L'Ultime Demeure - Partie 2

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ET MAINTENANT ?

Association de locataires

Des collectifs d’habitants se sont formés sitôt après la livraison des premiers logements des grands ensembles pour réclamer l’aménagement du territoire et pour faire pression auprès des logeurs pour une réduction du coût des charges. Les premières associations de locataires se forment souvent en lien avec les fédérations d’associations familiales. A Campagne-Lévèque, c’est en 1977 qu’est créée l’Amicale de Locataires affiliée à la CNL (Confédération Nationale du Logement).

La CNL est une organisation très ancienne (1916) qui a vécu tous les combats et les évolutions des politiques publiques pour le logement social. Les amicales sont ainsi invitées à accompagner les locataires au quotidien et à “politiser” les besoins dans la démarche plus vaste de lutte pour “un droit au logement pour toutes et tous, accessible et de qualité, pour des services publics de proximité, pour un habitat durable et maîtrisé”.

Aujourd’hui, de plus en plus de collectifs d’habitants émergent en dehors de ces formes associatives et militantes historiques, souvent à partir d’une situation spécifique (collectif du 5 novembre à Noailles, collectif Airbel, CHO3 à la Belle de Mai…).

Glossaire

Conseil Syndical et Syndic

Dans une copropriété il n’y a pas de bailleur mais des habitants propriétaires , ou des habitants locataires. Les locataires peuvent se constituer en association mais l’enjeu des charges et de l’entretien se situe avant tout dans la gouvernance même de la copropriété et de l’exercice par le conseil syndical, qui réunit l’ensemble des copropriétaires, de ses pouvoirs au côté du syndic (qui gère les charges, l’entretien, les travaux…).

Bailleurs sociaux

Les bailleurs sociaux sont les héritiers des premiers organismes créés avant guerre, parfois même au 19ème siècle, pour produire du logement collectif. Ils sont les propriétaires et parfois les constructeurs de ce qu’on appelle le “parc social”, les logements dont les loyers sont réglementés et l’accès soumis à des conditions de ressources. Ils se trouvent à l’interface des politiques publiques et des habitants, parfois dans des rôles décisionnaires, parfois d’animateurs ou de simples exécuteurs.

Ils sont aussi aujourd’hui sollicités en tant que maîtrise d’ouvrage dans les projets d’habitat participatif.

L’ANRU

L’Agence Nationale de Rénovation Urbaine est l’organisme qui finance et met en œuvre les programmes de “renouvellement urbain “ des grands ensembles situés dans les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville”. L’ANRU est placée sous la tutelle administrative du ministre chargé de la politique de la ville qui fixe les orientations générales de son action.

Le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), initié en 2003 a pris fin en 2021 mais a été suivi d’un nouveau programme au budget plus ou moins équivalent. L’ANRU n’intervient pas que par la “rénovation urbaine” des grands ensembles du parc social mais aussi dans les centres urbains et dans les copropriétés dégradées.

La continuité de défaillances systémiques des dispositifs et des acteurs a laissé de nombreuses marques dans la ville visibles à travers ces cartes : l’accentuation de la fragmentation urbaine, de concentration de la pauvreté dans le centre et les quartiers nord, d’implantation des logements sociaux aggravant une ségrégation géographique, de production insuffisante de logements “ très ” sociaux adaptés aux revenus des demandeur.se.s, d’absence de traitement de l’habitat dégradé dans les quartiers populaires, et, jusqu’aux difficultés de relogement provisoire des ménages évacués du fait du manque de logement social dans le centre ancien (malgré la mise en place d’un dispositif exceptionnel)...

[...] Ces cartes illustrent l’évolution de la production du parc social à Marseille, selon les différents niveaux de loyers et types de logements sociaux (très social, social, intermédiaire). Elles démontrent à quel point la localisation de la production du parc social (toujours concentrée dans des zones déjà sur-dotées en termes de taux SRU) peut entretenir des dynamiques de gentrification et de relégation géographique des plus pauvres, au lieu de lutter contre.

[...] Dans ce contexte, les actions publiques se sont orientées en priorité vers la production de logements destinés aux classes moyennes. Correspondant à une recherche de renouvellement urbain et de « mixité sociale » imposés, les stratégies locales ont accélérées la gentrification du centre-ville (exemples du projet d’aménagement Euromed ou des ZAC et projets d’éco-quartiers inaboutis), tout en mettant de côté les besoins des personnes en situation précaire alors que le taux de pauvreté atteint 26 % à Marseille.

Elisabeth Dorier, Julien Dario. Dossier cartographique Marseille 2018-2019 : de la crise du logement à la crise humanitaire.

Parc “social “ou “très social”?

Les logements sociaux sont classés en fonction de leur mode de financement et de leur coût. A chaque mode de financement correspond un “public cible” (personnes en grande précarité, répondant aux critères standard HLM, aux revenus plus élevés mais pas assez pour le privé…) On peut donc construire du logement social sans pour autant contribuer au mal-logement des plus précaires.

Rénovation sans rêve

Les priorités de démolition et de dé-densification des programmes de rénovation urbaine ont, comme ça été le cas lors des destructions des îlots urbains dans les années 50 et 60, généré des fortes tensions sur le relogement et l’affectation des bâtiments rénovés: comment, pour qui, sous quelles modalités…?

Engagé dans près de 600 quartiers, où résident quatre millions d’habitants, le PNRU a concerné entre 2003 et 2018 plus d’un million de logements : 151 000 ont été démolis, 136 000 logements sociaux et 80 000 logements privés ont été reconstruits, auxquels il convient d’ajouter 316 000 logements réhabilités et 352 000 résidentialisés. Un Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU) a pris le relais en 2020.

Depuis les premières expériences Habitat et vie sociale (HVS) en 1973, l’action publique dans les grands ensembles est en effet traversée par une tension entre deux modèles d’action : d’un côté, le modèle communautaire du « développement social des quartiers » (DSQ), qui vise à favoriser l’insertion des habitants par des dispositifs d’animation et de participation ; de l’autre, un objectif de rééquilibrage de la population reposant sur une action sur le bâti et l’environnement urbain. Or, à partir du début des années 1990, le premier modèle, plus inclusif, s’efface progressivement au profit du second, qui privilégie les projets urbains avec pour objectif de modifier le peuplement de ces quartiers.

Emmanuel Bellanger & Anaïs Collet & Fabien Desage & Pierre Gilbert Rénovation urbaine : l’espace comme remède à la question sociale, Métropolitiques 2018.

“C’est 13 Habitat qui détient Campagne L’évêque. Il y a une grande barre et 2 latérales. Il y a des T3 et T4, ils sont hors-norme, ils n’ont pas la surface aux normes actuelles. C’est une des premières cités, de logements de masses. il y a une grande partie des personnes âgées qui habitent depuis longtemps, à l’époque c’était une population assez mélangée, y compris des fonctionnaires. Puis, ça s’est beaucoup effrité, les populations nouvelles sont arrivées, les familles nombreuses sont parties. [...]

La cité a eu d’ énormes difficultés depuis 5 ou 6 ans, d’abord peut-être de gestion. Les bâtiments vieillissent et les travaux engagés n’ont pas été faits comme il faut. Les squatters sont arrivés en masse il y a 3 ou 4 ans, les gens partent, ils veulent rénover, l’appartement reste vide un moment, avec la crise du logement, il y a un phénomène d’occupation, du squat, du marchand de sommeil.Puis les réseaux de drogues qui sont toujours là. Désormais, depuis la décision de faire place nette dans les cités, ils se font discrets, parce qu’à tout moment il y a des descentes de CRS. “

Jeanne, de l’Amicale des Locataires de Campagne L’évêque

“Non à la démolition Oui à la réhabilitation !

[...] Ces démolitions ne sont pas justifiées. Elles brisent nos vies et nous déracinent, nous qui sommes si heureux et heureuses de vivre dans notre cité. Elles sont une aberration écologique : pourquoi démolir tant de bâtiments, plutôt que réhabiliter et préserver l’existant ? Pourquoi faire passer deux routes, alourdir le bilan carbone, mettre en danger des espèces protégées et abattre des arbres, dans une cité si verte et aérée ? Pourquoi démolir tant de logements, à l’heure où il en manque tant à Marseille, et où les demandes de logements sociaux mettent des années à aboutir ?”

Communiqué des locataires d’Air Bel – 16/07/2024

Fadila T dans la Baguette magique, un magazine conçu et réalisé par un groupe de femmes qui habitent à la Castellane.

La propriété indigne

“Le parc immobilier marseillais comporte un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants”.

Préambule du Rapport Nicol, 2015

Membre du Conseil Syndical d’une grande copropriété dégradée sur Marseille:

« (Les squatteurs) visent que les grosses copropriétés, ce n’est pas des petites copropriétés. Plus c’est grand, plus vous avez l’opportunité de trouver un appartement vide et puis vous êtes noyé dans la masse. »

« Le nombre de squats, on le connaît, le nombre de logements vides on le connaît. Parce qu’il y a un suivi avec la préfecture. Comme je l’ai dit, il y a tout un travail avec les institutionnels (…) On est assez interconnecté sur la copropriété. Après, vous avez les marchands de sommeil qui sont identifiés. Et ça les gens peuvent le constater et le comprendre parce que c’est simple vous prenez une population en difficulté et vous leur demandez de payer en liquide. Et eux, ils pensent, ces personnes là, qu’ils payent leur loyer. (…) Quand il y a un squat, c’est simple, on sait qu’on a 48 h pour faire intervenir la police et pour faire déloger les personnes, le syndic il avise tout simplement les propriétaires en leur disant écoutez voilà, on vient de s’apercevoir qu’il y a quelqu’un qui essaie de squatter votre appartement et vous avez tel délai pour faire le nécessaire. (… Après,) notre marge de manœuvre, c’est le tribunal. Il y a des procédures. Ces gens-là, c’est simple, ils sont tous en contentieux, c’est pas des gens qui payent leurs charges. Donc voilà, la finalité c’est saisir leurs biens. Mais ça, il faut des années. Après, si l’Etat décide de changer les lois, ça nous arrangerait. »

(Entretien réalisé par Paroles Vives dans le cadre du projet collectif ISSIMARSItinéraireS et Situation de vie en squat à Marseille).

Eva Simon 2017 : 74. L’action publique locale sur les copropriétés dégradées : des politiques publiques différenciées et inégales à Lyon, Marseille et Grenoble.

ENTRETIENS

Habitante copropriétaire : “Moi, je suis bien chez moi quand même, avec la vue que j’ai ! Dans l’appartement, j’ai juste refait la salle de bains, j’ai mis la douche à la place de la baignoire. Puis il y a la clim réversible que je n’avais pas avant”.

Habitante locataire : « L’appartement, c’est un T4, on l’a trouvé sur le site internet du Boncoin. C’est un kabyle en fait, il a accepté le dossier de la CAF. J’aimerais bien trouver un autre appartement mais trouver la sécurité c’est pas facile. Déjà, il faut sortir de Marseille et avec le dossier CAF, on n’a pas de chance pour aller vivre dans les quartiers propres et calmes. Il n’y a pas tout, avec le dossier de CAF, c’est pas facile de trouver. On trouve des appartements qui sont bien mais ils n’acceptent pas le dossier de la CAF.

J’aimerais bien trouver un appartement HLM où on paye pas cher parce que maintenant c’est vrai, il y a les APL mais toujours on paye en plus ! Je veux me faire aider par une assistante sociale parce qu’elle sait comment on fait ! ».

Habitante locataire : « Je suis là parce que je n’ai pas d’autre appartement, sinon je serais partie depuis longtemps ! Si je pouvais, je partirai dès demain, même ce soir, si je trouve quelque chose ! J’ai toujours fait une demande de logement social et à un moment, j’ai fait un premier DALO quand j’étais enceinte, avec les problèmes d’ascenseur, j’étais mal en point ! Puis j’ai redemandé un DALO mais on m’a encore rejeté. Ils m’ont dit que par rapport aux difficultés que j’ai expliquées dans l’appartement, le fait qu’on est serrés, qu’il n’y a pas de chauffage. Ils m’ont dit, 54 mètres carrés avec les enfants, ça peut aller. Et pour les travaux à faire, il faut les faire mais je ne suis pas dans l’urgence de partir ! Alors j’ai pris un avocat et il m’a conseillé de le signaler à la Mairie. Chose que j’ai faite. Ils sont venus pour constater les problèmes. Et j’ai demandé à mon assistante sociale de me donner un rendez-vous pour refaire un autre DALO, elle m’a donné un rendez-vous et elle l’a annulé sans me prévenir. J’ai appelé pour avoir un autre rendez-vous et ils m’ont dit, il n’y a pas de rendez-vous possible ! ».

Habitante copropriétaire : « On a acheté fin 2004. Je me suis marié au bled, en Algérie. C’était un mariage arrangé, avant, c’était comme ça. Pour pouvoir venir en France, il faut bien avoir un toit, une adresse. Mon mari, il est né en France. À l’âge de 10 ans, il est venu en Algérie. Il n’a pas trouvé à louer à Marseille. Comment dire, il ne touchait pas beaucoup d’argent. Il a pris un crédit, il a acheté. Ce n’était pas pensé pour le vendre, mais pour y rester.»

Extraits d’entretiens menés par Paroles Vives. Dans le cadre du projet «Habitants d’une copro dégradée, quelles places, quels droits ? »

Squats : Propriété vs droit au logement

Le squat peut être considéré comme un produit du mal logement comme le soutient Florence Bouillon dans son ouvrage Les mondes du squat 29, portant sur les squats de Marseille. La chercheuse établit un lien entre la hausse du prix des logements privés bon marché et la saturation du parc social qui aboutit à l’exclusion des populations pauvres du parc social ou privé et les oblige à se tourner vers des façons d’habiter comme le squat.

Les squats représentent une autre forme d’habitat spontané moins connue notamment car difficilement visible et peu étudiée. Selon Florence Bouillon, les squatteurs ne sont pas tous forcés de se loger d’une telle manière, pour certains c’est un choix contraint. En effet, plutôt que de subir les habitats proposés par les marchands de sommeil, pour des personnes qui n’ont pas accès aux logements d’urgence, qui n’ont pas de possibilité de loger chez des proches, le squat paraît être une meilleure option.

Dans cette étude, elle va à rebours des préjugés. En effet, on considère généralement les squats comme des lieux où règnent insalubrité et violence. Pourtant, les squats regroupent diverses réalités bien différentes. Certains squats pouvant être aménagés de manière confortable, payant ou gratuit, ouvert ou à accès restreint. Contrairement à ce que l’on pourrait penser ce n’est pas non plus une zone de non-droit, il existe des normes plus ou moins explicites propres à chaque squat, des rapports de pouvoir, de domination sont visibles à l’intérieur d’un squat collectif.

Les populations qui pratiquent cette forme d’habitat sont pour la plupart des populations défavorisées : familles immigrées arrivées récemment, mineurs clandestins, chômeurs, intérimaires, mères célibataires. Le squat peut aussi être le lieu de revendications politiques de la part de mouvances politiques anarchistes ou autonomes mais aussi des habitants de ces squats qui défendent leur forme d’habiter.

Claire, groupe Milles-pattes

SQUATTER

L’étymologie du verbe squatter provient du vieux français esquatir ou esquater, c’est-à-dire aplatir, écraser. Exporté de France aux Etats-Unis au XVIIIe siècle, to squat y signifie d’abord s’accroupir, se blottir. À la fin du XVIIIe siècle, le verbe désigne plutôt le fait de s’agripper, et la figure du squatteur devient celle du pionnier qui s’installe sur une terre inexploitée de l’Ouest, sans titre légal de propriété et sans payer de redevance.

ENTRETIENS

Membre d’un collectif d’habitants : “Squat, c’est un mot qu’on essaye de remplacer avec le logement temporaire (…) Parce que le mot squat, c’est un peu péjoratif. Et on sait pas si des fois c’est mal vu. (…) On essayait de politiser. En disant que c’est des logements temporaires, des logements vides. Là, du coup, on politise en disant : il y a des logements vides qui sont inoccupés et les propriétaires ne veulent pas les louer pour x raisons. C’est une façon de lutter contre ces inoccupations. (…) C’est un peu ce qui s’est fait dans la rue de la République. Au début, il fallait qu’on fasse très discret, mais après, on s’est dit, si on occupe, on politisera notre lutte. (…) C’était vraiment de mettre en lien (l’occupation temporaire) avec la vacation des logements. Que l’État peut et la mairie peut obliger ou encourager les propriétaires à louer ».

Membre d’une association : « Les plus gros squats, ils sont tous dans les quartiers nord. Pour deux choses à mon sens. C’est là où il y a les grosses opérations urbaines. Donc des immeubles vacants et des bâtiments vacants. Ça, c’est structurel. Et la seconde chose, c’est qu’il y a une forme d’imprégnation du stigmate. C’est à dire qu’en gros, t’as une autorisation qui fait que tu te sens à l’aise dans un endroit où tu reconnais les tiens qui sont précaires. L’autorisation d’aller dans les quartiers du huitième, tu t’y sens mal à l’aise parce que tu es identifié. Et ça, c’est le stigmate ingéré. C’est intégré à l’intérieur de toi que tu n’as pas le droit d’accès à la culture, que tu n’as pas le droit à l’accès à l’eau ».

Habitant (en squat) : « Avec des voisins, ça va bien. Je suis gentil avec tout le monde. Et tout le monde me connaît. Je connais les gens du centre social. Et je connais tous les mécaniciens ici. Les gens avec des magasins. Le chef de la mosquée. Je connais tous ces gens. Parfois, les voisins m’invitent au café ou à dîner. Et ils me donnent tout. Je demande aussi quand j’ai besoin de quelque chose, un lit, une table, des vêtements ou des chaussures pour les enfants. Et tout ce dont je n’ai pas besoin, je le redonne.

Extraits d’entretiens menés par Paroles Vives. Dans le cadre du projet collectif ISSIMARS (ItinéraireS et Situation de vie en squat à Marseille) et du projet «Habitants d’une copro dégradée, quelles places, quels droits ? ».

Et toujours des bidonvilles

La réalité des bidonvilles met en lumière la question territoriale et le ciblage des politiques publiques. De même que la loi DALO ne s’adresse qu’à une catégorie spécifique de situations, l’appartenance ou non à l’Union Européenne est aussi une ligne rouge. Le fossé se creuse dans l’accueil.

Alors que rénovation urbaine et protection de la propriété privée font l’objet de nombreuses lois, les associations regroupées au sein du réseau RomEuropa en appelle en urgence à une grande loi pour le logement qui intégrerait la lutte contre l’habitat indigne et en premier lieu la résorption des squats et des bidonvilles.

55 % des personnes vivant dans les lieux de vie informels ne sont pas citoyen·nes de l’Union européenne mais viennent du Moyen-Orient ou encore d’Afrique subsaharienne.

Très concrètement, une loi ambitieuse permettrait d’apporter une solution globale aux exilé·es de Calais qui vivent dans une tente et se font expulser tous les jours par la police, aux débouté·es du droit d’asile qui vivent en squat à Marseille, aux personnes à Mayotte qui subissent des « décasages » réguliers ou encore aux enfants vivant dans des lieux de vie informels qui se font expulser pendant l’année scolaire.

Vite une Loi, résorber dignement les bidonvilles, Rapport 2022 collectif des Droits de l’homme RomEurope.

Rencontres Tsiganes «A Marseille, l’association Rencontres Tsiganes documente et forme pour une meilleure connaissance des cultures roms/ tsiganes . Elle agit pour la défense de leur droits et coanime le collectif RomEurope qui réunit 48 associations en France dont ATD Quart Monde.»

CE “QU’HABITER” VEUT DIRE ?

Illustration : Maison, Isabelle Simler, éditions courtes et longues, 2022

La question n’est pas nouvelle. Les militants du mal-logement ont, dès le début de la grande période de construction, insisté sur l’indispensable priorité à penser la vie collective, au-delà du bâti, et sur la nécessité de donner les moyens aux habitants de s’organiser, de prendre part. La période actuelle de la rénovation urbaine sonne comme un disque rayé, pas complètement une répétition mais l’usure d’un sillon.

La notion d’habitabilité que nous oblige à penser la crise écologique rappelle finalement qu’habiter n’est pas qu’une affaire de services adjacents aux logements mais aussi de relation à notre environnement, composé d’une multitude d’interactions avec nos voisins humains et nonhumains.

Sol critique

La Zone Critique est un concept qui a récemment émergé de la communauté des géosciences. Elle désigne la zone superficielle et très fine de notre planète, qui se situe à l’interface entre l’atmosphère et la croûte terrestre continentale. C’est une zone de contact entre la Terre rocheuse animée par la tectonique des plaques et les enveloppes externes que sont l’atmosphère, les êtres vivants et le cycle de l’eau animés par l’énergie solaire.

La zone critique est l’habitat des humains sur la planète, le fruit d’une longue évolution et une zone clé dans le maintien de l’habitabilité de la Terre. Critique, cette zone l’est aussi à l’heure de l’Anthropocène, car c’est la « zone à sauver ».

“Si on dit qu’on se bat pour l’écologie, la plupart des gens se vexent ou s’en foutent. Mais si on dit qu’on lutte pour bien manger, se loger correctement et se déplacer sans que cela coûte des fortunes, qui est contre ? Personne. L’enjeu de la vie « bonne », d’avoir des bonnes conditions d’existence, ce n’est certainement pas une problématique d’élite, au contraire, c’est un ressort important de la culture populaire ! Cela dessine de nouveaux accords possibles, avec des gens qui ne se diraient pas forcément « écolos » mais qui en réalité, se soucient de leur territoire et de le rendre habitable.”

Bruno Latour, entretien dans Basta!, février 2022

« Loger n’est pas “habiter” ; “l’habiter”, dimension existentielle de la présence de l’homme sur terre, ne se satisfait pas d’un nombre de mètres carrés de logement ou de la qualité architecturale d’un immeuble. C’est parce que l’homme “habite”, que son “habitat” devient “habitation”. Habiter c’est le logement mais pas que. C’est aussi comment on se relie aux espaces, aux autres humains mais aussi au sol, aux plantes, à ce qui fait qu’un lieu est «habitable ». Et la question devient celle de savoir si, et comment, peut s’organiser un habiter dans un espace domestique caractérisé par la précarité matérielle et la stigmatisation sociale. »

Florence Bouillon, Les mondes du squat, 2009, Ed. Presses Universitaires

L’expression “habitat indigne” transcrit la relation identitaire qui existe entre le logement et les personnes qui y habitent. Le mauvais état du logis a un impact sur l’intégrité physique et psychologique de ses habitants, qui n’est plus préservée. La dégradation matérielle et esthétique engendrent une fragilisation de l’estime de soi et contribue à renforcer les processus d’exclusion socio-économique. Cette détérioration délétère de l’habitat ne concerne pas que le logement à proprement parler mais également son environnement immédiat : pas de porte, parties communes, rues adjacentes, espaces publics voisins… Réinvestir ces espaces constitue un premier pas non négligeable en faveur de l’amélioration du cadre de vie et de la recréation des liens de voisinage.

Affiche du Terrain d’Aventure, Juillet 2024 réalisée par les enfants de la Jougarelle et Elsa Menad

Situé dans la cité de la Castellane, dans le 15e arrondissement, le parc de la Jougarelle a été initialement conçu comme un espace vert devant faire la liaison entre la Castellane, la Bricarde, Plan d’Aou ainsi que les noyaux villageois de Saint Henri et Saint André. Sauf que, un an après sa construction en 2018, faute de présence régulière et d’entretien, le parc était dégradé et peu fréquenté par les habitants. Craignant que leurs enfants ne fassent de mauvaises rencontres, les mères n’autorisent pas leurs enfants à y descendre jouer.

Cinq ans plus tard, ce paysage s’est en grande partie transformé. En tout cas, la vie est revenue à la Jougarelle. Une communauté portée par les associations 3.2.1, Momkin, Trait d’Union, les Rudologistes associés et les Céméa, a réinvesti le parc en venant l’habiter, chaque mercredi et pendant les vacances scolaires avec des Ateliers Buissonniers. Hors les murs et à longueur d’années, habitantes, éducatrices en pédagogie sociale, jardinières, chercheuses et artistes aménagent le terrain à coup de nattes posées au sol, de valises débordantes de matériel créatif, de constructions éphémères, de plantations et de goûters partagés. Les grilles du jardin deviennent des espaces d’exposition permanents et chaque été la Jougarelle accueille le projet de Terrain d’Aventure où des cabanes et plein d’autres constructions sont réalisées par les enfants. Le fait d’occuper l’espace extérieur, plutôt qu’un local, permet de rendre plus libre la circulation des personnes : les enfants arrivent et en repartent comme ils veulent, les propositions des associations et des habitantes s’agrègent de manière organique, tandis que l’espace entre l’intérieur de la cité et l’extérieur devient de plus en plus poreux, à mesure que le rayon d’action des ateliers s’élargit.

“Le terrain d’aventures de la Jougarelle est devenu un espace d’exploration des ressources tant naturelles qu’humaines du lieu, mais aussi l’expression d’une volonté collective d’avancer ensemble pour faire bouger les lignes.”

Elsa Menad, Julie Demuer, Nadja Monnet, Francesca Riva, Emilie Petit.

Faire du beau pour créer du lien, rendre vivable, habiter les ruines

Jeanne, de l’Amicale de Locataires de Campagne L’évêque. Récit d’exploration du Mille-Pattes #6, mai 2024

QR code Podcast :

“L’Habiter, Dis-moi ton habiter, je te dirai le mien.”.

Réalisé par l’association Paroles Vives en coopération avec le centre social Les Musardises et le collectif La Disquette. 2023.”.

Des lieux à l’image de leurs habitants

“Habiter”, c’est demeurer dans les traces que laisse notre vie et par lesquelles nous remontons toujours dans la vie de nos ancêtres. “Habiter”, dans le sens fort, ne se distingue pratiquement pas de “vivre”. Jour après jour, les êtres façonnent leur milieu. A chaque pas, à chaque geste, les gens “habitent”.

L’habitat traditionnel n’est jamais achevé. Les maisons ne cessent de s’étendre; seuls les temples et les palais peuvent éventuellement être “finis”. Habiter signifie vivre, dans la mesure où chaque moment modèle le genre d’espace spécifique à une communauté.”

Ivan Illich, L’espace de chez soi : ni un nid ni un garage, in H²O, les eaux de l’oubli, Gallimard, 1985

La capacité à modifier son environnement en l’adaptant à l’évolution de ses besoins semble aujourd’hui réservée soit aux plus fortunés, qui sont propriétaires, soit aux plus démunis qui se construisent un toit de fortune avec les moyens du bord. Pour les autres, ceux qui bénéficient d’un logement en plus ou moins bon état appartenant à un propriétaire ou soumis aux règles de l’urbanisme, les possibilités de marquer leur habitat, d’y imprégner la trace de leur vécu sont limitées. Si bien que selon Ivan Illich, il n’est plus possible aujourd’hui pour la majorité des personnes d’habiter la ville, au sens traditionnel du terme : “le jour, ils campent à côté d’un téléphone, la nuit, ils se parquent à proximité de leur voiture”. Devenu réfractaire à porter les “défigurations qu’entraîne le contact avec la vie”, l’espace urbain contemporain ne laisse plus la possibilité d’être habité, c’est-à-dire investi et imprégné du passage des vivants.

L’auto réhabilitation nécessite une certaine culture, un mode de vie, la gestion de ses temps libres…

Or, les personnes en difficultés sociales peinent à réunir l’ensemble de ces éléments préalables au faire par soi-même. Des problèmes de santé, la lassitude, le manque de confiance en soi, des difficultés financières, le manque de savoir faire, ou encore un défaut d’informations relatif aux droits et devoirs du locataire, font que les personnes les plus modestes, pouvant vivre dans des logements préalablement détériorés par le peu d’entretien des propriétaires et bailleurs, ne vont pas être en capacité de prendre à leur charge les réparations pouvant permettre l’amélioration de leurs conditions de vie.

Cette situation engendre de nombreuses insatisfactions, des factures élevées (micro fuites, vitres cassées…) ainsi que des problèmes sanitaires. L’insatisfaction et les difficultés supplémentaires rencontrées par les locataires peuvent générer l’arrêt du paiement des loyers d’un logement très dégradé avec le risque d’encourir à son encontre une procédure d’expulsion, et ainsi de s’enfoncer encore plus dans la spirale de l’exclusion économique et sociale.

Dans ce contexte, l’association des Compagnons Bâtisseurs intervient spécifiquement en faveur du droit au logement et de la lutte contre les exclusions par des chantiers de rénovation de l’habitat fondés sur des principes de participation des habitants. Ces actions s’inscrivent dans le champ de l’insertion sociale par le logement : par des “ateliers de quartier” et l’accompagnement de l’entretien des copropriétés, la rénovation du logement est l’objet d’une mobilisation de la personne dans le sens où elle devient sujet et auteur de cette rénovation.

Outre le maintien dans son logement rénové, la personne se le réapproprie : l’acte de transformer par soi-même son logement contribue à ce que les personnes se transforment, et revalorisent leur propre image.

Au-delà de cette double « rénovation » de son logement et de soi même, elles entreprennent des démarches pour elles-mêmes et leur famille –se soigner, se former, chercher un emploi, ouvrir des droits – et vers les autres – recréer des liens sociaux, se redécouvrir utile, participer à la vie sociale et à la vie citoyenne sur le quartier. De cette manière, la démarche d’auto réhabilitation du logement contribue à faire émerger et potentialiser les capacités des personnes prises dans des processus d’exclusion et à inverser ces processus.

Cette entraide et cette solidarité se poursuivent au-delà même de l’action et des chantiers. Les personnes ayant participé à des ateliers de quartier ou à la rénovation de leur logement social trouvent d’autres occasions de se donner des coups de main, de se soutenir. Elles sortent d’une relation d’aide assistantielle et redécouvrent l’entraide et les solidarités de voisinage. Le maintien dans le logement réhabilité va de pair avec une autonomisation et une réintégration dans le tissu social du quartier.

Georges Kammerlocher, Revaloriser la personne par l’auto réhabilitation de son habitat, stratégie associative de lutte contre les exclusions, Mémoire de l’École Nationale de la Santé Publique, 2004

« Pas sans nous ! », c’est ainsi que Pierre Yves Jancofondateur rennais de notre mouvement national – invitait à considérer avec authenticité la parole «habitante», dans les projets d’aménagement et de construction de la cité. « ...mais ensemble » précisait-il ensuite, soucieux du dialogue des habitant·e·s avec les élu·e·s et autres acteurs de la production immobilière.

Car seule, aucune organisation citoyenne, institutionnelle ou professionnelle – quelle que soit son échelle - ne saurait produire de réponse satisfaisante aux défis contemporains, qu’il s’agisse de crise climatique, de celle de l’énergie, de l’accès au logement, de la consommation foncière, de l’isolement des personnes ou toute autre conséquence de fractures sociales et générationnelles.

La question que pose l’habitat participatif n’est donc pas seulement celle du logement, mais aussi celle de la citoyenneté politique lovée au cœur du projet partagé, de la convergence des efforts et des expérimentations, à la recherche des formes du «logement sociétal» dont le 21e siècle a si terriblement besoin.

Le futur devra nous permettre d’habiter plus petit et plus groupés, d’investir des ensembles de logements et de «communs», espaces ou équipements en partage, supports du renouvellement de liens de proximité. Pour autant, ce futur de l’habiter ne peut être prédit. Il reste à inventer. À faire émerger, sous des formes multiples, au sein de nouvelles organisations apprenantes, mues par l’impératif d’agir et la capacité de chacun·e à s’y associer, selon des rôles et pouvoir distincts.”

Rencontres Nationales de l’Habitat Participatif, Edito 2024

Un habitat participatif est conçu collectivement par un groupe de personnes, qui se rassemble pour imaginer ensemble leur habitat. Il est composé de logements individuels et d’espaces communs et mutualisés, qui sont gérés directement et collectivement. Aujourd’hui, il existe près de 1100 projets d’habitats participatifs en France, tous différents, mais unis par la même motivation : habiter autrement de manière plus participative, solidaire et écologique. Alors que l’habitat participatif demeure plutôt investi par les classes moyennes et moyennes-supérieures, en 2022, la rencontre d’acteurs et d’actrices de l’habitat, d’habitant·es des quartiers populaires, de membres de la Coordination Pas sans Nous et d’Habitat Participatif France a permis de produire le Manifeste de l’habitat participatif populaire.

Après 40 ans de politique de la ville et 20 ans de rénovation urbaine, les logements et cadres de vie demeurent souvent extrêmement dégradés dans les quartiers populaires, entre disparition des services publics et des commerces de proximité, manque de concertation dans les projets de démolition, insalubrité et inadaptation des logements aux changements climatiques. Les personnes en situation de mal-logement, totalisant 4,2 millions de personnes en France, y demeurent sur-représentées. La réponse apportée est trop souvent descendante, sans réellement faire de place aux propositions et aux initiatives d’habitant·es qui souhaitent expérimenter d’autres manières d’habiter dans leurs quartiers.

En replaçant les citoyen·nes au cœur du processus de construction de leur habitat et de sa gestion au quotidien, l’habitat participatif s’inscrit dans une perspective démocratique et dans l’esprit de la loi Lamy pour la cohésion urbaine qui comprend un principe de co-construction de la politique de la ville avec les habitant.es.

L’habitat participatif populaire constitue une réponse au long cours aux besoins de considération, de dignité et d’autodétermination des habitant·es. Ces derniers ont à construire leur propre vision de l’habitat participatif, le type d’espaces communs, les modes d’autogestion, les niveaux de participation, etc. L’habitat participatif se traduit par une pluralité de formes et de montages juridiques et financiers. Il peut s’incarner par la mise à disposition d’espaces communs dans des bâtiments existants, dans une logique de cogestion entre les collectifs d’habitant.es et les bailleurs sociaux, mais aussi dans des projets qui s’inscrivent dans la rénovation urbaine, en alternative aux démolitions-reconstructions ou dans le cadre de la reconstitution de l’habitat. Il peut aussi se conjuguer avec d’autres formes d’habitat partagé (habitat inclusif, cohabitation intergénérationnelle solidaire, etc.).

D’après “Manifeste de l’habitat participatif populaire”, https://www.habitatparticipatif-france.fr/, 2024

Le Collectif des Habitants Organisés du 3e arrondissement organise des réunions et des actions d’entraide entre habitant.e.s autour du mal logement, de l’aide alimentaire, de l’accès aux droits, et de l’échange de compétences. Le collectif a d’abord été créé pour répondre à des situations d’urgence, mais son ambition est également de transformer la société au travers d’alternatives conçues par et pour les habitants.

LA TERRE COMME ULTIME DEMEURE…

L’ÉCHAPÉE BELLE ?

Comme un paradoxe qui nous emmène vers l’imaginaire, les moutons de cette carte postale ne rentrent pas mais sortent de l’abattoir de SaintLouis…

Alors qu’un nouveau pastoralisme émerge à Marseille pour prendre soin des terres, des friches et des chemins, que les droits de la nature ouvrent des pistes pour une autre définition de la propriété, nous transhumons avec les moutons du Lycée Saint Exupéry à Miramar, accompagnés des planètes du Petit prince.

Propriété habitation

La « propriété-habitation » pourrait entrer en résonance avec les visions de la propriété comme droit d’accès aux choses.. Sarah Vanuxem propose d’éprouver cette figure de la propriété comme faculté d’habiter à travers trois modes d’habitation : la demeure, le communal et le territoire.

« Quant aux choses-habitat ou habitées, ce pourrait être les ultimes propriétaires, c’est-à-dire des propriétaires d’elles-mêmes qui, loin de subir passivement l’emprise de maîtres et souverains, noueraient des relations entre elles, et tisseraient un réseau de droits et obligations préservant des atteintes à la biodiversité, à la nature, aux paysages ».

Sarah Vanuxem, 2018, La propriété de la terre, Éditions Wildproject.

Vue de Marseille prise des Aygalades un jour de Marché (Emile Loubon, 1853). Musée des Beaux-Arts de Marseille

CHEMINS D’HOSPITALITÉ…

Quand on s’est donné rendez-vous au bar du Terminus au bord du Chemin de la Madrague Ville à la Calade, c’était d’une certaine manière pour remercier ce bar de quartier de l’accueil fait à Sam et Julie lors de leur petite dérive à 2, il y a quelques semaines. Mais c’était aussi pour poursuivre cette relation ténue qui rend vivant un voisinage : être à la fois à l’écoute et en recherche des lieux où un échange peut émerger, où tu te sens en “hospitalité”, en possibilité d’être mutuellement “hôtes” (le bar est l’hôte qui accueille, nous sommes les hôtes accueillis). C’est comme une sorte de recherche inconsciente d’empathie, de vibration, d’énergie.

Extrait du récit #2 du groupe Mille-Pattes, novembre 2023

Une des séances du Mille-Pattes, à son QG de cette enquête, la terrasse du bar le Terminus à la Calade, merci à lui!

“Nous sommes partie prenante d’une coalition d’organisations de la société civile marseillaise et de professionnels du tourisme qui demande au maire de Marseille d’organiser des Assises marseillaises de l’hospitalité pour concilier hospitalité, justice sociale et lutte contre le réchauffement climatique.

Peut-on penser un accueil digne de toutes les personnes de passage à Marseille ?

Des assises marseillaises de l’hospitalité permettraient de réunir l’ensemble des personnes concernées pour partager les connaissances sur la situation actuelle, son évolution, ses dispositifs et les impacts sur notre cadre de vie des différents accueils.”

La coopérative Hôtel du Nord conjointement avec d’autres structures a commencé un travail de recherche sur l’accueil hospitalier à Marseille. Ce travail sera un prélude vers des Assises de l’Hospitalité, prévues à Marseille au mois de juin 2025.

https://marsactu.fr/agora/appel-pour-desassises-marseillaises-de-lhospitalit/

TENTATIVE D’HISTORIQUE à enrichir ...

On a voulu essayer de comprendre ce qui se cachait derrière les lois, car les lois cachent les histoires, les histoires cachent les gens…de là une tentative d’historique, à prendre comme un jeu de cache-cache, ou de 1-2-3 Soleil !

Photo: Extrémité Rue de Belsunce-Hôtel des Postes 1911, Anonyme, source collections du Musée d’Histoire de Marseille.

Partie 1 : Entre entrepreneurs philanthropes et ingénieurs urbanistes

Années 1850-1894 :

Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, l’accélération de l’industrialisation précipite l’exode rural et la concentration de la maind’œuvre. Quelques initiatives de logements collectifs sont menées par des entrepreneurs paternalistes. qui ne se généralisent pas, certains craignant les troubles sociaux que peut générer la concentration de ces « casernes ouvrières ».

Ces initiatives convergent à partir de 1885 vers la création de sociétés immobilières à vocation sociale, qui se réunissent en congrès à Paris en marge de l’Exposition Universelle de 1889, sous l’appellation « d’habitations à bon marché » (HBM).

15 août 1864:

Inauguration à Marseille de la rue Impériale qui relie le Palais de la Bourse au nouveau port : 1,2 kilomètre de long, 105 000 mètres carrés, 935 maisons démolies, 38 rues disparues et 16 000 personnes relogées.

1894 :

La loi Siegfried crée le logement social, en incitant à l’initiative privée par la création des comités HBM. La Ruche, premier ensemble d’HBM collectives et individuelles, est construit à SaintDenis. L’objectif est l’accession à la propriété des salariés.

1906 :

Les incitations de la loi Siegfried ont échoué. La loi Strauss rend l’existence de comités d’HBM obligatoires. La cité du nom de Paul Strauss sera en 1923 le premier ensemble d’HBM de Marseille, dans le 14ème arrondissement.

1898 : En Angleterre, l’urbaniste Ebenezer Howard théorise le concept de cité-jardin, en critique directe de la concentration du système capitaliste anglais. L’usage du terme s’exporte ensuite en France, mais perd son acception politique et critique initiale.

Partie 2 : Entre assainir, détruire et construire

1910-1929 :

Destruction des quartiers derrière la Bourse, 500 immeubles sont détruits et 7000 personnes déplacées notamment vers Saint-Louis.

1912/1920 :

La loi de Bonnevay légitime l’intervention publique directe pour construire du logement. Cela prend la forme de l’Office Public d’Habitations à Bon Marché (ancêtre de HMP) et de l’Office Public d’Habitations à Bon Marché des Bouchesdu-Rhône (ancêtre de 13 Habitat). Ces premiers “bailleurs sociaux” ont pour mission «la construction, l’aménagement et la gestion de logements salubres, l’assainissement des immeubles existants, la création de jardins ouvriers et la construction de locaux à usage commun et de boutiques à usage commercial». Ils gèrent également l’offre et la demande des HBM, avec l’aide de l’Etat et des collectivités locales.

1919 :

L’après-guerre mondiale connaît une nouvelle crise du logement qui occasionne une première régulation publique via la maîtrise des loyers.

1920 : Premiers mouvement des “mal-lotis” dans la banlieue parisienne qui se “lotit”.

1923: Création par des militants communistes de l’antenne française du du Secours rouge, qui deviendra avec le Front populaire le Secours rouge populaire puis en 1945 avec les mouvements populaires issus de la résistance le Secours Populaire.

1923/1927 : Plusieurs “cités-jardins” voient le jour, à Saint Louis puis aux Chutes-Lavie, à Saint Loup et à Saint Just.

1928 : La loi Loucheur définit les sources de financement offertes aux offices d’HBM. Dans les années 1930, le logement social s’étend à une partie de la classe moyenne. A Marseille une cité Louis Loucheur voit le jour en 1933 dans le quartier de St Pierre.

1931 :

Une commission municipale se réunit pour la première fois et conclut à la nécessité de construire 30 000 logements pour supprimer les taudis. Seuls 2 800 seront effectivement terminés (HBM), principalement attribués à des employés municipaux.

Part 3 : Entre gestion de l’urgence et expérimentations

1943-1944 :

Destruction des quartiers du Vieux-Port par les autorités locales puis bombardements angloaméricains, occasionnant l’expulsion de 36 000 personnes et la destruction de 456.000 m².

1944 :

Une liste des taudis est établie et comptabilise 6 500 immeubles insalubres.

L’association des Sinistrés, créée en 1944 à Marseille par le Mouvement Populaire des Familles, organise un recensement populaire des logements vacants ou sous-occupés.

1946 :

1945: création du Secours populaire dans le sillage des mouvements de résistance

1945 :

Ordonnance du 19 octobre 1945 sur la politique du logement, de la reconstruction et de l’urbanisme qui prévoit la réquisition pour « les personnes dont le manque de logement est de nature à apporter un trouble grave à l’ordre public».

Construction de camps de transit : Préfabriqués à capitaine Gèze, Grand Arenas à la Cayolle…

Occupations de nombreux immeubles vacants par le Mouvement des squatters, à Saint-Louis puis dans de nombreux quartiers de Marseille

1947 : Libération progressive des loyers et création d’une allocation logement.

1949 : Création de la première communauté Emmaüs par Lucie Coutaz, l’abbé Pierre et Georges Legay à partir d’une maison achetée en 1947 à Neuilly sur Marne et transformée en Auberge de jeunesse internationale.

1947 :

Le maire communiste de Marseille, Jean Cristofol, initie les brigades de choc composées d’habitantstravailleurs volontaires et bénévoles qui vont déblayer, refaire les rues, réparer les écoles… Sur 14 000 immeubles détruits ou endommagés 400 sont réparés en 9 mois et plusieurs cités ouvrières en construction.

1945-1950 :

Le nouveau Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme lance des chantiers expérimentaux pour tester, comparer différentes formules de logements construits selon des méthodes industrialisées encore expérimentales, former les ouvriers et trouver comment financer par la baisse des coûts la modernisation de l’habitat.

A Marseille, l’Unité d’habitation de Le Corbusier (la cité radieuse) est lancée.

Partie 4 : Entre production industrielle et transformation du terroir

1950 :

Les HBM deviennent les HLM (habitations à loyers modérés). L’État octroie des apports financiers pour produire massivement des logements décents à prix réduit. L’enjeu de fonder une politique industrielle du secteur donne naissance en 1951 à un Plan décennal du Secteur Industrialisé. La construction de logement est déclarée d’intérêt public rendant possible les expropriations.

1955 : Livraison des premières opérations produites dans des modalités protoindustrielles (entre 700 et 900 logements) souvent à destination du personnel d’entreprises (St Barthelemy SNCF, Les Rosiers pour le personnel de la société des eaux, de la réparation navale et des huileries…).

1954 : Médiatisation de la crise du logement suite à l’appel de l’abbé Pierre. En urgence est votée au Parlement la construction de cités d’urgence en pré-fabriqués (Logement Economiques de Premières Nécessité), de très mauvaise facture, qui se dégradent la plupart du temps aussitôt. 600 logements seront construits à Marseille dont certains sont toujours debout et habités.

1957 :

Création d’ATD (Aide à Toute Détresse) par Joseph Wresinski, prêtre français, avec les familles d’un camp d’hébergement d’urgence près de Paris. Ils sont rapidement rejoints par des femmes et des hommes de différentes origines et croyances et créent le Volontariat permanent, un engagement à temps plein et à long terme aux côtés des familles les plus exclues.

1958 : Un Plan quinquennal soutient la création de zones à urbaniser en priorité (ZUP) permettant l’acquisition foncière par l’Etat et l’HLM locatif avec un objectif de construction massif de 10 000 logements par an pendant 5 ans. Les quartiers dits des « grands ensembles » voient le jour.

1959 : Construction du Lycée Saint-Exupéry sur l’ancienne Campagne Consolat.

1960:

Livre blanc sur la logement compilé par le Comité d’Action Logement (fondé à Marseille par les militants sociaux notamment du Mouvement des Squatters). A partir de l’analyse critique de l’expérience des Rosiers, première critique de la manière de construire sans prendre en compte l’habitant et l’”habiter”.

La ZUP n°1 voit le jour à Marseille entre le Canet et Malpassé, et Campagne Lévêque est avec la Marine bleue, le premier Grand ensemble issu du plan de 1951.

En dehors de la ZUP, d’autres grandes opérations de logements collectifs se montent comme à Campagne Lévêque sur les anciens domaines bastidaires de grandes familles marseillaises (Timon David pour La Viste, Plan d’Aou-Bricarde-Castellane sur les terres de la famille Foresta…).

Partie 5 : Des réponses multiples et contradictoires

1966:

Première enquête nationale de recensement des bidonvilles fait état de 255 bidonvilles habités par 50 000 personnes.

Années 60 :

Parallèlement au développement de l’urbanisation nouvelle, l’Etat engage un vaste effort de renouvellement des quartiers anciens. Cette première « rénovation urbaine » consiste en d’importantes opérations de démolition du bâti vétuste (les « îlots insalubres ») des secteurs centraux. Elles conduisent généralement au déplacement des familles ouvrières qui peuplaient les quartiers populaires des centres anciens vers les grands ensembles périphériques.

Parallèlement aux programmes locatifs, les organismes d’HLM contribuent à l’accession à la propriété, tandis que les politiques publiques de prêts et d’épargnelogement financent surtout l’urbanisation diffuse de l’habitat pavillonnaire.

Début des années 70 :

Fin de la période de construction intensive. Premières critiques frontales au sein des pouvoirs publics des grandes opérations d’urbanisme prioritaire et remise en cause au sein même des politiques publiques. La question de la destruction pour préserver les grands ensembles de la ghettoïsation est posée pour la première fois en 1975 mais n’aura que peu d’échos. Pour autant, on laisse les quartiers sans équipement et sans véritable accompagnement pour les rendre habitables.

Fin des années 70 et début des années 80 : Les quartiers dits sensibles sont ciblés par les « politiques de la ville » qui dans un premier temps se concentrent sur l’accompagnement social et l’amélioration du cadre de vie pour contrer la dégradation et la paupérisation. A Marseille, émergence de nombreuses associations dans les quartiers, encouragées par les pouvoirs publics. La politique de la ville devient le Développement Social des Quartiers (DSQ), qui est traversée par l’hypothèse de la destruction mais mise encore quelques temps sur le soutien à la vie sociale.

1975 : le président Valéry Giscard d’Estaing visite le bidonville Michel dans le bassin de Séon à Marseille. S’ensuit un retentissement national.

1977 :

La loi Barre substitue l’aide à la personne à l’aide à la pierre. Les institutions publiques préfèrent assurer la solvabilité des locataires les plus démunis, notamment avec la création de l’aide personnalisée au logement (APL) plus généreuse que l’ancienne aide au logement de 1948. En ce qui concerne le bâti, il s’agit désormais de gérer l’existant plutôt que de construire massivement du neuf.

A partir du début des années 90:

Jugeant les résultats du développement social insuffisants et suite à des émeutes en 1990, la politique de la ville acte son évolution vers des opérations de réhabilitation du bâti et de recours autorisé à la destruction. On évite encore le terme de rénovation qui garde la mémoire de la rénovation brutale des îlots des centres anciens.

1990 :

Dans le sillage et en critique du Comité des Mal-logés qui organise des opérations de squats dans le logement social vacant, création de l’association du DAL (Droit au logement). Par de grandes opérations de réquisitions et d’occupation médiatisées, le DAL revendique l’application de la loi de réquisition de 1945, réactive l’idée d’un droit au logement comme droit fondamental et popularise les pratiques collectives de “squattage”.

Adoption de la loi Besson dont l’article premier mentionne que « le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour la nation ». Ce droit ne signifie pas que la nation a l’obligation de fournir un logement à toute personne qui en fait la demande, mais qu’elle doit apporter une aide, dans les conditions prévues par ladite loi, aux personnes qui remplissent les conditions pour en bénéficier. Elle servira de levier aux luttes contre le mal-logement et aux évolutions législatives telles que 10 ans plus tard, en 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), qui exige de chaque agglomération de plus de 50 000 habitants qu’elle propose au moins 20 % de logements sociaux.

1995 :

Dans le contexte des GPU, Christine Breton lance la Mission expérimentale de patrimoine intégré pour résister au processus d’effacement et d’invisibilisation des mémoires habitantes.

1992 : les GPU (Grands Projets Urbains) valident l’idée du “renouvellement” et de la “rénovation” par le destruction des bâtis dans les quartiers de grands ensembles.

2000 : Création à Marseille de Un Centre Ville Pour Tous, dans le contexte de la politique de réhabilitation par la municipalité des immeubles notamment de Belsunce et de Noailles. Critique des dispositifs employés et du peu d’attention aux habitants, l’association appelle à un Droit à la Ville combinant droit au logement pour les populations présentes, à l’information du citoyen et à la mise en œuvre d’un projet global visant à une véritable qualité de vie. Elle sera essentielle dans la mobilisation contre les expropriations de la rue de la République lors de sa réhabilitation.

2003 : La Loi Borloo pour la ville et la rénovation urbaine systématise et massifie les démolitions et les reconstructions. Présenté comme « le plus grand chantier du siècle » et soutenu par de lourds investissements financiers (47 milliards), le PNRU (programme national pour la rénovation urbaine) repose sur une condamnation du modèle des grands ensembles, la refonte de la trame urbaine de ces quartiers et une transformation massive de l’offre de logements.

2007 : Loi au droit au logement opposable (DALO) suite à un regroupement de dizaines d’associations autour de ATD Quart Monde, d’un drame tuant plusieurs mal-logés dans un incendie à Paris en 2005 puis d’une action de campement de tentes le long du Canal St Martin à Paris puis partout en France par l’association Les Enfants de Don Quichotte. Cette loi permet non pas d’obtenir un logement mais de porter auprès des tribunaux le droit à être logé décemment.

2015 : Rapport Nicol : La Requalification du parc immobilier privé à Marseille, qui fait état de la situation catastrophique des logements privés et “potentiellement indignes”.

5 novembre 2018 : Effondrement d’immeubles vétustes rue d’Aubagne à Marseille, faisant 8 victimes, et déclenchant au moins 3 000 évacuations d’urgence en quelques semaines. Ce drame révèle au grand public la situation subie par les habitants des logements indignes de cette ville.

2014 : la Loi ALUR “modernise” le logement social en rendant notamment possible de nouveaux montages juridiques (foncières, société d’habitats participatif) , en facilitant l’intervention publique sur les propriétés privées et en donnant de nouvelles missions aux bailleurs dans leurs relations aux acteurs privés (copropriétés, promoteurs..). Elle légifère aussi la trêve hivernale instaurée en 1956 et la fixe du 1er novembre au 31 mars. Elle est concomitante de la Loi LAMY qui définit les quartiers prioritaires (éligibles aux subventions de la politique de la ville) et qui lance le Nouveau Programme de Rénovation Urbaine.

2018 : Instruction gouvernementale le 25 janvier 2018 visant à donner « une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et bidonvilles », vient prolonger celle d’août 2012, en privilégiant l’action publique (diagnostic social, concertation et mesures d’accompagnement, etc.) dès l’installation des personnes sur un site, et non plus en mettant uniquement l’accent sur le processus de l’expulsion. Son caractère non contraignant en limite néanmoins l’impact.

2019 : Instauration d’un « permis de louer » expérimental pour les nouveaux baux et seulement dans certains secteurs du quartier de Noailles.

Publication du rapport Marseille : de la crise du logement à une crise humanitaire par le Haut Comité pour le Logement des personnes défavorisées, complété de manière indépendante d’un dossier de cartes commentées par un groupement d’universitaires et d’institutionnels.

2023 : Dans le cadre Marseille en grand 2ème saison, Emmanuel Macron choisit 4 copropriétés dégradées et non soutenues par l’ANRU, dont la résidence Consolat, pour bénéficier d’une opération de réhabilitation d’intérêt national. Le calendrier, n’en est à ce jour, pas défini.

Loi du 27 juillet 2023 dite « anti-squat » réduit la procédure d’expulsion du locataire et sanctionne par de lourdes amendes les squatteurs et les locataires qui ne quittent pas le logement alors qu’une décision de justice ordonnant leur expulsion a été prononcée à leur encontre. Les squatteurs risquent également des peines de prison.

2022 : Inscription de la rénovation de Campagne Lévêque dans le plan Marseille en grand. 384 logements sur 800 sont prévus à la démolition. La concertation ne démarrera néanmoins qu’après la validation du projet auprès de l’ANRU, créant une tension sur les temporalités.

Avril 2024 : validation du projet de rénovation de Campagne Lévêque par le conseil municipal. Le flou des relogements et le manque de concertation inquiètent toujours les habitant•es.

Ce livret est réalisé à partir de contributions multiples, d’archives et d’extraits de textes qui ont nourri les explorations, rencontres et recherches du 1000 pattes, groupe ouvert de fabrication collective de balades animé par la coopérative Hôtel du Nord.

Il accompagne la balade, mais vous invite aussi à explorer par vous-mêmes, à rencontrer les histoires et à rejoindre les initiatives.

Coordination éditoriale : Chloé Mazzani et Julie de Muer avec Samanta Berardo et Agnès Jouanaud

Création graphique : Elsa Menad

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