des solutions. Jusqu’en 2017, dans le cadre d’un programme national, 200 nouveaux logements seront construits dans chaque municipalité de la province ». Malgré l’obstacle que représente aujourd’hui l’insuffisance d’infrastructures, détruites par

la guerre, le vice-gouverneur se montre très optimiste : « Je n’ai pas de doute sur le fait que nombre des problèmes actuels feront bientôt partie de l’histoire d’un peuple qui s’est engagé sur la voie de la croissance. » L’inauguration récente de l’aéroport provincial facilite d’ores et déjà les liaisons avec le reste du pays, en particulier avec la capitale. « Bien que tous les ménages ne disposent pas encore de l’eau courante, nous avons mis en œuvre le programme “ De l’eau pour tous ”. Là où l’eau manque, l’État distribue, sous une autre forme, cette ressource essentielle à la vie », assure Afonso Luviluku. D’autre part, l’université de Kimpa Vita, dont le nom évoque une martyre Kongo brûlée vive au XVIIIe siècle par les Portugais, accueille environ 11 000 étudiants ; elle est un excellent moteur de développement depuis son inauguration en 2009. « Le lancement de nouveaux cursus en ingénierie et en médecine dans les prochaines années sera un autre catalyseur de développement », se réjouit-il. « L’étape suivante sera d’introduire des services bancaires dans les autres municipalités ; on trouve déjà presque toutes les banques commerciales angolaises dans la capitale de la province », commente Afonso Luviluku. Les habitants semblent de plus en plus confiants : « Autrefois, l’avenir s’annonçait difficile – aujourd’hui, nous sommes pleins d’espoir. » Les nouvelles villes procurent non seulement des logements de qualité, mais aussi des améliorations dans de nombreux domaines : santé, éducation, opportunités d’emploi, événements et activités culturels. « Les associations et les clubs sportifs se développent. L’entrée, en 2014, du Club de football d’Uíge, à la Girabola, championnat angolais de football, symbolise la victoire et la confiance de tous les habitants d’Uíge », ajoute le vice-gouverneur. « Je vois de plus en plus de sourires sur le visage des gens et je suis fier de vivre ici. Nous avons enfin l’opportunité de voir une nouvelle génération grandir en temps de paix et, avec notre détermination et notre capacité d’adaptation, notre situation ne peut que s’améliorer. » n

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Sur la voie de la prospérité Benguela forme, avec Lobito et Catumbela, un littoral dynamique, à l’Ouest de l’Angola. La modernisation de sa ligne de chemin de fer centenaire et du port de Lobito devrait générer une croissance rapide dans cette province historique, où de nouvelles villes sont également bâties pour sa population en plein essor, jeune et qui progresse dans l’échelle sociale. Anver Versi et son équipe se sont rendus sur place.

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enguela, capitale de la province du même nom, est bordée à l’Ouest par l’océan Atlantique. La ville a été fondée en 1617 par un gouverneur portugais, Manuel Cerveira Pereira, qui l’a baptisée São Filipe de Benguela. Il pensait, à juste titre, que l’arrière-pays serait une source de grande richesse. Bien que les Portugais n’aient pas réussi à trouver l’or et l’argent qu’ils cherchaient, le port de Benguela est devenu un point de départ pour l’exportation de milliers d’esclaves vers l’Amérique latine. Benguela a également exploité d’autres produits au cours des siècles, notamment des céréales, du caoutchouc, du sisal, des huiles végétales, de l’ivoire, des cornes et peaux de rhinocéros, ainsi que du bétail. Le volume d’échanges vers l’intérieur a donné naissance à plusieurs villes dans les environs et a valu à Benguela le nom de « Mère de

toutes les villes ». Toutefois, faute de port naturel profond, les navires devaient jeter l’ancre loin de la côte. Les passagers et les marchandises étaient transportés par canots. Quand un port profond et bien abrité a été découvert plus au nord, à Lobito, Benguela a été peu à peu délaissée. Lobito est une ville côtière typique, bien qu’il soit difficile d’y trouver les bâtiments romantiques des générations passées. Aujourd’hui, c’est une ville banale qui n’inspire plus comme autrefois des épopées d’aventures périlleuses sur l’océan déchaîné, mais il y règne une atmosphère maritime qui imprègne la façon de vivre de ses habitants. Le port de Lobito vient d’être étendu et modernisé. Il dispose désormais de quais dédiés aux conteneurs et d’installations conçues pour le transport des minerais en provenance de l’Angola, mais aussi des pays voisins.

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La voie ferroviaire de Benguela a une histoire pittoresque longue de plus d’un siècle. Elle s’apprête à entrer dans une nouvelle ère, la ligne étant entièrement reconstruite par des entreprises chinoises. La ligne de 1 344 km traversera le long et riche couloir qui mène à Luau, sur la frontière Est, qui sépare l’Angola de la RD Congo. Cette ouverture de l’intérieur devrait considérablement stimuler l’agriculture le long du couloir et encourager la diversification. La ligne sera étendue jusqu’au Katanga (RD Congo) tandis qu’une autre voie de 300 km donnera accès à « la ceinture de cuivre » en Zambie. Une ligne de 18 km relie l’extrémité ouest de la voie à Benguela au port de Lobito. Le coût total du projet a été évalué à 1,5 milliard $. La rénovation de la voie de chemin de fer, presque entièrement détruite pendant la guerre, a débuté en 2008. La ligne qui rejoint la frontière de la RD Congo est

Le port de Lobito.


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P R OV I N C E S

achevée. Étant donné le terrain inégal que la ligne doit traverser, le train n’effectue que quatre trajets par semaine, à la vitesse maximale de 50 km/h. Les ingénieurs expliquent que la ligne devait se stabiliser avant que l’on ne puisse augmenter la fréquence des trajets et la vitesse. Une fois que toutes les parties de ce système de transport intégré rail-port seront reliées entre elles, l’Angola disposera du réseau de ce type le plus moderne et efficace d’Afrique subsaharienne. Les économies en termes de coût de fret seront importantes. Elles devraient créer un cercle vertueux de croissance économique le long de la ligne, y compris pour les exportateurs des pays voisins. Nous avons reçu un accueil très chaleureux du chef de la police qui nous a confirmé qu’avec les travaux sur la ligne de chemin de fer de Benguela et la modernisation du port de Lobito, tout proche, la province allait entrer dans une période de croissance soutenue. D’autre part, il est prévu que soient réunies les trois villes adjacentes de Lobito, Catumbela et Benguela, ainsi que la Baie des éléphants, pour former une mégapole, dotée de centres commerciaux, d’activités de loisirs et de centres de sport haut de gamme, d’hôtels de luxe et de restaurants gastronomiques. Paysage du Far West Un chef de chantier nous a présenté les trois ambitieux projets de logement en construction. Jusque-là, nous avons vu uniquement des projets achevés, comme à Kilamba ou à Uíge ; nous avons à présent l’occasion de voir ces nouvelles villes émerger. Pour nous rendre sur le site, nous avons traversé un vrai paysage de western ! C’était comme si des mains géantes avaient creusé la terre pour la répandre tout autour et modeler toutes sortes de formes. Ce paysage nous a rappelé que tous les travaux de construction commencent par la préparation du terrain – il s’agit de le niveler et de lui donner la forme requise. Alors seulement, les canalisations, les

Nous avons pu voir le projet évoluer – du terrain vierge à la ville sortie de terre, qui sera bientôt pleine de vie.

câbles et autres infrastructures de base peuvent être posées sous les fondations de la nouvelle ville. Presque toute la construction est effectuée par CITIC, une entreprise chinoise qui est aussi l’une des plus grandes sociétés de BTP du monde. Pour la première fois de notre voyage, nous avons pu parler à des Chinois en charge des projets. Ils nous ont expliqué que tous les matériaux utilisés provenaient directement de Chine. Ils en étaient satisfaits, car ils savaient exactement à quoi s’attendre. Ils ont précisé qu’ils s’entendaient très bien avec leurs collègues angolais, bien que la langue soit un obstacle. Une

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Les premières constructions sur le site de Lobito.

fois arrivés en Angola, ils y restent en général, passant d’un projet à l’autre. « De cette manière, nous apprenons comment travailler dans cet environnement ; cela devient plus facile et nous pouvons travailler plus rapidement », affirment-ils. Pour nous donner une idée de ce à quoi ressembleront les villes, une fois achevées, ils nous ont montré les plans directeurs des trois projets, représentant 6 000 logements au total. Chaque plan indique la position des bâtiments, les routes, les nombreux espaces verts, les jardins d’enfants, les écoles primaires et secondaires, les zones commerciales, les salles associatives, les bâtiments municipaux, les centres religieux, les marchés ouverts, les transformateurs électriques et les postes de distribution, les centres de transfert des déchets, les stations d’épuration et les usines de purification d’eau. Nous avons pu voir le projet évoluer – du terrain vierge à la ville sortie de terre, qui sera bientôt pleine de vie. Ce fut une belle et enrichissante expérience. Nous sommes impressionnés par l’Angola qui a eu l’audace de rêver d’un tel programme, et par tous les différents acteurs qui contribuent à faire de ce rêve une réalité. n


C a b i n d a

Cabinda le « Koweït de l’Afrique»

L

a province angolaise de Cabinda, tout comme la Guinée équatoriale, produit une quantité de pétrole importante pour une petite superficie, d’où leur surnom commun de « Koweït de l’Afrique ». Le Cabinda est le centre de l’industrie pétrolière de l’Angola. C’est une filiale de Chevron, la Cabinda Gulf Oil Company (CABGOC), qui exploite, depuis soixante ans, le pétrole dans les gisements en eaux peu profondes du Bloc zéro. Bien que la production ait décliné pour se situer à 350 000 barils/jours, une grande partie du pétrole angolais en eaux profondes se trouve au large de Cabinda, notamment les platesformes Benguela, Belize, Lobito, Tomboco (BBLT) et Tombua Landana du Bloc 14, exploitées par CABGOC, qui produisent environ 250 000 barils/jour. La géographie politique actuelle de cette partie de la côte d’Afrique centrale résulte des revendications portugaises sur ces territoires et de la Ruée vers l’Afrique au XIXe siècle, qui ont abouti à la création de deux colonies portugaises : l’Angola au sud et cette enclave au nord, baptisée par la suite Cabinda, séparées à l’époque par 20 km de territoire aux mains de la République démocratique du Congo. Luanda a annexé le Cabinda après la période coloniale. Outre le pétrole, le Cabinda exporte du bois et de petites quantités de café, de caoutchouc et d’huile de palme. Mais la région a le potentiel de produire bien davantage. Comme dans le reste de l’Angola, la production agricole a chuté après l’indépendance. Bien que la production pétrolière par habitant soit bien supérieure au Cabinda que n’importe où ailleurs en Afrique, la province est relativement pauvre, même par rapport aux autres régions d’Angola. Pour

autant, elle profite aujourd’hui des mêmes investissements en infrastructures qui ont stimulé la croissance économique dans d’autres centres urbains côtiers du pays. Le nouveau port en eaux profondes de Caio, situé à seulement 9 km de la ville de Cabinda, est au cœur du programme de diversification du pays. Il est réalisé par une société angolaise, Caio Porto Company, qui a investi 600 millions $ dans le cadre de la Phase 1, dans un brise-lames, un canal d’accès large de 150 m et un bassin large de 215 m. Les travaux devraient être achevés mi-2016. Les routes d’accès au port, nécessaires pour transporter les matériaux jusqu’au port, sont déjà en construction. La Phase 2 prévoit la réalisation d’un quai long de 1 550 m et d’installations de manutention de conteneurs tandis qu’à la Phase 3, le quai sera étendu à 1995 m. Bien qu’il doive s’agir essentiellement d’un port à conteneurs, aucun détail n’a pour l’heure été communiqué sur la capacité du terminal, ni sur ses futurs utilisateurs. Compte tenu de la politique de Luanda ailleurs dans le pays, il semble probable qu’un

opérateur portuaire international obtienne une concession d’exploitation du terminal. Caio devrait faire concurrence aux ports du Congo-Brazzaville et aux ports fluviaux de la République démocratique du Congo, plutôt qu’aux autres ports angolais. La Province de Cabinda est très dépendante de ses importations auprès de son voisin, le Congo-Brazzaville. Située à 400 km de quatre grandes villes – Luanda, Kinshasa, Brazzaville et Pointe Noire –, elle compte devenir un port de transbordement pour l’ensemble de la région et espère, à long terme, inverser cette relation de dépendance. Les immenses navires à conteneurs se généralisent mais, comme peu de ports sont assez profonds pour les accueillir, le transbordement est de plus en plus important. « C’est le plus gros investissement jamais réalisé au Cabinda. Il facilitera les exportations locales de bois, de café et d’autres produits agricoles ; il nous rapprochera également des autres provinces angolaises et d’autres pays de la région », assure Aldina da Lomba Catembo, gouverneure de Cabinda. La construction d’un pont reliant Cabinda à la province du Zaïre, traversant le territoire congolais, est en discussion depuis plusieurs années. Le gouvernement avait annoncé en 2008 que la China Road and Bridge Corporation allait accomplir le projet au coût de 2,55 milliards $. Mais, en raison du cours actuel du pétrole, cette initiative a peu de chances de se concrétiser. Des investissements sont également réalisés dans les infrastructures touristiques, notamment une marina et un terrain de golf. D’autre part, le sous-sol pourrait abriter des réserves importantes de phosphates et, peut-être, d’uranium n

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Quand le bien social passe avant le profit Les investissements à impact social associent viabilité commerciale et progrès sociaux. Eytan Stibbe, PDG de Vital Capital, évoque le travail réalisé par sa société en Angola et ses conséquences sur le secteur du logement.

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ital Capital a investi 92 millions $ dans le projet de Kora, axé sur la conception, la construction et la vente de 40 000 nouveaux logements, ainsi que sur le développement des infrastructures adéquates dans six provinces d’Angola. La société a collaboré avec Jaime Lerner, le célèbre architecte, urbaniste et homme politique brésilien, pour concevoir la structure des quartiers qui, outre les logements, comprennent des écoles, des terrains de jeu, des bureaux, des commerces et des ateliers de fabrication. « Le logement et l’urbanisation constituent les plus graves problèmes auxquels est confrontée l’Afrique », affirme Eytan Stibbe, PDG de Vital Capital. Qui présente une vidéo aérienne de ses investissements en Angola – une séquence filmée par un drone qui survole des pelouses bien entretenues et des immeubles flambant neuf. « Des centaines de millions de personnes affluent vers les villes, exacerbant les problèmes

actuels. Les dirigeants se concentrent sur d’autres priorités comme les maladies et la sécurité alimentaire, mais l’urbanisation est au cœur de tout. Si l’on bâtit des infrastructures et des écoles dans les zones urbaines, les autres problèmes se résoudront d’eux-mêmes. » Eytan Stibbe est à la tête d’une société qui réalise des investissements à impact social, principalement en Afrique, alliant objectifs commerciaux et visées sociales. Le premier fonds de Vital Capital, doté de 350 millions $, est financé par des investisseurs privés, mais la société a également investi dans un fonds en partenariat avec la Banque africaine de développement, la Société financière internationale et le groupe CDC. Vital Capital a investi dans l’agroalimentaire et la transformation, dans la santé et dans les infrastructures à travers le continent. La société s’intéresse au secteur du logement qui, selon Eytan Stibbe, constitue une nécessité sociale absolue tout en offrant de bonnes perspectives commerciales. « La demande est incroyable ! », assure-t-il. Dans son rapport « État des villes africaines » publié en 2014, ONU-Habitat estime que les centres urbains de plus petite taille absorberont jusqu’à 75 % des augmentations futures de la population. Les régions plus isolées disposant d’infrastructures moins développées pourraient se trouver confrontées à un lourd fardeau démographique. Le projet d’urbanisation de Vital Capital en Angola est conçu pour alléger ce fardeau. L’initiative

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est cofinancée par l’État. Avec la participation de sous-traitants et de partenaires à long terme, l’investissement total s’élève à plus de 2,5 milliards $. Le gouvernement s’est engagé à bâtir des infrastructures et des services dans les régions où investira le fonds. « Nous avons demandé au gouvernement où se situait le plus gros problème. Il nous a indiqué plusieurs régions. Nous avons étudié les financements et les crédits immobiliers. Nous avons mis des éléments en place avec l’aide du gouvernement. Nous avons accepté d’investir dans certains sites à condition que l’État se charge de la construction des écoles, des routes, ainsi que de l’alimentation électrique. Le fonds a investi une fois que l’État avait accepté ces conditions », explique Eytan Stibbe. Audit des performances « Les gens nous aiment ! », poursuit-il. « Quand on se soucie de l’impact social, et que l’on n’agit pas comme un promoteur en quête du site qui rapportera le plus d’argent, les gens vous aiment et veulent que vous fassiez davantage. Mais la concurrence est vive dans le secteur du logement. » Parmi les concurrents de Vital Capital, figurent les entreprises chinoises, capables d’achever des projets rapidement à un prix compétitif. Néanmoins, on a reproché à ces entreprises d’avoir négligé la qualité et d’avoir importé la main-d’œuvre, privant la population locale d’emplois. Les normes de travail et d’autres indicateurs sociaux font l’objet


Ey t a n

d’un audit dans les sociétés du portefeuille de Vital Capital et chez leurs partenaires logistiques. L’audit utilise le GIIRS, système mondial d’évaluation des investissements à impact. « Quand nous choisissons un sous-traitant – africain ou chinois – nous nous assurons qu’il respecte les normes que nous avons définies », ajoute Eytan Stibbe. « Nous avons recours à plusieurs sous-traitants chinois. Nous leur imposons notre façon de travailler. » L’investisseur exige l’utilisation d’une main-d’œuvre locale et le respect des normes de construction internationales. Cela coûte plus cher, mais assure la viabilité des projets à long terme. Vital a refusé de répondre à des appels d’offres qui négligeaient les investissements dans les infrastructures. La concurrence sur les prix n’a aucun sens d’un point de vue social. Elle n’est pas non plus nécessaire d’un point de vue commercial. La demande est si forte qu’il faudra des décennies pour la satisfaire.

Eytan Stibbe est convaincu que l’investissement à impact social est l’approche la plus adaptée à ce secteur, ainsi qu’à d’autres secteurs des marchés frontières, comme en Afrique subsaharienne. L’investisseur, qui travaille en Afrique depuis plus de 30 ans, estime que les objectifs commerciaux et les progrès sociaux sont complémentaires : « Plus on investit dans des projets sociaux, plus les bénéfices sont élevés. L’un n’empêche pas l’autre. Au contraire. Dans les pays en développement, on travaille avec la population ; on ne travaille pas avec des chiffres et des écrans. Quand l’on vient avec de bonnes intentions, les gens veulent que vous restiez. » Le PDG de Vital poursuit : « Nous nous soucions d’eux, de leur pays, de leurs terres, de leur éducation, de leur environnement. Nous les aidons à avoir une vie meilleure. Et ils nous laissent entreprendre de nouveaux projets. C’est notre expérience. » Le pouvoir que lui confère son statut de grand investisseur permet à la société de défendre les citoyens

Vital Capital a investi dans le projet Kora dans la nouvelle commune de Lossambo, province de Huambo.

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auprès de leur propre gouvernement, en particulier dans les régions isolées ou sous-développées. « Avant d’investir, nous demandons au gouvernement d’entreprendre des travaux. Les gens sont ravis parce que personne ne se préoccuperait d’eux. Nous insistons. Nous exigeons du gouvernement qu’il se charge de l’approvisionnement en eau et en électricité dans les villages. » Cette approche semble rencontrer un certain succès. Eytan Stibbe a présenté sa philosophie auprès de dirigeants africains à l’occasion de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement africain qui s’est déroulée à Yokohama en 2013 et, depuis, il a été convié au Malawi, au Mozambique, à Djibouti, au Gabon, au Rwanda et en Côte d’Ivoire pour discuter de divers projets. Des travaux ont déjà débuté au Ghana. « En octobre 2014, j’ai rencontré le président du fonds de pension national au Nigeria », relate-t-il. « Il m’a dit que le pays avait besoin de 50 millions de logements. Il nous faudra plusieurs vies ! » n

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Les villes aident à surmonter l’héritage des conflits Les villes peuvent être sources de violents conflits sociaux ou, au contraire, favoriser la paix. Leur évolution dépendra de leur gestion et de l’équité instaurée. Par Aisa Kirabo Kacyira, secrétaire générale adjointe et directrice exécutive adjointe à l’ONU-Habitat.

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lus de 1,5 milliard de personnes vivent dans des pays en proie à un violent conflit ; y conserver le monopole de l’usage de la force, fournir les services de base et maintenir la légitimité politique, sont des défis quotidiens. La majorité des gens pauvres dans le monde vivra dans un tel contexte en 2030. La persistance ou la récurrence de la fragilité et des conflits est fortement corrélée à la pauvreté, aux inégalités et à l’exclusion. De plus en plus d’études montrent que l’extrême pauvreté ne recule pas dans les pays confrontés à des conflits, où la légitimité politique est faible et où les institutions publiques sont inefficaces : environ 400 millions des plus démunis vivent aujourd’hui dans ces pays – un chiffre qui est resté stable depuis 1990. Ces pays se transforment rapidement en raison d’une urbanisation effrénée. Plus de la moitié de la population mondiale vit déjà en zone urbaine et, d’ici à 2030, ce chiffre aura atteint 60 %. Dans l’histoire, les pays en conflit

ont toujours affiché des taux d’urbanisation très faibles : en 2000, seuls 33 % des citoyens de ces pays vivaient en ville. Mais on estime qu’ils seront 56 % d’ici à 2050 et les pays comme l’Afghanistan, le Mali et le Yémen comptent parmi ceux qui s’urbanisent le plus dans le monde. Les villes qui se développent à un rythme aussi rapide font face à de grandes difficultés en termes de services de base, d’infrastructures, d’économie urbaine, de cohésion sociale et d’institutions publiques. En raison du caractère anarchique de la croissance urbaine dans les pays fragiles, les nouveaux citadins s’installent souvent dans les bidonvilles – qui représentent déjà 1 milliard de personnes dans le monde. En temps de guerre, les villes servent souvent de refuge pour ceux qui fuient la violence. Cela s’est produit, par exemple, en Angola, qui a connu un exode rural massif pendant le conflit civil. Luanda a vu sa population multipliée par dix depuis 1974. Cette expansion a donné lieu à une prolifération des musseques (quartiers d’habitat spontané), où vit aujourd’hui la majorité de la population luandaise, dans des conditions de vie sordides. D’autres grandes villes angolaises ont subi les effets de migrations similaires. En 2014, le pays affiche un taux d’urbanisation de 62 %, en partie à cause de cette dynamique.

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D’autre part, comme elles abritent des richesses matérielles et des monuments symboliques, les villes sont le théâtre de contestations armées dans des guerres civiles et interétatiques, comme on l’a vu récemment en République centrafricaine, en Irak, en Libye et en Syrie. Étant donné que les villes regroupent des individus aux identités très diverses, elles sont plus susceptibles d’être au cœur de conflits identitaires : les villes divisées par une violence ethno-nationale, telles que Belfast, Kaduna ou Sarajevo, doivent relever de nouveaux défis alors que la ségrégation spatiale détruit le tissu de la vie urbaine dans les espaces publics partagés. La ville, véhicule de paix Vues sous une autre perspective, les villes forment un contexte unique pour consolider la paix. Elles offrent à la fois des occasions de coexistence et de contestation. Les conflits intergroupes trouvent souvent leur origine dans la vie urbaine quotidienne, et c’est à ce niveau local que les interventions visant à les résoudre peuvent avoir le plus d’influence. Les efforts réalisés pour construire la paix ne peuvent être dissociés de la dynamique urbaine et des structures d’autorité qui la sous-tendent. En ville, il est possible de négocier et de transcender les différences, de diffuser l’autorité et de développer le partage d’identités.


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Les villes donnent l’opportunité aux gens de se regrouper autour d’intérêts constructifs et unificateurs, notamment la quête d’amélioration de services publics qui réduisent les effets négatifs de la vie urbaine, comme la violence et l’exclusion spatiale. Les organismes internationaux de paix et de sécurité mettent l’accent sur un rôle croissant des institutions de gouvernance locale, ainsi que sur la valeur de la zone urbaine comme prisme à travers lequel observer et comprendre les processus d’établissement de la paix localisés en ville. Des collectivités locales fortes et inclusives sont de plus en plus perçues comme des composantes essentielles de la paix dans les situations d’après-conflit. Quatre facteurs clés Il semble y avoir un avantage à développer les processus de paix par le développement des villes, en raison de quatre facteurs. Tout d’abord, il est plus facile et moins coûteux de fournir des services à une population urbaine à forte densité

qu’à une population rurale dispersée. Ensuite, les pouvoirs publics étant plus proches des citoyens, ils sont plus sensibles aux signes de tensions et d’agitation. Plus exposés à la surveillance des citoyens, ils agissent de manière plus responsable et rapidement. Autre point : la proximité des citoyens dans un contexte urbain facilite la coordination des intérêts, crée un espace de mobilisation et rend les avantages de la coopération plus faciles à discerner. La taille compacte rend plus aisée qu’au niveau national, la création de mécanismes pour promouvoir l’action collective et institutionnaliser les négociations. Enfin, il est plus simple de prélever des fonds localement dans les zones urbaines, ce qui est crucial pour développer les services publics. Plus les collectivités locales dépendent des revenus générés localement, plus elles auront de motivation à améliorer les services et les infrastructures, stimuler l’activité économique et assumer leurs responsabilités.

Ci-dessus : Les résidents de Kibera à Nairobi, au Kenya, où un projet de logements a été lancé lors de la Journée mondiale de l’habitat.

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Le rôle des villes et des établissements humains dans la gestion des conflits est clairement démontré par le travail du Programme des Nations unies pour les établissements humains (ONU-Habitat), l’agence de l’ONU chargée de développer des villes et des établissements humains durables. Ayant souvent appuyé les collectivités locales dans les pays en conflit, l’ONU-Habitat a obtenu de nombreux succès. Par exemple, à Hargeisa, dans le Somaliland, ONU-Habitat s’est efforcé d’accroître les recettes fiscales en répertoriant tous les foyers et toutes les entreprises de la ville, permettant ainsi de développer les services de base, ainsi que de légitimer et responsabiliser les collectivités locales. En Afghanistan, où les autorités municipales sont faibles et non élues, ONU-Habitat a créé des Conseils de développement communautaire pour encourager la participation à la valorisation des bidonvilles, et la coordination des autorités municipales afin d’améliorer l’accès aux services, renforçant par la même occasion la cohésion sociale. En RD Congo, l’ONU-Habitat a encouragé diverses approches participatives et communautaires de résolution de litiges fonciers à Goma et aux alentours, une région où la contestation au sujet des terres était source de conflit. Les villes et les établissements humains apportent des occasions uniques de surmonter l’héritage des conflits. L’urbanisation permet de faire profiter plus de citoyens des avantages de la bonne gouvernance et de la prospérité : les villes peuvent assurer un accès fiable aux services et à des lieux où exercer la démocratie citoyenne, ainsi qu’augmenter le niveau de vie de centaines de millions de personnes. Alors que les pays fragiles comptent de plus en plus de citadins, la perspective d’améliorer la vie des personnes les plus démunies et exposées aux conflits dans ces pays dépendra de la promotion d’une urbanisation durable, équitable, entreprise par des individus et des communautés urbaines en association avec les collectivités locales, encadrées par un système de gouvernance multiniveau. n

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Les concepts occidentaux importés du colonialisme ont étouffé le riche patrimoine architectural africain. Aujourd’hui, alors que le continent reprend son développement urbain, l’architecte africain peut enfin être reconnu. Par Tokunbo Omisore, président de l’Union africaine des architectes.

Planifier avec le peuple, non pour le peuple

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’Afrique, berceau de la civilisation, a imprégné d’autres cultures — et a subi d’innombrables influences extérieures. L’architecture a toujours été au cœur des structures sociales du continent, qu’elle se traduise par des motifs étonnamment simples, mais efficaces de la case africaine au toit de chaume, par les structures élaborées de l’Antiquité que l’on trouve au Soudan, en Égypte, au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en Éthiopie… L’architecture africaine est bien vivante. Francis Kere, du Burkina Faso, n’est que l’un des nombreux exemples du talent africain dans ce domaine. Néanmoins, la tendance architecturale qui prédomine aujourd’hui est celle dont nous avons hérité du passé colonial.

Nos villes sont modelées suivant les concepts européens et il n’est guère surprenant qu’elles soient inadaptées. Nous avons besoin à présent de solutions architecturales africaines aux problèmes africains. Le continent peut retrouver sa place parmi les sociétés avancées dans la sphère des idées. L’Afrique n’a pas su stimuler la recherche et le développement dans le secteur architectural. En outre, on s’imagine à tort que vivre dans des villes qui sont des répliques de celles des « nations développées » indique que l’on est « civilisé », cultivé, et proche de ces sociétés que l’on veut imiter.

“L’Afrique devrait encourager l’utilisation des matériaux locaux ; les industriels doivent s’intéresser à la recherche dans ce domaine pour réaliser la transformation qui s’impose.”

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Si l’on encourage la recherche et le développement dans le domaine de l’architecture et des autres disciplines liées à la construction, la soif d’objets et d’idées provenant d’autres continents disparaîtra et nous nous sentirons mieux dans des environnements adaptés à l’Afrique moderne. D’autre part, convaincus de la supériorité de la construction réalisée par les autres, les Africains ont refusé d’intégrer des matériaux locaux dans l’industrie du bâtiment. Pour corriger cette situation, le Maroc a organisé, voici quelques mois, un stage de formation professionnelle continue sur le thème de la fabrication des matériaux à Tanger. Les participants sont parvenus à la conclusion qu’il existait un besoin urgent d’encourager l’utilisation des matériaux locaux, et que les industriels devaient s’intéresser à la recherche dans ce domaine pour réaliser la transformation qui s’impose en Afrique. Préserver le patrimoine africain Le monde n’a eu aucune difficulté à apprécier l’originalité de la mode, de la cuisine ou de la danse africaine, mais nous avons négligé notre architecture traditionnelle ! Si nous avions agi différemment, nos maisons de terre séchée au toit de


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chaume auraient évolué et bénéficié des progrès technologiques, comme d’autres structures ailleurs dans le monde. Nous aurions aujourd’hui de quoi loger tous les Africains à un prix abordable. L’Union africaine des architectes (AUA), fondée en 1981, compte aujourd’hui 40 pays membres représentant la communauté africaine des architectes. Son but est de sensibiliser au patrimoine architectural africain et de le préserver. L’AUA estime que l’Afrique doit à présent se réveiller pour protéger son patrimoine et ses valeurs culturelles. Au fil des années, l’Union s’est évertuée à incorporer les riches traditions africaines dans les structures sur lesquelles sont fondées nos sociétés. Il est temps

Ci-dessus, de haut en bas : construction d’une maison en bouteilles de plastique par DARE, une ONG basée au Nigeria. L’école Dano, au Burkina Faso, conçue par l’architecte Francis Kéré.

de transcender l’occidentalisation et de faire en sorte que l’architecture devienne une solution aux nombreux problèmes liés au développement structurel de l’Afrique. Pour y parvenir, l’AUA a commencé à collaborer avec d’autres organismes régionaux et organisations, telles que l’ONU-Habitat. L’Union est devenue un partenaire de la Campagne urbaine mondiale en 2012 dans le but de transformer les sociétés africaines et de rendre les villes plus agréables à vivre. La clé est d’identifier les problèmes sociaux auxquels est confronté le continent et de fusionner les influences des nombreuses cultures et traditions pour relever les défis en faisant appel à l’art et à l’ingéniosité du continent. Les architectes africains sont encouragés à rechercher des moyens d’améliorer les quartiers d’habitat spontané plutôt qu’à les détruire. Or, pour améliorer la vie des gens, il est nécessaire de tenir compte de leurs valeurs culturelles. Je suis heureux de constater que l’Angola attache beaucoup d’importance à l’aspect culturel dans son ambitieux programme de logements sociaux. L’avenir du continent s’annonce prometteur et, puisque l’Afrique n’a pas encore réalisé son potentiel de développement, on peut s’attendre à ce que l’architecture novatrice africaine ait de l’influence non seulement sur le continent, mais aussi dans le reste du monde. Les architectes africains ont un immense rôle à jouer dans la préservation de la culture et des traditions, car les édifices qu’ils conçoivent deviennent des monuments qui témoignent du succès de la transition d’une génération à l’autre. Il relève de la responsabilité des architectes africains contemporains de rechercher comment préserver les divers styles architecturaux ethniques et créer des matériaux adaptés. S’ils échouent, l’originalité de l’architecture africaine se perdra. La pauvreté est un problème majeur en Afrique et beaucoup d’Africains ne peuvent se permettre de loger correctement leur famille en raison du prix élevé de construction et d’entretien des habitations, les

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architectes n’ayant pas réussi à créer des structures abordables pour la majorité des gens. D’autre part, les structures sont souvent inadaptées à l’environnement dans lequel elles sont bâties. Cela contribue, entre autres, à augmenter le coût de la vie et à accroître le nombre de sans-abri. Bien qu’il existe des architectes capables de faire un bon travail, le coût demeure un sérieux obstacle. Les dirigeants ne doivent pas négliger l’architecture en voulant réduire les budgets de construction, car une conception parfaitement adaptée à son environnement augmente la valeur de revente et permet d’attirer les d’investisseurs intéressés par la réalisation de logements et de commerces. Ainsi, le secteur hôtelier est idéal pour concevoir des structures qui reflètent ce que le continent a de mieux à offrir et qui s’harmonisent parfaitement avec leur environnement. Le Serena Safari Lodge, en Tanzanie, est un superbe exemple de cette approche. L’Afrique demeure l’une des destinations d’écotourisme de choix dans le monde et une architecture africaine authentique augmenterait son attrait. Les architectes africains ont également contribué à la conception des centres commerciaux, une industrie en plein essor dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya, pour n’en citer que quelques-uns. Ces centres commerciaux sont sources de multiples opportunités économiques : les Petites et moyennes entreprises peuvent facilement accéder à leur clientèle ; des centaines de milliers d’emplois sont créés ; et ils permettent aux Africains de faire du shopping comme dans les nations développées. Le secteur de l’architecture est en constante transition et l’Afrique a le potentiel d’être un pionnier dans la conception des sites vierges, de montrer l’étendue de sa créativité. Les nations africaines seraient bien avisées de s’inspirer de la devise de l’Union africaine des architectes, « Planifier avec le peuple et non pour le peuple », pour construire des logements durables et abordables. n

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L’entretien, une priorité L’Angola a lancé le plus vaste programme de logements sociaux d’Afrique. Des centaines de milliers de nouveaux appartements et maisons ont été construits. Mais qu’est-il prévu pour leur entretien ? Par António F. Venâncio, ingénieur

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es nouvelles villes, comme Kilamba, aux alentours de Luanda, ont émergé si rapidement que l’on a le sentiment d’être dans un rêve. La construction de ces villes, bâties à un rythme impressionnant, offre une vue saisissante. À n’en pas douter, tout citoyen angolais ordinaire rêve d’emménager dans l’un de ces logements, bien conçus et aux superbes finitions. En tant qu’ingénieur, je m’inquiète de la durabilité de ces projets sociaux. À quoi ressembleront ces nouvelles villes dans dix ans ? Seront-elles aussi propres, fonctionnelles et pimpantes qu’elles le sont aujourd’hui, ou vont-elles devenir des villes de banlieue sordides comme beaucoup d’autres projets ambitieux dans le monde en développement ? Même les pays développés ont mis en œuvre des projets de logement sociaux qui se sont révélés des échecs retentissants — les tours à bas coût de Londres et de la banlieue de Paris sont un exemple : une grande partie des bâtiments a dû être détruite.

On considère qu’une construction a atteint les dernières étapes de sa vie utile quand elle n’est plus occupée (ou en état d’être occupée), quand il n’y a plus d’activité aux alentours, quand elle n’est plus utile ou quand le coût de la rénovation est trop élevé. Les constructions dans cet état constituent un danger pour ceux qui tenteraient de les occuper ou pour ceux qui sont autour. Il est souvent possible d’y remédier, mais le facteur coût peut être prohibitif. Il ne reste souvent d’autre choix que de les démolir. Bien entendu, on peut éviter d’en arriver là. L’activité qui implique la détection des défauts, leur réparation, et la suppression des causes de détérioration s’appelle l’entretien. Le mauvais état des structures, que les ingénieurs redoutent et qu’il est difficile de résoudre, est souvent le résultat de l’absence d’entretien, insuffisant ou mal réalisé. Généralement, les pays qui disposent de moins de moyens financiers, qui manquent de personnel qualifié ou qui n’ont pas prévu de politiques d’entretien adaptées, ont de grandes difficultés à entretenir leurs infrastructures publiques, notamment les infrastructures urbaines pour lesquelles les taux d’utilisation sont très élevés dans les villes à forte densité de population. On attribue souvent de telles négligences à l’absence d’une « culture » d’entretien. Ces critiques soulignent le fait que les pays sous-développés souffrent considérablement de

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l’absence culturelle d’un esprit de préservation. C’est souvent pour cette raison que les actifs physiques bâtis ne mentionnent que la date de construction. On croit, à tort, que l’actif offrira un service ininterrompu et durera sans coût d’entretien. Il n’est pas injuste de dire que les dirigeants politiques sont généralement pleinement satisfaits après avoir coupé le ruban pour inaugurer de nouvelles constructions lors de cérémonies pompeuses ; souvent, les propriétés ne bénéficient d’aucune protection contre les intempéries et les dégradations dues à l’utilisation. Manque d’intérêt Dans nombre de pays, l’idée selon laquelle l’entretien préventif est inutile, trouve ses racines dans l’économie. Ces pays où l’on observe un manque d’intérêt institutionnalisé envers l’entretien et la préservation des infrastructures urbaines, disposent généralement d’un budget très restreint. Des ressources limitées répondent aux besoins les plus élémentaires de la population. Ces États doivent généralement recourir à des mesures financières contraignantes et réduire les dépenses. Le premier poste budgétaire touché est celui de l’entretien. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, reléguer ces coûts au second plan, ou les supprimer des comptes annuels, est un phénomène très courant dans les économies émergentes et dans les pays au budget limité. L’accroissement inévitable de la population et le nombre excessif


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“Trouver une solution aux problèmes de logement, notamment avec l’afflux massif et inéluctable de migrants en ville, nécessite une approche intelligente et souple, des synergies avec des groupes sociaux et économiques…”

Ci-dessus : Le nombre croissant de résidents dans les zones urbaines peut créer des conflits d’intérêts.

de citadins génèrent des conflits d’intérêts. Ceux-ci sont responsables des faibles niveaux d’entretien et de préservation. Les gouvernements sont souvent contraints de choisir entre la construction de nouveaux logements ou l’entretien des constructions existantes. Ce choix est réellement difficile. À première vue, il semble plus

judicieux d’allouer des fonds publics à la construction de nouvelles infrastructures pour aider les gens qui ont grand besoin d’un logement plutôt que de s’évertuer à trouver un équilibre financier entre la construction et l’entretien. En moyenne, le coût annuel d’entretien représente 5 % de la valeur d’un bâtiment.

Mais l’État et les collectivités locales doivent analyser le problème et définir les priorités. Il ne fait aucun doute que des propriétés bien entretenues peuvent rester impeccables pendant des décennies. Ces propriétés prennent de la valeur, parfois plus de 500 %, comme nous l’avons vu dans certaines capitales, telles que Luanda, et deviennent

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des centres économiques prospères, sources de création de richesses et d’emplois. Trouver une solution aux problèmes de logement, notamment avec l’afflux massif et inéluctable de migrants en ville, nécessite une approche intelligente et souple, des synergies avec des groupes sociaux et économiques, ainsi que des partenariats avec le secteur privé et d’autres pays qui sont parvenus à réaliser des programmes de logements sociaux modèles. Singapour, où se trouvait autrefois l’un des pires bidonvilles d’Asie, propose les meilleurs programmes de logements sociaux au monde. L’entretien est intégré au plan de chaque projet et, dans certaines des structures plus modernes, des équipes sont prévenues des défauts via un ordinateur et doivent intervenir immédiatement — avant qu’un petit problème, comme une fuite d’eau sur une canalisation, ne provoque des inondations et détruise les systèmes électriques. Le secteur privé, en Angola comme dans d’autres pays en

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C’est en songeant à ces aspects que l’Angola a conçu un programme d’entretien pour les infrastructures urbaines, dont les routes font partie.

développement, tient compte à présent des frais de maintenance et a défini des règles strictes concernant l’entretien de leurs propriétés. Des frais similaires sont également prélevés sur les logements sociaux, mais on doit veiller à ce que le loyer de ces propriétés demeure accessible aux gens pour qui ces programmes ont été conçus.

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Ci-dessus : Singapour est un modèle de ce qu’est un bon programme de logements sociaux peut atteindre.

Des programmes adaptés Tous les signes qui révèlent une négligence d’entretien, qu’ils résultent de contraintes budgétaires ou de « cécité culturelle », constituent des menaces auxquelles il faut s’attaquer. Les ingénieurs comprennent également les contraintes que doivent supporter les structures avec le temps, le manque de stabilité sur certains sols, l’état des toits, des murs, des façades, les raccordements électriques et la plomberie internes et externes, la voirie et les autres infrastructures environnantes. Il est vital de réparer rapidement tout dommage avant qu’il ne provoque davantage de dégâts. Cela dit, il relève également de la responsabilité du constructeur de s’assurer que les propriétés vendues ou louées à des citoyens et financées par les deniers publics sont en excellent état. Tout défaut à ce stade sera à sa charge. L’usure des structures d’une construction, la perte de stabilité, la suppression de la fonctionnalité prévue, les trous dans les routes, les fissures dues au vieillissement sur les façades et les toits… tous ces éléments contribuent à la détérioration d’une construction et, s’ils sont négligés, peuvent conduire à son effondrement. Ces édifices perdent alors toute utilité, compromettant la viabilité économique désirée qui a, un jour, justifié la décision de leur construction, pour le bien des citoyens. C’est en songeant à ces aspects que l’Angola a conçu un programme d’entretien pour les infrastructures urbaines, dont les routes font partie. Ce programme sera mis en œuvre de manière beaucoup plus organisée qu’auparavant, à présent que le pays est en paix depuis 13 ans. Il est très encourageant de voir que les nouvelles villes, telles que Kilamba, possèdent des sites de formation permanents, sur place, pour enseigner la plomberie, l’électricité, le jardinage, le plâtre et d’autres compétences nécessaires aux équipes d’entretien. Cette approche répond à plusieurs objectifs : elle forme à des compétences extrêmement utiles, crée des emplois et permet de maintenir les nouvelles villes en excellent état. n



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La dimension économique de la politique urbaine La politique économique en Afrique nécessite une dimension spatiale plus forte, tandis que la politique urbaine requiert un solide cadre économique. Les deux politiques doivent être liées, car elles sont complémentaires. Des villes bien pensées peuvent dynamiser l’industrialisation du continent. Par le professeur Ivan Turok, conseil de recherche en sciences humaines, Afrique du Sud

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eux événements récents soulignent la vulnérabilité d’une Afrique où l’on négligerait les villes. Le premier est, bien sûr, la propagation rapide de l’épidémie d’Ebola dans les bidonvilles surpeuplés de Monrovia (Liberia) et de Freetown (Sierra Leone). Elle illustre les conséquences d’une urbanisation non planifiée sur la progression des maladies infectieuses. Cette tragique épidémie aurait fait beaucoup moins de victimes, et beaucoup de souffrances auraient pu être évitées, si les villes disposaient d’eau saine, de canalisations d’évacuation, de logements décents et d’autorités responsables. Le deuxième événement inquiétant est lié aux répercussions de l’effondrement du cours du pétrole sur l’économie de pays

tels que le Nigeria, l’Angola et le Gabon, ces derniers mois. Leur gouvernement est contraint de réaliser des coupes drastiques dans les services publics en raison de leur dépendance aux recettes fiscales tirées des exportations pétrolières. Si les villes fonctionnaient mieux et que les infrastructures étaient mieux développées, elles serviraient de tremplin à la diversification économique et à l’industrialisation. Les estimations selon lesquelles la population urbaine africaine devrait doubler d’ici à 20 ans pour atteindre 750 millions de personnes ne sont guère rassurantes. Le continent africain n’est urbanisé qu’à 40 % et il est donc certain que l’urbanisation continuera de progresser. Cette croissance urbaine inéluctable présente une opportunité unique de créer des villes plus productives, plus inclusives et plus sûres, à condition d’anticiper cette fois l’ampleur de l’afflux. Il est nécessaire de développer des infrastructures adéquates, qui permettront d’exploiter le potentiel de la deuxième vague de migrants, et de ne pas rester inactifs. La rénovation de zones urbaines surpeuplées et la valorisation des bidonvilles représentent des opérations beaucoup plus complexes et coûteuses une fois que l’espace est occupé et que les populations sont installées.

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Les experts émettent depuis des années des avertissements sur la menace que représente l’urbanisation rapide et non maîtrisée, sur les risques d’insalubrité, de tensions sociales et de catastrophes environnementales. Hélas, le plus souvent, ces sonnettes d’alarmes n’ont pas convaincu les dirigeants politiques de prendre plus au sérieux le sort de leur ville et d’investir dans des politiques urbaines efficaces. Les villes africaines sont généralement inefficaces et inéquitables, la plupart des habitants vivant dans des conditions déplorables sans accès aux services municipaux de base. Certains gouvernements, comme l’Angola, ont tenu compte des avertissements, et se sont engagés dans une course contre la montre pour créer des villes adaptées au XXIe siècle et aux besoins de l’Afrique. Les avantages économiques de l’urbanisation Des villes mieux conçues et une croissance urbaine maîtrisée procurent des avantages significatifs en termes de développement. La proximité géographique des populations et des activités économiques favorise les gains de productivité, la création d’emplois et l’amélioration des conditions de vie. Elle réduit les coûts de transaction et de transport,


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“Les villes africaines pourraient contribuer à développer la croissance économique du continent.”

La consommation de la classe moyenne en expansion est bien visible dans la montée de centres commerciaux.

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stimule le commerce et l’ingéniosité. Les échanges entre les entreprises sont facilités, ainsi que la collaboration et l’échange de connaissances. Bref, la concentration physique de personnes, d’entreprises, d’infrastructures et d’institutions assure une utilisation plus efficace et créative des ressources de toutes sortes, réduisant ainsi les coûts et favorisant l’innovation. Cela permet aux économies de passer du secteur primaire aux secteurs secondaire et tertiaire. Les villes africaines pourraient contribuer à développer la croissance économique du continent. Elles pourraient s’assurer que les ressources naturelles, en diminution, soient mieux utilisées et qu’elles soient sources de progrès économiques. L’expérience récente de nombreux pays asiatiques a renforcé la crédibilité de ces arguments. L’urbanisation rapide en Corée, en Malaisie, en Indonésie, au Vietnam, aux Philippines, a été accompagnée d’une accélération de la croissance économique et du développement. La Chine est le meilleur exemple : le revenu par habitant a été multiplié par neuf depuis le milieu des années 1980, pour un taux d’urbanisation qui a doublé. L’urbanisation a accru la productivité, stimulé l’esprit d’entreprise et développé la prospérité. L’expérience de l’Afrique présente des résultats plus contrastés. Les liens entre le développement économique et l’urbanisation semblent plus faibles qu’ailleurs. Les villes n’ont pas apporté la prospérité escomptée, car la croissance a été induite par l’extraction des ressources naturelles et non pas par une industrialisation diversifiée. Certains pays ont reproduit le modèle international, au contraire de beaucoup d’autres. Il semble que les avantages de la proximité physique et de la concentration ne soient pas automatiques. La surpopulation, le déficit d’infrastructures, l’augmentation du coût de l’immobilier et de la main-d’œuvre ont diminué l’attrait des villes pour les investisseurs et affaibli les performances économiques. Le succès dépend beaucoup de

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l’environnement dans lequel se produit la croissance urbaine, de la canalisation des investissements publics dans l’amélioration du fonctionnement des villes. Il est vital que les gouvernements réinvestissent les recettes fiscales générées par l’exportation des matières premières dans l’alimentation électrique, des égouts pluviaux, des réseaux de traitement des eaux et d’autres services municipaux. L’essor de la classe moyenne et de la consommation Selon des consultants en gestion internationaux, l’Afrique pourrait court-circuiter l’industrialisation en exploitant le désir de consommation de la classe moyenne. Ils estiment que la demande de biens et services de la classe moyenne émergente peut dynamiser la croissance économique. Ils insistent sur les symboles visibles de la prospérité, comme les nouveaux centres commerciaux, les beaux hôtels, les agences de banques internationales et les enseignes de fast-food. Certes, des investisseurs étrangers ont placé des fonds dans les secteurs de la distribution alimentaire et de la mode, dans les banques et les assurances, dans les loisirs, le tourisme et la restauration, dans l’immobilier de luxe et les locaux commerciaux, dans les transports et les produits pharmaceutiques. Ces investisseurs ont vu le potentiel que représentait l’essor de la population urbaine africaine lorsque les marchés de consommation stagnaient ailleurs dans le monde. Néanmoins, il faut se demander si l’émergence de la classe moyenne dans les villes africaines constitue une base solide pour la croissance et le développement. Produit-on suffisamment de valeur ajoutée et fabrique-t-on assez de produits pour assurer une croissance durable des emplois et des revenus ? Ou le phénomène est-il largement fondé sur l’importation de biens de consommation acquis grâce à l’exportation des matières premières ? La classe moyenne urbaine a-t-elle un poids élevé en termes économiques ou non ? En réalité, le mode de vie urbain, caractérisé par un niveau élevé de consommation matérielle, est

“Les décisions que prendront les gouvernements au cours des prochaines années sur les infrastructures dessineront les trajectoires de croissance pour les prochaines décennies.”

confiné à une très faible minorité de la population. Il semble donc inadapté de favoriser une croissance stimulée par la consommation plutôt que d’investir dans la production de biens et services à valeur ajoutée, y compris les produits de consommation qui se substitueraient aux importations. Il semble tout aussi inadapté d’encourager la dépense plutôt que l’épargne individuelle. D’autre part, afin de tirer parti du « dividende démographique » et participer à une croissance économique durable, les jeunes Africains doivent avoir davantage de

96 African Business | Hors Série Villes africaines | MARS 2015

Ci-dessus : La nécessité d’améliorer les infrastructures de transports va de pair avec l’urbanisation.

possibilités d’acquérir de nouvelles compétences, de trouver un emploi gratifiant, et de fonder leur propre entreprise. La classe moyenne ne peut survivre en l’absence d’une économie forte. Les villes africaines doivent donc devenir autre chose que des centres de consommation de luxe. Elles doivent fabriquer leurs propres produits et produire davantage ce qu’elles consomment, afin de favoriser les productions locales et accroître les revenus des ménages. La diversification implique le développement d’activités en amont et en aval, telles que le raffinage, la transformation, la valorisation et l’offre d’intrants à l’industrie minière et à la fabrication. Les villes permettent de réaliser des économies d’échelle, de promouvoir la spécialisation, et d’établir des liens économiques durables. La création d’économies urbaines implique également l’émergence d’une industrie du bâtiment efficace et d’entreprises dynamiques capables de construire des logements décents accessibles aux gens à faible revenu. Les logements des bidonvilles devront être remplacés par des structures qui amélioreront les niveaux de vie et permettront aux gens d’être plus productifs. Les bâtiments à plusieurs étages sont beaucoup plus efficaces que les structures en rez-de-chaussée pour développer des réseaux de transports viables et faciliter l’accès aux lieux de travail et aux services. Les décisions que prendront les gouvernements au cours des prochaines années sur les infrastructures dessineront les trajectoires de croissance pour les prochaines décennies. Les investissements dans les transports, l’eau et les télécommunications pourraient assurer une relation positive entre l’urbanisation et le développement. Sans les investissements nécessaires, les problèmes urbains de l’Afrique pourraient devenir insurmontables. La politique économique en Afrique nécessite une dimension spatiale plus forte tandis que la politique urbaine requiert une dimension économique. Les deux politiques doivent être liées, car elles sont complémentaires. n


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Les villes ont permis l’innovation et la richesse que nous voyons aujourd’hui dans le monde. Pour parvenir à ce résultat, la première étape consiste à créer des villes fonctionnelles. Mais quelle est l’étincelle qui conduit à la transformation ? Par Kingsley Y. Amoako, président du Centre africain pour la transformation économique (ACET) - African Centre for Economic Transformation

Villes et transformation économique

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près des décennies d’échecs des plans économiques – qui, la plupart du temps n’ont fait que parer aux urgences sans régler les problèmes de fond –, il est très encourageant de constater que le continent envisage à présent le modèle de sa transformation économique. Il est nécessaire, à présent, que l’Afrique entreprenne une véritable planification, orientée sur les résultats, et définisse les mesures à prendre pour atteindre ses objectifs. Au Centre africain pour la transformation économique, nous avons toujours défendu le concept d’une croissance accompagnée d’une production diversifiée, d’une compétitivité à l’exportation, de l’augmentation de la productivité dans tous les secteurs, de l’adoption de technologies plus récentes et du bien-être humain avec des revenus plus élevés et de meilleurs emplois. Les villes peuvent réunir ces éléments. Elles y sont parvenues à travers les siècles partout dans le monde. Elles sont, sans aucun doute, les principales sources de croissance organique même sur un continent où l’agriculture joue toujours un rôle économique dominant. La question

est de savoir si les villes africaines sont, dans l’état actuel, des vecteurs de croissance économique efficaces ? La réponse est clairement non. La grande majorité d’entre elles génèrent des revenus bien moindres que leur taille pourrait le leur permettre et, mis à part quelques exceptions, elles échouent lamentablement en termes de bien-être humain. De fait, la plupart de nos villes créent de grandes poches de misère humaine. Mais l’histoire nous montre que cette situation n’est ni unique, ni confinée à l’Afrique. Presque toutes les villes (sauf celles qui ont été créées ex nihilo comme Brasilia et Jayapura) ont abrité à une époque d’horribles bidonvilles où s’entassaient les populations tandis qu’une minorité riche et puissante bâtissait des îlots d’opulence. Pourtant, de ce chaos et de cette misère sont nées des villes admirables et riches : Londres, New York, Paris, Moscou, pour ne mentionner que les plus célèbres. Dans chaque situation, la transformation ne s’est pas produite sans un effort concerté. Il a toujours fallu, d’abord, que l’État reconnaisse que le statu quo n’était pas acceptable et, ensuite, qu’il ait la volonté de changer. Cette formule simple a abouti à des résultats extraordinaires dans le passé ; on le voit aujourd’hui, en Asie. Mais, pour défier le statu quo, il est essentiel d’avoir une vision à long terme, ainsi qu’une feuille de route décrivant les différentes étapes. Nous appelons cette feuille de route le Programme de transformation. Redonner confiance aux urbanistes Il est extrêmement encourageant de voir l’Angola émerger d’une longue période de guerre et de destruction. Le pays est non seulement déterminé à contester l’immobilisme, et agit

avec fermeté. Le pays a su exploiter ses « circonstances particulières » – ses revenus pétroliers – pour se débarrasser de ces structures laides et contre-productives et bâtir à leur place de superbes nouvelles villes. Le succès de l’Angola, qui a construit pour ses citoyens des centaines de milliers de nouveaux logements fortement subventionnés – en employant plusieurs structures de financement novatrices et ingénieuses, va donner confiance à d’autres urbanistes sur le continent. L’Angola a prouvé qu’une telle initiative pouvait être réalisée. Bien entendu, il ne s’agit que du début d’une nouvelle phase. L’acte même de quitter les zones rurales pour aller en ville génère une transformation. La subsistance est remplacée par une spécialisation, aussi simple soit-elle. C’est le point de départ d’un ordre économique qui pourra générer une croissance pendant des années. La spécialisation mène à l’industrialisation, qui conduit à la production de biens qui, à son tour, alimente et crée de nouveaux marchés. Le cycle se répète à l’infini. La prospérité, et les améliorations des conditions de vie des gens qui y sont associées, sont fondées sur ces piliers. Mais, tout comme une planification bien pensée et une mise en œuvre audacieuse sont essentielles pour bâtir ces nouvelles villes destinées à des populations urbaines de plus en plus importantes, le potentiel de transformation économique qu’elles représentent ne pourra être pleinement réalisé qu’avec une planification tout aussi bien pensée et une mise en œuvre tout aussi audacieuse. La clé, toutefois, est de mobiliser la volonté de renverser le statu quo et, alors, rien n’est impossible. n

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Faites-nous rêver ! Par Omar Ben Yedder, éditeur d’African Business

transformer nos villes. Pourtant, les villes africaines sont souvent trop désorganisées, peu sûres et bétonnées. Le gouverneur Babatunde Fashola a métamorphosé Lagos, en y ajoutant de l’ordre, de la discipline et en créant de l’espace pour les citoyens. Kigali, au Rwanda, est un bel exemple d’ordre et de croissance urbaine en harmonie avec la beauté du cadre naturel de la ville.

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ans les pages qui précèdent, nous avons vu pourquoi les villes comptent tant. Quand elles sont bien organisées, elles sont synonymes de prospérité. Les villes comme New York et Londres sont des moteurs de croissance. Le PIB de New York dépasse les mille milliards $. Les villes de la Silicon Valley sont des oasis de créativité. Elles ont toutes une chose en commun : une planification bien pensée. Bien que je sois un fervent partisan du libéralisme économique, je constate que les villes réussies sont le fruit d’objectifs ambitieux et d’une planification stratégique. Il n’y a aucune raison que nos villes ne puissent être à la hauteur des meilleures villes du monde. Dans son éditorial, Anver Versi met en exergue le rôle essentiel que doivent jouer les urbanistes. Nous avons beaucoup de moyens à notre disposition, mais n’oublions pas que le pouvoir s’accompagne de responsabilités. Manhattan est un excellent exemple de ville réussie. C’est là que se déroulaient toutes les activités au début du XIXe siècle. Conscients du potentiel de la ville, des urbanistes décidèrent ensemble de la structurer en grille, ce qui correspond au plan actuel au nord de la 10e rue. Quelques années plus tard, voyant une ville trop bétonnée, les urbanistes créèrent un parc au centre de Manhattan, aujourd’hui Central Park, l’un des plus célèbres espaces verts du monde. Les urbanistes et les décideurs ont la lourde responsabilité de rendre nos villes agréables à vivre et d’en assurer la cohésion. Je leur demande aussi de nous faire rêver ! Certains dirigeants ont prouvé qu’il était possible de

De l’harmonie à partir du chaos J’espère que les urbanistes et les décideurs seront suffisamment téméraires pour rêver. Ils ont l’occasion de se montrer non seulement pragmatiques, mais aussi créatifs et audacieux. Bâtir des structures est facile. Créer de l’harmonie à partir du chaos est tout autre chose. J’espère que ceux qui ont un pouvoir de décision en feront bon usage. N’oublions pas les arts – souvent relégués au second plan. N’oublions pas les sports quand nous imaginons nos villes. N’oublions pas la musique et la culture, qui enrichissent tant une ville. Mettons-nous à la place d’un enfant : où aimerait-il vivre et grandir ? Au Brésil, on a souvent reproché au grand Oscar Niemeyer ses projets coûteux et vaniteux, mais ses ouvrages profitaient à tous, pas seulement à une minorité aisée. Sa démarche était profondément démocratique. Il avait raison de dire que l’avantage de l’architecture était de pouvoir rendre la vie meilleure. La statue de la Renaissance africaine, à Dakar, a nourri bien des polémiques, mais cette œuvre très ambitieuse est un symbole de la capitale du Sénégal et, qu’on l’apprécie ou non, une telle réalisation est nécessaire pour forger l’identité d’une ville. Nous devrons relever de nombreux défis, en bâtissant nos villes du futur. Mais nous avons de la chance, car nous pouvons apprendre des expériences, qu’elles soient des réussites des échecs. Et grâce aux nouvelles technologies auxquelles nous avons accès, rien n’est impossible. Nous devons parer à nombre de situations urgentes. J’espère que, comme nos ancêtres, nous le ferons en harmonie avec la nature et les arts, dont nous devons nous inspirer. Soyez pragmatiques et réalistes, oui. Mais faites-nous aussi rêver. Nous avons tous besoin de rêves pour mieux vivre ! n

« L’humanité a besoin de rêves pour supporter la misère, même s’ils ne durent qu’un instant. » Oscar Niemeyer, architecte brésilien (1907–2012)

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HORS SÉRIE N°1

Bâtir “la perle de l’Afrique” Kilamba, nouvelle ville modèle La destination préférée des investisseurs Urbanisme : le social avant le profit Les villes africaines du futur La planification urbaine est une priorité La ville est un vecteur de paix

VILLES AFRICAINES

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En partenariat avec le ministère de l’Urbanisme et du logement de la République d’Angola et Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU-A)

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● France : 4,50 € • Zone euro : 4,50 € Zone CFA : 2 700 F. CFA Algérie 240 DA • Tunisie 6 000 DT • Maroc 40 Dh Suisse SFr 7 • Royaume-Uni £3,90 • USA $5.50 • Canada $ 6,00

Angola : les fondations de la réussite


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