PEINTURE avec Robert Combas & Jean Pierre Raynaud

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TEXTE DE JEAN PIERRE RAYNAUD POUR L’EXPOSITION RAYNAUD PEINTURE À LA GALERIE PATRICE TRIGANO EN JANVIER 2008 Je voudrais disparaître au moment où je commence un projet... C’est l’instant parfait. Le concept, aussi simple soit-il doit-être réalisé à chaud comme une opération chirurgicale. Il est fragile, tout et rien à la fois, aucun remords n’est possible et j’aime cela... Son premier degré ne m’a jamais fait peur, car c’est dans cette méthode que je me sens fort. Chez moi il n’y a pas de style, il n’y a qu’une méthode. La méthode Raynaud, c’est prendre le risque de se trouver avec moins que moins. Aujourd’hui avec le projet peinture, j’ai l’audace de penser que je fais quelque chose d’important. Le mot peinture est une œuvre en soi, je le revendique en tant qu’œuvre. Ici l’idée de peinture m’apparaît plus forte que la peinture elle-même. Je passe avant que celle-ci ne devienne de l’art, avant qu’elle ne devienne un chef-d’œuvre. Je dépasse la peinture ! Pour moi la peinture c’était un fantasme, c’était aussi la noblesse de l’Art. Je pose la peinture avant la peinture, c’est une fraîcheur du regard que j’ai, je peux oser faire cela... Je suis innocent. Manzoni avait besoin de dire qu’il y avait de la «Mierda d’artista» dans ses boîtes, dans mon cas je n’ai pas besoin qu’il y ait de la peinture dans les pots pour que cela soit de la peinture. Ici le concept a sa place, l’objet a sa place, la peinture a sa place et l’artiste a sa place. Matisse l’a fait avec des ciseaux, Pollock avec un bâton, Klein avec un rouleau. C’est toujours la transgression qui donne un autre regard. Il faut comprendre que c’est le mot liberté qui est mon projet et qu’il n’y a aucun confort dans mes œuvres, ni pour moi, ni pour vous. Je peux fermer les yeux et regarder la peinture !


1986 - MASTABA 1 Garenne-Colombes ©Philippe Chancel


BIOGRAPHIE 1939 1965 1966 1967 1968

1969 1970

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1972 1973 1974 1977 1975-77 1978 1979 1981

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Naissance de Jean Pierre Raynaud le 20 avril à Courbevoie, France. Première exposition personnelle, Galerie Jean Larcade, Paris. Galerie Mathias Fels, Paris. Participe à la IXe Biennale de São Paulo. Galerie Apollinaire, Milan. Installation « 300 pots rouges remplis de ciment » Kunsthalle de Düsseldorf. Stedelijk Museum, Amsterdam. Moderna Museet, Stockholm. Würtembergischen Kunstverein, Stuttgart. CNAC, Centre National d’Art Contemporain, rue Berryer, Paris. Galerie Alexandre Iolas, Paris. Commence la construction de La Maison, La Celle Saint-Cloud, France. Palais des Beaux-Arts, Bruxelles. Alexandre Iolas Gallery, New York. Jacques Caumont, Claide Gallot et Michel Pamart, L’ Alphabet Raynaud, court métrage pour la télévision. New Smith Gallery, Bruxelles. Installation « 4000 pots de Raynaud », Serpentine Gallery, Londres. Musée d’Israël, Jérusalem. Rathaus, Hanovre. « Rouge, Vert, Jaune, Bleu », Musée des Arts Décoratifs, Paris. Galerie « d », Bruxelles. Michel Pamart et J&J., La Peur, court-métrage pour la télévision. Réalisation du premier Espace Zéro, Musée d’Art et d’Industrie, Saint-Étienne. Noirlac, textes Georges Duby, Denyse Durand-Ruel, Emmy de Martelaere, Editions E.M.A, Bruxelles. Réalisation des vitraux de l’abbaye cistercienne de Noirlac, Cher. S.M.A.K., Musée d’Art Contemporain de la ville de Gand. « Raynaud, 1974-1978 », Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Première exposition personnelle au Japon, Hara Museum of Contemporary Art, Tokyo ; Il réalise la transformation définitive d’une salle en Espace Zéro. Projet d’une sculpture monumentale Soleil noir en haute montagne, Flaine. Réalisation d’un jardin d’eau pour la principauté de Monaco. Galerie Jean Fournier, Paris. Reçoit le Grand Prix National de la Sculpture. Réalisation d’un Espace Zéro à l’entrée de l’exposition « La Rime et la Raison » présentant les chefs-d’œuvre de la Ménil collection, galeries nationales du Grand Palais, Paris. Newport Harbor Art Museum, Californie. Projet de la « Tour Blanche », pour les Minguettes à Vénissieux, Rhône. Pierre-André Boutang, La Rime et la Raison. Les collections Ménil, Désir des Arts, Antenne 2. « Noir et Blanc », ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Réalisation d’une sculpture monumentale dans le parc de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Jouy-en-Josas. Reçoit le Prix Robert Giron, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles. Galerie Daniel Varenne, Chicago International Art Exhibition. Carpenter & Hochman Gallery, New York. Installation « 1000 pots rouges dans une serre ancienne », Domaine de Kerguehennec, centre d’art contemporain, Morbihan. Wenger Gallery, Los Angeles. Construction d’un abri semi-enterré de 400 m à la Garenne-Colombes. Reçoit le Grand Prix des Arts de la Ville de Paris. FIAC - Galerie Daniel Varenne, Grand Palais, Paris.


©Philippe Chancel


1987 1988

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1999

Réalise un Autoportrait monumental pour la ville de Québec. Installation « in situ » d’un Espace Zéro au Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, intitulé Container Zéro. « Bleu Blanc Rouge », Galerie de France, Paris. Publication : Denyse Durand-Ruel, Yves Tissier, Bernard Wauthier-Wurmser, La Maison, Éditions du Regard, Paris. Conception et Réalisation de la Carte du Ciel, dans les quatre patios du sommet de la Grande Arche, la Défense, Paris. Participe avec cinq Autoportraits à l’exposition « L’ Art en France, un siècle d’inventions » organisée par l’AFAA à Moscou et Leningrad. « Espace Raynaud », Galerie Louis Carré, FIAC, Paris. Reçoit la commande d’une œuvre d’art pour la commémoration du cinquantenaire du CNRS, Paris. Galerie 44, Düsseldorf. The Menil Collection, Houston. Museum of Contemporary Art, Chicago. Centre National d’Art Contemporain, Montréal. Leo Castelli Gallery, New York. Sonnabend Gallery, New York. Monographie : A.M Hammacher, Jean Pierre Raynaud, Éditions Cercle d’Art, coll. « Grands peintres et sculpteurs », Paris. Sonnabend Gallery, New York. Galerie Daniel Templon, Paris. Willy d’Huysser Gallery, Bruxelles. Contemporary Art Gallery, Art Tower Mito, Japon. Destruction de La Maison de la Celle Saint-Cloud, représentant l’aboutissement de 24 ans de recherche sur l’espace. Représente la France à la Biennale de Venise. Installation de La Maison 1969-1993, CAPC Musée d’Art Contemporain de Bordeaux. Jean Pierre Raynaud, La Maison, Denyse Durand-Ruel, Marc Sanchez, Éditions du Regard, Paris. Film de Michelle Porte intitulé La Maison 1969-1993. Réalise une voûte nucléaire sur un plafond du Louvre - aile Richelieu, Paris. Réalisation d’un pot rouge de 5 m de haut à Tachikawa City, Tokyo. Installation d‘un Hommage à Matisse pour l’exposition « Thresholds », National Gallery of Modern Art, New-Delhi. Réalisation de Human Space, Musée Ludwig, Cologne. Le Pot doré de la Fondation Cartier est exposé à Berlin, suspendu à l’extrémité d’une grue au-dessus du chantier de la Potsdamer Platz. Réalisation d’une volière monumentale pour l’exposition « Comme un oiseau », Fondation Cartier, Paris. Le Pot doré est installé trois semaines au cœur de la Cité interdite, Pékin. Galerie Pièce Unique, Paris. « La fluorescence », Château de Villeneuve, Vence, Alpes-Maritimes. Construit un Autoportrait en marbre de 10 m de haut pour le Sonje Museum of Contemporary Art, Kyongju, Corée du Sud. Bonzaï géant, intervention sur la nature, parc de sculptures, Tong-Yong, Corée du Sud. Le Pot doré de la Fondation Cartier est installé sur une stèle monumentale devant le Centre Georges Pompidou, Paris. Rétrospective à la Galerie nationale du Jeu de Paume, Paris. Le Drapeau français tendu sur un châssis est exposé pour la première fois. Installation Corridor, Guggenheim Museum Soho, New York. Denyse Durand-Ruel, Catalogue raisonné, 1962-1973, Tome I, Éditions du Regard, Paris. « Drapeau Français », Galerie Daniel Varenne, Foire de Bâle. Exposition à la Fondation De Pont pour l’Art contemporain, Tilburg. « Drapeau vietnamien », Galerie Enrico Navarra, FIAC, Paris.


2000

2001

2002

2003 2004 2005 2006 2007

2008 2009 2011

« Drapeau », Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig, Vienne. « Drapeau », S.M.A.K., Musée d’Art Contemporain de la ville de Gand. « Drapeau cubain » Palais de la Révolution, La Havane. Biennale de La Havane, Prix UNESCO. « Drapeau algérien », Musée Sainte-Croix, Poitiers. « Drapeau soviétique », Galerie Jérôme de Noirmont, Paris. « Drapeau argentin », Centro Recoleta, Buenos Aires. Blok Frontière, parc de sculptures, Gimpo, Corée du Sud. Space, Mulhouse. « Campagne Communication Drapeau », directeur de campagne : Pierre Restany Nantes, Tours, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Paris. 1ère Biennale de la sculpture Européenne, Signal-Drapeau, La Mandria, Turin, Italie. « Drapeau chinois », Guy Pieters Gallery, Knokke-Heist, Belgique. Manifeste « Drapeau + TV », Paris. Œuvre souterraine, 10 rue Mirosmenil, Paris. « Drapeau français », pierre tombale de Pierre Restany au cimetière Montparnasse, Paris. Entretien avec Robert Fleck sur la censure Projet Drapeau Base Sous-Marine, Éditions Léo Scheer. « Drapeau asiatique », Art Front Gallery, Tokyo. « Objet Drapeau belge », Guy Pieters Gallery, Knokke-le-Zoute, Belgique. Inauguration d’un pot monumental, « place du pot rouge de Raynaud », Harbin, Chine. Rétrospective « Les Raynaud de Raynaud », Musée d’Art Contemporain, Nice. « Manifeste Corée Nord-Sud », Hankook Ilbo Gallery, Séoul. Inauguration d’un pot rouge monumental, Busan, Corée du Sud. Campagne « Objet Drapeau », élections présidentielles, 2007. « Objet Drapeau », Galerie JGM, Paris. « Pot sculpture », Theo Gallery, Tokyo. « Trilogie », Galerie Enrico Navarra, Art Paris, Abu Dhabi. « Peinture », Galerie Patrice Trigano, Paris. « Peinture », Hakgojae Gallery, Séoul. Inauguration du « Mastaba I », La Garenne Colombes, France. Réhabilitation et extension de l’atelier de Jean Pierre Raynaud à Barbizon par le cabinet d’architecture Willmotte, & Associés. « Peinture », Strouk Gallery, Paris. Inventaire général du patrimoine culturel, Abbaye de Noirlac, Éditions Lieux-Dits, Lyon. La Maison de Jean Pierre Raynaud, « Construction / Destructuration », 1969-1993, Éditions du Regard, Paris. La Maison 1969-1993, film de Michelle Porte. «LA FLÈCHE », 18 m, acier, Knokke-le-Zoute, Belgique.


2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

2020 2021

2022

2023

« On n’a pas intérêt à échapper à ce que l’on est », Strouk Gallery, Paris. « Line » Xin Dong Cheng Gallery, Pékin. « Peinture », Caroline Smulders, Art Genève. Raynaud, Éditions du Regard, Paris. « Vanités », Espace J. Villeglé, Saint-Gratien. MAMO, Cité Radieuse, Marseille. Raynaud, L’ Art à perpetuité, Éditions Jannink, Paris. Aphorismes, Éditions du Regard, Paris. « Fragments », Caroline Smulders, Art Paris, Grand Palais. « AUTOPORTRAIT », reconstruction au centre de Québec après destruction par la ville en 2015. Élévation de La Flèche, (2011) 18 m de hauteur, acier, Knokke-le-Zoute, Belgique. Exposition « Hors les murs », CAPC Bordeaux. Raynaud, « CIBLE », texte de Laurent Le Bon, Éditions du Regard, Paris. « Espace Raynaud », Gallery 508, Séoul. « LA FLÈCHE », 27 m, métal, collection Marc Bellemare, Québec. « Cible et TIRS », texte de Catherine Millet, Strouk Gallery, Paris. « MONET-RAYNAUD », musée Marmottan Monet, Paris. Dialogues inattendus, texte de Philippe Piguet, musée Marmottan Monet, Paris. Catalogue raisonné RAYNAUD, tome II 1974-1997, Éditions du Regard. « L’enfance comme arme », Galerie Jean-Jacques Dutko, Paris. « NO LIMIT », Gallery Bienvenu Steinberg-J, New-York. Catalogue raisonné RAYNAUD, tome III, 1998- 2022, Éditions du Regard, Paris. Coffret Tomes I, II & III, catalogues raisonnés 1962-2022, éditions limitées, Éditions du Regard. « LA FLÈCHE », 3 m 25, acier, Laboratoire National de Métrologie et d’Essais, Paris. Les Deschamps de Raynaud, Éditions du Regard, Paris. « 1937 GUERNICA - UKRAINE 2022 », Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris.


2009 - NO LIMIT


MUSÉES PRÉSENTANT DES ŒUVRES Stedelijk Museum, Amsterdam, Pays-Bas Moderna Museet, Stockholm, Suède Kaiser Wilhelm Museum, Krefeld, Allemagne Museum of Art, Providence, États-Unis Museum of Modern Art, New York, États-Unis Musée de Toulon, Toulon, France Musée Cantini, Marseille, France Fonds régional d’art contemporain de Poitou-Charentes, Angoulême, France S.M.A.K. Musée d’Art Contemporain de la ville de Gand, Belgique Musée d’Israël, Jérusalem, Israël Musée d’Art moderne, Saint-Étienne, France Fonds régional d’art contemporain de Picardie, Amiens, France MAC / VAL, Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine, France Fonds régional d’art contemporain du Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque, France Musée d’art moderne de Thessalonique, Grèce Musée ational d’art moderne / Centre Georges Pompidou, Paris, France Musée départemental d’art contemporain, Rochechouart, France Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, France Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, France Hara Museum of Contemporary Art, Tokyo, Japon Musée départemental des Vosges, Épinal, France Museum of Modern Art, Osaka, Japon Menil Collection, Houston, Texas, États-Unis Museum of Contemporary Art, Chicago, États-Unis Musée Picasso, Antibes, France Domaine de Kerguéhennec, centre d’art contemporain, Morbihan, France Musée de Grenoble, Grenoble, France CAPC, Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, France Guggenheim Museum Soho, New York, États-Unis Fondation De Pont pour l’Art Aontemporain, Tilburg, Pays-Bas Ludwig Museum, Köln, Allemagne Fondation Gianadda, Martigny, Suisse Sonje Museum of Contemporary Art, Kyongju, Corée du Sud Tong-Yong sculptures Park, Tong-Yong, Corée du Sud Gimpo Sculpture Park, Gimpo, Corée du Sud MAMAC, Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Nice, France


2011 - LA FLÈCHE 18 m, acier Knokke-le-Zoute, Belgique ©Philippe Chancel


INTERVENTIONS PERMANENTES CONTAINER ZÉRO, 1988. Œuvre commandée par le Musée national d’art moderne / Centre Georges Pompidou, Paris. Container zéro est une œuvre évolutive accueillant dans son espace les différentes expériences vécues par l’artiste. À la disparition de ce dernier, une plaque en céramique nommée Espace Zéro sera placée dans le container. MASTABA I. Conçu en 1986 par Jean Pierre Raynaud, ce lieu a été acquis par la commune de la Garenne-Colombes afin d’en faire un centre culturel, alliant architecture et art contemporain. Depuis 2009, l’artiste intervient ponctuellement sur l’accrochage de ses œuvres.





Catherine Millet est critique d’art, commissaire d’exposition et écrivain français. En 1972, avec son compagnon Daniel Templon et le collectionneur Hubert Goldet, elle fonde la revue «Art Press» dont elle est toujours directrice de la rédaction.

Il y a fort à parier que lorsque les visiteurs de cette exposition en parleront à ceux qui ne l’auront pas, pas encore, ou ne pourrons plus la visiter, en disant simplement « j’ai vu une exposition qui réunissait Robert Combas et Jean Pierre Raynaud », ils susciteront chez leur interlocuteur l’étonnement, quand ce ne sera pas le scepticisme. Surtout quand ils préciseront à cet interlocuteur que l’exposition n’est pas l’effet de quelque stratégie menée par leur galerie commune (même s’il fallait bien évidemment compter sur la complicité de celle-ci), mais bien d’un désir des artistes eux-mêmes qui, amenés à s’y croiser, à regarder ce que l’un et l’autre y exposent et à le respecter, s’amusent, alors que j’écris ces lignes, à la préparer et à en imaginer l’accrochage. Tel est bien l’art de notre temps, incarné dans des formes à la fois les plus extrêmes et les plus opposées, parce que non plus l’émanation d’une classe cultivée plus ou moins circonscrite et unie, mais l’expression d’individus usant au maximum de leur liberté. Si au temps des avantgardes, du début du 20e siècle et jusque dans les années 1970, un grand nombre d’artistes agissaient sous le couvert de manifestes péremptoires et de diktats, les nouvelles générations ont depuis secoué ces derniers jougs. Je ne connais rien de plus jubilatoire aujourd’hui qu’un artiste qui vous amène à découvrir les qualités d’une œuvre n’ayant rien à voir avec la sienne. Qui savait jusqu’à un livre récemment paru, Les Deschamps de Raynaud (Éditions du Regard) que Jean Pierre Raynaud était le plus important collectionneur de Gérard Deschamps ? Qui aurait cru au début des années 1980 que, dans les années 2000, Robert Combas signerait des tableaux avec Kijno ? Si les partis-pris bien arrêtés, l’esprit clanique n’ont pas complètement disparu du monde de l’art contemporain, ils sont désormais

le fait d’admirateurs ou de critiques nostalgiques, ou d’amateurs obsessionnels, et beaucoup moins des artistes, munis, par définition, de puissants capteurs pour détecter l’art authentique où qu’il se trouve. Mon histoire personnelle, si je peux me permettre d’en dire quelque mots, s’inscrit dans ce mouvement. Dans les premières années où j’exerçais mon activité de critique, que ne m’a-t-on pas reproché les procédés drastiques des artistes conceptuels sur lesquels j’écrivais, et le dogmatisme des peintres de Support-Surface auxquels je m’intéressais simultanément ! Mais précisément, je défendais les deux, également attentive à la déconstruction de l’œuvre d’art que les uns, grâce à leurs dispositifs didactiques, les autres, avec leurs matériaux et leurs outils traditionnels de peintre, opéraient. Préparant ce texte, je ne peux pas ne pas me souvenir que l’exposition conjointe de Jean Pierre Raynaud et de Daniel Pommereulle à la Galerie Mathias Fels en 1966 fut la toute première exposition de ma vie que je visitais, et mon article sur Raynaud, trois ans plus tard dans Les Lettres françaises, un des tout premiers que j’écrivis. D’être tombée d’emblée dans l’univers de cet artiste — alignements de pots et murs de tôle émaillée — m’a peut-être préparée au dépouillement hermétique et à la sérialité de l’art minimal auquel je consacrerai par la suite beaucoup de textes. Et je dois reconnaître que je tombais des nues lorsque Roger Pailhas, qui avait créé le centre d’art de l’ARCA à Marseille, me demanda, à moi, connue pour mes engagements auprès des artistes conceptuels et des peintres abstraits, de participer à un catalogue sur Robert Combas en 1984. J’avais accepté, décidée à me confronter à ce nouveau venu, inattendu et plutôt excentrique dans mon panorama. Je m’en étais tirée en parlant d’une « enfance de l’art », rapprochant, entre autres, l’anti-intellectualisme affiché par la Figuration libre, mouvement auquel participait Combas, de la table rase dadaïste ou de la déculturation prônée par Jean Dubuffet. (Il me serait difficile aujourd’hui de conserver le même raisonnement !) En 1990, lorsque j’avais eu à commenter le travail réalisé puis exposé au Musée Toulouse-Lautrec d’Albi, j’avais suivi un raisonnement nettement plus formaliste et avais été particulièrement attentive à l’usage des coulures. Bref, mon approche avait été celle d’une critique rodée à la peinture abstraite.


La présente exposition réunit (il serait absurde de dire qu’elle « confronte ») une série d’assemblages — pots de peinture, enseignes en métal laqué, plexiglas — de Jean Pierre Raynaud, datée de 2007, 2008 et 2009 intitulée « Peinture », et des peintures — acrylique sur toile — de Robert Combas, toutes récentes, réalisées en prévision de l’exposition. La plupart des peintures de Combas se caractérisent par la présence d’un grand visage dessiné d’un trait de couleur épais par-dessus la scène représentée et à une échelle qui lui fait occuper, dans la plupart des cas, la presque totalité de l’espace. Cela engendre un effet de frontalité qu’on peut, très vaguement, rapprocher de celui produit depuis toujours par les œuvres de Raynaud. S’ajoute que Combas se plaît à dire que, pour l’occasion, il a utilisé des couleurs pures, sortant du pot. Ainsi, si la série « Peinture » de Raynaud rendait hommage à un médium qui est celui de Combas, et qui garde sans doute son pouvoir d’attraction pour celui qui a choisi de ne pas y toucher — Raynaud n’a-t-il pas écrit, dans une sorte de petit manifeste accompagnant la première exposition de cet ensemble à la Galerie Trigano, en 2008 : « pour moi la peinture c’était un fantasme, c’était aussi la noblesse de l’Art » ? —, on peut dire que les toiles récentes de Combas contiennent quelques clins d’œil à la pratique de Raynaud. Et on s’arrêtera là. C’était lors d’une visite en compagnie d’un ami, Olivier Kaeppelin, que j’avais découvert la série « Peinture », déployée dans la maison de Barbizon que Raynaud occupait alors. Sur le chemin du retour, Olivier et moi étions tombés d’accord : c’était du « pur Raynaud ». Cela sous-entendait que les œuvres avaient cette simplicité, cet impact propre à un signal (certaines stèles ne vont pas sans faire penser à des sémaphores) qui caractérisent l’ensemble du travail de l’artiste, lorsqu’il semble que l’objet qui attrape notre regard est le produit d’un geste, d’une idée fulgurante. Qualité qui correspond à ce que Hector Obalk, pour une exposition en 1985 (qui d’ailleurs n’incluait pas Raynaud, mais Boisrond, Lavier, Warhol…), avait appelé « l’art évident ». Des images, des objets qui se livrent dans « une apparente lecture immédiate », mais qui n’en demandent pas moins qu’on s’interroge sur ce que leurs surfaces lisses dissimulent. Ce n’est jamais aussi vrai qu’avec Jean Pierre Raynaud chez qui l’interdit et l’enfouissement sont les thèmes constants et paradoxaux. Dès le début, il s’est agi d’occulter avec du ciment l’intérieur des pots de fleur, de même que « Peinture » prive à jamais d’une matière colorée, seulement

représentée sur le couvercle du pot de peinture qu’on ne soulèvera jamais. Avant cela, il y eut le sens interdit (lui-même barré !), les échelles qui butent au plafond, les cuves opaques dans le fond desquelles disparaît une jauge, et plus tard les grands pots s’enfonçant dans le sol, ou ceux immergés en Mer Rouge, et encore un projet de maison enterrée en 1971, que la Maison de la Celle-Saint-Cloud de plus en plus fermée réalise d’une certaine façon, puis le Mastaba de La Garenne-Colombes, en partie souterrain comme ses modèles de l’ancienne Égypte. Il y eut aussi en 2005 le projet pour la base sousmarine de Bordeaux qui consistait à placer deux authentiques bannières portant des croix gammées dans un bunker construit par les Allemands pendant la guerre, avant de refermer celui-ci hermétiquement et définitivement. Le projet fut censuré, définitivement « enterré ». J’ai eu un jour l’occasion d’assister à une conférence de Jean Pierre Raynaud sur tous ses projets au sens figuré « enterrés ». Il les évoquait avec beaucoup d’humour ; pour lui, ils existaient autant que les projets réalisés. À l’opposé, ça crève les yeux, Robert Combas exhibe. Si, avec le projet abandonné pour la base sous-marine, Raynaud, en dérobant au regard le symbole nazi, avait cherché à provoquer la prise de conscience d’un refoulé de l’histoire, Combas, de son côté, n’a jamais hésité à enfreindre une autre sorte de tabous, sexuels ceux-là. Ses figures et leurs postures ont beau être caricaturales, dans certains cas, leur charge pornographique, soutenue par la crudité de leurs longs et très explicites titres, s’adresse directement aux sens du spectateur. S’il est prolifique, c’est parce qu’il s’autorise à tout peindre. Il nous a montré des scènes d’amour comme des scènes de guerre ou de beuverie et je suis certaine qu’il a choqué plus d’un.e qui pouvait lui reprocher une inspiration vulgaire ou des mots obscènes, glissés dans les interstices du dessin. Mais, loin des scènes vivement brossées du début, et parce qu’il a vite, et par la force des choses, abandonné la posture de l’étudiant des beaux-arts turbulent qui ne veut rien savoir de ses aînés, Combas s’est attaqué à l’histoire de la peinture, a refait à sa façon Toulouse-Lautrec et Poussin, les Marilyn d’Andy Warhol et les Vélasquez de Francis Bacon, a parcouru l’Ancien et le Nouveau Testament. Ce qui ne l’empêche pas de revenir actuellement à des thèmes plus personnels ou à des sujets de l’actualité, la Fashion Week, ou le jeune banlieusard déboulant dans la capitale,


armé d’une matraque. Combas peint comme s’il s’agissait d’attraper dans le filet serré de son cerne noir l’intégralité du monde visible, du monde visible tel que l’imaginaire le malmène. Alors, il n’y a jamais assez d’espace sur une toile. Il faut que l’enveloppe de ses personnages se charge non seulement d’indications graphiques, muscles, plis du vêtement, mais aussi de personnages, voire de scènes secondaires, et il faut que l’air autour d’eux en accueille tout autant, comme s’ils exhalaient l’intégralité des images qui leur traversent la tête. Sous la contrainte, si j’ose dire, la composition des tableaux s’est au fil du temps structurée. Elle peut adopter, comme on le voit ici, une très classique composition en symétrie ou la solide mise en place du portrait équestre, et distinguer savamment des plans sans pour autant renoncer à la couleur en aplat. Toutefois, inévitablement, il arrive que ça se re-complique : lorsque l’expression du grand visage central est donnée par la gesticulation des figures à l’arrière (Tête ravagée…), ou lorsque un personnage secondaire passe le bras à travers le plan virtuel où s’inscrit la grande tête (Le Cri du silence…). Je ne suis pas très étonnée d’entendre Combas dire qu’il a toujours bien aimé l’art cinétique. Souvent, il opère une saturation graphique, soit par accumulation de signes abstraits, soit par répétition presque subliminale d’un même profil (Attaque entre deux clans différents…) qui produisent pareillement des effets hallucinatoires. Il explique le procédé bien plus synthétiquement que je ne tente de le faire : « établir, après la destruction de tout, un zeste de composition pour obtenir un semblant de discipline et foudroyer le regardeur ».

(...) DE MÊME QUE PEINTURE PRIVE À JAMAIS D’UNE MATIÈRE COLORÉE, SEULEMENT REPRÉSENTÉE SUR LE COUVERCLE DU POT DE PEINTURE QU’ON NE SOULÈVERA JAMAIS.

Je suis ce regardeur foudroyé. Si je devais en critique consciencieuse décrire (je ne dis pas expliquer !) ce qui se passe dans un tableau de Combas, on me verrait m’écrouler d’épuisement avant d’avoir accompli ma tâche. Et si je décidais de relever le défi des silences de Raynaud, c’est sur un divan qu’on m’inviterait à aller poursuivre une interminable psychanalyse. L’artiste avait prévenu : « il n’y a aucun confort dans mes œuvres, ni pour moi, ni pour vous. » Cinquante-quatre ans après mon premier texte sur Jean Pierre Raynaud, et trente-neuf ans après le premier sur Robert Combas, je sais enfin pourquoi ce sont l’un et l’autre, si différents, de grands artistes : l’un comme l’autre étant fermement décidés à tout faire pour aller jusqu’au bout, ils me font rendre les armes.


PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture, plexiglas 45 x 23 x 14 cm

EXPOSITION 2020 Séoul, Corée du Sud, Gallery 508 Exposition personnelle Espace Raynaud



PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture, plexiglas 45 x 34 x 14 cm

EXPOSITION 2020 Séoul, Corée du Sud, Gallery 508 Exposition personnelle Espace Raynaud



PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture, plexiglas, bois 45 x 34 x 14 cm



PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture fluo, plexiglas 45 x 34 x 14 cm

EXPOSITION 2014 Art Genève, Genève, Suisse Exposition personnelle Peinture





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PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture fluo, plexiglas 45 x 34 x 14 cm

EXPOSITION 2013 Strouk Gallery, Paris, France Exposition personnelle On n’a pas intérêt à échapper à ce que l’on est

PEINTURE 1L

2007 Métal, peinture, plexiglas 56 x 67 x 14 cm

EXPOSITION 2014 Art Genève, Genève, Suisse Exposition personnelle Peinture



PEINTURE 5L

2007 Métal, peinture, plexiglas 74 x 19,5 x 25 cm

EXPOSITION 2008 Séoul, Corée du Sud, Hakgojae Gallery Exposition personnelle La Force du signe



PEINTURE 5L

2007 Métal, peinture, plexiglas 74 x 19,5 x 25 cm

EXPOSITION 2008 Séoul, Corée du Sud, Hakgojae Gallery Exposition personnelle La Force du signe



PEINTURE 10L

2007 Métal, peinture fluo pink, plexiglas, bois 139 x 45 x 35 cm



PEINTURE 10L

2007 Métal, peinture fluo rouille, plexiglas, bois 139 x 45 x 35 cm









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PEINTURE 10L (Assemblage)

pp. 44-45 2008 Peinture, Dibond, métal 47 x 250 x 23 cm pp. 46-47 2008 Peinture, Dibond, métal 47 x 250 x 23 cm pp. 48-49 2008 Peinture, Dibond, métal 87,5 x 254 x 23 cm


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PEINTURE (Enseigne)

pp. 52-53 2008 Métal, peinture 79,5 x 56 cm (chacun) Œuvre indivisible




PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture fluo vert, plexiglas 96 x 68 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture fluo rouille, plexiglas 96 x 68 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture fluo pink, plexiglas 96 x 68 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 53 x 74,5 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 64 x 79 x 20 cm (capot)

PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 64 x 79 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 55 x 66 x 20 cm (capot)

PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 55 x 66 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 86 x 68,5 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 41 x 112 x 20 cm (capot)



PEINTURE (Enseigne - Assemblage)

2008 Métal, peinture, plexiglas 85 x 51 x 20 cm (capot)



PEINTURE 5L

2008 Métal, peinture, plexiglas 93 x 56,5 x 25 cm



PEINTURE 20L

2008 Métal, peinture, caoutchouc 110 x 53 x 60 cm



PEINTURE 10L

2008 Métal, peinture 22 x Ø 33 cm Nombre limité de pots de peinture de 10L de différentes couleurs, utilisés sur un mur.

EXPOSITION 2016 Matasba I, La Garenne-Colombes, France Exposition personnelle Peinture mentale



PEINTURE 10L

2008 Métal, peinture, plexiglas, bois 239 x 45 x 35 cm

EXPOSITION 2015-2016 Musée de Tessé, Le Mans, France Exposition collective Bleu, Jaune, Rouge



PEINTURE 1L + 20L

2009 Métal, peinture, plexiglas, bois 94,5 x 45 x 45 cm



PEINTURE 1L + 20L

2009 Métal, peinture, plexiglas, bois 94,5 x 45 x 45 cm



PEINTURE 1L + 20L

2009 Métal, peinture, plexiglas, bois 94,5 x 45 x 45 cm



PEINTURE

2009 Métal, peinture fluo, plexiglas 37 x 80 x 45 cm



PEINTURE

2009 Métal, peinture, plexiglas 37 x 90 x 50 cm









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PEINTURE 10L «Palette»

pp. 90-91 2009 Métal, peinture fluo 100 x 200 cm pp. 92-93 2009 Métal, peinture fluo 100 x 200 cm pp. 94-95 2009 Métal, peinture fluo 100 x 200 cm


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Après sa rencontre en 1999 avec Jean-Luc Parant à l’école des Beaux-Arts de Paris, Kristell Loquet se met à écrire sous forme de nouvelles le récit de ses géographies et voyages amoureux avec l’homme qu’elle aime et dont elle partage aussi la vie de travail. Depuis 2005, elle anime les éditions Marcel le Poney, spécialisées dans le genre de l’entretien et diffusées par les éditions Actes Sud. Depuis 2016, elle anime chaque été des entretiens avec des poètes et des artistes dans le cadre du festival Voix Vives à Sète.

D’un côté Robert Combas, né en 1957, marqué par les arts populaires, le Pop art, la bande dessinée, le rock, la publicité. Dès le début de son œuvre, il se détache des mouvements conceptuels des années 1970 pour renouer avec une peinture bien réelle, insolente, pulsionnelle, une peinture combative, quasi expressionniste et aussi pleine d’humour critique. De l’autre Jean Pierre Raynaud, né en 1939, qui dès le début des années soixante, emploie de façon obsessionnelle des motifs et des objets liés à son histoire pour se les réapproprier en leur donnant une valeur formelle tout en intervenant légèrement pour leur offrir tout leur sens. Ainsi, des carreaux de céramique blanc de 15 cm de côté à joints noirs qui recouvrent sculptures, containers maritimes, architectures ; des containers médicaux en inox emplis de gravats d’une maison entièrement carrelée puis détruite ; des pots de fleurs Psycho-objets de toute taille remplis de ciment et peints de couleurs vives ou des panneaux de signalisation Sens interdits. En faisant le choix de présenter ces deux artistes en résonance, la Galerie Strouk – au-delà d’une recherche de correspondances ou de discordances entre leurs œuvres si singulières – permet d’assister au retentissement d’une sensibilité sur une autre, et inversement. Cette exposition inédite, à la fois par ses qualités historique et muséale, confirme l’engagement fort et le soutien années après années de la galerie envers ces deux artistes. « Ce qu’on apporte, c’est la peinture ! », affirme Jean Pierre Raynaud.


Robert Combas et Jean Pierre Raynaud façonnent en effet ce même matériau : la peinture. Au singulier dans ce qu’elle a de programmatique chez Jean Pierre Raynaud, au pluriel dans la variété infinie de ses manifestations chez Robert Combas. Ainsi, Raynaud convoque et décline, dans ses œuvres conçues entre 2007 et 2009, la puissance hallucinatoire de la marchandise « peinture » et de ses marques : Avi, Ripolin, Corona, Novémail, Renaulac, Nitrolac… exhibées comme des signalisations magnétiques et colorées dans l’obscurité du monde publicitaire et consumériste. Il le dira lui-même : « je me suis offert l’expérience de la peinture ! Pendant trois ans, j’ai rencontré la peinture ». C’est cette expérience qui lui permet aujourd’hui de rencontrer Combas qui, dans son rapport pulsionnel et corporel à la peinture, entre sans cesse dans l’hallucination elle-même et nous fait éprouver, par ses œuvres, ses perceptions ou sensations hors du commun. Jean Pierre Raynaud pense d’ailleurs la peinture de Robert Combas comme une jouissance qui s’échappe du tube, comme une sensualité tout droit sortie du corps ; là où il se dit lui-même être dans la « rectitude », ayant « fermé les yeux pour voir la peinture ». Robert Combas ouvre son corps pour faire surgir la peinture tandis que Jean Pierre Raynaud ferme les yeux pour la voir. Pourquoi ces deux-là ont-ils eu envie de montrer leurs œuvres ensemble ? Peut-être pour écrire en peinture une sorte de manifeste de l’amour. Ce sont deux façons d’appréhender la peinture qui se rencontrent, deux artistes formés depuis bien longtemps qui ne cherchent aucunement à s’influencer l’un l’autre. Chacun a son œuvre tout en respectant le talent de l’autre. « On apporte deux mondes qui ne s’excluent pas. C’est comme aimer la mer et la montagne, ou le versant Nord et le versant Sud. La peinture nous rassemble, c’est la profondeur qui nous unit. », avance Jean Pierre Raynaud. Profondeur de la mer ou hauteur de la montagne, ces deux mesures verticales se rejoignent au miroir de l’horizon.


Deux mondes se regardent ainsi en miroir incongru : celui du mental Jean Pierre Raynaud nous parlant d’introspection dans cette peinture qui se vide de toute peinture ; celui du chevalier Robert Combas nous parlant d’instinct et de conquête dans ces peintures qui débordent de peinture. Chez Jean Pierre Raynaud, l’œuvre est un manifeste. Ses productions offrent au regard les principes d’une morale vécue. Ainsi il en va du recueillement. Chez Robert Combas, l’œuvre est, au contraire, un combat. Ses productions offrent au regard les principes d’une bataille vécue. Ainsi il en va de l’effervescence. Robert Combas, Jean Pierre Raynaud, tous deux particularités de l’histoire de l’art. Aucun des deux ne cherche à se situer dans une histoire générale et contemporaine mais plutôt à interroger une histoire du fond des âges. Tous deux actionnent leur balancier propre qui les fait naviguer de leur cellule intérieure au monde extérieur, et vice versa. Chez Robert Combas, la cellule de la surface de la toile enferme la profusion. Comme chez Jean Pierre Raynaud où la cellule architecturale se recouvre de milliers de carreaux de céramique blanche (la Maison de la Celle-Saint-Cloud, le Mastaba de la Garenne-Colombes), ses pots de peinture, vides et renversés, exposent leurs couvercles colorés comme des signalétiques ou des totems à idolâtrer. Chez Jean Pierre Raynaud, l’expansion infinie des psycho-objets peut envahir tout espace. Comme chez Robert Combas l’expansion infinie de l’espace mental se manifeste par l’émiettement fabuleux de sa subjectivité. Quelque chose de très puissant rassemble finalement ces deux façons d’être : l’union de la mort et de la vie, toutes deux présentes autant dans la contemplation de l’un que dans le combat de l’autre. La mort se tient au cœur de la vie, au cœur de la création. C’est cette tension dialectique entre vie et mort, entre création et vanité, qui fait se tenir Robert Combas et Jean Pierre Raynaud au point de contact solide de deux instincts aussi profonds qu’énigmatiques.



CRÉDIT ARTISTE © Jean Pierre Raynaud

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES © Philippe Chancel : p.04 ; p.08 ; p.10 ; p.16 ; pp.25 à 100 ; p.102 ; p.110 © Daphné Raynaud : p.06 © Geneviève Boteilla Combas : p.101 © Philippe Bonan : p.103 © Harald Gottschalk : p.104

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Published by Strouk Gallery Exposition du 13.10.23 au 25.11.23 COORDINATION Marie Laborde & Juliette Susini TEXTES Catherine Millet Kristell Loquet Jean Pierre Raynaud CORRECTIONS Inès Frachon GRAPHISME Juliette Susini

Achevé d’imprimer en septembre 2023 sur les presses d’Agpograf, Barcelone, Espagne Dépôt légal octobre 2023 ISBN : 978-2-382031-60-5

www.stroukgallery.com PARIS 2, avenue Matignon, 75008 5, rue du Mail, 75002 T +33 1 40 46 89 06 contact@stroukgallery.com @stroukgallery @strouk_editions @laurentstrouk


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1982 ©Louis Jammes


BIOGRAPHIE 1957

Naissance de Robert Combas.

1980

Après le classicisme, Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne.

1981

Objekte und Bilder, galerie Eva Keppel, Düsseldorf. Galerie Swart, Amsterdam. Finir en beauté, chez Bernard Lamarche-Vadel, Paris. Ateliers 81/82, ARC-Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

1982

Statement One, galerie Holly Solomon, New York. Première exposition personnelle à Paris, galerie Yvon Lambert. Figuration Libre : Rémi Blanchard, François Boisrond, Robert Combas, Hervé Di Rosa, galerie Swart, Amsterdam. 2 Sétois à Nice, chez Ben Vautier, Nice.

1983

Exposition Blanchard, Boisrond, Combas, Di Rosa, Groninger Museum, à Groningue, Pays-Bas. Première exposition personnelle à New York à la galerie Leo Castelli. New French painting selection par Jérôme Sans, Riverside Studios and Gimpel Fils, Londres. Museum of Modern Art, Oxford. John Hansard Gallery, Southampton. Fruit Market, Edimbourg. Galerie Il Capricorno, Venise. Galerie Le Chanjour, Nice.

1984

Combas 1984, ARCA, Marseille, exposition organisée par Roger Pailhas, à l’occasion de laquelle paraît Combas 1984, premier catalogue monographique consacré à l’artiste avec un texte de Catherine Millet. Paris-New York, Robert Fraser Gallery, Londres, et Royal College of Art, Edimbourg. French spirit today, Université de Southern, California ; Fisher Art gallery, Los Angeles ; Museum of Contemporary Art, La Jolla. Figuration Libre : France-USA 5/5. ARC - Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

1985

Rétrospective au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne, puis au Gemeentemuseum d’Helmond, aux Pays-Bas, et au musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne au début de l’année suivante.

1986

Exposition personnelle à la galerie Léo Castelli, New York. La couleur depuis Matisse, Royal Scottish Academy à Edimbourg ; Musée des BeauxArts de Nantes ; Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Luxe, calme et volupté, Vancouver Art Gallery, Canada.

1987

Exposition personnelle, CAPC, Bordeaux ; Stedelijk Museum, Amsterdam. L’époque, la mode, la morale, la passion – Aspects de l’art aujourd’hui, 1977-1987, Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, Paris.

1988

La Guerre de Troie, galerie Yvon Lambert. Les Batailles, galerie Beaubourg, Paris. L’ Amour à 2, galerie Pierre Huber, Genève. Galerie Krings Ernst, Cologne. From the Southern Cross, a view of world art c.1940-1988, 1988 Australian Biennale of Sidney 1988, National Gallery of Victoria, Australie. Vraiment faux, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Jouy-en-Josas.


1993 Atelier de la rue Quincampoix, Paris ©Philippe Bonan

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1989

Nos années 80, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Jouy-en-Josas. Blue Gallery, Séoul, Corée du Sud.

1990

Wolf Schulz Gallery, San Francisco, USA. Combas/Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi ; musée de Blois et Taipei Fine Arts Museum, Taïwan. Avec un texte de Catherine Millet dans le catalogue de l’exposition. Andy Warhol System : Pub, Pop, Rock, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Jouyen-Josas.

1991

La Bible, galerie Beaubourg, Paris. Les Saints, galerie Yvon Lambert, Paris. L’ Amour de l’Art, 1ère Biennale d’art contemporain, Lyon. L’ excès & le retrait, XXIème Biennale internationale de Sao Paulo, Brésil.

1992

La mauvaise réputation, CRAC, Sète. Aquestécop, musée Paul Valéry, Sète. Too French, Contemporary French Art, exposition organisée par la Fondation Cartier pour l’art contemporain au Hong Kong Museum of Art, Hong Kong.

1993

Du simple et du double, ARC - Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

1994

Recent paintings, Institut français du Royaume-Uni, Londres. L’ art contemporain des artistes français d’aujourd’hui, Gwangju, Corée du Sud.

1995

La Musique et touti couinti, Fondation Coprim, Paris. Féminin - Masculin, le sexe de l’art, Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, Paris.

1996

Fantaisies héroïques, espace culturel, salle Fayet, Sérignan. Passions privées, ARC - Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

1997

Diou mé damné, Macarel ! Je fais une rétrospective, Villa Tamaris, La Seyne-sur-Mer. 20 ans, 1977-1997, 20ème anniversaire du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. De París a Bogotá, Entorno a la figura, quatro décadas de pintura francesa, Santafé de Bogotá, Colombie, puis Mexico, Mexique, en 1998.

1998

Entre deux guerres, Ben-Combas, Historial de la Grande Guerre, Péronne. L’ intraçable frontière, Le Festival Garonne, Toulouse.

1999

Tronche d’habits, Espace Cardin, Paris.

2000

Marilyn Combas, galerie Charlotte Moser, à Genève ; galerie Rachlin Lemarié, à Paris ; Dewart Gallery, à Bruxelles. Maï aqui ?, musée Paul Valéry, Sète. Présumés innocents, CAPC, Bordeaux.

2001

Les années chaudes, les années 80 de Robert Combas, Couvent des Cordeliers, musée de Châteauroux.

2003

Natures mortes-vivantes, galerie Guy Pieters, Knokke-le-Zoute, Belgique. Une saison Combas, Aix-en-Provence.

2005

Mots d’oreille, Magazzini del Sale, Venise. My Favorite Things, au Musée d’Art Contemporain de Lyon. Big bang – Destruction et création dans l’art du 20ème siècle, Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, Paris.

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2006

2007

2008 2009

2010 2012

2014

2015

2016

2017 2018 2019

2020 2021 2022 2023

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Savoir Faire, rétrospective itinérante en Corée du Sud : au Seoul Museum of Art à Séoul, au Gyeongnam Art Museum à Changwon, puis au Asiana Museum à Daejeon. La force de l’art, Grand Palais, Paris. Il était une fois Walt Disney, dans les Galeries nationales du Grand Palais, Paris. Cinéphage à gogo, La Malmaison, Cannes. Le Chemin de croix Combas-Kijno, Hospice d’Havré à Tourcoing, et Chapelle des Gobelins à Paris. La dégelée Rabelais, « Sens dessus dessous (le monde à l’envers) », CRAC, Sète. Qu’es Aco ?, Fondation Vincent Van Gogh, Arles. Le Frimeur flamboyant, Maison Européenne de la Photographie, à Paris. Freedom, diversity and oppression, au Danubiana Meulensteen Museum, Bratislava, Slovaquie. Dans l’œil du critique, Bernard Lamarche-Vadel et les artistes, ARC - Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Sans filet, les Goulamas sont dans le trou, Guy Pieters Gallery, Paris. Greatest Hits, on commence par le début, on termine par la fin, rétrospective au Musée d’Art Contemporain de Lyon. Pour la couleur c’est au 1er étage, galerie Laurent Strouk, Paris. Dans les tuyaux, hommage à Maryan, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris. Geneviève de toutes les couleurs, Grand Théâtre d’Angers. Les désastres de la guerre, Musée du Louvre-Lens, Lens. La Mélancolie à ressorts, Carré Sainte-Anne, Montpellier. Œuvres de Robert Combas (1982-1986), Collection Didier Moiselet, Palais du Tau, Reims. Un été à Sète et dans ma tête, donc un grand coup de poing dans la gueule (au sens figuré évidemment), Galerie Laurent Strouk, Paris. La fougue du pinceau, Musée du Touquet, Le Touquet Paris Plage. La Figuration Libre, Historique d’une aventure, Musée Paul Valéry, Sète. Robert Combas est invité par Michel Houellebecq dans son exposition Rester vivant au Palais de Tokyo, Paris. Les Combas de Lambert, Collection Lambert en Avignon. Rétrospective au Grimaldi Forum à Monaco, où Laurent Strouk présente un ensemble de grands formats des années 80 et 90. Pas droit, Château de Chamarande. Le théâtre de la mer, œuvres récentes, Galerie Laurent Strouk, Paris. Terrain de je, Ben-Combas-Parant, Villa Beatrix Enea, Anglet. Entre quatre zieux, œuvres croisées de Robert Combas et Jean-Luc Parant, Galerie Pierre-Alain Challier, Paris. Plein la tête, Strouk Gallery, Paris. Robert Combas chante Sète et Georges Brassens, Musée Paul Valéry, Sète. Labyrinthe de têtes, Strouk Gallery, Paris. La nature de Robert Combas, Château de l’Hospitalet, Narbonne. Peinture, Robert Combas et Jean-Pierre Raynaud, Strouk Gallery, Paris. Soleil Triste, MO.CO. Panacée, Montpellier.


1999 Atelier de la rue Quincampoix.

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2016 Atelier d’Ivry-sur-Seine ©Harald Gottschalk

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BIBLIOGRAPHIE Sélection Robert Combas, monographie, texte de Bernard Marcadé, éditions de la Différence, Paris, 1991 Robert Combas, monographie, texte de Philippe Dagen, éditions Snoeck à Gand ; éditions Paris-Musées à Paris, 2005 Écrits d’œuvres, éditions du Panama, Paris, 2006 Robert Combas, monographie, texte de Philippe Dagen, Linda et Guy Pieters Publishers, 2010 Greatest Hits, on commence par le début, on finit par la fin, rétrospective de Robert Combas, cat. d’exposition, éditions Somogy, Paris, 2012 La Mélancolie à ressorts, éditions Lienart, Paris, 2014 Un été à Sète et dans ma tête, cat. d’exposition, éditions Galerie Laurent Strouk, Paris, 2015 Les Combas de Lambert, éditions de l’Amateur, collection Lambert, 2016 Étincelles, entretien de Robert Combas avec Loïc Bodin, Les éditions de Juillet, 2016 Les années 80-90, Philippe Dagen, éditions Lienart & Galerie Laurent Strouk, 2016 Plein la tête, éditions Lienart et Strouk Gallery, Paris, 2020 Robert Combas chante Sète et Georges Brassens, cat. d’exposition Musée Paul Valéry, éditions Loubatières, 2021 Coffret Intégrale Brassens 10 Vinyles, édition limitée. Illustrations de Robert Combas, Universal, 2021 Labyrinthe de têtes, éditions Lienart et Strouk Gallery, Paris, 2021 La nature de Robert Combas, Château de l’Hospitalet, 2022 Entre quatre zieux, éditions Marcel Le Poney, 2022 Peinture, Combas-Raynaud, cat. d’exposition, éditions Strouk Gallery, Paris, 2023

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1993 Atelier de la rue Quincampoix, Paris ©Philippe Bonan

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Catherine Millet est critique d’art, commissaire d’exposition et écrivain français. En 1972, avec son compagnon Daniel Templon et le collectionneur Hubert Goldet, elle fonde la revue «Art Press» dont elle est toujours directrice de la rédaction.

Il y a fort à parier que lorsque les visiteurs de cette exposition en parleront à ceux qui ne l’auront pas, pas encore, ou ne pourrons plus la visiter, en disant simplement « j’ai vu une exposition qui réunissait Robert Combas et Jean Pierre Raynaud », ils susciteront chez leur interlocuteur l’étonnement, quand ce ne sera pas le scepticisme. Surtout quand ils préciseront à cet interlocuteur que l’exposition n’est pas l’effet de quelque stratégie menée par leur galerie commune (même s’il fallait bien évidemment compter sur la complicité de celle-ci), mais bien d’un désir des artistes eux-mêmes qui, amenés à s’y croiser, à regarder ce que l’un et l’autre y exposent et à le respecter, s’amusent, alors que j’écris ces lignes, à la préparer et à en imaginer l’accrochage. Tel est bien l’art de notre temps, incarné dans des formes à la fois les plus extrêmes et les plus opposées, parce que non plus l’émanation d’une classe cultivée plus ou moins circonscrite et unie, mais l’expression d’individus usant au maximum de leur liberté. Si au temps des avantgardes, du début du 20e siècle et jusque dans les années 1970, un grand nombre d’artistes agissaient sous le couvert de manifestes péremptoires et de diktats, les nouvelles générations ont depuis secoué ces derniers jougs. Je ne connais rien de plus jubilatoire aujourd’hui qu’un artiste qui vous amène à découvrir les qualités d’une œuvre n’ayant rien à voir avec la sienne. Qui savait jusqu’à un livre récemment paru, Les Deschamps de Raynaud (Éditions du Regard) que Jean Pierre Raynaud était le plus important collectionneur de Gérard Deschamps ? Qui aurait cru au début des années 1980 que, dans les années 2000, Robert Combas signerait des tableaux avec Kijno ? Si les partis-pris bien arrêtés, l’esprit clanique n’ont pas complètement disparu du monde de l’art contemporain, ils sont désormais

le fait d’admirateurs ou de critiques nostalgiques, ou d’amateurs obsessionnels, et beaucoup moins des artistes, munis, par définition, de puissants capteurs pour détecter l’art authentique où qu’il se trouve. Mon histoire personnelle, si je peux me permettre d’en dire quelque mots, s’inscrit dans ce mouvement. Dans les premières années où j’exerçais mon activité de critique, que ne m’a-t-on pas reproché les procédés drastiques des artistes conceptuels sur lesquels j’écrivais, et le dogmatisme des peintres de Support-Surface auxquels je m’intéressais simultanément ! Mais précisément, je défendais les deux, également attentive à la déconstruction de l’œuvre d’art que les uns, grâce à leurs dispositifs didactiques, les autres, avec leurs matériaux et leurs outils traditionnels de peintre, opéraient. Préparant ce texte, je ne peux pas ne pas me souvenir que l’exposition conjointe de Jean Pierre Raynaud et de Daniel Pommereulle à la Galerie Mathias Fels en 1966 fut la toute première exposition de ma vie que je visitais, et mon article sur Raynaud, trois ans plus tard dans Les Lettres françaises, un des tout premiers que j’écrivis. D’être tombée d’emblée dans l’univers de cet artiste — alignements de pots et murs de tôle émaillée — m’a peut-être préparée au dépouillement hermétique et à la sérialité de l’art minimal auquel je consacrerai par la suite beaucoup de textes. Et je dois reconnaître que je tombais des nues lorsque Roger Pailhas, qui avait créé le centre d’art de l’ARCA à Marseille, me demanda, à moi, connue pour mes engagements auprès des artistes conceptuels et des peintres abstraits, de participer à un catalogue sur Robert Combas en 1984. J’avais accepté, décidée à me confronter à ce nouveau venu, inattendu et plutôt excentrique dans mon panorama. Je m’en étais tirée en parlant d’une « enfance de l’art », rapprochant, entre autres, l’anti-intellectualisme affiché par la Figuration libre, mouvement auquel participait Combas, de la table rase dadaïste ou de la déculturation prônée par Jean Dubuffet. (Il me serait difficile aujourd’hui de conserver le même raisonnement !) En 1990, lorsque j’avais eu à commenter le travail réalisé puis exposé au Musée Toulouse-Lautrec d’Albi, j’avais suivi un raisonnement nettement plus formaliste et avais été particulièrement attentive à l’usage des coulures. Bref, mon approche avait été celle d’une critique rodée à la peinture abstraite.

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La présente exposition réunit (il serait absurde de dire qu’elle « confronte ») une série d’assemblages — pots de peinture, enseignes en métal laqué, plexiglas — de Jean Pierre Raynaud, datée de 2007, 2008 et 2009, intitulée « Peinture », et des peintures — acrylique sur toile — de Robert Combas, toutes récentes, réalisées en prévision de l’exposition. La plupart des peintures de Combas se caractérisent par la présence d’un grand visage dessiné d’un trait de couleur épais par-dessus la scène représentée et à une échelle qui lui fait occuper, dans la plupart des cas, la presque totalité de l’espace. Cela engendre un effet de frontalité qu’on peut, très vaguement, rapprocher de celui produit depuis toujours par les œuvres de Raynaud. S’ajoute que Combas se plaît à dire que, pour l’occasion, il a utilisé des couleurs pures, sortant du pot. Ainsi, si la série « Peinture » de Raynaud rendait hommage à un médium qui est celui de Combas, et qui garde sans doute son pouvoir d’attraction pour celui qui a choisi de ne pas y toucher — Raynaud n’a-t-il pas écrit, dans une sorte de petit manifeste accompagnant la première exposition de cet ensemble à la Galerie Trigano, en 2008 : « pour moi la peinture c’était un fantasme, c’était aussi la noblesse de l’Art » ? —, on peut dire que les toiles récentes de Combas contiennent quelques clins d’œil à la pratique de Raynaud. Et on s’arrêtera là. C’était lors d’une visite en compagnie d’un ami, Olivier Kaeppelin, que j’avais découvert la série « Peinture », déployée dans la maison de Barbizon que Raynaud occupait alors. Sur le chemin du retour, Olivier et moi étions tombés d’accord : c’était du « pur Raynaud ». Cela sous-entendait que les œuvres avaient cette simplicité, cet impact propre à un signal (certaines stèles ne vont pas sans faire penser à des sémaphores) qui caractérisent l’ensemble du travail de l’artiste, lorsqu’il semble que l’objet qui attrape notre regard est le produit d’un geste, d’une idée fulgurante. Qualité qui correspond à ce que Hector Obalk, pour une exposition en 1985 (qui d’ailleurs n’incluait pas Raynaud, mais Boisrond, Lavier, Warhol…), avait appelé « l’art évident ». Des images, des objets qui se livrent dans « une apparente lecture immédiate », mais qui n’en demandent pas moins qu’on s’interroge sur ce que leurs surfaces lisses dissimulent. Ce n’est jamais aussi vrai qu’avec Jean Pierre Raynaud chez qui l’interdit et l’enfouissement sont les thèmes constants et paradoxaux. Dès le début, il s’est agi d’occulter avec du ciment l’intérieur des pots de fleur, de même que « Peinture » prive à jamais d’une matière colorée, seulement

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représentée sur le couvercle du pot de peinture qu’on ne soulèvera jamais. Avant cela, il y eut le sens interdit (lui-même barré !), les échelles qui butent au plafond, les cuves opaques dans le fond desquelles disparaît une jauge, et plus tard les grands pots s’enfonçant dans le sol, ou ceux immergés en Mer Rouge, et encore un projet de maison enterrée en 1971, que la Maison de la Celle-Saint-Cloud de plus en plus fermée réalise d’une certaine façon, puis le Mastaba de La Garenne-Colombes, en partie souterrain comme ses modèles de l’ancienne Égypte. Il y eut aussi en 2005 le projet pour la base sousmarine de Bordeaux qui consistait à placer deux authentiques bannières portant des croix gammées dans un bunker construit par les Allemands pendant la guerre, avant de refermer celui-ci hermétiquement et définitivement. Le projet fut censuré, définitivement « enterré ». J’ai eu un jour l’occasion d’assister à une conférence de Jean Pierre Raynaud sur tous ses projets au sens figuré « enterrés ». Il les évoquait avec beaucoup d’humour ; pour lui, ils existaient autant que les projets réalisés. À l’opposé, ça crève les yeux, Robert Combas exhibe. Si, avec le projet abandonné pour la base sous-marine, Raynaud, en dérobant au regard le symbole nazi, avait cherché à provoquer la prise de conscience d’un refoulé de l’histoire, Combas, de son côté, n’a jamais hésité à enfreindre une autre sorte de tabous, sexuels ceux-là. Ses figures et leurs postures ont beau être caricaturales, dans certains cas, leur charge pornographique, soutenue par la crudité de leurs longs et très explicites titres, s’adresse directement aux sens du spectateur. S’il est prolifique, c’est parce qu’il s’autorise à tout peindre. Il nous a montré des scènes d’amour comme des scènes de guerre ou de beuverie et je suis certaine qu’il a choqué plus d’un.e qui pouvait lui reprocher une inspiration vulgaire ou des mots obscènes, glissés dans les interstices du dessin. Mais, loin des scènes vivement brossées du début, et parce qu’il a vite, et par la force des choses, abandonné la posture de l’étudiant des beaux-arts turbulent qui ne veut rien savoir de ses aînés, Combas s’est attaqué à l’histoire de la peinture, a refait à sa façon Toulouse-Lautrec et Poussin, les Marilyn d’Andy Warhol et les Vélasquez de Francis Bacon, a parcouru l’Ancien et le Nouveau Testament. Ce qui ne l’empêche pas de revenir actuellement à des thèmes plus personnels ou à des sujets de l’actualité, la Fashion Week, ou le jeune banlieusard déboulant dans la capitale,


armé d’une matraque. Combas peint comme s’il s’agissait d’attraper dans le filet serré de son cerne noir l’intégralité du monde visible, du monde visible tel que l’imaginaire le malmène. Alors, il n’y a jamais assez d’espace sur une toile. Il faut que l’enveloppe de ses personnages se charge non seulement d’indications graphiques, muscles, plis du vêtement, mais aussi de personnages, voire de scènes secondaires, et il faut que l’air autour d’eux en accueille tout autant, comme s’ils exhalaient l’intégralité des images qui leur traversent la tête. Sous la contrainte, si j’ose dire, la composition des tableaux s’est au fil du temps structurée. Elle peut adopter, comme on le voit ici, une très classique composition en symétrie ou la solide mise en place du portrait équestre, et distinguer savamment des plans sans pour autant renoncer à la couleur en aplat. Toutefois, inévitablement, il arrive que ça se re-complique : lorsque l’expression du grand visage central est donnée par la gesticulation des figures à l’arrière (Tête ravagée…), ou lorsque un personnage secondaire passe le bras à travers le plan virtuel où s’inscrit la grande tête (Le Cri du silence…). Je ne suis pas très étonnée d’entendre Combas dire qu’il a toujours bien aimé l’art cinétique. Souvent, il opère une saturation graphique, soit par accumulation de signes abstraits, soit par répétition presque subliminale d’un même profil (Attaque entre deux clans différents…) qui produisent pareillement des effets hallucinatoires. Il explique le procédé bien plus synthétiquement que je ne tente de le faire : « établir, après la destruction de tout, un zeste de composition pour obtenir un semblant de discipline et foudroyer le regardeur ».

COMBAS PEINT COMME S’IL S’AGISSAIT D’ATTRAPER DANS LE FILET SERRÉ DE SON CERNE NOIR L’INTÉGRALITÉ DU MONDE VISIBLE, DU MONDE VISIBLE TEL QUE L’IMAGINAIRE LE MALMÈNE.

Je suis ce regardeur foudroyé. Si je devais en critique consciencieuse décrire (je ne dis pas expliquer !) ce qui se passe dans un tableau de Combas, on me verrait m’écrouler d’épuisement avant d’avoir accompli ma tâche. Et si je décidais de relever le défi des silences de Raynaud, c’est sur un divan qu’on m’inviterait à aller poursuivre une interminable psychanalyse. L’artiste avait prévenu : « il n’y a aucun confort dans mes œuvres, ni pour moi, ni pour vous. » Cinquante-quatre ans après mon premier texte sur Jean Pierre Raynaud, et trente-neuf ans après le premier sur Robert Combas, je sais enfin pourquoi ce sont l’un et l’autre, si différents, de grands artistes : l’un comme l’autre étant fermement décidés à tout faire pour aller jusqu’au bout, ils me font rendre les armes.

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2023 Acrylique sur toile 138,5 x 204 cm

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Tête ravagée de ressentir et d’entendre les balles toute la journée. Quelle dégueulasserie de traiter de nazis des enfants ou même leurs parents, en mélangeant tout et en se trompant de camp et en plus rien comprenant.

2023 Acrylique sur toile 146 x 114 cm

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Attaque entre deux clans différents, mais on dirait les mêmes. Au milieu des tournesols du dieu soleil déguisé en plantes, ils s’écharpent et vont jusqu’au meurtre pour la patrie et pour le pognon.

2023 Acrylique sur toile 204 x 210 cm

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2023 Acrylique sur toile 208,5 x 199 cm Titre pages suivantes

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Le vin, mariage de tout et du bien. Le vin comme du sang sorti de la terre et du ciel sort son liquide divin grâce à l’homme providentiel. Avec l’aide de l’eau du ciel, de la terre. L’homme tire du sol le breuvage divin plein de goût et de couleur.

2023 Acrylique sur toile 127,5 x 93 cm

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En écoutant Capitaine Cœur de bœuf, j’ai créé ce portrait en pied de Don Van Vliet (c’est son vrai nom), entouré de cerceaux, il danse la danse du Mojave dans son désert. Le désert de Don Van Vliet.

2023 Acrylique sur toile 116 x 81 cm

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2023 Acrylique sur toile 203 x 207 cm Titre pages suivantes

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Le cracheur d’eau pour arroser le vert qui est censé recouvrir la terre. Presque cubiste mais pas réaliste. Graphique du crachoir. Il aura jamais assez de salive pour arroser toute la terre.

2023 Acrylique sur toile 116 x 89 cm

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Dansez les p’tits oiseaux, dansez la danse de l’espoir, dans un monde inventé où les fleurs dansent en cadence avec des gens à branches de bras. Le tirailleur tire en douceur avec des pistolets à amorces annonceurs de désordre qui fait pas peur.

2023 Acrylique sur toile 203 x 203 cm

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2023 Acrylique sur toile 190 x 200 cm Titre pages suivantes

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Tête orange reposée. Tête ressemblant légèrement à Jean Claude Boteilla, d’après sa fille. Une figure pleine, orange et forte, du moins je l’espère.

2023 Acrylique sur toile 100 x 81 cm

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2023 Acrylique sur toile 190 x 195 cm Titre pages suivantes

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Les frères et sœurs Ripolin

2023 Acrylique sur toile 194 x 165 cm Titre pages suivantes

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Les frères et sœurs Ripolin (pour ne vexer personne). Il était une fois 4 petits hommes, ou femmes et hommes, ou hommes et femmes, qui voyageaient en traversant une forêt luxuriante qu’ils ne connaissaient pas. C’étaient des pionniers qui cherchaient un endroit où habiter, planter, chasser, pêcher. Enfin Tout quoi.

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Le fils Regler. Non ! Un des fils Regler en visite dans mon jardin ! Il nous a expliqué que l’Art et la Nature, ici, ne faisaient plus qu’un. Du coup, j’ai fait son portrait ou plutôt le croquis de ses yeux et de sa bouche souriant aux éléments comme un enfant qu’il est encore. C’est un gai pinson.

2023 Acrylique sur toile 146 x 114 cm

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2023 Acrylique sur toile 199 x 201 cm Titre pages suivantes

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Tirage de feu sur membres de la Fashion Week en goguette. Et moi, j’en ai ras la quiquète. Violence dans la rue en rayon de couleur.

2023 Acrylique sur toile 191 x 202 cm

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Discussion entre chimères et anciens monstres Renaissance, maintenant transformés en monstres B-D manganoïdes. Ce qui veut dire que ces monstres ont peut-être un air japonisant. Les Japonais aiment beaucoup les monstres.

2023 Acrylique sur toile 146 x 114 cm

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2023 Acrylique sur toile 204 x 197 cm Titre pages suivantes

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Guerrière croisée à galoche de griffe, chignon de couleur marron et, derrière, des habitations, armes aiguisées comme une guerrière du Moyen-Âge déguisée en guerrière d’influence africaine.

2023 Acrylique sur toile 210 x 95 cm

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La Isis qui chie. Elle a la tête comme le cul ! Elle est crispée comme ses pieds. Elle est de chaque côté de la Méditerranée.

2023 Acrylique sur toile 210 x 102 cm

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Meurtre, attaque, violence, masque, feuilles vertes, cuisses charnues. Tête en ressorti assez puissant pour perturber les sens un petit peu.

2023 Acrylique sur toile 146 x 114 cm

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2023 Acrylique sur toile 201 x 192cm Titre pages suivantes

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Double regard d’une histoire entre un type qui ne sait plus où il en est entre lui et lui, et deux femmes ayant eu des histoires entre elles et elles.

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égalent deux regards différents en même temps. Expliquez-moi s’il y a anguille sous roche ou pas.

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Oiseau chanteur, jolie fleur siffleur, mais des fois se transforme et d’un seul coup devient Oizo gueuleur, oiseau râleur, oiseau vidangeur à toutes les heures.

2023 Acrylique sur toile 116,5 x 89 cm

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Croque les feuilles, savoure-les, lèche la fleur, régale-toi ! Pendant que la grenouille se présente à l’image et son graphisme sur sa peau nous le répète bien, de partout, Elle s’appelle Gégé (GGGG !)

2023 Acrylique sur toile 198 x 190 cm

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2023 Acrylique sur toile 193 x 171cm Titre pages suivantes

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Alors, lui c’est un type qui se promène sur son éléphant rouge qui court comme d’autres volent. Dans le léger soir du mois d’août, quand les grosses chaleurs baissent un peu. Et le sol fait

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Le son du sol parterre ! On se croirait en lévitation ensoleillée, en plein paysage d’été psychédélique.

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Après sa rencontre en 1999 avec Jean-Luc Parant à l’école des Beaux-Arts de Paris, Kristell Loquet se met à écrire sous forme de nouvelles le récit de ses géographies et voyages amoureux avec l’homme qu’elle aime et dont elle partage aussi la vie de travail. Depuis 2005, elle anime les éditions Marcel le Poney, spécialisées dans le genre de l’entretien et diffusées par les éditions Actes Sud. Depuis 2016, elle anime chaque été des entretiens avec des poètes et des artistes dans le cadre du festival Voix Vives à Sète.

D’un côté Robert Combas, né en 1957, marqué par les arts populaires, le Pop art, la bande dessinée, le rock, la publicité. Dès le début de son œuvre, il se détache des mouvements conceptuels des années 1970 pour renouer avec une peinture bien réelle, insolente, pulsionnelle, une peinture combative, quasi expressionniste et aussi pleine d’humour critique. De l’autre Jean Pierre Raynaud, né en 1939, qui dès le début des années soixante, emploie de façon obsessionnelle des motifs et des objets liés à son histoire pour se les réapproprier en leur donnant une valeur formelle tout en intervenant légèrement pour leur offrir tout leur sens. Ainsi, des carreaux de céramique blanc de 15 cm de côté à joints noirs qui recouvrent sculptures, containers maritimes, architectures ; des containers médicaux en inox emplis de gravats d’une maison entièrement carrelée puis détruite ; des pots de fleurs Psycho-objets de toute taille remplis de ciment et peints de couleurs vives ou des panneaux de signalisation Sens interdits. En faisant le choix de présenter ces deux artistes en résonance, la Galerie Strouk – au-delà d’une recherche de correspondances ou de discordances entre leurs œuvres si singulières – permet d’assister au retentissement d’une sensibilité sur une autre, et inversement. Cette exposition inédite, à la fois par ses qualités historique et muséale, confirme l’engagement fort et le soutien années après années de la galerie envers ces deux artistes. « Ce qu’on apporte, c’est la peinture ! », affirme Jean Pierre Raynaud.

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Robert Combas et Jean Pierre Raynaud façonnent en effet ce même matériau : la peinture. Au singulier dans ce qu’elle a de programmatique chez Jean Pierre Raynaud, au pluriel dans la variété infinie de ses manifestations chez Robert Combas. Ainsi, Raynaud convoque et décline, dans ses œuvres conçues entre 2007 et 2009, la puissance hallucinatoire de la marchandise « peinture » et de ses marques : Avi, Ripolin, Corona, Novémail, Renaulac, Nitrolac… exhibées comme des signalisations magnétiques et colorées dans l’obscurité du monde publicitaire et consumériste. Il le dira lui-même : « je me suis offert l’expérience de la peinture ! Pendant trois ans, j’ai rencontré la peinture ». C’est cette expérience qui lui permet aujourd’hui de rencontrer Combas qui, dans son rapport pulsionnel et corporel à la peinture, entre sans cesse dans l’hallucination elle-même et nous fait éprouver, par ses œuvres, ses perceptions ou sensations hors du commun. Jean Pierre Raynaud pense d’ailleurs la peinture de Robert Combas comme une jouissance qui s’échappe du tube, comme une sensualité tout droit sortie du corps ; là où il se dit lui-même être dans la « rectitude », ayant « fermé les yeux pour voir la peinture ». Robert Combas ouvre son corps pour faire surgir la peinture tandis que Jean Pierre Raynaud ferme les yeux pour la voir. Pourquoi ces deux-là ont-ils eu envie de montrer leurs œuvres ensemble ? Peut-être pour écrire en peinture une sorte de manifeste de l’amour. Ce sont deux façons d’appréhender la peinture qui se rencontrent, deux artistes formés depuis bien longtemps qui ne cherchent aucunement à s’influencer l’un l’autre. Chacun a son œuvre tout en respectant le talent de l’autre. « On apporte deux mondes qui ne s’excluent pas. C’est comme aimer la mer et la montagne, ou le versant Nord et le versant Sud. La peinture nous rassemble, c’est la profondeur qui nous unit. », avance Jean Pierre Raynaud. Profondeur de la mer ou hauteur de la montagne, ces deux mesures verticales se rejoignent au miroir de l’horizon.

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Deux mondes se regardent ainsi en miroir incongru : celui du mental Jean Pierre Raynaud nous parlant d’introspection dans cette peinture qui se vide de toute peinture ; celui du chevalier Robert Combas nous parlant d’instinct et de conquête dans ces peintures qui débordent de peinture. Chez Jean Pierre Raynaud, l’œuvre est un manifeste. Ses productions offrent au regard les principes d’une morale vécue. Ainsi il en va du recueillement. Chez Robert Combas, l’œuvre est, au contraire, un combat. Ses productions offrent au regard les principes d’une bataille vécue. Ainsi il en va de l’effervescence. Robert Combas, Jean Pierre Raynaud, tous deux particularités de l’histoire de l’art. Aucun des deux ne cherche à se situer dans une histoire générale et contemporaine mais plutôt à interroger une histoire du fond des âges. Tous deux actionnent leur balancier propre qui les fait naviguer de leur cellule intérieure au monde extérieur, et vice versa. Chez Robert Combas, la cellule de la surface de la toile enferme la profusion. Comme chez Jean Pierre Raynaud où la cellule architecturale se recouvre de milliers de carreaux de céramique blanche (la Maison de la Celle-Saint-Cloud, le Mastaba de la Garenne-Colombes), ses pots de peinture, vides et renversés, exposent leurs couvercles colorés comme des signalétiques ou des totems à idolâtrer. Chez Jean Pierre Raynaud, l’expansion infinie des psycho-objets peut envahir tout espace. Comme chez Robert Combas l’expansion infinie de l’espace mental se manifeste par l’émiettement fabuleux de sa subjectivité. Quelque chose de très puissant rassemble finalement ces deux façons d’être : l’union de la mort et de la vie, toutes deux présentes autant dans la contemplation de l’un que dans le combat de l’autre. La mort se tient au cœur de la vie, au cœur de la création. C’est cette tension dialectique entre vie et mort, entre création et vanité, qui fait se tenir Robert Combas et Jean Pierre Raynaud au point de contact solide de deux instincts aussi profonds qu’énigmatiques.

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CRÉDIT ARTISTE © Robert Combas

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES © Louis Jammes : p.08 © Philippe Bonan : p.10 ; p.17 ; p.99 © Harald Gottschalk : p.14 ; p.95 © Romain Darnaud - reproduction des œuvres - pp.24 à 91 © Philippe Chancel : p.96 ; p.98 ; p.100 © Geneviève Combas : p.97 ; p.106

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Published by Strouk Gallery Exposition du 13.10.23 au 25.11.23 COORDINATION Geneviève Combas Marie Laborde Juliette Susini TEXTES Catherine Millet Kristell Loquet Robert Combas CORRECTIONS Kristell Loquet Inès Frachon GRAPHISME Juliette Susini

Achevé d’imprimer en septembre 2023 sur les presses d’Agpograf, Barcelone, Espagne Dépôt légal octobre 2023 ISBN : 978-2-382031-60-5

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www.stroukgallery.com PARIS 2, avenue Matignon, 75008 5, rue du Mail, 75002 T +33 1 40 46 89 06 contact@stroukgallery.com @stroukgallery @strouk_editions @laurentstrouk


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