Fanzine Hildegarde n°9 mars 17

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Nouvelles Antiennes


Dessin de couverture : Didier Hamey, Nour http://didier.hamey.free.fr/

SOMMAIRE Editorial, Populie / p.3 Jeremy Platey, Didier Hamey Pour en finir avec l'intellectualisme / p.8 Brian Simars, Pontiques / p.10 Sally Mara, Actualités de l'Empire / p.11 Anna Czapski, Dans ce spectacle / p.13 Chloe Schuiten, Antoine Boute, Le Monde triste / p.16 Calendrier lunaire / p.20 Shaomi, Un poulet / p.22 Dossier APOSTROPHE 1977 / p.24 Paul Fréval et Stéphanie-Lucie Mathern, Les Bernard / p.25 Martin Granger, Les mains / p.29 Filipo Tetedevo, Socrate fait sa promo / p.32 Philippe Dutry, les nouveaux philosophes / p.34 Stephan Ferry, De charybde en scylla / p. 35 Marine Aïello, Mingalarbar / p.39 Angélique Rouer, Le réveil de sa sensualité / p.45 Réédition / p.46 Contact / p.47

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EDITORIAL de POPULIE

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Jérémy Platey

Pour en finir avec l’intellectualisme « Dans la citerne étroite que vous appelez « Pensée », les rayons spirituels pourrissent comme de la paille. Assez de jeu de langue, d’artifices de syntaxe, de jongleries de formules, il y a à trouver maintenant la grande Loi du cœur, la Loi qui ne soit pas une loi, une prison, mais un guide pour l’Esprit perdu dans son propre labyrinthe.» Antonin Artaud, Lettre européennes, 1925.

aux

recteurs

des

universités

Didier Hamey, le fourré des délices, 45cmx50cm -­‐ 2006

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S’il existe bien une frange ignoble vomie par notre démocratie de marché et d’opinion, de collaborateurs insouciants, à la productivité oisive et à l’inutilité intrinsèque : ce sont les intellectuels. Dévots de la science et du rationalisme, science alliée au pouvoir sensée nous apporter le bonheur. Mais quel bonheur avez-vous fabriqué pour nous ? Par votre arrogance et votre certitude bien formulée, vous nous vendez la disparition de tout mystère, l’assassinat de toute poésie, l’extinction du mythe, et la disparition tragique de toute force vitale et créatrice. Par votre parlote vous avez participé à la destruction de l’Esprit humain. Bien caché derrière vos systèmes de pensée, à l’heure où l’on considère le baratin comme une arme pacifique et démocratique, je préfère le barbare qui tranche la viande comme la Justice. Parce que vous êtes consciemment ou subliminalement les relais et les portevoix de vos tyrans et de tout ce folklore affligeant. Vous nous vendez la paix, la civilisation, l’humanisme, la science, la philosophie alors que démasqués par votre niaiserie, c’est bien le contraire qui apparait. De vos acrobaties verbales ne subsiste que l’abstraction, le concept et la confabulation, le règne du discours et de la scolastique. Vous dissertez sur la valeur des choses comme on négocie un prix, vous maniez les lettres pour mieux manier les chiffres sur le dos des esclaves qui n’ont guère le temps disponible pour écouter vos crachats de salon. Les intellectuels sont les animateurs des chimères de la pensée bourgeoise. Tout ce monde de la bourse, de l’urne et de la plume main dans la main pour nous cloisonner dans une dimension morbide de médiocrité, un monde mortifère, bavard et abstrait à la solde de la ploutocratie. Au nom de ce qui reste de l’Esprit humain nous vous sommons de disparaître avec votre parade ridicule : Disparaissez discrètement avant que les hommes aient compris cette ignoble esbroufe et que ne se réveillent à nouveau la colère et le glaive que vous craignez tant./. Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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J.P

«Les deux Césars, ces dieux dont tu viens de m'envoyer les images, Cotta, m'ont été rendus [...] C'est quelque chose de pouvoir contempler des dieux, de savoir qu'ils sont près de nous et de nous entretenir avec eux.»

Ovide, Les Pontiques, II,VIII,9

Brian Simars Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Actualités de l'Empire CARRIERE Ce mois-ci se tiendra à Rome pour Feriae Marti1 une suite de formations organisées par la sodalité des chefs militaires de rang 3. Les conférences et les ateliers se dérouleront à la Basilique et aborderont le thème : BIENVEILLANCE ET EMPATHIE: CLÉS POUR UNE COLONISATION BIEN-ÊTRE.

Destiné aux gradés, renseignements ici. PERIL RELIGIEUX Un peu partout dans l'Empire ont été identifiés des groupes subversifs se constituant autour du culte importé dit du "Nonagir". Par le terrorisme de l'inaction et la non-résistance à la doctrine impériale, ils entendent absorber puis digérer la religion officielle dans le but de la détruire à petit feu. D'après nos reporters infiltrés, il s'agit d'une campagne psychique qui table sur une guerrilla de fond incluant un plan d'attaque sur plusieurs générations de terroristes. BOURSE AUX ESCLAVES Les esclaves gaulois étant en majorité passés des champs à la ville dans leur cursus servile, il est prévu de remplacer la horde rurale devenue vindicative par des prises issues de nos conquêtes orientales. Il sera attribué un dédommagement appelé merces2 aux gaulois domestiqués afin de subvenir aux nécessités de base anciennement assurées par le maître (telle que l'hospitalité et la pitance). Le maître y gagnera avantageusement en place sans perdre en auxiliarités. Sally Mara (traduit de l'aëriche) 1 Fêtes dédiées au dieu Mars à la nouvelle année romaine, semble-­‐t-­‐il. 2 Salaire Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Le loup dissimulé sous une peau de mouton, blason de la Fabian Society

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Anna Czapski

Dans ce spectacle Dans ce spectacle, toutes les jeunes comédiennes ressemblent à Marine Le Pen. Elles sont carrées d’épaules et de visages. Elles ont des queues hautes et blondes. Le titre est : vivre sans but transcendant est devenu possible. Sur un plateau vide qui ressemble à un studio d'une mauvaise petite télé, des personnages féminins se filment sans arrêt et se livrent à des confidences sur leurs troubles existentiels. Ce qui les caractérise, c'est leur vacuité. Leurs problèmes ne ressemblent même pas vraiment à des problèmes mais elles ont tant d’inquiétude dans la voix, tant de peurs et de poids si peu silencieux qu’elles semblent vraiment dans la merde. Elles ne vivent rien de majeur, d'historique, d'intense ni de gai. Elles essayent de faire un peu de danse. Comme elles ont reçu une éducation un peu rigide, elles ont le réflexe bizarre de danser classique, de tenter de lever haut la jambe en tournant les bras levé les mains tournées l’une vers l’autre. Elles se servent des écrans pour se regarder. En même temps, elles osent à peine se regarder. Leurs jeans foncés trop neufs les serrent un peu trop. Elles n'osent pas formuler d'immenses espoirs. On dirait qu'elles trouvent cela peu solidaire et qu'elles n'ont pas, ne se sentent pas la légitimité de régler le vouloir sur un gros volume. Elles aspirent seulement mais ne savent pas comment se diriger. Elles aspirent mais comme l’imagination est ridicule et psychédélique, elles aspirent dans un tout petit espace. Elles n’osent même pas essayer d’être jolies : juste propres, ordonnées, dignes. Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Normalement, si la vie n’était pas si chère, elles auraient une longère avec des chiens tachetés. Des chiens dont on trouve élégant qu’ils bavent. En attendant, elles portent des bottes qui les empêchent de tomber. Au fur et à mesure, elles ont des bleus qui apparaissent, des yeux au beurre noir et des cicatrices avec du sang. Parfois quand elles sont fatiguées, tout ce qu’elles disent, mais tout mais tout, semble avoir été entendu à la télévision. Dans une émission matinale pour les femmes qui reposent leurs jambes en les levant sur un pouf, pour éviter la rétention d’eau, après avoir tout lavé par terre. Ce n'est plus nous qui faisons les images mais les images qui nous font font. Les images se servent de nous pour se déverser encore et encore. Elles nous siphonnent. Il arrive la même chose aux enfants quand ils n’ont pas fait la sieste. Ils se transforment en véhicules de pulsions, passions, situations. Les machines nous transforment en unité de transmission. Comme chez les animaux, stigmergie. Nos enfants deviennent des voitures, des petits bolides téléradionous -sommes des postes. Miné par les problèmes informatiques, ils arrivent même que le coupe batte de l'aile. Mais la machine, en séchant les serviettes éponges et les pulls, produit un amas de bouloches colorées qui me plaisent. Une fois, j'ai vu des artistes conserver cette peluche pour en faire un gros bonhomme. Cette production de douceur est bien la seule manifestation de bienveillance que me prodiguent mes machines. A la fin du spectacle, elles parlent toutes en même temps et elles n’existent plus vraiment c’est à dire que leurs bottes font encore de la danse classique en rêvant de chiens mouchetés et leurs cheveux n’ont jamais été aussi brillants Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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mais des écrans parlent aussi en plus gros et fort qu'elles avec leur tête triste, fatiguée, pochée et s’abîmant qui se voit encore plus. Ce spectacle était un peu naze. J’ai appris ensuite que l’auteur était vieux et ne croyait pas du tout en les jeunes. Il avait voulu dire un truc comme "internet nous tue, les réseaux sociaux ne sont pas la réalité". J'ai honte pour lui. Ça a tout expliqué. La vie est plus intéressante et réchauffée de millions de feux de camps secrets. Les jeunes couvent quand même vraiment un truc curieux qui nous prépare un sacré réconfort. Et nous aussi. On couve un truc sympa qui est déjà bien chaud. Comme diraient les indiens avant de presque s'éteindre : nous reviendrons./.

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Chloe Schuiten

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Antoine Boute

Le monde triste Le monde triste l’est par absence animale que ne grouillent nos amis je ne sais pas moi les porcs dans les trous du métro ce serait si dangereusement plus intense sale certes donc sain car les gens sont n’est-ce pas dangereusement trop propres c’est d’une tristesse mentale toute hors sol que ne grouillent nos amis que ne nous parlent-ils plus pleurent c’est décidé demain j’ensemence les cavernes métropolitaines de marcassins. Stratégie animale être puissamment invisible est puissamment politique leçon sans leçon efficacité basculée hors de l’érotisme de la lutte. Les animaux de nos jours contemporains sont si rares que mathématiquement il s’agit de nos dieux en moderne : séparés donc sacrés capter leur regard leur dégaine c’est prier pleurer savoir mais bien Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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il y a du thon dans l’air civilité renard. Fukushima vérité : sur place ils ouvrirent après l’explosion les portes des porcs notamment qui s’en allèrent s’accoupler en forêt avec leurs cousins sangliers en résultent des sanglochons radioactifs puissants comme des sangliers et décomplexés de l’homme comme cochons d’élevage ils foutent une belle merde alentours dans les champs voilà comme le noyau de la vie est dur. Les porcs gaulois c’était quelque chose semi sauvages bulldozers mini bien hardcores je n’aurais pas dit non à être bouffé de la sorte chassé cuit bouffé comme c’est rigolo ce qui dans l’air souvenir traine ici sans trainer dans l’air de l’Europe passée carpe circonflexe rigolo le passé rigolo tributaire de nos amis les porcs qui furent également porcs de guerre on l’oublie mais incendiés de graisse en feu ils étaient balancés sur l’ennemi pour faire fuir ses éléphants bulldozers maxi tanks chars organiques fameux merci aux éléphants merci aux porcs vous êtes politiques tristes les amis.

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T’as des gens ils nous faisons cuire de petites bombes mentales avec comme ambition nerveuse le système nerveux l’œil les doigts qui comme physiquement mangent par exemple les forces atmosphériques type vent violent drôle impulsif froid Chloe Schuiten

nous sommes comme ça des agents mentaux comiques pas drôles de la situation petit poème ta gueule est la mienne sont la bouche les dents présentement raflent tranquilles quelques dangereux révolutionnaires en plus c’est facile c’est l’affect doux et sauvage titre du scandale scandale mental apitoyé sur les événements qui menèrent à ce qu’ils titrent doux et sauvages le chaland se demande mais quel est ce jour quel est ce monde./.

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CALENDRIER LUNAIRE Activités à prévoir selon les dates favorables et défavorables de Mars 2017 Pascal Servera Jours où éviter de faire des choses trop importantes (prévoir du repos ou une activité méditative, rencontre en petit comité, ne pas jardiner, éviter les grosses réunions, rendez vous importants si fatigue) : 6, 20, 25, 27 Mars. Récolte des plantes médicinales : du 3 au 6 (sur arbre) ; 11 eu 15 Mars (sommités et racines des plantes) ; 21 au 25 (sommités) ; 30-31 (sur arbre) Coupe des cheveux pour plus de vitalité, Meilleurs jours : 18, 19, 23 Mars Jour pour la première coupe de cheveux d’un bébé : Le 10 mars (préférence le matin) Coupe des ongles, meilleurs jours : du 13 au 15, et du 21 au 24 mars Mars. Epilation, meilleurs jours pour ralentir la pousse : 12 au 15 Mars. Rendez vous chez le dentiste, arrachage dévitalisation de dent : 3, 4, 22 au 25 Mars.

Plus de détails (quand jardiner, quand récolter, etc. dans le calendrier lunaire annuel de Michel Gros (calendrier lunaire diffusion)

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FILIPO TETEDEVO

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Shaomi

UN POULET Je fabriquerai une statue de poulet géante un poulet géant ce sera une statue en noir et blanc il n'y aura pas non pas de de crête écarlate de bec safran de plumes bleues non le mastodonte aura le bec béant il en pendra une langue démesurément pointue qui titillera peut-être peut-être plutôt plus tard les idées des passants je garderai la statue pour moi six mois et six jours ou peut-être trois-cents jours et sept heures ce sera un chiffre aléatoire il n'y aura pas de justification symbolique à cela je la garderai bien à l'abri des regards dans un hangar sombre et sec je dévoilerai finalement ma création et ce sera ce jour-là ce sera le lendemain d'une longue nuit de pleine lune longue, donc en hiver il n'y aura pas de justification symbolique à cela mais cela donnera un sentiment d'énigme je mettrai mon poulet sur un char et nous paraderons sur plusieurs kilomètres j'userai pour cela d'un mécanisme de traction encore indéterminé il est préférable de ne pas s'encombrer de petits détails lorsque l'on entreprend un projet d'une telle envergure j'aurai au préalable Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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au préalable oui car je serai bien organisé j'aurai convoqué la population à l'aide de petits prospectus en couleurs dont aucun ne comportera de représentation du poulet du fait qu'il sera en noir et blanc et aussi pour ne pas gâcher le suspense et il me faudra donc un budget pour imprimer ces prospectus grâce à un mécanisme encore non-testé mais qui sera doté de poulies et d'un jeu de miroirs noirs je hisserai mon poulet au sommet d'un piédestal stratégiquement placé au centre de la Grand-Place j'embaucherai charlie clarck au prix qu'il voudra et lui ferai déclamer dans son beau costume à nœud papillon un discours aussi élaboré que creux de sorte à stupéfier la foule incrédule réunie aux pieds de mon poulet et à la fin, la foule applaudira après quoi je me retirerai à jamais à jamais des affaires des hommes mais mon poulet mon poulet oui restera là trônant insensible aux humeurs et aux intempéries des citoyens se porteront volontaires pour monter la garde à tour de rôle et tirer à vue les innombrables pigeons qui voudront chier dessus des badauds viendront du monde entier pour contempler le colosse et les passants les passants ordinaires les habitants de notre bonne et belle bourgade s'y arrêteront chaque jour songeurs

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Il y aura quelque chose d'étonnant, dans les pages qui suivent, c'est que plusieurs personnes auront "chroniqué" la même vidéo en texte ou en dessin/photo. Il s'agit d'une émission de Bernard Pivot de 1977, avec André Glucksman, Bernard-Henri Levy et Maurice Clavel, qui se voient confrontés à des détracteurs crypto-philosophes. Voici où regarder cette émission : "les nouveaux philosophes sont-ils de droite ou de gauche ? " https://www.youtube.com/watch?v=uC4ZhlGLbek Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Les Bernard ( Souvenir de l'émission «apostrophes», 3 ou 4 jours, peut-être, après son visionnage, de Paul Fréval)

Alors si je me souviens bien c'est Bernard Pivot, c'est apostrophes, une émission de télé qui reçoit des invités six ou sept souvent, si tu en as jamais entendu parler mais ça m'étonnerait, avec des guillemets apostrophes, c'est un vieux générique, Bernard Pivot reçoit le plus souvent des intellectuels, des écrivains, des artistes, mille-neuf cent soixante dix-sept (et non pas 1979), j'ai trouvé que le timbre de voix de Glucksmann était pas mal (ça sonnait moins faux que BHL). Clavel Maurice de son prénom si tu ne l'as jamais vu il fait un peu peur au départ, avec double effet gros cerveau (intellectuel de métier, le pro, peut-être un des derniers dans le genre j'ai l'impression) double effet je disais: un dentier impressionnant, du toc, et les lunettes pareilles : deux culs de bouteilles, le débat serait pas aussi grave «les nouveaux philosophes sont ils de droite ou gauche?» c'est le titre youtube, le titre serait pas aussi grave on croirait à une plaisanterie. Ça commence un peu comme un film, un truc qui n'est pas loin de la fiction, et quand on regarde ça tout du long, ça tient, ce serait un peu comme Une sale histoire de Eustache ou bien Ma nuit chez Maud de Rohmer, mais ça reste «apostrophes») Ça commence je sais plus trop comment, un tour de table je crois, alors Bernard (pas Pivot) a un visage d'enfant, quand on le regarde bien, il est plutôt beau, il pose Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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formidablement, un peu femme, un peu Rimbaud, c'est très simple c'est le même que maintenant, exactement, sauf qu'il a vieilli forcément, il est maintenant plus bronzé et un peu plus costaud, mais là il est vraiment frêle, il fume pas mal, il est vraiment tout jeune, à côté il y a Glucksman donc, qui est bien coiffé, mais autant le dire tout de suite, c'est dur de retenir ce qu'il dit, mao mao mao, en fait c'est moi moi moi : ce n'est pas une blague il parle des philosophes célébrés, des «philosophes connus» (et visiblement pour lui il s'agit des costauds), et d'ailleurs Pivot (qui porte bien son nom car il pivote sur son fauteuil, à sa gauche il a le trio Clavel (présenté comme le maître d'apprentissage, la figure paternelle des deux nouveaux philosophes Bernard-Henry Levy et donc Glucksmann (avec une coiffure intéressante, genre FO), à sa droite pivotée il y a deux types inconnus de mes services qui sont anti-nouvelle philo (lol). Contre la nouvelle philosophie, ils sont habillés pas terrible, en gros il y un blond qui a du bagou et un mec un peu plus coincé, plus petit, avec un beau col des années 70, ça sent le chercheur universitaire de base, et les attaques pleuvent. C'est le blond qui attaque BHL, et un moment BHL on le sent n'est pas du tout content (on sent un orgueil blessé, ça a tendance à m'attendrir mais je sais que ce ne sera pas le cas pour tout le monde). Puis ça se fritte gentiment, c'est pas mal. C'est assez classique, il y a le duo qui reproche aux autres de faire dans le pop, le mondain, le perso, alors que la vraie philosophie c'est bien connu ça se fait dans les revues. Ensuite il y a quand même des échanges intéressants à propos de l'Histoire, de l'oubli de l'histoire. Il y aussi un moment vraiment génial c'est quand le blond avec ses faux airs de Depardieu qui donc attaque BHL et plus généralement les nouveaux philosophes en sortant l'artillerie lourde, précise au milieu du lancement des hostilités que Glucksmann n'est pas visé. Ce dernier est outré, et bien oui c'est BHL le centre de l'attention, et il le dit un Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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moment, en d'autres termes, moi je vais me barrer si c'est ça puisque je ne suis pas visé. C'est tordant, plutôt que de rester pépère à suivre l'émission (surtout qu'il y a le droit de fumer sur le plateau à l'époque, il aurait pu en profiter pour boire un coup par exemple ou simplement se taire et écouter mais ça visiblement c'est compliqué) et non il s’agace, il veut en être aussi. Le copain de Depardieu intervient aussi avec son charisme qui casse pas trois pattes à un canard (c'est peut-être le plus brillant de tous après Clavel je n'en sais absolument rien autant ne pas faire le faux connaisseur). Bref, c'est donc Barma le réalisateur qui est au générique, et c'est marrant mais le père de sa fille qui réalise si je ne me trompe pas les émissions de ces temps plus récents et déjà si vieillis avec Ardisson (il y a dix ans maintenant) et Ruquier. Clavel au départ répond aux questions de Pivot et c'est sans doute un moment important (ça part un peu en couille après), Clavel parle de Socrate, je ne sais plus vraiment ce qu'il dit au sujet, comme souvent, de son rapport à la société, il a l'air très inspiré mais il ne fait qu’emmètre une lecture de la mort de Socrate, et ça retombe vite finalement, ça s'oublie, il a fait un film qu'on trouve sur youtube aussi, qui est assez beau, même si des vieilleries font qu'il passe le temps avec une certaine douleur, il y a cette image d'un homme allongé au milieu des passants et personne ne bouge et la voix de Clavel : personne ne s'aime, ou les gens ne s'aiment pas, et c'est une critique de la société industrielle qui a son intérêt. Il n'y en effet pas beaucoup de raisons pour laisser un homme au sol dans la rue, même si c'est un inconnu. L’émission se termine. Quand Pivot s'ennuie il sait abréger une conversation. Paul Fréval

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Stéphanie-Lucie Mathern

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Martin Granger

Les mains Bernard-Henri Lévy a des mains délicates aux ongles un peu trop longs et qui ne tremblent pas. Bernard Pivot porte les siennes à ses lèvres mais se ravise aussitôt. Celles de Maurice Clavel soupèsent des couilles imaginaires qui jurent avec ses imparfaits du subjonctif. Plus rarement elles tournent ou énumèrent. Parfois l'index se tend vertical. Puis les doigts se referment sur un briquet, le poignet pivote permettant de lire l'heure, la dextre va fouiller dans la poche de la veste et en ressort vide, se crispe sur l'accoudoir, se déplace et saisit un verre – pas de l'eau : du pastis. On la revoit plus tard portant sa cigarette, sa sœur pend au repos. André Glucksmann a les mains jointes, mais elles se séparent vite. C'est la gauche qui s'exprime d'abord. Mais le cadreur nous les cache, tout à son obsession pour les moirures capillaires. L'index gauche vient essuyer les lèvres dans un mouvement rapide. On déduit aux mouvements de l'épaule que les mains sont animées. Les énumérations sont appuyées par des mouvements circulaires, comme chez Clavel. Bernard-Henri Lévy tient une cigarette dans la main droite. Il se débarrasse de sa cendre hors-champ. L'ongle du pouce vient effleurer la lèvre inférieure, plus tard la base du lobe du nez. Mais la main reste calme, tenant toujours sa cigarette et évoluant gracieusement en mouvements de va-et-vient à tendance circulaire. Le plus souvent, le pouce et le majeur joints dessinent un cercle presque parfait. Un instant cependant ils formeront un demi-cercle. Un plan large nous montre la main gauche, crispée sur l'accoudoir : c'est elle sans doute qui doit encaisser la tension, c'est sur elle que repose le calme olympien du jeune

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Apollon. Vint-quatre minutes et cinquante et une secondes : la main tendue de Bernard Pivot n'est pas un signe d'ouverture, mais une injonction faite à François Aubral et Xavier Delcourt de différer leur réaction aux propos de Bernard-Henri Lévy. Les deux mains d'André Glucksmann, à hauteur de col, doigts légèrement écartés, font quelques mouvements latéraux parallèles. Un peu plus tard, la main droite, les doigts repliés à l'intérieur du poing, prépare une crème fouettée fictive. Les deux mains miment ensuite successivement une séparation, on pense à la Mer Rouge s'ouvrant devant Moïse, puis un obstacle : peut-être la chute d'un rideau de fer ? L'index replié vient soutenir la base du nez. Les mouvements se font plus amples, presque lyriques, avant de revenir à un geste staccato et répété trois ou quatre fois : pouce et index joints, de haut en bas. Ce mouvement tend peu à peu vers l'horizontalité, et on pourrait croire au geste auguste du semeur, seulement il n'y a pas de graines. Mais ces mains n'ont aucun intérêt. Le véritable sujet ce sont les dents. Celles de Maurice Clavel s'alignent dans une parfaite régularité – et de ce fait on peut soupçonner qu'elles sont fausses – mais on ne les aperçoit que dans une moue disgracieuse de la lèvre supérieure qui tient du tic. Celles de Bernard Henri-Lévy, attaqué par Aubral, se découvrent, carnassières, dans le soulèvement de la moitié gauche du visage, à l'initiative d'un sourcil vigilant. Celles de Delcourt, les deux incisives supérieures du moins, sont très longues et toujours visibles. Mais voilà que je m'égare. En réalité je voulais vous parler des cheveux. Avez-vous remarqué la tignasse blonde d'Aubral ? Les mèches sculpturales de BHL ? Le cheveu terne et presque vaincu de Delcourt ? La cascade de jais chatoyante de Glucksmann, qui dissimule à peine des rouflaquettes grisonnantes ? Avez-vous seulement remarqué comme toutes ces toisons ressemblent à des perruques ?

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Pascal Servera Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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FILIPO TETEDEVO

SOCRATE FAIT SA PROMO Le 27 mai 1977 est retransmise l’émission "Apostrophes". Pivot a invité Socrate pour son autobographie : «Le fils du tailleur de pierre». Figurent également parmi les invités deux représentants de la nouvelle philosophie : Bernard Henri Levy dont c’est la première apparition télévisée et Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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qui fume cigarette sur cigarette ainsi qu’ André Glucksmann. Tous deux arborent le même collier avec comme pendentif une noix prise entre les mâchoires d’un casse-noix. À la deuxième minute, pendant que Pivot présente les invités, Glucksmann le reprend après qu’il ait écorché de façon sacrilège le nom de son éditeur. Au bout de quatorze minutes consacrées à l’ouvrage de Socrate, Pivot coupe la parole à ce dernier en lui posant la main sur l’avant-bras (« Si vous continuez, on ne pourra plus lire votre livre, vous aurez tout dit »). À la trente-sixième minute alors qu’un différend oppose Socrate et BHL sur le problème des rapports entre l'être et le discours, Socrate met au défi BHL en lui tendant une coupe pleine d’un liquide mystérieux. «J’ai autrefois choisi la mort pour affirmer la primauté de la vertu sur la vie car la vie du corps est subordonnée à la pensée. Toi qui a choisi la mort lente par le tabac sauras tu sacrifier ta vie sur l’autel de la vertu en absorbant ici même la cigüe qui mit fin à mes jours ?» Pour toute réponse, BHL dépose la cendre de sa cigarette dans la coupe de Socrate. C’est alors qu’une boule lumineuse sort de la coupe d’où surgit une noix d’or qui s’élève au dessus des invités. La noix s’ouvre en deux et dans la moitié restée horizontale repose un cerveau tout rose. C’est la noix de l’ Être unique imaginé par Socrate, celui qui existe indépendamment du discours et est supérieur à lui. C’est cette noix qui moule la belle et libre pensée du cerveaux tout rose des philosophes. Glucksmann et BHL bondissent alors de leurs fauteuils et à l’aide de frondes projettent des cendriers sur la noix qui explose en 27 morceaux. Au même moment, les plombs sautent et l’obscurité se fait sur le plateau. On ne distingue plus que le bout incandescent de la cigarette de Bernard Henri Levy. Puis on entend une voix, peut être celle de André Glucksmann, qui dit : « Dégage vieux pédé, tu nous as assez fais chier, c’est nous les tauliers maintenant !» Depuis, Socrate a quelque peu disparu de la circulation et BHL ainsi que Glucksmann sont restés les deux casses c.... les deux casse-noix que nous connaissions déjà en 77... /. Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Les nouveaux philosophes. • « Nouveaux » renvoie à notre civilisation de mort. Seule de toute l’histoire de l’humanité à nier la tradition, à s’appuyer sur la mode. Quand le sujet en est la philosophie, c’en devient même drôle … tant cela est absurde. • Autre élément comique : qualifier un philosophe de gauche ou de droite. Rien ne devrait lui être plus étranger. • Yas tu karmaphalatyagi sa tyagity abhidhiyate (18,11 Bhagavad Gita) (« C’est celui qui renonce aux fruits des actes qui vraiment pratique le renoncement ») … dans ce cadre, le décolleté et la tabagie du jeune Bhl illustreront à jamais ce qu’il est … un gag. • Seule référence au passé, la Grèce évidemment … l’Europe nombril du monde … aussi dérisoire que ne l’est ce lointain souvenir de notre vie in utero. • A l’arrière, sous-jacente,… jamais dite, mais sans cesse présente, puissante … irriguant leurs délires verbaux … les pouvoirs d’argent, la ploutocratie tremblant devant l’Ours Rouge. • Bhl parlant de l’Age d’Or, le ramenant à cette niaiserie du monde marchand qu’est l’idée de bonheur. • Seule parole que je retiendrais de l’agitation de Gluksmann … l’intellectuel se doit de ne pas mentir. Philippe Dutry

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Stephan Ferry DE CHARYBDE EN SCYLLA Pour traiter de la nouvelle philosophie, sujet sérieux s’il en est, il convient de prendre du recul et les choses dans le bon ordre, quitte, pour ce faire, à remonter un peu le temps… Au commencement de toute chose était le Verbe, comme chacun sait. Ce qui, soit dit en passant, est une drôle d’idée pour un début. Une pensée eût suffi. En effet, à quoi peut bien servir le Verbe — autant dire le récit —, quand il n’y a rien encore à raconter et, qui pis est, personne pour écouter ce récit qui n’a rien à dire ? Tout cela revient un peu à la question du sage oriental à ses disciples : Un arbre tombant dans une forêt déserte fait-il du bruit ? Mais si personne ne l’entend tomber, cet arbre, il faut bien aussi que personne ne le voie se coucher au sol. C’est l’évidence même ! Celui qui n’est pas là pour l’entendre choir n’est pas davantage présent quand il s’agit de constater de ses propres yeux qu’il a bel et bien chu. À se demander s’il est vraiment tombé ce diable d’arbre… Nous cacherait-on la vérité ? Oui, mais, dans quel but… Tout cela est inquiétant, à la fin ! Pas de quoi s’affoler pour autant. Il n’y a pas mort d’homme, comme disait ma grand-mère. Or, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, nous apprend le philosophe. Aucun doute possible…

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Et c’est un peu là que le bât blesse, finalement, car la sagesse populaire nous enseigne, pour sa part, que le ridicule ne tue pas. Ce qui se vérifie tous les jours. De là à en conclure que le ridicule nous rend plus fort… Il n’y a qu’un pas. Nous y reviendrons… À l’inverse, ce qui nous tue ne nous rend pas moins fort. Cela nous tue, un point c’est tout. Un mort est un mort, il n’y a pas à ergoter. N’importe quel fossoyeur pourrait en attester. D’ailleurs il a fini par trépasser, le philosophe qui disait que ce qui ne nous tuait pas nous rendait plus fort. Et aux dernières nouvelles, il ne s’en est toujours pas remis. Mais là n’est pas le sujet. La mort. Notre lot à tous, paraît-il. Même les plus illustres d’entre nous… Car tous les hommes sont mortels, à ce que l’on dit, dans les hautes sphères raisonnantes. Or, Socrate — illustre parmi les plus illustres — est un homme. Tous ceux qui l’ont côtoyé en ont attesté. Donc il est mortel. Sans quoi il ne serait pas un homme, CQFD. Et puis, de toute façon, il est mort, lui aussi, et depuis belle lurette. Donc la preuve est faite qu’il était bien mortel ; même plus besoin de savoir s’il était vraiment un homme. C’est peut-être même un tout petit peu plus compliqué, d’ailleurs… L’on dit également, en effet, homo homini lupus est. De quoi il ressort, en toute logique, que Socrate est non seulement un homme, mais aussi un loup. Est-ce à dire que tous les loups sont mortels, eux aussi ? Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Forcément, puisque Socrate est mortel. Et puis, l’ennui est bien mortel, quelquefois. Alors pourquoi pas les loups… À propos d’ennui… Il y en a qui en connaissent un sacré rayon, ce sont les nouveaux philosophes ! Ce qui nous amène à notre sujet de départ. Enfin, « nouveaux »… Il faut le dire vite, parce que depuis le temps que l’on en parle, ils ne sont plus vraiment de l’année, ces perdreaux-là… Oui, donc… Les « nouveaux » philosophes. Comment dire… Ou plutôt, qu’en dire ? Pas grand-chose. Si ce n’est qu’ils sont à la sagesse ce que le folklore est à la culture. Une escroquerie intellectuelle, une déplorable séquelle, fondée sur un malentendu. Penser, voilà une saine et noble occupation. Certes ! Penser le monde, penser la société, penser la complexité sans bornes des relations humaines, penser la bonté, penser la beauté… Tâcher d’apporter quelque lueur dans le dédale de nos doutes. Rien de plus louable. Penser pour penser, en revanche, cela sent déjà la dérive, le faux pas, l’erreur de navigation… Cela trahit son oisif à trente lieues. Le raisonnement qui s’égare en chemin. Qui à force de tourner autour de soi ne trouve plus le temps de se soucier d’autrui. Comme ces poètes désoeuvrés qui se croient doués quand ils ne font qu’aligner des phrases agréables à l’oreille, mais désespérément vides de sens. Songe-creux ! Qu’ils se taisent quand ils n’ont rien à dire ? Vous n’y pensez pas ! Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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auteur inconnu

Mais cela n’est encore pas bien méchant, comparé à ces philosophes dits « nouveaux », qui, pour la plupart, pensent qu’en donnant à penser qu’ils pensent, ils pensent vraiment. À grands coups de sentences percutantes, ainsi conçues qu’elles puissent vouloir dire une chose et son exact contraire, selon les besoins du moment, et qu’ils compliquent à l’envi, histoire de brouiller les pistes, ils camouflent leur imposture à longueur de pages. Moyen le plus sûr d’avoir l’air intelligent sans se donner la peine de réfléchir vraiment. Misère de l’âme. Méprisable narcissisme. Philosophie au rabais. Nombre d’entre eux sont prêts à toutes les outrances pour se couvrir de gloire. Et tant pis si parfois ils se couvrent de ridicule puisque, faut-il le rappeler, cela ne les tue point… Ils sont semblables à ce coq déplumé qu’exhibait jadis Diogène, et qui n’avait d’homme que l’apparence. Ils n’ont souvent de philosophes que le nom.

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sie A n e e l a i spéc e é voy n e otre n e D Mingalarbar, J’ai trouvé une machine à écrire dans la rue des écrivains publics. Yangon respire le culte ; la ville sait dormir. Les enfants ne font pas de caprices. Nous ne sommes pas malades.

La trousse à pharmacie

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Shwedagon est une pagode (un genre de cône géant renversé et sacré ), la plus grande du pays, 100 mètres de haut. Au début ça ne fait rien, et puis on tourne autour, comme des centaines d’autres humains, une fois, deux fois, dix fois. On s’assoit. En attendant que le jour tombe je pleure un peu. Quelque chose est tombé, autre chose que le jour, ça avait l’air lourd. Il est minuit, c’est la pleine lune et c’est la fête des mères. Le calendrier lunaire règle la vie des habitants ; mois se dit « la », qui veut dire lune./ Le ministre fait la sieste. Je rêve beaucoup et très vite ( en accéléré ) comme si mon esprit profitait de la nuit pour jeter l’occident par kilos dans de gros sacs poubelles. A ce propos, je dois t’avouer que je n’ai pas bien saisi le sens de ta dernière lettre, surtout le passage où tu me donnes des nouvelles du « monde ». Vas-tu bien ? Ici, c'est maintenant. Je t'envoie des papillons, je t'embrasse. M.A P.s : je viens d'apprendre par télégramme que Valls est mort. ☠ —————————————————————————————————————————————————— Mingalarbar, Je n’ai pas envoyé ma dernière lettre, alors je joins les deux à ce courrier.

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Flocon et moi sommes toujours au Myanmar. Nous quittons le pays dans une semaine. Le plus étrange sera de devoir se réhabituer au mensonge. Ici il n’existe pas. Je ne parle pas de politique, je n’ai pas eu affaire à elle, mais dans les coeurs, il n’y est pas. Le mensonge rend laid ; la première occasion qu’il saisit pour s’inviter chez quelqu’un c’est l’intérêt personnel. « Vous voulez un taxi ? », « Non merci, on préfère marcher », le mensonge dirait « Oh la la, c’est très loin, au moins 1O km ! », au Myanmar on dit « Alors c’est simple, continuez tout droit sur 500 mètres puis tournez à gauche et vous y êtes ! ». Voilà comment il arrive le mensonge et une fois qu’il est là, il s’installe, il grignote tout. Pourquoi il n’existe pas ici, ça je ne sais pas, il faut demander à Bouddha. Je ne dis pas qu’il a bon partout mais ça c’est réussi, c’est joli des coeurs sans mensonge./ Il me dit, « comment vas-tu mon petit orage ? », j’en déduis que nous appartenons tous deux à la famille des phénomènes météorologiques./ La lune ici est très haut dans le ciel, au zénith dès 17h30, avant la nuit. On ne la voit pas se lever, on ne la voit pas se coucher non plus, elle traine souvent la journée. On dirait qu’elle aime beaucoup ce pays, comme si elle savait qu’ici

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c’est elle la reine des jours et du calendrier. Et chose étrange, elle est dans ce sens là : ÇA Y EST, C’EST L’HEURE, PLEIN DE GROTTES POUR LES DERNIERES HEURES, M’ENFOUIR SOUS TA TERRE,

TOURNOYER DEDANS. JE PARS MYANMAR, JE PARS. JAY ZU TIN BAR DEH. Que ta lune soit douce, ami, je t’écrirai depuis un autre pays. J’aime t’écrire. ÇA ME REND HEUREUSE LES LETTRES. Marine

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Dessins Julie Tellier

Angélique Rouer

Le réveil de sa sensualité Comme la plupart des femmes, Anaïs est une femme complexée par son corps. Sans l’avoir jamais exprimé directement à son entourage, Anaïs a toujours trouvé ses cuisses trop grosses, ses hanches trop larges. Adolescente, elle a bien essayé de maigrir. Cependant, les résultats restèrent éphémères. Et les frustrations trop grandes. À une période, elle s’est même inscrite dans une salle de fitness. Elle espérait se muscler et affiner sa silhouette. Mais là encore, les résultats furent dérisoires. Seules ses finances maigrissaient. Elle se résigna donc et finit par cohabiter avec ce corps non accepté. Et un jour, par un concours de circonstances, Anaïs fut transportée dans une expérience bien particulière…une expérience qui lui permit enfin de s’accepter… Au-delà, cette expérience lui permit surtout d’apprendre à connaitre son corps et de révéler la femme qui sommeillait en elle. Jonglant entre les emplois à durée déterminée, Anaïs était toujours en recherche d’un nouveau travail. Une vieille amie de soixante-dix ans lui confia, un jour, qu’elle avait un ami sculpteur à l’école des Beaux Arts de Paris. Anaïs pourrait devenir son modèle. La prestation était bien payée et de plus l’idée de mettre son corps au service de l’art plaisait beaucoup à Anaïs. Elle se rendit dès la semaine suivante aux Beaux Arts afin de remplir son dossier d’inscription. La secrétaire lui demanda un book d’elle avec différentes poses. Anaïs n’en avait pas. Elle confia la mission de sa séance photo à une autre amie de soixante ans. Elles furent très enjouées par cette nouvelle expérience à partager : Anaïs par la création de ses premiers nus artistiques et son amie Françoise par son œil de photographe.

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L’ambiance respirait d’une douce coquinerie entre copines. Un petit instant de gêne s’empara quand même d’Anaïs au moment de laisser choir sa petite culotte par terre. La situation était inhabituelle. Puis passée cette barrière du tissu, Anaïs se retrouva nue sur le divan, livrée à elle-même devant l’œil muet du photographe. Seule avec son corps nu, sans artifices ni vêtements pour se dissimuler, qui était-elle vraiment ? Que pouvait-elle donner à l’objectif ? Elle commença quelques mouvements. Elle découvrit peu à peu différentes possibilités de positions que son corps offrait. Ses jambes, ses bras, son torse, sa chevelure remplaçaient les mots pour exprimer sa sensibilité, sa fragilité, sa tendresse, ses défis… La femme qu’elle était réellement. Ce jour-là, Anaïs rencontra pour la première fois son corps et les possibilités qu’il pouvait offrir. Ses prestations aux Beaux Arts ne firent qu’affiner sa première expérience. Elle réalisait des séances de deux heures ou de quatre heures. Lorsqu’elle enlevait son peignoir devant ces inconnus…la première heure était la plus difficile. Cette première heure représentait la prise de contact. Il fallait faire connaissance au-delà des mots. Puis le langage du corps prenait sa place. Le silence régnait dans la salle. Mais la communication était dense. Son corps parlait à tous ces yeux… Ces yeux attentifs, admiratifs et consciencieux… Elle leur transmettait au travers de ses postures son histoire… Sa féminité…sa sensualité la plus pure… Les mains voyageaient sur les feuilles blanches…se perdaient dans l’argile….voulaient retransmettre ce vécu commun ! Lorsqu’elle ressortait de ces séances, des hommes, des femmes venaient l’accoster timidement…la remerciant…lui confiant qu’elle posait très bien…leurs retours étaient forts en émotions. Anaïs était surprise, un peu désarmée face à leur gratitude. Mais elle comprenait en même temps, la force que pouvait transmettre son corps. Elle rentrait chez elle, avec légèreté. Elle avait l’impression de voler. Elle sourit face au souvenir des régimes tyranniques. La solution se trouvait ailleurs…dans l’abandon de soi…oser s’abandonner à soi et aux autres afin de révéler sa sensualité la plus profonde…

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Séraphîta, Balzac Fanzine Hildegarde - Numéro 9 - 26 Février 2017

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Didier Hamey, Momotxoro

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