CUT & CLASH

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4 Cut & Clash 5, rue du Mail
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CUT & CLASH

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Texte d’Amélie Adamo

À l’origine de Cut & Clash, il y a l’envie de rassembler dans le disparate. L’envie de redonner à sentir ce qui dans la peinture est continuité, porosité, dialogue permanent. C’est là d’abord peut-être un désir politique. Celui de se positionner contre une lecture institutionnelle de la peinture en France. Une lecture un peu trop étroite. Frileuse. Une lecture qui a tendance à privilégier l’idée avant-gardiste de progrès irréversible, de rupture, de table rase. Une lecture qui a tendance à mettre aux bancs des peintres pourtant majeurs, à les plonger injustement dans l’ombre. Soit qu’elle décrète la fin de la peinture figurative, pratique taxée passéiste, ringardisée. Soit qu’elle récupère ce médium en vogue sur le marché en exultant sur la moindre nouveauté, comme si rien n’avait eu lieu avant ou était devenu « hors-circuit ». Diktat de la jeunesse plus absurde encore dans le cas de la peinture qui est un médium difficile et relève d’un temps long, qui gagne techniquement en maturité et se définit par essence comme intemporel.

Jeunes éternellement sont les aînés d’hier.

Trois générations d’artistes sont ici convoquées. Les « aînés » qui ont émergé dans les années 1960 et 1980 (de la Figuration Narrative, aux autres nouvelles figurations et à la Figuration Libre). Les plus « jeunes » dont la majorité a émergé au début des années 2000. Trois générations d’artistes qui ont ceci en commun d’avoir renouvelé le visage de la peinture figurative en France alors qu’une large part de l’institution et de la scène artistique en décrétait la fin. Ce qui apparait aujourd’hui avec force ? C’est la présence vivante et permanente de ces figurations contre la réalité de laquelle se brise cette fiction délirante de la rupture, purement idéologique. Bien évidemment que la peinture vivante n’a eu que faire des discours progressistes et n’a cessé de se réinventer, comme toujours et depuis bien longtemps. Bien évidemment qu’entre ces trois générations il existe des liens que l’on ne peut effacer.

Bien sûr que les aînés ont apporté aux plus jeunes. Certains ont été professeurs aux beaux-arts comme Pat Andrea ou Vladimir Veličković et ont tissé des liens profonds avec certains de leurs élèves. Mais plus généralement, de la Figuration Narrative à la Figuration libre, l’œuvre des aînés a été un jalon pour cette nouvelle génération qui cherchait à renouveler la peinture figurative dans un pays où l’institution y demeurait largement réfractaire. Dans la peinture des aînés, cette nouvelle génération trouve, non pas forcément une influence directe ou littérale, mais plutôt une impulsion créative et une liberté qui résonne avec leur propre désir de peindre. Faisant fi des tables rases et des modes progressistes, les plus jeunes ont regardé la peinture des aînés bien sûr. Mais cette porosité marche dans les deux sens : les plus jeunes ont aussi apporté aux aînés. Mutuellement ils se sont regardés, exposés, collectionnés. Bien évidemment que leurs œuvres transcendent la question de l’âge et qu’elles se répondent par affinités ou par réactions. Elles se regardent et dialoguent dans ce qu’elles ont de vivant, d’actuel, ici et maintenant.

Des aînés aux plus jeunes, les artistes réunis dans l’exposition Cut & Clash s’inscrivent tous à différents degrés dans une histoire du collage et du montage dans laquelle la première modernité a insufflé

une énergie nouvelle. Couper. Coller. Avec des ciseaux ou dans sa tête. S’approprier. Remixer. Faire peinture, faire dessin, avec du déjà-là. Prendre une image existante et la transformer pour en faire une nouvelle. L’histoire ne date pas d’hier. Mais à ce jeu-là la première modernité a été un jalon essentiel. De Manet à Picasso, de dada aux surréalismes, de l’art brut aux expressionnismes : la modernité a renouvelé les bases de la représentation à travers une pratique libre de l’image qui a absorbé les mutations du monde, de l’impact de l’industrialisation aux grandes tragédies mondiales. Séisme dans l’histoire des académismes et des néoclassicismes, la modernité s’est imposée avec une arme imparable : la liberté.

Liberté d’ouvrir et de casser l’image pour la tirer plus encore vers la pulsation de la vie. Liberté de mettre en tension la main et la machine, d’intégrer dans l’œuvre de l’hétérogène. Liberté de se dégager d’une vision classique et unitaire pour repenser une image sous haute tension, lieu de déflagration plastique, temporelle ou symbolique. Liberté du « je » et des subjectivités en mouvement contre les carcans d’une tradition figée et contre l’ordre fossilisé des valeurs établies. Liberté de révéler la « fabrique-à-image » comme fiction monstrueuse et pratique libre, multiple dans sa forme comme dans son sens. Liberté de rejeter l’illusionnisme de la mimésis et la perfectibilité des reproductions mécaniques pour aller vers la puissance de l’imaginaire et d’un réel réinventé. Liberté d’aller où bon vous semble, sans entrave, de faire exploser et les limites du style et les limites des catégorisations.

Cette première modernité est à l’origine d’une vision morcelée et ambivalente de l’homme qui résonne encore aujourd’hui face à de nouveaux morcellements et mutations du monde. Elle ouvre grand les possibles d’une pratique libre de l’image dans laquelle s’inscrivent à différents degrés les artistes réunis dans Cut & Clash. Oui, des aînés aux plus jeunes, les artistes exposés sont héritiers de cette modernité. Mais cet héritage est digéré dans des langages singuliers, brassé à mille autres référents. Que ce soit par l’apport d’un musée imaginaire où l’art se donne sans aucune limite d’époques ou de styles. Ou que ce soit par l’apport d’autres sources, comme le cinéma, la photographie, la musique, la littérature ou la bande dessinée. Si tant est qu’il demeure impossible de réduire ces artistes à une famille ou une étiquette.

Dans des esprits et des formes différentes, leurs œuvres jouent du clash visuel, entre High and Low culture, les images et les styles d’hier et d’aujourd’hui se télescopent. Ici hyperréalistes, là plus brutes et expressionnistes, les œuvres dérangent par leur ambivalence. Toutes déstabilisent le regard qui va du Dark au pop acidulé, d’une réalité frontale aux plongées imaginaires. Dans des modes opératoires variés, chacun des artistes manipulant et transformant différemment les images sources, jouant tantôt de la machine et d’un rendu lisse, tantôt d’un travail plus libre de la main et de l’imaginaire, chacun réinvente à sa manière les techniques de montage et de collage pour donner à sentir diverses pulsations du monde. Certaines démarches font plus ouvertement face à la violence d’une réalité historique et sociale : pour elles, le langage formel qui coupe et prolifère dit le morcellement de l’homme dans le broyeur tragique de la grande Histoire ou dans le flux ininterrompu de la folie consumériste. D’autres ont plutôt tendance à nous plonger dans les ambivalences de l’intériorité : dans la mécanique du bizarre et de l’absurde, du fantasme et de la mémoire.

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Les fêlures tragiques de l’Histoire

De Picasso au cubisme, de dada au surréalisme, dans des degrés différents de radicalité et de rupture avec la tradition, se redéfinissent les bases de la représentation et s’ouvrent de nouvelles possibilités dans la manipulation des images. Pour les uns, la subversion radicale, qui déplace le champ de la peinture vers le photomontage, devient outil politique corrosif. Pour les autres, la pratique libre de l’image et du cadavre exquis, mais aussi l’exploration des possibilités expressives de techniques et matériaux hétérogènes, permettent de redéfinir une nouvelle beauté directement ouverte sur les profondeurs ambivalentes de l’intériorité.

Tout comme Picasso, les artistes dadaïstes et surréalistes, trouvent dans la liberté d’une esthétique de l’hétérogène un moyen de renverser les valeurs établies imposées par la tradition et la société. Leur pratique libre et morcelée de l’image est une réponse à la pulvérisation et à l’absurdité du monde d’après guerres. Elle est une tentative de reconstruire du sens, de faire œuvre en embrassant le chaos et d’y replacer la figure de l’homme quand celui-ci a été pulvérisé par les drames de la grande Histoire. Voilà un enjeu essentiel qui trouvera une résonance majeure pour les générations futures qui feront face à d’autres morcellements, à de nouveaux drames et mutations du monde.

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Dans les années 1960, la génération d’artistes qui émerge a très tôt été marquée par la deuxième guerre mondiale et leurs œuvres dès les débuts portent les stigmates des événements majeurs qui marquent l’histoire de cette décennie, tel mai 68, la guerre du Vietnam et celle d’Algérie ou les violences liées aux dictatures comme en Argentine ou au Chili. Une dimension politique qui a perduré au fil d’années, chacun n’ayant cessé d’absorber dans sa peinture la violence tragique de l’Histoire, guerres, oppressions, crimes et attentats divers. Dans des styles très différents, qui absorbent l’apport des premières modernités mixé à l’impulsion donnée par le cinéma, la photographie ou la bande dessinée, des peintres comme Valerio Adami, Jacques Monory, Antonio Seguí, Vladimir Veličković ou Dado se sont confrontés au tragique de la grande Histoire. Tous placent au centre de l’art, la figure humaine, laquelle n’apparaît que morcelée.

La peinture de Jacques Monory, par son usage de la monochromie et l’éclatement de la représentation en « tension », par ses effets de cassure et de découpe de l’image très cinématographique, est empreinte de tendresse mélancolique, de sentiment de solitude et de violence. Mythopoétique, la peinture de Valerio Adami, avec ses aplats de couleurs franches et à sa ligne cerne qui fragmente, doit autant à la tradition classique, au romantisme et expressionnisme allemand, qu’au cinéma et à l’affiche. Brassant réalité quotidienne et grande histoire, récits intimes et mythologiques, les images morcelées peintes par Valerio Adami sont comme des puzzles à reconstituer, écho au mécanisme de la mémoire et au tragique humain. Chez Antonio Seguí il y a un humour caricatural dans l’usage du collage et d’une représentation fragmentée, où prolifèrent les mêmes bonhommes en costumes et chapeaux errant dans les villes. Une drôlerie et une apparente simplicité derrière lesquelles réside une dimension tragique, écho à l’injustice et la violence du pouvoir économique et politique, à l’absurdité des vies humaines. Plus expressionnistes et matiéristes sont les œuvres d’artistes comme Dado ou Vladimir Veličković pour lesquels la violence dans le traitement du collage et la gestuelle picturale incarne la violence de l’Histoire dans la matière même de l’œuvre. Tentatives de reconstruire des visions de l’humain morcelé, en proie au non-sens et aux déchirements des guerres.

Parmi ses aînés directs, c’est de Dado que se sent le plus proche Cristine Guinamand, artiste issue d’une génération plus jeune pour laquelle la question de l’Histoire est tout autant fondatrice. Pour elle, « L’utilisation d’une multitude de matériaux (huile, papier, clous, agrafes, puzzles, tubes de couleurs vides, circuits imprimés, etc.) traduit un certain chaos répondant à l’éternel recommencement de la guerre et des désastres ». Assez « éloignée » du travail des Pop, lié à une culture citadine et urbaine (BD, publicité, cinéma, rock, etc…) qui ne fait pas partie de son histoire, même si certaines œuvres peuvent l’intéresser comme « déclencheur formel », Cristine Guinamand considère leurs découpes des formes et leurs aplats colorés comme trop « clean et propre ». Elle trouve plus de proximité avec la pratique de Dado, pour son « côté brut et brutal (…) qui hurle avec ses tripes ». De même que son usage de découpes d’images de livres d’Histoire se rapproche de Raoul Haussmann ou de John Heartfield. Chez eux comme chez elle, le photomontage est utilisé comme « outil de satire et critique politique ». Chez Cristine Guinamand, le recours à des matériaux hétérogènes comme l’usage du puzzle, et l’impression de morcellement que cela produit, traduit la « dynamique mortifère » de la guerre, celle d’hier et d’aujourd’hui.

C’est dans une même filiation au photomontage dadaïste allemand que s’inscrit le travail de Damien Deroubaix, qu’il greffe à l’apport du cinéma, pour l’aspect politique, pour la construction de l’image par montage, mais aussi pour le recours à l’ellipse et au symbolique. De la génération de la Figuration Narrative, c’est surtout d’Hervé Télémaque dont l’artiste se sent le plus proche : « le plus grand peintre français » à ses yeux, dans le travail duquel Deroubaix se « retrouve complètement », surtout pour le « télescopage » des « façons de peindre ». Hétérogène, l’œuvre de Damien Deroubaix l’est dans la forme et le fond. Elle fait se télescoper des sources empruntées autant à l’art qu’à la musique, joue de symboliques aux sens différents, explore la richesse des écritures tantôt très écrites, au réalisme précis, tantôt plus expressionnistes et caricaturales. Pour Damien Deroubaix, par cet « état de morceaux » de la matière, de la forme et du sens, sa « peinture/collage » présente l’état d’un « monde fragmenté », révélé par la mondialisation et les guerres actuelles qui se répètent sans fin.

Pour Stéphane Pencréac’h l’histoire de découpe, de cassure, de fragment et d’assemblage, omniprésent dans sa peinture, s’origine dans la première modernité. À l’œuvre chez Manet, et son effet collage de la citation dans le Déjeuner, puis chez Picasso en ce qu’il casse et recompose : une histoire d’« hétérogénéité formelle » dans laquelle s’inscrit Stéphane Pencréac’h. Ce dernier trouve aussi impulsion dans les néoexpressionnismes des années 1980 et dans la Figuration Libre de Robert Combas, en ce qu’il « développe une puissance à priori cacophonique et hurlante qui atteint en fait une grande harmonie et de multiples sens ». Chez Stéphane Pencréac’h les sources iconographiques se télescopent mais c’est surtout par l’hétérogénéité formelle que s’ouvrent les sens de la peinture. L’artiste a recours à des ruptures de formes, qui vont d’un réalisme précis à une écriture plus expressionniste, mixant peinture et photo ou matériaux hétérogènes. Cette hétérogénéité donne à sentir le morcellement de l’homme face aux conflits actuels, la répétition de la violence et l’ambivalence du Pouvoir, entre séduction et horreur.

Un va et vient entre peinture et photographie, tradition réaliste et tradition matiériste qui caractérise aussi la démarche d’Axel Pahlavi. Un artiste dont l’œuvre ne peut se réduire à une famille ni une étiquette. Et chez qui la question du tragique et de l’hétérogène s’inscrit dans une expérience vécue, en lien à ses origines iraniennes et à une hétérogénéité culturelle. « Familialement, mes ascendants n’auraient jamais pu s’entendre. J’ai dû chercher à faire la paix en moi avec ces cultures qui se regardaient d’une tranchée à l’autre. Cela a pris la forme d’une étrange tolérance qui disait oui à presque tout. Il me semble que normalement ce genre d’expérimentation devrait s’homogénéiser. Mais chez moi, la fracture est restée ouverte. »

Revenant à une énergie picturale qui fait écho à ses premières recherches, les portraits récents exposés dans Cut & Clash renouent avec une veine matiériste et expressionniste très libre où la violence et le morcellement de la figure humaine s’incarnent dans le travail même de la peinture. Axel Pahlavi a été sensible aux peintres qui ont renouvelé les possibilités expressives de la matière, de Lucian Freud à Francis Bacon, de Georg Baselitz à Vladimir Veličković. Tout comme il a absorbé les expérimentations cubistes, jouant souvent d’une fusion de divers points de vue au sein d’une même image. Un goût pour l’hétérogène qu’il doit aussi à l’univers de Moebius Gir. Chez Axel Pahlavi, l’usage du collage d’images photographiques retravaillées par Photoshop, se voit doublé par tout un protocole pictural : l’artiste use de divers outils, de diverses manières de matières et des vitesses de peintures différentes. Ce qui, note l’artiste « accentue le côté explosif dans le frottement entre les parties » et permet de « penser la fission de la matière elle-même ». Une violence et un morcellement de la figure incarnée par le corps même de l’œuvre. Ce que l’œuvre porte, c’est la fissure originelle que porte l’artiste en lui-même.

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Le flux ininterrompu du monde consumériste

Dans la continuité de l’impulsion donnée par Dada et les surréalistes, du photomontage à la pratique du cadavre exquis, l’un des apports majeurs de la Figuration Narrative dans les années 1960, aux côtés du Pop Art, c’est d’avoir ouvert le champ de l’art à la déferlante d’images et d’objets issue du monde consumériste et de la culture populaire, dans une perspective critique et politique. Un flux dont l’œuvre révèle les ambivalences, tout à la fois la violence du consumérisme et la beauté fascinante des images.

Ce flux peut être matérialisé par la prolifération de sources dans une même image, comme chez Erró dont la gourmandise d’images a tout absorbé, des icônes de l’art aux images de propagandes, des pin-up de magazines aux héros de comics : issu d’une pratique systématique du collage dont les maquettes sont traduites en peinture dans une narration complexe, à la fois séduisante et contestatrice, l’art d’Erró répond au chaos et à la violence du monde à l’heure du consumérisme, de la mondialisation et des nouveaux conflits qui se répètent sans fin.

Mais ce flux peut aussi s’incarner dans la cassure du motif fragmenté par un effet de montages d’éléments hétérogènes, comme chez Peter Klasen dont l’œuvre sous l’impulsion de Dada intègre dès le début des années 1960 l’apport de la photographie et de sources tirées du cinéma ou de la publicité, qu’il découpe et recombine dans de nouveaux agencements, soit intégrés par collage soit peints à l’huile ou à l’acrylique, employant des techniques de lithographie et d’aérographie. Chez lui, les représentations mêlant morceaux de corps féminins et objets de la consommation courante, parfois en lien avec l’industrie ou la maladie, posent la question d’une scission entre l’être et l’avoir, de l’angoisse du corps-objet, fétichisé en même temps que violenté ou enfermé, autre réponse aux folies du monde actuel.

De l’absorption de ce flux populaire et consumériste, dans une veine critique, par effet de montages, de découpes et de prolifération d’images recyclées, il en est aussi question chez les artistes plus jeunes. De Myriam Baudin à Jean Philippe Roubaud ou Armand Jalut, de Léo Dorfner au duo Hippolyte Hentgen, à Shu Rui. Tous ont pris acte bien sûr de l’apport de la figuration narrative, comme Erró et Klasen, mais pas que. Les référents en termes de « collages » et « montages » sont nombreux, se mixent : photomontage dada, pratique surréaliste du cadavre exquis, transparences de Francis Picabia, Pop Art anglais ou américain, Figuration Libre, et tout l’apport que draine l’ouverture de l’art à une culture populaire : bande dessinée et cinéma. Et s’ils partent tous de la manipulation d’une banque d’images détournées, pour les faire rimer autrement et pour en faire surgir un sens nouveau, leur mode de saisie et d’absorption diffèrent.

Bien qu’hybridée à d’autres motifs prélevés dans le monde de l’art, leur banque d’images demeure largement issue de sources populaires : publicité, industrie, cinéma, émissions télévisées, imagerie kitsch. Il peut s’agir de photos prises par les artistes, d’images collectées sur le net, sur les réseaux sociaux, dans les magazines ou sur des objets du quotidien. Une base iconographique dont chaque artiste extrait des fragments, recadre, modifie et recompose, souvent à l’aide de Photoshop ou par copie directe dessinée à la main. C’est ensuite que s’opère la traduction en « œuvre » et que s’affirme, dans le décalage avec l’image source, la singularité de chaque artiste. Travail de la couleur à l’aquarelle chez Dorfner, à l’huile chez Armand Jalut et Shu Rui, à l’acrylique chez Myriam Baudin. Au dessin à l’encre fait avec un pistolet aérographe et collage des images sources sur papier chez Hippolyte Hentgen.

Dans ces traductions personnelles, chacun donne à voir sa vision ambivalente et morcelée du monde. Le réalisme de Shu Rui, qui prend ses racines dans son éducation chinoise, porte un regard critique sur la société de consommation, tout comme il interroge l’impact de la guerre et celui des médias dans nos vies quotidiennes, noyées entre privation et abondance, fiction et réalité. Par ses montages audacieux et son usage de la couleur, entre séduction et « expressivité désincarnée », le travail d’Armand Jalut soulève la question du corps-objet et du vide déshumanisant à l’œuvre dans nos sociétés du paraître. Les morceaux de bouche, d’yeux, de nourritures, de logos, de plantes, peints à l’aquarelle par Léo Dorfner sont comme des « petits poèmes visuels ou des films » : ils captent « le flux de la jeunesse d’aujourd’hui, rythmée par le flux incessant d’images débordant des réseaux sociaux », dans ce qu’elle a de beau et d’angoissant.

Chez Hippolyte Hentgen, l’association libre, la mise en tension d’éléments documentaires empruntés à une histoire collective ou d’éléments plus personnels, se donnent plutôt comme un rébus aux sens polyphoniques : chez elles, la découpe des corps, fragmentés et associés à divers motifs décoratifs, objets ou éléments naturels, peut avoir une résonance critique, féministe parfois, mais aussi plus onirique et poétique. C’est un féminisme critique chargé d’un esprit ironique et caustique très dada que l’on retrouve chez Myriam Baudin dans des représentations picturales où le corps de la femme morcelée est hybridé à divers éléments hétérogènes. Héritière de l’univers de Léon Bloy, à la fois violent et drolatique, fasciné par l’objet et son symbole, pour Myriam Baudin le photomontage est un « moyen d’ouvrir les yeux sur un monde tyrannique ». Pour elle, la pratique du collage est une façon de « se faire miroir de la violence que nous impose de ressentir le monde sociétal puis de réorganiser ce déséquilibre (sur toile ou autre) pour une échappée poétique ». Son efficacité chromatique et géométrique qui tend à une simplification efficace de l’image doit autant à sa formation en maquette publicitaire qu’à l’apport de la peinture renaissante. Un travail de la matière et de la couleur qui ré-insuffle une chair à son imagerie kitsch et pop. Une manière de faire face au morcellement d’une « société consommante, tatouée, pucée et parquée » en recherchant « l’animalité, la chair pour retrouver le contexte émotionnel de la matière et du geste pensé ». Une sorte de « pop sensationnisme » qui vient contrecarrer la violence du monde et la transformation de nos corps en objet.

C’est encore la peinture d’Erró qu’a regardée Raphaëlle Ricol mais d’une toute autre manière. Ayant grandi dans l’univers des bandes dessinées, mangas et comics, Ricol découvre à l’adolescence la peinture d’Erró qui fait « de l’art » avec des morceaux de bande dessinée. Pour la jeune artiste, « ça sent vraiment la jeunesse éternelle ». Bien sûr, à l’instar d’Erró, Raphaëlle Ricol se nourrit d’un fond d’images très libres, qui mêle librement High and Low Culture. Toutefois, sa peinture ne part pas systématiquement d’un travail de collage en amont, basé sur la manipulation d’une banque d’images scrupuleusement amassée et sur la réalisation de maquette traduite ensuite en peinture. La question du collage dans la démarche de Ricol est plus instinctive et intériorisée.

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Pour l’artiste, « le collage, ça ne veut pas dire un bout de papier coupé et collé techniquement sur un support mais un décalage abrupt, une sorte de dynamique ». Ça relève plutôt d’un processus de libération et d’émancipation de l’imaginaire nécessaire à la peinture. Une façon d’absorber le flux du monde, de la violence du réel qui cogne, et de traduire ce clash dans le corps même de la peinture. Chez elle, les réminiscences d’images, de sensations, vont et viennent sur la toile, sans calcul préalable ou usage systématique de l’ordinateur, mais plutôt mentalement, au gré de la vie du tableau et des aléas de la matière. C’est l’imaginaire et la main qui priment. Les motifs se mêlent et se brouillent dans une écriture qui joue du clash dans le travail même de la matière, dont l’épaisseur, la dynamique gestuelle et l’apport d’éléments hétérogènes, nous rappellent que l’artiste a aussi absorbé l’apport de modernités plus expressionnistes et matiéristes.

S’appropriant librement des logos publicitaires, des tableaux comme La guerre de la gourmandise et Sucrés suggèrent la perversité du consumérisme dont la quête d’abondances et de douceurs n’est qu’un voile fake sous lequel se cachent violences et guerres. Ce qui fait écho, très librement, à l’œuvre d’Erró dans ce qu’elle révèle du flux d’abondance et de saturation. Flux d’abondance et de saturation tel qu’on le voit dans les « Scapes » d’Erró, auxquels renvoient explicitement les natures mortes saturées de Till Rabus et autres carnages de mets sucrés colorés, savant télescopage du pop et du classique. Dans l’œuvre Discount, Till Rabus a utilisé des publicités de grands magasins où s’amassent logos et images de produits de consommation, avec des couleurs flashy qui attirent l’œil du consommateur. Inspirée par Foodscape peint par Erró en 1964, Discount est une « composition dont les formes peuvent faire penser à une nature morte contemporaine et grinçante. »

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Plongée dans les ambivalences de la psyché, mécanique de l’absurde et du bizarre, du fantasme et de la mémoire

Dans l’histoire de la modernité, la question de l’hétérogène, du collage et du montage, est aussi une ouverture vers les profondeurs de l’intériorité. Conséquences de bouleversements historiques, scientifiques, religieux, philosophiques, la modernité perçoit autrement la nature de l’homme et de la psyché humaine. Contre la beauté classique et son ordre idéal, la modernité est une porte ouverte sur une beauté plus convulsive et étrange, qui renoue avec le monstrueux et le « mal », au sens de Georges Bataille. De Picasso au surréalisme, de l’expressionnisme à Cobra ou l’art Brut, l’hétérogénéité formelle donne corps aux ambivalences humaines, aux flux libres des pulsations intérieures ou des pensées magiques, à la mécanique morcelée, incohérente et non linéaire du fantasme, de l’imaginaire, du rêve, de la mémoire.

Robert Combas et Stéphane Blanquet sont deux artistes aux styles bien singuliers qui ont cela en commun d’être des électrons libres, réfractaires à l’idée de classification et qui ne se sont jamais laissés enfermés par la prison du marché. D’où vient Robert Combas ? De quelle famille se rapproche-t-il ? Moins du sérieux du surréalisme que de l’humour de Picabia ou de celui des incohérents. De l’érotisation boulimique de peinture du Dernier Picasso autant que de l’énergie de l’art brut, de la bande dessinée et de la musique rock. Et Stéphane Blanquet ? Ses sujets, son énergie picturale, son trait, doivent-ils plus à Dürer qu’aux comics, au surréalisme qu’à Cobra ? « Il y a eu tellement de familles croisées, avalées, digérées, recrachées, mixées et malaxées, transformées, rajoutées, percutées avec le temps que je n’arrive plus vraiment à savoir dans quelle famille je me situe. »

Dans ce grand mélange, dans ce morcellement, leur univers capte le flux d’une profondeur intime. Il y a quelque chose d’animal, de caverneux, de dionysiaque, d’érotique, de chamanique chez Robert Combas. Ça prend forme dans le flux de son énergie créatrice très pulsionnelle, spontanée, dans son libre dessin qui prolifère sur tous types de supports, fait d’imbrications de figures, de mots et de couleurs. S’y entremêlent le lisible et le caché, comme le grand art et le pop, le beau et le laid, le comique et le tragique, le cru et le naïf. Une énergie brute qui sonde le sale et l’enfance de l’art, qui lève le voile sur les refoulés avec un soubassement autobiographique. Chose que l’on retrouve chez Stéphane Blanquet dont la liberté de manipuler des formes et des sujets hétérogènes est une façon de se raconter : « chaque œuvre est finalement un bout de moi, un puzzle fait de tout, d’art et de souvenirs, de rêves, de douleurs ou de beauté. »

Autre électron libre demeuré en marge des tendances ayant émergé dans les années 1960, Pat Andrea a développé un réalisme perverti qui navigue entre imaginaire et observation du réel, s’autorisant toutes les écritures et toutes les libertés expressives en germes dans l’histoire de la peinture, des variations d’échelles dans l’art pré-renaissant aux déconstructions modernes d’un Picasso ou d’un Mondrian. Originellement liée à sa vie intime, qu’il greffe à sa perception de la grande Histoire, la peinture hybride de Pat Andrea nous plonge dans l’ambivalence des pulsions humaines. Son réalisme étrange et surréel résonne tout particulièrement avec le travail d’artistes plus jeunes qui explorent l’ambiguïté inhérente à la mécanique du fantasme, de la mémoire et du rêve.

Variations d’échelles, télescopage entre des morceaux de citations classiques et d’éléments observés du réel se retrouvent dans l’érotique bizarre inhérente à la peinture d’Abel Pradalié. Un univers hybride dans lequel l’effet collage demeure moins proche des surréalistes que de Manet et de Courbet, lesquels réalisent des assemblages de modèles faits en atelier ou d’après photo avec des paysages réalisés d’après des esquisses faites sur le motif. Chez lui, le collage n’est pas réalisé à l’avance puis exécuté, il vient plutôt mentalement, lors de la réalisation du tableau par association d’idées ou rencontres. Pour Abel Pradalié, le collage est un « moyen de mixer des éléments de la peinture classique avec des documents ou moments plus intimes de ma vie mais aussi cela me permet de faire un voyage temporel entre l’histoire de la peinture et le monde actuel ». Dans cette perspective, « les abattis » de Rodin ont aussi intéressé l’artiste, en tant que modules exploitables dans de multiples combinaisons et parfois assemblés avec des archéologies, créant des tensions plastiques et temporelles. De même que les polaroids de David Hockney, dans l’héritage cubiste, pour leurs visions éclatées aux points de vue multiples. Nourrie par ces apports divers, la peinture d’Abel Pradalié acquiert une ambivalence mystérieuse dont l’érotisme inquiète et dérange.

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Il y a de l’absurde et de l’étrangeté chez Léopold et Till Rabus qui utilisent tous deux plusieurs photographies pour créer leurs peintures. Inspiré par le surréalisme et dada, mais surtout par des artistes contemporains comme Eli Craven ou Urs Fischer, Till Rabus manipule les documents photographiques par découpage, collage, pliage ou superposition. C’est une façon pour lui de sortir l’image source de son contexte et de l’amener « vers d’autres champs de lecture ». Créer une ambiguïté entre figuration et abstraction, tirer le réel vers la fiction, l’érotiser, le charger d’un caractère absurde : voilà l’enjeu du collage pour Till Rabus. Chez son frère Léopold, l’étrangeté et le morcellement de l’image renvoient à la mécanique de notre perception faussée du monde et de notre mémoire qui aménage le vivant pour l’appréhender, en le tronquant et en le falsifiant. Pour l’artiste « le collage peut représenter la manière dont on fragmente en pensée le monde ». La peinture devenant le lieu où reprend sens ce morcellement dans un « ensemble harmonieux. »

Inscrits dans l’héritage du surréalisme, parfois mêlé au cubisme et à l’expressionnisme, à l’apport de la photo ou du cinéma, des artistes comme Marko Velk, Katia Bourdarel, Madeleine Roger-Lacan, Karine Rougier, Oda Jaune, Marlène Mocquet, Leslie Amine ou Nazanin Pouyandeh, explorent la part érotique et onirique du collage, par association d’idées ou par principe d’images cachées.

Les collages et les télescopages de matières sont chez Karine Rougier comme une « archéologie de la mémoire » et une fenêtre ouverte sur la « pensée libre », où les êtres et les animaux s’hybrident, forts de leurs pouvoirs de métamorphoses incessants. L’érotisme et le jeu sur le voilage des corps chez Katia Bourdarel a affaire avec une « révélation », une ouverture sur les méandres magiques et mystérieux de l’âme humaine », entre le réel et l’imaginaire, le conscient et l’inconscient. Ludique et jouissif, narratif et intime, l’univers morcelé de Madeleine Roger-Lacan est une fenêtre ouverte sur la manière dont « notre conscience se construit, conscience dans le sens ‘mind’ ». Ainsi précise-t-elle : « On est un collage de ce qu’on reçoit à la fois intimement et de ce que l’on reçoit du monde (…) Tout se mélange avec nos pulsions, nos refoulements, nos peurs. Le récit de nous lisse tout ce bordel mais j’aime révéler ce chaos disgracieux. »

Chez Leslie Amine, le travail sur la mémoire mêle l’association d’idées et l’usage d’images cachées dans la représentation picturale. Travaillant en peinture, comme par collages, en associant des formes et des espaces différents, l’artiste aime procéder par recouvrement et brouillage de façon à ce que « les formes émergent lentement et se donnent à voir progressivement ». Pour elle, ce mélange des styles et ce principe d’altérations de l’image, renvoient au mécanisme de la mémoire mais aussi à la question de l’identité, du métissage, de la créolisation des mondes.

Une problématique qui se retrouve dans le travail de Nazanin Pouyandeh, artiste d’origine iranienne entrée aux Beaux-Arts de Paris au début des années 2000. Sous l’impulsion des conseils donnés par son professeur Pat Andrea, et de ceux d’une artiste photographe Barbara Leisgen, Nazanin Pouyandeh se met à peindre ses collages, initialement faits à partir de pages de magazines déchirées, et à s’appuyer sur ses propres photos. « De façon philosophique, je me considère comme un patchwork de culture, de voyage, d’évènement, ce qui se reflète dans mon travail », pour Nazanin Pouyandeh, le métissage des formes et des styles, utilisés sans hiérarchie et chargés d’un sens nouveau, renvoie à une question d’identité, avec un soubassement politique et féministe fort. Une recherche de libération des pulsions, de libération créatrice.

14 Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024
rue du Mail
Espace
15

Léopold Rabus est un créateur dont l’œuvre se distingue par son humour et son ironie. Il grandit au sein d’une famille d’artistes, où le surréalisme parodique et décalé se transmet de génération en génération. Plutôt que de s’embourber dans une psychologie profonde et prétentieuse, Léopold Rabus préfère jouer avec les scènes traditionnelles et les objets du quotidien. Il les détourne avec brio pour créer des œuvres uniques et impertinentes.

16 Léopold Rabus Ambivalences de la psyché
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Scène médiévale, 2021 - Huile sur toile - 210 x 190 cm

« Parfois, comme dans le tableau qui sera présent dans l’exposition, je regroupe des images sur un même tableau, d’un après-midi que j’ai vécu chez ma voisine et qui n’avait rien de spécial. Mais j’ai essayé de restituer les images précises qui me sont restées en tête, ses deux chats , son fauteuil, son oreille… car je crois que c’est comme ça que l’on restitue le monde dans notre tête, on perd une part et on falsifie le reste. C’est comme ça que l’on aménage le vivant. Notre langage sépare les choses pour pouvoir les saisir et les transformer, une montagne en minerai, une forêt en bois, les animaux en viande… Et le monde s’offre à nos yeux, transformé selon nos besoins. L’idée du collage peut représenter la manière dont on fragmente en pensée le monde et par là perdre une grande partie de ce qui constitue le vivant. Alors que j’ai le sentiment qu’il y a des forces actives qui ne s’annulent pas entre elles et qui forment un ensemble harmonieux. »

Léopold Rabus

Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024

Espace avenue Matignon

18 Léopold Rabus
Ambivalences de la psyché
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Intérieur, 2017 - Huile sur toile - 200 x 175 cm

Depuis les années 1960, Pat Andrea explore les possibles d’une peinture vraie et personnelle. C’est dans la vie intime en effet que l’artiste puise ses sujets : sa « guerre des sexes », ses amours, ses déchirures. Mais à travers un réalisme subjectif qui filtre, qui déforme, qui se distancie et joue souvent, par l’humour, la carte de la dérision. Un réalisme qui dépasse l’anecdote ou l’illustration naïve pour révéler poésie et beauté dans la trivialité. Mêlant petite et grande histoire, mémoires autobiographiques et résurgences de mythes ou d’événements politiques, Pat Andrea ouvre l’intime à l’archétypal. Ses images touchent et ne s’oublient pas parce qu’elles ont affaire avec un fonds ancien, commun à tous. Entre désir, peur et violence, elles s’ouvrent sous nos yeux comme un petit théâtre des comportements humains, dans ce qu’il a de séduisant, intriguant, ridicule.

20 Pat Andrea
Ambivalences de la psyché

VOORTREKKER, 2015 - Huile et caséine sur toile - 60 x 73 cm

La virgen de la falda rayada, 2021 - Huile et caséine sur toile - 60 x 73 cm

21
22 Pat Andrea Ambivalences de la psyché

La chaise jaune, 2021- Huile et caséine sur toile - 54 x 65 cm

23

La peinture d’Abel Pradalié est figurative et s’attache à transfigurer avec force

le paysage et la figure humaine. Son style est caractérisé par une grande expressivité et une gestuelle vigoureuse. Il utilise une palette de couleurs riche et variée, et ses toiles sont souvent empreintes d’une certaine violence et d’une énergie brute. Il pratique également le dessin et la gravure.

« Dans les tableaux d’Abel Pradalié, paysages et figures proviennent de sources diverses. De la grande peinture classique et réaliste. L’artiste a particulièrement regardé Frans Hals, Rubens, Jordaens, Courbet et Frédéric Bazille. Mais aussi de photographies trouvées au hasard, de saisies sur le motif ou d’après modèles à l’atelier. Éternel et transitoire ainsi se mêlent. Le passé se greffe au présent et trouve des résonances avec l’histoire intime de l’artiste ».

Extrait, Amélie Adamo, « Abel Pradalié, la matière fantôme », Artension, n°138, juilletaoût 2016, p.29-31

Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024

Œuvres d’Abel Pradalié

Dimensions variables

24 Abel Pradalié
Ambivalences de la psyché

Les demoiselles d’Instagram, 2024 - Huile sur toile - 162 x 145 cm

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« Le tableau « Les demoiselles d’Instagram » s’inscrit dans une suite d’œuvres qui ont pour thématique la peinture, par le prisme de mon panthéon. J’ai utilisé des photos trouvées lors de mes vagabondages sur Instagram, lieu où toutes les poses suggestives sont autorisées sous condition de ne pas voir les tétons ou les poils pubiens. Vous remarquerez que c’est le cas dans le tableau de Picasso (ni tétons, ni poils pubiens), ce qui ne l’a pas empêché d’être perçu comme d’un érotisme violent et grinçant…Je me suis bien sûr intéressé aux liens entre Picasso et Manet, mais aussi au rapport qu’ils ont entretenu avec la nudité en peinture, qui suscite aujourd’hui toujours autant de réactions alors même que nous sommes confrontés quotidiennement à des images d’une crudité beaucoup plus violente que celles conçues par le prisme de la peinture. »

26

« Le collage est surtout pour moi un moyen de mixer des éléments de la peinture classique avec des documents ou moments plus intimes, de ma vie ou de mon

entourage, mais aussi cela me permet de faire un voyage temporel entre l’histoire de la peinture et le monde actuel. »

27
Pradalié
Abel

Dès les débuts des années 1980, Robert Combas s’est imposé comme l’initiateur incontestable de la Figuration Libre en dépoussiérant la peinture et en l’enrichissant de nouveaux chapitres qu’il ne cesse de développer. Toute sa production, fruit du plaisir du geste, s’oppose à l’intellectualisme marqué par l’art conceptuel et le minimalisme des années 1970. Ses sources d’inspiration sont variées et surtout déhiérarchisées : livres d’école, bandes dessinées, publicités, mythologies antiques ou religieuses, images télévisuelles... Dans ses tableaux, l’amoncellement d’éléments de provenances multiples et la répétition de situations exceptionnelles ne provoquent pas un sentiment de confusion ou d’impuissance. Ils incitent au contraire à trouver un agencement caché dans le désordre manifeste, dans les lacis de correspondances, dans les assemblages, dans les réseaux, dans la profusion enchevêtrée d’éléments et de personnages. Par des couleurs vives et un trait noir qui délimite les figures représentées, son graphisme très caractéristique, immédiatement identifiable, reste libre et spontané. Le dessin qui entoure systématiquement la couleur lui donne toute sa force. Essentielle et tapageuse, elle remplit tout l’espace de la toile ne laissant aucun espace vide.

28 Robert Combas Ambivalences de la psyché

ENTREPRISE CACHÉE DANS UN ARBRE PLEIN DE FEUILLES

Elle écarte les jambes comme le pistil d’une de ces plantes. Et lui il bave de plaisirs futiles, 2023 Acrylique sur toile - 182 x 197cm

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30 Robert Combas Ambivalences de la psyché

- LA PENSEUSE DANS LE LUXURIANT JARDIN DES FLEURS ET DES PERSONNAGES BIZARRES

- SONNEZ TROMPETTES ! L’IMPÉRATRICE ARRIVE

- LA VIRAGO, LISA L’ESPAGNOLETTE ET SES ADMIRATEURS

- LA VIOLONISTE QUI JOUE DU CRINCRIN DEVANT ROBERT CRUMB QUI A MIS SON CHAPEAU

ET QUI A SORTI SES PETITS CHIOTS EN LIBERTÉ

2024 - Technique mixte sur papier - 33 x 23 cm

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Till Rabus est un peintre hyperréaliste et sensationnel. Son travail explore le Baroque dans l’art contemporain. Il crée des sujets fantasmés à partir d’objets

du quotidien avant de les traduire sur toile. Ses peintures mettent en scène des détritus, des encombrants, et des restes de junk-food, tout en reprenant des codes esthétiques de l’histoire de la peinture et du Baroque. Grâce à sa maîtrise parfaite, les formes exubérantes qu’il représente trompent d’abord

l’œil du spectateur avant de l’amener à s’interroger sur le sujet peint. Till Rabus produit une œuvre autonome qu’il met au service d’un regard critique sur l’activité humaine et ses dérives. Sa fabuleuse peinture invite à réfléchir sur notre culture du gaspillage.

Discount, 2024

Huile sur toile

180 x 140 cm

Vue d’exposition

32 Till Rabus Le flux ininterrompu du monde consumériste Ambivalences de la psyché
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Vénus, 2013 - Huile sur toile - 230 x 160 cm

« Pour moi, créer des images pour mes tableaux à partir de plusieurs photographies, c’est amener le réel vers une sorte de fiction. C’est également un moyen qui me permet de m’interroger sur le rapport qu’il peut y avoir entre la figuration et l’abstraction. Et c’est aussi une manière d’aborder le thème de l’humour, car souvent les collages peuvent amener à faire des images absurdes. »

Till Rabus

34 Till Rabus Le flux ininterrompu du monde consumériste Ambivalences de la psyché
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Split body 5, 2023 - Huile sur toile - 90 x 62 cm

Gérard Schlosser s’est affirmé sur la scène artistique française au début des années 1970 par un langage pictural parfois hâtivement classé au sein de l’hyperréalisme. Ce jugement masque la réalité d’une démarche plus subtile portée sur l’environnement quotidien de l’être. Membre actif du Salon de la Jeune Peinture jusqu’en 1972, il est un artiste singulier au sein de la Figuration narrative. La couleur fait irruption dans son œuvre au milieu des années 1960 dans la série des Boîtes, avant de s’affirmer avec une tonalité pop dès les années suivantes dans des « scénettes » où filtre déjà une expression charnelle explicite. Il fait alors le choix d’un langage figuratif plus réaliste, mais très personnel. Ses toiles, résultant d’une matrice de photomontage projetée sur la toile à l’épiscope, présentent en gros plan dans un cadrage resserré des corps tronqués, dans une pose décontractée. En perspective, un motif secondaire induit une narration sous-jacente, que renforce le titre évocateur d’une conversation qui évoque la banalité mais aussi la langueur d’un

quotidien retrouvé. Il est difficile de trouver meilleurs mots que ceux d’Olivier Kaeppelin pour décrire le travail de Gérard Schlosser : « L’œuvre de Gérard Schlosser, pour qui sait la regarder, est d’une infinie richesse, elle use de dimensions multiples, se sert d’évidences, de clichés comme d’énigmes ou de sous-entendus. Elle est à la fois sociale, politique, existentielle. Elle porte une grande attention aux êtres, à leurs attitudes, à leurs aspirations au bonheur. Elle est silencieuse et attentive aux non-dits. Elle se consacre, sans complaisance, à la beauté des corps, à celle de la nature, cet autre corps vivant. Elle nous englobe dans un univers pluriel grâce à la peinture, la pensée de la peinture qui construit une vision structurée, claire et mobile du réel. »

Extrait du texte d’Olivier Kaeppelin dans le catalogue raisonné consacré à l’artiste (Olivier Kaeppelin, Pearl Huart-Cholley, Gérard Schlosser, catalogue raisonné de l’œuvre peint 1948-2019, Paris, Éditions Mare & Martin, 2020)

36 Gérard Schlosser Ambivalences de la psyché

Quelques fois, 2021 - Acrylique sur toile sablée - 80 x 80 cm

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Oda Jaune développe à travers sa peinture et ses aquarelles un univers tourmenté et plein de poésie. Elle explore des formes et des images fascinantes sorties de son imagination, aux limites du morbide et de l’étrange. Ses créations évoquent des personnages et des animaux transformés, cassés, pliés, contorsionnés, déplacés, évoluant dans des scènes surréalistes et oniriques. Les corps qu’elle représente sont souvent dotés d’organes qui prennent la place d’autre organes, ou d’apparitions surgissant de nulle part, propulsant le spectateur dans une autre dimension.

Entre douceur et noirceur, ses œuvres créent des symbioses surprenantes. Soucieuse du détail et des proportions, alerte sur les changements d’échelle qu’elle opère sur ses toiles, usant d’une

précision empruntée au photoréalisme dans l’exécution de ses formes, elle opère par juxtaposition

d’éléments –un principe qui s’impose dans sa narration visuelle. Les états émotionnels et les images qui émergent des profondeurs du subconscient se matérialisent sur la surface plane par des visions à la fois terrifiantes et divertissantes. Le spectateur entre librement dans le monde féerique du fantasme pour mieux se voir submergé par un vortex d’émotions. Il se trouve pris dans un jeu de mots croisés, une énigme visuelle dont la partie centrale livre la clé même de l’attitude de l’artiste face à l’amour et à l’érotisme, à la peur et à la douleur.

38 Oda Jaune Ambivalences de la psyché
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Untitled, 2022 - Huile sur bois - 76 x 57 cm

Peintre et dessinatrice, Nazanin Pouyandeh est née à Téhéran en 1981. Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure

des Beaux-Arts de Paris, elle vit et travaille à Paris. « Les toiles de Nazanin Pouyandeh sont des huis clos, ouverts.

Des espaces libres, taillés pour l’éclosion du fantasme. Les images qui s’y meuvent, privent du verbe et se situent au-delà du signifiant. Il ne faut pas y chercher de sens, sinon celui du rêve »*. Le travail de Nazanin Pouyandeh a fait l’objet de nombreuses expositions monographiques et collectives en France et à l’étranger : Ex Africa au

Musée du Quai Branly –Jacques Chirac (commissariat Philippe Dagen), Fondation Yves et Claudine Salomon, à Annecy, Le Suquet des artistes, Cannes, Centre d’art contemporain de Meymac, Centre d’art et de Culture à Cotonou au Bénin, au Städtisches Museum Engen à Engen en Allemagne ou au Frissiras Museum à Athènes.

* Extrait du texte de Léa Chauvel-Levy, exposition « Ruines & Plaisirs », galerie Sator, 12-0103-03-2018

40 Nazanin Pouyandeh Ambivalences de la psyché
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Jade en Lucrèce, 2023 - Huile sur toile - 50 x 40 cm Charlotte en Lucrèce, 2023 - Huile sur toile - 50 x 40 cm

« De façon philosophique je me considère comme un patchwork de culture, de voyage, d’évènement : cela se reflète dans mon travail. Le collage est une manière de transcrire le monde tel qu’il est aujourd’hui. »

Nazanin Pouyandeh

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« À l’instar des artistes surréalistes, je m’efforce de créer une atmosphère envoûtante d’ambiguïté et de mystère en superposant des récits disparates. L’utilisation du voile dans mes oeuvres reflète la volonté de troubler les frontières entre le conscient et l’inconscient, le réel et l’imaginaire. En superposant des éléments disparates, je cherche à explorer les profondeurs de l’inconscient humain. Ce faisant, je révèle les couches cachées de la psyché et les associations symboliques qui émergent de l’interaction entre les différentes strates de la conscience, offrant ainsi un aperçu de notre monde intérieur. »

43

Katia Bourdarel explore, dans son oeuvre, la dualité trouble de la nature, oscillant entre émerveillement et crainte. À travers la peinture, l’installation et la sculpture, elle fusionne des éléments de contes populaires avec des fragments de sa vie intime. Son travail se concentre sur la métamorphose, symbolisant le concept du devenir autre. Dans cet univers fragile et féroce, sensuel et principalement féminin, l’artiste sonde les émotions humaines, le rapport à soi et à «l’autre», tout en œuvrant entre réalité et fiction.

44 Katia Bourdarel Ambivalences de la psyché
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120 cm
Linteum - Le paradis blanc, 2022 - Huile sur toile - 180 x

Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024

Strouk Gallery

Espace avenue Matignon

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Katia Bourdarel Ambivalences de la psyché
47
toile
x 70 cm
Linteum - Le temps arrêté #1, 2023 - Huile sur
- 90

Les toiles et sculptures en céramique de Marlène Mocquet composent un univers singulier et foisonnant. Il y a du surréalisme et du conte dans le bestiaire merveilleux de Marlène Mocquet. Ses créatures hybrides et ambivalentes, tantôt menaçantes, tantôt joyeuses, évoquent à la fois la naïveté de l’enfance et un monde plus sombre et inquiétant. Son travail est marqué par une attention particulière pour la matière, les couleurs éclatantes qui coulent et débordent. Oiseaux terrifiants, animaux difformes, figures cauchemardesques, tous sont présents pour raconter une histoire.

Vase météorite pépite, 2018

Grès rouge, grès blanc, émail grand feu, petit feu, émail or 50 x 32 x 32 cm

Unique

Pomme montagne, 2021

Grès émaillé, lustre or et platine, œil de verre

47 x 36 x 36 cm

Unique

48 Marlène Mocquet Ambivalences de la psyché

Pomme Platine, 2021 - Grès émaillé lustre or et platine, œil de verre - 27 x 27 x 27 cm

Vénus aux pommes, 2018 - Porcelaine émaillée, lustre or - 40 x 32 x 24 cm

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Le ciel bleu arrive, 2021 - Technique mixte sur aluminium - 200 x 125 cm

50 Marlène Mocquet Ambivalences de la psyché

« Vivant. Dans cette série mon ambition était de ne pas dissocier peinture et sculpture. Mon gage dans tous médiums est de rendre hommage au vivant. Le sentiment pour moi d’avoir acquis la perception que l’oiseau continue à prendre son envol, ou que le personnage poursuive son chemin au-delà de mon geste, est une réussite. L’œuvre est vivante. Et de ce fait le spectateur devient acteur de ses propres émotions. »

Marlène Mocquet

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Michel Tyszblat est un artiste français de la Nouvelle Figuration. Après un bref passage dans les ateliers d’André Lhôte et Robert Lapoujade, il construit un univers porté par une gamme chromatique très personnelle, fait d’allers et retours entre figuration et abstraction. Dès 1960,

il expose aux côtés de Rancillac, Monory, Voss, Klasen, mais préfère évoluer en solitaire tout en gardant des liens forts avec ceux qui allaient former le groupe de la figuration narrative.

Chaque toile est une relecture constante des objets qui peuplent notre quotidien : jouets, moteurs, télévisions, écrous puis palmiers, vélo, jambe, saxophone ou oiseau… Son œuvre, très précise

formellement à ses débuts, laissera peu à peu la place à une grande gestualité, dans une quête

constante d’un équilibre malicieux.

52 Michel Tyszblat
53
Sans titre, 2013 - Glycérophtalique sur toile - 116 x 81 cm

Karine Rougier développe une pratique du dessin et de la peinture à l’huile sur bois. Son travail est inspiré par ses voyages, ses pérégrinations sous-marines en Méditerranée et son désir à croire au merveilleux. Les dessins de Karine Rougier réinventent une nature où les formes humaines se mêlent aux formes animales, où corps et puissances invisibles s’unissent en une même et envoûtante étreinte. Les lavis à l’aquarelle sur papier passent sur les formes et, à la façon d’une marée qui se retire, ne laissent derrière eux que quelques détails, quelques traits où notre regard s’accroche. Traversées d’un puissant élan vital, ses compositions sont le fruit d’un regard émancipé qui insuffle aux corps désir et puissance.

« Le collage je le ressens comme un jeu, comme un espace d’expérience, de recherche et de rencontre de matières. Le collage vient soutenir une idée, l’enrober ou au contraire confronter des matières.

Comme une archéologie de la mémoire, il fait des liens dans les époques, dans les cultures. Comme le montage au cinéma, le collage vient mettre en lumière un nouveau sens, il permet de faire résonner les histoires entre elles, de soulever les choses cachées, il crée du contraste, et un nouveau sens aux images. Comme une pensée libre qui serait en perpétuelle recherche. »

54 Karine Rougier Ambivalences de la psyché
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Sans titre, série Flux, 2022 - Aquarelle, crayon et collage sur papier Arches - 76 x 56 cm

Marko Velk est un artiste figuratif qui explore et repousse les limites du dessin à l’aide du bâton de fusain. L’objectif est atteint lorsque l’incertitude et la certitude qu’il s’agit bien d’un dessin au fusain se disputent. Les dessins de Marko Velk, aux proportions souvent imposantes, sont réalisés sur Vélin d’Arches. L’ensemble de son œuvre s’attache à traduire un monde pléthorique, mais silencieux, un monde sans parole, un monde hors-science, dans un espace situé entre nature et culture, où les dieux côtoient les assassins. Compositions d’une étrange modernité, la technique de Marko Velk, son univers insondable, codé, se singularisent de beaucoup dans le paysage de la production figurative française. Il est associé au mouvement du sous-réalisme (Under Realism), et participe à chacune de ses expositions collectives.

« À la base il y a le collage. Depuis toujours, dans ces carnets de formats A4 à peu près, j’ai collé, découpé, repositionné, des documents, des références, des écrits, des bouts de dessins, des choses arrachées dans la rue, toute sorte de documents qui à mes yeux avaient une valeur graphique, symbolique, ou historique reflétant mes obsessions et mes préoccupations du moment. Page après page. Ces carnets, remplis d’interventions, d’additions et de soustractions sont autant de petites opérations et réparations du monde qui m’entoure. Une chirurgie de l’image. Opérée à la main. Jamais montrés, ils sont pour moi une source d’informations inépuisable ou presque. Gestes et pensées lancés au fil du jour révélés par des juxtapositions improbables. Ce système de réflexion et d’approche par le collage a eu un rôle essentiel dans la construction et la recherche des formes dans mon travail de dessin au fusain. C’est un procédé que j’applique aujourd’hui hui à grande échelle et qui révèle la constance et l’importance du collage à la base de mon travail. Il se révèle essentiel et incontournable. Offrant à mon travail au fusain une liberté totale et une puissance d’évocation qui me conviennent pleinement dans ma recherche. »

56 Marko Velk Ambivalences de la psyché

The agreement, 2023 - Fusain sur papier - 155 x 125 cm

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58 Cut & Clash 5, rue du Mail
Marko Velk - vue d’accrochage - White Noise, 2023 - Fusain sur papier - 155 x 125 cm
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La peintre met en place un dispositif pictural complexe susceptible de déjouer les images toutes faites. Elle travaille notamment la transparence et les superpositions des figures dessinées en laissant apparaître, à l’instar des dessins surréalistes, différentes strates d’une image. Chaque toile devient ainsi un espace diffracté et feuilleté venant déjouer la reconnaissance hâtive des formes et des motifs qui la composent. Leslie Amine balade son pinceau au fil d’anecdotes, de recherche de soi, de voyages et de souvenirs d’Afrique. (Extrait du texte de Phillipe Godin, Les terres promises, 2022, exposition «Disparence» à la galerie Anne de Villepoix du 09-11-2022 au 14-01-2023)

« Le motif photographique me sert de point d’accroche. Il me permet d’expérimenter la matière tout en essayant de le révéler, de le faire disparaître et réapparaître. Par la superposition des images et des gestes, l’espace pictural devient le lieu de l’hétérogénéité. À la manière d’un feuilletage densifié par les formes et les différentes teintes, mon image se construit et se déconstruit tout en donnant à voir des représentations évanescentes ou apocalyptiques. »

60 Leslie Amine Ambivalences de la psyché
61 Château d’eau Lavalette
et acrylique
toile
160 x 120 cm
, 2024 - Encre
sur
-

Artiste plasticien, dessinateur français, polyvalent et prolifique. Dès l’âge de 15 ans, Stéphane

Blanquet se lance dans une création totale qui devient indissociable de sa vie. Son parcours

artistique est marqué par une exploration constante à travers divers médiums, ce qui lui a valu une reconnaissance internationale et une place prépondérante dans le paysage de l’art contemporain.

Blanquet a débuté sa carrière dans le domaine du dessin et de l’édition indépendante, fondant notamment la maison d’édition Chacal Puant, puis United Dead Artists. Au fil du temps, son champ d’activité créatif s’est étendu à la conception et à la réalisation d’installations, à la production d’œuvres sur une multitude de supports et de matériaux tels que le dessin, la peinture,

la sculpture, la tapisserie et la photographie, ainsi qu’à des domaines comme le théâtre, le cinéma d’animation, la musique et l’art urbain. En tant qu’artiste urbain, Blanquet a réalisé une importante fresque au cœur du MuseumsQuartier de Vienne, en Autriche. Ses œuvres font partie de collections prestigieuses en France et à l’international.

62 Stéphane Blanquet Ambivalences de la psyché
63 Dispositif inflammable avant renaissance, 2024 - Peinture d’enluminure sur toile de lin - 213 x 300 cm

« J’appartiens parfois au surréaliste dans le sujet, mais mon énergie est parfois Cobra dans le trait volontairement cassé, puis se reprends sur un même motif dans l’énergie de la figuration, pour finir dans un trait maniaque d’un Dürer, puis se transforme tout d’un coup en autre chose de plus bancal, à cheval avec le comics book. Ainsi tout se mélange pour me raconter, car il s’agit de cela, et chaque œuvre est finalement un bout de moi, un puzzle fait de tout, d’art et de souvenirs, de rêves, de douleurs ou de beauté. »

Stéphane Blanquet

64

« J’aime allier aux sujets existentiels des symboles légers et presque impropres au genre noble qu’est la peinture. Et pourtant pourquoi rejeter de la représentation picturale des symboles et images présentes dans nos imaginaires contemporains et urbains ? »

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Les peintures figuratives de Madeleine Roger-Lacan se déploient dans un univers fantasmagorique, mêlant autoportraits, portraits intimes, paysages oniriques et objets issus de la culture populaire contemporaine. Sa peinture explore toutes ces possibilités, prenant de multiples formes, s’assemblant et se découpant. Ses œuvres étranges interrogent le regard extérieur et nous invitent à plonger librement dans nos propres rêveries.

« Quand je peins, je veux créer un choc perceptif fluide qui atteint directement l’intériorité profonde de celui qui regarde. La désorientation fait écho à ce mystère propre à chacun. La lenteur et la patience sont peut-être aussi nécessaires pour regarder mes peintures. Je veux laisser le spectateur rêver et le laisser dialoguer seul avec la matière et les formes qui sont nées dans chaque toileévènement. Ainsi la rêverie initiale reprend un nouveau cycle et crée un dialogue de liberté intime. »

Weird Little Fish Isabella, 2021

Huile et technique mixte sur toile

126 x 40 cm

90 Madeleine Roger-Lacan Ambivalences de la psyché Le flux ininterrompu du monde consumériste

Pizza Party Mash Up, 2024 - Huile sur toile, bois et photo - 73 x 50 cm

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Peter Klasen est né en Allemagne en 1935. En 1955, il intègre l’Ecole Supérieure de Beaux-Arts de Berlin. En 1959, il s’installe à Paris. Il s’inscrit alors comme le pionnier de la Figuration Narrative. Il développe son langage pictural en s’appropriant la photographie et en s’intéressant à l’esthétique industrielle. Pour Klasen la photographie est une approche indispensable, un filtre à la réalité. « Photographier la réalité n’est pas la réduire mais la sublimer. Il s’agit d’une investigation du réel à travers l’objectif. Le gros plan limite notre champ de vision et focalise notre attention. Les lieux en marge de nos villes, les faces cachées de notre monde industrialisé exercent une étrange fascination sur moi »

Peter Klasen, extrait de 1975. Pour réaliser ses œuvres, Klasen sélectionne les images, les combine dans ses toiles, découpe et juxtapose des objets. Il emploie les techniques de lithographie et de l’aérographie. Son sujet de prédilection est l’environnement/le paysage urbain. S’il en sonde les moindres détails, son intérêt porte plus particulièrement sur le monde industriel. Lieux en marge des

villes, souterrains, gares de triage, tout est pour lui source d’inspiration. Les éléments de ce décor sont souvent associés à la beauté féminine. Portrait ou parties du corps, la femme est mise en opposition avec le monde industriel/ l’univers matériel. Son travail le plus récent « People in the City » en constitue l’exemple le plus édifiant.

Torse + ampoule + quatre interrupteurs, 1969

Huile sur toile 89 x 116,5 cm

92 Peter Klasen Le flux ininterrompu du monde consumériste
93 PARACOLLAGE N°7, 1968 - Acrylique sur toile - 146 x 114 cm

Parce qu’à force de prolifération, les images ont aujourd’hui perdu de leur aspérité, devenues aussi lisses que l’espace virtuel de leur diffusion, Léo Dorfner en propose une lecture punk qui

dérange les interprétations trop chastes. Sa réappropriation des représentations médiatiques, des icônes publicitaires, des bribes du quotidien et des memes visuels dessine une mythologie

rock du contemporain aussi incrédule qu’indisciplinée.

Extrait du texte de Florian Gaité « Story from the city », exposition de Léo Dorfner, galerie L’œil d’histrion, mai

94 Léo Dorfner Le flux ininterrompu du monde consumériste
2018

Falling into place, 2024 - Aquarelle et gouache sur papier - 150 x 110 cm

95

« Dans ma pratique, j’associe des images, j’essaie de les faire rimer, qu’elles se poursuivent l’une dans l’autre ou, au contraire, j’observe une collision de laquelle jaillit un sens nouveau. Mais ce que j’aime par dessus tout c’est qu’à travers les images que je sélectionne sur Internet, parfois agrémentées d’images que je fais, se dégage une esthétique particulière, celle de la jeunesse d’aujourd’hui, rythmée par le flux incessant d’images débordant des réseaux sociaux, et qui me rattache d’une certaine façon au Pop Art. »

Léo Dorfner

96 Léo Dorfner Le flux ininterrompu du monde consumériste

So Tonight That I Might See & Why does the Earth give us people to love, 2024 Aquarelle et gouache sur papier - 150 x 110 cm

97

Hippolyte Hentgen est un duo d’artistes, composé de Gaëlle Hippolyte et de Lina Hentgen.

Réunies sous ce nom fictif pensé comme une sphère de partage et un outil de mise à distance de la notion d’auteur, les deux artistes explorent un territoire de recherche principalement orienté vers l’image. Si leur pratique s’ancre dans le dessin, elles s’aventurent également dans d’autres champs de représentation, tels le spectacle, le décor, le film et la sculpture. En s’appropriant les codes de la bande dessinée et du dessin de presse, elles multiplient les tons (burlesque, naïf) et les références (de Jim Shaw aux cartoons des années 1930, de l’underground au modernisme, des motifs textiles aux papiers décoratifs japonais) et revivifient par glissement et greffe, une culture visuelle de masse. Puisant dans l’histoire de l’art comme dans la culture populaire, elles

s’emparent d’images iconiques inscrites dans la mémoire collective et les restituent dans un immense collage protéiforme et composite, d’une grande liberté stylistique.

« Le principe du cadavre exquis pratiqué par les surréalistes est notre premier terrain de jeux et c’est cet exercice qui a donné une inflexion à notre pratique libre de l’image avec en son centre une obsession de l’assemblage de fragments de tous horizons : savants et vernaculaires. Ces différentes sources nous permettent de raconter des histoires personnelles mais aussi grâce à la force du document, de tracer des histoires collectives. »

Hippolyte Hentgen

98 Hippolyte Hentgen Le flux ininterrompu du monde consumériste
99 DEMAIN 88, 2024 - Encre et collage sur papier - 194 x 163 cm
100 Hippolyte Hentgen Le flux ininterrompu du monde consumériste DEMAIN 88, 2020 - Encre et collage sur papier - 100 x 70 cm
101 DEMAIN 88, 2024 - Encre et collage sur papier - 194 x 163 cm

Jean-Philippe Roubaud est un artiste qui explore le domaine du dessin, l’illusionnisme et la temporalité.

Connu pendant 15 ans sur la scène artistique niçoise au sein d’un duo avec Cynthia Lemesle, il travaille seul depuis 2015. Il utilise le crayon, le pinceau et, de manière récurrente, le graphite. Fusionnant diverses techniques artistiques, Jean-Philippe Roubaud s’oblige à restreindre les moyens du processus et réduit l’acte à son plus petit appareil pour n’en garder que l’essentiel. Ses dessins peints sont citationnels, qu’ils soient issus d’ouvrages scientifiques ou de simples phénomènes mémoriels. Ses créations franchissent les frontières entre la peinture et le dessin, offrant aux spectateurs une expérience immersive et introspective. À travers ses œuvres, Roubaud explore les thèmes de la mémoire, de l’identité et de la nature humaine, invitant le public à réfléchir sur sa propre existence et sur le monde qui l’entoure. Son style distinctif mêle souvent des éléments abstraits et figuratifs, créant ainsi des compositions dynamiques et évocatrices qui captivent l’imagination.

102 Jean-Philippe Roubaud Le flux ininterrompu du monde consumériste

Mnémosyne atlas apocryphe, Méduse 2, 2024 - Graphite sur papier - 60 x 50 cm

Mnémosyne atlas apocryphe, Narcisse & Orphée, 2018 - Graphite sur papier - 30 x 24 cm (chaque)

103

« Comme beaucoup d’artistes de ma génération, j’ai constitué une partie de ma culture artistique et iconographique à travers les livres et par la suite les recherches sur Internet. Je pouvais sauter un siècle en quelques pages et alterner culture pop et représentation classique très rapidement. De là vient sûrement mon goût pour le carambolage d’images. Je suis admiratif depuis très longtemps du travail d’Aby Warburg fondateur de la

104 Jean-Philippe Roubaud Le flux ininterrompu du monde consumériste

notion d’iconologie. Ses méthodes de mise en relation d’images m’inspirent et me permettent de produire du sens à l’intérieur de mes œuvres. Aby Warburg montre que découper c’est choisir, monter c’est lier, assembler c’est raconter en confrontant. Ces assemblages permettent de faire réapparaître la mémoire des images dans un syncrétisme transhistorique. »

Jean-Philippe Roubaud

105 Romantic Amor, 2018 - Graphite sur papier - 102 x 65 cm (chaque) - Polyptyque

La peinture d’Armand Jalut convoque une iconographie cultivant l’ambiguïté et les paradoxes. Il extrait de ses collections d’images certains fragments, les soumet à des déplacements, des jeux combinatoires concevant un dispositif pictural ambivalent.

Devenant artefacts, ces objets hyper figurés s’enrichissent d’un potentiel narratif aux réminiscences fantastiques et érotiques. Son travail rend compte de cette manière

d’observer l’anodin, l’obsolète, manipulant et recontextualisant le sujet à travers le prisme déformant de la peinture, élaborant une projection fantasmée de l’accessoire.

« Ma pratique du collage est précédée de recherches iconographiques, de pérégrinations rétiniennes qu’offrent le scrolling sans fin et l’instantanéité des photos à l’iPhone. Cette consommation visuelle mène à la collection de sujets potentiels, hiérarchisés en fonction de leurs qualités picturales et leur ambivalence. »

Armand Jalut

106 Armand Jalut Le flux ininterrompu du monde consumériste
107 39, 2020 - Huile sur toile - 162 x 130 cm

Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024

Strouk Gallery

Espace avenue Matignon

108 Armand Jalut Le flux ininterrompu du monde consumériste
109
Tenderly, 2023 - Huile sur toile - 116 x 89 cm

«Vouloir peindre c’est d’abord vouloir inventer une image qui bouleversera les autres.»

Seguí, dès les années 60, confère aux figures une place primordiale dans son travail. Il se place alors aux premiers rangs de la Nouvelle Figuration (et du Pop Art) et trouve sa place parmi les artistes qui ont rejeté le formalisme de l’abstraction et redonné une place « au quotidien ». Sa production est formée pour la plus grande part de peintures, mais aussi d’estampes et de sculptures.

Jeune peintre, il puise son inspiration auprès d’artistes comme Giorgio de Chirico, Mario Sironi, Gutiérrez Solana ou encore comme le peintre français satirique Honoré Daumier. Dans les années 60 et 70, ses tableaux sont sombres et dénonciateurs. Il y fait figurer des représentants du Pouvoir, de l’Armée et du Clergé. Il peint des toiles expressionnistes et satiriques qui font allusion à l’histoire politique et sociologique de l’Amérique latine ( L’arrivée du Général , 1967). Il admet qu ‘« il a toujours eu dans sa peinture, des éléments constants, comme la dénonciation et la provocation. »

Pages suivantes, à gauche, Cuando te Vuelva a Ver, 1985

Huile sur toile 200 x 200 cm

110 Antonio Seguí Le flux ininterrompu du monde consumériste Les fêlures tragiques de l’Histoire

Memoria de un Ropero, 2017 - Acrylique sur bois découpé - 121 x 121 x 8,5 cm

111
112 Cut & Clash 2, avenue Matignon
113

Après des études d’histoire à l’Université Paris VII, Stéphane Pencréac’h entreprend, au début des années 90, un travail de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et d’édition. Il aime reprendre des thèmes, des symboles ou des personnages mythologiques, des mythes fondateurs comme base pour évoquer, dans une version contemporaine, des sujets universels. Si Stéphane Pencréac’h déploie ses peintures et ses sculptures de manière assez classique, il vise à fonder une expérience esthétique nouvelle, construite en référence au monde actuel, à une troisième dimension qui prend forme tant dans le cinéma, que dans l’univers du net. Poussant sa recherche formelle, il intègre la sculpture en 3D dans ses tableaux, perdant le spectateur dans une complexité spatiale, multipliant les points de vue possibles. Il réactive depuis quelques années la grande tradition de la peinture d’histoire et du monument.

« La modernité c’est pour moi le principe d’hétérogénéité formelle, que j’ai pris comme une déflagration avec « Le Déjeuner sur l’herbe » de Manet d’abord, et ensuite Picasso bien sûr. Casser, recomposer, recommencer. Par extension le chaos comme source d’inspiration et générateur de formes. Dans mes tableaux les multiples pistes de sens sont balisées davantage par ces ruptures et changements de formes que directement par de l’iconographie qui s’entrechoquerait. »

Stéphane

Pages précédentes, à droite, Vladimir Poutine, 2023

Huile sur toile

200 x 200 cm

Vue d’exposition

114 Stéphane Pencréac’h Les fêlures tragiques de l’Histoire
115
Elon Musk, 2024 - Huile sur toile - 200 x 200 cm

Dès 1963, Adami élabore son langage plastique. La fragmentation de l’espace, les effets de relief et de tridimensionnalité vont laisser la place à une ligne serpentine et sensuelle dans des suites de formes closes. Il joue sur les juxtapositions, les mélanges, la fusion des idées, des émotions, des impulsions avec toujours la ligne qui est le véritable paraphe de son esthétique. Cette ligne très accusée est le point de départ et la fin du dessin, elle signe son style, c’est son écriture. Ce cerné, ce trait contour, enserre aussi bien les événements historiques, les paysages, les portraits de célébrités et mène du réel au symbolique, à une sorte d’allégorie culturelle aussi bien que personnelle.

116 Valerio Adami Les fêlures tragiques de l’Histoire

Visitate le Termopili, 1988 - Acrylique sur toile -197 x 260 cm

117

La pratique artistique de Damien Deroubaix est marquée par une grande diversité de formes et de techniques : peinture à l’huile, aquarelle, gravure, tapisserie, panneaux de bois gravés, mais aussi sculpture et installation.

À cette variété formelle répondent des sources et des références des plus éclectiques, cohabitant souvent au sein de ses oeuvres dans un esprit qui n’est pas sans rappeler celui, iconoclaste, des montages Dada. Des motifs empruntés aux danses macabres médiévales s’y mêlent à des évocations de chapitres tragiques de l’histoire contemporaine ; des images d’actualité y côtoient la mythologie ou le folklore ; l’histoire de l’art et la scène musicale metal s’y télescopent. Ouvertement expressionnistes, ses peintures convoquent bien souvent des thèmes apocalyptiques, et c’est peut-être ce qui les rend si intemporels.

118 Damien Deroubaix Les fêlures tragiques de l’Histoire

La jeune fille, la mort et le diable, 2022 - Huile et collage sur toile - 200 x 150 cm

119

« Ça fait bien longtemps que la mondialisation a révélé un monde fragmenté. Par son état de morceaux, de la texture matière ou de pensées différentes qui se télescopent, ma peinture/ collage tend à présenter cela. »

120

La jeune fille et la mort, 2023 - Huile et collage sur toile - 200 x 150 cm

121

Après une formation de peintre-décorateur à l’école des Arts appliqués de Paris, Jacques Monory travaille dix ans chez l’éditeur d’art Robert Delpire où il se trouve en contact avec l’univers de la photo. Il est l’un des principaux représentants du mouvement de la Figuration narrative qui, au milieu des années 1960 s’est opposé à la peinture abstraite, avec notamment les peintres

Hervé Télémaque, Erró, Rancillac, Peter Klasen, Eduardo Arroyo et Valerio Adami. Profondément préoccupé par la violence de la réalité quotidienne, les tableaux de Monory suggèrent des atmosphères lourdes et menaçantes.

Les thèmes sont développés à travers des séries et les images qu’il utilise sont directement issues de la société contemporaine. Des emprunts photographiques et cinématographiques, le recours à la monochromie, la froideur de la touche et de la composition caractérisent un style singulier et engagé dans la représentation et baignent souvent dans un monochrome bleu.

Couleurs n°5, 2002 - Acrylique sur toile - 176 x 501 cm (Triptyque)

123

D’abord connue pour sa peinture, Cristine Guinamand ne se limite pas à un seul médium. Son exploration artistique est protéiforme, embrassant le dessin, la gravure, la broderie, l’installation, la sculpture et même la création de machines. Cette diversité est une caractéristique fondamentale de son travail, lui conférant une richesse et une profondeur uniques. Le dessin occupe une place importante dans sa pratique. Il lui sert à la fois d’outil d’exploration et de moyen d’expression à part entière. Ses dessins, souvent à l’encre ou au fusain, sont d’une grande précision et d’une grande force expressive. Son style est difficile à catégoriser et mélange plusieurs influences, ce qui en fait une artiste unique et singulière.

« L’association de matériaux forts et chargés rend visible les intentions voulues. Lorsque j’utilise des puzzles dans les compositions liées à la guerre, l’impression de fragmentation, de morcellement, de débris est augmentée, traduisant la dynamique mortifère de celle-ci. Ces peintures à l’huile composites donnent des propositions qui rompent avec la linéarité et la continuité de l’image et retranscrivent par la même occasion un magma significatif tel un champ de bataille où les éléments hétéroclites partagent une même zone. L’appréhension du rébus formel et narratif des peintures ne peut-être saisi en un instant mais demande un arrêt, un certain temps, comme pour faire prendre conscience de la dislocation du monde. »

Cristine Guinamand

Révélation, 2024

Acrylique et huile sur toile libre 214 x 300 cm

124 Cristine Guinamand Les fêlures tragiques de l’Histoire
125
Vue de l’exposition Cut & Clash, 2024 - œuvres de Cristine Guinamand - dimensions variables

« C’est dans sa capacité à conjuguer le projet graphique à l’image choisie que

Valentin van der Meulen révèle sa maîtrise du dessin : la même force qui se

dégage du dessin se trouve dans le geste et le regard. Souvent les dessins de sculpteurs témoignent de leurs manières de traiter la pierre, le bois, l’on

pense ici à Baselitz ou Dodeigne. Un même poids de la main s’imprime dans la matière. Valentin van der Meulen n’est pas sculpteur, pourtant son dessin

parvient à conférer à l’image une présence tangible dans l’espace. »

Paul-Hervé Parsy, ancien directeur du Château D’Oiron et des collections du

Centre Georges Pompidou

Poudre de fusain, pierre noire, bois, polyuréthane, Dibond et laque acrylique

110 x 80 x 5 cm

140 x 70 x 5 cm

126 Valentin van der Meulen Les fêlures tragiques de l’Histoire Ambivalences de la psyché
127
Birds, 2023 - Poudre de fusain, pierre noire, papier, bois et polyuréthane - 190 x 135 x 5 cm

« L’idée de fragment m’a toujours intéressé. Du fragment se pose la question du motif que je me permets d’aborder au sens large du terme. Beaucoup de choses peuvent devenir un motif si on les considère dans leur rapport à la réalité. Quand j’aborde ces deux aspects (fragment / motif), les jeux de visible et d’invisible, ou de prolifération et de saturation, prennent une nouvelle dimension qui concurrence le sujet premier de l’image et donc en interroge le récit. J’ai toujours considéré l’image dans sa relation avec la réalité à travers l’idée de la mémoire (jusqu’à sa dimension physique quand je la traduis en dessin) plus qu’à travers l’idée de documentation. Cette idée permet de s’interroger sur la manière dont nous écrivons l’histoire dans notre société et notre relation avec celle-ci. »

128
129

Témoin des atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale et plus récemment dans les années 90 en ex-Yougoslavie, Vladimir Veličković consacre sa peinture à la représentation du corps humain, un champ d’investigation inépuisable pour lui. Dans ses œuvres, paysages désolés, horizons bloqués, visions de guerre et de carnage forment un univers où les représentations du monde et du corps humain sont des illustrations de la souffrance infligée à l’homme par l’homme.

130
Veličković Les fêlures tragiques de l’Histoire
Vladimir
131
KARTON, 2007-2009 - Technique mixte sur carton - 32 x 29 cm (chaque)

L’œuvre d’Axel Pahlavi explore des thèmes tels que la violence, la tristesse, la beauté et la spiritualité à travers des fresques cosmiques et des autoportraits. L’art d’Axel Pahlavi se confronte à l’histoire, à la sciencefiction, à la société et à la nature. Ses toiles montrent une figure humaine dérisoire hantée par un sentiment d’abandon et une fatalité tragique.

« Bien sûr, le collage provient beaucoup de l´utilisation pour ma génération de l´outil Photoshop. Mais chez moi il se double par des manières de matières qui viennent doubler les collages d´images : les parties sont peintes avec des outils différents et des vitesses de peinture différentes, ce qui accentue le côté explosif dans le frottement entre les parties. Cela est aussi une manière de penser la fission de la matière elle-même. »

(de gauche à droite)

Étude pour un portrait 1, 2 & 3, 2024

Acrylique et huile sur toile

50 x 40 cm

132 Axel Pahlavi Les fêlures tragiques de l’Histoire
133 Je t’ai toujours aimé, 2022 - Acrylique et huile sur toile - 100 x 80 cm

Pionnier du mouvement de la Figuration Narrative, il est à la fois pop et baroque. Utilisant une technique académique, il combine des images provenant de diverses sources. Tout a commencé à la fin des années 1950, avec des ciseaux et de la colle. Publicités, journaux, affiches, propagande politique, bandes dessinées, il collectionne tout ce qu’il voit, tout ce qu’il lit. Il découpe et assemble, composant un collage, qui peut être considéré comme une ébauche du tableau à venir. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est notre culture visuelle et politique. De Mao Zedong à la guerre du Golfe, il raconte ce que tout le monde connaît et peut reconnaître : les figures des despotes, le monde et ses conflits, la guerre des images. En 1963, en arrivant à New York, il lance la série des « Scapes », un flux ininterrompu d’images qui saturent la surface du tableau. Ainsi, une narration

infiniment complexe s’établit, laissant la liberté d’interprétation au spectateur. « La peinture est une façon de chercher à découvrir le sens d’un monde confus », explique Erró.

134 Erró Le flux ininterrompu du monde consumériste
135
Sans titre, 2020 - Acrylique sur toile - 198 x 158 cm

Artiste appartenant à la famille du mouvement néo pop, ses œuvres se situent dans le courant de la figuration narrative française et du pop art. Myriam Baudin s’attache à détourner et réinterpréter l’iconographie contemporaine ainsi que l’imagerie urbaine et publicitaire de la société de consommation. Utilisant le graphisme et la couleur, elle tient un propos subversif s’inspirant de la vie quotidienne et de la presse. La peinture de la renaissance italienne lui procure ses premières sensations et c’est particulièrement chez Piero della Francesca qu’elle découvre toute l’efficacité géométrique et chromatique d’une œuvre et où elle apprend à maîtriser cette simplification de l’image. Au cours des années 90, Myriam Baudin se consacre exclusivement à la peinture. Elle expérimente de nombreux matériaux et opte pour la propolis

(résine extraite des ruches de son père) associée à des pigments naturels sur toile marouflée.

Dans ses toiles, l’identité féminine évoque le noyau originel. La femme comme ligotée au sein

d’elle-même, doit être, selon l’artiste, « sfogarsi », extraite du feu, se libérer du feu.

136 Myriam Baudin Le flux ininterrompu du monde consumériste
137
Rewild Mary Bob, 2024 - Acrylique sur toile - 146 x 114 cm

Réincarnation des vaches folles, 2011 - Acrylique sur toile - 130 x 97 cm

138 Myriam Baudin Le flux ininterrompu du monde consumériste

Icônes aux ornements, 2019 - Acrylique sur toile - 100 x 100 cm

Du lard urbain, 2014 - Acrylique sur toile - 100 x 100 cm

139

« La pratique du collage exprime souvent une explosion de violence ressentie, réorganisée sur toile pour tenter de se libérer de soi vers l’espérance d’un absolu. »

Myriam Baudin

140

« L’émancipation dans la peinture est une grande nécessité, elle va droit au cœur. Le conventionnel n’est que demi-mesure, il refroidit la liberté. L’imagination, c’est de monter et descendre dans un fluide. On dirait qu’un infini ou un point se trouve entre la rotation et l’oscillation. »

« À propos de mes deux tableaux « La guerre de la gourmandise » et « Sucrés », un proverbe chinois dit : « Trop de colle ne colle plus, trop de sucre n’adoucit plus. »

Raphaëlle Ricol

141

Raphaëlle Ricol est une artiste peintre française qui s’inscrit dans le mouvement du Sous Réalisme. Née sourde, Raphaëlle Ricol a développé son art de manière autodidacte. Ses sources d’inspiration sont multiples, allant de la BD, les mangas et les dessins animés, en passant par l’art urbain et la peinture classique. Elle utilise principalement l’acrylique, mêlant parfois le feutre, le marqueur ou la peinture à la bombe. Dans ses œuvres, on peut parfois trouver des objets incorporés, comme des figurines en plastique de jeux d’enfants, ou des figurines collées à la surface de ses tableaux. Sa peinture évolue d’un univers réaliste

vers un monde peuplé de créatures à la fois violentes et burlesques.

La guerre de la gourmandise, 2023

Acrylique sur toile 150 x 150 cm

142 Raphaëlle Ricol Le flux ininterrompu du monde consumériste

Sucrés

143
, 2023 - Acrylique sur toile - 150 x 150 cm

« Tous les « événements » politiques m’impressionnent. Je l’ai découvert quand j’ai décidé de faire les toiles sur l’année 1966. J’ai compris alors que j’étais un animal politique pas un chroniqueur mondain ! À l’origine de toute création artistique il faut une émotion. Très souvent chez moi elle est de nature politique même quand je peins des Mickey, des musiciens de jazz, des voitures ou des stars de cinéma. Le journaliste et le photographe sont plus présents sur l’événement et plus rapides en communication. Mais le peintre a le temps pour lui, le temps de s’enfoncer dans la chair du temps. Cela s’appelle l’histoire. »

144 Bernard Rancillac Le flux ininterrompu du monde consumériste
Bernard Rancillac propos recueillis à Paris en 1991
145
Miss Berger, 1993 - Acrylique sur toile et collage de plaque de métal - 93 x 82 cm

La peinture de Shu Rui est basée sur l’instant présent, s’inspirant de ses propres expériences. Elle n’a ni sujet de création fixe ni objet de recherche défini. Elle dépeint

des choses et des phénomènes avec une approche morcelée et décentralisée du réalisme. Son travail combine à la fois une dimension autobiographique et une démarche documentaire. Elle se consacre principalement à dépeindre –au sens de

« raconter » –les objets qu’elle possède : ses vêtements, ses sacs, son fer à repasser, ses livres, son téléphone portable, ses aliments et les emballages de ce qu’elle a consommé. Elle les représente avec une sorte de vénération, copiant les images des emballages comme si elle reproduisait l’œuvre d’un grand maître.

« Ma peinture représente à la fois un effort autobiographique et une démarche documentaire. Je me consacre surtout à dépeindre – pas peindre, mais littéralement dépeindre, au sens de « raconter » – les objets que je possède : mes vêtements, mes sacs, mon fer à repasser, mes livres, mon téléphone portable, mes aliments et les emballages de ce que j’ai consommé... Je les peins avec une sorte de vénération : je copie les images sur les emballages comme je reproduisais l’œuvre d’un grand maître. »

Shu Rui

Vue d’exposition Œuvres de Shu Rui

146 Shu Rui Le flux ininterrompu du monde consumériste
147 Ma liberté n’est pas la tienne, 2022 - Huile sur toile - 116 x 89 cm
148 Cut & Clash 2 avenue Matignon
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LÉGENDES DÉTAILS

Stéphane Blanquet, p.65 - Dispositif inflammable avant renaissance, 2024

Gérard Schlosser, p.66 - Quelques fois, 2021

Till Rabus, p.67 - Split body 5, 2023

Jean-Philippe Roubaud, p.68 - Mnémosyne atlas apocryphe, Meduse 2, 2024

Léo Dorfner, p.69 - So Tonight That I Might See, 2024

Erró, p.70 - Sans titre, 2020

Myriam Baudin, p.71 - Rewild Mary Bob, 2024

Bernard Rancillac, p.72 - Miss Berger, 1993

Shu Rui, p.73 - Ma liberté n’est pas la tienne, 2022

Valerio Adami, p.74 - Visitate le Termopili, 1988

Stéphane Pencréac’h, p.75 - Vladimir Poutine, 2023

Karine Rougier, p.76 - Sans titre, série Flux, 2022

Michel Tyszblat, p.77 - Sans titre, 2013

Armand Jalut, p.78 - Tenderly, 2023

Antonio Seguí, p.79 - Memoria de un Ropero, 2017

Robert Combas, p.80 - POSE ENTRE DES GROSSES TÊTES DE CAPITALISTES

À « L’ANCIENNE », 2024

Oda Jaune, p.81 - Untitled, 2022

Abel Pradalié, p.82 - Les demoiselles d’Instagram, 2024

Léopold Rabus, p.83 - Intérieur, 2017

Pat Andrea, p.84 - VOORTREKKER, 2015

Abel Pradalié, p.85 - KO, 2023

Marko Velk, p.86 - The agreement, 2023

Katia Bourdarel, p.87 - Linteum - Le paradis blanc, 2022

Madelein Roger-Lacan, p.88 - Weird Fish Isabella, 2021

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CRÉDITS ARTISTES

© Valerio Adami

© Leslie Amine

© Pat Andrea

© Myriam Baudin

© Stéphane Blanquet

© Katia Bourdarel

© Robert Combas

© Damien Deroubaix

© Léo Dorfner

© Erró

© Cristine Guinamand

© Hippolyte Hentgen

© Armand Jalut

© Oda Jaune

© Peter Klasen

© Marlène Mocquet

© Jacques Monory

© Axel Pahlavi

© Stéphane Pencréac’h

© Nazanin Pouyandeh

© Abel Pradalié

© Léopold Rabus

© Till Rabus

© Bernard Rancillac

© Raphaëlle Ricol

© Madeleine Roger-Lacan

© Jean-Philippe Roubaud

© Karine Rougier

© Shu Rui

© Gérard Schlosser

© Antonio Seguí

© Michel Tyszblat

© Valentin van der Meulen

© Vladimir Veličković

© Marko Velk

©ADAGP

REMERCIEMENTS

Galerie Anne de Villepoix

Galerie Claire Gastaud

Galerie Semiose

Galerie Michel Rein, Paris / Bruxelles

Galerie Templon

Galerie EAST

Galerie Isabelle Gounod

Galerie Sator

Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Galerie Lange+Pult

Galerie Eigen+art

Galerie Espace à vendre

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

© Romain Darnaud : reproduction des œuvres et photos de l’exposition

© Sully Balmassière : p.17 ; p.19 ; p.83

© Atelier de Pat Andrea : p.21 ; p.23 ; p.84

© Harald Gottschalk : p.29 ; p.31 ; p.80

© Atelier Till Rabus : pp.32-35 ; p.67

© Atelier d’Oda Jaune : p.39 ; p.81

© Atelier de Nazanin Pouyandeh : p.41

© Rebecca Fanuele : p.48 (gauche)

© Thibault Hazelzet : p.48 (droite)

© Atelier de Michel Tyszblat : pp.52-53 ; p.77

© Atelier de Karine Rougier : p.55 ; p.76

© Atelier de Marko Velk : p.57

© Atelier de Leslie Amine : p.61

© Claire Dorn : p.88 ; pp.90-91

© Atelier de Léo Dorfner : p.95

© Aurélien Mole : pp.100-101

© Atelier de Jean-Philippe Roubaud : pp.104-105

© F. Kleinefenn : p.107

© Atelier d’Antonio Seguí : p.111

© Atelier de Valentin van der Meulen : pp.126-127

© Atelier de Myriam Baudin : p.71 ; p.136-138

© Atelier de Raphaëlle Ricol : pp.142-143

© Atelier de Shu Rui : p.73 ; pp.146-147

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Published by Strouk Gallery

Exposition du 08.03.24 au 20.04.24

COMMISSAIRE D’EXPOSITION

Amélie Adamo

COORDINATION

Inès Frachon

Marie Laborde

Juliette Susini

TEXTES

Amélie Adamo

Inès Frachon

CORRECTIONS

Inès Frachon

Éléa Bindi

GRAPHISME

Juliette Susini

RÉGIE

Romuald Pfister

Stéphane Mortier

Arny Peña

www.stroukgallery.com

PARIS

2, avenue Matignon, 75008 5, rue du Mail, 75002 T +33 1 40 46 89 06 contact@stroukgallery.com

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@laurentstrouk

Achevé d’imprimer en mars 2024 sur les presses de l’imprimerie Marie, Honfleur, France

Dépôt légal mars 2024

ISBN : 978-2-493962-08-9

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