Entretien avec Valérie Glatigny, ministre de l’Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles

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ADULTES CONNECTÉS, ENFANTS PROTÉGÉS

COMPRENDRE, GUIDER & PROTÉGER, LE NUMÉRIQUE COMMENCE AVEC NOUS

INTERVIEW AVEC VALÉRIE GLATIGNY, MINISTRE DE L’ÉDUCATION

Introduction

À l’heure où les écrans sont omniprésents dans le quotidien des jeunes, tant dans leurs vies personnelles que scolaires, la question de l’usage des smartphones à l’école est devenue un sujet central de débat. Dès la rentrée scolaire 2025, la Ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Mme Valérie Glatigny, a mis en place un nouveau décret interdisant l’usage des smartphones à des fins récréatives durant le temps scolaire. Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large où l’on s’interroge sur les effets des technologies numériques sur le développement cognitif, social et émotionnel des jeunes générations.

En interdisant l’usage des téléphones portables pendant les heures de classe et la récréation, ce décret entend répondre à plusieurs problématiques sociétales exacerbé par l’usage excessif des écrans. À travers cette interview, nous chercherons à comprendre les motivations sous-jacentes à cette réforme, en interrogeant les liens entre technologies, éducation et bien-être des élèves. En outre, nous nous pencherons sur les implications de cette mesure pour les pratiques pédagogiques et la manière dont elle pourrait redéfinir les relations entre élèves, enseignants et parents.

Nous remercions Mme la Ministre d’avoir pris le temps de répondre à nos questions au cours de cette interview.

Interview

Quelle était votre principale motivation pour interdire l’usage récréatif des smartphones ? J’ai vu qu’en faisant ma lecture, vous parliez de cyberharcèlement, mais est-ce qu’il y avait aussi d’autres raisons ?

Oui, la principale motivation, c’était d’abord la concentration des élèves. J’ai rencontré de nombreux enseignants qui me disaient : « Dans telle école, les smartphones sont interdits, mais pas dans la mienne ». Et cela complique la gestion de l’attention en classe. L’absence d’une règle uniforme rendait les choses inégales et plus difficiles à faire respecter. C’est pourquoi ils nous ont demandé une mesure généralisée. Beaucoup d’écoles avaient déjà mis en place une interdiction, mais le fait de l’uniformiser à l’échelle de la Fédération permet une application plus claire et cohérente. Pour autant, ce n’est pas une interdiction totale, puisqu’on peut, bien sûr, utiliser un smartphone pour des raisons pédagogiques. Si vous devez apprendre à un élève à faire une recherche d’informations via le smartphone, c’est possible, pour autant que ça fasse partie d’un projet pédagogique. C’est juste le scrolling, donc le côté récréatif, qui est interdit pendant le temps scolaire pour assurer la concentration des élèves.

Pourquoi avoir interdit l’usage des smartphones aussi pendant le temps récréatif, qui est normalement plus un temps libre pour les élèves ?

Là, c’était pour le troisième objectif, qui est celui d’augmenter les interactions entre les jeunes. Ce qu’on a vu, par exemple, avec la crise sanitaire, avec le Covid, c’est que les jeunes avaient besoin de contacts comme de pain. Et donc, quand ils sont tous penchés sur leur smartphone, par exemple, pendant la cour de récré, ils n’ont pas vraiment d’interaction avec une personne qui est physiquement présente à côté d’eux, dont ils peuvent lire l’expression quand ils disent quelque chose. Et donc, c’est vraiment augmenter les interactions. On sait que moins de smartphones, c’est plus de copains dans la cour.

Est-ce que vous vous êtes appuyée sur des études scientifiques pour estimer l’impact négatif des smartphones sur la concentration des élèves ?

Oui, on a des études. Par exemple, l’étude de l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé ou l’UNESCO, qui recommandent d’interdire le smartphone, même pour des jeunes au-dessus de 15 ans. Nous avons voulu mettre en place une mesure généralisée et facile à comprendre. Elle s’applique à tous les élèves, jusqu’en rhéto, ce qui en simplifie la mise en œuvre. Un enseignant n’a pas besoin de se demander si un élève a 15 ou 16 ans pour savoir si la règle s’applique à lui. La consigne est claire, uniforme et donc plus simple à faire respecter au quotidien. Bien sûr, en dehors de l’école, l’élève peut continuer à utiliser son smartphone, parfois même de manière excessive. Mais il est

important de rappeler que pendant le temps scolaire, l’apprentissage repose sur un contact direct avec l’enseignant et les camarades de classe.

Qu’en est-il des enfants porteurs de handicap ? Comment la mesure est-elle adaptée dans les écoles ordinaires et spécialisées ?

Là, on recommande évidemment le dialogue avec la direction, avec l’enseignant, pour expliquer la difficulté. En général, le problème de santé est connu. Donc, je pense à un cas très concret d’une maman qui, lorsqu’on a fait les consultations via les fédérations des associations de parents, nous avait remonté ce problème pour son enfant. Donc, on devait contrôler la glycémie très régulièrement. Et ça se fait par une application sur le smartphone. Donc, bien sûr, ça reste autorisé. Ou par exemple, un enfant qui doit rester en contact permanent avec un adulte de référence en raison d’une fragilité psychologique. Ce sont des enfants qui sont connus de l’enseignant ou de la direction. Et donc, en général, ça se passe dans le dialogue.

Quelles modalités différentes ont été laissées aux établissements pour mettre en œuvre cette interdiction ?

Donc, en fait, on a prévu dans le décret de laisser beaucoup de marge de manœuvre aux établissements pour la façon de mettre en œuvre l’interdiction. On sait que c’est quand même pas tout à fait la même chose dans une école qualifiante ou dans une école générale, par exemple. Où est-ce qu’on va mettre le smartphone ? Donc, l’idée, c’est de laisser l’école décider de comment elle va

mettre en œuvre l’interdiction. Dans son règlement de règle intérieure, elle prévoit les modalités. Il y a des écoles qui estiment que simplement dire aux élèves, vous laissez le smartphone au fond du sac est suffisant. D’autres qui demandent qu’on puisse mettre ça dans des pochettes magnétisées. Donc, il y a différentes formules. Même chose pour les sanctions. Ce n’est pas la même chose de sanctionner un enfant de 12 ans qui s’est fait surprendre avec son smartphone que de sanctionner un enfant de 16-17 ans à qui on a déjà dit quatre fois de ne pas l’utiliser. On fait confiance aux enseignants qui sont des professionnels de l’éducation.

Comment vous assurez-vous que l’interdiction soit appliquée dans toutes les écoles ? Y a-t-il un suivi ou un contrôle prévu ?

On peut toujours imaginer une inspection. Mais pour l’instant, les retours qu’on a sont très positifs parce que beaucoup d’écoles avaient déjà mis en œuvre l’interdiction sans que ça pose de problème particulier. Je pense que dès lors qu’il existe une obligation d’inclure cette disposition dans le règlement intérieur, cela s’apparente aux autres règles de ce même règlement. En conséquence, il revient à l’école de s’assurer de son respect. Mais c’est intéressant ce que vous dites parce que ce qu’on a prévu aussi à la rentrée, c’est de travailler sur un genre de contrat entre l’école et les parents en rappelant bien les droits et les devoirs de chacun. Un contrat à mettre dans le règlement d’ordre intérieur, à faire signer par les parents. Donc, c’est vraiment un engagement aussi pour les parents qui seront parties prenantes et rappelleront à l’enfant : « Tu te souviens, à l’école, soit tu ne prends pas ton smartphone avec toi, soit tu le laisses dans ta mallette. »

Pourquoi avoir laissé aux établissements le soin de déterminer les sanctions plutôt que d’instaurer un barème uniforme ?

Parce que je pense que je ne suis peut-être pas la mieux placée et qu’il faut faire confiance à nos enseignants. Ils ont été formés pour éduquer, ils ont été formés pour évaluer, ils ont été formés aussi pour sanctionner quand il le faut et aussi ne pas sanctionner quand on sent qu’il y a quelque chose qui s’est passé et qui nécessite de la bienveillance. Ce sont vraiment des professionnels qui sont capables d’évaluer au cas par cas pour chaque élève, en fonction de l’âge de l’élève, en fonction des circonstances, ce qu’il est approprié de faire. Donc, je ne voulais pas de mesures généralisées parce que je pense que c’est comme ça qu’on crée des injustices et aussi que l’on donne l’impression qu’on va paternaliser ou maternaliser les enseignants. Ce sont vraiment des professionnels auxquels je pense qu’il faut faire confiance.

Comment comptez-vous encadrer l’usage pédagogique du smartphone, maintenant qu’il est interdit pour des usages récréatifs ?

C’est aussi une très bonne question. On a un cours d’éducation aux médias dans la formation et on a aussi un référentiel qui s’appelle et c’est un peu barbare, mais c’est Formation Manuelle, Technique, Technologique et Numérique. Et donc, là, c’est vraiment l’idée d’apprendre à un élève à utiliser les outils numériques, y compris le GSM. Donc, on ne veut pas diaboliser le GSM. On l’utilise tous, tout le temps. Simplement, il y a un bon usage du smartphone et un usage addictif du smartphone. Il y a un usage qui n’est pas épanouissant pour un enfant.

Existe-t-il des risques que l’usage pédagogique des smartphones se transforme en usage récréatif déguisé ?

Oui, mais là aussi, je fais confiance aux enseignants. On sait que souvent, on apprend en jouant et en s’amusant. Donc, j’ai assisté à un cours il y a une semaine, puisque c’était comme après la rentrée, où un enseignant permettait à ses élèves d’aller regarder une chanson en anglais sur YouTube pour vraiment perfectionner leur anglais et avoir la combinaison du son et du visage de la personne qui prononçait pour vraiment perfectionner l’apprentissage en anglais. Voilà, c’est un usage pédagogique du smartphone. Donc, ça, c’est évidemment tout à fait autorisé. En même temps, c’est ludique et on sait que souvent, on apprend en s’amusant. Ce qu’on essaie d’éviter, c’est le fait qu’un élève ne soit pas concentré sur ses apprentissages parce qu’il a vu une notification. On sait qu’une notification, ça peut aller jusqu’à 20 minutes d’inattention. Vous avez vu, vous avez envie de répondre et vous n’écoutez plus l’enseignant qui pourrait vous intéresser s’il arrivait à capter votre attention. On sait tous que pendant nos études, on a été assisté à des cours qu’on n’aimait pas. Et puis, tout d’un coup, on ne sait pas trop pourquoi, on a surpris quelque chose au vol que l’enseignant disait parce qu’on avait un peu plus d’attention à ce moment-là. Et puis, on a commencé à dire, ah tiens, finalement, ce cours de bio, c’est intéressant. Et puis, le deuxième cours, ah oui, et voilà comment on découvre un intérêt qui peut devenir une passion. Mais pour ça, il faut un temps de cerveau disponible. Et donc, il faut de l’attention. Alors, pas tout le temps parce qu’on sait que c’est fluctuant le niveau d’attention. Mais il faut qu’à un moment donné, on puisse avoir des jeunes qui sont en capacité de recevoir des apprentissages.

Avez-vous eu des réactions de la part des parents et des élèves concernant cette loi ? Y a-t-il eu des objections ou des préoccupations spécifiques ?

Ça a été assez consensuel, précisément parce que c’était déjà d’application dans beaucoup d’écoles. Donc, ce n’était pas vraiment une révolution. On a eu beaucoup de questions pratiques, par exemple, est-ce que je peux toujours dire à mon petit garçon ou ma jeune fille qu’il peut avoir son smartphone avec il ou elle parce que je voudrais bien pouvoir le contacter juste à la sortie des cours parce que ce n’est pas moi qui vais venir le chercher, ce sera son papa. Bien sûr. On peut partir avec son smartphone le matin et puis on l’éteint quand on arrive dans l’école. On le rallume à la fin de la journée pour rentrer en contact avec les parents. On a eu beaucoup de questions très pratiques pour expliquer les exceptions.

Est-ce qu’il est prévu un suivi ou une évaluation de l’impact de cette mesure sur la concentration, le climat scolaire et le cyberharcèlement ?

C’est encore trop tôt parce que la mesure est en application depuis deux semaines [interview effectuée le 11 septembre]. Mais effectivement, c’est une bonne question. Vous m’y faites penser. C’est vrai qu’on devrait pouvoir vérifier si ce que nous disent les études, comme l’OMS ou l’UNESCO, ça se confirme bien sur le terrain, qu’on peut augmenter la concentration des élèves, diminuer le cyberharcèlement, augmenter aussi le climat scolaire avec les interactions entre les jeunes. Donc, ce sera quelque chose d’intéressant. J’imagine bien qu’il y a des études scientifiques qui vont être lancées aussi.

Pensez-vous étendre ce type de mesures à d’autres écoles ou à l’usage du smartphone hors temps scolaire à partir de 2026 ?

Je vais rester dans mes compétences à moi. Ce qui se passe en dehors de l’école, ça ne concerne plus la ministre de l’Éducation. Et je crois que pour les hautes écoles et les universités, on a affaire à quand même des adultes qui ont dû apprendre en amont l’utilisation des outils numériques pour qu’ils soient raisonnés. Je pense dans tous les cas que ce qui est important à passer comme message, c’est que l’utilisation du smartphone, il doit faire l’objet d’un usage négocié.

Parce qu’on lui aura appris en amont qu’il y a un usage régulé du smartphone, ça s’apprend. Et c’est ça qu’on veut passer comme message, c’est que restons maîtres de notre usage de cet outil numérique qui est fabuleux. Mais il faut en rester maîtres. Et donc ça passe par l’éducation, en rappelant que le temps de l’école, c’est un temps d’apprentissage. Le temps après quatre heures, c’est le temps des devoirs. Puis on a le temps du repas en famille. Et puis pourquoi pas imaginer, ou à un autre moment, ce sont les parents qui doivent établir ces règles-là, mais qu’on a un usage tout à fait libre du smartphone en fonction de l’âge de l’enfant. Et à ce moment-là, on aura appris en amont comment utiliser l’outil et comment vraiment en rester maîtres.

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