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Rue des Beaux-Arts n°63 – Avril/Mai/Juin 2018

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 63 Avril/Mai/Juin 2018

L’Hôtel – 13, rue des Beaux-Arts – Paris – Dans la chambre d’Oscar Wilde

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Rue des Beaux-Arts n°63 – Avril/Mai/Juin 2018

Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin-Rose Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 62 ici.

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1 – Éditorial Par Danielle Guérin-Rose

Oscar, Marcel et les manteaux perdus

Jamais Wilde et Proust, en dandys qui s’obligent, ne traitèrent le vêtement en sujet négligeable. On sait que Wilde commença sa carrière en donnant des conférences sur l’art et le beau, ce qui réservait naturellement un chapitre à la mode et au vêtement. Il lui arrivait de dessiner ses vêtements lui-même, ainsi que ceux de sa femme Constance pour laquelle il concevait des habits excentriques et originaux, répondant aux critères de confort, d’élégance et de liberté qu’il prônait pour les vêtement féminins. Quant à Proust, il n’est que de regarder son portrait par Jacques Emile Blanche pour comprendre combien il soignait sa tenue, ou de lire « La Recherche » pour découvrir l’importance des étoffes et des toilettes, tout particulièrement

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des

robes

du

couturier

Fortuny

que

porte

Oriane

de

Guermantes et que le narrateur veut offrir à Albertine. « Ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d'évocation même qu'un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d'Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu'une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire, écrit-il dans « La Prisonnière ». Mais s’il est un élément de la garde-robe qui prend une importance particulière aussi bien chez Proust que chez Wilde, c’est le manteau, qui deviendra chez l’un et l’autre un objet symbolique, constitutif de leur personnalité. Le premier manteau de Wilde qui possède une histoire, c’est ce manteau bronze et rouge, en forme de violoncelle, dont parle Ellmann dans sa biographie. La tenue flamboyante de Wilde, en visite à la Grosvenor Gallery, fit sensation, et ce manteau unique participe pleinement à son histoire, même si on s’est longtemps demandé s’il n’appartenait pas tout simplement à la légende, étant donné le manque d’autres références sérieuses, jusqu’à ce que le chercheur John Cooper

1

parte à sa recherche

avec l’entêtement d’un fin limier et en retrouve enfin la trace indiscutable. Ce manteau fut la première étape de l’ascension Wildienne, la tenue de star qui le fit remarquer au milieu de tous ces hommes en noir qui devaient hanter la célèbre galerie 1

Voir le chapitre 7 du présent numéro ; « Un manteau en forme de violoncelle ». 4


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de peinture, et qui lui donna sans doute le sentiment d’être un paon chatoyant se promenant au milieu des corbeaux et des merles. Mais en dépit de ses couleurs de feu et de sa forme excentrique, ce manteau devait être détrôné par la fameuse pelisse verte fourrée qu’Oscar fit confectionner pour partir en Amérique et qui devint pratiquement une seconde peau pour lui, oserais-je dire une sorte de « doudou » chaleureux et douillet, qui lui conférait élégance et confort, et dans lequel il s’enroulait avec confiance

et

volupté.

Le

célèbre

Napoleon

Sarony

la

photographia sous tous ses angles, de sorte qu’elle devint inséparable d’Oscar, un symbole, un signe de reconnaissance, qui le signalaient comme le dandy-type, chantre magnifique et audacieux de l’art et de la civilisation européenne, partout où il passait. Il la porta à Paris où, pourtant, Robert Sherard 1 prétend que c’était assez mal vu par les parisiens, alors que Jacques de Langlade2 affirme au contraire qu’il « inaugur[a] la mode des manteaux de fourrure en couleur pour se rendre tous les soirs dans les meilleurs restaurants »

1

R. Sherard The Life of Oscar Wilde. London: T. Werner Laurie 1906 – p.233

J. de Langlade Oscar Wilde, ou la vérité des masques. Préface de Robert Merle. Paris: Mazarine 1987. 2

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En sortant de prison, ce fut elle qu’il réclama à corps et à cris, comme si elle avait été un manteau magique, capable de lui restituer l’ancienne douceur de vivre, et la splendeur de son statut d’artiste. Non une cape d’invisibilité, mais au contraire un talisman riche de pouvoirs, qui connaissait son passé de gloire et lui promettait un futur plein d’espérance. Ce dont son frère Willie le priva quand il s’avéra qu’il l’avait vendue, alors qu’Oscar la lui avait confiée pour qu’il veille jalousement sur elle, ce ne fut pas seulement d’un vêtement qu’il aimait, c’était d’une partie inestimable de ses souvenirs, de son passé et de tout l’espoir qu’il mettait dans sa résurrection prochaine. « Je l’ai eue pendant douze ans, écrivait-il à Robert Ross, je l'ai portée pendant tout le voyage en Amérique, elle a assisté à toutes mes premières, elle me connait parfaitement et j'ai vraiment envie de la retrouver". Malheureusement,

il

ne

la

retrouvera

jamais,

et

cette

disparition sera une des causes de sa rupture définitive avec Willie. Le manteau avait disparu, et avec lui, toute la brillance, 6


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toute la joie de l’ancienne vie de Wilde dont il ne lui restait plus rien. Perdu corps et bien, vendu par celui qui, par le sang, lui était le plus proche, et qui l’avait trahi. Un autre manteau faillit connaître un sort funeste. Dans ses dernières années, on ne saurait imaginer Marcel Proust sans son manteau : « Il endossait même les jours les plus chauds de l'été cette lourde pelisse devenue légendaire pour ceux qui l'ont connu" témoigne Léon Pierre-Quint. Un soir, chez Larue, un de ses meilleurs amis, Bertrand de Fénelon, sauta par-dessus le dossier des banquettes pour lui apporter son précieux viatique, scène que l’auteur reproduira dans son œuvre en attribuant l’acrobatie à Robert de Saint-Loup. De même, Sir Philip Sassoon, petit-fils du baron de Rothschild, dira, en le voyant attablé au restaurant du Ritz : « c’est [...] le premier homme que nous voyons dîner en pelisse de fourrure. 1 Jean-Cocteau, quant à lui, a immortalisé cette silhouette engoncée en la croquant dans son épais pardessus sous lequel il empilait les lainages.

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Voir « Le manteau de Proust » - Lorenza Foschini – p.69 – Portaparole – mars 2008 7


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Le Petit Marcel cherchait-il lui aussi, dans ce caparaçon douillet, une quelconque douceur, un refuge où se blottir après la mort de maman, comme il se cachera derrière les couches de liège qui le coupaient du bruit du monde ? Le manteau le garantit du froid parce que Proust, toujours souffreteux, ne peut sortir qu’emmitouflé dans des paquets d’ouates et des épaisseurs de laine, parce qu’il grelotte toujours, qu’il est constamment transi ;

mais il le protège aussi d’un monde

hostile où il a perdu tout ce qu’il aimait. Même quand il est chez lui, couché sur son étroite couche de cuivre, le lourd pardessus n’est pas loin. Étalé sur le lit, il lui sert de couverture. Marcel, comme Oscar, a besoin d’un objet sacré pour remonter le temps et, dans son cas, pour se consoler de la douleur de l’absence en retrouvant la chaleur maternelle, à défaut de baiser du soir. Mais l’histoire du manteau de Proust ne s’arrête pas là. Après sa mort, il disparaît. Nul ne sait ce qu’il est devenu, jusqu’à ce 8


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qu’un collectionneur nommé Jacques Guérin, grand admirateur de Proust,

le retrouve

chez un brocanteur

qui détient

pratiquement tout ce qui reste de l’écrivain dans son entrepôt situé près de Puteaux. Comment les meubles de Marcel, ses glaces, ses objets de toilette, se sont-ils retrouvés là ? C’est qu’après la mort de son mari Robert, Marthe Proust, qui n’aimait guère son beau-frère dont elle ignorait le génie, n’avait rien eu de plus urgent à faire que de brûler les papiers de Marcel, de déchirer les dédicaces de ses livres et de se débarrasser de ses biens, fourgués au brocanteur. Jacques Guérin racheta le tout, mais s’aperçut qu’il manquait le fameux manteau. Devant son insistance, le brocanteur finit par lui avouer que Marthe Proust lui en avait fait cadeau pour s’entourer les jambes quand il allait à la pêche !1 Le manteau est en piteux état : son ourlet est rongé par l’eau de la Marne, la fourrure de loutre est mitée, l’étoffe râpée. Mais Jacques Guérin le récupère et le soigne avec respect. Plus tard, il en fera don au musée Carnavalet où on peut maintenant voir la chambre de Proust. Mais le manteau, lui, n’y est pas.

1

cf « Le manteau de Proust » - Lorenza Foschini – p.68 – Portaparole – mars 2008 9


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Trop fragile pour être exposé, il repose dans les réserves du musée, soustrait aux yeux de tous, enseveli dans des papiers de soie, comme un mort embaumé. Presque disparu à nouveau. Comme le manteau en forme de violoncelle, et la somptueuse pelisse verte et fourrée d’Oscar, perdus à tout jamais, à tout jamais intégrés à la légende littéraire. Danielle Guérin-Rose

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2 – Publications Oscar Wilde – Le Fantôme de Canterville Independently published – février 2018 ISBN 978-1980209614

Et ailleurs… Michèle Mendelssohn – Making Oscar Wilde OUP Oxford – mai 2018 ISBN 978-0198802365

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Moises Kaufman et Oscar Wilde -Ascesa e rovina di Oscar Wilde. Atti

osceni

-

L'importanza

di

chiamarsi Ernesto Cue Press (21 novembre 2017) Collection : Il contemporaneoL Langue italienne IBSN 978-8899737498

Oscar Wilde – Nikolas Frankel The annoted prison writings of Oscar Wilde Harvard University Press – mai 2018 ISBN 978-0674984387

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Richard Woulfe – I fratelli Wilde Polimnia

Digital

Editions

Décembre 2017 Langue italienne

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3- Expositions Lilies for Oscar Wilde

A l’occasion de l’anniversaire d’Oscar Wilde, 80 artistes de Reading et des environs ont créé, en hommage à l’auteur, des fleurs de lys qui ont été rassemblées en un bouquet, lequel a été exposé jusqu’au 6 février 2018 au Musée de Reading (Box Room).

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22 décembre 2017 au 6 février 2018 Reading Museum – England

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Reflections Van Eyck and the Pre-Raphaelites

Depuis son arrivée à la National Gallery de Londres en 1842, Les Epoux Arnolfini (1434) de Jan van Eyck ont captivé les spectateurs. Les

jeunes

artistes

idéalistes

de

la

nouvelle

Fraternité

préraphaélite, attirés par la technique exquise de l'huile de van Eyck, la palette de couleurs lumineuses et surtout le miroir, qui inspirent de nouvelles manières de représenter l'espace réel et illusoire, sont particulièrement fascinés.

Reflections examine

comment ce chef-d'œuvre hollandais a inspiré une génération d'artistes, dont John Everett Millais, William Holman Hunt, Dante Gabriele Rossetti, Ford Madox Brown et Edward Burne-Jones pour créer de nouvelles peintures frappantes à la fois colorées et non conventionnelles 2 octobre 2017 – 2 avril 2018 Tate Gallery – Londres 16


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4. Opéra et Musiques, The Selfish Giant

La saison Oscar Wilde se poursuit au Vaudeville Theâtre de Londres avec un opéra folk composé par Guy Chambers : The Selfish Giant, adapté du célèbre conte d’Oscar Wilde.

10 au 14 avril 2018 Vaudeville Theatre - Londres https://www.theguardian.com/music/2018/feb/04/guy-chambersopera-robbie-williams-oscar-wilde 17


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Salomé, Opéra de Gérard Massini d’après la pièce éponyme d’Oscar Wilde

Se réappropriant un mythe biblique deux fois millénaire, Wilde écrit un poème tragique teinté d’humour, figurant une Salomé qui revendique pleinement son désir sacrilège, face à un pouvoir autoritaire. Dans une esthétique onirique et radicale, trois acteurschanteurs se confrontent à cet opéra inédit aux sonorités d’un lyrisme clair-obscur ouvrant tout grand les portes de l’imaginaire. Mise en scène: Leili Yahr Avec : Sophie Chabert, Marion Jacquemet et Yannis François Musiciens: Gérard Massini, Dominique Bettens, Didier Métrailler

Du 18 au 22 avril 2018 18


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Oriental-Vevey -1800 Vevey - Suisse

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5 – Théâtre Un Mari Idéal

s

Mise en scène : Cathy Guillemin Avec : Jérémie Arcache -Amélie Campovecchio - Isabelle Duvernois -Audrey Morin - Pavlina Novotny Cédric Obstoy Maxime Seynave - Oscar Voisin Du 22 septembre 2017 au 29 juin 2018 – le vendredi (19H45) La Comédie Saint-Michel – Grande Salle

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Salomé

Par la compagnie Diversités Mise en scène Leonarda Alejandro Hincapié Assisté de Jean-Mard Duthorey Vendredi 30 et samedi 31 mars (20H), dimanche 1 (16H) et lundi ER

2 avril (20H) Théâtre de Verre, 12 Rue Henri Ribière, 75019 Paris

De Profundis 21


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Dans le cadre du Festival « Vent d’Irlande », qui se déroulera à Royan du 17 au 19 mars 2018, Christophe Truchi donnera son spectacle « De Profundis », le samedi 18 mars à 17H30. Ce spectacle sera précédé à 16H d’une conférence donnée par Danielle Guérin-Rose, sur le thème : Oscar Wilde, un dandy Irlandais dans les prisons anglaises.

Samedi 18 mars 2018 Palais des Congrès – Royan

Et ailleurs…

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An Ideal Husband

20 avril 2018 au 14 juillet 2018 Vaudeville Theatre – Londres

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6 - Oscar Wilde et le portrait surréel d’un désir invisible par Frank Pierobon

Illustration : Mojeska

« Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible... » Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray 1. La virtualité à la lumière du désir La virtualité fait rêver, ce qui rend quelque peu difficile le travail de la pensée àson endroit. La perspective de disposer d’un univers de substitution est particulièrement séduisante, à proportion d’ailleurs ce que ce monde-là puisse être confondu avec le réel : elle serait comme l’oeuvre d’un Malin Génie, sans aucune malignité cette fois car l’on accepterait d’entrée de jeu qu’il s’agisse là d’illusions. Toutefois, quelque chose d’indéfinissable vient à manquer dès lors que l’effet de surprise s’émousse et que l’on en a rapidement fait le 24


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tour, l’illusion ressemblant à ce point à la réalité qu’elle en a contracté la fadeur et la banalité ordinaires. L’illusion – comme le fantasme – s’use à se répéter et la première séduction des technologies pionnières résidait dans leurexistence même : les premières photographies déconcertèrent jusqu’au trouble, non pas tant par ce qu’elles représentaient, mais par le fait même qu’elles représentaient – surtout dans le cas du portrait – sans qu’il y ait eu d’intervention de la part d’un artiste, avec l’inévitable prisme de son regard subjectif, de son style et de sa technique. Aujourd’hui, le questionnement philosophique adressé à la réalité virtuellereste de prime abord et le plus souvent épistémologique, s’articulant à une volonté indéterminée et profondément non subjective de voir ; par ailleurs, l’objectivité ainsi restituée est ordinairement assujettie à une finalité instrumentale (comme dans les simulateurs de vols ou de situations de combat). Mais osons poser cette question : qu’en serait-il de cette réalité virtuelle si le regard était celui du désir ? Poser la question du désir dans sa dimension originaire de regard, c’est, à notre sens, pratiquer de facto une certaine epoche sur la conception que nousnous faisons ordinairement du monde, qui est celle d’un monde neutre et, pour tout dire désincarné. Ce monde que nous vivons et dans lequel nous vivons suppose toujours déjà de l’autrui, et en sa personne, un corps qui puisse être désirable, sans qu’il y ait pour autant quelque nécessité. Dans ce dernier cas, celui du corps désiré d’autrui, l’epoche s’approfondit car nous devons alors réaliser qu’un tel regard, pour s’avérer désirant, aura 25


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nécessairement recouvré sa propre subjectivité : en effet, ce regard redeviendrait ainsi celui singulier d’un corps qui, parce qu’il revient dans le jeu, cesse d’être un universel concret – “un corps en général” – pour se déterminer selon le genre et l’orientation sexuels, et en cela, privilégier ce visible-là plutôt qu’un autre. Or, c’est essentiel, la différence des sexes, obéissant encore et toujours pour l’essentiel à d’anciens paradigmes, assigne le regard (actif) au masculin et le regardé (passif), au féminin. Une certaine idéologie hétéronormative peut ainsi influencer subtilement, sinon invisiblement, les enjeux philosophiques du regard tel qu’il est ordinairement conceptualisé. Il faut donc, pour déconstruire cette idéologie, un nouveau tour de vis dans cette epoche, au risque de l’aporie inhérente à l’adoption d’un point de vue de plus en plus singulier et énigmatique pour rendre compte des concepts aussi larges que la perception, le regard, le virtuel, l’imaginaire, etc. Tentons cependant l’aventure : l’unique roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray,1 présente pour ce faire une matière providentielledans la mesure où les enjeux mutuellement intriqués du regard, de l’image, du fantasme, etc., sont

noués

d’une

manière

qui

déjoue

et

subvertit

certains

automatismes de pensée. Toutefois, il faut le souligner, la politique du regard désirant chez Wilde reste enracinée dans des paradigmes 1

L’intrigue est bien connue, peut-être même trop : Dorian Gray est un jeune homme d’une très grande beauté physique dont un peintre subjugué réalise le portrait. De chef-d’oeuvre à chefd’oeuvre, de la nature à l’oeuvre, une inversion s’opère de par un discret maléfice qui confère à ce Faust modo estetico l’immutabilité de l’image, et à l’image quelque chose de plus que le vieillissement : une extériorisation impudique des signes de débauche parmi les plus honteuses et par conséquent les plus secrètes. Tout cela finit très mal, naturellement… Une version plus concise et à notre sens plus puissante de ce roman parut d’abord dans le Lippincott’s Monthly Magazine en juillet 1890, version pour laquelle nous recommandons la reconstitution établie par FRANKEL 2012. Après avoir consenti pour l’édition en magazine à un véritable toilettage pour en gommer les références trop ouvertement homosexuelles, Oscar Wilde étoffa cette première version avec quelques chapitres passablement anecdotiques et c’est cette édition en livre, de 1891, parue chez Ward, Lock and Company que nous citons dans cette étude à partir de la traduction de Richard Crevier, avec une présentation fort riche due à Pascal Aquien : cf. WILDE 2006 [1891]. 26


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fort anciens : Dorian Gray, objet de l’avidité chastement scopique du peintre de ce fameux portrait, est positionné à la place de l’éromène passif, éphèbe adolescent, que convoitent des érastes adultes qui connaissent bien les règles du jeu (comme c’est le cas pour Lord Henry Wotton,

qui lui prodigue l’équivalent d’une éducation

socratique). Aujourd’hui, cette hiérarchie actif/passif n’a plus autant cette valeur d’évidence. En évitant ce genre d’anachronisme, l’on peut étudier avecfruit la manière dont le Portrait de Dorian Gray construit un espace qui fait exception aux normes et aux automatismes

de

toutes

sortes

qui

structurent

l’impensé

et

“l’attitude naturelle” de toute une époque. C’est en effet par un espace de virtualités qui s’évanouissent dès que l’on se sent porté, d’une manière ou d’une autre, à appeler un chat un chat, ou comme Wilde le dit, une pelle une pelle – « to call a spade a spade »1 –, que le désir peut faire dissidence d’avec une sexualité politiquement astreinte à la seule hétérosexualité procréatrice. Ce désir-là n’est d’ailleurs pas un phénomène dès lors qu’il n’en est le plus souvent que la promesse et l’oeuvre de Wilde peut ainsi prendre l’allure d’un Bildungsroman, c’est-à-dire d’un “roman d’éducation” dans la mesure où l’initiation à des réalités politiquement invisibles prend la tournure d’une séduction qui a valeur de conversion et qui perturbe totalement la manière de penser l’altérité sexuelle comme une virtualité et peut même, à l’occasion, la rendre actuelle quoique toujours impensable. 1

« […] je déteste le réalisme vulgaire en littérature. Celui appelle une épée [spade] une épée est forcé de s’en servir. Il n’est bon qu’à ça ». WILDE 2006 [1891], p. 262. La traduction de René Crevier est fautive : spade signifie le plus souvent une pelle ; d’ailleurs, cette expression est passée dans la langue. Le contexte – une anecdote rapportée par Lord Henry à propos de l’un de ses jardiniers – renforce le choix ironique d’un exemple aussi prosaïque, pour ne pas dire naturaliste (Zola) ou encore vériste. En fait, la cible de la critique, de la part de Wilde, est le réalisme littéraire prôné en Angleterre par Matthew Arnold. 27


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Cette interprétation, sur fond de politique sexuelle, de la virtualité serait loin d’épuiser la richesse philosophique du Portrait de Dorian Gray à cet égard. En effet, il ne suffit pas de supposer, comme de par une hypothèse innocente, que le regard désirant redéfinit son espace de vision pour l’architecturer autour du corps d’autrui. Désirer ne suffit pas, voir ne suffit pas, et l’on pourrait même avancer que la fusion téléologique espérée dans le sexe ne va jamais sans effet, il ne suffit pas de supposer, comme de par une vision pour l’architecturer autour du corps d’autrui. Désirer ne suffit pas, voir ne suffit pas, et l’on pourrait même avancer que la fusion téléologique espérée dans le sexe ne va jamais sans malentendu,1 dont le désir peut même à l’occasion se nourrir perversement. Cela mérite quelques explications et pour cela il faut faire retour, comme de juste, aux choses elles-mêmes : chacun sait peu ou prou, à partir de l’expérience, même tue, de son corps, que le désir se déploie tout d’abord en un espace de virtualisation qu’il suscite de par lui-même et dans lequel ce qui est désiré prend consistance et figure, sans qu’elles n’acquièrent pour autant une telle stabilité endurante que l’on puisse parler d’altérité à l’égard de l’objetdu désir. Le désir est d’abord fantasmatique, même s’il ne peut jamais 1

Peut-on désirer sans aimer, aimer sans désirer? Notre époque postmoderne considère volontiers qu’il s’agit là d’une tautologie, et l’époque victorienne, d’une contradiction. Sur ce point, comme sur tant d’autres, Jean-Luc Marion a parfaitement raison quand il souligne que ce que l’on recherche dans le sexe est justement ce qui ne s’y trouve pas, parce qu’on est toujours déjà à l’affut de ce qu’il faut appeler techniquement la transcendance : « Une personne ne se possède pas plus qu’on ne possède une chair érotisée – on possède seulement un corps physique ou un objet. On ne possède que ce qui ne peut s’aimer. Et dès qu’on s’aperçoit qu’on ne l’aime pas, on le tue – en fait, on découvre qu’il était déjà mort. Il s’agit du complexe d’Orphée : Eurydice se trouve partout, sauf aux Enfers (là où une personne se trouve, il n’y a ni enfer, ni même les Enfers), ou alors, sous ce nom, Orphée cherchait tout autre chose, moins avouable ». MARION 2003, p. 257 28


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se contenter de s’y tenir. La phénoménologie du désir sexuel brouille radicalement les modes ordinaires par lesquels se définissent le sujet, l’objet, soi-même, le monde, l’altérité dans les rapports sexuels effectifs, le virtuel dansla fantasmagorie en laquelle le désir se manifeste tout d’abord, etc. Répétons-le aussi simplement qu’il est possible, le désir n’est pas lui-même un phénomène au sens ordinaire du terme, pas plus que ne le sont toutes les entités qu’il suscite : le corps en tant qu’il est mien, celui d’autrui, ce que j’ensais, ce que j’en vois ce que je sais de ce que l’on voit de moi, etc. Il serait plutôt une puissance de phénoménalisation, qui justifie d’ailleurs que l’on puisse l’étudier autant que faire se peut en termes de virtualité, à ceci près que cettepuissance ne peut jamais, par ses forces propres, aboutir en une production de phénomènes. L’on peut rêver du corps d’une femme désirable, et du désirable lui-même dans la femme, mais tant s’en faut qu’il soit par-là donne, au sens que la phénoménologie contemporaine donne à ce terme, de Merleau-Ponty à Jean-Luc Marion. Ce moment virtuel est constamment transi par sa propre négativité, celle-là même qui permet de distinguer principiellement entre le virtuel et le réel. Nous voudrions à cet égard insister sur ceci, qui forme le motif directeur de notre apport : ni la realite phénoménale, celle d’un passage a l’acte dans le cas du desir sexuel, ni la virtualite fantasmatique ne contiennent de quoi les distinguer : l’on peut s’enamourer d’une apparition ou d’une vision, soit très peu en réalité de ce qu’autrui pourrait donner à voir, dans la mesure où rien ni personne ne se donne d’emblée tota simul dans une nudité frontale. C’est toujours d’abord d’une possibilité dont l’on tombe 29


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amoureux. D’une virtualité, dont le passage à l’acte peut nous combler ou nous détruire. Et c’est cela, le vrai propos du Portrait de Dorian Gray. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous faut faire une remarque générale qui concerne à la fois le thème du virtuel et la manière dont nous pouvons en traiter : nous voulons parler ici de la médiation, ordinairement méconnue, de l’écriture. Elle est omniprésente, puisque nous travaillons avec l’écriture sur un texte littéraire et elle est un medium tout particulier, s’il faut en mesurer le degré de virtualité. Nous pouvons ainsi oublier qu’il y a écriture lorsque nous lisons un texte, faisant coïncider le regard phénoménologiquement entendu – supposant des yeux, de la lumière, quelque chose à voir, etc. – et nous pouvons tout autant nous rendre sensibles à une certaine matière littéraire, un style, des particularités, qu’ils soient ceux d’Oscar Wilde lui-même ou ce qu’il en reste dans le prisme du traducteur, lequel peut lui aussi en avoir réinterprété la musique. Nous voyons sans yeux, nous entendons sans oreilles et en cela, nous n’avons appréhendé l’écriture que du point de vue du lecteur. Car il faut également tenir compte de l’écriture littéraire en tant que création, dont nous dirons volontiers, s’agissant de Wilde, qu’elle est exploratoire. L’écrivain sait ce qu’il va écrire, mais ce faisant il ne cesse pas de mieux comprendre, par le fait d’écrire, ce qui pourtant ne cesse pas de se métamorphoser. L’écriture est non seulement le pouvoir de dire les choses telles qu’on croit qu’elles sont – ce dont Wilde se garde expressément –, mais aussi et surtout de les réinventer en profondeur et de faire surgir des apparitions que l’on n’attendait pas. Des apparitions ou des pensées, 30


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des idées neuves, ce qui laisse entrevoir, outre la fiction littéraire, comment se déploie la réflexion philosophique. Il conviendrait par conséquent de pouvoir produire une véritable phénoménologie de l’écriture dans cette étude de la virtualité, de manière à mesurer précisément comment les positions respectives de l’écrivain et du lecteur peuvent ou non influer sur le concept ainsi exploré. Pour “revenir

aux

choses

elles-mêmes”

comme

le

demande

la

phénoménologie à partir de Husserl, il faudrait pouvoir se départir de ce qui a pu nous en séparer. Or, la philosophie est de prime abord et le plus souvent elle aussi une affaire d’écriture ; il n’est pas improbable que cette distance qui nous sépare des choses et au delà de laquelle il nous faudrait les retrouver, soit celle, invisible, impalpable et omniprésente, de l’écriture et que le concept de virtualité soit déterminé par la manière dont l’écriture fonctionne pour l’imagination, celle de l’auteur comme celle du lecteur, même s’il faut bien distinguer ces deux positions. Or, pour l’essentiel, cette phénoménologie de l’écriture reste à faire, à notre sens. 2. Ce que l’écriture du désir permet : voir avec les yeux de l’imagination « L’amant aime ce qu’il ne voit pas plus que ce qu’il voit ; ou plutôt, il ne voit que parce qu’il aime ce que, d’abord, il ne pouvait pas voir. L’amant aime pour voir – comme on paie pour voir. » Jean-Luc Marion1

1

MARION 2003, p. 142 31


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Œuvre d’écriture, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde est une véritable

encyclopédie

du

virtuel,

dont

l’intrigue

dans

son

déploiement suscite une démultiplication considérable de niveaux entre

lesquels

l’actuel

se

révèle

virtuel,

et

vice-versa.

Cette

convertibilité de l’actuel et du virtuel, qui contamine également le départage entre réel et imaginaire a le pouvoir de réenchanter ce monde dans lequel nous vivons ordinairement, où tout trouve sa place assignée une fois pour toutes, à ce point rassurant qu’il pourrait même perdre tout intérêt. La subversion du réel par le virtuel est tout d’abord un effet d’écriture et elle prend sa force dans l’illusion selon laquelle le lecteur se croit admis au sein de l’imaginaire de l’auteur alors qu’en fait, c’est son propre imaginaire qui fournit la matière et l’énergie de la fiction qu’il lit, tout en étant à son tour manoeuvré par le désir de l’écrivain, un désir dont celui-ci par ailleurs ne sait pas tout. Toute écriture littéraire de qualité, pourrait-on

énoncer,

est

aventurée,

risquée,

exploratoire.

La

conjonction du désir de l’écrivain à celui qu’il révèle chez le lecteur fait toute la magie de ce roman et, en même temps, elle est exactement ce qui se produit dans la conversion qu’opère Lord Henry sur Dorian Gray, une conversion à un désir dont ce dernier ignorait tout, et dont on ne sait jamais in fine, s’il est propre au jeune homme ou s’il est l’effet d’une influence formatrice autant que subversive. Le schème fantastique au cœur du roman, par lequel l’image et son modèle intervertissent leur puissance de révélation, constitue une mise en abîme du rapport du lecteur au texte, dans la mesure où tant le portrait que Dorian lui-même ne peuvent être vus du lecteur que par le prisme de sa propre imagination. C’est ainsi que le lecteur voit Dorian Gray de même que son portrait, le lien de l’un à l’autre 32


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étant moins la seule ressemblance que cette beauté dont il est donné allusivement à comprendre qu’elle est au-delà de l’imagination... Et par conséquent, l’écriture littéraire réussit ce prodige de susciter l’idée, dans l’imagination, d’une beauté qui pourtant la dépasse de toutes parts. A fortiori, cela explique implicitement qu’il faille la peindre, cette beauté, puisqu’on ne peut pas voir ce que l’on n’a pas dessiné, ceci dit pour paraphraser Goethe 1… il faut la peindre car le regard ordinaire ne suffirait pas à soutenir une beauté aussi surabondante et, inversement, une beauté dont l’on pourrait faire le tour d’un seul regard ne mériterait pas qu’on lui consacre un livre. La construction même du personnage central, Dorian Gray, rend indispensable la médiation de l’imagination. En effet, en évoquant tout simplement un jeune homme d’une certaine beauté, l’on ne demande au lecteur que d’imaginer ce qu’il peut par ailleurs avoir vu à l’occasion, dans le cours ordinaire de sa vie quotidienne. Tout change ici, avec l’hypothèse d’une beauté superlative, qui reflue du portrait magnifié comme chef-d’oeuvre vers son modèle. Par la médiation de l’art pictural, Dorian Gray cesse d’être joli pour devenir “beau” de manière transcendante, ce dont par ailleurs il prend conscience. Ce dédoublement d’une même beauté entre la nature et l’art est l’opérateur essentiel du roman, sans compter qu’il accueille le maléfice par lequel l’image évoluera en lieu et place de Dorian. Un 1

« Was ich nicht gezeichnet habe, habe ich nicht gesehen ». Je trouve cette phrase ailée de Goethe dans le texte que Jean Clair a consacré à un peintre et graveur slovène qui a ramené des camps de concentration un ensemble de dessins assez insoutenables et qui valent document. Cf. CLAIR 1988, pp. 5-7. Goethe que cite Jean Clair était lui- même inspiré de Dürer, et avait griffonné cetteobservation dans ses carnets de croquis qui accompagnaient la rédaction de son célèbre Voyage en Italie. Mais tandis que dans ce mot, Goethe vise la beauté, Jean Clair en radicalise la portée pour l’assigner à l’horreur qui comme la beauté est au-delà des mots et pour dire ainsi la nécessité d’en faire témoignage. 33


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tel dédoublement ne vapas sans négativité : entre Dorian Gray et son double pictural, il y a un absolu de trop. Et cette négativité, à son tour, est inhérente à la structure propre au désir. Elle déborde du cadre de l’intrigue pour en imbiber les personnages, lesquels, tous autant qu’ils sont, désirent Dorian du même désir que celui de Wilde, à la fois imaginant et écrivant. Ce que le désir de l’auteur est à son écriture, Dorian l’est à son portrait. Et l’avantage de ce genre d’analogie est que l’on y saisit clairement des rapports entre des éléments dont les concepts respectifs restent obscurs, sinon cachés : le désir homosexuel lui-même, le portrait, la position de l’auteur, toujours omniprésent mais jamais là… Dorian Gray n’entre en possession de sa propre beauté qu’au moment où il la voit enfin, dans le reflet sublimé et virtuel que lui oppose son portrait. Et Oscar Wilde ne voit Dorian qu’à proportion de ce qu’il l’écrit, de manière exploratoire : la métamorphose du réel en virtuel sublimé – c’est l’essence même du portrait – va de pair avec la production, dans l’imagination, d’un effet de réel au départ d’une virtualité – et c’est ce que l’écriture produit, à savoir une hallucination sublime chez le lecteur. La confection du portrait est donc un élément essentiel de la constitution du personnage. Il n’est tout d’abord qu’une pure extériorité de surface, comme celle d’un tableau. La personnalité en devenir de Dorian Gray dépend étroitement du tableau qu’on a fait de ce qu’il donne à voir ; certes, il sait à quoi il ressemble mais il ne s’était jamais vu dans les yeux d’un autre, qui non seulement le désire absolument, mais encore possède les moyens artistiques de cimenter en une oeuvre elle-même absolue cette conjonction entre le 34


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désir et son objet. Il se voit désiré et surtout absolument désiré, aspiré dans cet absolu que l’oeuvre d’art, dans le prisme d’une description littéraire, peut susciter et soutenir dans l’imagination du lecteur. C’est là que la fiction imprime invisiblement une courbure au récit : dans la réalité, aucun tel absolu n’aurait lieu. Ce portrait se doit d’être exceptionnel : il ne peut s’agir du portrait quelconque d’un quelconque jeune homme. Rien de moins qu’un chefd’oeuvre. C’est ainsi que la beauté surnaturelle peut se naturaliser par l’artifice pictural sans que ce dédoublement entre modèle et portrait implose, un effet en revanche consubstantiel à l’essence même du photographique. Il nous faut, en effet, être attentif à ceci, dont dépend toute interprétation du virtuel dans l’image : si nous l’appréhendons à partir du paradigme désormais hégémonique de l’image comme ressemblance absolue, c’est-à-dire comme photographie, la spécificité de la peinture s’en trouvera ipso facto disqualifiée comme l’insignifiant parasitage que la “manière” du peintre inflige à ce qu’on voudrait voir du modèle, donné par hypothèse comme absolument beau. Le portrait de Dorian Gray, pour cette raison, ne peut pas être transposé au cinéma sans que l’essentiel en soit perdu. En effet, l’acteur jouant le rôle principal sera toujours en dessous de celui-ci, joli là où on attend du beau et, pis encore, le portrait paraîtra toujours une approximation gauche et malhabile

du

visage

de

l’acteur,

dont

on

voudra,

c’est

compréhensible, qu’il reste reconnaissable à travers le barbouillage prétendument artiste.

35


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Rien de tel dans l’écriture littéraire. Ce que la photographie ne peut pas montrer, à savoir l’absolument beau, il suffit de l’énoncer. Le même problème se pose au théâtre, problème que Wilde résout tout aussi simplement, en faisant passer de voix en voix l’énoncé insistant selon lequel « […] la princesse Salomé est belle ce soir […]». Telle est la magie du théâtre, qu’elle fait oublier ce qu’on voit pour lui substituer ce que l’imagination hallucine. Tout est là, dans cette ambivalence de l’imagination, qui se substitue au regard autant qu’elle en soutient le fonctionnement : quoi qu’il arrive, l’on croit toujours que l’on a vu quelque chose alors qu’il se peut qu’on n’ait été sensible, à l’occasion, qu’à l’impossibilité de tout voir de celle-ci, comme dans le cas d’une beauté plus grande que grande, c’est-à-dire sublime. Le paradigme photographique, à l’époque de Wilde, reste toutefois d’introduction récente, et pour cette raison, vient encore se surajouter, de manière inassimilée, à une culture du regard qui reste profondément

picturale.

la

photographie

impose

la

ressemblance, l’ancienne peinture maintient à peu près intacte un effet de présence, pour autant que le monde où elle se montre ne soit pas encore redéfini par l’omniprésence d’images techniquement parfaites et pour tout dire submergé par elles. À travers le prisme de l’écriture littéraire, l’évocation du tableau restitue pour l’imagination un effet de présence sans pouvoir jamais lui imposer celui, toujours saturant, de la ressemblance. Aucune description n’est en fait ressemblante à l’ère de la photographie généralisée, une indication que nous devons laisser à l’état d’allusion dans le cadre limité de cette communication. La question du visage est essentielle dans 36


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notre

discussion.

En

effet,

dans

une

perspective

purement

photographique, tout visible est visible de manière égale. Ce n’est le cas ni dans la sexuation – le visage est ce qui est politiquement visible, tout le reste est à des degrés divers caché, habillé et relativement invisible –, ni dans la peinture classique, et nous appelons “classique” cette peinture qui ne serait pas encore contaminée en sous-main par le paradigme photographique. Le visage prime. Il est cette partie qu’au temps jadis se réservait le Maître, laissant aux apprentis selon leur métier et leur expérience le soin de rendre le fond, le paysage, les drapés, les détails. Dans la théologie grecque-orthodoxe de l’Incarnation, il n’y a d’icône, à proprement parler, que du visage. Et la raison en est que le regard se situe dans le visage, qu’il voit et qu’il est vu en même temps, dans le vis-à-vis politique par lequel l’humain atteste de sa présence auprès d’autrui tandis que du même mouvement, celui-ci atteste de la sienne. Le visage est ce qu’il y a de moins corps dans un corps, et de plus âme… C’est le visage de Dorian Gray, et parfois aussi les mains, que les ténèbres de son âme contaminent et réécrivent en profondeur. Et dans l’économie de cette fiction, Oscar Wilde devait introduire subrepticement une hypothèse énorme de conséquences, à savoir qu’un visage finit toujours par montrer la vérité d’une âme. L’ambigüité omniprésente dans le Portrait amène à demander quelles sont les parts respectives du dépérissement propre aux mortels que nous sommes – le visage perd sa beauté en vieillissant –, de l’assouvissement de vices ordinairement tenus secrets ou encore d’un véritable cancer de l’âme dont la teneur serait moins sexuelle qu’éthique, à mesurer en termes du respect d’autrui. Le fait est que ce visage dans le portrait wildien est, comme l’oracle grec, toujours 37


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vrai mais toujours obscur et il fait couple, naturellement, avec celui, physique, de cet homme demeuré éternellement jeune et qui s’évide jusqu’à n’être qu’un pur simulacre, une image. Sans aucunement préciser, Oscar Wilde implique à son insu le lecteur qui peut, ordinairement, goûter la

fiction d’un ensorcellement magique qui

troque image pour image, l’invisible visage de l’âme contre l’éclat survisible d’une beauté à la fois physique et métaphysique… L’écriture est ce qui permet à l’imagination de voir ce que la peinture ne peut réussir qu’occasionnellement à représenter : l’absolu, le sublime, le divin. Sans rouvrir ici l’épais dossier de la Querelle des images et trancher entre les valeurs spirituelles respectives de l’icône et de l’idole, il convient de souligner ici que l’écriture incite l’imagination à voir, lui ouvrant un très large champ là où toute représentation picturale et a fortiori photographique l’en empêche. C’est que l’imagination a ceci de particulier qu’elle crée ce qu’elle voit comme elle voit ce qu’elle crée. Et nous visons ici davantage l’imagination du lecteur que celle de l’auteur, même s’il est courant que le lecteur attribue les séductions de ce qu’il voit à l’art de l’écrivain. Il n’a ni totalement tort ni totalement raison et cette ambigüité-là est justement ce que la photographie et le cinéma s’avèrent le plussouvent incapables de respecter. C’est dans cette ambigüité-là que le désir surgit. 3. Le désir et la portée politique de son ambigüité L’écriture – son essence, sa phénoménologie, son travail… – est ce que l’on voit le moins dans ce qu’elle donne à voir. Il lui faut alors trouver une figuration qui lui convienne et, paradoxalement, c’est 38


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dans le Portrait, l’acte de peindre luimême qui en devient la métaphore non seulement privilégiée mais aussi piégée. En effet, l’on peut énoncer d’une manière générale et innocente que ce qu’est Basil Hallward à la peinture, Oscar Wilde l’est à son écriture. 1 Mais il y a beaucoup plus, dès lors qu’on s’intéresse non pas au résultat – la magnification de l’aspect physique de Dorian – mais à ce qui le motive : le désir, dont l’ambigüité propre au sein du fait pictural, est qu’il se généralise, s’esthétise, redevient invisible et surtout se désincarne en s’effaçant totalement derrière son objet. Basil Hallward peint cela même qu’il désire et peint à partir de son désir pour que celui-ci, de charnel et honteux, devienne spirituel et glorieux et cela est montré, décrit, discuté, dans les limites ce qu’il était possible d’énoncer en 1890. Oscar Wilde par l’écriture élargit le champ que le seul acte de peindre refermait : il élève immédiatement le portrait au niveau du chef-d’oeuvre et de par cet ascenseur peut accéder à son propre désir aussi extatiquement qu’il est possible, s’avançant masqué de par un désir à la fois sublimé dans un medium artistique et cependant exalté, à la fois montré et caché, avec une charge à la fois désincarnée bien qu’explosivement sexuelle.2 1

Oscar Wilde se reconnaît en Basil comme il l’écrit à Ralph Payne : « Je suis extrêmement heureux de savoir que vous aimez ce roman d’étrange apparence [that strange coloured book of mine] : il contient beaucoup de moi-même. Basil Hallward est ce que je crois être ; Lord Henry, ce que le monde me croit ; Dorian, ce que je voudrais être – en d’autres temps, peut-être ». WILDE 1994, p. 190. 2 Neil McKenna, dans sa biographie The Secret Life of Oscar Wilde – MCKENNA 2005, pp. 118 & seq. –, explique avec un luxe de détails parfois turpides, la passion qu’avait conçue Wilde pour un certain John Gray, une passion qui avait cessé à un certain moment d’être platonique. Ce jeune homme, qui se signalait par une très grande beauté juvénile et des valeurs socialement pragmatiques – il quitta Wilde pour un mécène bien plus riche et manipulable encore, un certain André Raffalovich – s’était arraché à la condition très médiocre de sa famille (dont l’atmosphère ressemble à celle que Wilde imagine autour de Sibyl Vane) grâce à ses grandes prédispositions intellectuelles et un parcours d’autodidacte persévérant et déterminé. On peut concevoir que ce Portrait en est véritablement un, une magnification et une réécriture de la passion que Wilde a pu 39


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Les éditeurs, en 1890 et en 1891, tout comme Oscar Wilde, se sont employés à faire disparaître toute évidence d’une inspiration homosexuelle, de manière à ce que l’on puisse lire en toute innocence ce Portrait de Dorian Gray, sans jamaisen suspecter les enjeux. Cette innocence-là est d’ailleurs celle de Dorian luimême au tout début du livre, et il n’est pas indifférent qu’en passant de l’autre côté du miroir, en s’initiant à un savoir tenu secret, il se métamorphose en pervers narcissique. Le fait est que toute la société victorienne est dans cette structure perverse

1

et qu’ainsi, comme

concevoir pour l’incandescente beauté de John Gray, qui, non sans humour, à l’occasion signe “Dorian” les lettres qu’il destine à son ancien mentor. 1 La perversion est ordinairement abordée à travers son folklore, dont par ailleurs Oscar Wilde a longtemps été un emblème. Il ne s’agit pas de cela, ici, mais d’une part, de la transgressivité propreà la pulsion sexuelle, et d’autre part, de la divergence de plus en plus béante en notre ère postmoderne entre la Loi qui s’avère davantage nonhumaine qu’inhumaine, dès lors qu’elle est celle des machines et des marchandises, et l’être humain, qui tout entier, paraît inassimilable à cette légalité – le discours de la Science – qui a remplacé l’instance divine. Il s’ensuit que l’humain se vit à la fois comme exilé de l’intérieur selon l’expression frappante de Roland Jaccard et comme en dehors de la norme, quoi qu’il fasse. Philosophiquement, la tâche nous incombe de penser le lien entre le niveau psychologique ou psychanalytique où la perversion possède une histoire à forte évolution – ainsi l’homosexualité n’est (presque) plus pensée comme une perversion – et le niveau politique, où cette structure perverse, selon nous, est devenue la norme – nous, les êtres humains, sont ce qui échappe à l’explication scientifique totalisatrice et la transgresse. On le remarquera aisément, les positions se sont échangées, depuis cette époque, celle de la reine Victoria, où le bon sens, l’ordre de la nature, les décrets de la providence et l’ordre politique s’harmonisaient en une norme prétendument humaine et où l’homosexualité lui servait de repoussoir et de marqueur fondamental de la perversité. Tout le Portrait de Dorian Gray pourrait être interprété, en son détail, comme matrice de convertibilité de la perversion englobante en perversion individuée et pour tout dire, dont la cristallisation en une individuation absolue est réalisée par l’élément fantastique (l’inversion du naturel et de l’artificiel dans le phénomène Dorian Gray). Nous devons laisser cela à l’état d’indications, tout en proposant à la méditation ces quelques lignes tirées de La Part Obscure de nous-memes : une histoire de pervers, d’Élisabeth Roudinesco, dont l’exergue est une citation frappante de G. Bataille: « Plus grande est la beauté, plus profonde est la souillure » : « Si aucune perversionn’est pensable sans l’instauration d’interdits fondamentaux – religieux ou laïques – qui gouvernent les sociétés, aucune pratique sexuelle humaine n’est possible sans le support d’une rhétorique. Et c’est bien parce que la perversion est désirable, comme le crime, l’inceste et la démesure, qu’il a fallu la désigner non seulement comme un discours nocturne où s’énoncerait toujours, dans la haine de soi et la fascination pour la mort, la grande malédiction de la jouissance illimitée. […] Que les pervers soient sublimes quand ils se tournent vers l’art, la création ou la mystique, ou qu’ils soient abjects quand ils se livrent à leurs pulsions meurtrières, ils sont une part de nous-mêmes, une part de notre humanité, car ils 40


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Wilde le revendiquait,1 Dorian Gray est, littérairement, le miroir dans lequel chacun se mire et s’aperçoit lui-même. La signification de la structure perverse dont nous empruntons le concept à la psychanalyse et surtout à Jacques Lacan peut être résumée ici comme la réification d’autrui – son devenir-chose – qui peut ainsi devenir un souffredouleur : le pervers transfère ainsi sa propre souffrance interne, à la fois indicible et déstructurante sur sa victime à laquelle il demande, pour ainsi dire, de souffrir pour lui. À l’apogée de la Modernité scientifique et industrielle, selon notre lecture, c’est la société qui se radicalise en une structure perverse et se fabrique l’une ou l’autre figure de sa propre marginalité (le juif, le fou, l’homosexuel) pour loger en elle le chiffre de sa propre énigme et l’ayant ainsi identifié, le détruire. Si l’écriture permet d’énoncer une beauté absolue que l’imagination de tout lecteur peut, selon ses propres moyens, se représenter, elle peut tout aussi bien produire les mêmes enchantements à l’occasion du mal : le Portrait est particulièrement allusif quant aux méfaits, turpitudes et autres vilenies de Dorian Gray adulte et l’imagination lectrice s’emploie à nommer l’innommable, substituant l’horreur ressentie à l’objet horrible lorsque celui-ci n’est pas identifiable. En ce sens, nous pourrions montrer – bien qu’il nous faille renoncer à le faire ici, faute de place – que la fiction wildienne a valeur apotropaïque : elle consiste à figurer cette structure perverse généralisée dans la société victorienne en la logeant dans un personnage à double entrée, exhibent ce que nous ne cessons de dissimiler : notre propre négativité, la part obscure de nous-mêmes ». ROUDINESCO 2011, pp. 15-6. 1 « Chaque homme voit en Dorian Gray son propre péché. Quels sont les péchés de Dorian Gray, nul ne le sait. Celui qui les décèle, c’est qu’il les a commis ». Lettre au Directeur du Scots Observer, du 9 juillet 1890, in WILDE 1994, pp. 142-3. 41


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hautement

visible

et

bassement

secret

et

à

en

organiser

l’autodestruction dans une dramaturgie fantastique dont le ressort est ouvertement celui d’un maléfice faustien et, plus secrètement, la traduction de la puissance de destruction et de déspiritualisation de l’idéologie de son temps. Toute la charge diabolique qui investit peu à peu Dorian Gray a été insérée dans le maléfice premier, celui qui rend sensible le tableau, et insensible, son modèle. Toute l’intrigue subséquente ne fait qu’accomplir ce qui, invisiblement, s’insérait dans ce voeu faustien qui revendique le statut athanatos de la jeunesse, inaltérable – athanatos, c’est-à-dire immortel et par conséquent divin. C’est la partie classique et grecque de l’intrigue. 1 L’éclat surhumain, s’il touche au divin, se paie en contrepartie par une noirceur subhumaine : c’en est la partie médiévale et chrétienne. L’excès de lumière et l’excès d’abîme sont articulés en une fatale gémellité dans l’intrigue, avec ceci de particulier que la lumière se voit, même si son excès aveugle, et que la nuit noire est aussi bien l’effet d’un tel éblouissement que les ténèbres d’une certaine cécité. Le noir ne se voit pas : l’ambigüité permet ici de passer d’une incapacité organique du voir quoi que ce soit à l’absence de quelque chose à voir pour un regard fonctionnant parfaitement.

1

De par son éducation soignée, Oscar Wilde est parfaitement familier des modes de pensée anciens : cela lui permet d’appréhender la beauté comme un rayonnement analogue à celui de la lumière. Cette analogie, dans la pensée grecque, est rendue possible par une communauté originaire de nature entre ce qui est beau et ce qui est solaire. Et la lumière est affaire de regard, et vice-versa. Ce qui est beau est lumineux, et vice-versa. Nous renvoyons pour le détail de ces considérations à notre livre, L’oeil solaire : PIEROBON 2015. 42


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Cela pourrait constituer, à tout le moins, une réponse possible à la question que l’on n’ose pas toujours poser, celle de la signification du mal qui possède Dorian Gray, en contrepartie de sa jeunesse éternelle. Est-ce que ce mal figure et désigne le désir homosexuel que sa beauté fait flamber ? Est-ce qu’il est la contrepartie de l’hubris de cette omnipotence d’une beauté absolue peut faire valoir sur tout regard ? Comme Joseph Bristow le remarque, l’intrigue du Portrait de Dorian Gray se déploie dans un brouillard qui masque l’homosexualité des protagonistes en même temps qu’il le proclame. Mais cette ambigüité ouvre sur une autre ambigüité plus profonde encore : le mal que Dorian fait incessamment autour de lui est-il lié, par quelque nécessité, à son l’homosexualité des protagonistes en même temps qu’il le proclame. Mais cette ambigüité ouvre sur une autre ambigüité plus profonde encore : le mal que Dorian fait incessamment autour de lui est-il lié, par quelque nécessité, à son homosexualité ?1 À suivre Bristow, deux réponses sont possibles : l’on peut penser que ce type de désir caractéristique de Dorian Gray fait l’objet d’une répression implacable et que l’origine du mal est politique, ou bien l’on peut juger que l’homosexualité elle-même est un « instrument meurtrier », ce qui est une manière, peut-être inconsciente

chez

ce

commentateur,

d’accréditer

la

thèse,

omniprésente dans le livre de Wilde et dans l’air du temps, que la séduction homosexuelle – voire même toute séduction, en dehors de la finalité procréatrice du mariage – est une conversion au mal, quel qu’en soit le concept. Bristow se tire de ce faux-pas en argumentant

1

Joseph Bristow pose clairement la question : « How then, might we interpret Dorian’s desires? Are they doomed by a homophobic culture? Or is their homophilia itself an instrument of murder? ». BRISTOW 1997, p. 211 43


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que Dorian est la proie de ses passions, au lieu d’en être le maître, 1 à ceci près que l’expression estredondante (dès lors que la passion est étymologiquement ce que l’on subit et non ce dont on se rend maître) et que l’idéologie de la maîtrise de soi, très grecque il est vrai mais aussi très victorienne, suppose ces renoncements et ces reculs dont Lord

Henry

fait

la

cause

de

l’enlaidissement

de

l’âme

qui

accompagne la vieillesse : souvenons-nous de ces «tentations exquises auxquelles nous n’avons pas eu le courage de céder ». 2 Ne cherchons pas la cohérence d’une logique binaire dans ce Portrait et c’est d'ailleurs ce qui fait son pouvoir de fascination, encore palpable aujourd’hui. La généralisation de l’ambigüité et de l’équivoque dans le roman, depuis les sophismes de Lord Henry – « le courage de céder à la tentation » – jusqu’à l’architectonique du virtuel et du réel dans toutes

les

modalités

de

l’image,

depuis

le

portrait

jusqu’à

l’incarnation scénique, est non seulement délibérée, brouillant en amont toutes les cartes et rendant impossible une interprétation sagement analytique, mais aussi philosophiquement riche. Au-delà du trucage et de l’artifice, sur le statut duquel, on le sait, Wilde a beaucoup de choses à dire, l’ambigüité méthodologique répond à l’ambigüité du fait humain, qui ne s’exalte jamais autant que dans l’exception alogique que l’homosexualité constitue au sein de la conception victorienne de la différence des sexes et, à un niveau plus profond encore, dans cette similaire exception alogique que constitue le fait humain dans toute son ampleur par rapport à la rationalité technoscientifique dont l’essor inexorable et irrésistible se fait sentir en cette fin-de-siècle. « The problem for Dorian lies in how he falls prey to his passions ». BRISTOW 1997, p. 214. 2 WILDE 2006 [1891], p. 68. 1

44


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Naturellement, il ne peut être question de prêter à Oscar Wilde des intentions au-delà de ce qu’il en a lui-même énoncé. Toutefois, tout comme le lecteur est piégé au-delà de ce qu’il suspecte dans la magie faustienne de ce désir que le Portrait diffracte en mille facettes, l’auteur ne peut pas davantage contrôler ce qui, jusqu’à un certain point, s’impose à lui. À commencer par son désir et par le fait que celui-ci soit à la fois indicible – c’est le thème de la beauté absolue – et impossible – c’est le thème de la répression et du refoulement comme sources de laideur.1 À tout le moins, Le Portrait de Dorian Gray peut être interprété comme un manifesto homosexuel. C’est ce que le Portrait donne à voir, prima facie, pour la sensibilité d’aujourd’hui,

à

une

époque

l’homosexualité

perd

progressivement sa charge de scandale indépassable. L’envers du portrait fait signe vers l’horizon sous lequel Oscar Wilde écrit, qu’il le veuille ou non, qu’il s’en défende en pleine conscience ou qu’il s’efforce de l’ignorer, et cet horizon ne s’est pas estompé, bien au contraire. Si l’époque de Victoria se signale par la répression de tout désir sous l’égide d’une idéologie inhumaine, nous en avons conservé le maléfice civilisationnel que l’on pourrait nommer désenchantement après Max Weber2 et qui, entretemps, s’est révélé totalitaire et indépassable, sans oublier le triomphe absolu de 1

Décrivant ce qu’il advient de la jeunesse et de sa beauté, Lord Henry se montre lyrique : « […] notre jeunesse à nous ne revient jamais. La pulsation joyeuse qui bat en nous à vingt ans se transforme en apathie. Nos membres nous lâchent, nos sens se corrompent. Nous nous décomposons en d’affreux pantins obsédés par le souvenir de passions devant lesquelles nous avons reculé et de tentations exquises auxquelles nous n’avons pas eu le courage de céder ». WILDE 2006 [1891], p. 68. 2 Cf. WEBER 2004. L’expression usitée, desenchantement, traduit die Entzauberung der Welt, c’est-à-dire littéralement l’éradication de toute la magie du monde, ce monde pouvant utilement être entendu dans son sens phénoménologique. 45


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l’image photographique et la réduction de tout imaginaire littéraire à son régime audiovisuel… Certes, Oscar Wilde, dans son projet d’écriture, ne peut pas être aussi conscient de ces enjeux et voir d’emblée aussi loin, évidemment, que ce que nous semblons lui faire dire. Parce qu’il ne s’agit pas de voir. Lorsqu’on écrit d’après nature, il faut tout noter car l’on n’a rien compris à son modèle, en se contentant de l’avoir vu, justement. Mais lorsqu’on écrit d’après l’idée, tout peut être suggéré si cette idée sonne juste. Et dans le cas du Portrait, le non-dit recouvre confusionnellement autant ce que l’on sait très bien mais qu’il est interdit de dire que l’indicible luimême – la beauté, le désir, la mort, mais aussi la déspiritualisation galopante d’une société de Philistins paranoïaques, qui se croient modernes. Et par ce biais, le désir en général et le désir homosexuel en particulier dans le contexte victorien fonctionnent comme une Aufhebung de la rationalité scientifique, industrielle et mercantile qui, à terme, voudrait réduire le monde à un ensemble gérable de machines et de marchandises. Et cette réduction est en passe de s’actualiser…

Aujourd’hui,

le

désir

homosexuel

semble

s’être

passablement acclimaté : il est devenu mainstream et petit à petit il a perdu sa propre logique pour adopter, avec enthousiasme, celle du consommable et du mercantile. Le danger s’est éloigné, et avec lui, tout espoir de salut. Lord Henry Wotton avait vu juste, la jeunesse est la valeur suprême,1 avec sa charge fantasmatique qui la donne pour plus qu’elle n’est. La mentalité du publicitaire a remplacé la mystique du peintre.2 […] la jeunesse est la seule chose qui vaille ». WILDE 2006 [1891], p. 66. Rachel Bowlby montre d’une manière aussi fascinante que convaincante, que Le Portrait de Dorian Gray construit un personnage qui doit bien davantage à la logique de la publicité à venir, qu’à celle de l’esthétisme hérité de Walter Pater. Elle fait remarquer que le travail de Lord Henry sur la personnalité de Dorian est similaire au marketing d’un produit par un publiciste : mieux encore Dorian Gray est à la fois le produit et le 1

«

2

46


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Aujourd’hui, Dorian Gray, très people, défilerait pour Karl Lagerfeld. 4. Sibyl Vane, l’anti-portrait de Dorian Gray Faire surgir sur scène non pas un personnage péniblement joué par une actrice vaguement au point mais Juliette elle-même dans la célébrissime pièce de Shakespeare, Romeo et Juliette, c’est tirer d’un néant silencieux et opaque une vision qui s’imposerait à nous, indépendamment de ce que nous pourrions lui vouloir. L’importance de l’épisode de Sibyl Vane, dans le Portrait, ne doit pas être éclipsée par l’impact mélodramatique du dénouement. Rappelons-en les enjeux : le récit est mis dans la bouche de Dorian Gray, qui, tout seul, par lui-même, clandestinement même pourrait-on dire – mais c’est là non pas le secret mais la solitude de qui s’absorbe dans un fantasme naissant – se rend régulièrement dans un théâtre de énième ordre, sordide, sale et sinistre, pour admirer une actrice, très jeune, très malheureuse et bien sûr très belle. En fait, même si le texte ne le dit pas expressément, elle est le double féminin de Dorian. Qu’il soit lui-même la cible d’évidents désirs homosexuels ne dit rien sur sa propre orientation sexuelle et il nous faut croire qu’il croit sincèrement aimer cette jeune fille, quoiqu’en fait il aime en elle l’incarnation protéiforme des grands rôles féminins du répertoire. Il serait inexact d’affirmer qu’elle est une enveloppe creuse, car il faudrait user ici d’une autre image, plus subtile, voire même d’un consommateur de ce produit, qui est leproduit du siècle, à la fois la beauté et la jeunesse moderne : « Lord Henry remakes Dorian as the advertiser markets his product. In representing his image to him as both the epitome of modern youth and beauty, ‘the finest portrait of modern times’ and the ‘the real Dorian Gray’, he gives him an advertisement forhimself, in relation to which Dorian is both the consumer and what he buys. He is taken over by words which impose on him an identity he will henceforth live as his own. But his very uniqueness is entirely derivative ». Bowlby 1996, p. 185. Et après que Dorian ait opté pour l’image (picture) de lui-même comme idéal moderne, ajoute-t-elle, il paraît tout à fait logique qu’il solde son âme comme un résidu démodé à un diable tout aussi démodé: BOWLBY 1996, p. 185 47


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nouveau concept : ce n’est pas son corps mais bien son âme qui se laisse envoûter, par une mimesis1 absolue, par les rôles qu’elle joue soir après soir. Si nous pouvons parler ici d’un “double féminin” de Dorian, il faut préciser toutefois que ce double présente une tout autre disposition

que celle-ci qui structure le personnage du

roman : au dédoublement au terme duquel le tableau et son modèle entrent dans une concurrence fatale – il y a un absolu de trop, avions-nous dit – répond l’implosion de l’actrice et de son personnage par l’incarnation que celle-ci en fait. Dorian est une image oblique, immanquablement inféodée au paradigme de la ressemblance et similaire en cela à la diegese, là où Sibyl est une image frontale, répondant au paradigme de la presence et mettant en oeuvre une véritable mimesis. Tout théâtre est mimétique, toute littérature, même l’autofiction, est diégétique. Tout comme le tableau diffère de son modèle par la part essentiellement subjective de l’artiste, à savoir son regard, son désir, son métier, son style, sa “manière”, etc., Sibyl diffère des rôles qu’elle est capable d’incarner avec une présence hallucinatoire par cela même qu’elle est, c’est-à-dire presque rien, lorsqu’elle ne joue pas.2 Les dénouements respectifs du trajet de Dorian et de Sibyl présentent maintes similarités de structure : le meurtre du peintre annoncera le dénouement du maléfice pictural, qui aboutira à la 1

Effectivement, un rapprochement s’impose ici avec la mimesis antique, celle que Socrate décrit au Livre III de la Republique (392d-393b) lorsqu’il explique que l’on devient Chrysès, le grand prêtre suppliant, lorsqu’on récite par coeur les implorations et les imprécations formulées par Homère à la première personne. Ce n’est pas l’effet d’une volonté délibérée, mais bien plutôt celui de la restitution, à partir de la mémoire, de paroles dont la force propre suffit à convoquer un très puissant effet de présence autre. Et il faut donc définir la mimesis non pas dans son rapport possible au spectateur ou au lecteur, mais par rapport à celui qui, disant les mots à voix haute, devient le personnage. 2 [DG] – Ce soir elle joue Imogène, répondit-il, et demain ce sera Juliette. [Lord H.]– Quand est-elle Sibyl Vane ? – Jamais ». WILDE 2006 [1891], p. 103. 48


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tentative de destruction de l’image, entraînant magiquement celle du modèle, Dorian recouvrant par-là les stigmates de son vieillissement et de ses vices jusque-là cachés ; ici Sibyl massacrera le personnage de Juliette en cessant de l’incarner, en la jouant comme une « poupée de bois »,1 scolaire et mécanique, pour redevenir elle-même sans prendre conscience que c’était l’image-présence qu’elle projetait que Dorian croyait aimer, et non ce que l’on ne pouvait en voir, à savoir ellemême. Les similitudes s’arrêtent là ou, à tout le moins, changent de niveau. Le maléfice faustien qui frappe Sibyl est de nature socio-économique.2 Son malheur est suffisamment grand pour qu’elle fuie le monde, en son entier, dans une vie par procuration, devenant quelqu’un d’autre pour être quelqu’un. Pour Dorian Gray, jeune, riche, libre, etc., il faut bien pour faire dérailler le train quelque invention du diable. Et tout se passe comme s’il fallait, à quelqu’un que le malheur a épargné, qu’il se fasse lui-même diabolique. L’écriture, dans l’économie d’un roman, est incapable de cette mimesis que son auteur, Oscar Wilde, donne pour totale chez Sibyl. Nous voyons Sibyl à travers les yeux de Dorian, et nous en savons ce qu’il nous fait vivre, par procuration. Pour susciter de la présence, l’écriture littéraire doit recourir à d’autres moyens, faute de cet espace vivant qui sous-tend le théâtre et en démultiplie la WILDE 2006 [1891], p. 138. La condition d’actrice constitue pour la femme victorienne une transgression et un cheminement tragiques : en effet, monter sur scène, c’est déjà sortir du rang où, en tant que femme sous Victoria, il convenait de demeurer stoïquement silencieuse et posée – suffer and be still. L’effet de transe électrisante et d’incarnation hallucinée semble avoir été une constante chez les lionnes du théâtre, à commencer par la célèbre Sarah Bernhard, comme l’a très bien montré Kerry POWELL 1997, pp. 184 & Seq. 1

2

49


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dimensionnalité scripturale.3 Différents régimes imaginaires se trouvent par-là installés dans cette oeuvre de Wilde. Nous avons d’une

part,

par

des

allusions

claires,

cette

imagination

fantasmatique qui permet de rêver aux corps inaccessibles que l’on désire et que l’on voudrait posséder en rêve, selon des rêveries que l’invasion pornographique a rendu obsolètes ; d’autre part, cette imagination aux ordres d’un texte, comme celle par laquelle le Portrait de Dorian Gray s’anime et prend vie, ainsi que nous l’avions expliqué, et d’autre part encore, ce régime d’imagination par lequel nous devons imaginer l’inimaginable : la beauté absolue de Dorian, la présence absolue de Sibyl. Dans ce dernier cas, si nous nous reportons à la performance théâtrale effective – et non à son récit par la bouche de Dorian ou encore par la médiation du texte de Wilde –, l’imagination toujours déjà sollicitée de la part du spectateur est mise sous tutelle. La présence théâtrale, toute fantasmagorique qu’elle puisse être, s’impose avec la force du réel : nous voyons Juliette, et non plus Sibyl, sans que nous puissions attribuer à la force de notre seule imagination le détail de ce que nous voyons. L’imagination ordinaire, celle qui rêvasse et s’invente des présences dont en fait elle tire toutes les ficelles, ne peut que se lasser de ce qui ne s’oppose jamais suffisamment à elle, à partir de son autonomie propre.

Le

corps

rêvé

sensuellement

ne

peut

aucunement

surprendre. Là, sur une scène réelle, tout change : alors que la 3

Faute de place, nous ne pouvons pas davantage argumenter de distinguer entre cela. Ce qui permet la lecture d’une pièce de théâtre et sa performance à la scène est à la fois invisible (surtout au niveau du texte lui-même) et essentiel et ne peut s’exprimer qu’en termes phénoménologiques. Nous renvoyons pour cela à notre ouvrage Salome ou la tragedie du regard, également consacré à Oscar Wilde : PIEROBON 2009. Dans le Portrait, l’accent est mis sur l’incarnation que réalise Sibyl, comme en marge du fonctionnement dramaturgique, comme si elle devait produire ainsi un effet d’image sublime enchâssée dans l’obscurité d’une performance par ailleurs fort médiocre en ce qui concerne les autres acteurs. 50


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présence théâtrale reste de part en part de nature imaginaire, virtuelle et non réelle, l’altérité est d’une puissance sidérante et par conséquent libératrice. Dorian, qui est à la fois le personnage qu’a créé Wilde et une présence qui s’est certainement imposée à lui au sein de son travail d’écriture, rencontre une présence similaire qui s’impose de même à lui comme ce qui échappe à son propre imaginaire. Le dénouement s’annonce, quasi mécanique : tout chute dès que la présence théâtrale s’éteint, et qu’il ne reste sur scène non pas la réalité d’une certaine Sibyl Vane, mais l’écriture ellemême dans ce que celle-ci a de plus phonographique à travers « la pénible précision d’une écolière qui a appris la diction auprès d’un professeur médiocre ».1 Wilde multiplie les descriptions de cette mauvaise performance parce qu’il lui faut rendre cette écriture réduite à elle-même, tandis que Sibyl s’en est retirée : La voix était exquise mais absolument mal placée. Elle sonnait faux. Elle retirait toute vie au vers et rendait la passion irréelle. [...] elle en débita les paroles comme si elles ne signifiaient rien pour elle. Non qu’elle fût nerveuse : au contraire, elle se possédait admirablement. C’était simplement du mauvais art.2 Ce n’est donc pas une question de voix mal timbrée ou de trac, « au contraire », écrit Wilde, qui doit procéder par notations négatives pour conclure en désespoir de cause, en un raccourci assez décevant, qu’il s’agit là de « mauvais art ». Pourtant son intuition reste féconde : il s’agit davantage de rapport à l’écriture théâtrale que de la psychologie de Sibyl dont par ailleurs la beauté est intacte, comme le note Lord Henry.3 Moyennant quelques précautions, l’on 1

WILDE 2006 [1891], p. 137.

WILDE 2006 [1891], pp. 136-7. En invitant Dorian à venir reprendre ses esprits au club après le fiasco, Lord Henry propose de boire « à la beauté de Sibyl Vane. Elle est belle. Que veux-tu de plus ? ». 2

3

51


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peut comparer les deux attitudes du jeu de Sibyl aux portraits que peuvent réaliser d’un même visage un peintre et un photographe respectivement : le « mauvais art » consiste en l’exécution purement mécanique d’une remémoration, en une indifférence absolue au contenu des mots, et même à leur musicalité, l’équivalent de ce que les voix électroniquement reconstituées donnent à entendre de nos jours dans les espaces publics tels que les aéroports et les gares de chemin de fer. Ce que l’on entend alors est l’écriture au sens le plus fermé du terme, dans ce qu’elle a de non-vivant. La difficulté conceptuelle pour comprendre ce que serait, par contraste, un “bon art”, tient à ce que l’écriture serait, dans le jeu puissamment incarné de Sibyl, le moule disparu d’une forme admirable : dans ce jeu parfait, l’on ne sent plus qu’un texte existait avant elle, et l’on ne sent plus non plus le travail de mémorisation et de restitution, pas plus que l’on entend la respiration et le débit mis à mal par la métrique des vers et tout se passe comme si – nous soulignons ici à dessein le caractère kantien de cette expression – l’art s’était fait nature, comme si les mots que l’on entend sur scène venaient de jaillir dans l’esprit de Sibyl-Juliette, comme si elle les inventait ou les découvrait, car c’est ici la même chose, au fur et à mesure qu’elle les dit. L’effet parasite de la répétition propre à toute interprétation disparaît

absolument

et

cette

interprétation

se

fait

création

originaire. C’est ainsi qu’il y a présence et non pas ressemblance à quelque prototype toujours déjà surnuméraire. Parce que l’on en devine par-là la réponse, il faut maintenant se demander ce qui aura pu tant fasciner Dorian Gray dans l’incarnation Sibyl-Juliette : elle WILDE 2006 [1891], p. 138. La notation est d’une misogynie tout à fait dans l’air du temps : les femmes ne doivent pas se préoccuper d’autre chose que d’être belles, c’est-àdire dans ce contexte, simplement jolies. 52


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tient ensemble ce qui, chez lui, est en train de se séparer. Tandis que l’âme de Dorian en devenant icône, c’est-à-dire représentation seconde – dans un rapport de participation d’ectype à prototype qui va lentement mais sûrement se distendre jusqu’à rompre – acquiert petit à petit l’essence maléfique d’une idole ou d’un fétiche, celui, sexuel, de l’avidité scopique du désir homosexuel, l’âme de Sibyl, en transcendant l’artifice théâtral par sa puissance expressive, fait le trajet inverse, de l’idole à l’icône, et elle fait apparaître l’âme dans sa vérité la plus rayonnante, non pas telle qu’en elle-même mais à travers l’image (Juliette) qui l’incarne – c’est l’erreur de Sibyl de croire qu’elle est restée ellemême lorsqu’elle devient quelqu’un d’autre, alors qu’elle ne peut être qu’en étant autre. À un niveau tellement enfoui qu’on pourrait à bon droit parler d’inconscient ici, l’on pourrait envisager que Dorian a aperçu dans Sibyl- Juliette une âme incandescente, et sa passion pour elle correspond au manque qu’il éprouve confusément, celui d’une âme suffisamment puissante pour se rendre aussi visible, cette âme qu’il n’a pas, ou pour dire la même chose autrement : ce manque-là qui lui tient lieu d’âme. 1 Il est une chair sans incarnation, et la visibilité de sa propre âme, comme l’on sait, en passera elle aussi par une peinture, à valeur d’idole, avec ceci de profondément “fantastique” que l’incarnation de type christologique rend visible les ténèbres d’une âme, de par une 1

Le schéma annonce celui de Salomé dans son rapport à Iokanaan : à sa beauté absolue il ne manquait que la voix de la vérité, c’est-à-dire un rapport à la transcendance, esthétiquement fascinant pour le moins. Toutefois, il faut le remarquer pour son caractère insolite, Salomé occupe la position de Dorian, celle d’une beauté transcendante, à ceci près qu’elle revendique sa virginité, et Iokanaan, le prophète, celle de Sibyl, la bien-nommée Sibylle avec sa puissance prophétique. Le schéma d’une incarnation qui réaliserait en le rendant visible est, de manière troublante, celle de l’incarnation christique. Le Christ est hors du Père, invisible même s’il est omniscient – comme un écrivain, en somme. Il n’est que sous la modalité de son incarnation dans du visible, ce qui légitime le statut de l’icône. Pour tout ceci, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Salome et la tragédie du regard : PIEROBON 2009. 53


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inversion qui n’est pas loin de supposer du manichéisme (comme si c’était le diable en antithèse du Christ et à valeur par conséquent égale qui s’incarnait dans l’anti-icône maléfique, c’est-à-dire le portrait). L’architecture du virtuel que Wilde met en place se monnaie parfois par d’étranges incohérences. Cette mimesis qui n’a rien d’imitatif et dont nous reprenons le concept chez Platon semble être à ce point radicale qu’elle tient de la possession, au mépris même de l’art théâtral. En effet, Sibyl, jouant pour elle-même, semble devoir ne tenir aucun compte de ce qu’elle est regardée. Elle est en dehors de tout regard, et c’est cela le coeur de l’affaire dont elle s’expliquera avec une troublante lucidité, qui dissone quelque peu avec l’égarement qu’elle décrit : –

Dorian

!

Dorian,

s’écria-t-elle,

avant

de

vous

connaître, jouer était toute ma vie. Je ne vivais qu’au théâtre. […] Les décors peints étaient mon univers. Je ne connaissais que des ombres que je croyais réelles. Vous êtes venu – oh, mon bel amour ! – et vous avez délivré mon âme de sa prison. Vous m’avez enseigné ce qu’était vraiment la réalité. Ce soir, pour la première fois de ma vie, j’ai vu la superficialité, l’imposture, la bêtise du spectacle de pacotille dans lequel j’avais toujours joué...1 Le monde dans lequel elle évoluait et au sein duquel elle se réveille est un monde virtuel : décors peints, ombres, superficialité, 1

WILDE 2006 [1891], p. 140. 54


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imposture, pacotille, etc. Il faut songer que Dorian devait lui-même y avoir été sensible, isolant l’apparition provoquée par Sibyl et faisant abstraction de tout le reste. Elle est admirée, le texte le dit, et l’intérêt qu’elle porte au regard de Dorian semble voiler celui qu’elle porte sur lui. Les vers que Wilde met dans sa bouche sont ceux d’un amour

impossible,

c’est-à-dire

d’un

amour

effectif

dont

le

dénouement heureux est politiquement impossible. C’est là où l’effet de vérité et de réel se produit : elle dit des vers avec une incarnation telle qu’elle les rend prophétiques, et ce n’est pas la réalité, comme elle en impute l’enseignement à Dorian, mais l’amour qu’elle a en vue, un amour toujours déjà romanesque et loin de tout rapport au corps, au sexe, à la différence des sexes et ses chorégraphies, de par un refoulement qui signale, par son déni même, aux lecteurs prévenus de Wilde, qu’une actrice est toujours déjà une femme perdue, dont le nom est synonyme de prostitution. L’effet de vérité dont nous parlons fait de Dorian une présence inattendue qui vient faire irruption dans son monde virtuel, de la même manière que sa propre présence scénique a déconcerté son admirateur dans ses habitudes. Elle sort de ses rôles pour rencontrer celui qui n’en a aucun, ou aucun autre que lui-même, Dorian Gray, celui improbable du « Prince charmant », ainsi qu’elle l’appelle. Sibyl n’existe qu’habitée par un texte qui lui procure une âme et les moyens d’une présence scénique qu’elle produit sans que le reste de la scène lui soit visible, et par conséquent sans regard. Elle est tout entière image, en ce sens. De manière similaire, Dorian est lui aussi ab initio sans regard pour le soutenir dans un être autre, jusqu’à ce qu’un portrait le rende visible avec les conséquences funestes que 55


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l’on sait. De surcroît, par rapport à Sibyl, il est même sans texte, en attente de cette éducation socratique que Lord Henry lui prodiguera. Bien sûr, il n’est pas un acteur qui répète jusqu’à l’intérioriser la moindre parole de son mentor ; mais il n’en est pas moins possédé par la voix.1 Ce que Lord Henry peut avoir de performatif, tenant lieu par analogie d’écriture, ne réside pas telle ou telle parole déterminée, que Dorian citerait sans s’en rendre compte : sa performativité tient aux nombreux paradoxes et sophismes dont il émaille ses sentences, par l’instabilité même d’un savoir qui, se contredisant constamment, ne peut pas mieux tenir qu’un fantasme dans l’imagination. Oscar Wilde fait à l’occasion tenir des propos essentiels à l’un ou l’autre de ses personnages, qui paraissent parfois un peu au-delà de leurs capacités supposées. Cela tient à ce qu’il vit lui-même ce que Sibyl explique : tout comme le lecteur d’Homère devient Chrysès, il devient tour à tour l’un ou l’autre de ses personnages, à ceci près qu’à la différence de Sibyl, il ne devient pas ce personnage que quelqu’un d’autre aura écrit autrefois. Il est à lui-même son propre auteur et, pendant qu’il écrit, il est ce personnage qu’il incarne en imagination. Il écrit ce qu’il devient, il devient ce qu’il écrit. Bref, il prophétise, au sens étymologique du terme – pro phemi, il parle devant, à la place de... Il est hors de lui-même, tout entier asservi à ce que sa propre voix lui fait entendre. Et par cette écriture inspirée ou possédée, il 1

Dorian Gray en remarque innocemment l’effet : « Tu sais combien on peut être touché par une voix. La tienne et celle de Sibyl Vane sont deux choses que je n’oublierai jamais. Lorsque je ferme les yeux, je les entends et chacune me parle à sa manière. Je ne sais pas laquelle suivre ». WILDE 2006 [1891], p.98. Dorian lui aussi est jusqu’à un certain point un corps prédisposé à la possession : par le portrait de par le désir que lui porte Basil Hallward, par l’enseignement philosophique de par ce désir homosexuel que conçoit plus discrètement Lord Henry à son égard, de par des possessions qui sont chaque fois discrètement métaphoriques et qui renvoient cependant toutes à l’éphèbe passivement réceptif, un topos fondamental dans l’homosexualité victorienne qui s’exprime à travers les catégories de la culture philhellène. 56


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arrive que Dorian parle un peu trop comme Lord Henry, ou Sibyl, comme Dorian, ou encore qu’en une scène pleine de finesses, l’épouse de Lord Henry parle comme… Oscar Wilde. La place nous manque pour étayer ces observations, somme toute inessentielles dans leur détail. Une dernière remarque s’impose. L’équivoque fondamentale – une amphibolie structurelle qui peut donner deux sens irréconciliables à un même fait – qui précipitera le destin de Sibyl est d’autant plus intéressante qu’elle éclaire, par analogie, celle qui innerve le personnage dramaturgique de Dorian Gray : elle n’existe pour autrui qu’en incarnant l’un ou l’autre fétiche culturel, car le récit précise bien, avec un luxe de détail, qui sont ces grandes héroïnes du répertoire connu de tous, auxquelles elle donne vie. Il est essentiel qu’elle soit située dans une tradition classique bien connue, qu’actrice inconnue dans un théâtre improbable, elle transcende par sa

puissance

de

présence

des

textes

quieux-mêmes

sont

généralement considérés comme autant de sommets du répertoire. Nous sommes dans l’absolu : Sibyl Vane en incarnant Juliette manifeste une sur-âme, en transcendant l’art et l’artifice, de même que le portrait de Dorian le montre en sur-corps, avec une beauté rendue visible par les moyens de l’art, et, on l’imagine, ceux-là seuls, jusqu’au moment où l’on suit les conséquences de ce que son corps et son portrait ont échangé leursqualités. Aucune magie n’explique le génie de l’actrice, puisque c’est elle, la magicienne. Pour remployer ici les catégories de Denis Diderot dans comedien,1 1

proposons

que

Sibyl

Cf. Diderot 1993. 57

Vane

sonParadoxe sur le soit

une

actrice

de


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natureplutôt que de technique : elle restitue la présence de la Juliette de Shakespeare, qu’elle est, tout simplement, selon son inspiration du moment. Jouant les grandes héroïnes de l’amour impossible, c’est la

possibilité

même

d’un

amour,

même

s’il

est

lui-même

fantasmatique, qui la précipitera dans la situation qu’elle vivait jusque-là, par procuration, pour pouvoir vivre. Une généalogie pourrait être établie ici, entre le type de théâtralité illustré par Sibyl Vane et le travestissement homosexuel culminant dans l’incarnation burlesque et sérieuse à la fois opérée par les drag-queens dans la mesure où ce type de théâtralité propre au travesti fait conjoindre un effet de réalité psychologique à usagepersonnel – acceder a la realite a partir du virtuel : devenir quelqu’un en devenant quelqu’un d’autre – et sa face politique – virtualiser une realite politiquementimpossible : rendre acceptable ce que l’on est

même en lui conférant une

outrance impossible et aisément reconnaissable comme ludique, “pour rire”. Wilde excelle à ces jeux de trompe-l’oeil, faisant dire le vrai de manière fausse après avoir acclimaté l’idée que cette actrice exceptionnelle avait le don de rendre vrai ce qui est faux, dès lors qu’il relève du théâtre. Nous en avons un exemple quand Sibyl débite mécaniquement, parce que le théâtre lui est désormais sans importance, les célèbres vers de Romeo et Juliette qui dans cecontexte résonnent tout particulièrement : Thou knowest the mask of night is on my face, Else would a maiden blush bepaint my cheek

58


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For that which thou hast heard me speak tonight.1 C’est pour être aussitôt enlevé que ce « masque de la nuit » est évoqué, un masque sous lequel l’amour s’est dit à voix haute. Au fond, Juliette ne dit rien d’autre ici que « ce que tu as entendu, Roméo, je l’ai bien dit ! » Soit le contraire du double langage constamment en usage dans la séduction homosexuelle dans le Portrait.

L’ironie

tragique

ici

est

qu’en

se

faisant

purement

“technique”, Sibyl passe d’un extrême à l’autre : en récitant scolairement ces vers, elle ne se situe pas dans une vérité qui serait la sienne – redevenir Sibyl Vane – et encore moins dans une pose théâtrale – en surjouant, à l’excès l’un ou l’autre personnage – mais elle fait entendre le néant : le pur reflet-simulacre que produisent la mémoire mécanisée et son pilotage automatique. Puisque tout se joue sur scène – car l’on aurait pu envisager que Dorian présente Sibyl à ses amis ailleurs qu’au théâtre, en cette occasion dernière où elle détruit son art –, c’est sur scène que Sibyl ne paraît plus qu’être l’antithèse de ce qu’on lui voyait quand elle etait vraiment Juliette ou quelque autre grande héroïne : sur scène, hors de cela, elle apparaît comme ce qu’elle est, c’est-à-dire rien. “Sibyl Vane” n’est pas un rôle. Sibyl Vane, nous l’avons dit, n’incarne pas ses héroïnes avec la puissance qu’un maléfice faustien lui aurait conférée. Elle aime le théâtre même si elle a pu s’apercevoir qu’elle l’aimait à défaut d’être aimée. 1

Acte II, scène II. Nous citons la traduction de Victor Hugo : « Tu sais que le masque de la nuit est sur mon visage ; sans cela tu verrais une virginale couleur colorer ma joue, quand je songe aux paroles que j’ai entendues cette nuit… ». La suite est encore plus riche d’échos à cet égard : « Ah, je voudrais rester dans les convenances : je voudrais, je voudrais nier ce que j’ai dit ». 59


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Toutefois, le dénouement, dans le texte d’Oscar Wilde, est quelque peu forcé. Il lui faut mettre dans la bouche de Sibyl une question qu’elle ne saurait poser : Lorsqu’il entra, elle le regarda, submergée par une expression de joie infinie. – Comme j’ai mal joué, ce soir, Dorian ! s’écria-t-elle. – Terriblement mal ! répondit-il en la dévisageant avec stupéfaction... […] – Dorian, vous auriez dû comprendre. Mais maintenant vous comprenez, n’est-ce pas ? – Comprendre quoi ? demanda-t-il, en colère. – Pourquoi j’ai été mauvaise ce soir. Pourquoi je le serai désormais toujours. Pourquoi je ne jouerai plus jamais. 1 Tout se passe comme si elle avait décidé, au terme d’une psychanalyse éclair, de sortir du fantasme, optant pour l’amour sans apercevoir, ô ironie tragique, que l’amour est toujours par trop fantasmatique et qu’en l’occurrence celui-ci se nourrissait des apparitions qu’elle excellait à susciter. Il s’ensuit une confrontation meurtrière qui la pousse au suicide. Dorian Gray accuse le coup. Son portrait, surtout lui, enregistre l’ambigüité du péché qui est davantage existentiel que politique. L’on pourrait à la rigueur trouver artificielle la décision de Juliette de cesser sciemment de passer d’une incarnation aussi entière à un retrait tout aussi radical – après tout, l’on peut supposer qu’à la 1

WILDE 2006 [1891], p. 139. 60


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base de ce génie théâtral, il y a du métier, de la technique, un acquis – et, de même, juger excessive la réaction de Dorian, qui cesse d’un coup, d’aimer Sibyl, et de la trouver belle et désirable – après tout, elle n’a pas changé physiquement. Mais, comme le note cruellement Rachel Bowlby, l’authenticité que Sibyl croit avoir atteinte à travers l’amour de Dorian n’est que le nom d’une autre chimère reconstruite autour de la figure de celui dont elle ne connaît pas le nom et qu’elle nomme le « Prince charmant ». Un effet de chiasme peut ainsi être relevé : après sa conversion au réel ou à ce qui en tient lieu pour elle, elle paraît aux yeux de Dorian aussi misérable et pathétique que ce que ses comparses donnent à voir à ses yeux dessillés, à savoir des vieux acteurs fardés en jeunes hommes et qui feignent l’état amoureux.1 5. La face d’ombre de l’imaginaire C’est le privilège d’une oeuvre, à partir d’un certain niveau de qualité, d’exister en dehors de l’époque qui l’a portée tout en en exprimant l’essentiel. La charge de fascination du Portrait de Dorian Gray tient essentiellement à l’effet de transgression et d’aventure dans l’inconnu que produit son schème fantastique : d’un pas l’on sort d’un monde où l’humain se referme politiquement sur lui-même, avec sa rationalité scientifique, son sens des affaires et son bon sens commun, pour pénétrer dans un mirage enténébré dont on suspecte, grâce au grand art de Wilde, qu’il puisse être tout entier à l’intérieur de nous-mêmes. De plus, l’espace surnuméraire que permet la 1

« Sibyl has discovered a language of authenticity, a real self and ‘what reality really is’, against which the theatrical world is now perceived as false. The stage’s former reality is now no more than ugly old men masquerading as lovers. But the reality she finds in Dorian is that of a ‘Prince Charming’ […]. It is by making a new fiction of the world outside that Sibyl can come to see the ‘real’ ugliness of her artistic world. But Sibyl is now to Dorian what the ageing actors are to her ». BOWLBY 1996, p. 181. 61


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fiction par rapport à la banalité ordinaire d’un monde qui s’efforce de taire sa propre violence, permet non pas de voir, à proprement parler, des choses inouïes ou jamais vues, mais de s’en représenter la possibilité, ce qui est une définition tout à fait opératoire du virtuel. Cela étant, cette puissance, qui est tout d’abord celle de l’écriture littéraire, ne s’arrête pas à la production de fantasmes inspirés par un désir que tout porte politiquement à la clandestinité. Certainement, le Portrait de Dorian Gray est tout d’abord l’ekphrasis de cette beauté absolue qui relie magiquement Dorian à son image, et à cet égard, il nous faut constater phénoménologiquement qu’aucun lecteur ne verra, de ses propres yeux, l’un ou l’autre. Et l’on ne peut pas davantage imaginer que Wilde les aura vus, au sens strict du terme. En ce sens, tout désir qui reste en deçà de l’altérité du corps convoité d’autrui est de part en part virtuel. Tout en jouant avec gourmandise son rôle de prestidigitateur qui escamote à loisir ce qu’il peut aussi bien faire apparaître quand on ne l’attend plus, Oscar Wilde ne cesse d’obéir à un désir dont il ne sait pas tout et qu’il ne pourrait maîtriser, même s’il le voulait, pour se conformer aux normes victoriennes. Quelque chose comme une crainte à cet égard trouve son chemin dans l’écriture du Portrait : c’est cette hubris du désir et non le désir lui-même qui déforme et défigure l’âme de Dorian et par conséquent son portrait. Et tout se passe, pour un tel écrivain, comme si écrire et désirer procédaient du même eros, avec la tentation biface de vouer sa vie soit à l’écriture, soit au libre surgissement du désir, toujours exploratoire et toujours ouvert sur l’inconnu. L’écriture, quand elle se fait 62


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exploratoire, s’aventurant à la poursuite de ce qui s’écrit, ressortit au désir pur dont le sexuel s’avère la face cachée. L’on écrit ce que l’on ne sait pas encore, pour pouvoir le lire. Quelque chose s’écrit tandis que nous l’écrivons. Ainsi surgit une altérité érotique, qui révèle une manière de corps-à-corps. Le mauvais écrivain pourrait bien être celui qui, coûte que coûte, s’en tient à sa vision de départ ou au fantasme inaperçu qui lui livre le portrait de lui-même en habits d’écrivain. Il ne sait pas que c’est l’écriture qui rend visionnaire, et non la vision, écrivain. Parce qu’il suit de près la mutabilité incessante du désir tel que l’écriture en donne le schème et la trace, Oscar Wilde s’oblige à une labilité conceptuelle particulièrement virtuose, dont en premier lieu il tire des fulgurances qui constituent toutes ensemble la philosophie très socratique de Lord Henry. En « premier lieu », car il y a toujours plus : les entrelacs formés par les thèmes de l’image et du réel, tressés avec ceux de l’imaginaire et du virtuel littéraires et fantastiques suscitent un vitrail kaléidoscopique qui, de propos délibéré, exalte et déroute l’imagination du lecteur. En cela, il faut le noter, le profond avoisine le trivial, et l’original, le pastiche. 1 Wilde s’amuse en même temps qu’il explore les limites de son concept fantastique, cédant à l’occasion aux enchantements de la vision, sans se sentir tenu d’en rendre raison. Il s’ensuit qu’aucun système philosophique parfaitement cohérent ne pourrait être reconstitué au départ de son roman pour être ensuite attribué à Wilde et celui-ci 1

Reconnaissons-le, le roman n’est pas exempt de défauts. Richard Ellman, dans la biographie qu’il a consacrée à Oscar Wilde et qui fait autorité, n’y va pas de main morte : « Tant dans sa première version pour la revue que dans son état définitif, Dorian Gray présente des défauts. Des passages entiers sont gauches, délayés, complaisants. Rien du travail d’un bon ouvrier… ». ELLMAN 1994, p. 347. 63


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d'ailleurs n’en voudrait pas : « la beauté est une forme du génie – elle est

même

supérieure

au

génie

puisqu’elle

n’a

pas

besoin

d’explication… ».1 L’avantage du schème de ce portrait magiquement inversé est qu’il substitue à une telle « explication » l’ouverture indéfinie vers l’inhumain, qu’il soit divin comme la beauté en unsens païen ou démoniaque en un sens chrétien. Cette indéfinition est tout d’abord celle de la beauté en tant que telle, qui chez lui tire davantage du côté du sublime kantien que du beau (comme harmonie confortable et rassurante des facultés de l’esprit aux prises avec une oeuvre de la nature ou de l’art). Elle est aussi celle, à la fois politique et conceptuelle, du tropisme de sa sexualité, dont il n’y a également rien à savoir. La phénoménologie en son projet le plus général pourrait s’inspirer de ce tropisme pour une beauté qui, comme Wilde l’énonce par la voix de Lord Henry, serait au-delà de toute explication, en ce que la beauté se manifeste comme le phénomène du phénomène, se donnant à la fois comme de soi, comme si l’objet lui-même était beau, et comme ce que nous en jugeons. Quoi de plus virtuel, si nous devons faire comme si l’objet était “objectivement” beau et que nous n’en soyons que les spectateurs médusés? L’ambigüité fondamentale est déjà là, dans cette anamorphose qu’imprime l’éclat du beau à son propre phénomène, et qui dit la beauté en taisant le désir, voire même l’amour, qu’elle inspire. Cette ambigüité, la photographie nous l’a fait oublier, en attisant l’illusion du siècle selon laquelle la beauté est non pas conceptuellement objectivée,

1

WILDE 2006 [1891], pp. 66-7. 64


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mais pragmatiquement réifiée et, si le désir s’en mêle, possédée, consommée, arraisonnée… Ainsi la photographie se tait et, dans ce silence, l’amour s’efface.Une telle désertion de la question de l’amour par le concept devrait scandaliser, d’autant plus que la philosophie tient son origine de l’amour même et de lui seul, ce grand dieu. 1

Bibliographie BRISTOW, J. 1997. « A Complex Multiform Creature: Wilde’s Sexual Identities », in P. Raby (ed.), The Cambridge Companion to Oscar Wilde. Cambridge:N Cambridge University Press. BOWLBY, R. 1996. « Promoting Dorian Gray », in J. Freedman (ed.), Oscar Wilde, a Collection of Critical Essays. New Jersey: Prentice-Hall. CLAIR,

J.

1988.

Mušič

l’oeuvre

graphique,

Pompidou,

(Catalogue). DIDEROT, D. 1993. Le paradoxe sur le comedien, édité par R. Laubreaux. Paris: Garnier-Flammarion. ELLMAN, R. 1994. Oscar Wilde, traduit par M. Tadié et P. Delamare. Paris: Gallimard. FRANKEL, F. 2012. The Uncensored Picture of Dorian Gray – A Reader's Edition. Cambridge: Harvard University Press. GOETHE, J. W. von 1982 [1816, 1817]. Du Voyage en Italie jusqu’aux derniers poemes. Paris: Aubier. MARION, J. L. 2003. Le phénomène érotique. Paris: Grasset. 1

MARION 2003, p. 10 65


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MCKENNA, N. 2005. The Secret Life of Oscar Wilde. New York: Basic Books. PIEROBON, F. 2009. Salome ou la tragedie du regard. Paris: La Différence Ed. — 2015 (en cours de parution). L’oeil solaire. Genève: Métispresse. POWELL, K. 1997. « A Verdict of Death: Oscar Wilde, Actresses and Victorian women », in P. Raby (ed.), The Cambridge Companion to Oscar Wilde. Cambridge: Cambridge University Press. ROUDINESCO, É. 2011. La Part Obscure de nous-mêmes : une histoire de pervers. Paris: Le livre de poche. SHAKESPEARE, W. 1868. Romeo et Juliette, in Œuvres completes de Shakespeare, traduit par F. V. Hugo, tome 7, pp. 239-376. Paris: Pagnerre. WEBER, M. 2004. L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, traduit par J. P. Grossein. Paris: Gallimard. WILDE, O. 1994. Lettres, traduit par H. de Boissard. Paris: Gallimard. — 2006 [1891]. Le Portrait de Dorian Gray, traduit par R. Crevier. Paris: Garnier-Flammarion.

Biographie FRANK

PIEROBON

est

un

philosophe

et

dramaturge

d’origine

française, né à Rabat en 1955 (doctorat en philosophie et lettres, U.L.B., Bruxelles, 1990, habilitation à diriger les recherches, Lille-III, 2001). Naturalisé belge, il vit désormais dans le Hainaut et enseigne la philosophie à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS), à Bruxelles. 66


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Ses récents ouvrages sont Salomé ou la tragédie du regard, Oscar Wilde, l'auteur, le personnage, aux Éditions de la Différence (2009) et L’humanité tragique, contribution à une phénoménologie de l'écriture, aux Éditions du Cerf (2008). En 2012, il a publié Le symptôme Avatar (Vrin, collection Philosophie et Cinéma), en 2015, L’œil solaire – L’allégorie platonicienne de la caverne, MétisPresse, Lausanne, et en 2017, coécrit avec Christian Fierens, Les pièges du réalisme (E.M.E., Louvain-la-Neuve). Pour le théâtre, il a écrit entre autres choses Carjacking (1995), L’ivresse des cimes (2005), Souvenirs d’un prospecteur (2007), Immer leiser (2008) Lamento (2009) et le livret de l’opéra de Stéphane Orlando, Dalekko, 2013 (Première à l’Espace Delvaux, Bruxelles).

Ce texte a été primitivement publié dans la revue

Metodo.

International Studies in Phenomenology and Philosophy - Vol. 2, n. 2 (2014)

7 – Un manteau en forme de violoncelle D’après l’article de John Cooper1 Une des anecdotes les plus fameuses des débuts d’Oscar Wilde à Londres est évidemment sa présence à l’inauguration de la Grosvenor Gallery, vêtu d’un extraordinaire manteau en forme de violoncelle. Il n’existe qu’une source à cette histoire qui n’est citée 1

Voir les sites https://oscarwildeinamerica.blog/2018/01/04/oscar-wildes-cello-coat/ et https://oscarwildeinamerica.blog/tag/cello-coat/ - Oscar Wilde in America – John Cooper 67


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que par Richard Ellmann dans sa célèbre biographie 2. John Cooper, chercheur, auteur et membre de la Oscar Wilde Society londonienne, affirme que le biographe l’avait en fait déjà mentionnée dans la conférence qu'il prononça à la Bibliothèque du Congrès le 1er mars 1984. Mais Cooper se demande alors d’où Ellmann tenait cette anecdote et il se lance dans une véritable enquête policière pour en déterminer la source primitive. La référence donnée par Ellmann dans une note de bas de page est identifiée sous le titre de "Journal intime d'une dame à la mode", Evening News, 15 novembre 1920. " Le texte et la note d’Ellmann indiquent qu’il a puisé son information dans un journal intime des années 80 qui fit l’objet d’un article de presse en 1920. Cooper se demande alors pourquoi il a fallu attendre plus de trois décennies pour que le journal vienne au jour. Peut-être a-t-il fallu attendre la mort de son auteur ? Mais qui était cet auteur ? John Cooper fait œuvre de fin limier pour se lancer à la recherche de l’identité de cette mystérieuse dame victorienne. Il découvre qu’en janvier 1921, il existait un journal de la vie sociale intitulé Echoes of the Eighties: Feuilles du journal d'une dame victorienne, où se trouvait cet article :

2

Oscar Wilde, Richard Ellmann, Alfred A. Knopf, 1987 – Gallimard, 1994, pour la traduction française. 68


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« [...] Le grand Oscar dit qu’il avait lui aussi fait un rêve. Un personnage fantômatique lui apparaissait – il ne pouvait mettre un nom sur le fantôme – mais il observa qu’il portait un manteau particulier, d’une forme et d’une couleur qui lui rappelaient un violoncelle [...] et saisissant un crayon et du papier, il dessina aussitôt le vêtement du fantôme. Quelques heures plus tard, il porta le croquis chez son tailleur et commanda le même vêtement que celui qui figurait sur le croquis. Le tissu dont il était fait était spécial : il semblait couleur bronze sous certaines lumières et rouge sous d’autres. Il le porta à l’occasion d’une visite privée à la Grosvenor Gallery. Il avait une couture particulière dans le dos qui rappelait plus ou moins un violoncelle ».

69


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Evidemment, nous tenons notre dame : c’est bien elle qui nous informe du manteau en forme de violoncelle d'Oscar Wilde (p.220221). Malheureusement, le journal était anonyme, et John Cooper dut faire œuvre de fin limier pour en conclure, après bien des recoupements, que cette lady victorienne, qui se prénommait Mary (première étape de sa découverte), était Mme Humphrey Ward, romancière britannique, nièce de Aldous Huxley, amie de dizaines d'écrivains de l'époque victorienne, qui fréquentait assidûment le monde littéraire.

Mrs Mary Augusta Ward

Non content d’avoir dévoilé l’identité de la source d’Ellmann, John Cooper se lance dans un complément d’enquête, car il s’est aperçu qu’Ellmann avait probablement commis une erreur de date en situant la présence d’Oscar à la Grosvenor Gallery en 1877, date à laquelle Wilde n’était encore qu’un jeune étudiant inconnu qui n’aurait probablement pas été invité à l’inauguration d’une galerie si 70


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prestigieuse. D’ailleurs, Mme Ward parle d’une « visite privée » à laquelle Oscar avait dû assister. Cette date de 1877 est d’autant moins crédible que le journal de Mme Ward ne commence qu’en 1879. Alors, à quelle date exactement a donc eu lieu cette visite où Oscar portait son manteau en forme de violoncelle ? Dans le journal de Mme Ward, organisé chronologiquement, l'histoire du manteau est notée après les événements de l’année 1884. John Cooper procède alors par élimination, retenant les seules années où à la fois Oscar et Mme Ward auraient pu se rendre à la Grosvenor. Il en arrive à la conclusion que l’occasion n’aurait pu se présenter avant 1885, ni après 1887. Au milieu des années 80, Wilde gagne sa vie en faisant des conférences. En octobre 84, il fait sa première conférence autour du vêtement. C’est un thème qui est devenu récurrent chez lui, et il s’intéresse particulièrement aux manteaux. Cooper pense que c’est à cette période que naîtra le manteau en forme de violoncelle. Il le porta sans doute au cours de plusieurs évènements. Le Northern Echo, par exemple, a décrit Wilde lors de la visite privée de la Royal Academy le vendredi 1er mai 1885 dans "sa redingote brune, conçue par lui-même". Il est donc probable que le manteau-violoncelle d'Oscar Wilde soit né au printemps de 1885, peut-être pour les débuts de la saison londonienne qui commençait fin avril, avec des vernissages privés et publics dans toutes les grandes galeries. Mais comment le manteau pouvait-il ressembler à un violoncelle ? On sait, par certains articles de journaux, que cet effet avait été obtenu en insérant des plis dans le dos. Ainsi le magazine Truth écrit-il (avec un peu d’ironie ?): « nous sommes à nouveau tombés en 71


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extase devant le manteau de M. Oscar Wilde, avec ses merveilleux plis dans le dos » On pouvait faire confiance à l’imagination d’Oscar !

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8 – Dorian Gray et ses illustrateurs (de M à Z) Illustrateurs Mac Avoy

Nationalité

Henriette Stern Majeska

Edition Paris Stock 1957 (couverture)

New-York Horace Liveright 1930 (7 illustrations couleurs et 1 frontispice)

Leo Manso

Américaine

Fine Editions Press, Cleveland, 1946 (28 illustrations)

Pablo Marcos

Péruvien

Great Illustrated Classics 2002

Moreau Le Jeune Joseph Miralles

Club Livre du Mois 1958 Great Illustrated Classics 2002 (couverture)

S. A. Moss

New York Lamb 1909 73

Illustrations


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John Murphy

Américaine

Donia Nachshen

Idylls Press 2009

Collins, London c. 1915 (15 illustrations)

Paola Piglia

Italienne

Franklin Library, Franklin Center, 1988

Emily Po’ (Emilie Poisson)

Française

Itak Editions 2011

Alissa Rindels

Américaine

CreateSpace 2O11

Mp & Mp Rosado

Espagnole

Galaxia Gutenberg, S.A. 2008

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Tony Ross

Anglaise

Gallimard 2000 Penguin group USA 2001

Cyrus Rua

Française

Lysander Press 2006

Daniel Rubio

Libresa

A.Ruiz Castillo

Espagnole

Madrid. Biblioteca Nueva

Leška Samsonov

Russe

A. de Lviv. 2009

Septimus Scott

Britannique

Thriller Picture Library 1956

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Eric Scott Fisher

Américaine

Magic WagonCalico Chapter Books 2011

Fernand Siméon

Française

Paris : Mornay 1920 (20 illustrations, décorations et culs-de-lampe)

Paul Thiriat et (Eugène d’Été)

Française

Charles Carrington, Paris, 1908 (1910) 7 bois gravés

Ruben Toledo

Cubaine

Penguin Group USA 2010 (couverture)

Lance Tooks

Tom Pomplun Graphic Classics (BD)

Lui Trugo

Illustrated Editions Company., New York, 1931 (7 illustrations pleine page+ frontispiece+ décorations)

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Rosario Valderrama

Mexicaine

Antonio van der Zee

Lluvia De Clásicos

Young adults eli Reader - 2010

Fabio Visintin

Italienne

Black Cat publishing 2003

Stanley Wyatt

Américaine

Prentice Hall, 1969 (couverture)

Lisa K.Weber

Américaine

Graphic Classics Oscar Wilde n°16

Zaïtchick

ClermontFerrand, Paleo 2003

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9 – Mad Scarlett Music Oscar Wilde et Adelina Patti Par Tine Englebert En 1882 le jeune poète Oscar Wilde fait sensation en Amérique. Il est missionné pour une tournée de conférences qui, pendant une année, le mène de la côte Est à la côte Ouest, de la frontière mexicaine au Canada. De New York à Atlanta et de San Francisco à Montréal, il reçoit un accueil de rock star d’aujourd’hui, ovationné par des foules de disciples qui agitent des fleurs de lys et de tournesol. Oscar Wilde débarque à New York le 2 janvier 1882. Il se fait remarquer en disant à la douane: "Je n’ai rien à déclarer, si ce n’est mon génie", déterminé à faire fructifier sa jeune notoriété d’esthète.

Cartoon caricature d’Oscar Wilde par Thomas Nast, Harper’s Weekly, le 9/9/1882

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Lors de sa tournée en Amérique du Nord, le 20 février 1882, Wilde a entendu la célèbre soprano colorature italienne Adelina Patti lors d'un concert au Great Music-Hall de Cincinnati. Il l'a ensuite rencontrée en coulisse. Ce jour-là, Wilde n’était pas à Cincinnati pour donner une conférence. C’était une simple escale sur son chemin vers Louisville, KY où il devait se produire le lendemain soir. Ce n’est que trois jours plus tard, le 23 février, que Wilde est retourné à Cincinnati pour donner une conférence, comme il avait prévu de le faire. Le 20 février, lors de son passage à Cincinnati, Wilde ne reste pas inactif. À son arrivée, il s’est rendu à Burnet House, le célèbre hôtel du XIXe siècle qui a joué un rôle important à la fin de la Guerre Civile, avant de se rendre à la fameuse poterie de Rookwood. Il revient en fin d’après-midi pour donner une interview à The Cincinnati Enquirer. La soirée, il la passe à l’opéra en tant qu’invité d’honneur dans la loge du directeur. Ce soir-là, Wilde a entendu Adelina Patti. Elle reste l’une des sopranos les plus célèbres de l’histoire en raison de la pureté et de la beauté de sa voix lyrique et de la qualité inégalée de sa technique du bel canto. Le compositeur Giuseppe Verdi, en 1877, la décrivait comme étant peut-être la meilleure chanteuse qui ait jamais vécu et une artiste prodigieuse. L’admiration de Verdi pour le talent de Patti a été partagé par de nombreux critiques musicaux, par les commentateurs sociaux de l’époque et par Oscar Wilde. Comme Wilde, elle était cliente de l’imprésario théâtral Richard D’Oyly Carte,

79


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et également invitée à Burnet House de Cincinnati, où Wilde se rendit pendant sa visite à Cincinnati.

Great Music-Hall de Cincinnati

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Le concert auquel Wilde a assisté était un divertissement de fermeture,

composé

d’airs

sélectionnés

par

les

principaux

chanteurs du Festival de l’Opéra de Cincinnati, la semaine précédente, du 13 au 18 février. Madame Patti avait choisi ‘Bel raggio lusinghier’ de l’opéra Semiramide (1823) de Gioachino Rossini. L’aria, un des extraits les plus célèbres de l’œuvre, est très difficile à chanter, mais il figure parmi les plus beaux arias que Rossini ait écrits durant sa vie. Semiramide est le dernier opéra que Rossini ait composé pour l’Italie, sa carrière se poursuivant

ensuite

à

Paris.

L’œuvre

narre

l’histoire

de

Sémiramis, la reine mythique de la ville de Babylone. Un

fragment

avec

la

soprano

June

Anderson

interprétant

Semiramide peut être écouté ici: https://www.youtube.com/watch?v=7e5sGY5aWVE Ensuite, Wilde fut conduit dans les coulisses pour être présenté à la diva. Sans doute fut-il impressionné puisqu’il la mentionne en termes élogieux dans son roman The Picture of Dorian Gray. Là, la réalité et la fiction sont entrelacées. Dans son roman, Wilde a généralement moins d’attention pour la voix chantante que pour la voix parlée. Pourtant, il souligne la splendeur d’une voix chantante quand il utilise l’adverbe « divinement » pour qualifier dans le chapitre neuf celle d’Adelina Patti. Dans le chapître précédent, le soir suivant

celui où il a appris le suicide de Sybil, Dorian se rend à

l’opéra parce que la grande diva Patti chante: Chapître 8:

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– Oui, c’est vraiment tragique, c’est sûr, mais il ne faut pas que vous y soyez mêlé. J’ai vu dans le Standard qu’elle avait dix-sept ans; j’aurais cru qu’elle était plus jeune, elle avait l’air d’une enfant et savait si peu jouer... Dorian, ne vous frappez pas!... Venez dîner avec moi, et après nous irons à l’Opéra. La Patti joue ce soir, et tout le monde sera là. Vous viendrez dans la loge de ma sœur; il s’y trouvera quelques jolies femmes... (…) – Nous sommes seulement au commencement de notre amitié, Dorian, répondit lord Henry, en lui serrant la main. Adieu. Je vous verrai avant neuf heures et demie, j’espère. Souvenez-vous que la Patti chante… Chapitre 9. Mon cher Basil, que sais-je ? murmura Dorian Gray en buvant à petits coups d’un vin jaune pâle dans un verre de Venise, délicatement contourné et doré, en paraissant profondément ennuyé. J’étais à l’Opéra, vous auriez dû y venir. J’ai rencontré pour la première fois lady Gwendoline, la sœur d’Harry. Nous étions dans sa loge. Elle est tout à fait charmante et la Patti a chanté divinement. – Vous avez été à l’Opéra? dit lentement Hallward avec une vibration de tristesse dans la voix. Vous avez été à l’Opéra pendant que Sibyl Vane reposait dans la mort en un sordide logis? Vous pouvez me parler d’autres femmes charmantes et de la Patti qui chantait divinement, avant que la jeune fille que vous aimiez ait même la quiétude d’un tombeau pour y dormir?... Vous ne songez donc pas aux horreurs réservées à ce petit corps lilial ! 82


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La Patti

La Patti est née Adelina Juana Maria Patti, le 10 février 1843 à Madrid. Elle était le dernier enfant de parents italiens, un ténor et une soprano qui travaillaient à Madrid au moment de sa naissance. Dans son enfance, la famille déménagea à New York City. Encore encore enfant, Patti a commencé à chanter professionnellement, en développant dans une soprano de colorature des registres vocaux parfaitement égalisés et un ton étonnamment chaud. Elle fit ses débuts à l’opéra à 16 ans, en 1859 à l’Académie de Musique de New York. En 1861, à l’âge de 18 ans, elle est invitée au Covent Garden Theatre pour la première fois. Elle y eut un succès si remarquable que, pendant vingt-trois ans, elle joua régulièrement à Londres. Ce 83


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qui ne l’empêcha pas de conquérir le continent européen et d’autres continents. Elle chanta non seulement en Angleterre et aux ÉtatsUnis, mais aussi loin que la Russie en Europe continentale, et en Amérique du Sud. Partout où elle allait, elle déclenchait la frénésie du public et inspirait les critiques dithyrambiques. En plus de sa voix

exceptionnelle,

elle

bénéficiait

en

scène

d’une

présence

particulièrement attrayante qui ajoutait à sa célébrité. Sa renommée était telle que les années 1860, 1870 et 1880 furent connues sous le nom de ‘L'Âge de Patti’. La carrière de Patti a vogué de succès en succès. Sa dernière performance eut lieu en octobre 1914, date à laquelle elle prit part à un concert organisé au profit de la Croix-Rouge au Royal Albert Hall à Londres, en faveur des victimes de la Première Guerre mondiale. Patti est morte au château de Craig-y-Nos (Pays de Galles), le 27 Septembre 1919. Son corps fut plus tard transporté au cimetière du Père Lachaise (4e division), à Paris, pour être placé près de ceux de son père et de son compositeur favori Rossini. Ainsi, elle était aussi proche d’Oscar Wilde. Hormis le roman d’Oscar Wilde, de nombreuses œuvres évoquent aussi Adelina Patti, parmi lesquelles La Vie parisienne de Jacques Offenbach, Ecrits sur la musique de George Bernard Shaw, Anna Karénine de Léo Tolstoï, Spirite de Théophile Gautier et Nana d’Emile Zola. Fragments Adelina Patti chante Casta Diva : 84


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https://www.youtube.com/watch?v=r0_D65bedTc Un enregistrement de 1905 : "The last Rose of Summer", chanson basée

sur

le

poème

du

poète

irlandais

https://www.youtube.com/watch?v=3VSWYjjUuYI

85

Thomas

Moore :


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10 – Témoignage d’époque Jacques Emile Blanche

Bien qu’il se rapporte plus à Beardsley qu’à Wilde, le témoignage apporté ici par Jacques-Émile Blanche, dans son ouvrage « Dieppe », est intéressant en ce qu’il éclaire d’une lumière différente les relations entre les deux hommes. En effet, si l’on en croit Richard Ellmann, à Dieppe, Aubrey Beardsley ignorait ouvertement Wilde, au point qu’il entraîna un jour Charles Conder et Blanche, qui voulait saluer Wilde, dans une ruelle détournée pour éviter une rencontre avec lui. 1 Or, ici, Blanche nous montre Beardsley et Wilde assis ensemble à une table du casino et riant de bon coeur tous les deux, comme de bons amis. « Un matin d’août, tandis que l’orchestre exécutait quelque valse d’Arban le cornettiste, Aubrey Beardsley, malade, grelottant, buvait un verre de lait et de soda sur la terrasse du Casino. Il me montra la 1

Richard Ellmann – Wilde – Gallimard, 1994, p.570. 86


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trouvaille qu’il venait de faire ; c’était un exemplaire des Mémoires pour servir à l’histoire de la Ville de Dieppe, par Denys Guibert. Beardsley et Oscar Wilde, attablés ensemble, riaient aux éclats du rôle joué par les « guerriers anglois » pendant les guerres de religion. Ceux-ci attiraient dans leurs camps du pays de Caux les petits Polletais, pour leur apprendre l’usage du tub et les convertir à la religion « prétendue réformée ». Aubrey a su par cœur certaines pages du docte prêtre, descriptions où il se délectait de cortèges, de fêtes, de mystères représentés dans l’église Saint-Jacques. « Étonnante ville ! Quelle histoire, depuis Brennus jusqu’à Oscar ! s’écriait Aubrey. »

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11 – Wilde au théâtre Sherlock Holmes and the case of the Jersey Lily de Kate Forgette

Dans cette pièce, signée Katie Forgette, l'esprit d'Oscar Wilde rencontre la ruse de Sir Arthur Conan Doyle. Wilde amène sa chère amie, Lillie Langtry, à Baker Street. Quelqu'un a volé les lettres très intimes que Lillie a échangées avec le prince de Galles, et elle est maintenant soumise à un chantage. Seul Holmes peut résoudre l'affaire, allant jusqu'à se déguiser en clone de Lady Bracknell, héroïne de la dernière pièce de Wilde, tandis que le docteur Watson perd la tête pour celle qu’on a surnommée le Lys de Jeysey. La pièce a été créée en 2008, et reprise dans plus de 80 théâtres, principalement aux Etats-Unis, en Australie et au Canada. Nous ne mentionnerons donc que quelques-unes des représentations.

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 3 et 4 juin 2010 – Minneapolis – Park Square – Etats-Unis

Virginia Burke

(Lillie Langtry), Craig Johnson (Oscar Wilde), Amanda Whisner (Irma), Steve

Hendrickson (Holmes (disguised). Photo by Pteronella Ytsma

Mise en scène David Mann  11 au 14 mai 2011 – Performing Art – Frementle – Australie  26 janvier au 11 février 2012 – Abbeville Opera House – EtatsUnis  14 au 29 juin 2012 - Arkadian Bilpin Performers – Bilpin – Australie  26 Octobre au 10 novembre 2012 - Warner Robins Little Theatre - Warner Robins, GA – Etats Unis Mise en scène : Cathy Collins

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 22 février au 13 Mars 2013 – Greenville Little Theatre – Greenville – Etats-Unis  28 février au 9 mars 2013 – Cambrian Players – Thuder Bay – Ontario – Canada Mise en scène de Gabe Ferrazzo

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 25 octobre – 2 novembre 2013 - Waterloo Community Playhouse- Waterloo – Iowa – Etats-Unis

Avec : - Holmes (David Harnois) - Oscar Wilde (John Greer)

- Lillie Langtry (Cassie Yost)

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 14 au 23 novembre 2013 – St Xavier High School – Cincinatti – Ohio – Etats-Unis  22 février au 24 mars 2014 – Theatre Suburbia – Houston – Texas – Etats-Unis Direction Doris Merten

 20 mars au 6 avril 2014 – Temple Theatre – Sanford – EtatsUnis  2 au 12 octobre 2014 - Richmond Hill Players, Inc – Geneseo – Illinois – Etats-Unis  13 octobre au 8 novembre 2014 – Royal Manitoba Theatre Centre – Winnipeg – Canada

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 14 novembre au 14 décembre 2014 – Austin Playhouse – Austin – Texas – Etats-Unis

Mise en scène : Michael Stuart Avec :

Jason

Newman

(Sherlock

Holmes),

Ben

Wolfe

(Watson). Andrea Osborn Ginder (Lillie Langtry), Samuel Knowlton (Oscar Wilde), Aaron D. Alexander (Professor Moriarty)

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Stephen Mercantel, Samuel Knowlton, Jason Newman, Aaron Alexander

 13 février au 7 mars 2015 – CarrollWood Players – Tampa – Floride – Etats-Unis Direction Michael Cote

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 9 au 25 juillet 2015 – Dorset Theatre Festival – Dorset – Wisconsin – Etats-Unis  25 au 28 novembre 2015 - Stage Two Downham - Clitheroe, Lancashire – Royaume Uni  31 mars et 2 avril 2016 – UNBC Drama Club – Prince George – BC – Canada  14 mai – 12 juin 2016 – Vertigo theatre – Calgary – AB – Canada

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Mise en scène : Craig Hall

Haysam Kadri, Chantal Perron, Karl Sine in Vertigo Theatre's Sherlock Holmes and the Case of the Jersey Lily

 7 au 23 octobre 2016 – Centenary Stage – Sitnik Theatre Hackettstown, NJ, Etats-Unis

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Mise en scène : Carl Wallnau Avec : Joe Amato, Ameer Cooper, Tom Farber, Amy Griffin, Joseph McGranghan, Colin Ryan, David Sitler, Nicholas Wilder, Sandy York.

 8 au 19 novembre 2016 – Mid Michigan Communauty College – Harrison – Michigan – Etats-Unis 98


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 11 au 20 novembre 2016 - Tahlequah Community Playhouse – Tahlequah, Oklahoma, Etats-Unis Mise en scène ; Chris Pearson

 4 au 26 mai 2017 – Lighthouse Christian School – Twin Falls – Idaho – Etats-Unis

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 17 novembre au 23 décembre 2017 – Theatre 40 - Beverly Hill – Californie – Etats-Unis

Direction : Jules Aaron

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 20 au 28 avril 2018 – Lancastrian Players - Lytham St. Annes, Royaume-Uni  2 au 19 mai 2018 – Ottawa Little Theatre – Ottawa – Ontario – Canada

Mise en scène : Val Bogan  9 au 26 août 2018 – Milwaukee chamber theatre – Millwaukee – Winconsin – Etats-Unis Mise en scène : Marcella Kearns

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12 – Cinéma – Télévision Wilde adapté au cinéma et à la télévision

Une femme sans importance En 1921, sort une version anglaise de la pièce de Wilde « A woman of no Importance », sous la direction de Denison Clift. Avec Fay Compton (Rachel Arbuthnot), Milton Rosmer (Lord Illingworth), Ward

McAllister

(Gerald

Arbuthnot),

Lillian

Walker

(Hester

Wesley). On ignore si le film a survécu.

En mars 1937, un film français est mis en scène par Jean Choux, avec un scènario et des dialogues de Charles Spaak, sur une musique de Jean Wiener.

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Pierre Blanchar y tient la vedette dans le rôle de Lord Illingworth et la distribution est complétée par Lisette Lanvin (Hester), Line Noro (Silvia), Catherine Fontenay (Lady Patricia), Gilbert Gil (Gérald), Jean Tissier (Lord Hustanton), Marguerite Templey (Lady Hustanton), Charles Granval (le pasteur). Le film portait aussi un titre secondaire : Le secret d’une vie.

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En 1945, c’est un film espagnol qui s’attaque à la pièce de Wilde.

Mise en scène : Luis Bayón Herrera Avec : Santafo Gomez Cou, Mecha Ortiz, Golde Flami, Hugo Pimentel, Lidia Denis, Blanca Vidal, Lucia Barause, Sara Barrie.

Il existe également un film allemand de 1936 (Eine Frau ohne Bedeutung ), mis en scène par Hans Steinhoff, avec Gustaf Gründgens, Käthe Dorsch, Friedrich Kayßlern et Marianne Hoppe.

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En 1964, un autre film allemand est mis en scène par Wolfgang Gluck (avec Paula Wessely, Erik Frey, Egon von Jordan, Karl Fochler, Ulla Purr, Michael Heltau, Susanne Engelhardt), puis en 1969 par Georg Wildhagen. Un film anglais de 1948, tourné pour la BBC, avec un scènario de Stephen Harrison, met en scène Walter Fitzgerald (Lord Illingworth), Angela Badeley (Mrs Abuthnot), Derek Blumfield (Gerald Abuthnot), SallyRodgers (Hester Worsley), Vivienne Bennett (Mrs Allonby), Una Wenning (Mrs Caroline Pontefract).

En 1968, c’est un téléfilm français qui est réalisé par Gilbert Pineau. Avec Hélène Duc (Lady Hunstanton), Olga Emmanuel (Lady Caroline), Françoise Loubet (Lady Stuttfield), Monique Barbillat (Mrs Allouby), Anna Gaël (Hester Worsley), Reine Courtois (Mrs Arbuthnot), Guy Kerner (Lors Illingworth),

André Villiers (le révérend Daubeny),

Sylvain Joubert (Gérald Arbuthnot). 105


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Enfin, en 2006, un film américain est tourné sous la direction de Bruce Beresford, avec Annette Bening, Sean Bean, Amanda Seyfried, Jessica Biel, qui, à ma connaissance, n’est jamais sorti sur les écrans.

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13 – The Oscholars www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford). Depuis 2012, les membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster, ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal / site de web international en ligne publié par D.C. Rose, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs milliers de lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007 jusqu’à Juillet 2010.

Les numéros de juin 2002 à

octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site

www.irishdiaspora.net.

Vous

y

découvrirez

une

variété

d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc.

L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde

republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 étaient en ligne

ici,

mais plusieurs pages ont été détruites par le ci-devant

webmaster, et l’accès est interdit. Depuis l’automne 2012, on peut trouver THE OSCHOLARS sous cette adresse :

http://oscholars-oscholars.com/

en train d’y être republiées.

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et toutes les éditions sont


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14. Signé Oscar Wilde

Je brûle de me lever de ma place pour crier à ces malheureux autour de moi que tout cela n’est pas vrai, qu’ils sont les victimes de la société, et que la société n’a rien d’autre à leur offrir que la faim dans les rues ou la faim et la cruauté dans les prisons. (Lettres – Le gardien Martin dans Sherard, Life of Oscar Wilde, p. 397)

I long to rise in my place and cry out, and tell the poor disinherited wretches around me that it is not so ; to tell them they are society’s victims, and that society has nothing to offer them but starvation in the streets, or starvation and cruelty in prison (Letters – Warder Matin in Sherard, Life of Oscar Wilde, p.391)

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