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Méthodologie

Les montagnes occupent ainsi une place particulière dans le cycle fragile de l’eau. Elles interceptent l’air qui circule autour du globe pour le pousser vers le haut où il se condense en nuages faisant retomber l’eau sous forme de neige ou de pluie. En plus de permettre à cette eau de tomber du ciel, elles jouent un véritable rôle de « châteaux d’eau ». Stockées sous des formes solides de neige ou de glace, elles fondent durant les périodes plus chaudes, qui coïncident souvent avec des moments de faibles précipitations. Ainsi, elles offrent une disponibilité en eau et régulant ce cycle naturel. Ce lien étroit reliant ainsi la neige et l’eau sera le fil conducteur de notre développement. En effet, c’est de la neige dont découle l’eau et comme le souligne l’Agence européenne pour l’environnement, les Alpes ce « château d’eau » est un « service écosystémique sous pression » (pour ne citer que lui, les massifs de la Cordillère des Andes ou de l’Himalaya rencontrent des problématiques similaires). Dans les Alpes, durant l’hiver, l’eau est recueillie et s’accumule sous forme solide (neige et glace) dans les glaciers, les lacs, les nappes phréatiques et le sol. Ensuite, elle est délivrée progressivement lors de la fonte des glaces et de neiges pendant les saisons plus chaudes. De ce fait, la neige alimente des fleuves tels que le Rhin, le Danube ou le Rhône, dont la tête de bassin-versant se trouve dans les montagnes. L’eau est ainsi utilisable à un moment où l’offre diminue en contrebas, dans les plaines et où la demande est maximale. À l’ère de l’anthropocène, les interactions fragiles qui sous-tendent le phénomène ancestral d’accumulation et d’écoulement sont désormais menacées (Figures 3 & 4). Le changement climatique risque de modifier radicalement ce cycle de l’eau. Le « château d’eau » des Alpes est extrêmement sensible et vulnérable aux évolutions des processus météorologiques et climatiques ou de l’utilisation de l’eau par la nature et les hommes. Toute dégradation peut avoir une influence sur la qualité et la quantité d’eau fournie à des dizaines de millions d’Européens, entraînant ainsi des cas de « stress hydrique » important. Cependant, il est important de rappeler que ce n’est pas la quantité d’eau qui va changer, mais sa forme et donc la façon dont celle-ci va se répartir, se stocker et s’écouler. Il y a donc un impact important sur les activités des territoires concernés, et donc le paysage.

Les liens entre l’eau et l’évolution des paysages de montagnes sont multiples, tout comme les usages et les représentations qui en découlent. À travers ce récit sur l’eau et la neige, il s’agit ici d’aborder la construction des paysages de montagnes, ainsi que les relations qu’entretiennent les sociétés avec ces derniers. Mais également d’explorer des questions intégrant les enjeux autour de l’utilisation de la ressource entre les acteurs et les effets sur le paysage. Force est de constater que l’eau a toujours été une ressource pour l’humanité, on peut alors se demander si la neige en est une ? Si c’est le cas, comment la société s’est construite autour de celle-ci ? De quelle manière a-telle pu orienter la construction des territoires de montagne ? Quelles sont les perceptions qui résultent de ce processus ? À travers l’étude de cas de Bourg-Saint-Maurice, on tachera de se demander ce qui fera ressource dans la période de l’après-neige ? Comment les acteurs du territoire qui ont « tout misé» et donc tout investi dans « l’or blanc » envisagent - ils l’avenir ? Quelle est la place du paysage et du paysagiste dans cet avenir ? Le premier chapitre de ce récit sera consacré à la neige, cet élément solide et virevoltant autour duquel on fera un voyage sémantique nous amenant aux quatre coins du monde. Il sera aussi question de l’évolution de ses représentations à travers le prisme de différents médiums. Enfin, si les mots pour la dire et les figures pour la voir ne suffisent pas à en faire une ressource, nous analyserons les processus de transformation de la neige ressource, et leurs effets sur le paysage. Il permettra d’avoir une approche générale sur cet élément fascinant qui nous amène aujourd’hui à questionner certains territoires. Le second chapitre explorera notre site d’étude, Bourg-Saint-Maurice, commune de Haute-Tarentaise. Il tachera de comprendre le rôle que l’eau et la neige ont joué dans la construction et la trajectoire de ce territoire montagnard. Enfin, le troisième chapitre sera consacré aux récits sur son avenir, recueillis auprès d’acteurs de BourgSaint-Maurice, et nous tenterons de mettre en image ces projections qui amorcent le champ des possibles.

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L’exercice du mémoire d’initiation à la recherche s’est déroulé de septembre 2019 à fin avril 2020. C’est l’occasion de pouvoir nous intéresser à un sujet et des problématiques portant sur le thème du paysage, pendant une étude menée individuellementet pouvant s’appliquer sur un territoire choisi. Durant cette période, cet exercice s’effectue en deux parties. La première est intitulée « Synthèse bibliographique », elle consiste à mener un travail d’investigation bibliographique sur le sujet choisi, d’explorer différentes pistes d’entrées dans le mémoire et enfin d’aboutir à une problématique qui sera ensuite développée dans l’étude du second semestre. Elle s’est déroulée de septembre 2019 à janvier 2020. Ce travail de synthèse nous a permis de rendre compte des références sur les sujets de la neige et de l’eau dans les territoires de montagnes, ainsi que sur la notion de ressource et de territoire. Au cours de cette investigation, nous avons pu rencontrer différents interlocuteurs :

-Martin de La Soudière, ethnologue (chargé de recherche au CNRS), écrivain et spécialiste du monde rural. Il a consacré de nombreux ouvrages à l’hiver et la neige. -Martine Tabeaud, une géographe française, spécialiste de climatologie, qui enseigne depuis 1977 à l’université Paris Panthéon Sorbonne. Elle a rédigé de nombreux articles sur la neige et le climat hivernal. -Eric Adamkiewicz, enseignant-chercheur à Toulouse et Grenoble où il enseigne la stratégie économique du sport et du tourisme, directeur de l’office du tourisme des Arcs (2003-2009) -Bernard Pecqueur, économiste et aménageur, est professeur à l’université Grenoble Alpes. Il est spécialiste des questions de développement territorial à propos desquelles il a rédigé de nombreux articles et ouvrages, notamment concernant la notion de ressource. Ils nous ont permis d’éclairer et d’approfondir notre recherche et nos échanges ont été déterminants dans l’élaboration de cette étude. Enfin, la synthèse bibliographique nous a permis de comprendre que la ressource est capitale dans la constitution d’un territoire et son processus de construction passe par la volonté d’acteurs durant une période donnée. Les intentions et les résultats ont un effet lisible sur le paysage. Dans le cas des territoires de montagne, au travers de la construction de la neige en ressource, nous avons démontré que le paysage est le point de départ de ce processus, autrement dit une matrice. Il est à la fois une ressource, mais également le produit de l’élaboration d’élément biophysiques en ressources territoriales. À partir de cette conclusion, nous sommes arrivés à un questionnement concernant le territoire d’étude choisi pour l’investigation du mémoire de recherche, Bourg-Saint-Maurice. Nous nous sommes ainsi demandés comment les acteurs du territoire qui ont « tout misé » et donc tout investi dans « l’or blanc » envisagent - ils l’avenir ? Quelle est la place du paysage et du paysagiste dans cet avenir ? Pour répondre à ces questions, notre étude s’est déroulée du mois de février jusqu’à la fin avril 2020. Pour la mener à bien, une méthode d’investigation en 3 étapes fût définie, en se basant sur les informations recueillies durant le travail de synthèse bibliographique. La première étape fut l’arpentage, la deuxième, les entretiens semi-directifs avec les acteurs du territoire, et enfin un travail d’écriture, de traitement d’informations et de réalisation d’outils permettant de rendre compte de l’analyse et ses résultats.

L’arpentage : La première approche du terrain a eu lieu le 31

octobre et le 1 novembre 2019, durant le travail de synthèse bibliographique. Elle consistait à faire un premier relevé sensible du site par le dessin et la photographie, tout en mettant en rapport des cartes et la réalité du terrain. Également, elle offrait l’occasion de se rendre dans les différentes stations des Arcs pour observer ces espaces hors saison hivernale. On se rendait très rapidement compte que ces stations étaient désertes en dehors des saisons touristiques. Enfin, cela nous a permis de nous rendre dans des espaces inaccessibles l’hiver à cause de la neige, notamment le col du petit Saint-Bernard, ou la vallée des Chapieux. Le second retour sur site s’est fait durant l’hiver 2019. Le 30 décembre, nous avons arpenté à ski l’ensemble du domaine skiable des Arcs en partant de la gare du funiculaire de Bourg-SaintMaurice. Une journée de ski qui nous a permis de mettre en relation la différence d’usage de l’espace en automnes et hiver, de même que la différence de fréquentation de la commune qui est jusqu’à 5 fois plus importante en hiver. Ce fut aussi l’opportunité d’arpenter le site d’une autre manière, ski aux pieds, et de se rendre dans des espaces moins facilement accessibles à pied. Enfin, le dernier retour sur site s’est déroulé durant les trois jours prévus pour les entretiens le 19, 20 et 21 février 2020. Il a permis de venir vérifier les premières hypothèses de travail effectué en amont, mais aussi d’explorer les pistes que les acteurs nous offraient durant nos interviews.

Les entretiens : Les acteurs rencontrés ont été contactés début février dans le but d’une rencontre pour mener des entretiens semi-directifs. Il nous semblait important d’obtenir leur avis et surtout leur regard sur le territoire que nous étudions et qu’ils habilitaient. Le choix des acteurs s’est ainsi fait en fonction d’une carte d’acteurs préalablement réalisée, celle-ci se basait sur les actions qu’ils pouvaient avoir sur la ressource en eau, ainsi que les relations entretenues par rapport à celleci. Ainsi, nous avons pu rencontrer neuf acteurs durant ces trois jours ( détail en Annexe 1) : Caroline, monitrice de ski, ESF aux Arcs et monitrice de vélo en été ; Christian Juglaret, agriculteur depuis plusieurs générations ; Flore, monitrice de ski sur Arc 1600. Habitante des Arcs depuis 50 ans ; Fred, Rédacteur du PACT Tarentaise, né à Bourg-Saint-Maurice ; Guillaume Desrues, professeur de physiquechimie au lycée de Bourg-Saint-Maurice. Arrivé sur la commune il y a quinze ans, il est aujourd’hui tête de liste du BAM pour les élections qui auraient dû avoir lieu en 2020 ; Jean-Yves et Rosette Vallat, Rosette est présidente de l’association des Croqueurs de pommes de Savoie Tarentaise Beaufortain depuis 2004. Jean-Yves est poète, ancien Président de l’AAPPMA « Lacs et Torrents » du canton de Bourg-Saint-Maurice et Vice-Président de la Fédération de pêche de la Savoie ou il était engagé depuis 1989 ; Justine, community manager à l’office du tourisme de La Rosière ; Michel Giraudy, maire de Bourg-SaintMaurice.

La rédaction : Un travail important de traitements des interviews a été réalisé dans le but de venir nourrir, par des citations extraites des entretiens, les deux premiers chapitres de cette étude. Ensuite, la mobilisation des informations obtenues durant les entretiens s’est faite sous forme de récits racontés par les acteurs et illustrés dans dernier le chapitre. Ces récits sont le corps de cette partie qui cherche à ouvrir le champ des possibles du territoire borain, en mobilisant les outils du paysagiste.