Les choses dont nous ne savons rien encore

Page 47

Si tu faisais des objets, tu comprendrais Texte de Camille Kotecki

Renan, irrité : Je suis entrain de te parler d’art là, et de rien d’autre. L’art n’a rien à voir avec la mort. Un objet d’art, c’est un objet de résistance. Tu peux citer tous les artistes que tu veux, directement ou indirectement, c’est de ça qu’il s’agit. Vladimir : Vraiment ? Écoute, je ne suis pas certain que… Renan : Si tu faisais des objets, tu comprendrais.1

Dans la pièce de théâtre « L’Entretien », l’artiste français Guillaume Leblon interprète le rôle de Renan, un artiste s’entretenant avec un critique d’art. Une sympathique mise en abîme dans laquelle Renan (ou Guillaume ?) définit l’objet d’art comme un objet de résistance. La résistance est justement une caractéristique majeure du travail de l’artiste français Guillaume Leblon. C’est elle qui fait la force de ses œuvres, susceptibles à tout moment de perdre l’équilibre face à la tension qu’elles provoquent. Corner 2 , œuvre à réaliser in situ, témoigne de cette résistance. Cent kilogrammes de pierres provenant de France sont fixées les unes aux autres et forment un amas régulier et géométrique d’apparence stable et robuste. Cette structure s’intègre dans l’espace de manière inhabituelle : elle est suspendue au plafond et épouse un coin de mur. La sculpture paraît alors isolée et provisoire. L’utilisation de simples pierres et d’un assemblage précaire donne à l’œuvre un côté inachevé. L’aspect encore brut des pierres fait référence au monde extérieur. Leur agencement se présente sous une forme ordonnée, à la fois naturelle et construite, comme celle d’un nid d’oiseau. Mais la symétrie de la sculpture en pyramide inversée s’en éloigne et confère un caractère artificiel à l’ensemble. Elle nous interpelle par sa masse, son relief et ses dimensions imposantes. L’accentuation de ce coin dans la pièce étend l’espace d’exposition provoquant un déséquilibre sur le spectateur. Cet emplacement oblige à adopter un point de vue élevé et perturbe le regard ainsi que la déambulation dans l’espace. On se sent comme observé et attiré par elle. De plus, son poids important et sa suspension provoquent une tension et un déséquilibre continus. En découle une tonalité lourde et inquiétante. Dans l’exposition « Azimut »

au FRAC Bourgogne de 2004, Leblon suspend un ginkgo au milieu de la pièce. C’est un arbre aux feuilles parfaitement symétriques, symbole de force vitale car considéré comme le plus ancien et le plus résistant des végétaux. Mais ses feuilles sont couvertes de couleurs noire, grise, et blanche ce qui atténue la force naturelle de l’arbre. Il résiste toutefois aux traces d’intervention laissées par l’artiste « dont l’effet est aussi surréel que banal ».3 Corner est monté et accroché avec les instructions de l’artiste selon un protocole de fabrication. Elle a déjà existé sous d’autres identités et dans divers endroits : Neanderthal Corner dans la vallée de Neander près de Düsseldorf et Lithuanian Corner à Vilnius. C’est le pays d’origine de la pierre qui détermine le titre de l’œuvre. Son titre et son aspect changent donc au fur et à mesure de ses expositions puisque les pierres ne viennent jamais du même endroit. Les mesures de l’espace influent alors sur l’oeuvre et sa relation au spectateur. La place laissée à l’aléatoire et au hasard est décisive dans son activation. Elle devient matérielle uniquement lors de sa réactivation dans l’espace d’exposition. Seul le protocole est invariable, il contient le mode d’emploi de la construction de l’œuvre qui lui donne vie selon une opération logique. C’est comme une pièce de théâtre, le texte sert de protocole et la mise en scène permet la représentation de la pièce. Elle connaît de multiples interprétations et un accueil différent. Luca Cerizza parle de dialectique entre l’individu et le cadre spatial. Elle considère les mises en scènes de Leblon comme « des espaces à ressentir physiquement davantage qu’à percevoir mentalement ».4 Le travail de Leblon est souvent considéré comme une mise à l’épreuve des formes issues du modernisme. Le caractère indiciel de ses œuvres, leur géométrie, de même que l’intérêt porté à l’architecture et au minimalisme des formes, sont considérés comme autant de références aux préoccupations modernistes. Selon Christian Boutoux, l’œuvre de Leblon n’est pas le sujet d’un récit de références tournées vers le passé mais davantage une image du présent : « Les formes se transforment en mobilier ou en éléments d’architecture, domestiquant 31

customer 30601 at <mikaela.assolent@gmail.com> Fri Apr 01 22:12:29 +0200 2011 Mikaela Assolent


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.