La cuisine de Léonard de Vinci de Sandro Masci

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PHOTOS DES RECETTES En couverture : Blanc-manger (page 124) En quatrième de couverture : Faisan mijoté (page 163)

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Sandro Masci

Un voyage à la découverte de la Renaissance gastronomique italienne, depuis les inventions scénographiques de Léonard pour les banquets des Sforza aux célèbres traités sur l’art de la cuisine et de la convivialité. Enfin, les recettes les plus originales de son temps, présentées avec des quantités et des ingrédients adaptés au goût du jour pour pouvoir convenir au palais des gourmands modernes.

19,50 € (t.t.c.)

écrivain, gourmet, chef, professeur de cuisine et expert d’analyses sensorielles. Il s’occupe depuis quarante ans de gastronomie et de critique gastronomique. Il collabore et a collaboré avec de nombreux magasines et en tant que consultant sur l’histoire de la gastronomie en Italie, comme pour la fiction RAI Grand Hotel. Il a débuté très jeune comme critique gastronomique à « L’Espresso ». Il a à son actif plusieurs livres parmi lesquels Les bonnees maniéres, Les bonnes manières à table, Tout cru (traduit également en anglais) et même un roman policier ésotérique/œnogatronomique, Il Libro Muto (Le Livre Muet). Il a enseigné pendant douze ans dans plusieurs écoles de cuisines en Italie, parmi lesquelles les écoles du Gambero Rosso à Rome et à Naples. Il est le cofondateur et le Resident Chef des Chefs Blancs, école professionnelle et amateur de cuisine et de pâtisserie à Rome.

La cuisine de Léonard de Vinci

SANDRO MASCI est un journaliste,

Sandro Masci

La cuisine de Léonard de Vinci Scénographies, inventions et recettes au temps de la Renaissance

À

travers une analyse historique et iconographique des traités majeurs de l’époque (le Libro de arte coquinaria de Martino da Como, le De honesta voluptate et valetudine de Bartolomeo Sacchi, et bien d’autres), ce volume illustre la gastronomie italienne en grand apparat de la Renaissance, qui vantait les cuisiniers les plus habiles, les plus créatifs et les plus célèbres d’Europe. L’Italie recelait également de manuels indiquant l’art de dresser la table et de découper les viandes, sans oublier le protocole comportemental des commensaux. Les banquets typiques de ce siècle, pantagruéliques, monumentaux et présentés dans la plus pure tradition chorégraphique, sont décrits dans cet ouvrage selon les préceptes de Léonard de Vinci. En effet, le grand artiste appelé par Ludovic le More à la cour des Sforza à Milan, prêta son génie, non seulement à la construction de nouvelles machines et aux célèbres œuvres picturales que nous connaissons, mais aussi à l’élaboration scénique et scénographique de spectacles et de banquets, dont l’apogée fut sans doute l’organisation de la Festa del Paradiso, à l’occasion des noces d’Isabelle d’Aragon et de Gian Galeazzo Sforza. Ce livre prend également en compte le mystérieux Codex Romanoff, copie présumée d’un texte de Léonard dont on a retrouvé la trace à l’Ermitage – le musée en nie toutefois l’existence – et qui témoignerait de l’intérêt de l’artiste pour l’art culinaire. Intérêt par ailleurs documenté par le Codex Atlantique, recueil d’écrits et de dessins de Léonard, établi à la fin du XVIe siècle par le sculpteur Pompeo Leoni, et dont l’authenticité ne fait aucun doute (on peut y voir l’ébauche du premier tournebroche mécanique). Enfin, cette étude est complétée par les recettes les plus originales de l’époque, dont les quantités et les ingrédients ont été actualisés, afin de pouvoir être réalisées aujourd’hui.

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La cuisine de Léonard de Vinci


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Sandro Masci avec la collaboration de

Liliana Bonomi

La cuisine de LĂŠonard de Vinci ScĂŠnographies, inventions et recettes au temps de la Renaissance


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Couverture : Francesco Partesano Projet graphique des pages intérieures : Gianluca Soddu Crédits photographiques : les œuvres représentées aux pages 30, 31, 36, 38-39, 41, 46, 49, 55, 57, 58, 60, 61, 64, 66, 67, 72, 76, 78 sont conservées à la Bibliothèque Casanatense de Rome (Photo setter). Les images des autres manuscrits proviennent de la Bibliothèque Nationale de Rome. Dans l’éventualité où, concernant certaines de ces images, le copyright ait été oublié, l’éditeur se déclare prêt à apporter de compléments d’informations lors de nouvelles rééditions de ce livre. Il est également disposé à reconnaître les droits afférents aux clauses de l’article 70 de la loi n° 663 de 1941 et ses modifications successives. Titre original : Leonardo da Vinci e la cucina rinascimentale Recueil d’études et de recherches sur la culture de la Renaissance, à l’usage des lycéens et des étudiants. Traduction de l’italien : Coralie Bidault, Béatrice Lestang, Gabrielle Lucantonio Copyright italien : 2019 © Gremese International s.r.l.s. – Roma Copyright édition française 2019 © GREMESE Éditions de Grenelle sas Impression : Stige Arti Grafiche – San Mauro (Turin)

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transmise, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable de l’éditeur. ISBN 978–2–36677–193–0


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Introduction

Entre Moyen-Aˆge et Renaissance

La

La Renaissance, terme utilisé pour la première fois par Michelet en 1855 et redéfini par Burkhardt en 1860, évoque la « renaissance » de la civilisation, à travers l’exaltation du monde gréco-romain, après la longue période de décadence et de barbaries des années noires du Moyen-Âge. D’illustres penseurs, tels que Flavio Biondo, Machiavel et Guichardin, en délaissant la vision médiévale liée à un concept de temps marqué par l’avènement du Christ et en développant une analyse des événements qui découle d’une conception laïque et d’une attitude critique vis-à-vis des sources, marquent l’une des ruptures les plus significatives avec la tradition. L’histoire devient une branche de la littérature et non plus de la théologie, et la division chrétienne conventionnelle (la Création, l’Incarnation de Jésus Christ et le Jugement Dernier) est réfutée. La relecture philosophique de Platon et d’Aristote conduit également à la valorisation des instruments cognitifs dont dispose l’Homme, appliqués à l’étude de la nature et de la réalité humaine. L’art de la Renaissance se traduit par l’étude et la redécouverte des modèles antiques, tant dans le


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domaine de l’architecture que dans celui de la sculpture. La première Renaissance prend son essor à Florence. Par la suite, durant le passage entre le Quattrocento (XVe siècle) et le Cinquecento (XVIe siècle), Rome devient le centre incontesté de l’art, grâce à Raphaël et Michel-Ange. Les études humanistes sont encouragées et soutenues par les familles Médicis de Florence, Este de Ferrare, Sforza de Milan, Gonzague de Mantoue et par les ducs de Montefeltro d’Urbino, les nobles vénitiens et la Rome papale. En outre, la Renaissance fait des progrès remarquables dans les domaines de la médecine et de l’anatomie, sciences pour lesquelles, apparaît entre le XVe et le XVIe siècles, la première traduction des œuvres d’Hippocrate et de Galien (voir Chapitre II), œuvres dont le contenu, bien qu’ayant peu d’applications scientifiques, incite à l’étude de l’expérimentation médicale et de l’anatomie humaine (Léonard de Vinci). L’homme de la Renaissance peut en effet s’identifier à Léonard de Vinci, exemple de génie aux dons multiformes et à la curiosité insatiable pour tout ce qui a trait à l’homme et à la possibilité d’améliorer sa condition, spirituelle, mais surtout terrestre. Par ailleurs, l’invention de Gutenberg, au XVe siècle, des caractères mobiles d’imprimerie, a permis de révolutionner la diffusion du savoir et la divulgation de l’information. Cette toute nouvelle


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technique augmente considérablement le nombre de livres en circulation, aide à éliminer les erreurs de transcription et fait de l’effort intellectuel, une activité de comparaison et d’échange, plutôt qu’une étude solitaire et isolée. Et c’est donc aidé par l’imprimerie en série, que nous avons pu parcourir cette importante période de notre lointain passé, à travers une analyse historique et iconographique des traités gastronomiques les plus importants de la période de la Renaissance italienne. C’est de cette re-naissance justement, que prend son essor et se développe au cours des quinzième et seizième siècles, la cuisine régionale italienne, aujourd’hui connue dans le monde entier. Nous analyserons dans ce volume le grand apparat gastronomique et les mises en scènes qui triomphent dans une Italie qui peut se prévaloir des cuisiniers les plus doués, reconnus et créatifs d’Europe, une Italie dans laquelle fleurissent livres de recettes et manuels de savoir-vivre, traitant de préparations et de l’art de découper les viandes. Nous commencerons par le Libro de arte coquinaria de Mastro Martino di Como (Maître Martino de Côme), datant de 1465, considéré comme le premier livre à caractère interrégional (c’est Maître Martino, qui le premier, définit un modèle gastronomique italien), suivi de De honesta voluptate et valetudine (De l’honnête volupté et santé) de Bartolomeo Sacchi,


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dit Platina, datant de 1480. Platina, transcrit le texte de Martino, en y ajoutant des recettes et des produits du terroir en usage dans les plus grandes et les plus riches villes italiennes, c’est-à-dire, Rome, Florence, Ferrare, Naples, Milan et Venise. Nous passerons ensuite en revue les textes gastronomiques du seizième siècle, qui ne sont pas à proprement parler des livres de cuisine, mais de véritables traités concernant les arts figuratifs du découpage des aliments et l’organisation générale de l’art du banquet. Nous évoquerons Il trinciante (L’écuyer tranchant) de Cervio, datant de 1581 et l’Opera de Scappi, datant de 1570, précédés d’un texte qui contient, à lui seul, tous les aspects de cet art : Banchetti, composizione di vivande et apparecchio generale (Banquets, compositions de mets et appareil général) de Messisbugo, datant de 1549. Le texte décrit les banquets chorégraphiques, monumentaux et pantagruéliques, typiques de la Renaissance, auxquels le génie de Léonard s’est adonné. Sur les banquets de l’époque – entendus comme événements solennels, voulus par les seigneurs pour affirmer leur autorité et dans le même temps, s’attirer la bienveillance et l’agrément de leurs hôtes prestigieux – le faste règne en maître. Léonard de Vinci lui-même, appelé à la cour de Ludovic le More de 1481 à 1499, met son art au service de la peinture et de la


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scénographie des banquets et spectacles de divertissement. Sa maestria dans ce domaine s’exprime tout particulièrement à l’occasion de la Fête du Paradis que le More lui demande d’organiser le 13 janvier 1490, pour célébrer le mariage d’Isabelle d’Aragon et de Jean Galéas Sforza. Léonard, dans le château des Sforza, à Milan, élabore tous les aménagements scéniques, organisant une représentation théâtrale allégorique et mythologique demeurée célèbre parmi ses contemporains. Il n’existe cependant aucune trace de cette fête, parmi les quelque 13.000 feuillets, composant les Codex et manuscrits de Léonard, ni de recettes ou conseils de cuisine en relation avec cet événement. En revanche, le mystérieux Codex Romanoff, soi-disant copie d’un manuscrit retrouvé par un certain Pasquale Pisapia en 1931 à l’Ermitage, où il serait parvenu sans que l’on sache comment, prouverait l’intérêt de Léonard pour l’art culinaire. Dans ce Codex, dont l’Ermitage a toujours nié l’existence, devrait se trouver le récit des aventures de Léonard, serveur et chef dans l’auberge des Trois Grenouilles à Florence durant les années 1473-1478, en gérance avec Sandro Botticelli. Le conditionnel est bien sûr de rigueur concernant le Codex Romanoff, car il n’existe aucune trace du document, mais il n’en demeure pas moins vrai que Léonard s’est occupé de


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cuisine et de recettes de façon analytique et systématique. Il en est pour preuve l’irréfutable Codex Atlantique – le plus important et incroyable recueil d’écrits et de dessins de Léonard, rassemblés, à la fin du seizième siècle par le sculpteur Pompeo Leoni –, qui comporte plusieurs dessins d’inventions liées de près ou de loin à la cuisine. En ce qui concerne notre ouvrage, l’annexe finale comprend un vaste recueil de recettes de l’époque, sans doute connues de Léonard lui-même, mais dont les ingrédients et les doses ont été actualisés afin de les faire figurer à nos menus. Les surprises ne vont donc pas manquer. Entre fastueux banquets et préparations culinaires étonnantes (pouviez-vous imaginer que certains mets étaient servis, recouverts d’une mince feuille d’or ?), l’ouvrage porte à notre connaissance certains aspects de notre histoire gastronomique ignorés de la majorité d’entre nous. Il s’agit donc là d’une histoire, à la fois ancienne et d’actualité (de nombreuses recettes de cette époque sont, aujourd’hui encore, préparées dans différentes régions d’Italie), qui mérite vraiment d’être connue. Bonne lecture, Sandro Masci


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Histoire de la gastronomie italienne des quinzie`me et seizie`me sie`cles, a` travers les manuscrits

Le quinzie`me sie`cle Maiˆtre Martino et Platina Les pre´curseurs de la cuisine

Le seizie`me sie`cle Le sie`cle des grands maiˆtres du banquet

20 34 52 Appendice

Les recettes

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Le´onard Le fantomatique Le´onard de Vinci a` la cour Codex Romanoff et ses codex de Ludovic le More La Feˆte du Paradis

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Histoire de la gastronomie italienne des quinzie`me et seizie`me sie`cles, a` travers les manuscrits


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our pouvoir comprendre l’évolution des traditions gastronomiques italiennes de la Renaissance, un pas en arrière d’environ deux siècles est nécessaire. Vers la fin du XIVe siècle, la prolifération des traités de cuisine constitua le commencement d’une codification de la gastronomie moderne et d’une succession de livres de cuisine, de règles sur le savoir-vivre à table et d’ouvrages sur l’art des banquets et du savoirrecevoir. Tous ces manuscrits s’inspirent du Libro de coquina, le plus ancien livre de cuisine italienne venu à notre connaissance, probablement composé à Naples à la fin du XIIIe siècle, remanié et copié plusieurs fois au cours des deux siècles.

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Les Theatra et les Tacuina, traités typiques du XIVe et XVe siècles, dérivent d’anciens herbiers qui décrivent non seulement les herbes médicinales, mais font également part de précautions d’hygiène et de considérations sur la nourriture.

Dans les premières années du XIVe siècle, à l’exemple de ce livre, apparaît Il Libro per cuoco, composé par un auteur toscan anonyme qui écrivit également le Tacuinum Sanitatis1 – un code miniaturé, de sciences naturelles réalisé par l’empereur Venceslas IV de Bohème – et le Theatrum Sanitatis : ce dernier documente, parmi les six thèmes dont il est composé et qui sont relatés « comme nécessaires au bon vivre de l’homme », une cuisine qui, même si elle se base sur des expériences et des préparations précédentes, valorise, en hommage à sa propre valeur « sanitaire », les plats les plus ordinaires et absents de la table des seigneurs comme les légumes, les potages, les beignets, les sauces simples et peu épicées. Le XIVe siècle, est l’époque où le banquet doit étonner les hôtes, et c’est pourquoi il unit et fait fusionner les préparations gastronomiques avec la représentation scénographique. En cuisine, les épices abondent (gingembre, clous de girofle, laurier, poivre, cannelle et sucre) et la présentation des plats est très soignée. Les chairs préférées sur les tables, sont celles des volatiles parce que l’on suppose qu’étant dans le ciel, ils sont plus proches de Dieu. Par analogie spirituelle, les moins utilisées sont celles des poissons. Les gigantesques plateaux débordants de viandes de très

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Page ci-contre : Le Tacuinum Sanitaris, que Bernabò Visconti fit enluminer pour sa fille Verde à l’occasion des noces de cette dernière avec Léopold de Habsbourg.

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L’or au Moyen-Âge était considéré comme un métal aux vertus prophylactiques et protectrices. Sa ductilité permettait de l’étaler en très fines feuilles comestibles. Il est, en outre, recommandé pour les maladies de cœur, car ce métal correspond, pour les astrologues, au soleil – planète d’or – qui gouverne le sang. Rappelons que récemment, dans les années quatre-vingt, de grands chefs proposèrent de réutiliser l’or dans des préparations salées ou sucrées. 3 Ces livres de cuisine, que seuls les gens aisés pouvaient se permettre de posséder et de conserver dans leur bibliothèques, plutôt que dans leur cuisine, nous montrent la rareté des épices et la grande quantité d’ingrédients utilisée dans les cours italiennes et européennes et fournit, en outre, pour la première fois, la liste des ingrédients, la façon dont ils doivent être mélangés, les temps de cuisson, les préparations, les ustensiles, l’intensité de la chaleur, l’utilisation des colorants et la disposition dans les assiettes. 4 À l’époque médiévale, les repas sont, en général, au nombre de deux. Ils sont pris en fin de matinée (vers 11h) et 7 heures plus tard (vers 18h). Cette pratique est issue de préceptes médicaux voulant que l’on ne mange qu’après complète digestion du repas précédent. Le petitdéjeuner n’est en usage qu’auprès des seigneurs, lorsque ceux-ci doivent se rendre sur leurs terres et se compose d’un morceau de pain et d’un verre de vin. Outre les banquets, qui prévoient une suite de services, regroupant une série de plats, le repas quotidien de la bourgeoisie se compose d’au moins 4 plats dont une soupe, deux viandes et un poisson et respecte les contraintes religieuses des jours maigres et des jours gras. La couleur est un élément essentiel dans l’élaboration des plats – à la Renaissance, surtout concernant les gelées – d’où leur nom est issu (par exemple le blanc-manger). Ainsi, le jaune est obtenu grâce au safran, le noir au foie cuit et/ou au pain grillé, le vert aux herbes hachées, le bleu aux fleurs d’ancolie non encore écloses et pilées, le marron au bois de santal et le rose à la plante d’orcanète.

beaux volatiles recomposés avec leurs plumes tels qu’ils nous apparaissent lorsqu’ils sont vivants ou recouverts de feuilles d’or (métal qui, en plus du luxe dont il est porteur, témoigne de sa valeur thérapeutique)2, accompagnés de sauces aigres-douces et à base d’agresto (une sauce faite avec du jus de raisin vert, séché au soleil et sans pépins), sont portés triomphalement, pour étonner les convives. Les croûtes elles-mêmes, utilisées pour préparer les pâtés sont artistiquement décorées et représentent leur contenu. C’est ainsi que s’offrent aux regards des tourtes en forme de poissons, de volatiles et autres, en fonction de ce que l’imagination du cuisinier/scénographe est capable de concevoir. Les rôtis en tout genre abondent, des chevreuils aux hérons, ainsi que daubes et fritures, mais sans légumes d’accompagnement, ni soupes, plats que l’on retrouvera en revanche dans les banquets, au siècle suivant. Les manuscrits3 qui décrivent les recettes en usage à la table des nobles4 ne rapportent naturellement pas les préparations culinaires des « pauvres », basées sur les soupes, le pain et les reliefs des viandes destinées aux riches. Même en période de disette et de maigres récoltes, les riches et les puissants ne renoncent à rien et ne modifient pas leur alimentation, ni ne mettent un frein aux banquets, aussi « indispensables » et pantagruéliques que coûteux. Le siècle suivant n’est pas mieux, au contraire, les puissants s’enthousiasmant toujours plus pour tout ce que le ciel, la terre et la mer produisent de plus rare et de plus précieux, et désirant le proposer à leurs hôtes afin de jouir de leur admiration. Au XVe siècle, le banquet continue également d’être utilisé comme un théâtre pour la représentation de l’abondance et de l’opulence, si bien que la table accueille des quantités phénoménales d’aliments généralement amassés les uns sur les autres. Comme on l’a dit précédemment et à la différence du siècle passé, les potages à base d’herbes et de légumes entrent maintenant dans la composition du banquet, tout comme les fruits commencent à ouvrir le repas (selon les préceptes sanitaires en vogue à l’époque et confirmés aujourd’hui par la diététique). En outre, apparaît sur les tables, le premier « sorbet » de l’histoire, qui sert à interrompre les saveurs, en permettant le passage des rôtis aux potées et aux daubes : c’est le très célèbre blanc-manger, à base de viande de poulet haché, de riz, de lait et d’amandes, mélangés à du sucre et des épices qui, actuellement, à la seule exception du poulet, est encore préparée dans certaines villes de Sicile. Après le sorbet, arrivent les viandes bouillies ou à l’étuvée, riches en sauces à l’ail, puis des tourtes à base de légumes et de fromages et pour finir, des biscuits et de petits gâteaux en forme de couronnes noyés dans le sucre et la cannelle. La chorégraphie du plat s’enrichit de couleurs

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extraites du safran, du santal et du tournesol. De même qu’au siècle précédent, le pain fait d’orge, d’avoine ou d’épeautre, ne fait pas encore partie des déjeuners importants, mais on le trouvera au siècle suivant, recouvert de feuilles d’or et d’argent. Avec le XVIe siècle, on assiste à la naissance d’une nouvelle époque qui apporte de grands changements, y compris en ce qui concerne la culture gastronomique italienne. En effet, avec la Renaissance – mouvement qui se réfère aux principes de réalisme (l’homme domine la nature et, par conséquent, sa confiance en la science et les technologies modernes s’accroît) et d’individualisme, et qui fait sien la culture du beau –, s’affine la recherche de la splendeur et de la forme. Grâce à la cuisine raffinée et altière de la cour, fleurissent d’importants traités de cuisine écrits par des professionnels et destinés à des professionnels : plutôt que les recettes, ils abordent les thèmes relatifs à la composition du menu, à l’organisation des banquets, à la préparation des approvisionnements adéquats et aux règles de savoir-vivre – comme par exemple, Le courtisan de Baldassar Castiglione5 en 1528 et Galatée de Monseigneur Giovanni della Casa6 en 1558. Ils traitent également de l’art de la présentation et de la découpe des viandes et de celui de dresser la table. La nouvelle culture gastronomique et les récentes « bonnes manières » La cuisine de Léonard de Vinci 24

Baldassar Castiglione naît en 1478 à Casatico di Marcaria (Mantoue) dans une famille noble. Il suit des études de lettres à Milan et après quelques déplacements, se retrouve, en 1503, au service du duc de Montefeltro à Rome. Il est chargé d’organiser des fêtes et des spectacles et est très engagé dans l’activité diplomatique aux côtés de Francesco della Rovere, neveu de Jules II. Il se marie mais se retrouve rapidement veuf et entre dans les ordres en 1521. Il meurt à Tolède en 1529 de fièvre pestilentielle. 6 Giovanni della Casa, naît, selon toute vraisemblance à Mugello, le 28 juillet 1503. Il entreprend des études de lettres et de droit, approfondissant, par la suite, sa connaissance du grec. Tout comme Castiglione, Giovanni della Casa embrasse la carrière ecclésiastique, aidé en cela par les Farnèse. Nommé clerc de la chambre apostolique, il accomplit de nombreuses missions diplomatiques et assiste en particulier au Concile de Trente. Il est l’un des promoteurs du Tribunal de l’Inquisition et institue un index des livres interdits. En 1553, il se retire dans l’abbaye de Nervosa près de Trévise, où il écrit le Galateo. Rappelé à Rome, il meurt peu de temps après, le 14 novembre 1556.


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Sur ces deux pages : Couverture et frontispice du De re culinaria de Bartolomeo sacchi dit “il Platina”, paru en 1542.

s’imposent avec vigueur dans des villes comme Rome, Naples, Florence, Ferrare, Milan et Venise, lieux de résidence et de rencontre de riches marchands, carrefour de grands et importants mouvements commerciaux en provenance d’Europe et de bien plus loin encore. La dénommée « nouvelle gastronomie » se base sur le principe de dissimulation des saveurs simples et naturelles par l’exagération du faisandage de la viande, en utilisant de manière prépondérante le sucre, l’agresto, l’eau de rose et les épices, et noie les aliments dans des sauces très riches. C’est un retour au passé, aux mythes de la Grèce et de la Rome antiques, pour échapper, même si ce n’est pas toujours le cas, aux siècles obscurs du Moyen-Âge. C’est une époque qui influence encore toutefois beaucoup le goût des cuisiniers de la Renaissance pour les sauces aigres-douces, le sucre et les amandes, Histoire de la gastronomie italienne des quinzième et seizième siècles, à travers les manuscrits 25


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Sandro Masci

Un voyage à la découverte de la Renaissance gastronomique italienne, depuis les inventions scénographiques de Léonard pour les banquets des Sforza aux célèbres traités sur l’art de la cuisine et de la convivialité. Enfin, les recettes les plus originales de son temps, présentées avec des quantités et des ingrédients adaptés au goût du jour pour pouvoir convenir au palais des gourmands modernes.

19,50 € (t.t.c.)

écrivain, gourmet, chef, professeur de cuisine et expert d’analyses sensorielles. Il s’occupe depuis quarante ans de gastronomie et de critique gastronomique. Il collabore et a collaboré avec de nombreux magasines et en tant que consultant sur l’histoire de la gastronomie en Italie, comme pour la fiction RAI Grand Hotel. Il a débuté très jeune comme critique gastronomique à « L’Espresso ». Il a à son actif plusieurs livres parmi lesquels Les bonnees maniéres, Les bonnes manières à table, Tout cru (traduit également en anglais) et même un roman policier ésotérique/œnogatronomique, Il Libro Muto (Le Livre Muet). Il a enseigné pendant douze ans dans plusieurs écoles de cuisines en Italie, parmi lesquelles les écoles du Gambero Rosso à Rome et à Naples. Il est le cofondateur et le Resident Chef des Chefs Blancs, école professionnelle et amateur de cuisine et de pâtisserie à Rome.

La cuisine de Léonard de Vinci

SANDRO MASCI est un journaliste,

Sandro Masci

La cuisine de Léonard de Vinci Scénographies, inventions et recettes au temps de la Renaissance

À

travers une analyse historique et iconographique des traités majeurs de l’époque (le Libro de arte coquinaria de Martino da Como, le De honesta voluptate et valetudine de Bartolomeo Sacchi, et bien d’autres), ce volume illustre la gastronomie italienne en grand apparat de la Renaissance, qui vantait les cuisiniers les plus habiles, les plus créatifs et les plus célèbres d’Europe. L’Italie recelait également de manuels indiquant l’art de dresser la table et de découper les viandes, sans oublier le protocole comportemental des commensaux. Les banquets typiques de ce siècle, pantagruéliques, monumentaux et présentés dans la plus pure tradition chorégraphique, sont décrits dans cet ouvrage selon les préceptes de Léonard de Vinci. En effet, le grand artiste appelé par Ludovic le More à la cour des Sforza à Milan, prêta son génie, non seulement à la construction de nouvelles machines et aux célèbres œuvres picturales que nous connaissons, mais aussi à l’élaboration scénique et scénographique de spectacles et de banquets, dont l’apogée fut sans doute l’organisation de la Festa del Paradiso, à l’occasion des noces d’Isabelle d’Aragon et de Gian Galeazzo Sforza. Ce livre prend également en compte le mystérieux Codex Romanoff, copie présumée d’un texte de Léonard dont on a retrouvé la trace à l’Ermitage – le musée en nie toutefois l’existence – et qui témoignerait de l’intérêt de l’artiste pour l’art culinaire. Intérêt par ailleurs documenté par le Codex Atlantique, recueil d’écrits et de dessins de Léonard, établi à la fin du XVIe siècle par le sculpteur Pompeo Leoni, et dont l’authenticité ne fait aucun doute (on peut y voir l’ébauche du premier tournebroche mécanique). Enfin, cette étude est complétée par les recettes les plus originales de l’époque, dont les quantités et les ingrédients ont été actualisés, afin de pouvoir être réalisées aujourd’hui.

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