Méfiance et confiance

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Une Drag Queen lectrice pour enfants : méfiance ou confiance ?

Il me revient que quelques voix s’élèvent contre une ac>vité proposée par les centres culturels du Nord-ouest et que ces voix, par un effet buvard jeFent une tempête d’inquiétude dans un verre de culture. Je prends l’interpella>on par plusieurs points d’entrée : la réalité objec>ve de la proposi>on, la ques>on morale possible, la responsabilité professionnelle, la ques>on psychologique ou pédagogique. J’invite enfin à une réflexion culturelle par la mise en garde à ceFe occasion devant des risques de moralisa>on sociale, d’ingérence poli>que et de repli sociétal délétère.

Rassurons-nous donc d’abord en voyant de quoi il s’agit.

La proposi>on est de faire une lecture d’albums pour la jeunesse à des enfants. Seulement, ceFe lecture sera proposée par une drag queen (défini>on : personne qui construit une iden>té féminine exagérée de façon temporaire, généralement dans un but d’anima>on ou dans le cadre d’un spectacle). Bref, rien de plus déplacé ou immoral qu’un défilé de carnaval, un spectacle ou un film tel Mrs DoubVire, auxquels la plupart des familles ont déjà assisté. Tout cela n’est ni pervers, ni illégal, ni violent, tout au plus interpellant… pour les adultes. Rien d’illégal non plus : les normes, lois et règles ne sont pas mises en cause, au contraire, au vu des appels à la demande d’ouverture à la tolérance portés par les milieux associa>fs, culturels et poli>ques contemporains progressistes.

La ques>on « morale » peut quant à elle être évacuée aisément dès lors qu’il s’agit d’une ac>vité proposée sans surprise et dans un cadre clairement défini et rassurant: on imagine bien que comme pour tout film ou spectacle pour enfants, ceux-ci sont accompagnés par leurs aînés qui leur permeFront de répondre à leurs interroga>ons éventuelles, sinon, un·e animateur·trice sera évidemment présent·e pour jouer ce rôle de média>on (CeFe « protec>on » existe-elle d’ailleurs toujours lorsqu’ils regardent les écrans qui environnent de plus en plus leur vie ?).

La ques>on de la responsabilité professionnelle d’un acteur culturel majeur peut être supposée posi>ve : on imagine mal une équipe professionnelle, chargée d’une mission culturelle jouer à révolu>onner, apeurer ou provoquer outrancièrement un public qu’elle connaît. On ne peut imaginer non plus que l’ar>ste proposant une telle ac>vité pour des enfants , dans le cadre d’ac>vités programmées sur base d’une présenta>on préalable, ait des propos, a`tudes nuisibles pour le public qu’elle vise.

La ques>on psychologique me semble également peu probléma>que vu les condi>ons d’encadrement et la capacité de recul naturel qu’ont les enfants devant les extravagances ludiques telles que celle-ci. Ce serait d’ailleurs faire outrage à leurs familles que d’imaginer que celles-ci seraient dépassées par leur enfant ayant vu une personne en déguisement exubérant, comme ils peuvent en croiser en rue ou dans le tram. Ne sommes-nous pas enfin capables de discuter avec nos enfants ou pe>ts-enfants pendant ou après de telles rencontres ? Et ne s’agit-il pas ici – au contraire- d’une proposi>on de rencontre prévisible et pacifiée permeFant l’échange et la tolérance ?

J’engage à se méfier de nos tendances à moraliser trop rapidement les évolu>ons sociétales déjà bien diffusées par ailleurs : télévision et réseaux sociaux n’ont pas aFendu les codes moraux pour offrir ces représenta>ons lors de diffusions diverses. Méfions-nous aussi de nos paradoxes lorsque nous soutenons et encourageons l’esprit cri>que, l’esprit d’ouverture tant qu’il s’adresse aux « autres » et nous en faire le censeur dès que cela dérange nos convic>ons.

Méfions-nous peut-être encore de nos tendances à draper nos moralisa>ons ins>nc>ves des vertus de la démocra>e telles les élites athéniennes qui votèrent la mort pour Socrate pour cause de perversion de la jeunesse, décision regreFée ensuite par ceux-là même qui le condamnèrent .

Méfions-nous enfin de l’effet qu’aurait une interven>on à priori sur des ac>ons ou ac>vités mises en place par une équipe professionnelle agissant dans le cadre de ses missions, dont l’une est bien l’ouverture aux modes culturels divers et au ques>onnement. Ce serait l’ouverture à une ingérence malvenue dans les programmes culturels que d’aucuns, par volontés poli>que, idéologique ou paternaliste sou>endraient avec enthousiasme. Ce serait aller à l’exact opposé de ce que nous souhaitons développer : une ouverture cri>que sur les mondes afin d’apprendre des autres en les écoutant et de se posi>onner en faisant des choix éclairés.

Pour ma part, je remercie plutôt l’équipe pour ceFe proposi>on sans danger pour nos jeunes et qui probablement permet plutôt de ques>onner nos capacités d’adultes à bousculer nos cer>tudes, nos croyances et nos modes de confiance. Cela ouvre les possibilités de débaFre, ce qui est bien le but recherché.

Chris>an Boucq, grand-père et animateur culturel.

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