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Opération > Die Lustige Witwe (La veuve joyeuse)

de Franz Lehár Direction musicale : Rainer Mühlbach Mise en scène : Christof Loy Au Grand Théâtre, 14 | 16 | 18 | 19 | 21 | 23 | 26 | 28 | 29 | 31 décembre 2010

L'heure exquise de

Christof Loy « Aber wo ist denn der Vaterland ? (Mais où donc est ma patrie ?) ». Cette question oratoire que pose le Comte Danilo Danilowitsch au début de Die lustige Witwe, au moment où l’on requiert qu’il serve le Pontevedro en contractant un mariage de raison, a sans doute une résonance particulière dans l’esprit de Christof Loy. Ce n’est pas que le metteur en scène natif d’Essen ait des doutes sur ses origines. Mais l’homme qui ne cesse de risquer ses visions radicales et contemporaines sur un public d’opéra largement conservateur de nature, doit également lutter pour ne pas perdre de vue son objectif artistique, sa patrie spirituelle en quelque sorte. « Ce qui m’intéresse, c’est d’où nous venons et où nous devons aller. » La profession de foi de Christof Loy tient en ces quelques mots dont l’apparente simplicité donne pourtant à réfléchir. Ses mises en scène, dont la première au Grand Théâtre fut une reprise en 2006-2007 de l’Ariadne auf Naxos montée pour Covent Garden, ont amplement prouvé la profondeur et la minutie de sa lecture des livrets, et son refus de se laisser dicter son travail par les lieux communs de ce qu’on conçoit comme « être fidèle à l’œuvre ». Christof Loy nous met en garde: « Une fausse fidélité à l’œuvre peut empêcher le public d’avoir une perspective sur ce qui est essentiel à une pièce. » Cet avertissement, le public de Covent Garden eut bien fait de le garder à l’esprit, avant d’aboyer son mécontentement devant le Tristan sans bateau de Loy en octobre 2009. Les lauriers du Laurence Olivier Award, décernés cette année-là au Royal Opera House, pour la meilleure nouvelle production lyrique de la saison, en l’occurrence celle de Christof Loy, prouvent la pertinence de sa démarche sans compromis. Si le public genevois de la première de La Donna del lago, proposée par Loy en mai dernier, a réagi de manière similaire à son homologue londonien, l’Alceste qu’il réalisa cet été a su offrir aux festivaliers d’Aix une mise au point sur la grande partition de Gluck d’une netteté et d’une fraîcheur singulières, soulignées par la critique. Au moment de la rédaction de ces lignes, la co-production Grand Théâtre de Genève-De Nederlandse Oper des Vêpres siciliennes, mise en scène par Christof Loy, programmée en mai 2011 pour la scène de Neuve, est encore en répétition à Amsterdam. Mais avant de se remettre à dégager la signifiance contemporaine des grands drames historiques romantiques, Loy se permettra pour Genève, une incursion fort attendue dans l’opérette. Qui n’a pas dans son cœur un peu de La Veuve joyeuse? Les mots seuls d’heure exquise déclenchent une valse d’images surannées, floutée par le passage du temps, tendrement pervertie par des souvenirs du cinéma de grand-maman (Ah ! Maurice Chevalier... Ah ! Jeanette MacDonald...), où

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une femme légère était une « grisette » et où les diplomates portaient inévitablement un titre. N’y a-t-il pas une certaine futilité à vouloir faire la relecture d’une partition aussi figée dans le temps et l’imaginaire ? Christof Loy n’en est pas à sa première Veuve. En 1992, au tout début de sa carrière, il l’a mise en scène pour le Stadttheater d’Ulm. Presque vingt ans plus tard, il y revient, préparant pour le Grand Théâtre une nouvelle production qui s’engagera certes dans la recherche du temps perdu, mais délaissant le kitsch austro-hongrois Belle-Époque pour des évocations genevoises inopinées. La scénographie ne manquera pas de rappeler les travertins angulaires d’une architecture très « Société des Nations », familière aux habitants et visiteurs de notre ville. La réécriture polyglotte d’un livret sera l’écho de conversations qu’on s’imagine résonner depuis Belle du Seigneur dans les couloirs de la Genève internationale. Si les parti-pris de Loy n’ont pas toujours eu l’heur de susciter des ovations, la qualité de son travail remporte inévitablement les suffrages des interprètes avec lesquels il travaille. Joyce DiDonato, dont l’Elena de La Donna del Lago de Loy à Genève déclencha des tonnerres d’applaudissements, exprime avec ferveur sur son blog sa solidarité avec le metteur en scène: « Même si on est en train de huer un groupe bien précis sur la scène, lorsqu’arrive l’heure de la première, nous sommes comme les membres d’une même famille. Si l’on s’attaque à un membre en particulier de cette famille, il est quasiment impossible de ne pas faire corps avec lui. On en ressent une vive douleur. » Les qualités intellectuelles, artistiques et humaines de Christof Loy seront, comme toujours, mises au service de sa distribution, qui réunira, pour le temps des fêtes, un quatuor de pointures de l’art vocal. Des figures d’expérience, d’abord, Jennifer Larmore (Valencienne) et José van Dam (Baron Zeta). Les deux complices préparent chacun un récital, qui dans le cas de José Van Dam sera également un adieu personnel à la scène de Neuve. Pour donner la réplique à Larmore et Van Dam, deux voix, non moins talentueuses, de la génération émergente : Johannes Martin Kränzle (Danilo) et la délicieuse Annette Dasch (Hanna Glawari). Une équipe d’interprètes chevronnés, comédiens talentueux de surcroît, est donc prête à soutenir Christof Loy dans son plaisir pas si coupable que cela, celui de laisser un temps le « grand » répertoire pour taquiner la muse légère. Car c’est en fin d’analyse le plaisir qui compte. Nous souhaitons vivement que le public genevois puisse partager le plaisir du metteur en scène, à qui il convient de laisser le dernier mot à ce propos: « Je sens en moi un plaisir extrême à dégager ce que j’apprécie tant chez "mes" compositeurs pour le rendre présent à nos yeux. » CP

© DR

par Christopher Park

En 1934, Ernst Lubitsch porte à l'écran The Merry Widow, avec les légendaires Jeanette MacDonald et Maurice Chevalier.

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