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Rue des Beaux-Arts n°59 – Avril/Mai/Juin 2017

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 59 Avril/Mai/Juin 2017


Rue des Beaux-Arts n°59 – Avril/Mai/Juin 2017

Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin-Rose Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 55 ici.


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1 – Éditorial Devenir Oscar Wilde Oscar Fingal O’Flaherty Wills Wilde n’a pas toujours été Oscar Wilde. Il lui a fallu auparavant façonner son image, la ciseler au fil du temps, lui donner forme et couleur, avant de voir le papillon sortir de sa chrysalide et s’épanouir jusqu’à devenir ce personnage de dandy spirituel et d’esthète iconoclaste qui s’est inscrit dans la légende. Tout a commencé sans doute avec les prénoms. La famille Wilde ne nourrissait aucun goût particulier pour la simplicité. Il lui fallait du flamboiement, de l’imagination, de l’excès. Le bébé qui naquit le 16 octobre 1854 au 21 Westland Row, Dublin, ne pouvait pas s’appeler Peter ou Jack. On lui donna une kyrielle de prénoms qui convoquait les héros de l’Irlande légendaire, et le souvenir d’un roi, lui interdisant absolument d’être banal. De toute façon, Oscar n’en avait pas l’intention. Qu’il est ridicule de votre part, dit-il un jour à un de ses camarades d’Oxford, de supposer que quelqu’un, et surtout ma chère mère, m’aurait baptisé « Oscar tout court ». Mais tandis qu’il grandissait et devenait un brillant jeune homme, il finit par se rendre compte que ce chapelet interminable, aussi glorieux fut-il, serait compliqué à inscrire au fronton de l’Histoire où il comptait bien s’illustrer. Il fallait adopter une solution radicale à laquelle il se résolut aussitôt : Tous ces noms, à deux exceptions


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près, ont déjà été jetés par-dessus bord. Bientôt, j’en écarterai un autre et m’appellerai simplement « le Wilde « ou « L’Oscar ». Le nouvel Oscar Wilde pouvait partir à la conquête du monde. C’est ce qu’il fit fin décembre 1881 en embarquant pour l’Amérique où il arriva le 2 janvier 1882, pour une tournée qui devait durer un an. C’est un dandy qui posa le pied à New York, un homme qui avait soigneusement préparé sa garde-robe, et qui arrivait enveloppé d’une pelisse verte commandée chez un fourreur et avec un bonnet polonais, destinés à faire sensation. Les représentations pouvaient commencer. Car c’est à un véritable « one man show » que Wilde va se livrer au cours de sa trajectoire sur le territoire américain. Mais avant cela, avant cette véritable épopée esthétique, il lui fallait poser pour la postérité, fixer sur des plaques de verre le portrait qui allait s’imprimer pour toujours dans la mémoire collective, et qui perdurerait jusqu’à nos jours. En effet, en notre siècle encore, comment imagine-t-on Oscar Wilde, quelle image de lui est le plus souvent reproduite, sur internet ou dans les magazines, et jusque sur l’affiche qui annonçait la grande exposition du Petit Palais, sinon ce célèbre portrait de Napoléon Sarony, le fameux photographe des célébrités chez lequel il s’était rendu peu après son arrivée à New York ? Cette photographie dupliquée à l’infini, parfois colorisée, reproduite sur les T-shirts, les posters et les mugs, où on le voit, appuyé nonchalamment sur sa canne à pommeau, la main baguée reposant sur sa joue, le regard à la fois pensif et magnétique fixant l’appareil. Il se tient assis dans un fauteuil, voluptueusement enveloppé dans sa somptueuse


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pelisse, ses longs cheveux encadrant romantiquement son visage, objet d’une véritable mise-en-scène (comme c’était toutefois le cas à cette époque chez tous les photographes qui laissaient peu de place au naturel) qui le magnifie et l’idéalise. Cette photographie (et plus généralement toutes celles de la série effectuée par Sarony) a fixé à jamais l’image d’Oscar Wilde dans l’imaginaire collectif. Elle a traversé les siècles pour venir jusqu’à nous, éternellement jeune et superbe, comme le portrait de Dorian Gray.

Et

cependant,

reflète-t-elle

le

véritable

Oscar ?

Cette

représentation figée dans la cire, si elle correspond à un moment de la vie de Wilde, celui où il forgeait son image à coup de porcelaines bleues et de bas de soie à la française, où il laissait croire qu’il avait parcouru Piccadilly un tournesol à la main, où il se pavanait à la Grosvenor Gallery dans un manteau dont le dos avait une forme de violoncelle, n’appartient-elle pas à une époque rapidement révolue ? L’opérette Patience, le journal Punch, avaient eux-aussi contribué à imposer une représentation caricaturale de l’esthète dont Oscar était le modèle, et, loin de s’y opposer, il s’en était servi pour se faire de la publicité. C’est un choix parfaitement assumé par celui qui déclarait : S’il est au monde quelque chose de plus fâcheux que d’être quelqu’un dont on parle, c’est assurément d’être quelqu’un dont on ne parle pas. C’est donc dans le Nouveau Monde, sur cette terre à la civilisation encore brute qui correspondait si mal au raffinement que le jeune Wilde voulait y introduire, qu’Oscar travaille à construire et à renforcer son image, reflet étudié et presque parfait des portraits de


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Napoléon Sarony. Pourtant, c’est aussi en se frottant à un univers qui lui était totalement étranger, tellement éloigné de l’esthétisme qu’il était venu y prôner, que Wilde va peu à peu y renoncer. La brusquerie des publics américains, note Robert Merle1, accomplit ce que la politesse continentale n’avait pu faire. Elle déchira le voile. C’est aussi ce que fit remarquer Merlin Holland dans la conférence qu’il donna au Petit Palais le 14 janvier 2017 : l’Oscar Wilde qui rentra en Angleterre au début de 1883 s’était dépouillé de ses oripeaux de dandy (ou plutôt de ses soies et de ses velours), revendiquant cette métamorphose en affirmant : Tout ça appartient à l’Oscar de la première période. Nous nous intéressons maintenant à l’Oscar Wilde de la deuxième période, qui n’a rigoureusement rien à voir avec le gentleman aux cheveux longs qui arpentait Piccadilly un tournesol à la main. Plus qu’un renoncement, c’est presque le reniement solennel d’un personnage devenu encombrant, qu’il couronna par une immolation ultime : le sacrifice de ses longs cheveux chez un coiffeur de la rue Scribe, à Paris, qui lui fit une coupe « à la Néron ».

1

Robert Merle – Oscar Wilde – Editions de Fallois 1995


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Sur la photographie rescapée qui témoigne de cette improbable transformation capillaire, survit encore la veste à parements de l’ancienne époque, et un gros nœud de soie prétend toujours à l’élégance, mais le changement s’est accompli. Et il ne s’agit pas seulement d’apparence vestimentaire, mais d’un changement plus profond de psychologie. Les fantaisies du jeune gandin excentrique ont

été

reléguées

au

magasin

des

accessoires.

Elles

ne

réapparaitront plus jamais. Il ne s’agit plus maintenant de folâtrer, mais de devenir un auteur riche et connu, un auteur à la mode. Certes, le goût de la provocation, la liberté d’esprit, l’impertinence, loin d’avoir disparu, ne feront que s’affirmer jusqu’au scandale, mais nous avons bien affaire maintenant à l’Oscar Wilde de la deuxième période. Il y aura encore un Oscar de la troisième période, l’être souffrant qui portera le numéro C.3.3, puis l’ultime métamorphose, celle d’un banni qui se cache sous le nom de Sébastien Melmoth, un monsieur solitaire dans les rues de Paris (mais aucune photo n’en témoigne) ou debout dans les ruines de Rome. Les ruines de sa belle vie en cendres. À ce moment-là, tout sera consommé. Que


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restera-t-il alors de celui qui posait, plein de fougue et d’espérance, dans l’atelier de Napoléon Sarony ? C’est l’image consacrée qui reste, cependant, dans les mémoires, ce jeune homme ambitieux et conquérant qui rêvait d’imposer au monde son nom, de l’écrire à jamais pour la postérité. Ce jeune homme presque inconnu encore qui allait devenir Oscar Wilde. Danielle Guérin-Rose


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2 – Publications

Oscar Wilde – Le Portrait de Dorian Gray Bilingue français/anglais + audio intégré Editions l’Accolade – février 2017 ISBN 979-1095428381

Mélissa Restous – Iokanaan Kitsunegari Editions


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Et ailleurs… Laura Lee – Oscar’s Ghost – The Passionate Battle over Oscar Wilde’s Legacy Amberley Publishing – Juin 2017 ISBN 978-1445662589

Kerry Powell et Peter Raby – Oscar Wilde in context Cambridge University Press – May 2017 ISBN - 978-1316647585


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3- Expositions Bilan de l’exposition du Petit Palais : “Oscar Wilde, l’impertinent absolu” L’exposition, qui s’est tenue du 28 septembre 2016 au 15 janvier 2017, a accueilli 95284 visiteurs, ce qui représente un beau succès public. Elle a présenté des conférences, en particulier le 7 janvier : “Oscar Wilde et l’Opéra” par Emmanuel Reibel, librettiste et musicologue 1, et “La chute

d’Oscar

Wilde”, la vengeance

de Sa

Majesté

Britannique, par Merlin Holland, le 14 janvier, qui a refusé du monde. Une soirée spéciale dédiée au dandysme, « Born to be Wilde », a également été organisée (assez mal, semble-t-il), le 9 décembre. Cette exposition fut une occasion exceptionnelle et regrouper les admirateurs de Wilde, et de le faire découvrir à ceux qui ne le sont pas encore. Malheureusement, elle ne sera pas reprise par d’autres villes, ni en France, ni à l’étranger.

Mark Samuels Lasner Exhibition “Victorian Passions: Stories from the Mark Samuels Lasner Collection” 1

Voir l’article de Tine Englebert à la rubrique « Mad Scarlet Music

»


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Conservatrice : Margaret D. Stetz Cette exposition regroupe des exemplaires uniques de livres rares, manuscrits et œuvres d'art d'écrivains et d'artistes britanniques de la période s’étendant de 1850 à 1900, notamment Charles Dickens, Robert Browning et Elizabeth Barrett Browning, William Morris, George Eliot, Henry James, Christina et Dante-Gabriel Rossetti, Aubrey Beardsley, Alfred Tennyson, W.B. Yeats et Oscar Wilde. Parmi les nombreux documents exposés, on trouvera une première édition de « L’importance d’être Constant », dédicacée par Oscar Wilde à un ami qui fut parmi ses partisans les plus fidèles pendant son emprisonnement.

14 février au 3 juin 2017 University of Delaware Library - USA

Queer British Art – 1861 – 1967 À Londres, la Tate Gallery présente la première exposition consacrée à l’art LGBTQ (lesbian, gay, bisexual, transexual et queer). Cet évènement marque le 150e anniversaire de la décriminalisation de l’homosexualité en Angleterre. Queer British Art 1861-1967 mettra en valeur la riche diversité de l'art visuel queer et son rôle dans la société. Les thèmes abordés dans

l'exposition

comprendront

des

désirs

codés

parmi

les

préraphaélites, des représentations de femmes et des femmes qui


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défient les conventions (y compris Virginia Woolf). L’exposition mettra en vedette des œuvres de grands artistes tels que Francis Bacon, Keith Vaughan, Evelyn de Morgan, Gluck, Glyn Philpot, Claude Cahun et Cecil Beaton aux côtés d'éphémères étranges, de photographies personnelles, de films et de magazines. Un point saillant de l'exposition sera une section axée sur le groupe Bloomsbury et ses contemporains - un groupe artistique célèbre pour leur attitude bohème envers la sexualité.

Bains – Duncan Grant -1911

L'exposition illustrera les façons dont la sexualité est devenue publiquement définie par le travail de sexologues tels que Henry Havelock Ellis, des militants comme Edward Carpenter. Elle examinera également les procès d'Oscar Wilde et Radclyffe Hall. Les objets exposés comprendront la porte de la cellule de Wilde, le portrait de Charles Buchel de Radclyffe Hall, et les dessins érotiques d'Aubrey Beardsley.

5 avril au 1er octobre 2017 Tate Gallery - Londres


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4. Opéra et Musiques Dorian Gray, a quest for Eternal Youth Opéra de Mariana Ungureanu

Soirée Wilde au Petit Palais – Photo Martin Lucas

Livret français : Emmanuel Reibel Traduction anglaise : Naomi Toth Distribution en cours 23 et 24 juin 2017 Auditorium Maurice Ohana – Conservatoire du 15e

Salomé De Richard Strauss


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Plusieurs Opéras, à travers le monde, joueront le Salomé de Richard Strauss en ce deuxième trimestre 2017.

-

En Italie (Sicile) Du 21 au 28 mai 2017 Teatro Massimo Bellini - Catane Orchestra del Teatro Massimo Bellini di Catani Direction : Günter Neuhold Avec : Arnold Bezuyen | Karl-Michael Ebner (Hérode) - Janice Baird (Hérodias) - Jolana Fogašová | Cristina Baggio (Salomé) - Sebastian Holecek | Anton Keremidtchiev (Iochanaan) Michael Heim (Narraboth)

- En Allemagne 17 et 25 juin 2017 Opéra de Leipzig

Avec : Elisabet Strid (Salomé) – Karin Lovelius (Herodias) – Endrik Wottrich (Hérode) – Tuomas Purso (Iochanaan) – Serge Pisarev (Narraboth) - Aux Pays-Bas (Amsterdam) 9 au 27 juin 2017


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De Nationale Opera – Amsterdam Koninklijk Concertgebouworkest Direction musicale : Daniel Gatti Avec : Lance Ryan (Hérode) – Doris Soffel (Herodias) - Malin Byström

(Salomé)

-

Evgeny

Benjamin Bernheim (Narraboth)

Nikitin

(Iokanaan)


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5 – Théâtre The Real importance of being Earnest

Théâtre en anglais Une scénographie précise et colorée avec des costumes somptueux et des films en noir et blanc sporadiques dévoilant les arrière-pensées des personnages. Un texte original allégé avec finesse sans « dés-Oscariser » l’essentiel et 4 comédiens anglophones sur la scène. Adaptation : Andrew Loudon Mise en scène et musique originale : Lucille O’Flanagan Films : David Tuck


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Lumières : Noëlle Burr Avec : Serge O’Sullivan (Jack) Théo Agate (Algernon) Rebecca James (Cecily) Rose Germain (Gwendolen) En tournée en France du 6 février au 2 juin 2017 17 mai 2017 Théâtre de l’Alhambra – Paris 10e

Et toujours… Le Portrait de Dorian Gray


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Après Le Lucernaire, la Comédie des Champs Elysées, puis le Studio des Champs Elysées, la troupe de Thomas le Douarec s’est transportée à l’Artistic Théâtre en raison de son succès. Si vous n’avez pas encore vu la pièce, courez-y : c’est une des meilleures adaptations de Dorian Gray qu’on ait donnée à Paris. Avec : Arnaud Denis ou Valentin de Carbonnières, Fabrice Scott ou Maxime de Toledo, Thomas Le Douarec ou Olivier Breitman, Caroline Devismes ou Solenn Mariani Adaptation et mise en scène : Thomas Le Douarec Jusqu’au 30 avril 2017 Artistic Théâtre – 45, rue Richard Lenoir – 75011 Paris


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6 - BEAUTE ET LAIDEUR DANS LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY Par Claudine Sagaert

Si à notre époque nous assistons à une inflation de la prise en compte de l’apparence corporelle, que la beauté participe de l’identité du sujet, que le rapport au corps demande à tout individu un travail sur soi de plus en plus contraignant et aliénant, qu’il impose, l’impératif suivant : « sois beau ou du moins, épargne-nous ta laideur » (Michaud, 2003: 7), n’est-ce pas parce que la beauté représente une catégorie fondamentale donnant sens à l’existence ? Or si la beauté physique masculine a souvent été associée à la virilité de l’homme, à son courage et à son statut et qu’inversement l’homme dévirilisé, efféminé, a pu être considéré comme laid, notamment s’il se préoccupait plus de son apparence que de son être même, pourtant à partir du XIXe siècle, une remise en question partielle de ces caractéristiques a été défendue et certains auteurs ont approuvé la quête d’une belle apparence. Un tout autre rapport à la beauté masculine s’est imposé. Cette attitude incarnée par le


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personnage principal du roman Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde en est l’exemple. En détenant dans l’espace public comme dans l’espace privé, une place inégalée jusqu’alors, la beauté du paraître a inscrit un nouveau type de rapport à l’existence et à la temporalité de l’être. Renouveau de la beauté masculine Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde parait dans la dernière décennie du XIXe siècle. Le rappeler n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une période où l’apparence physique des individus a été au centre de nouvelles théories pseudo-scientifiques. Citons pour mémoire les études de Lavater sur L’Art de connaître les hommes par la physionomie1, celles de Gall Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties2, celles de Lombroso sur L’homme criminel3, ou encore celles de Bertillon sur Identification anthropométrique, instructions signalétiques 4. On peut y ajouter les ouvrages qui ont décrypté l’apparence du sujet et qui, terreau du

1

1 Johann Kaspar Lavater, La Physiognomonie ou l´Art de connaître les hommes d´après les traits de leur physionomie, leurs rapports avec les divers animaux, leurs penchants (...) [17751778], tr. Fr. H. Bacharach [réimpression de l´édition de 1845], Lausanne, L´Age d´Homme, 1979. 2 Franz Joseph GALL, Anatomie et système nerveux en général et du cerveau en particulier, vol. 4, Paris, chez N. Maze Librairie, 1819. 3 Cesare Lombroso, L’homme criminel. Étude anthropologique et psychiatrique. Traduit sur la quatrième édition italienne par MM. Régnier et Bournet et précédé d'une préface du Dr Ch. Létourneau. Paris: Ancienne Librairie Germer Baillière et Cie, Félix Alcan, Éditeur, 1887. 4 Alphonse Bertillon, Identification antropométrique : instructions signalétiques, Impr. Administrative, 1893.


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racisme1 et de l’antisémitisme2, ont voulu établir races

l’inégalité des

3

Parallèlement, d’autres éléments ont joué un rôle majeur dans l’inflation de l’apparence physique masculine comme par exemple l’intérêt pour le sport4 , et une certaine présentation de soi par les dandys, alliant, pour quelques-uns notamment, un esthétisme du corps et de l’esprit. Baudelaire l’illustre dans Mon cœur mis à nu : « le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir » (Baudelaire, 1975: 678). D’autre part, si antérieurement la beauté physique a été incarnée par la femme 5, que poètes, écrivains et artistes n’ont eu de cesse de la louer, par contre à partir du XIXe siècle, un certain nombre de textes ont défendu que « la beauté est masculine » (Péladan, 2007: 31), que l’être masculin « dégage la sensation esthétique la plus forte » (Monneyron, 1996: 72). L’homme, a-t-on dit est plus apte « à illustrer le beau que son contraire » (Ibid: 66). Cette thèse a d’ailleurs fait écho

à la théorie selon laquelle « dans les espèces

animales, le mâle est souvent le plus beau » (Knibiehler, Fouquet, 1983: 211). Pour Joseph Joséphin Péladan,

« la nature qui veut

que le mâle plaise à la femelle, lui donne toujours des formes et des couleurs splendides. Comparez le coq et la poule, le lion et la 1

Cf. Franz Fanon, Peau noire, Masques blancs (1954) Paris, Ed. Du Seuil, « points », 1971, et Colette Guillaumin, L'Idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris/La Haye, Mouton, 1972. Nouvelle édition : Gallimard, Coll. Folio essais (no 410), 2002. 2 Cf. Pierre André Taguieff, La Judéophobie des Modernes, Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, et Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, trad. de l’anglais par M.F. de Paloméra, Paris, Fayard, 1983. 3

Cf. Georges Mosse, L'image de l'homme : l'invention de la virilité moderne, Paris, Abbeville, coll. « Tempo », 1997. 4 Cf. Ronald H. Hubscher, L'Histoire en mouvements: le sport dans la société française (XIXeXXe siècle), Paris, Armand Colin, 1992, et Gilbert Andrieu, Force et beauté, Presses Universitaires de Bordeaux, 1992. 5 Georges Vigarello Histoire de la beauté, Paris, Seuil, 2004.


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lionne. Par quel renversement des idées normales sommes-nous venus à considérer que nous avons le droit d’être laid et que la femme incarne la beauté ? » (Péladan, 2007: 31)

Dans la même

optique, Wallace, Geddes, Thomson, ont soutenu que la beauté mâle est « primordiale (…) consubstantielle à la virilité, à l'énergie virile » (Knibiehler, 1976: 46).

A l’époque, certains auteurs ont

même prodigué des conseils, pour tous ceux qui veulent optimiser leur apparence physique. Si l’homme « ne peut modifier sa taille ou la couleur de ses yeux »

(Aurevilly (de), 1986: 102), il peut

néanmoins lutter contre l’obésité, « ce polype qui saisit la beauté et la tue lentement dans ses molles étreintes » (Ibid).

Ainsi, pour

garder le corps svelte, l’homme peut jeûner « en buvant de l’eau de Seltz », ou nager « des heures comme Biron », ou bien s’étouffer dans un corset comme Barbey » (Natta, 1993: 180). Cette quête du corps aminci a même été proposé au « militaire [pour qui] le refus de l’obésité [est non seulement] lié à un souci d’efficacité physique évident, mais aussi à une préoccupation esthétique » (Ibid.). Opposée à toute élégance, l’obésité n’a donc pas été « seulement une exigence esthétique » mais «une exigence morale, une ascèse qui tient le monde à distance au lieu de se l’incorporer avec cette goinfrerie qui est l’oubli du corps, du costume, des règles posées de retenue, de réserve, voire d’abstinence » (Montandon, 1993: 252). En cela, la maîtrise de la corpulence a traduit l’image d’une certaine maîtrise de soi1. Parfaire son apparence a donc été un moyen de composer son visage de telle manière qu’en tout temps, en tous lieux, et lors de toutes sortes de rencontres, il ne paraisse de l’âme 1

Georges Vigarello, Les métamorphoses du gras, Histoire de l´obésité du Moyen Age au XXe

siècle, Paris, Seuil, 2010.


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que les sentiments qui lui sont les plus favorables et les plus avantageux, (Cf. Montandon, 1993: 243). Ce culte de la beauté physique défendu entre autres par les dandys, a contribué à valoriser la beauté masculine. Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde en est l’illustration même. Non seulement ce texte donne une puissance certaine à la beauté physique, mais on peut y lire également les prémisses d’un glissement de la beauté de l’œuvre d’art à la beauté du corps. Comme si l’individu, promu au rang de créateur de sa propre apparence, pouvait devenir l’artiste de sa propre beauté. Comme si, en partie du moins, l’esthétique de jadis avait cédé la place à une culture de la beauté, à ce que nous pourrions appeler une beauté en culture.

Lord Henry, dans le

roman d’Oscar Wilde, en est le porte-parole : « je suis heureux que vous n’ayez jamais rien créé, jamais sculpté une statue, ni peint un tableau, ni produit quoi que ce soit hormis vous-même. La vie a été votre art. Vous vous êtes mis vous-même en musique. Vos jours sont des sonnets » (Wilde, 2009: 11). La beauté toute puissante mais éphémère Dans Le portrait de Dorian Gray, la laideur renvoie à la vieillesse et à la décrépitude alors qu’un rapport d’identité est établi entre beauté masculine, jeunesse et santé. Provoquant l’envoûtement, la séduction, la fascination, la beauté est également présentée comme moyen de la réussite de l’être. Elle est « une des formes du génie, la plus haute même, car elle n’a pas besoin d’être expliquée ; c’est un des faits absolus du monde, comme le soleil, le printemps, ou le


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reflet dans les eaux sombres de cette coquille d’argent que nous appelons la lune ; cela ne peut être discuté » (Ibid : 36), « elle fait des princes de ceux qui la possèdent » (Ibid.).

Inscrite dans la

temporalité existentielle, la beauté a certes toutes les qualités mais elle est éphémère. Dorian est beau. Pourtant ce qui fait signe pardelà cette fulgurance, c’est que son être en puissance est déjà un être en déclin ; que son être mortel appartient à la corruption propre

à

toute

temporalité

existentielle,

et

que

celle-ci,

inéluctablement, va opérer l’effacement de cet éclat au profit d’une toute autre apparition qui ne pourra être que fille de la laideur. Oui, un jour viendrait où sa face serait ridée et plissée, ses yeux creusés et sans couleur, la grâce de sa figure brisée et déformée. L’écarlate de ses lèvres passerait, comme se ternirait l’or de sa chevelure. La vie qui devait façonner son âme abîmerait son corps ; il deviendrait horrible, hideux, baroque... Comme il pensait à tout cela, une sensation aiguë de douleur le traversa comme une dague, et fit frissonner chacune des délicates fibres de son être... L’améthyste de ses yeux se fonça ; un brouillard de larmes les obscurcit... Il sentit qu’une main de glace se posait sur son cœur (Wilde, 2009: 11). Comment accepter qu’un jour ce visage, objet de fascination et d’admiration, ne puisse être que le vague reflet de ce qu’il fut jadis ? Comment accepter que les traits chiffonnés, froissés, fripés soient tressés telle une dentelle par les aiguilles du temps ?


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Oui, Mr Gray, les Dieux vous furent bons. Mais ce que les Dieux donnent, ils le reprennent vite. Vous n’avez que peu d’années à vivre

réellement,

parfaitement,

pleinement

;

votre

beauté

s’évanouira avec votre jeunesse, et vous découvrirez tout à coup qu’il n’est plus de triomphes pour vous et qu’il vous faudra vivre désormais sur ces menus triomphes que la mémoire du passé rendra plus amers que des défaites. Chaque mois vécu vous approche de quelque chose de terrible. Le temps est jaloux de vous, et guerroie contre vos lys et vos roses (Ibid: 36). Pour déjouer ce qui est inscrit dans la condition humaine, Dorian a souscrit à un pacte insensé, celui d’être semblable à cette œuvre d’art. Beauté et temporalité « Je suis jaloux de toute chose dont la beauté ne meurt pas. Je suis jaloux de mon portrait !... Pourquoi gardera-t-il ce que moi je perdrai. Chaque moment qui passe me prend quelque chose, et embellit ceci. Oh ! Si cela pouvait changer ! Si ce portrait pouvait vieillir ! Si je pouvais rester tel que je suis ! » (Ibid: 42). « Quel malheur qu’une telle beauté fût destinée à se faner ! » (Ibid: 55). Certes grâce au pacte, Dorian est resté jeune et beau, mais dans une temporalité vide de toute consistance. Il a vécu sans passé, sans avenir, figé dans l’instant, un instant dilué dans une absence de changement. Dorian a refusé d’avoir l’âge de ses rides, de ses rencontres, de tout ce qui l’a traversé et ainsi « toute sa construction, son évolution (…) [ont été comme]

arrêtées »


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(Carosella, Praden, 2010: 130). Dans son désir insensé de jeunesse, il s’est trompé en croyant « qu’une identité pouvait être figée » (Ibid: 132), car sans la responsabilité de ses actes, Dorian a perdu le sens de son existence. Il n’a pu résister au temps que « comme une œuvre d’art » (Marzano, Milon, 2005: 96). Ne pouvant pas vieillir, il est sorti « aussi de la vie et de ses aventures et (…) [est devenu] simple spectateur d’une vie qui ne lui appartient pas. Il a cru vivre mais en réalité la vie l’a traversé sans le toucher » (Ibid: 98). Ainsi figé dans le temps, Dorian est resté certes d’une superbe beauté, mais au prix d’une remise en question de son humanité dans laquelle tout échange sincère avec les autres s’est avéré impossible. D’une certaine manière, on pourrait dire que Dorian a voulu être éternel. Il a refusé non seulement tout ce qui est à venir, mais aussi tout passé, à tel point même, qu’il a souhaité gommer sa mémoire, cette « horrible maladie » qui lui dévorait l’âme et qui par « signe, trace, preuve » était venue défigurer le portrait

peint. La fin du

roman le confirme : […] il n’y avait qu’une preuve à relever contre lui. Cette preuve, c’était le portrait !... Il le détruirait ! Pourquoi l’avait-il gardé tant d’années ? Il s’était donné le plaisir de surveiller son changement et sa vieillesse. Depuis bien longtemps, il n’avait ressenti ce plaisir... Il le tenait éveillé la nuit... Quand il partait de chez lui, il était rempli de la terreur que d’autres yeux que les siens puissent le voir. Il avait apporté une tristesse mélancolique sur ses passions. Sa simple souvenance lui avait gâté bien des moments de joie. Il lui avait été comme une conscience. Oui, il avait été la Conscience... Il le détruirait !... (…). Comme il avait tué le peintre, il tuerait l’œuvre


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du peintre, et tout ce qu’elle signifiait... Il tuerait le passé, et quand ce passé serait mort, il serait libre !... Il tuerait le monstrueux portrait de son âme, et privé de ses hideux avertissements, il recouvrerait la paix (Wilde, 2009: 300). Si la seule mémoire de Dorian est celle qui s’est inscrite sur le tableau, alors ce tableau est précisément la seule mémoire qui lui fait défaut. On comprend alors pourquoi son dernier meurtre est celui de « sa » mémoire, c'est-à-dire de sa conscience inscrite dans la temporalité. Si Dorian a cru « pouvoir arrêter son vieillissement (…) [qu’ il a tout fait] pour éviter que le temps ne le marque (…) [paradoxalement]

en faisant cela, (…) [en croyant] s’abstraire du

temps, (…) [il a fini par] s’enfermer dans un monde sans épaisseur» (Marzano, Milon, 2005: 96). Pour ne pas

vieillir, ne pas

« être

victime d’une perte : perte de force, de beauté et (…) d’identité » (Durand-Le Guern, 2006: 209), il a préféré rester dans un temps qui l’a pétrifié. Somme toute, Dorian a choisi entre l’existence et l’essence. Exister et vieillir, donc devenir laid ou être toujours beau et enfermé dans une temporalité que rien ne peut traverser, telle une chose en-soi d’une fixité totale. Si Dorian a refusé de se confronter à la temporalité existentielle, c’est parce qu’il ne l’a pensée que selon le paramètre du travail destructeur du temps sur le vivant. Son existence n’a donc eu aucun sens. Sa vie s’est figée « dans une beauté extérieure complètement artificielle. (…). Ombre de lui-même, il n’a existé que par le reflet pervers que lui a renvoyé son portrait » (Marzano, Milon, 2005: 99). Finalement son « corps lisse abstrait quasi-désincarné » (Brohm, 2001: 15) n’a plus été qu’une « viande sans âme ni esprit » (Redeker, 2010: 28). Si son visage et son


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corps sont restés beaux, ils n’ont pas pour autant été de toute beauté. Beauté physique et beauté de l’âme Dans la Grèce antique, raisonner, débattre, se cultiver sont indissociables de la beauté physique. Le terme kalos kagathos, traduit que beauté physique et beauté de l’âme sont de la plus haute importance. Il renvoie le beau et le bon à un certain idéal qui implique la dimension esthétique, éthique et politique. Par contre, dans le roman d’Oscar Wilde la beauté physique trouve sa finalité en elle-même. Elle diffère en cela de l’Idée platonicienne du beau. Pour le philosophe la beauté du corps n’est que la première étape à partir de laquelle l’individu : doit considérer la beauté de l'âme comme bien plus relevée que celle du corps, de sorte qu'une âme belle, (…) [210c] suffise pour attirer son amour et ses soins, et pour qu'il se plaise à y enfanter les discours qui sont le plus propres à rendre la jeunesse meilleure. Par là il sera amené à considérer le beau dans les actions des hommes et dans les lois, et à voir que la beauté morale est partout de la même nature ; alors il apprendra à regarder la beauté physique comme peu de chose. De la sphère de l'action il devra passer à celle de l'intelligence et contempler la beauté des sciences ; ainsi [210d] arrivé à une vue plus étendue de la beauté, libre de l'esclavage et des étroites pensées du servile amant de la beauté de tel jeune garçon ou de tel homme ou de telle action particulière, lancé sur l'océan de la beauté, et tout entier à ce spectacle, il enfantera avec


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une inépuisable fécondité les pensées et les discours les plus magnifiques et les plus sublimes de la philosophie ; jusqu'à ce que, grandi et affermi dans ces régions supérieures, il n'aperçoive plus qu'une science, celle du beau (…). [210e]. Si le désir du beau corps est condition de possibilité de l’élévation de l’âme et qu’inversement la laideur est impossible sagesse, comment expliquer alors que Socrate ait pu être laid ? N’y aurait-il pas là contradiction ? Si la beauté éveille le désir de tendre vers la sagesse, il en est de même d’ «une âme [qui] équilibrée se trouve dans un corps de peu d’éclat, il (…) suffira [à l’amant] d’aimer cette âme » (Banquet 210 b). En ce sens, la laideur physique ou la disgrâce n’est pas un empêchement à la quête philosophique. Sans compter que comme l’écrit Goldschmidt « peut-être la laideur légendaire de son maître a-t-elle amené Platon à douter de la bonté de tout ce qui nous paraît beau et à libérer la divinité des images taillées où l’avaient attachée poètes et sculpteurs fondant la valeur sur l’apparence » (Goldschmidt, 1990: 67). Socrate est certes laid, c’est un personnage grotesque, semblable à un satyre aux traits grossiers, mais il n’en a pas moins pour autant une belle âme. Ajoutons également que si pour le philosophe, la simple laideur physique renvoyée à elle-même est négative, il en est de même de la beauté physique. Laideur et beauté dans le monde sensible sont identiques,

puisque « aussitôt que la fleur du corps se fane »

(Banquet 183e), la beauté devient laide. De plus, Platon énonce dans l’Hippias majeur que la beauté sensible parce qu’elle manque de permanence est laide comparée à la beauté divine. Il écrit : « l’espèce virginale, mise en comparaison avec l’espèce divine, ne


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sera-t-elle pas dans le même cas que l’espèce marmite comparée à l’espèce vierge ? Une telle comparaison ne fera-t-elle pas paraître laide, la vierge la plus belle ? (...) nous faudra-t-il lui accorder Hippias que la vierge la plus belle est laide par rapport à l’espèce des Dieux ? » (Hippias majeur, 288 a-b) La beauté d’ici-bas est donc bien peu de chose en comparaison de cette beauté de l’au-delà, ce qui confirme que la vraie beauté n’est en rien sensible, mais intelligible. De ce fait si le silène est doté d’une apparence laide, par contre il peut être riche d’une beauté divine. Le Banquet le confirme: « Comment donc concevoir dès lors, (...) l’état d’un homme qui aurait réussi à voir le beau en lui-même, dans son intégrité, dans sa pureté, sans mélange ; qui au lieu d’un beau que souillent des chairs, des couleurs humaines, une foule d’autres balivernes mortelles, serait au contraire capable d’apercevoir, en lui-même le beau divin dans l’unicité de sa nature formelle » (Banquet, 211 d-e. Ce que nous dit Platon dans ce passage est explicite. Toute beauté sensible est renvoyée au déclin, à la corruption, à la mort. Ainsi, si la laideur peut être laide c’est parce qu’elle échappe à toute dimension intellectuelle. Enfermée dans le monde sensible, elle ne peut être

saisie par l’intelligence, elle traduit un manque de

spiritualité. Elle est négation de toute trace de l’esprit. Ce qui justifie, comme l’énonce le Parménide (130 c-d), que toute Idée du laid soit impossible. Finalement, si la laideur de Socrate, est une petite chose sans importance, c’est parce que sa laideur appartient à l’apparence. Sans compter qu’elle peut même être considérée de manière plus positive que la beauté sensible, car elle ne risque pas de séduire et de faire ainsi écran à la quête de sagesse. La laideur


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de Socrate, en fin de compte ne pose pas problème dans la pensée platonicienne. Socrate a une apparence laide mais il n’est pas laid. Divorce entre Beauté physique et belle âme Si pour Platon un « homme vicieux, (…) [est un] amant populaire qui aime le corps plutôt que l’âme (…) [que] son amour ne saurait être de durée, puisqu’il aime une chose qui ne dure point (…) il n’en est pas ainsi de l’amant d’une belle âme : il reste fidèle toute la vie, car ce qu’il aime ne change point » (Banquet 183e). Il aime « la beauté éternelle, non engendrée et non périssable, exempte de décadence comme d'accroissement, qui n'est point belle dans telle partie et laide dans telle autre, belle seulement en tel temps, dans tel lieu, dans tel rapport, belle pour ceux-ci, laide pour ceux-là ; beauté qui n'a point de forme sensible, un visage, des mains, rien de corporel » (Banquet 211a).

Par contre dans le roman d’Oscar

Wilde, Lord Henry oppose la beauté physique et la pensée. Pour lui la beauté ne peut être liée à une profondeur d’âme, et ceci du fait que le développement des facultés intellectuelles risque

de

conduire à la laideur. La beauté, la réelle beauté finit où commence l’expression intellectuelle.

L’intellectualité

est

en

elle-même

un

mode

d’exagération, et détruit l’harmonie de n’importe quelle face. Au moment où l’on s’assoit pour penser, on devient tout nez, ou tout front, ou quelque chose d’horrible. Voyez les hommes ayant réussi dans une profession savante, combien ils sont parfaitement hideux! (…) Votre mystérieux jeune ami dont vous ne m’avez jamais dit le


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nom, mais dont le portrait me fascine réellement, n’a jamais pensé. Je suis sûr de cela. C’est une admirable créature sans cervelle qui pourrait toujours ici nous remplacer en hiver les fleurs absentes, et nous rafraîchir l’intelligence en été (Wilde, 2009: 11). Dorian n’a jamais pensé mais il est beau, Basil a tout de l’intellectuel, il ne peut être beau. Lord Henry le précise : « Voyez les hommes qui ont réussi dans une profession savante, combien ils sont parfaitement hideux » (Ibid: 11). De plus, la beauté du corps et celle de l’esprit ne s’inscrivent pas dans la même temporalité. Si l’une est éphémère, l’autre porte en elle-même une certaine durée. Il écrit : « C’est une triste chose à penser, mais on ne saurait douter que l’esprit dure plus longtemps que la beauté. Cela explique pourquoi nous prenons tant de peine à nous instruire. Nous avons besoin, pour la lutte effrayante de la vie, de quelque chose qui demeure, et nous nous emplissons l’esprit de ruines et de faits, dans l’espérance niaise de garder notre place. L’homme bien informé : voilà le moderne idéal » (Ibid: 22). Mais paradoxalement « le cerveau de cet homme bien informé est une chose étonnante. C’est comme la boutique d’un bric-à-brac, où l’on trouverait des monstres et... de la poussière, et toute chose cotée au-dessus de sa réelle valeur» (Ibid). En cela la beauté physique surpasse la pensée. « On dit parfois que la beauté n’est que superficielle, cela peut être, mais tout au moins elle est moins superficielle que la pensée » (Ibid: 36). Elle est « le vrai secret de l’existence » (Ibid: 71).

On assiste

dans cette approche non seulement à une valorisation de la beauté physique mais aussi à son absence de parenté avec la réflexion.


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Beauté et laideur morale D’autre part, si Dorian a fait le vœu de rester jeune, il a également souhaité que ses passions ne marquent pas sa belle apparence.

Il

avait énoncé le désir fou de rester jeune alors que vieillirait ce tableau... Ah ! Si sa beauté pouvait ne pas se ternir et qu’il fut donné à ce portrait peint sur cette toile de porter le poids de ses passions, de ses péchés ! Cette peinture ne pouvait-elle donc être marquée des lignes de souffrance et de doute, alors que lui-même garderait l’épanouissement délicat et la joliesse de son adolescence ! (Wilde, 2009: 127). Si la laideur physique est le signe du mal, la beauté physique n’est pourtant pas le signe du bien puisque qu’elle justifie de tout mettre en œuvre pour rester jeune et beau. « Il y avait des moments où il regardait simplement le Mal comme un mode nécessaire à la réalisation de son concept de la Beauté» (Ibid: 195).

Dans cette

approche, comme l’a développé Kofman, Dorian est l’anti-Socrate. Socrate est laid, mais il a une belle âme. Dorian est beau mais il a une âme laide. Son portrait en est la preuve du fait de « la turpitude et [de] la laideur (…) [de ses] traits » (Ibid: 189). En cela Dorian est l’incarnation même d’une simple beauté de l’apparence.

«Le

masque de sa beauté qui (à l’inverse de la laideur du silène socratique dissimulant une merveille intérieure) dérobe aux yeux de tous sa laideur interne, lui évite avec les « marques » du temps et du péché, des remarques qui risqueraient de le flétrir et d’entamer son infaillibilité » (Kofman, 1995: 26). Le temps qu’a duré le pacte, la beauté a été le signe de la laideur morale. Finalement, beauté et


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laideur physiques ont été chacune en puissance dans leur spécificité l’indice de l’immoralité, l’une a renvoyé à l’intériorité de l’être quand l’autre en a été sa plus belle représentation. Paraître, c’est être ou le discours des physiognomonistes Oscar Wilde écrit : Seuls « les gens bornés (…) ne jugent pas sur l’apparence » (Wilde, 2009: 36).

D’ailleurs, à la fin du roman,

Dorian a-t-il à peine transpercé la toile que tous ses vices ont enlaidi son corps. Le paraître est devenu le reflet de l’être intérieur. Le vœu de Dorian de rester jeune et beau en a seulement différé la révélation.

Cette

idée

renvoie

aux

pseudo-théories

des

physiognomonistes pour qui l’apparence est censée traduire l’être moral ou immoral du sujet. Le terme physiognomonie est de par son étymologie, l’interprétation d’une nature (physio renvoyant à phusis la nature, et gnome, la connaissance, l’explication). Elle est définie par Lavater comme « la science, la connaissance du rapport qui lie l´extérieur à l´intérieur, la surface visible à ce qu´elle couvre d´invisible » (Lavater J. K., 1979: 6). « Dans une acception étroite, écrit-il, on entend par physionomie, l´air, les traits du visage, et par physiognomonie la connaissance des traits du visage et de leur signification» (Ibid.). Bien avant Lavater et dès l’antiquité grecque, cette étude a séduit les philosophes, les médecins, les politiques, les écrivains, les artistes. Il est du reste possible de lire dans la Bible : « A la mine on reconnaît l´homme et à son abord, on reconnaît l ´homme réfléchi ; l´habit d´un homme, (…) le rire de ses dents et la démarche annoncent ce qu´il est » (L´Ecclésiaste, 19, 29/30). Ou encore « Le cœur de l´homme modèle son visage soit en bien soit en


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mal. A cœur en fête, gai visage » (L´Ecclésiaste, 13, 25/26). Mais il est rappelé aussi que la beauté ou la laideur du sujet ne traduit pas pour autant l’être du sujet : « Ne loue pas un homme pour sa beauté et ne prend personne en dégoût pour sa mine » (L ´Ecclésiaste, 11, 2).

Ces deux perspectives révèlent les deux

dimensions paradoxales qui se sont inscrites dans l’histoire des mentalités. D’une part, le désir en chaque homme de pouvoir identifier l’autre de par ses traits, de chercher dans le paraître le signe de l’être. D’autre part, la sagesse de refuser que « l’habit fasse le moine », et que le paraître soit l’équivalent de l’être. De ces deux perspectives, il semble toutefois que la première ait mobilisé la réflexion de l’homme à toutes les époques. Ainsi, dans ce qui a pu être le désir de connaître l’autre, s’est immiscé aussi celui de le décrypter. Toutefois ce qui a été novateur à partir du XVIIIe siècle, c’est la forme pseudo-scientifique qu’ont pris ces discours. En résumant l’individu à la somme de ses traits, la physiognomonie a eu la prétention d’ « élucider les vérités du visage humain » (Le Breton, 2003: 65) en réduisant l’homme à un simple tracé de son être. Ainsi donc la laideur physique a été le vêtement de la laideur morale, son allégorie même. La laideur physique a symbolisé l’être mauvais, une espèce de sous-être coupable et dangereux. Dans cet esprit, il a été défendu que la vertu est à la beauté ce que le vice est à la laideur. « Des dispositions moralement belles ont, en conséquence (...) des expressions belles» (Ibid: 50).

« Les mêmes

dispositions réitérées laissent par conséquent sur la figure des impressions de beauté permanente. Des dispositions moralement laides ont des expressions laides, si elles reviennent souvent et reparaissent toujours, elles laissent des impressions permanentes


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de laideur» (Ibid.). « La beauté et la laideur du visage sont en rapport juste et exact avec la beauté et la laideur de la nature morale de l´homme» (Ibid.). « Plus il y a de perfection morale, plus il y a de beauté » (Ibid.). « Plus il y a de corruption morale, plus il y a de laideur » (Ibid.). L’individu est donc responsable à part entière de sa laideur.

On retrouve cette conception dans le roman d’Oscar

Wilde. « Le vice s’inscrit lui-même sur la figure d’un homme. (…) Si un homme corrompu a un vice, il se montre de lui-même dans les lignes de sa bouche, l’abaissement de ses paupières ou même la forme de ses mains » (Wilde, 2009: 199). De plus, la dimension physiognomoniste est révélée non par le simple fait que le personnage du tableau vieillisse, mais par la conséquence des actes illicites qui laissent des traces sur le portrait peint. Ainsi « pour chaque péché qu’il commettrait, une tache s’ajouterait aux autres taches, recouvrant peu à peu sa beauté. » (Ibid: 128). En somme, l’enlaidissement du tableau est proportionnel à la dégradation de l’âme de Dorian et la laideur est le signe du péché. La fin du roman le confirme : « Gisant sur le plancher, était un homme mort, en habit de soirée, un poignard au cœur ! Son visage était flétri, ridé, repoussant. » (Ibid: 301) La laideur comme révélation de l’authenticité existentielle En prenant conscience que sa beauté l’a perdu, qu’à cause d’elle sa vie a été tachée, et que finalement sa beauté ne lui a été « qu’un masque, [et] sa jeunesse qu’une raillerie » (Ibid: 296), Dorian ne reconnait-il pas que la laideur détient une vérité existentielle ? « La laideur qu’il avait haïe parce qu’elle fait les choses réelles, lui


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devenait chère pour cette raison ; la laideur était la seule réalité» (Ibid: 248). On retrouve là une dimension importante défendue par de nombreux artistes contemporains : la laideur, loin d’être une laideur laide, est bien plutôt la révélation même de l’authenticité existentielle1.

Dorian en prend conscience : « le portrait (…)

possédait le secret de sa vie, en révélait l’histoire » (Ibid: 128). Il était la représentation même de sa conscience morale. Sa laideur traduisait « la déliquescence de son âme » (Ibid: 174). Telle « un des sept péchés capitaux» (Ibid: 260), elle lui était donnée à voir dans cette « hideuse figure » grimaçante. Plus réelle que la beauté de l’apparence qui n’avait été

qu’un masque, sa laideur

sous « la

turpitude (…) des traits » (Ibid: 189) semblable « à la lèpre du péché » (Ibid: 210) disait ce qu’il en était à présent de « la dégradation réelle de sa vie » (Ibid: 188). La philosophie de Dorian Gray

et la quête de la beauté

contemporaine Dans la philosophie de Dorian Gray, beauté et laideur physiques ont été renvoyées aux antipodes l’une de l’autre. beau.

Dorian en a été le paradigme.

Etre c’est être

Au risque de perdre son

identité, il a été traversé par tous les évènements d’une vie sans qu’ils ne viennent chiffonner cette belle apparence nécessaire à toute présentation de soi. Sans compter que si pour Dorian le seul âge qui a valu la peine d’être vécu a été l’adolescence, de ce fait, la vieillesse a été renvoyée

« au biologique, à l’entropie, à la

décrépitude » (Ibid. : 106). Ainsi la vieillesse a été « déspécifiée 1

Cf. entres autres les œuvres de George Grosz, Otto Dix, David Nébreda.


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quand la jeunesse » (Ibid.) s’est vu ontologisée. Serait-ce dire alors que le rapport de la beauté à la laideur est directement lié à certains âges de la vie ? Certes si la beauté « est tant aimée » (Ibid: 109) c’est bien parce qu’elle est ce moment suspendu, moment du tout est possible, illustration du virtuel, incitant tout un chacun à « se débarrasser de sa temporalité » (Ibid: 110). A notre époque d’ailleurs,

« la cosmétique, le culte du fitness, la diététique, le

viagra, la furie communicationnelle (Sur Facebook on ne meurt pas, sur Twitter on n’a pas le temps de trépasser) tous les artifices de la lutte contre le vieillissement » (Ibid: 116) en sont les signes.

En

dernier lieu, notons que si hors du temps, Dorian a traversé l’existence mais qu’elle ne l’a pas conduit à se réaliser, qu’hors de toute inscription dans la temporalité son histoire a été sans trace, sans marque, l’écueil pour l’individu qui considère la beauté en terme de finalité (Cf. Quéval : 2008), ne serait-il pas celui qui conduit à ne se recentrer que sur son corps et à ignorer tout ce qui l’entoure, au point de devenir

« un univers auto-suffisant »

(Redeker, 2010: 119) en ne faisant partie que

de cette « foule

innombrable d’hommes (…) qui tournent sans repos sur euxmêmes, pour ne se procurer que de petits et vulgaires plaisirs » (Tocqueville, 1986: 434) ? Conclusion : beauté et laideur La beauté et la laideur sont présentées dans ce texte comme indices potentiels de l’immoralité. Si la beauté peut être le signe du vice, la laideur en est sa plus belle représentation. Dans cette approche la beauté n’est pas le signe du bien, elle est fascinante, envoutante


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mais ô combien

dangereuse quand elle fait alliance à une

philosophie hédoniste pleine d’hubris. Elle n’est pas comme dans la philosophie

platonicienne

condition

de

possibilité

permettant

d’accéder à la sagesse. Elle n’est pas non plus la représentation visible de la vertu comme l’ont défendu les physiognomonistes au travers de leurs pseudo-théories. Quant à la laideur physique,

si elle est parente de la réflexion,

relative au vieillissement et allégorie du mal, elle est plus que cela : elle est révélatrice d’une certaine authenticité existentielle.

Claudine Sagaert

Claudine Sagaert est enseignante en philosophie à l’Université de Lettres et Sciences Humaines, Toulon-Var, Laboratoire Babel-EA 2649, équipe « Femmes et genre » axe S.H.S et médecine. Ses domaines de recherche sont une approche pluridisciplinaire de la question du corps (philosophie, anthropologie, sociologie) et plus particulièrement de la beauté et de la laideur dans leurs rapports politiques, sociaux, culturels et artistiques. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles.


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7 – Bibliographie Oscar Wilde en Amérique Par David Rose et Danielle Guérin-Rose

Auteur

Œuvre

Editeur

Jim Bartley

Stephen and Mr Blizzard Publishing Wilde (pièce) 1994

Mary Warner Blanchard:

Oscar Wilde’s New Haven: Yale America: University Press 1998. Counterculture in the Gilded Age.

Emmett Dedmon

‘Wilde in Chicago’ in Fabulous

London: Hamish Hamilton 1953

Couverture


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François DupuigrenetDesroussilles

Chicago Oscar Wilde en Amérique: Les Interviews

Paris: Bartillat 2016

Louis Edwards

Oscar Wilde Discovers America.

New York: Scribner 2003.

Alexander Eilers

Im Auftrag der Schönheit: Oscar Wildes AmerikaTournee.

Heidelberg: 2008.

Richard Ellmann

Wilde in New York New York Times Book Review 1er Novembre 1987. Oscar Meets Walt New York Review of [Whitman] Books 3rd December 1987.

Leibfried


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Chatham Ewing

‘American Wildes’ in Carolyn Dever & others (eds): Reading Wilde / Querying Spaces.

New York: Library 1995.

Alicia Finkel.

‘A Tale of Lilies, Sunflowers & Kneebreeches: Oscar Wilde’s Wardrobe for his American Tour’. 'The Paradise for Women': How Oscar Wilde was embraced by the Women of America. Oscar Wilde in America – The invention of modern celebrity

Dress 15, 1989

‘Posters & Posing, Oscar Wilde in America in 1882’. ‘Oscar Wilde in Louisville’,

The Wildean Janvier 2007.

Eleanor Fitzsimons

David M. Friedman

Nick Frigo

William Habich

Fales

Comparative American Studies: An International Journal, Volume 13, Août 2016. W. W. Norton & Company – Février 2015

The Louisvillian Octobre 1957.

30,


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Matthew Hofer & Gary Scharnhorst

Oscar Wilde in America: The Interviews

Chicago: University of Illinois Press 2013.

John Wyse Jackson

Oscar Wilde in St Louis. Two days in the life of the first international celebrity

St Louis: Missouri Botanical Garden & the University of Missouri-St Louis 2013.

Lloyd Lewis & Oscar Wilde Henry Justin Discovers Smith: America 1882.

New York: Harcourt, Brace 1936.

Oscar Wilde Discovers America 1882.

New York: Benjamin Blom 1967.

Oscar Wilde and Williamsburg: A Study.

The Society for the Preservation of NineteenthSignificant Monographs Series No. 1. Williamsburg Century Williamsburg 1978

Terry L. Meyers


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Roy Morris, Jr

Declaring His Genius, Oscar Wilde in North America.

Cambridge, Mass: The Belknap Press of Harvard University Press 2013.

Kevin O’Brien

An Edition of Oscar Wilde’s American Lectures’ “The House Beautiful”: A Reconstruction of Oscar Wilde’s American Tour’. Wilde about America

University of Notre Dame Ph.D. thesis 1973.

Fergal O’Byrne

Michael J. O’Neill

Robert D. Pepper J.G. Ravin Lois Foster Rodecape

Victorian Studies 17, 1974.

Pièce non éditée, jouée par la Pink Panda Company, Dublin , Bewley’s Café/ The Crypt, Dublin Castle Juillet 1994. ‘Irish Poets of the Conférence non éditée. Nineteenth Notes sur un discours century’ d’Oscar Wilde à San Francisco - University Review, Dublin 1 : 4, 1955. ‘San José Greets San José Studies 8 : 2, Oscar Wilde: April 1982 3rd 1882’ ‘Oscar Wilde in Ohio Med. 83 : 4 Avril Ohio’ 1987 Oscar Wilde in California Historical San Francisco Society Quarterly Juillet 1940.


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Walter Satterthwait

Wilde West (roman)

Walter Satterthwait

Le crime d’Oscar Paris: Editions Wilde (traduction Masque 1995 française)

Elizabeth Shafer

‘The Wild Wild West of Oscar Wilde’ ‘The first counterculture celebrity: Oscar Wilde's 1882 North American Tour’

Montana Magazine of Western History 20 : 2, 1970. CreateSpace Independent Publishing Platform 2011

‘Wilde in America’, Chapter IX of The Life of Oscar Wilde. ‘Oscar Makes a Call’ [Whitman]. Wilde’s Progress Down East’. ‘First Encounters’ [la rencontre entre Wilde et Whitman] Oscar Wilde in

London: T. Werner Laurie 1906.

Joy Shannon.

Robert Harborough Sherard R.G. Silver Rose Snider Edward et Nancy Sorel

A.J.A. Symons

London: Fontana 1993

du

Colophon 20, 1935. New England Quarterly 13 1940. The Atlantic 263 May 1889

London: Cassell 1969


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America’ dans Julian Symons (ed.): Essays and Biographies. Karen Tipper A Dickens of a Wilde Paper: A Comparison and Contrast of their Respective Tours of America Thomas Convergence of Vranken Wilde and Mark Twain James P. Walsh Oscar Does Leadville Michael Mickle Street Whistler (pièce) (un après-midi à Camden, chez Walt Whitman) L. Wimberley

Consulter

Wilde meets Woodberry aussi

le

http://www.oscarwildeinamerica.org/

The Wildean 26 Janvier 2005.

The Wildean 45, Juillet 2014. The Oscholars, Décembre 2016. Walnut Street Theatre Philadelphie – mars 2015

Prairie Schooner 1947.

site :

Oscar

Wilde

in

America

:


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8 - Un manuscrit enluminé inspiré du conte Le Géant égoïste d’Oscar Wilde Par Juliette Frelon C’est après deux années d’étude à l’unique école d’enluminure européenne, l’Institut Supérieur Européen de l’Enluminure et du Manuscrit (ISEEM) à Angers, que l’on obtient le titre « Enlumineur de France ». Pour obtenir le diplôme en fin de deuxième année, un « chef-d’œuvre » enluminé doit être présenté devant un jury d’experts. Le sujet du chef-d’œuvre est laissé au choix de l’apprenti qui travaille seul sur son manuscrit pendant treize mois. Le texte choisi est analysé sous tous ses aspects techniques et symboliques, car l’enluminure, image médiévale par excellence, est indissociable de l’histoire morale que le livre raconte. Avec le présent article j’aimerais vous faire découvrir la magie de l’enluminure à travers quelques images de mon manuscrit. Détail en bas de la page de Titre


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Une reliure d’inspiration médiévale Le motif central du plat de couverture représente un yin yang, un « contraste harmonisé » du chaud-froid, de la lumière et des ténèbres ou encore du bon et du mal. Il s’agit de deux arbres stylisés et cisaillés dans le cuir de couleur gris clair. L’arbre supérieur est en fleur, et l’arbre inférieur est dénudé. Pour que l’une des forces prenne le dessus, il suffit de faire « basculer » le yin yang.

Reliure en cuir du chef-d’œuvre

Le

yin yang symbolise donc le geste que le héros devra effectuer

pour retourner la situation et se délivrer de son égoïsme. Pour symboliser l’isolement du Géant, brisé par la prise de conscience de son égoïsme, j’ai choisi la couleur du cuir blanc gris pour évoquer le froid, la neige et la glace et en opposition la couleur vert sombre


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tirant vers le noir. Les cabochons ronds sont ornés d’entrelacs celtiques pour rappeler au lecteur l’origine irlandaise de l’auteur et pour former une transition entre la reliure et la première période de style insulaire (VIème - début IXème). Le fermoir du manuscrit est en forme de plume de paon, comme celle que le Géant porte à son chapeau dans les illustrations. Le fermoir en argent et le palladium matérialisent le froid dans le manuscrit tout comme la feuille d’or matérialise le chaud. Symbolique des enluminures Le frontispice (1) : La représentation du frontispice est purement symbolique. Elle résume la trame de l’histoire et son dénouement. Le temps chronologique et le temps météorologique jouent un grand rôle dans ce conte. Oscar Wilde se sert du temps météorologique pour refléter l'état d'âme du Géant. Il nous laisse entrevoir le cheminement intérieur du Géant qui avec le temps et l’âge prend conscience

que

son

isolement

et

son

désespoir

sont

des

conséquences de son égoïsme. L'Hiver symbolise le froid intérieur : le refus de se remettre en question. Le Printemps représente le renouveau, l'espoir et le changement vers une vie meilleure. Le temps chronologique, symbolisé par le sablier de style gothique est -comme dans toute vie- le fil conducteur de ce conte. Dans le frontispice, il s'agit donc de la vie intérieure du Géant qui -avec le temps qui passe- se rend compte de ses erreurs et change de comportement. Le temps qui passe est donc essentiel à la


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compréhension de soi, car comme on dit couramment, « c'est en grandissant avec le temps que l'on apprend ». Représenté en style insulaire, on devine le Géant, grâce à son chapeau emplumé et ses larges mains, prêtes à agripper le sablier. La plume est une plume de paon stylisée, car ce bel oiseau est le symbole de l’orgueil et de l’égoïsme. Outre le temps qui passe, le sablier qui enferme le château du Géant évoque notamment l’isolement de celui-ci durant le temps hivernal et l’impossibilité d’en sortir sans autre issue que le repentir. Comme dans la symbolique de la reliure, c'est uniquement au Géant de faire le pas pour changer, c'est à dire, que c'est à lui de choisir de retourner le sablier, de faire l'acte qui changera sa vie.

Frontispice (1)

Dans la partie supérieure du sablier on voit l'hiver, des stalactites et des flocons de neige ; dans la partie inférieure, on aperçoit le


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château

du

Géant

saupoudré

par

la

neige

qui

tombe

inlassablement. Représenté à plusieurs reprises tout au long du chef-d’œuvre apparaît le dragon (de style gothique). Il est pour l’homme médiéval un symbole du mal, du pêché et, dans le cas présent, de l’égoïsme du Géant. Le dragon est d’un bleu indigo froid pour rappeler le froid intérieur.

Au centre de la pleine-page de style insulaire (2) on voit le Géant Egoïste enserré par un dragon. D’un signe de la main, le Géant indique aux enfants de quitter son jardin. Le pigment de couleur malachite pâle entoure le Géant et le fond uniforme signale l’isolement à venir.

Pleine page insulaire (2)

Dans la partie supérieure de l’enluminure on distingue à droite le château du Géant qui est inspiré de la forteresse d’Eltz en Allemagne.


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Dans la partie inférieure de la pleine-page on y retrouve les enfants affolés qui s’enfuient en direction du cadre ou se cachent derrière les deux grands G rouges du mot « Géant ». Entre les deux G, un arbre symbolise le jardin. En outre, l’arbre joue un rôle essentiel pour le dénouement du conte. Les motifs caractéristiques de l’influence celtique tel l’entrelacs, le labyrinthe ou encore la spirale remplissent la pleine-page. Le cadre est orné de lettres runiques qui reprennent la phrase du conte en anglais : Que faites-vous ici ? gronda-t-il d’une voix sévère et les enfants s’enfuirent. Pleine-page romane (3)

Détails du décor et de la calligraphie insulaire


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L’enluminure de style roman (3) représente le château du Géant qui est habité par les quatre attributs de l’hiver : La Neige, le Vent du Nord, le Gel et la Grêle. Chaque allégorie de l’Hiver s’acharne sur l’arbre au centre de l’illustration. La Neige dépose des flocons de neige à l’aide de son grand manteau blanc tandis que le Vent du Nord souffle vigoureusement ses rafales glacées. Le Gel, plus discret, peint les branches des arbres argenté pendant que la Grêle bruyante et destructrice tambourine inlassablement dans le jardin. Du haut de sa tour, le Géant porte un regard inquiet sur son petit monde plongé dans une tristesse glaciale. En haut à droite du Géant on aperçoit un arbre printanier et à sa gauche un arbre caduque, ces deux scènes indiquent qu’une année entière passe sans que l’hiver quitte le château. Si l’on observe bien la pleine-page, on peut discerner plusieurs animaux : Le lapin à gauche de l’arbre et l’oiseau bleu sur le rebord de la fenêtre du Géant semblent frigorifiés. Dans les deux scènes du haut de pages se cachent un faon et un écureuil.


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Détails du décor et de la calligraphie romane

L’enluminure de la période de transition (4) illustre le dénouement de l’histoire en six médaillons. La mise en page est inspirée de la Bible moralisée de Saint Louis. L’enluminure est mise en valeur grâce à la feuille d’or et aux reliefs créés par la colle de poisson.

Pleine-page transition (4)

J’ai

absolument

voulu

insérer dans

mon scène

chefque

d’œuvre une l’on

appelle


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une drôlerie ou grotesque. La drôlerie est un type d'enluminure décorative que l’on trouve en marge des manuscrits.

Ma drôlerie (5) montre deux enfants sur le dos d’un escargot, l’un des enfants tire avec des Drôlerie (5) « flèches

d’amour » tombe

à

en

direction du dragon, qui,

touché,

la

renverse. Cette illustration

indique que c’est grâce à la

charité de l’enfant que le Géant s’est libéré de son égoïsme. L’escargot rappelle la lenteur, le temps qu’il a fallu au Géant pour comprendre sa faute. Au moyen-âge l’escargot était souvent représenté dans les marges des manuscrits comme symbole du Christ, celui-ci ayant ressuscité des morts et l’escargot sortant de sa coquille après la pluie.


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Une miniature de style gothique (6) illustre la scène finale et la marge florale présente les différentes étapes de l’état d’âme et les émotions que le Géant traverse tout au long de l’histoire.

Miniature gothique (6)

Pour lire la marge (7), il faut commencer par le coin droit du bas de page : Un bout de paysage représente le début du conte, en conséquence le lieu du conflit, donc le jardin du Géant. L’un des trois arbres, le pommier, rappelle le péché originel. Une hirondelle et une cigogne survolent le jardin, tandis qu’un paon se tient en dessous d’eux. L’hirondelle, symbole du mauvais présage semble vouloir s’enfuir vers l’extérieur du cadre. La cigogne est un oiseau de bon augure et un symbole de la résurrection. Elle tourne sa tête en direction de la miniature, car elle prédit la bonne fin du conte. Le paon, l’égoïsme, marche vers le début les feuilles d’acanthes.


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Marge florale (7)

L’enfant à côté de chaque fleur soutient le Géant à travers son chemin de vie. Dans le coin gauche du bas, le nénuphar (7) symbolise l’épanouissement de l’enfant au long de sa vie matérielle et spirituelle. Il incite aux bavardages, dans le langage des fleurs, il dit Racontez-moi une belle histoire . Dans le sens de lecture : La tulipe (7) représente l’orgueil et la magnificence ; le narcisse (7/8) l’égoïsme, la vanité voire le dédain. Le narcisse blanc dit Vous n’avez pas de cœur. Plus loin dans l’histoire lorsque le jardin est sous l’emprise de l’Hiver, le souci (8) exprime l’inquiétude du Géant et son chagrin. Le chardon (8) incarne son

déplaisir

l’austérité.

Au-dessus

chardon,

les deux

perce-neige

(8)

l’espoir

rappellent

le

et

héros

et du

figurent que

traverse

l’épreuve de

toute existence.

La

pâquerette

est

une

(9)

fleur enfantine,


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elle rappelle l’innocence de l’enfance, l’exemple parfait de la pureté que le Géant doit atteindre pour gagner son bonheur éternel. Le lys (9) annonce la bonne nouvelle, il est symbole de paix et de pureté. Plus le Géant vieillit, plus il est en paix. Le laurier (9) représente la gloire et l’immortalité du Géant au paradis. Le laurier dit : Mon bonheur est parfait

Marge florale (9)

Le hibou (9) perché sur la miniature

est

personnification

une de

la


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sagesse acquise et les papillons sont l’esprit du Géant qui s’envole au royaume des cieux.

Quelques réflexions personnelles sur le choix du conte d’Oscar Wilde Française née à Berlin en 1994, j’ai été très tôt passionnée par le dessin, les livres et plus particulièrement les contes. C’est donc dès le plus jeune âge - avant même de savoir lire - que je découvris les contes d’Oscar Wilde.

Celui du Géant Egoïste se différenciait

fortement des autres contes traditionnels comme ceux de Grimm ou de Perrault et c’est sans doute la raison pour laquelle, enfant, je l’écoutais en boucle tant il me plaisait, mais sans en percevoir le sens profond. Ce fut des années plus tard, en 2015, au moment de choisir un sujet de chef-d’œuvre que je redécouvris mon conte favori. Bien qu’il se termine par la mort du héros, Oscar Wilde laisse envisager que grâce à son repentir et à son amour pour l’enfant, le Géant gagne le ciel et le bonheur éternel. Je ne connaissais du dandy que

sa

renommée

tumultueuse, et cette morale me surprit.


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C’est en approfondissant mes connaissances que j’ai découvert l’influence de la religion sur certaines de ses œuvres et qu’il avait une femme et deux enfants qu’il chérissait. C’est avec ces nouvelles informations que j’en suis venue à me demander (même si le conte parut en mai 1888 dans le recueil « Le Prince Heureux et autres contes, à une époque où la vie d’Oscar

Lettre Y filigranée à la feuille d’or et au bleu outremer

Wilde n’était pas encore scandaleuse) si Le Géant égoïste ne renfermait

pas

quelques

traits

de

Wilde

lui-même.

Cette

interrogation me conforta dans ma motivation pour réaliser ce projet. Le Géant pourrait-il être Oscar Wilde lui-même ? Avant de le mettre par écrit, Wilde a commencé par raconter Le Géant égoïste à ses enfants. Mme Wilde, Constance Lloyd, rapporte que son mari avait les larmes aux yeux après avoir conté son histoire et que, pour justifier son émotion, il disait que les belles fins le faisaient toujours pleurer. En choisissant de se personnifier sous l’aspect d’un géant, Wilde aurait-il voulu avouer son défaut, l’égoïsme, au public ? Y a-t-il dans ce conte une sorte de prémonition du destin qui l’attend ? La longue absence citée au début du conte, 7 années d'absence passées auprès de son ami l'ogre de Cornouailles, pourrait alors être interprétée comme l'absence du père dans la famille Wilde lorsqu’il


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vivait sa double vie. On sait que sa liaison avec le jeune Lord Alfred Douglas, et la persécution du père de son amant, le marquis de Queensberry, qui l’accusa de « poser au so(m)domite » emmena Wilde devant la justice où il fut condamné pour « outrage aux mœurs » à deux ans de travaux forcés. La brisure du lien avec sa famille et l’emprisonnement peut être comparé à la longue année hivernale que le Géant Egoïste passe enfermé dans son château, séparé du monde extérieur par le haut mur qu’il a construit de ses mains. Pendant que l'Hiver règne dans le jardin du Géant, celui-ci ne sort plus de chez lui. « Je ne parviens pas à comprendre pourquoi le printemps est si tardif », dit le Géant, accoudé à sa fenêtre pour contempler son jardin froid et blanc. « J’espère que le temps va changer. » Il est possible d’associer ce passage du texte à la vie de Wilde en prison et à son isolement, car le château du Géant ne lui offre plus aucune possibilité de bonheur, le Printemps y étant désormais interdit. « Wilde présente ses contes comme le sentiment d’une foi perdue. Les personnages sont conduits à se connaître eux-mêmes, et c’est la laideur et la souffrance qu’ils découvrent » (Richard Ellmann) A la fin du conte le Géant réalise que l’enfant qui l’avait délivré de son égoïsme n’est autre que le Christ. Oscar Wilde apporte une


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particularité originale en présentant un enfant (ange ou Jésus) portant déjà les stigmates du supplice de Jésus adulte. Peut-on y voir à nouveau un parallèle ? L’auteur sort de prison en 1897 et s'exclame à plusieurs reprises « Que le monde est beau », ce que ses amis lui reprochent puisqu'il serait préférable de se faire discret. A la suite de son séjour en prison, il souhaite épouser le catholicisme. C’est sur son lit de mort que l’auteur réalise sa conversion spirituelle. Tout comme le Géant qui désirait tant revoir l’enfant qui l’avait sauvé et qui ne put le retrouver qu’au moment de mourir. Coïncidence, providence ou destin ? Que Wilde ait mis beaucoup de lui-même dans le personnage du géant, nous ne pouvons que l’imaginer, mais nous ne cesserons de le remercier pour son œuvre et tout particulièrement pour la beauté et l’émotion de ce conte, qui plus d’un siècle après sa composition, reste une magnifique une source d’inspiration.


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Dernières pages du manuscrit enluminé

Juliette Frelon


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9 – Mad Scarlet Music Oscar Wilde et l’opéra Compte-rendu de la conférence donnée par Emmanuel Reibel, au Petit Palais, samedi 7 janvier 2017, 16 h.

Par Tine Englebert En marge de son exposition sur Oscar Wilde, le Petit Palais a offert au public une série de conférences en lien avec l’auteur irlandais. Le samedi 7 janvier 2017, Emmanuel Reibel, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, traitait du sujet suivant : Oscar Wilde et l’opéra. Ce librettiste, musicologue et professeur à l’Université Lyon 2 a donné devant un auditorium bien rempli une conférence illustrée de nombreuses photos, de clips DVD, et enrichie d’un extrait live d’un nouvel opéra.


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Reibel a souligné l’importance de l’opéra dans l’œuvre et la vie d’Oscar Wilde et son impact sur la création des nouveaux opéras. La conférence a commencé par un extrait du Portrait de Dorian Gray et a pris fin par un extrait de l’opéra Dorian Gray, donné en avantpremière. La fascination exercée par l’opéra est exprimée dans The Picture of Dorian Gray par une allusion à la soprano Adelina Patti (1843-1919) dont la notoriété se résume à la notation “Patti sang divinely.” En 1882 Wilde a fait sensation en Amérique; là, le jeune poète a rencontré et écouté la diva, rencontre relatée à l’époque par la presse américaine. On trouve d’ailleurs plusieurs traces d’opéra dans l’œuvre de Wilde.

Adelina Patti

Parallèlement, l’auteur lui-même est apparu dans des œuvres lyriques, comme le démontra Emmanuel Reibel, qui se concentra d’abord sur les œuvres inspirées par le personnage de Wilde, en particulier Patience de Gilbert et Sullivan, puis l’opéra Oscar du compositeur américain Theodore Morrison.


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George Grossmith dans le rôle de Bunthorne

C’est justement l’opéra-comique Patience (première à Londres, le 23 avril 1881) de Gilbert et Sullivan, qui amena Oscar Wilde en Amérique sur les instances de l’impresario Richard D’Oyly Carte. Patience est une parodie de l’esthétisme. Selon Reibel, la presse a rapidement lié le poète Bunthorne, présenté comme un personnage ridicule, à Oscar Wilde. Mais on peut aussi considérer que la satanisation d’Oscar Wilde à travers la figure de Bunthorne provient d’un malentendu populaire. Selon certains spécialistes de W.S. Gilbert, Bunthorne est inspiré par plusieurs figures de l’esthétisme, en particulier par Algernon Charles Swinburne et Dante Gabriel Rossetti, qui étaient considérablement plus célèbres que Wilde au printemps de 1881, Wilde n’ayant publié son premier volume de poésie qu’en juin 1881. Il s’agirait donc d’une identification à posteriori, plus ou moins erronée. Dans Oscar, l’opéra de Theodore Morrison, (première à Santa Fe, le 27 juillet 2013; version révisée à Philadelphie, le 6 février 2015),


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Wilde est présenté comme héros et martyr d’un combat libertaire. Composé après une lecture de la biographie de Richard Ellmann et des lettres d’Oscar Wilde, cet opéra se concentre sur les procès et la vie en prison. Morrison avait choisi la voix d’un contre-ténor pour incarner Oscar Wilde et témoigner de sa sexualité.

Oscar et Bosie dans Oscar de Morrison (David Daniels et Reed Luplau) https://www.youtube.com/watch? v=qUIruFDj0V0&list=PLpbhbGwbWvNIaYbGhn73m11ZYsKsQzS9-

Plus intéressantes sont les adaptations des œuvres de Wilde à l’opéra:

elles

constituent

un

dialogue

passionnant

entre

la

littérature et l’opéra. Les œuvres d’Oscar Wilde sont douées d’une grande musicalité. Le meilleur exemple en est The Importance of Being Earnest qui, si l’on en croit Auden, est « le seul opéra verbal de toute la littérature anglaise ». Wilde lui-même écrivait de Salomé: “Les phrases récurrentes de Salomé, qui l’unissent ainsi que les motifs une œuvre musicale, sont, et étaient pour moi, l’équivalent artistique des refrains des vieilles ballades.” Tous les personnages dans Salomé sont caractérisés par leur voix, par exemple le page.


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C’est sur cette œuvre que Reibel s’attarde en mentionnant deux adaptations de Salomé : les opéras de Richard Strauss (1905) et d’Antoine Mariotte (1908) mais en délaissant assez vite le second. Il s’intéresse tout particulièrement à la célèbre danse des sept voiles dont la musique si fameuse constitue le point culminant de l'opéra. Le contenu visuel de cette scène a varié considérablement selon les notions esthétiques du metteur en scène, du chorégraphe, et de la soprano. Reibel fait alors référence au parfum oriental qui s’exhale de la danse de Salomé, comme dans la valse viennoise. Ce qui l’entraine à évoquer la Vienne du début du XXe siècle et la psychoanalyse freudienne. Dans le premier extrait diffusé (DVD Opus Arte, Royal Opera House, direction musicale Philippe Jordan, mise en scène David McVicar), Hérodes vêt Salomé d’une robe de bal et ensemble ils dansent une valse viennoise. Salomé, interprétée par Nadja Michael, est à la fois innocente, sensuelle et violente.


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Même si le public a apprécié la conférence, on peut regretter qu’en s’en tenant aux opéras les plus connus, Reibel soit resté dans des sentiers battus. Oscar Wilde et l’opéra est un sujet qui ne se borne pas à une dizaine d’adaptations inspirées par son œuvre. Plusieurs opéras précieux sont restés ignorés. Heureusement, divers fragments peuvent être écoutés sur youtube. On y trouve, par exemple, les adaptations du Portrait de Dorian Gray par le Néerlandais Hans Kox en 1974, des compositeurs américains Lowell Liebermann (dont l’opéra, dédié à la Princesse Caroline de Monaco, fut créé à l'Opéra de Monte-Carlo en 1996), et Jeffrey Brody en 2011, de la Slovaque Ľubica Čekovská et du Danois Thomas Agerfeldt Olesen en 2013. Il existe de nombreux opéras pour enfants. Sur youtube on peut découvrir O egoistis gigantas – Le géant égoïste (2000) de Nikos Xanthoulis et Il gigante egoista (2005) de Sergio Monterisi. On pourrait ajouter à cette liste d’opéras inspirés d’Oscar Wilde The Nightingale and the Rose – Le rossignol et la Rose (2006) d’Oliver Rudland, Das Sternenkind – L’enfant étoile (2007) de Hans-André Stamm et Das Gespenst von Canterville – Le fantôme de Canterville (2013) de Marius Felix Lange. En outre, de très nombreuses œuvres musicales sont inspirées par les textes de Wilde. Sa chute et le retentissement de ses procès ont suscité un intérêt toujours croissant pour l’homme et pour son œuvre. L’adaptation de Salomé à l’opéra par Richard Strauss en 1905 a lancé la vogue des adaptions musicales des textes de Wilde. Non seulement des opéras mais aussi des ballets, des comédies musicales, des cycles de


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chansons, musique de scène et d’autres compositions ont trouvé leur inspiration chez Wilde. Malgré ces manques, nous pouvons nous réjouir que la conférence ‘Oscar Wilde et l'opéra’, ait mis en lumière l'importance de Wilde pour la création d'œuvres musicales. Ne serait-ce que pour cela, les organisateurs de la conférence et le professeur Reibel, méritent toute notre gratitude. Tine Englebert

La soprano colorature Diane Fourès et le contre-ténor Guillaume Hervé réinterprètent Le Portrait de Dorian Gray en opéra contemporain signé Mariana Ungureanu. (Auditorium du Petit Palais – 7 janvier 2017)


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10 - Dorian Gray – A Quest for Eternal Youth, Un opéra de Mariana Ungureanu (musique) et Emmanuel Reibel (livret). Texte anglais: Naomi Toth.

Interview de la compositrice par Adrien Alix Le premier opéra français basé sur Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde sera créé à Paris les 23 et 24 juin à l’Auditorium Maurice Ohana du Conservatoire du 15ème arrondissement. Avis aux amateurs de l’œuvre de Wilde et de l’opéra d’aujourd’hui !

Photo Martin Lucas

Adrien Alix : Comment vous est venue l’idée de composer un opéra à partir du Portrait de Dorian Gray ? Mariana Ungureanu : Ce projet a pris naissance il y a six ans. C’était une commande de Jean-Louis Vicart, alors directeur de


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l’auditorium Saint-Germain. Je connaissais déjà Emmanuel Reibel qui était depuis quelques années mon collègue aux Conservatoires de la Ville de Paris. Quand, il y a une dizaine d’années, j’avais voulu faire une pièce de théâtre musical, je lui avais demandé s’il ne voulait pas faire le livret, il avait alors accepté et ce spectacle avait rencontré un certain succès. Suite à la proposition de M. Vicart, nous avons réfléchi ensemble à un sujet, et choisir Le Portrait de Dorian Gray nous a semblé à tous deux un défi intéressant à relever. Le résultat du travail d’Emmanuel a été un livret très dynamique. Il est élagué par-rapport au texte de Wilde ; on s’est concentrés sur quelques personnages essentiels. A. A. : Vous avez donc retenu quatre personnages, et donc quatre chanteurs. Pouvez-vous commenter le choix de la distribution des voix ? M. U. : Dorian Gray, c’est un Narcisse, il devient un Narcisse ; il est jeune et beau, peut-être même naïf au début. Perverti ensuite par Harry, il commence sa descente aux enfers, descente basée sur le pacte qu’il noue de façon inconsciente avec le destin, en souhaitant de rester jeune. C’était difficile de trouver plus beau qu’une voix de contreténor pour ce personnage : la jeunesse va avec une voix relativement aigüe. Cela permet aussi de créer du contraste avec le timbre des autres personnages et de ne pas avoir deux ténors. Basil est un baryton, Lord Harry est un ténor, Sybil, la jeune première, une soprano coloratura. A. A. : Que recherchez-vous en composant pour la scène ? M. U. : Pour moi, la musique est une dramaturgie dans le temps et l’opéra

permet

des

croisements

très

intéressants

entre

la

dramaturgie de la musique et celle du texte. A cela s’ajoutent au


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moment de la production les points de vue du metteur en scène et du scénographe. L’œuvre scénique est en fin de compte d’une grande richesse conceptuelle. Ce qui me plait dans la musique conçue pour la scène, c’est le fait qu’elle est une « force agissante », comme disait Kurt Weil. Elle a, contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, une liberté par-rapport au texte, elle peut être le moteur même des étapes dramatiques. Dans le cadre du théâtre musical, cette liberté et indépendance peut être poussée à l’extrême ; dans l’opéra, on a plus de contraintes, mais il est aussi intéressant de jongler avec elles. C’est la musique qui imprime le rythme au déroulement de l’action. C’est aussi elle qui décide le temps des moments d’introspection, et cette temporalité est essentielle au déroulement d’une œuvre conçue pour la scène. La musique peut opérer la suspension

du

temps

dramatique

ainsi

que

des

raccourcis

spectaculaires par rapport au déroulement de l’action. C’est pour cela que le compositeur a des échanges très étroits avec le librettiste pendant l’écriture de la musique, car les proportions du texte conditionnent la musique et on est amenés à changer, à augmenter ou couper certains passages du livret, afin de respecter le déroulement temporel que la musique exige. Dans le travail pour la scène, les rapports entre musique et dramaturgie sont très intéressants à explorer. Dans Dorian Gray – A Quest for Eternal Youth, la musique de Dorian, par exemple, va à l’encontre de la progression dramatique, car son être refuse le passage du temps et vit dans la négation de sa déchéance. Sa musique n’évolue donc pas. C’est la musique du portrait de Dorian qui montre le vrai visage de cet être à la fois futile et monstrueux


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qu’est devenu le bel éphèbe sous l’influence démoniaque du destin et de Lord Harry. Les dernières mesures de l’opéra peuvent être reliées aux premières, et instaurent ainsi un temps cyclique. Alors que l’action finit avec la tentative de destruction du tableau par Dorian, qui se révèle être un suicide, la réalité musicale montre que tout cela pourrait continuer et finit par revenir au point de départ, avec la symbolique du mal éternel qui intervient sans difficulté dans la vie et qui corrompt bien trop facilement les êtres sans un socle intérieur solide. Avis aux Narcisses de notre temps ! A. A. : Comment sera matérialisé le tableau sur la scène, ce portrait marqué des errements de Dorian ? M. U. : Il y aura un travail de vidéo. La présence du tableau est importante afin de montrer la réalité de Dorian que l’on ne voit pas ; ses péchés sont cachés, commis la nuit, dans des endroits secrets. On ne les montre pas directement, ce qui est visible ce sont les dégâts de ce comportement sur son être réel représenté par le tableau, qui a sa musique propre. La voix de Dorian raconte son apparence, le déni de sa déchéance, tandis que la partie instrumentale révèle les remous intérieurs. La voix se plie à un texte, à un certain lyrisme ; les instruments ne sont pas contraints au respect de la prosodie, ils peuvent aller plus loin dans l’exploration des états d’âme. A. A. : A ce propos, pourriez-vous nous en dire davantage sur la composition de l’ensemble instrumental ? M. U. : On a essayé de faire un ensemble instrumental adapté à l’Auditorium Ohana où sera donnée la création, tout en gardant l’idée d’un orchestre. J’ai réduit au maximum, j’ai pris les instruments dont je ne pouvais vraiment pas me passer : flûte,


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clarinette et trombone pour les vents ; ensuite, le piano, la harpe, l’accordéon, la percussion ; et un quatuor à cordes. J’aurais beaucoup aimé avoir un peu plus de cuivres ; peut-être dans une version ultérieure on essayera de développer cet aspect de l’instrumentation. Pour le moment, on fait avec l’espace de la création. Il n’y a pas de fosse, les musiciens doivent être distribués sur scène tout en laissant de la place à l’action. A. A. : Vous avez choisi d’écrire votre opéra en anglais. Quelles sont les raisons de ce choix ? M. U. : Je trouvais que faire du Wilde en français avait un côté faux, même s’il existe de magnifiques traductions. Pour être un peu plus véridique, et puis parce que l’anglais est une langue que l’on maîtrise tous plus ou moins, ça me semblait très logique de faire du Oscar Wilde en anglais, et surtout ça nous a permis d’insérer des phrases originales de Wilde. L’écriture d’un livret cependant modifie beaucoup le texte original. La narration dans un roman, avec des phrases longues, lourdes, s’inscrit dans une temporalité adaptée à la lecture. Un livret doit être au contraire quelque chose de très efficace, avec peu de mots pour ne pas alourdir la musique. Il a donc fallu réduire tout ce qui se dit en très peu de mots. A partir du livret en français d’Emmanuel Reibel, j’ai pu bien travailler avec la traductrice Naomi Toth sur les rythmes des phrases. Elle connait très bien Wilde, et l’anglais est sa langue maternelle. Elle me proposait une traduction dans une langue proche de celle de Wilde, et ensuite elle me demandait si ça me convenait comme rythme. Je lisais sa proposition et lui disais « là c’est un peu court, j’aurais besoin d’encore quelques paroles » ou « j’aimerais bien ici un rythme plus

alerte ».

Je

choisissais

dans

ses

suggestions

ce

qui


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correspondait le mieux à mon ressenti musical de la phrase. C’était très intéressant, j’ai beaucoup aimé faire ce travail. A. A. : Vous avez donc une écriture vocale proche de la déclamation ? M. U. : Oui, j’ai une écriture vocale qui suit la prosodie de la langue tout en étant lyrique. Je m’oblige à faire ça – j’aime beaucoup la musique abstraite, j’ai écrit aussi des pièces vocales plus abstraites, mais dans l’opéra on a un message à faire passer, et comme c’est une œuvre qui dure tout de même plus d’une heure, si le public ne comprend rien à ce qu’on dit, il me semble que c’est raté dès le départ. A. A. : Ce récit est une variation sur le thème de la damnation. Le librettiste Emmanuel Reibel est d’ailleurs un spécialiste du mythe de Faust et de ses mises en musique. Comment ces références musicales et littéraires ont-elles influencé votre écriture ? M. U. : Quand j’écris un projet, je n’aime pas forcément regarder ce qui a été fait sur le même thème. Chaque œuvre a sa raison d’exister, et j’essaie d’avoir une approche personnelle des sources. Nous

avons

discuté

longuement

avec

Emmanuel

de

la

caractérisation des personnages, et nous avons finalement traité Dorian moins en Faust qu’en Narcisse. La thématique faustienne est celle d’un désir de savoir, de dépassement de la condition humaine. Je trouve que Dorian Gray avec sa débauche ne va pas dans la direction d’une recherche du savoir, sa quête est bien moins noble, et plus autocentrée. A. A. : Ecrire un opéra au XXe siècle, n’est-ce pas une forme de recherche de la jeunesse éternelle, pour un genre qui peut sembler en déclin ?


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M. U. : Au contraire, l’opéra a gagné un nouveau souffle ! Il se transforme beaucoup, les critères du genre ont été décloisonnés. Maintenant on fait des opéras qui autrefois auraient difficilement porté ce nom, si l’on regarde avec des critères du passé. Prenons une œuvre qui a plus d’un siècle : Erwartung de Schoenberg. L’action se passe dans la tête de la femme qui attend dans la forêt et qui a peur. La seule action, c’est son angoisse à elle, un parcours dans son psychisme. L’opéra en tant que genre offre de véritables possibilités d’éducation des esprits car il y a un message à faire passer, une morale claire. Je trouve très louable qu’il se renouvelle autant, que des formes nouvelles apparaissent, où l’on intègre le multimédia, de la vidéo, de l’électronique, et même, comme dans Votre Faust [opéra participatif d’Henry Pousseur et Michel Butor], que le public soit amené à choisir la suite, qu’il soit directement impliqué dans le résultat de l’action en votant pour infléchir le cours des évènements. Il y a donc un nouveau jeunisme dans l’opéra, et cela n’a fait que s’accélérer au tournant du siècle avec une présence très forte des nouvelles technologies, ce qui le rend plus accessible aux générations digital natives, plus habituées au langage visuel qu’à l’auditif. Les nouvelles technologies, ils adorent ! Ça permet de renouveler le public autrement. Autour de Dorian Gray – A Quest for Eternal Youth, on mène d’ailleurs un travail avec des classes de collège à la Médiathèque des Halles. Il y a plusieurs rencontres avec le librettiste, le metteur en scène, le compositeur, et d’autres collaborateurs. En répondant à leurs questions, en leur expliquant ce qu’on a voulu faire, on leur donne des clés d’écoute et l’envie de venir voir. Avec ce genre de démarche on ouvre les portes de l’opéra a un public beaucoup plus


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large, car encore aujourd’hui beaucoup de gens disent « moi je ne peux pas aller à l’opéra, ce n’est pas pour moi, je n’ai pas la culture ». A. A. : Dans ce souci de moderniser l’opéra, vous faites appel à des décors virtuels ? M. U. : Oui, aussi parce que l’espace n’est pas très grand et on devra se débrouiller avec un minimum de décors. Ce qui est intéressant avec la vidéo, c’est de suggérer les choses, pas de les montrer réellement : cela stimule l’imagination du public. A. A. : Vous employez également des procédés électroacoustiques ? M. U. : Pas pour cette production, mais peut-être plus tard. Pour l’instant, on veut avoir une expérience d’opéra acoustique. Mon écriture musicale travaille beaucoup le son, très vivant dans l’écriture instrumentale. Il y a déjà là tout un monde assez riche, je ne voulais pas complexifier les choses outre mesure avec de l’électronique, en tout cas pas à ce stade-ci. Mais si après des idées surgissent de la part du vidéaste ou du metteur en scène et qu’on peut développer certains aspects électroacoustiques, alors on le fera ! A. A. : Dans cette recherche acoustique, quel est votre rapport aux interprètes ? Comment votre écriture évolue au contact des musiciens et des chanteurs ? M. U. : Le drame du compositeur d’aujourd’hui est qu’il n’a pas souvent la possibilité d’essayer les sonorités nouvelles qu’il compose. Un des enjeux de cet opéra est donc de proposer, d’essayer avec les interprètes certaines choses qui nourriraient mon écriture. Cela a eu lieu à la lecture des premiers fragments de musique écrits. Quant aux musiciens, ils sont eux aussi rassurés


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de pouvoir échanger avec le compositeur sur le résultat voulu et sur les façons de le rendre efficace. La transcription sensible des sonorités imaginées dans le processus de composition est parfois approximative, car il n’y a pas forcément de signe consacré pour tout ce que l’on peut imaginer ; il est très rare de trouver des signes qui comblent toutes les attentes des compositeurs. En l’occurrence, si ce dernier est présent aux répétitions et donne des explications, la différence dans le rendu sonore est notable. Le compositeur comble

par

sa

présence

les

lacunes

de

la

notation.

La

compréhension des intentions du compositeur et leur application dans l’interprétation est extrêmement importante dans la musique. Dans le cas contraire, cela peut vraiment fausser l’œuvre, lui enlever une bonne partie de sa valeur : si c’est mal compris et mal joué, le sens n’est pas là. Quant aux chanteurs, le fait de les connaître me permet de fixer l’ambitus

pour

l’écriture

vocale,

et

c’est

un

autre

aspect

extrêmement important. Si je connais l’ambitus à l’avance, je vais essayer de l’explorer au maximum dans les registres intéressants ; si je ne le connais pas, je dois écrire avec un ambitus minimum pour que tout interprète puisse le chanter, et ça ne mettra pas sa voix en valeur. Si on connaît à l’avance la voix pour laquelle on écrit, on peut magnifier ce qu’elle peut donner et ne pas se contenter d’une écriture un peu neutre. A. A. : Dans le livret, le peintre Basil dit « En peignant Dorian, j’ai mis à nu mon âme ». Partagez-vous cette esthétique de la création ? Montrez-vous aussi votre âme à nu dans votre œuvre ? M. U. : L’écriture musicale est une forme de mise à nu, on dévoile des aspects profonds de notre âme à travers la musique. Il m’est


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arrivé par le passé d’être gênée devant le public après avoir entendu une de mes œuvres, parce que je trouvais à l’écoute que j’y disais un peu trop de moi. Mais le public comprend ça et j’espère qu’il apprécie, il vient là pour découvrir ce que l’artiste a de personnel à dire. A. A. : C’est donc une forme d’exhibitionnisme ? M. U. : Oui ! A. A. : Avez-vous trouvé dans l’univers décadent et dandy de Dorian Gray beaucoup de résonnances contemporaines et d’affinités musicales ? M. U. : La décadence est une idée très intéressante à travailler artistiquement ! Le dandysme est davantage circonscrit dans le temps, mais la décadence est un concept qui traverse les époques. Dans le cadre de cette création, nous travaillons avec les classes de collège sur le narcissisme, qui est quand même un phénomène très contemporain, surtout pour les générations qui sont nées avec les médias à portée de main, et les nouvelles technologies qui permettent une mise en scène continue de soi-même. On essaie de leur dire que c’est bien de faire autre chose que de s’admirer dans le miroir, de penser à des choses plus grandes qui valent dans une vie d’homme, de ne pas être perpétuellement dans la contemplation de soi. C’est une sorte d’approche morale qui est mise en avant. Ça a été dès le départ pensé comme ça, c’est pourquoi on n’a gardé que les personnages qui accompagnent la décadence de Dorian. Sybil par exemple, qui est une victime, montre bien qu’il n’est pas seul dans sa descente aux Enfers, mais qu’il crée aussi du malheur autour de lui, auprès des gens qui l’aiment.


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A. A. : Il me semble que le personnage de Basil est ambigu. Il est évidemment victime de Dorian, mais aussi à l’origine du mal par son œuvre parfaite. M. U. : Il ne faut quand même pas accuser Basil de créer le mal parce qu’il fait une œuvre d’art ! Le mal naît d’une conjonction de circonstances. C’est Lord Harry qui souffle à l’oreille de Dorian, comme le serpent biblique, que la beauté est la seule chose qui a de la valeur ; c’est lui qui crée le désir de rester jeune. Basil, lui, il fait son art. C’est pour moi un personnage extrêmement cohérent et positif, il fait de l’art pour dire une partie de lui-même et sublimer ce qu’il peut. A. A. : C’est quand même lui qui détient le pouvoir de l’image, qui tend ce miroir dont se nourrit le désir de jeunesse éternelle ! M. U. : Il le fait sans intention, il fait son art et les circonstances veulent que Dorian formule ce vœu. C’est quelqu’un de sincère sur toute la durée du livret, son amitié pour Dorian souffre des rumeurs qui lui parviennent, il en souffre sincèrement. C’est pourquoi j’ai donné son rôle à un baryton, c’est une voix d’homme plus relâchée, plus chaleureuse que la voix de ténor. Le ténor est plutôt associé au vainqueur, ici c’est Harry, celui qui a tout mis en place. Basil a un timbre plus chaleureux, une sincérité qui est toujours là et qu’il paie de sa vie. Il est resté dans son idéal et refuse d’accepter le nouveau Dorian. Il a été pris au piège de son propre art. Pour moi, c’est un personnage très touchant, c’est un idéaliste. Harry, c’est un manipulateur, il a un timbre brillant de ténor, il faut qu’il soit au-dessus de tout le monde ; pas de Dorian certes, mais qu’il se fasse entendre. C’est quelqu’un de très vivant, qui a beaucoup d’énergie. Du point de vue instrumental, il est


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caractérisé par des instruments comme les percussions, le piano, un peu de harpe : des instruments peu chaleureux. Ils ne résonnent pas beaucoup car Harry est dans l’action. Basil, au contraire, est accompagné de timbres beaucoup plus chauds, exprimés par les cordes graves du violoncelle qui chantent : c’est un contemplatif. Quant à Sybil, elle a pas mal de moments avec l’alto, qui a lui aussi une sonorité chaude. L’instrument le plus méchant dans l’histoire, c’est l’accordéon, instrument plutôt rare dans la musique classique mais qui a pris de plus en plus d’importance au XXe siècle. Ce qui est très beau, c’est qu’il peut faire des nappes harmoniques. Les autres instruments ont une écriture assez dynamique, centrée sur le travail du son ; il me manquait un instrument qui puisse lier l’ensemble. J’ai donc pris l’accordéon pour cette raison ; et en même temps, l’accordéon permet des effets dramatiques extraordinaires, des bruits de souffle, d’étranglement, des choses très belles au service de la dramaturgie A venir : conférence autour de l’opéra par Mariana Ungureanu, le 1er juin à 19h à la bibliothèque Marguerite Yourcenar (15 ème arrondissement). Représentations les 23 et 24 juin à 20h à l’Auditorium

Maurice

Ohana

du

conservatoire

du

15 ème

arrondissement. Mariana Ungureanu Née en République de Moldavie, Mariana Ungureanu est diplômée de l’Université de Musique Bucarest, où elle obtient en 1998 les premiers

prix

de

composition,

d’harmonie,

de

contrepoint,

d’orchestration, d’histoire de la musique et d’esthétique musicale,


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puis l’année suivante un Master de composition. En 2001 elle obtient un Master d’écriture à la Haute Ecole des Sciences et des Arts de Leuven, en Belgique, puis un Master de Musique et Musicologie du XXe siècle à l’Université Paris IV-Sorbonne. Aujourd’hui elle est installée à Paris et enseigne dans les Conservatoires Jean-Philippe Rameau et Frédéric Chopin. Son

catalogue

musical

inclut

à

ce

jour

de

la

musique

électroacoustique pour des spectacles de danse, une pièce pour grand orchestre ‘Anagrammes’ et la suite de ballet ‘Maestro et Marguerite’ d’après Mikhail Boulgakov, en plus des œuvres de soliste et de la musique de chambre. Mariana a écrit plusieurs pièces de théâtre musical, notamment Plus ombre que l’ombre sur des textes des artistes du groupe Cobra, La soeur de N., d’après un extrait du Journal de Kafka et Out at S.E.A - Somebody eats all, opéra de chambre sur un texte de Slawomir Mrozek, en collaboration avec deux compositeurs. Dorian Gray- a Quest for Eternal Youth est son premier opera pour grand ensemble.

Adrien Alix Adrien Alix achève une formation de musicien spécialisé dans les musiques anciennes au Conservatoire de Paris. Il joue ainsi de la contrebasse, de la viole de gambe et du violone, et se produit avec entre autres le Parlement de Musique de Strasbourg, le Theresia Youth Orchestra (Italie), Coin du Roi (Italie) ou encore l’Academia Montis Regalis. Il aborde le théâtre musical sous diverses formes, de l’opéra baroque à la création en marionnettes, avec les


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compagnies

Errance,

Euridice

1600-2000

et

Printemps

du

Machiniste. Il poursuit par ailleurs des recherches en musicologie à l’Université Paris 8 et travaille sur les poétiques italiennes du premier

baroque.

Ses

contributions

seront

publiées

très

prochainement dans la Revue du Conservatoire et dans le numéro spécial de Filigrane consacré à l’interprétation. Il écrit également des critiques musicales Olyrix.


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11 – Témoignage d’époque Nous reproduisons ce témoignage de Maurice Tranchant de Lunel, rapporté

par

Léon

Guillot

de

Saix

dans

l’hebdomadaire

« L’Européen » pour ce qu’il vaut. Les relations de Guillot de Saix sont parfois un peu fantaisistes. C’est cependant un témoignage peu connu qui mérite d’être recopié ici, ne serait-ce qu’à titre de curiosité. Tranchant de Lunel était architecte des monuments historiques au Maroc. On lui doit la conception de la Grande Mosquée de Paris. Né en 1869, il était également peintre, illustrateur et écrivain. * Sur sa péniche, M. de Lunel… M. Tranchant de Lunel, qui fut, au Maroc, le bras droit du Maréchal Lyautey, me dit un jour sur sa péniche amarrée au Pont de SaintCloud : « Savez-vous que l’atelier du peintre décrit avec un luxe de détails au début du Portrait de Dorian Gray, n’a pas été inventé, mais reproduit par Wilde d’après l’atelier que j’avais à Londres, à Chelsea, et que j’ai reconstitué depuis dans ma villa des Tamaris, à Toulon ? « J’avais connu lord Alfred Bruce Douglas lorsqu’il était encore à Oxford et je l’avais présenté à Lord Henry Somerset. Celui-ci lui amena Oscar Wilde qu’il ne voulait pas voir. Il avait peur de lui. Chez moi, sur mon divan, Oscar Wilde exerça sa fascination sur le


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jeune homme. Ils parlèrent longtemps. On ne les revit plus. On les aperçut un jour au théâtre. Mais Oscar Wilde, déjà, témoignait de l’intérêt à un autre débutant. Dépité, Alfred Douglas revint voir les amis qu’il avait délaissés, mais ceux-ci le lâchèrent à leur tour. Je me rappelle fort bien qu’il se présenta un soir chez moi, comme j’étais en habit, prêt à sortir. Je lui dis : « Mon cher, excusez-moi. Voilà du whisky et des cigarettes. Vous êtes chez vous. Bonsoir ! » « Peu de temps après, Alfred Douglas ne quittait plus Oscar Wilde, et ce fut le commencement du drame. » Guillot de Saix L’Européen – Hebdomadaire, économique, artistique et littéraire – 8 mai 1929


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12 – Wilde au théâtre Mickle Street De Michael Whistler

Mickle Street est une pièce de Michael Whistler, qui s’attache à raconter la fameuse rencontre d’Oscar Wilde et de Walt Whitman à Camden en 1882. En réalité, cette rencontre n’a pas eu lieu à Mickle Street, mais au domicile du frère de Walt, deux ans avant que le grand poète américain ne s’installe dans cette maison de Mickle Street, qui est devenu désormais un musée à sa mémoire. Au moment de leur rencontre, Wilde était un jeune homme de 27 ans, et Whitman avait 62 ans. On ne sait exactement ce qui se passa entre eux, mais la pièce est axée sur la probabilité d’une relation homosexuelle, (même si l’homosexualité de Wilde était encore incertaine à cette époque !).


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Daniel Fredrick dans le rôle d’Oscar Wilde

Mickle Street est la seconde pièce de Michael Whistler, qui en avait eu l’idée vingt-cinq ans plus tôt, après avoir appris la rencontre des deux hommes en lisant une biographie d’Oscar Wilde. « J’avais gardé ce fait en mémoire, dit-il, et je m’étais demandé ce que ces deux hommes, si différents l’un de l’autre, et cependant ayant bien des choses en commun, auraient eu à se dire ». La pièce a été créée à Philadelphie, au Walnuts Street Theatre (Studio 3), le 17 février 2015. Sous la direction de Greg Wood, Daniel Fredrick incarnait Oscar Wilde, Buck Schirner jouait Walt Whitman et Sabrina Profitt, une veuve qui lui sert de gouvernante.


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13 – Cinéma « The Happy Prince », le film tourné par Rupert Everett est actuellement en post-production. Everett espérait que le film serait prêt pour être présenté sur la croisette Cannoise. Il espère maintenant pouvoir le présenter à Venise. Everett qui incarne Wilde (il l’a déjà interprété sur les planches dans la pièce de David Hare, The Judas Kiss) a déclaré à l’Hollywood Reporter que « Wilde fait figure de Christ pour la communauté gay ».

« En tant qu’

homosexuel, c’est une histoire importante pour moi parce qu’Oscar a été vraiment crucifié par cette société qui l’avait d’abord adoré…» Les premières images du film commencent à être diffusées. En voici quelques-unes. On y voit Rupert Everett (Oscar Wilde), Emma Watson (Constance) et Colin Firth (Réginald Turner).


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Oscar Wilde et Bosie Douglas


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14 – The Oscholars www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford). Depuis 2012, les membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster, ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs milliers de lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007 jusqu’à Juillet 2010.

Les numéros de juin 2002 à octobre

2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site www.irishdiaspora.net.

Vous y découvrirez une variété d’articles,

de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc. L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 sont en ligne

ici,

mais

plusieurs pages ont été détruites par le ci-devant webmaster. Depuis l’automne 2012, on peut trouver THE OSCHOLARS sous cette adresse :

http://oscholars-oscholars.com/

sont en train d’être y republier.

et toutes les éditions


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15. Signé Oscar Wilde Le Niagara m’a déçu, ce qui doit arriver à plus d’un. Toute jeune mariée américaine étant amenée ici, la vue de ces stupéfiantes chutes d’eau constituent sans doute l’une des premières, sinon l’une des plus rudes déceptions de la vie conjugale américaine. (Impressions d’Amérique)

Every American bride is taken there, and the sight of the stupendous waterfall

must be

one

of

the

earliest,

if

not the

keenest,

disappointments in American married life. (Impressions of America)


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