Refonder

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refonder

AVANT ...................................................................................................... 3 RECHERCHES ET NOTES ................................................................................... 7 PAGES NOIRES ........................................................................................... 21 REFONDER ............................................................................................... 29 REFONDER 2 ............................................................................................. 31 ENCORE OU ARRÊTER ................................................................................... 33 SONS &................................................................................................... 54 ENSUITE .................................................................................................. 93 PLATEAU ................................................................................................ 104

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Avant Vers 1990 Là sur cette foutue table je travaille la matière l'épuise la creuse, cherche la lumière dans la pierre. Je fais de petites variations sur notre constante axiale, variations sur notre constitutive et bordélique périphérique… sur la façon dont on s'attache à notre condition. Je déchiffre entièrement les petits pas en rond, les petits pas de ronde. Les muscles entièrement, les petits ventres ballonnés essoufflés, le ballet des jours entiers… Des jours entiers, fasciné du travail. Je déchiffre la façon dont on aime notre ronde et petite condition. La façon avec laquelle comme toute espèce on se bat s'entretue à sa conservation. S'cramponne à ce tout à fait précaire. C'précaire qui nous dépasse. Nous dépasserait d'nous voir tout à fait injuste, méchant. S'cramponne à cette instabilité de l’indubitable être limitée par la mort… Je me penche sur l'anatomique pathologique chirurgique. Les muscles tissus qui croisés et tissés avec les têtes crétines relatives nous disent à la dissection très animal… Et de l'autre part beaucoup de délire à plein tube de l'inconstance. De la légèreté et de l'inconsidéré en grandes bouffées. Ce qui fait vain dieu nature bien charmante et attachante… Et quand je dis délire, c'est-à-dire flottage, inconstance de nos actions, pour lesquelles même les natures fortes n'ont point droit visage ni rigide navigation. Ainsi tout n'est que gîte et vogage…

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J'étais là dans mes évolutions pérégrinations j'étais là à travailler ma matière un peu sauvagement à l'impulsion et puis d'un coup dans mon art arrogant crucial je me suis retrouvé soudain aveugle. Muet. Plus dire. Plus dire. Je ne savais plus dire. Je devenais idiot sûrement… J'étais rageur, assoiffé, affamé, il me fallait de la totalité, de l'aventure, énorme ! Je voulais du vivant, du tenace, du mouvant ! J'avais les yeux gros, plus que le ventre. C'était la totalité de la vie que je voulais, voulais saisir. Les choses mortes et les vivantes, celles qui parlaient ou n'avaient jamais su… toutes, ensemble comme elles étaient ici à côté loin de nous... Alors c'est la réalité que je voulais, tout l'entier univers. Je travaillais à une genèse constante de la matière, je m'efforçais facilement avec la facilité des choses faites par vocation... Ce que j'écrivais n'exprimait rien d'autre, c'était la même chose que son sujet, même mouvement, même grain, même volume, même battement, même vitesse, même espace et durée... Ce que j'écrivais n'était pas différent de son sujet, c'était pareil, ça faisait partie...

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C'était dans la même réalité qui contient tout. Je racontais ce qui était... Je découvrais que la connaissance du réel exténuait comme aucune autre matière, je découvrais l'épuisement par le dire, dans le dire, du dire... Aucune personne sincèrement pénétrée d’une recherche n'aurait travaillé autrement. Plus je voyais et plus je devenais aveugle, plus j'écrivais et moins je ne savais parler. Plus je saisissais et moins je cernais, moins je savais exprimer. Je ne savais plus rien. Je ne comprenais plus le fait de mon travail. Je ne savais plus ce que je faisais, ce qui me poussait, ce qui m'envoyait, m'acculait aux écritures ! Je ne savais plus comment ça fonctionnait comment qu'on voit comment qu'on dit !… Je ne connaissais plus qu'à peine ma langue… Ça se faisait comme sans moi tout ça. Aveugle, démuni, je devenais muet, je sentais que quelque chose cessait. Une décroissance du rythme. Un abaissement du son. Jusqu'à plus lent. Pauvre et silence… Ah ! Qu'avais-je touché là ? Qu'était-ce cela ? Ce point où ma langue se détraque… et quelle force alors ça contient aussi ! Quelles forces ça appelle, et toutes affamées d'un sang inconnu ! Je ne savais plus parler gesticuler chanter et pourtant ça venait ! Et pour de bon et rude et compréhensible encore !… immense et lumineux… Ça sortait finalement résonnait… renaissait du silence… Je ne cherchais plus à savoir mais à sentir sans doute… M'étais trouvé enfin. Avais basculé du langage commun incapable dans l'intime, au patois personnel. La parole s'était tue pour être chantée ensuite…

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Islande - 1990

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Recherches et notes Depuis 1993 En vrac et brutes... Lors de l'écriture de VISIONS

L'écriture était toute l'aventure, comme de nos vies elle réclamait description, hésitante, se tenant dans une veine mais oblique, discontinue, cassante. Il fallait que je définisse ce que je voulais. Mais l'histoire était aussi l'histoire de cette définition. Devais-je y laisser les traces, y porter les notes ? Je me foutais de faire un joli petit objet poli. L'œuvre était au-delà, plus large, plus brute, plus épaisse. C'était politique déjà comme démarche. Mêlées, l'histoire des gens et la construction de leur histoire. Impossible de se départir de l'une des deux, raconter, raconter nos vies veut dire tout raconter. Ce que nous foutons, ce que nous vivons, ce que nous expérimentons, ce qui se passe aussi quand de rattraper le temps, de décrire, nous nous embrayons à raconter, et à raconter à complexités progressives. Là, ce que j'écrivais là n'était qu'une représentation de ma pensée (une façon de représenter ma pensée, qui bougeait là, évoluait, était en train de changer, se transformait peu à peu, en notes, recherches, croquis), d'une partie de ma pensée. D'autres... Et d'autres moyens auraient exprimés sans doute d'autres pensées. J'avais jusqu'à maintenant trop clos ma forme, affirmé, individué un système de signification, une description par une forme accentuée d'un monde de pensées, d'articulations de convictions, de perceptions, de sensations toutes allant dans le même sens d'une confirmation, d'une exploration de ma personnalité. J'avais voulu ouvrir un peu, non pas confirmer, affirmer en identifiant, distinguant, limitant, fermant, mais ouvrir en m'aventurant un peu plus, c'est-à-dire en ouvrant le fonctionnement — le mode d'appréhension — de mes pensées propres. J'avais rassemblé mes moyens dans un vaste travail d'identification, identification de ma propre volonté d'expression, de mes thèmes spontanés, de ma personnalité, de mon passé - héritage, de ma veine.

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Mais je ne pouvais me contenter de la pure maîtrise, du mimétisme à mon monde. Je devais ouvrir. Je devais me méfier maintenant (de la redondance, du décalque) du solide, de l'établi, risquer plus de fragilité. Tout cela dit portait trace de l'œuvre. Je décrivais le passage, la course. Moins l'être. — DANS CETTE RÉFLEXION-LÀ je revenais à une préoccupation, intime, pivot de la recherche. A savoir comment dans la plus haute exactitude, à épuiser les choses, survient et s'épanouit la délétion, la dissolution, la décomposition du moi. Moi qui se dissolvait me semblait-il au fur et à mesure de la descente vers la recherche des lois, — et pourtant ce que je faisais paraissait très cadré, très concret, très "solide" — qui peu à peu, d'en bas, parlait sans n'avoir plus de lien, ni le même langage ni le même environnement ni le même comportement que ma partie sociale, celle que l'on peut voir de soi, en société, qui parle et discute et crée famille et amitiés. Non, il y a ce que je suis quand je suis au travail, et cherche, et sincèrement, que les autres ne voient que peu ou qu'un peu lorsque les conditions d'une soirée agréable, intime, me pousse à décrire. Mais tout mon attachement va à l'analyse de cette descente, à l'inventaire des rencontres que nous faisons, dans ces cercles qui descendent, comme un réseau souterrain, en nous. Notre individualité, si peu indivisible, est donc composée. A chaque fonction ne correspond qu'une partie, ou du moins, plus sûrement, nous ne dévoilons qu'une partie. Par-delà les jeux d'impressions qui régissent notre vie sociale de l'indifférence à la fascination, plus on va vers l'intime et plus l'on voile et recèle, ou, lorsque la relation est étroite, si l'on ne cache pas, on ne sait tout dire. En fonction de l'environnement le comportement change, la chose est connue, mais aussi les performances d'expression, voire l'identité exprimée. Or dans cette recherche-ci, c'est seul et sans voix, mais avec ce vecteur escripture, que mes compétences se révèlent le mieux, que mes performances montent au meilleur. Qui dit sans voix et seul, et comme sans moi de surcroît (car tout ce qui est grand semble être sorti comme sans nous, sans avoir été sous notre contrôle, comme le fruit spontané d'un entraînement et d'une maîtrise), et ne nous voilà plus dans le social, mais dans l'intimité du corps de l'homme, celle sans lumière. C'est là que débute la dissociation. Qui s'enfonce — et le mineur connaît bien les difficultés d'évacuation de son travail — s'isole. Et son langage se particularise et remonte difficilement au jour commun. L'effort nous a poussés, et poussés nous avons chuté en deçà. Nous faisons œuvre de cette descente, mais, quoique nous cherchions les traits humains universaux, nous traduisons des impressions auxquelles nous avons bien du mal à garder une traductabilité en l'appréhendable commun. Et pourtant ces traits-là sont l'évidence, et rien d'autre que les évidences ne pénétreront. 8


Je cherche donc à la base notre être. Et descendant dans les profondeurs, c'est de ma personne qu'extrait et retranche nos traits, en moi je nous trouve et suis l'objet d'analyse. Plus je sais et dégage et moins mon caractère m'est personnel, sachant que dans mon fondement je trouve celui de tous. « Chaque homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition » comme le disait l'ami Montaigne… Maintenant, de si loin, je sais que je suis au nerf et pour descendre il me faut épuiser. C'est-à-dire continuer encore... Mais quoi, aller plus loin ? Je ne, je ne peux pas, n'y arrive pas. Impuissance, là, précisément. Exactement là que ça s'arrête, incapable, pas capable, pas le levier pour, pas le recul, pas la vision. Je sais, je sens, qu'au fond de nous s'exprime... mais rien, impossible, innommable, innommables les derniers ressorts, innommable mécanique d'au fond, tensions sans doute, ça je le sens, élans, courants. Mais rien de précis, finalement. Il faudrait plus bas, plus profond, un recul, regardant le moi qui nous regarde, et ainsi, de suite, à perdition progressive. Les cercles de Dante à descendre uns à uns... Tensions, courants... aussi vague que ça... à essayer, oui essayer, continuer encore... S'efforcer toujours, parce qu'histoire n'est que moyen de dire, et dessous, à faire sortir, encore, les causes de la motivation, vraiment, ce qui pousse, ce qui amène, vraiment, ces flots. Veine terrienne et brutalité, sécheresse de caractère me font chercher la base, le début, la matière brute, qui, cherchés puis découverts, me relancent et me séduisent encore puisque me ressemblant. Je ne vais pas au cœur, et pourtant, à dire, je m'engouffre. Il faudrait encore plus, laisser couler, fluer, naître. Dégager les moyens, peu, et transpirait le cœur. Réduire les moyens, quelques très simples, peu de texture, mais qui ne réduisent pas le flot, le flux, la quantité fluante... C'est pourquoi rendre, je veux une musique nue. Venant au travers des porosités du silence. Et résonance des battements de notre sang.

Je ne voulais pas tomber dans un journal, un carnet de notes de régie, et pourtant !... Comme un plan, les résumés de Proust ! On voit là le travail, les traces, tracés notes de régie. Je suis maintenant dans un problème d'exposer toute la personnalité et toute notre vie et son rythme. Comment ? En explosant le cadre de... en ouvrant. L'œuvre ce n'est pas seulement les livres, c'est tout, ce sont les cahiers, les ratés, nos vies obsessionnelles, etc... cette évidence... Si écrire est une activité, une œuvre, c'est aussi plus restrictivement 9


la représentation, le média d'une activité, d'une œuvre plus large : une vie, une pensée ; d'un choix de vie, de pensée. J'ai toujours eu la tentation de présenter le travail de recherche comme une œuvre. Le travail de recherche n'est pas une recherche différente de la construction du livre même, c'est une même recherche, complémentaire, formée différente, œuvre aussi. Porter trace, tracer dans un même lieu, porter dans un même lieu de recherche, l'œuvre et la réflexion sur l'œuvre. C'est du même ouvrage, dignes d'être représentés tous deux. Mais la grosse difficulté est de faire rentrer la vie dans des étapes logiques, dans les étapes croissantes de la détermination, dans le courant, la tentative d'affinage que fait chacun de sa vie... car si la vie peut-être coule comme un fleuve, pour autant elle n'est pas régulière et ne suit pas toujours la pente évidente des eaux. Si elle est une suite d'épisodes qui se suivent, rien ne dit qu'une logique ne les enchaîne forcément.

Le travail de la "pâte", le style, le temps… Lorsqu'on en est là à la musique, à l'affinage du style, à l'affinage du sens, il me faut (m')écouter pour résoudre les hésitations. Poser ce qui, dans le flot, coule le mieux, tient la musique, dans le rythme, soutient le mélodique, le porte et, à la fin, le fait fléchir, l'infléchit jusqu'à une perte de souffle presque, jusqu'à sa perte presque... mais maintenue, au fond, latente... retenant, couvant déjà la suite... Souvent je m'efforce de faire des phrases fluides, légères, faciles à la lecture, qui n'y fasse pas trop d'accrocs, pour emmener le thème, le lecteur dans un fluide, un courant continu de fleuve régulier, qui le transporte sans accident, l'emmène, flottant, sur cette dérive régulière, ce stream continu… et puis, en bout de phrase, de paragraphe, de partie, le choppe. Comme ici. Le sujet importe peu, c'est la façon de le pénétrer. Styliser, nourrir, émouvoir. Rendre le texte autonome, autonome de l'auteur, en l'intensifiant, le grossissant, lui donnant du sang jusqu'à ce qu'il soit loin, détaché de moi. Maintenant que tout est écrit, il va falloir le travailler, l'amoindrir, le regrossir jusqu'à ce que la pâte soit malléable et souple. Le sortir du récit (le sortir de moi), jusqu'à ce qu'il soit indépendant, en lui insufflant une fiction (une amplification), mais une fiction qui ne soit 10


pas seulement une fiction d'anecdotes mais un surplus de matière, de style, de gouaille, de poésie, d'émotion. (Lui donner du caractère) pour qu'il s'échappe de lui-même, s'échappe de l'écrivain, de l'ouvrier, dise par lui-même et non pas par la patte trop présente de l'auteur. Par trop d'intentions. Cette perspective ne me décourage pas dans le travail qu'elle annonce, mais me relance. Ça me remet optimiste. Plein d'élan… le début de résolution. Toute grande œuvre est faite comme sans soi. Une soirée par exemple, tout ce qui s'est dit, tout ce qui s'est fait — Laisser couler l'histoire… Navigations : Histoire de ces gens-là de l'aube à leur couchant… — Décris aussi ce vers quoi va ma recherche, le sombre point d'origine, le mystère de nos fondements ; et la délétion du moi. — Ce que je fais on pourrait le faire indéfiniment sans doute parce que le "choix" de l'obsession a été le bon (bien que l'on n'ait rien choisi, ça nous est venu…). Pour moi ça été celui de l'exploration de nousmêmes, et des matières ; toutes : pensantes, conscientes, terrestres – palpables… Rendre fidèlement ce n'est pas dire l'essentiel, le plus important, mais reproduire, en plus des constantes que j'avais cru seules essentielles, l'infini des touches, les mille miroitements de lumière qui constituent nos vies. … car en rendant compte ici même dans le temps même (presque immédiat), en se dispensant du recul qu'il pourrait nous offrir, du bénéfice des années pour l'analyse, on raconte le temps quand même par les variations, l'évolution des réflexions, du style, des idées, par l'évolution de l'intensité des sensations, contenues et vivant ici. Même sans raconter les changements de la vie d'un homme, en ne racontant que les faits, on raconte le temps. Il suffit d'écrire continûment, même sans que le temps y soit conté, pour qu'il y fut. EN CE MOMENT JE NE CHERCHAIS PAS je rendais compte. Avec quelques jours de recul. Presque immédiats. La vie, ce qu'elle est. Je me mettais à croire que la vie suffisait, qu'il n'était pas nécessaire de la romancer pour en faire un roman. Racontée telle quelle elle suffit à nourrir un espace, à nourrir une réflexion. Nous n'avons pas d'autres richesses.

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Je me dirigeais peu à peu vers plus d'intériorité. Histoire de cela. Vers l'ombre, des profondeurs croissantes de la réflexion, à l'étonnement de notre brièveté, passage d'un noir à un plus noir encore... d'un néant à un autre... et entre, de la vie, du verbe, de l'amour, de l'invention, incompréhensiblement poussés entre ces bornes. Que tant de liens, de choses aient été créés et soient ainsi livrés en quelques secondes à un seul reste de présence impalpable, au presque rien. Sans doute. (Sa mort me laissait cela.) De plus en plus de moins en moins de commentaires à dire en voyage. Jeune l'étonnement de se déplacer, la gloire de voyager, maintenant j'ai peu de choses à dire.

C'est l'histoire de la jouissance cette histoire de nos vies. Je crois que c'est surtout mon cœur qui travaille. Je ne peux être que porté pour faire ainsi le bûcheron. J'aime rien plus que quand ça monte, l'excitation, l'envie qui vient d'écrire, VOIR , la pulsation, l'excitation qui monte qui va dégorger soudain, péter, fleurir, déborder, fluidité, flot, dégorger, s'étaler en un flot immense, rythmique et mélodique, à perdre haleine, soufflant soufflant à fond, s'épanchant dans un drame sauvage, épique, aussi bref que sauvage !, et redescendant soudain comme un soufflé génial, me redéposant sur le fond banal quotidien d'la vie réelle, crevé, repu, hagard, sainement crevé, heureux, encore un peu de bave aux lèvres, heureux, dépensé, défoulé ! vidé… Oui j'aime quand ça me monte comme ça, vis pour ça, s'élever pour faire corps avec la musique, dans le rythme répété, la lancination, l'incantation, la perdition dans le corps dépressif de la musique, pour se dissoudre dans la puissance incantatoire, grimper dans la répétition, la mesure rythmique, répétée, martelée et peu à peu dissoute, élevée, développée, dilatée elle-même jusqu'aux archanges du ciel !! Né là où c'est dur, où ça fait mal, où s'construit, s'explore, naît, surgit, où naît-surgit la joie de vivre, la joie démente de créer, de construire, d'malléer, d'courir dans tous les sens, speedé, de pétrir à pleine main là où ça résiste, là où peut-être ça va péter dans la soie ET FLEURIR ! Déformer ; tout à fait comme Giacometti poussait la pâte avec ses pouces, avec la pulpe de ses doigts. Déformer, exprimer, presser un 12


rythme, le faire surgir. Un tableau, une pâte de mots. Dépassant l'histoire, ne la racontant que dans l'événement de l'écriture, dans le surgissement — l'excitation — du tableau. Mais dès que qu'on passe à l'écritoire, à la plume, ça dérapage souvent ce que l'on avait appréhendé clairement. Aggravation comme toujours… exagération… Dérapage, digression vers ma perception RYTHMIQUE-BASSE de cette terre rude… La vérité, oscillant entre les vues de chacun, d’un mouvement à l’autre, oscillante entre les instants, d’un point de vue à un autre, fragile, balançant tremblotante d’un pied sur l’autre, irréductible mais terriblement voyante ! La vérité n'est définie que par une autre vérité, il n'y a de position que par opposition à une autre position : relative. Je sortais de la chambre de la vie. est à déconstruire encore — grossir, enfler, fleurir — sans jamais — mais oui dans le tumulte ! ! enfler ! péter en soi et fleurir. A les faire fleurir les gens des livres, à faire grandir leur ombre dans le bouquin, à leurs développer une vie propre et autonome grandissante et autonome qui emporta avec eux toute la vie et les pays et les paysages comme un fleuve charrie et dégueule tout dans la mer immense, poissonneuse, poisseuse aux marées puissantes et autonomes. En particulier, à certains moments, on sent cette sauvagerie, une certaine sauvagerie qui est sortie, qui m'est sortie, c'est-à-dire qui est sortie presque sans moi, où là je touche vraiment le caractère véritable, de la foutue musique, au-delà du bonhomme, D A N S L'EXPLOSION VERIDIQUE D'UN DEPASSEMENT TOTAL : lumière, œuvre, (chant des entrailles au fond, au fond, au fond de nous) : la haute fièvre jubilatoire, tamponnage sévère et sauvage venu du plus profond, du plus honnête-sincère… et nous dépassant. Inventer une nouvelle écriture encore, qui calqua et pressa-distilla encore plus la personnalité. Sauvage et musicale, ornée, hachée et 13


rythmée, s'enivrant, et, dans le même temps, sous une autre facette, précise, analytique, synthétique, concise. Ciselée à la fois dans la fougue acharnée et la précision formelle. Deux facettes, courants, qui s'opposaient en moi mais qui, demain, devraient pouvoir s'équilibrer et marcher d'un pas furieux ensemble. Inventer une nouvelle écriture. Alliant le rythme sauvage – le lyrisme effréné de mes contemporains, de moi-même, de notre petite terre chérie et de ses lands sauvages... Si je n'avais pas écrit ce que je viens de vivre, aurais-je "vécu" ?

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A propos de la fin de VISIONS et de la tentative d'en finir… après 8 ans de chantier… — Le livre s'était constitué peu à peu, et jusqu'au cours des chapitres qui de balbutiés sont allés vers plus de précision, jusqu'à savoir qu'en définitive sans idée au début mais avec une préoccupation, le même instinct constant (oscillant sans cesse de l'écriture d'une aventure à l'aventure d'une écriture), il est arrivé là où la préoccupation qui l'avait fait naître va. De chaque partie, les dernières pages toujours avaient été là, premières. — Dans la zone, dans le volume, dans l'espace créé et délimité, travailler. Travailler le cœur. Finir peut-être par un vaste opus, d'un souffle, continu, qui finisse peu à peu, lentement, par une vaste acceptation, une large et béante ouverture sur ce qui nous traverse, nous touche, nous anime… — Mon volume est là. C'est avec cette boule d'argile maintenant — ces quelques images, ces boules de brouillard, vapeurs, hologrammes, sensations, consciences (comme des vapeurs, mirages de chaleur émanant des corps et nous montrant véritablement soudain, brièvement) que mes fibres ont rencontrées, éprouvées — qu'il faut travailler. Je n'aurais pas plus, ne rajouterais pas de matière. — Je suis poussé à bosser, bosser toujours plus… à corps perdu… alors qu'il n'y a aucune échelle ni dans le temps (point d'échéance), ni dans la valeur-qualité et la quantité, qui puisse mesurer notre avancée. Ainsi on se retrouve poussé parce qu'il n'y a pas d'étalon qui mesura la distance de notre travail à son achèvement. Car il n'y a point d'achèvement possible. 1993 - 2001

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Plan VISIONS 1er

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Plan VISIONS 2ème

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Réflexion - refonte - plan VISIONS 2ème Ce n'est plus un journal. Ce que je raconte appelle une autre forme — dégagée de la soumission à une chronologie réelle — (une forme sauvage), un agencement selon un ordre, une chronologie propre au récit, au temps de ce que vit Wil et de la "démonstration" (le terme est impropre) qui y en est faite. Selon quelque chose à l'intérieur, selon quelque chose — quoi — qui est à voir et à sentir, au nœud même, au centre, comme une "image dans le tapis", une magie répondant à un ordre et une cohérence propre à son monde, à son système de pensée, de sensation, d'appréhension, de saisissement, de préoccupation et de logique. A l'intérieur. Depuis. Dans. Généré de. De la tête de Wil (du personnage) et du récit en lui-même, embryon fécondé, et générateur à la fois. (Mais fécondé par quoi ? par vision intensité mouvement ?) : une quête, avec ses moments de scintillement, de transcendance, de visions où surgit la COHERENCE , la CONNEXION , où surgit ce que touche le souci véritable artistique… C'est là le centre. Les voyages, et faits : il n'y a pas d'importance qu'ils soient fidèles au temps réel, à la chronologie de leur apparition et déroulement réel, mais à celle du récit (quand et au rythme auquel Wil se souvient des faits). Ils peuvent donc être agencés autrement. Il reste à le faire. Ceci dit ce n'est pas trouver une construction, mais trouver à l'habiter. Sous la lampe fonctionne parce qu'il appelle et rend compte de préoccupations, visions, sensations, idées, essences sous les apparences, sans être rattaché à (ou coulant) des faits réels et à une temporalité réelle, mais né d'un temps du récit, d'un récit et monde produit par lui-même, depuis lui-même. Tout y est parti du centre, du "jaune de l'œuf" et s'est développé depuis ; et rien depuis les faits rattachés au temps, à la chronologie réelle, qui, posés, tentent ensuite artificiellement de "rendre" le cœur, le centre. Rien n'est "rendu", cela "source". - récit cherche le centre > ça ne fonctionne pas - centre produit le récit > ça fonctionne De façon générale cela ne fonctionne que lorsque je parle et écris depuis, et non pas sur.

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VISIONS : Le fait d'avoir posé les faits bout à bout, selon l'ordre dans lesquels ils survenaient, a répondu à un fantasme de linéarité, d'enchaînement progressif des faits, des trouvailles, des sensations. Un fantasme de logique, de logique de signes précédents les événements. Un fantasme de décrire un destin comme étant une succession cohérente, montante et progressive. Or, ici, c'est bien plutôt le hasard, le chaos qui est là. Rien ne préside à un destin. Ce qui peut le déterminer ne répond pas forcément à une linéarité — et ce n'est pas parce qu'il y a destin, déterminé par mille faits, rencontres, psychismes (…), qu'il "croit" et avance dans le temps linéairement, par "progrès". Sans doute cela est une des causes de mon échec. Cette façon de faire VISIONS ne pouvait qu'être vouée à l'échec, où je cherchais à tout dire, à tout poser, et que cela, comme "naturellement", par les milliers de petites touches et faits déposés, aurait fait le roman général, le tableau global d'une vie, de toute vie. Or il n'en est rien. D'autres l'ont tenté aussi et ont eu ce fantasme de réservoir total qui aurait dit toute la réalité. Et en ont finalement décrit la recherche. Que faire alors ? Se mettre des bornes ? peut-être… Ou trouver la forme sauvage qui rendra, contiendra tout ça, qui dirait toute cette musique. De petites pièces, de petites flèches, avec un continuum de la voix, de la parole exprimant cette sauvagerie cette fourmillance tarée ce rhizome infini infernal de l'univers, du début à la fin, tendues Qu'il y ait du courant ! une forme, un style qui exprima tout ça : cette profusion et cette sauvagerie mais aussi cette tentative de paix Je parlais d'un style neuf et énergique, alors ce n'est pas reprendre simplement ce qui a déjà été fait, ce que j'ai déjà fait, mais partir du centre, écrire depuis, dedans. Là que sera l'énergie. Oh, et puis je ne cherche plus à capter le processus, mais faire, faire, juste faire ! 2001

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Pages noires Tirées des Cahiers XXXVIII, XXXIX, XL et XLI

Ne valent que ces moments où mon texte est au-delà de moi Où l'auteur n'est plus Où l'objet qu'il a produit, qu'il a "médiatisé", est objet sans lui. Je suis je me retrouve je me trouve sur ce chemin c'est à moi que tout cela arrive. Mais si j'utilise JE — ça m'arrive tout le temps, malgré moi — si j'utilise JE, ce n'est pas moi mais lui celui-là un autre… Il me faut bien plutôt l'aimer ce démon, que de combattre avec lui. Ce démon de l'écriture, de cette poussée du fond de soi qui me sort. Quelle étrange exigence, quelle étrange peur aussi de n'être point fidèle à soi-même, à sa vocation. Qu'est-ce que je fais là ? je pose des VISIONS ou plutôt je vois lorsque je les pose. Ce ne sont pas des visions qui me viennent et dont ensuite je rends compte. Elles sont là, existent au moment où je les écris. Elles surgissent dans, dans le temps de, dans le moment de l'écriture, au moment de la conjonction de ce que je vois et de leur écriture. Mais sans doute faut-il se placer plus au centre, encore. Au cœur de ça. Placer le narrateur, le JE au cœur de cette entreprise, sans le recul du temps sur les événements (mais dans l'immédiateté) que, moi, en tant qu'auteur, j'ai. Le placer donc avec tous ces doutes et son manque de visibilité sur ce qui se passe… Il a seulement ces visions qui lui apparaissent, brèves, furtives, comme des craquements d'allumettes (ou des éruptions qui lui éclairent devant, fugitivement… pressentiments, sans pour autant savoir forcément les interpréter). Le lecteur lui verra. Et puis peut-être, sans doute même sûrement, n'est-ce pas par hasard que je me sente soudain "écrivain" ? Je ne le dis pas, ne l'affirme pas, je le découvre… J'appartiens à cette "espèce", esclave (peut-être ?) en un sens de ce surgissement de l'écriture, dans l'écriture de ces visions. "Ecrivain" n'est pas tant celui qui écrit, que 21


celui qui découvre et constate — sa nécessité compulsive d'écrire évidemment — mais bien plus qu'il y a une réalité propre dans l'écriture, autonome, comme un objet, extérieur à l'écrivain, vivant, produisant une telle vie, une réalité si particulière (visionnaire peutêtre) où, lui, l'écrivain, se perd et se dissous et n'est plus que celui, lointain, qui tient l'outil, le stylo. Faire, juste faire… Je pense qu'il n'est pas si important que ça de faire des objets finis, achevés, mais bien plutôt de faire, de faire sortir et de produire encore D'être dans l'agir plutôt que dans le résultat. Etre (a priori) par trop dans le résultat est une attitude, une disposition freinante, paralysante. Cherche chercher il ne s'agit plus de ça mais de sortir déterrer trouver Dans la recherche jour après jour, souvent stérile, improfonde, dans l'oubli parfois, ce beau hasard qu'est la transcendance, la vision, l'essence, le cœur, le centre, le jaune de l'œuf.

Comme un œuf… — Un œuf ne se construit pas, ne naît pas en assemblant le cœur, l'embryon, à un jaune, du blanc et une coque — Un œuf se construit depuis un embryon (le cœur, les visions, « les instants de temps pur » pour Proust) qui croit, développe du jaune, du blanc, l'enveloppe, la coque. Eh bien pour VISIONS - Carnets de navigations que j'ai tenté, j'ai procédé selon le 1er exemple. C'est-à-dire que (après une première phase "intuitive", qui n'est peut-être pas la pire d'ailleurs) j'ai tout d'abord cherché à trouver un volume, une coque, que j'ai ensuite laborieusement essayé, par milliers de petites touches, de rendre ovale au mieux. Poussant un coup d'un côté, un coup de l'autre, déformant d'un côté, redéformant de l'autre, sans jamais parvenir à l'ovoïde, au volume équilibré. Il faut donc très certainement procéder selon le second cas : partir du centre, de l'embryon et, ensuite, de là pousse le récit, l'écriture, d'elle-même. C'est aussi toute la raison de l'échec de Jean Santeuil de Proust, il me semble, fonctionnant par patchwork, collages de fragments, 22


d'éléments. D'autant plus visible que La Recherche n'a pu venir ensuite que de la fécondation de ce centre, de cet embryon (par la découverte de la réminiscence, instant pur, madeleine…). Ce qui manquait au Jean Santeuil. Mais la réussite n'a rien à voir. Un échec est tout aussi intéressant qu'une réussite. Ou plutôt il n'y a ni échec ni réussite, des tentatives toujours. Ce point, ce centre, ce jaune, c'est ce C'EST (que j'ai posé à la fin, en tout dernier, tout d'abord sans trop savoir ce qu'il signifiait, mais en sachant que forcément il signifiait puisqu'il était tombé là). Ce C'EST où ça ne se fait plus. Curieuse coïncidence : Blanchot trouve trace de la même chose. Dans L'Espace littéraire. Ce mot, ce mot plein, constat, creuset, C 'EST … c'est à dire état, constat et plus de description, plus de parole sur, plus de parole après. La chose est, les choses sont. Rien après. Il n'y a plus à compléter l'objet, à adjouter de qualificatifs, le prédicat seul, le verbe seul, tout seul. Résumant posant finissant. Sur le C'EST. Point. Ce point où finis l’œuvre. Ce point où, en ce moment, mon œuvre s'est refermée, inachevée évidemment. Elle me tient hors d'elle, je ne sais plus par où rentrer. Ce point accomplissement et disparition. A la fois. Fini et à peine encore né. Ce point au bord de l'impossibilité. « Avec quoi le silence » écrit Mallarmé… C'est pauvre — ou riche — je ne sais pas. Je ne peux que constater ça. Eh bien ce point, ce point va éclater d'un coup, soudain je rentrerais dedans… du moins je le souhaite. Mais peut-on peut-on au-delà de ce point ? Je ne reprendrais la réécriture de VISIONS que quand ça pourra venir comme un flot et non comme un casse-tête d'éléments épars que je cherche à concilier, qu'il me faut coudre entre eux comme un patchwork. C'est pour cela que ce n'est finalement qu'un réservoir de matière, encore pour l'instant. Et puis chercher, chercher, ça me gave, se poser alors des choses comme obstacles, parce qu'on les a solidifiées, grossies, qu'on en a fait peu à peu de gros blocs épais difficiles à surpasser, plus du tout souples, malléables.

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Alors qu'avancer, laisser, couler, trouver… on s'y retrouve beaucoup plus.

Le point central, le point d'essence, le point d'échec, d'intérieur... Le centre c'est où celui qui écrit, et l'écriture, à la limite de se perdre, à quelques millimètres de son échec et de sa limite, à quelques millimètres de ne plus être capable de dire et de son silence, dans sa dilution, sa diffusion, sa répantion dans les choses, soudain les pénètre et vois. Presque ébloui, aveugle. Au point d'échec, l'isolement, l'indicible mais une grâce du tonnerre… C'est de l'intérieur, de l'intérieur d'écrire que cela vient — de là la forme, après, seulement après, jamais choisie — que ça pousse et se perd en même temps, que le récit s'invente et croit, se risque à la perdition et tourbillonne et se prend les pattes et fait l'expérience de la naissance, de l'oubli et de l'effacement… à la fois. La forme se résout après. De la qualité et de l'intensité de la vision se fait, existe le style. De son originalité issue de la sensation, perception particulière de l'individu. Dans le centre du fonctionnement même de ce qu'est ce travail, cette recherche, cette "activité", cette zone de tension et de création, cette exigence. Au bord de la limite de ne plus écrire… de ne plus pouvoir… et, dans le même temps, ici même, au centre de cette activité du coup, à l'essence de la littérature et du silence, à la source du processus créatif, tout près du point de naissance où c'est d'abord — avant la naissance — néant et silence… y remontant comme à rebours. Peutêtre ne suis-je pas encore né ? A ce point là où je ne vais au-delà qu'il me faut travailler. Avril 01 - Décembre 01

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A propos de [ Caps 2… En cours… ça vient très vite en général… Avant les mots m'étaient des outils de transcription. Là, ils me surprennent, ils viennent. Ils ne servent pas à composer l'image ou à transcrire la vision. Ce n'est pas la vision qui les fait venir, transpirer et bouillir, ce sont eux qui la font surgir, la font naître, dans leur ivresse, depuis leur matière sonore, graphique, sémantique. Une éclosion. Depuis leur être "physique". Vers courts (flashs, éclats, bris d'images), vers longs (montée, façonnage, modelage plus lent, plus large, d'une image, sensation, atmosphère), ils imposent leur souffle et respiration, craquent et pètent. Ça monte parfois au lyrique, au spiritualisé, peut-être pas encore assez spiritualisé. Le chant-prière, le poème du shaman, la montée du chant vers les hauts, la montée de la vibration, de la résonance, de la caisse de résonance vers une amplification physique-spirituelle du chant transformé en souffle, en pouvoir, magie… En poésie, c'est peut-être le travail de Ginsberg (Howl, Sunflower Sutra, Kaddish…) qui m'est le plus proche ces temps-ci. Et puis tiens ces "oui" que j'utilise, partout, presque partout, et rythment et disent oui Tiens je les retrouve plusieurs années après chez Joyce, Ulysse - fin du monologue de Molly - fin du livre : « oui et alors il m'a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j'ai dit oui je veux bien Oui. » « yes and then he ask me would I yes to say yes my moutain flower and first I put my arms aroud him yes and drew him down to me so he could feel my breasts all perfumed yes and his heart was going like mad and yes I said yes I will Yes. » [ Caps 2 possède des niveaux de lectures, et d'oralisation, multiples : rythme-accent-son de la lecture influencée par la langue du vers lui-même (champ 1) et son sens (champ 2), par la taille de la police (champ 3), par la couleur de la police (champ 4). Chaque champniveau imprimant une "coloration" supplémentaire à la lecture.

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Et des niveaux de visualisation : par le positionnement du vers dans le poème, par le positionnement du poème dans la page, son "occupation" du carré blanc, la typo ronde, lisse, ferme… D'autres travaux au contraire (Au fil, sous la par exemple) recherche le plat, la lande neutre : du texte, du langage seul. Juillet 01

Je suis peut-être fou, complètement fou, mais j'ambitionne de trouver une nouvelle forme. Il me faut cela. Une nouvelle forme qui contienne ce que j'ai à dire, qui puisse au sein d'un flot d'événements et de choses que je constate, contenir et rendre ces visions qui me traversent et m'habitent, où je suis tout prêt de trouver le point. Le point central. J'en suis tout plein, rempli à raz bord, j'en explose, cela craquera et sortira en quelque chose de nouveau. Mon exigence me mangera ! J'en ressortirai crevé repu ! Il me faudra sans doute là quelque chose de très personnel, à un rythme dément, une prosodie tarée… Tout ça d'un seul souffle… Août 01

Je repousse le moment d'affrontement paresse ne me jette pas ou alors n'aurais-je plus de visions ? Se produiront-elles sans cesse ? Pourquoi cette peur ? Je ne sais pas oui peut-être mon écriture très lentement se modifie radicalement, en profondeur. Oui ce doit être ça, elle change elle mue. Ce ne peut être que lent. Qu'est-ce qui se transforme vraiment ? J'y suis plus à l'intérieur, au bord de la zone de risque et d'échec, et pourtant je ne produit pas grand-chose de nouveau ces jours-ci. 26


Je conteste non pas la source mais la qualité de mes écritures. Non ce n'est pas attendre une ouverture, espérer une explosion… mais s'installer dans l'action, se poser, sobrement, dans la prise de risque, se poser dans une concentration vers un but, a dream. J'ai découvert peu à peu que d'être dans l'envie et l'action et non plus dans le comment de sa réalisation (on verrait toujours bien…) me rendait libre. Que je ne cherchais plus mais trouvais. Le plus étonnant dans une aventure, plus que les difficultés traversées, c'est d'avoir eu l'envie qui vous a amené à la réaliser. Je suis dans l'énergie. Ne sais faire autrement sans m'étioler. Septembre 01 - Février 02

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VOILA que je remets ça que ça roule et roule et roule et se mord la queue et n'en finit pas n'en finit pas n'en finit pas de se raconter ne finit pas d'en finir et de tourner sur lui-même et de se travailler se malaxer se modeler s'essouffler et reprendre haleine élan et continue et continue et continue et continuer encore Ça m'est venu comme ça oui je crois quand je cherche à me souvenir d'aussi loin que je me rappelle ça m'est venu — quoi — d'aussi loin que je me souvienne comme une espèce de drôle d'effort oui un effort un effort pour quoi un effort là au centre un effort tension une tension vers vers Vers quoi Vers essayer vie pleine excitante oui tendue vers. Tendue vers quoi ? au fait vers quoi oui vraiment est-ce que je me suis déjà posé un jour la question vraiment ? Vers aller plus loin donc mais plus loin c'est quoi loin c'est rien ça veut rien dire loin ça dépend tellement d'où l'on… alors pas arrêter peut-être oui pas arrêter là alors oui ça a peut-être plus de sens et c'est là que — quoi les visions sont apparues soudain peu à peu quoique soudain plus hautes au-dessus comme suspendues arrêtées et regardant autour tout autour le chaos l'incompréhensible la quête épuisé soudain là dans ce moment enfin comme un point bref moment tendu où atteint la tension atteint — quoi la plénitude paix Là ces moments. Au centre. Au-delà de moi. Sans moi. Me dépassant. D'où tout est parti tout a commencé surg d'un embryon le centre d'énergie le nœud d'énergie. Poussant et grimpant depuis là fleurissant tentaculaire et s'ouvrant depuis lui le centre en lui-même partant de lui. Point de cohérence d'incandescence. Instant pur craquement de lumière. Tout est parti de là.

Au fil, sous la (extrait)

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Refonder Refonder mon écriture poétique refonder l'écriture naître à l'écriture enfin Non sûrement pas encore né complètement Plus ça va et moins je pense qu'il est nécessaire de faire de concessions aux jeux de conventions sociales et esthétiques. Aux présupposés limitant notre exercice de la liberté. On a beau me dire par-ci par-là parfois « oui mais faut bien en faire quand même des concessions !… sinon on est un vrai sauvage ». Eh bien soyons ce sauvage ! Non que je n'aie point d'amour de tendresse de sollicitude et d'attention pour mes proches (j'en déborde même parfois) mais c'est que j'ai ma petite voix toujours, là, au fond, jamais éteinte, qui parle, que je dois suivre. Rude, exigeante, où il y a peu de compromission et d'abandon, peu de concession à ce qui ne me semble pas essentiel. Et encore ! il me semble encore accorder trop à trop futile, à pas strictement nécessaire. Et puis quand accomplirais-je cela (ces réalisations, ces réalisations de soi) si ce n'est maintenant à cet âge qui sera celui de l'épanouissement, de la réalisation et de la maturité à la fois, à trente ans ! Après quelques temps, encore récemment, de tristesse et de dépression, où j'ai bien imaginé me libérer de cette tension (j'imaginais cela comme une libération !) c'est encore elle qui m'a sauvée. Et je ne veux pas l'abandonner. Elle me tient debout, me porte, me pousse vers devant !… me pousse à prendre risque. Dire non à ce qui n'est pas entièrement soi (ne relève pas entièrement de la nécessité), à ce qui n'est pas essentiel à soi est déjà une aventure, une prise de risque, une vision propre, une

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formidable affirmation. Une vaste affirmation de la vie, une preuve de vivacité, vitalité. C'est être dans l'énergie, traversée par elle.

C'est pourquoi en écriture je veux réintégrer l'énergie, la vision. Remettre ma poésie-l'écriture à plat, selon ce que je sens, la faire dégagée du souci du résultat, juste la faire, issue de l'énergie de la vision, né dans l'énergie de la parole, qui descend, qui traverse, venue d'au-delà. Juste faite, posée, dans le maximum de risque, c'est-à-dire sans le souci préalable et paralysant du "bien écrit". Ce le sera toujours si la voix est descendue. Il y a des choses que je me sens poussé à réaliser. Que je me dois de réaliser. Ce que je commence à découvrir est une forme nouvelle pour moi. Ne dépenser de l'énergie qu'au fleurissement, à l'explosion. Travailler à partir du centre de la vision, à partir du centre de l'œil. Depuis le fond. Du texte du langage seul sans mise en page sans majuscules points paragraphes parties Son rythme seul sa mélodie seule son énergie seule Du texte seul venu d'au fond Janvier 02

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Refonder 2 Il y a quelque chose que je sens, nouveau, qui est à faire. Que je veux faire. Je ne sais pas encore bien quelle forme cela prendra. Je ne sais pas encore bien si j'y parviendrais, si cela descendra dans mes actes, mon écriture… et comment cela descendra. Mais je le pressens. Je trouve cela peu à peu. C'est clair que ce que je pressens en poésie ne s'est pas encore ouvert. Ou plutôt — plus que d'attendre que « ça » s'ouvre et vienne de soi-même —, je ne l'ai moi-même pas encore ouvert. Oui c'est faire descendre l'énergie directement dans la parole (et l'énergie « de » la parole elle-même). Réintégrer la vision. Quelque part se foutre du résultat, du style. Je pressens la forme sauvage qui intégrera cette énergie (celle de la vision, de la parole en ellemême, des mondes, des paysages des mondes, des grandes et petites choses, des grandes et petites gens, de tout !…) mais je ne l'ai pas encore. Pourtant ça pousse, ça pousse derrière ! Ce que je trouve petit à petit c'est une chose où le mot n'est plus outil, mais un réceptacle, un média, au sens de lieu de passage de flux, lieu « habité » de flux… passage de visions, de sensations, de grouillements de toutes les particules et de toutes les énergies qui nous traversent, nous poussent, nous tiennent debout… nous, et plus largement, le cosmos, nous dans le cosmos… Ces mots, cette forme qui contiennent tout ce que j'ai à dire, tout ce que je vois, et, encore plus, plus largement, tout ce que je pressens… Mais qui ne contiennent pas seulement comme des réceptacles, mais véhiculent, emportent, révèlent, médiatisent ces flux, ces flots… (comme les "gros" mots de [ Caps 2, chargés, énergie, explosifs, moteurs) C'est descendre dans ce brouhaha — et cette énergie — où il y a tant de silence. Je crois qu'on ne peut faire quelque chose dans ce domaine sans inventer, sans trouver quelque chose de nouveau. 31


Ce quelque chose qui trouvera, transmettra, fera passer, diffusera la vibration, l'énergie, qui, dans les choses les éléments les particules les bêtes les gens les attitudes les sentiments, est contenue, latente, et pourtant vibre vraiment — comme les flux électriques excitant l'atome, animant la matière — n'attendant qu'à exploser et fleurir. Et c'est de là qu'il faut partir, depuis le centre, depuis le fond. De là, ensuite, pousse l'écriture. Fleurit. Ces temps-ci je suis dans mon écriture. Beaucoup. Je ne sais pas ça vient c'est presque monstrueux. Il se passe quelque chose. Ça se fait seul. Avec moi. En vis-à-vis. Difficile à dire. Le pressentiment, la sensation, la parole, la forme, les mots se chargent… Se chargent de matière, d'énergie, de vibration, de contenu Au fond, du centre, du centre toujours… Ecriture nouvelle, simple, posée, nue, saine, concise, répétitive, lucide Une forme nouvelle, épurée De petites flèches denses et concises, tendues concentrées précises et percutantes. Février 02

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Encore ou arrêter Il n'est plus question de tergiverser : écrire, écrire. Abattre du boulot encore et encore. Abattre. Et voyager. Ecrire brut, fort, en directe ligne sortie. Et voyage, libre, en choisissant. Sinon ennui mort fane étiole Partir du cœur Relancer encore ou arrêter C'est en [ Caps 2 et Au fil, sous la que j'ai commencé à trouver ce que je voulais C'est de là de ce point qu'il faut que je développe et continue Je ne cherche pas une poésie de pensée. Ni de procédés stylistiques. Mais une poésie de vie, comme elle est faite. Une poésie de simplicité, de vécu, d'élans, de mots échappés. Capter ce qui passe au travers, subsiste, ce qui sous-tend et constitue les forces réelles entre les choses, ce qui, flux, lie les choses Ce qui au travers des matières, au travers des faits, passe, lie, tisse, invisible, et finalement, vraiment donne sens Entre un homme et ses rêves, ses objets, son environnement, ce ne sont pas les faits les matériaux les situations (en soi) qui tissent sa réalité, sa position, ses aspirations, ses peurs, mais ce qui passe entre, ce qui se lie entre, ce qui se joue entre. Ce ne sont pas les faits et les objets, mais les rapports qui vraiment emplissent son monde, qui vraiment lui donne une consistance existence

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Et même lorsque cela n'est pas lu, n'est pas publié, cela n'a aucune importance car cela n'est pas le but, pas l'objet. Même dans ce cas il faut faire, car l'objet c'est la voix, la vision, c'est de faire la voix, de voir… Du roman pourquoi faire du roman rien à foutre. Ça c'est la tendance sociale du moment — on du moins on imagine que c'est la tendance — qui veut que l'on fasse du roman, qui veut qu'on en vende, qui veut qu'on en lise, qui veut que ce soit la demande commerciale dominante. Mais s'en détacher faire ce que l'on veut, ce que l'on sent, autre chose… c'est aussi de l'écriture c'est aussi de la littérature c'est aussi bon à lire. Ça peut même être vendable sûrement. Mais cela veut dire se libérer d'une norme narrative s'affranchir des formes convenues ce qui n'est pas donné. Evidemment. Ça veut dire se risquer, risquer de se planter. Mai - Juillet 02

Texte 1601 : peut-être c'est ça ce que je cherchais, attendais depuis longtemps. C'est nouveau ça coule, vient de loin, descend vite, descend vite à la page. • je peux aller plus loin encore, descendre plus. Plus dedans dans quoi ? • ça part du centre, et non pas va au centre (c'était l'erreur de VISIONS) • trouver la mécanique de base. Le codage / grammaire / style le plus primitif, le plus simple, le plus universel et du coup offrant le plus de possibilités un minimum de moyens, économie de moyen. « Réduire les moyens, quelques très simples, peu de texture » je disais il y a quelques années mais aussi postulat simple. enchaînements simples coulants, de pensées, faits, comme dans la vie Points entrecoupant des sections simples basiques nues. Ecrire ne faire plus que ça cela s'impose peu à peu.

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Texte 1601, il se passe : Ecrire vite taper vite. sans majuscules points ponctuation. à la vitesse de la vie. du texte au moment où il champignonne apparaît naît s'impose. du texte d'avant. d'avant qu'il naisse. du texte court nu sans point ponctuation pour aller vite. pour aller au rythme. au rythme de ce qui passe. C'est-à-dire que c'est écrire en même temps, aussi vite que ça se passe (pas description d'un fait, une anecdote, un événement, que l'on veut utiliser, ça c'est du roman) mais aussi vite que ça vous traverse la tête que ça se passe que ça passe là Qu'au moment où se produisent les pensées, au moment où se produisent les associations d'idées et de sensations qui produisent ces pensées, elles puissent être incluses vécues dans l'écriture. Je ne veux pas dire par là écrire vite pour poser l'idée sur la page avant qu'elle ne s'en aille bien sûr, mais que la pensée au moment où elle apparaît puisse simultanément couler à la page et ainsi décrire la vie, aller aussi vite qu'elle, aller comme elle va avec des idées des réminiscences des sensations qui nous tombent, nous traversent, des choses qui nous arrivent à longueur de journée, à un rythme, selon certaines associations et enchaînements Ça passe dans votre tête la vie passe dans votre tête, les pensées passent dans votre tête, et hop simultanément elles passent dans l'écriture, et ainsi rendent compte, décrivent la vie. En racontant les petits faits qui s'y passent, mais surtout en les faisant apparaître au rythme auquel ils apparaissent dans votre tête ou dans votre vie, auquel ils apparaissent, l'enchaînement, les associations d'idées C'est-à-dire que se mêlent les différentes vitesses les rythmes d'enchaînements de pensées et de faits. Ça donne de l'écriture contemporaine du fait qui l'inspire, en même temps. Dans le même temps où la pensée est apparue et descendue dans l'écriture. Ça peut remonter aussi plus loin, écrivant ce qui se passe, présent, (la mouche sur mon écran, je suis en train d'écrire que la mouche est sur mon écran, et j'écris « aujourd'hui une mouche est posée sur mon écran où je suis en train d'écrire») et signalant aussi que ce présent datait d'il y a trois jours (cette mouche au moment où j'écrivais, ça s'est passé il y a trois jours, mais je l'écris aujourd'hui, c'est aujourd'hui que je suis rentré dans cette pensée de la mouche, c'est aujourd'hui qu'elle m'est venue cette pensée de la mouche d'il y a trois jours quand j'écrivais) 35


Dans le temps même de l'écriture se mêle ces temps ces vitesses. Ecriture sans style. nue. un minimum de procédés et de moyens. qui colle à la vie. simplement. l'épouse. sans fioriture. épouse le mouvement de la vie. et pour cela une économie de moyens une mécanique de base, une grammaire, un style de base sans style. nu. à poil ne plus parler ne plus parler autour de l’écriture. du silence autour. ne plus parler que dans l’écriture ce que j'écris n'est plus peu à peu pour moi écrire n'est plus exprimer sortir faire sortir mais voir entendre toucher. n'est plus exprimer mais appeler c'est nouveau tout ce que je fais en ce moment. c'est plus vrai. plus en contact plus pâteux à peine malléé à peine retouché. plus juste peut-être. en tout cas plus en contact Août - Septembre 02

Refonder me permet d'assainir, d'extraire des autres livres la réflexion "reculée" sur l'écriture, me permet de l'extraire et d'alléger, de garder la ligne droite, tendue, non distraite, des autres livres. De ce qui est sur l'écriture Texte 1601 : tout, comme toujours, a été posé dès le premier paragraphe, le premier bloc, la première pierre, et après ce n'est que creusement ouverture baignade immersion la tête sous l'eau plongée … Un plan de bruissement de la ville, de la vie, des hommes, des bruits, un plan de foisonnement reçu, un foisonnement appelé dans texte 1601, écrit, à restituer peut-être un jour à la voix, à l'oral, 36


restituer ce bruissement de parole, de la parole… un jour sur scène et des gestes bruissements de gestes danses distorsion de gestes voix dessus dedans dessous dedans ce bruissement de texte 1601 Ce n'est pas de la langue équilibrée, "bien écrite", qui fait un livre fort, vivant. C'est quand la langue est légèrement (ou totalement) déséquilibrée, vers l'avant, qu'elle fait un premier pas, qu'elle se met en marche. Quand j'ai commencé texte 1601 aucune idée de ce qui allait arriver de ce qui arrivait de ce qui me tombait sur la tête j'ai bossé j'ai écris plusieurs jours comme un taré sur plusieurs semaines ne dormant presque plus racontant ça aussi parlant racontant ça m'épuisant sachant que mon corps en prenait un sale coup qu'une intensité comme celle là allait forcément marquer cruellement le corps et le crâne et ça n'a pas manqué J'ai passé dans les mois qui ont suivi plusieurs semaines de crise et d'épuisement mental de souffrance de pensées épuisées qui s'entrechoquaient qui peut-être devaient s'entrechoquer jusqu'à s'épuiser jusqu'à épuiser ces pensées. Je le savais je l'avais choisi j'en avais pris le risque de cette intensité et c'est mon corps et ma masse mentale qui n'ont pas manquées de déguster crûment Avec VISIONS j'avais voulu tout dire tout rendre un monde dans ses infinis miroitements alors que mon naturel va au nu au pauvre au contracté au synthétique au silencieux Texte 1602 – la voix ça (avec nœud), nouveau livre : - précis tendu toujours - court - inextricable inatteignable indicible, noué, en abyme - de la parole brute, non filtrée, pleine de dépôts, non distillée une idée d'intensité, aucune idée de ce que ça va dire quelque chose où je n'eusse pas peur de me perdre pour (me) trouver je ne sais pas dans quoi je m'embarque c'est improbable à une source peut-être 37


ou à rien ou à la source au silence à la boue à la boue du début au fangeux du début au magma d'où sort la parole suis-je déjà né ? en fait cela a peut-être toujours été comme ça Octobre 02

l'énergie l'énergie uniquement. avant tout. de celle qui vient d'avant qui vient d'amont. de celle qui vient d'avant que ça naisse et éclose qui vient d'avant que ça commence à parler en partant de, insufflant l'énergie et en prenant le langage brut à son champignonnement à son surgissement ne pas attendre de trouver cette énergie mais aller la chercher curieux je parle de naître à mon travail et dans le même temps je cherche au-delà avant avant la naissance peut-être peut-être là le nœud avant la naissance là quoi Novembre 02

il faudrait presque à la limite avant d'écrire ne pas réfléchir ce n'est pas nécessaire réfléchir. juste laisser venir laisser monter laisser naître dans la réflexion il y a quelque chose déjà qui filtre le surgissement on ne peut savoir avant ce qui va venir

ces temps-ci, quand je vois que je retombe dans des méthodes de travail anciennes, que j'ai utilisées autrefois (type copier-coller,

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patchwork d'éléments, épars, feuillets, fragments, paperolles… pour tenter de constituer un volume) eh bien j'arrête. je veux que ça fluide. je ne veux pas retomber dans d'anciennes façons, soient simplement passées, soient qui trop souvent n'ont été que des tentatives, parfois peu adroites d'organiser, de raisonner, des formes qui avaient été sauvages au début à chaque fois quand je sens que ça viens comme filtré, que ça ne vient pas directement, je me force à arrêter, j'arrête. ce n'est pas ce que je veux. l'énergie l'énergie uniquement. avant tout. de celle qui vient d'avant qui vient d'amont. de celle qui vient d'avant que ça naisse et éclose qui vient d'avant que ça commence à parler ce n'est plus une écriture narrative qui m'intéresse depuis quelque temps maintenant déjà c'est juste la montée la venue des mots de la pâte son champignonnement la venue de cette matière là qui m'intéresse et qui me fait vibrer. après au-delà les faits le scénario l'anecdote l'histoire ne m'intéressent pas et je ne les cherche plus. c'est quelque chose dans la pâte uniquement le sujet lui est toujours là. il y a toujours sujet. même non recherché il y a toujours quelque chose qui est dit. quelque chose qui est raconté. forcément. ça porte toujours sur quelque chose, mais je ne le recherche pas ce n'est plus cela que je recherche c'est en deçà. c'est vraiment s'ouvrir à l'énergie archaïque brute par une sorte d'abandon et d'ouverture la laisser entrer. l'emmagasiner la restituer concentrée c'est finalement toujours cela que j'ai cherché malgré quelques périodes plus "détournées" oui c'est vraiment établir directement la connexion entre ce qui vient, descend, et la matière, première, brute, de la langue… une connexion aussi directe, intacte, non filtrée, non censurée que possible (établir cette connexion directe, brute, passage de fluide, se fait sans pensée. c'est du transfert d'énergie et de matière brute, avec le minimum de contrôle possible, des mots révélés, des mots échappés) noeud fait partie d'une série de proses courtes

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du texte au moment où il champignonne apparaît naît s'impose. du texte d'avant. d'avant qu'il naisse. du texte court nu sans point ponctuation pour aller vite. pour aller au rythme. au rythme de ce qui passe. Décembre 02

j'ai cru à un moment que ce serait le livre mais il n'y a pas de livre. il n'y a pas de livres plus que d'autres il y a des livres des échecs des moins bons mais même un livre échoué est un livre intéressant un livre où il a été parlé un livre où parole a été tentée où elle est venue à la surface par ce trou-là la bouche un livre échoué n'est pas toujours un livre mauvais on ne peut pas faire sans livres échoués

je ne sais si j'ai encore beaucoup à dire. cela se rassemble en quelques points de langue. je ne veux plus regarder en arrière ce que j'écris. oralisation et jeu de mes textes : une voix monocorde, basse ou soprano continue (ni trop grave ni trop aigue). d'une ligne. quelques souffles. une ligne monocorde sur laquelle — peut-être — danser dans les textes l'énergie l'énergie extrêmement ramassée saisie de petites flèches tendues précises oui mais pleines aussi, pleines de chair, pleines de gens, de voix réelles il faut tout de même y mettre quelque chose dedans boue ici lumière haut par exemple est bien vide sans direction. peutêtre intéressant aussi en soi : un lieu de texte en perdition de la langue brute toujours mais remplie remplie de quoi. pleine.

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il faut que quelque chose s'y déroule ou s'y enroule, même si c'est le rien, le silence qui s'y enroule… juste le son, la voix sortie du silence, du rien eh bien même ce silence, ce rien, cette langue sortie du rien, doit s'enrouler, doit se dérouler, se faire… parce que réellement elle s'enroule se fait il faut que quelque chose s'y déroule ou s'y enroule qu'il y ait chair qui remplisse corps qui vive il y a évidemment à trouver encore à aller plus loin encore. c'est-à-dire prendre cette langue du début remonter encore à sa simplicité balbutiante à son archaïque surgissement que de la langue avant sa voix est-ce la solution ? Janvier 03

le mur du son oui ce qu'il faut que je fasse c'est, depuis ce que je fais ces tempsci, continuer aller plus loin descendre plus. c'est-à-dire de ce stade, déjà exploré (par Beckett entre autre), pousser la chose encore plus loin. une langue encore plus ramassée, synthétique, économique, basique. une langue, dans sa mélopée vertigineuse infinissable, encore plus proche du silence. tout contre le silence. toute prête de s'éteindre, toute prête de passer à travers sa voix, de crever. tout comme le passage du mur du son, cette déchirure de la frontière, là où l'objet - l'avion - va plus vite que son son, progresse devant son son, la langue va plus vite que sa voix, la dépasse, passe au silence… en pointe, flèche tendue, déchirante la langue ne peut plus être suivie par la parole, la langue est nue, avant sa parole, avant d'être dite, avant avant sa naissance dans la bouche, avant son cri, nue, dénuée… fulgurante toute seule devant devant le bruit cette chose-là je vais la creuser Février 03

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48 carnets de notes. travail pas finissable. travail pas fi je travaille sans arrêt même quand je n'écris pas mûrissent invisibles

poésie express prose notes d'écriture mûrissent invisibles (même à moi-même) dans l'ombre puis éclosent. Mars 03

rien ces jours-ci presque rien prochain volume prochain livre quoi ? encore plus petit ramassé concis. encore, peut-être, plus proche du silence ? je sais que ce sera précis, je n'ai pas d'idée raisonnée de ce que je vais faire, d'ailleurs je ne sais pas ce que je vais faire, je sais juste que ce sera précis, je n'en ai qu'une idée d'instinct Avril 03

C'est une vraie langue qu'il faut que je crée pour que l'on entende dans la voix au-delà de la langue au-delà de la parole c'est quelque chose de bien plus brut bien plus entier que je veux faire que ce qui se fait généralement dans la littérature d'aujourd'hui. quelque chose de bien plus fondamental de bien plus fondateur je sais ce que c'est j'en ai une idée un pressentiment une image un son… j'en tiens l'énergie surtout. langue déchirée première

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fondatrice fil ininterrompu de la parole de la phrase conversation rompue fais. ce que je fais n'est plus depuis longtemps une recherche d'histoire mais une recherche de matière écrire du théâtre — est-ce le bon mot ? — écrire théâtre — voir entendre les gens, en scène, dans un carré — voir les choses les scènes de la vie dans ce carré déroulées enroulées – brouhaha là au centre dans ce carré rectangle. juin 03

du texte seul s'enfoncer (texte 1601) : tout en une seule phrase plus proche plus fidèle plus propre au fil de la pensée un objet condensé ramassé dense exprimant l'immersion l'absorption l'intérieur l'engloutissement la noyade la répétition — s'enfoncer de la langue parole déroulée enroulée je pense que l'on peut aller plus loin beaucoup plus loin complètement disloquer révolutionner l'ancienne langue faire surgir une nouvelle ce n'est plus enfoncer le clou mais faire sauter la baraque pour cela je sens maintenant qu'il ne s'agit plus seulement de travailler laborieusement mais d'à nouveau aller chercher la sensation la mouvement l'itinérance l'ivresse le rythme août – septembre 03

je suis la même ligne des mots révélés, des mots échappés

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je ne sais si j'ai encore beaucoup à dire. cela se rassemble en quelques points de langue. il y a évidemment à trouver encore à aller plus loin encore. c'est-à-dire prendre cette langue du début remonter encore à sa simplicité balbutiante à son archaïque surgissement toujours raconte le point limite le point d'échec de la langue devant le silence là elle se fait, devant le silence, se raconte l'histoire c'est ça ça ne peut pas être autre parce que ce ne peut-être que court, ainsi. ramassé dense concis. tendu de petites flèches précises percutantes filant d'un tir tendu et puis se heurtant ce que je fais n'est plus depuis longtemps une recherche d'histoire mais une recherche de matière établir directement la connexion entre ce qui vient descend et la matière première brute de la langue… disais-je lors de nœud il y a quelques temps peu de temps ce que j'écris est presque comme non verbal parole-blanche toute cette énergie contenue dans la langue parole contenue qui explosant deviendrait parole-blanche en allant plus loin la langue pressée jusqu'à fission peut-être sans doute peut-on aller presque au bout du français à le tordre comme ça à le laisser échapper comme ça ce qui est spectaculaire c'est que la voix monte c'est aussi quand la langue se perd c'est aussi à ce moment que cela peut-être théâtralisé énergie • expulsion • résonance 44


encore une fois encore un lieu le marché met au murmure les voix les plus fortement jaillies les voix les plus voisines du silence les voix au début peut-être à la source visiblement aujourd'hui écritures nouvelles — les courtes laboratoires flash ne trouvent éditeur ces éditeurs bien que "saisis" parfois — c'est leurs mots — trouvent difficilement visibilité à leur donner alors devant ce champ vide dirait-on pour le txt ramassé reste le net je m'en sert octobre 03

il ne s'agit pas de dire ou lire c'est la parole qui traverse le corps de l'homme qui l'agite il s'en retrouve barbouillé ce ne sont pas des mots mais de la matière verbale du son verbal novembre 03

projet fields • une certaine ampleur • une économie de moyens • les pérégrinations marches pauvretés joies et conditions d'un homme ou d'un peuple • une langue jusqu'à fission cette histoire du peuple de l'homme marchant projet d'écriture qui s'accompagnera d'une séquence de travail nomade de trois semaines avec danseurs tchèque en montagne en altitude en août janvier 04

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au delà des mots au moment d'échec de la parole l'homme sans / trop de parole périodes d'avancement actif – périodes d'avancement réceptif à peine des petites touches légères quand elles sont impérieuses… sinon rien février 04

après sortie des 4 livres maintenant soit je fais un pas de fourmi avec un autre volume du même type soit je fais un pas de géant risque encore pas le choix et pour cela attends me rempli vois laisse venir le temps… pas pressé… mars 04

je m'engage dans une voie c'est un risque • toujours plus simple plus nu plus dépouillé clope l clop coke l cok mots l mo lir un livr le sens subsiste mais langue remise à nue dégagée de toute fioriture de toutes "muettes" de toutes lettres "historiques" c'est du son pur de l'éclat de l'objet brut brut orthographique brut sonore c'est un éclat c'est une violente émergence c'est nu dépossédé dépossédé et pourtant appelle et pourtant vibration et pourtant venu là d'un coup écla des mo des écla des brut des brui brut maintenant ça après avoir fais sauter ponctuation majuscules après avoir redonner le phrasé le fluide toujours quelques chose de fluide (c'est la lisibilité) plus nu 46


plus simple plus loin brut et quelque chose de laché assoupli de la langue épuisée jusqu'au fond et là en fait toute énergie toute tambour toute vibrante toute originelle

avant in Désertia c'était A la cervelle on trouve rien. C'est tout en bas le début... aux muscles, aux tissus... Des nerfs, l'excitation est toujours motivation. Alors voilà la foutue méchante expérience de chansonnette ! Le maniaque abordage ! Notation précaire, contrepoint instable fragile... La petite musique n'est pas tendre ! Ma veine s'est activée indéviable aveugle. J'ai excité là-dedans la claironnade ou pour dire plus vrai c'est une sorte de partition pour tam-tam : une escripture pour instruments vulgaires...

in VISIONS

On ne peut que dans le noir de l'orage et de la nuit aller coulant nulle part

et me rappelle l'incipit de VISIONS livr jamais achevé car la route pas achevée qui disait — je renote les mots — Les navigations et tous mes livres sont évidemment un seul et même bouquin. Une vaste légende qui courra encore dans les livres futurs comme un antique vapeur cahotant sur le staccato endiablé des rails ou des marées. Une réunion mouvementée de visages et de caractères, imprimés désormais sur cette frise bien vivante, celle-là même qui est l'artère vibrante et palpitante du cœur de mes amis.

dans les 4 livres c'était ce n'est plus une écriture narrative qui m'intéresse depuis quelque temps maintenant déjà c'est juste la montée la venue des mots de la pâte son champignonnement la venue de cette matière là qui m'intéresse et qui me fait vibrer. c'est quelque chose là uniquement c'est vraiment s'ouvrir à l'énergie archaïque brute par une sorte d'abandon et d'ouverture la laisser entrer. l'emmagasiner la restituer concentrée oui c'est vraiment établir directement la connexion entre ce qui vient, descend, et la matière, première, brute, de la langue… une connexion aussi directe, intacte, non filtrée, non censurée que possible du texte au moment où il champignonne apparaît naît s'impose. du texte d'avant. d'avant qu'il naisse. du texte court nu sans point ponctuation pour aller vite. pour aller au rythme. au rythme de ce qui passe.

• une flèche tendue précise (maintenant ?) 47


• faire passer au plus vite au plus fluide de ce qui arrive vient à la langue (maintenant ?) • le champignonnement (maintenant ?) et maintenant toujours mais plus avant plus loin je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui encore d'écriture "exploitable" certaines continuées comme traversées influences (kerouac, beckett, faulkner, céline…) mais de celles d'aujourd'hui il y a maintenant un tour qui est fait et il faut trouver nouveau aujourd'hui c'est tout autre chose qu'il faut trouver qu'il faut sortir qu'il faut aller chercher et ramener à la lumière voir et remonter à la lumière capter quand il descend capter au plus vite au plus proche au plus brut au plus "naissance" dans la série des accessoires : après m'être libéré de la ponctuation des majuscules des superflus de langage, de la grammaire syntaxe de convention, après m'être libéré du langage pour aller à la langue, me libérer de l'orthographe. non pas que ce soit l'essentiel ni un but, mais je cherche le moyen nouveau toujours d'énergiser la langue le patois de la faire survenir au plus direct intéressant utilisé subtilement et non systématiquement, mais il faut que ça reste hyper lisible, c'est à dire fluide = lisible je ne sais pas ce que je vais écrire je vais écrire exprimer à la vitesse (la vitesse) de la vision de la langue pressée jusqu'à fission venue coulant sans arrêt sans pensée sans changer un mot qui ne pourrait être autrement parce que c'est ça dépossédé et pourtant appelle et pourtant vibration et pourtant venu là d'un coup écla toujours : une économie de moyens une mécanique de base une grammaire nue un style de base avril 04

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corhs parl c'est à la limite c'est clair — c'est risqué à la limite mais restera lisible ouais mais en fait c'est ça corhs parl manque pas grand chose un petit rien ce qu'il manque toujours

état de recherche 1 une violente émergence c'est nu dépossédé venu là d'un coup écla des mo des écla des brut des brui brut ce n'est pas de la déconstruction tout le contrair de la simplification un apport de vitesse de vélocité une langu le langage déconstruit pour faire émerger une langue nécessaire une langu sortie du fond rapide célérité une célérité de la vision et de l'émergence consciente inconsciente passée dans/par la célérité de l'écriture de la langu patoi perso le patoi perso une célérité de la phrase dans son flow rythmique phrasé mélodique et dans sa remontée des éléments les plus profonds archaïques et dans sa captation des éléments vus remontés descendus visions c'est ça ce flux flow ce tout ce qui se passe se voit s'entend se sent tout ce qui passe se passe move se meut avan on ne rentrai pas ainsi dans la viande le muscle de la langu dans sa vitess oui cet écritur la pour aller encor plu vit c'est à dir nouvelles choses vues

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juin 04

le "marché" (disons comme cela sans chercher les responsabilités) n'a pas compris que le style roman était achevé, et le formatage est encore toujours sous cette forme. Ce qui a pu être fait de mieux l'a été. nous sommes bien maintenant plus dans des flows, des nécessités de vitesse.

malheureux tous ces écrits et là dans des malles des fichiers informatiques enfouis et pas sortis pas sortis au jour plus de risque de la part des éditeurs plus de risque ça veut dire mort arrivent peut-être aujourd'hui à un mauvais moment tous ceux qui prennent risque en écriture au moment où la massification de tout désir la massificiation de la "culture" la massification et concentrations de l'économique tue tout "en-dehors" tout risque en dehors. ne les tue pas en fait mais tue leur diffusion. heure de résistance donc un seul livre toujours ? qui toujours arrive au même même juillet 04

ouais c'est ca corhs parl c'est ça c'est ce risque il faut y aller ouais c'est ça corhs parl c'est juste mais pourrait aller plus loin dans l'explosion – formation de la la langue

le poème c'est toujours un oui ou un non rien de moyen je ne sais si je progresse dans mon travail je m'y déplace plutôt 50


si j'y progresse c'est plutôt dans ce sens de déplacement corhs parl : peut-être est-ce une impasse, pas en tant que tel, mais en tant qu'écriture nue, une écriture trop radicale, (qui ne raconte pas). je ne sais pas encore. ces formes de proses doivent être : • brèves • cohérentes en elles • raconter (ex nœud)

j'en suis au LIIIème cahier beaucoup ça de mots septembre 04

écrire ça s’adresse ? s’adresse à qui ? à qui vers qui j’écris ? est-ce que j’écris pour quelqu’un ? est-ce que j’écris pour moi ? est-ce que j’écris pour, rien de moins sûr rien de moins sûr ce « pour »

« Il y a dans le monde des langages quelque chose qui est définitivement fini… et la parole même apparaît comme une convention tout de suite usée… L’homme dirait-on, ne parvient plus à parler. Il y a une violence dans les choses qui devient sa violence et l’empêche de parler. Une violence plus forte que la parole. » Giuseppe Ungaretti « À la différence du romancier, peut-être, le poète ne se met guère au travail. C'est toujours commencer, jamais poursuivre. Ainsi pour ce poème Je ne, ressenti comme non-fini, je ne peux qu'attendre un nouvel élan, sans pouvoir le provoquer. Heureusement, il reste tout ce lent travail

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d'ajustement, de menuiserie ; autrement on vivrait à 99% dans le vide. » Antoine Emaz A vrai dire - un journal de travail « comme un roulis un mouvement enroulé de mots comme une vague de langue ourlée puis son déferlement qui claque alors là oui la peur de voir venir tout autant que le muet le rien le blanc pur de l’écume ou mousse de mots comme produit vaisselle autant impossible à former poème alors rien que la peur de ne pas pouvoir se sortir entier des mots et de ce qui les a fait surgir ça oui comme s’il n’y avait pas de maîtrise face à cette force lâchée poète ou pas habitué ou non à voir craquer ces digues de langue et savoir ou pas les colmater c’est à peu près ça comme un déluge sans sens dans lequel on est pris et se noie dans un fracas de syllabes que l’on ne guide plus mais il tourne un fouillis d’images en vrac une lame de fond de tête un tourbillon de vase où se mêlent clair et sombre réussites et ratages des années le tout d’une vie brassée d’un coup laissant à nu l’os dessous quand ça cesse et qu’on reste muet comme épuisé de rien mais là encore après à respirer » Antoine Emaz Depuis le temps - OS, 1 (13.05.00) Pier Une langue qui n'existe pas et qui soit douce, chantante, et dure et folle. Une langue qu'on ne sache pas si c'est une femme ou un homme qui parle. Bises, je t'appelle demain soir. Pierre (v. Novarina, le théâtre des paroles, p 153) Ben ca vient tres bien parce que j'ai passé du temps à relire les textes que tu nous a envoyé dernièrement et à ma traumatiser avec la recherche d'un texte pour FIELDS. Mais est-ce un texte? ET tu réponds voix des 52


danseurs. Et ça fait un moment que je me dis que ce n'est pas un texte compréhensible qui m'intéresse mais la voix des danseurs et pas seulement qu'ils chantent mais qu'ils chantent des paroles et disent des paroles. Alors je me suis dis, et si Fred inventait une langue sonore? Une langue avec des mots, qui porraient à la limite dire quelque chose, mais pas, en fait c'est cela, suffisant à te dire : j'ai besoin d'une LANGUE SONORE. Je t'embrasse très fort. Pierre

tarkos triste son tempo bou boucles langue sortie ressortie me touchaient décembre 04 - janvier 05

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Sons & des mo des flots des flux des mo des écla des brut des brui brut

un champ qui s'ouvre c'est sûr pour moi, ces deux formes (txt & vox) sont distinctes, séparées. bien que ce son viennent d'un txt écrit ils en est une toute autre forme tout autre objet. indépendant. né en dehors de sa version écrite comme né plus antérieurement plus archaïque plus originel. plus proche de notre préhistoire vocale que le txt écrit. le txt écrit est pour beaucoup encore soumis aux règles à la langue aux règles de la langue. la voix est avant la langue. la voix vient du ventre du corps du souffle. avant la langue... février 05

l’ampleur que prennent ces sons ma langue n'est pas de celle que l'on entend dans la rue et pourtant elle est toute là pleine dans les bouches de chacun

« Si la parole éclaire, le silence n'obscurcit pas : il régénère. » Edmond Jabès (Le petit livre de la subversion hors de soupçon)

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« il n'y a pas de poème réussi, ni objet ni projet... Rapportée à l'ambition de poésie — la folle ambition de poésie — l'oeuvre laisse des poèmes échoués, tels ces squales lancés par une vague sur la plage, gueules ouvertes. Plus que d'échec il faut alors parler d'inachèvement, non-apaisé. » Claude Minière – revue Fusées mars 05

« J’ai écrit Molloy et la suite le jour où j’ai compris ma bêtise. Alors je me suis mis à écrire les choses que je sens. » S. Beckett (entretiens avec Charles Juliet) l’ampleur que prennent ces sons ma lang n'est pas exactement de celle que l'on entend dans la rue et pourtant elle me paraît là toute pleine dans les bouches de chacun le son me permet de retrouver la lang de retrouver à la lang dan la lang • une parole une voix • une chair un corhs • une immédiateté du champignonnement surgissement de la voix animale archaïque historique • avant qu’elle ne devienne langue normée orthographiée réglée société • avant • surgissement dans son magma boue de hurls de souffls de motors de raclements de fracas de brui des mo des écla des brut des brui brut des interférences de gueule 55


de silence • et puis surtout la liberté d'écriture celle de gueuler • je pense alors corhs parl pendant ce temps les voitures passent passent mai 05

« Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Égarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt. « Marguerite Duras “la mort du jeune aviateur anglais” in “Ecrire” juin 05 début tentative continuum en direct line sur le net test continuité variation déroulé enroulé accompagné prochainement de sons test aussi simultanéité txt & vox & sounds (& images) de la parol inform qui se forme _ c'est de la parol inform qui se forme qui pouss txt : des mots simples seuls sans grammaire orthographe bruts des mots échappés une écriture de mots échappés mots égrenés, liste de mots qui créent un monde vox & sounds : sons purs précis simples sons épurés, 1 ligne douce et continue avec des variations légères d’intensité _ un vent, une mer, un craquement

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sons de bruits de dehors fins suspendus clairs sonores images : variations légères d’1 image bouche

dans la petite maison devant fenêtre ouverte à travailler debout l’ordi sur une planche à repasser oui ce soir-là debout devant la fenêtre debout travaillant la machine à taper écran écrire sur une table à repasser debout là travaillant écoutant écoutant la fenêtre ouverte oui debout là écoutant travaillant sur la petite machine blanche m’accompagnant oui là écoutant musique et fenêtre ouverte lumière dans la chambre et de la nuit myriades de bestioles moustiques coléoptères hannetons rentrant et venant bourdonner dans le globe de ma lampe oui là travaillant debout là devant la fenêtre devant tout ce qui est ouvert yes yes oui devant tout ce qui est ouvert yes tout ouvert tout recevant ces putains moments de grâce là oui écrire c’est seul cette recherche de lang sans point ponctuation grammaire orthographe des mots par eux-mêmes écrire c’est seul le soir le matin l’après-midi c’est seul quand tout le monde est à autre chose écrire ça s’accumule en strates des milliers feuilles carnets papiers paperolles bouts feuillets cahiers sons enregistrements croquis déchirés qui qui s’amoncellent 57


forcément quand on y passe une vie le plus souvent dans la nuit accumulés écrire en musique aussi rythme gros son dans le casque les oreilles difficile ce que je tente là des mots simples seuls sans grammaire orthographe bruts sans doute le plus dur de ce que j’ai jamais tenté et pourtant je n’ai sans doute jamais tenté que ça jamais tenté que ça décider d’exposer au jour le jour décider d’exposer des works in progress c’est un risque pris risque d’étape peu tendues risque de changements en cours risque de versions en écrasant d’autres risque de trucs machins et éclats sans place apparus puis disparaissant risque d’exposer des trucs pas finis pas finissables peut-être qui vont bouger changer disparaître apparaître se casser la gueule se planter ou bien marcher rouler oui ce qu'il faut que je fasse c'est, depuis ce que je fais ces tempsci, continuer aller plus loin descendre plus. c'est-à-dire de ce stade, déjà exploré (par Beckett entre autre), pousser la chose encore plus loin. une langue encore plus ramassée, synthétique, économique, basique. une langue, dans sa mélopée vertigineuse infinissable, encore plus proche du silence. tout contre le silence. toute prête de s'éteindre, toute prête de passer à travers sa voix, de crever. tout comme le passage du mur du son, cette déchirure de la frontière, là où l'objet - l'avion - va plus vite que son son, progresse devant son son, la langue va plus vite que sa voix, la dépasse, passe au silence… en pointe, flèche tendue, déchirante la langue ne peut plus être suivie par la parole, la langue est nue, avant sa parole, avant d'être dite, avant avant sa naissance dans la bouche, avant son cri, nue, dénuée… 58


fulgurante toute seule devant devant le bruit cette chose-là je vais la creuser il faut que quelque chose s'y déroule ou s'y enroule, même si c'est le rien, le silence qui s'y enroule… juste le son, la voix sortie du silence, du rien eh bien même ce silence, ce rien, cette langue sortie du rien, doit s'enrouler, doit se dérouler, se faire… parce que réellement elle s'enroule se fait juillet 05

« De plus en plus, je sens que je n'ai pas le temps. Tu luttes toute ta vie pour trouver une voix personnelle et tu restes prisonnier de cette voix. Tout art tend vers la musique et la musique tend vers le silence. Je rêve que les gens lisent ce qui n'est pas là. » António Lobo Antunes

(mis in town town _ continuum) cette voix est en moi je ne peux pas dir si elle descend ou si elle monte si probablement elle monte puis descend s’éteint puis descend puis descend creusant s’enfonce d’abord monte enfle gonfle éclate puis descend s’enfonce creuse à vrai dire je ne sais pas ce sont 2 moments confus liés 2 moments confuliés l’un lié à l’autre l’autre à l’un 2 mouvements venus du même central fond point origine archaïque toujours lui ce point toujours que ça monte ou que ça descende peu importe c’est même ça monte d’au fond limon terr matrice matière pâte c’est à dire ça monte du fond et le fond c’est le descend la pâte la matière point ce point là 59


2 mouvements liés confus c’est à dire dir dir celle voix est en moi mais je ne saurais dir si cette voix est en moi si cette voix est en moi mais je ne saurais dir si cette voix est moi si

« Faire des images à la brosse et non au pinceau. La chose à montrer est rugueuse, pleine d’aspérités. La même indélicatesse avec le son. » Luc Dardenne

une voix désincarnée métronomique machine échappée finalement échappée comme lang échappée au début au début oui c’est ça comme au début début départ lang échappée au tout début a dû comme ça que ça a dû démarrer nous sommes bien maintenant plus dans des flows, des nécessités de vitesse.

« issu de l’impossible voix l’infaisable être. » S. Beckett textes pour rien 60


ne pas se dissoudre disperser dans le net, le blog ou autre. mon but est : - écrire - sons septembre 05

oui le livre ? alors que l’on peut tant le fantasmer, alors que, au-delà des notes, parallèlement à elles, pour ma part, je construisais, toujours, jusque là, « en volume » douter du livre… détachement de l'attente du livre... et donc cette première expérience, sans livre, sans le projet initial du volume, de cette "zone" là : town town et continuum continue, sans livre, à l'écran, dont pas mal choses en préparation, cachées encore… et puis très bientôt pour moi aussi dépenser mes 50 balles pour me créer un espace – à moi - pour écrire – ici – en ligne pour moi et pourtant vu et pourtant à vue de tous "une instance de joie, ces temps-ci : faire du texte avec si peu, avec rien." dit fb. Ouais le txt court ramassé précis concis dense ramassé... comme une flèche, tir tendu... dans cette insistance de joie cette insistance de tumulte

le web c’est réseau & liens _ c’est contenu & ressources c’est, d'abord, peut-être aussi, mystère de l’adresse

_ mais

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« Créer ce n'est pas communiquer, c'est résister » Deleuze - Pourparlers

toujours, j’ai senti cela

« Ce qui m’étonne, c’est cette faculté du cerveau à remplacer le réel, à dresser ses propres peurs au lieu de l’effort habituel pour vaincre la rugosité du dehors. » f. bon

concernant les éditeurs, je sais qu'il faut faire "gros" œuvre. mais je ne sais faire que "maigre". tout ça pour dire que je sais que c'est la forme courte qui me va. làdedans que je donne le mieux. que le roman ou récit sont peu naturels pour moi. que la forme courte ramassée tendue est celle qui me viens. qui arrive d’elle même. forcer cela pour sortir et construire du long me paraît difficile, et peut-être même pas une bonne chose raison donc sans doute que je me heurte à l'édition. ou alors une forme alternative pour moi, serait peut-être un recueil, rassemblant de façon plus large ces travaux... en fait je ne sais pas bien. je fais mon truc. je continue encore à envoyer mes textes, ça commence à être un mystère de continuer à le faire.

« qu’est-ce qui a soudain fait sens, ou plutôt brusque absence de sens, violente dérobade de l’inscription au point qu’il a fallu entamer le récit. Pierre Guyotat semble avoir su faire de l’objet d’une souffrance une marque de singularité et un mode d’engendrement textuel. Maurice Blanchot le remarque dans «

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La littérature et le droit à la mort » : peu importe la circonstance qui fait office de point de départ d’une œuvre, seul compte « le mouvement par lequel l’auteur en fait une circonstance définitive ». http://www.remue.net/article.php3?id_article=747

confiance découvre depuis peu que le lecteur a besoin d’avoir confiance en celui qui a écrit si le lecteur ne sait pas où il va il ne rentrera pas s’il est accompagné, oui c’est ça en quelque sorte, mis en confiance, mis sur le chemin, il rentrera cheminera je me souciais peu du lecteur jusque là, pourtant depuis longtemps dans d’autres domaines (lien vers Caps) je sais l’importance première qu’a la confiance, la nécessité qu’elle soit là, assez vite construite — jamais définitivemment établie —

• projet _ sur jour ou remue silence xxxxxx • projet _ oui un grand recueil de txts courts, tout sous le même format 1- au fil, sous la (titre pas très bon, et sans le 1er txt) avec sous la lampe 2- du seul s’enfoncer 3- la voix ça 4- (continuum) 5- jour où remue silence 6- (poème de la table à repasser) la narration enchaîner des phrases des idées j’ai toujours été étonné de cela, que l’on demande cela, que les éditeurs le plus souvent attendent cela, encouragent à cela, d’enchaîner des phrases qu’elles soient logiques racontent logiquement quelque chose... poursuivent la précédente, préparent la suivante… narrent 63


alors que cela est tout sauf réel — écoutez dehors ça se coupe — se recoupe parfois — saute du coq à l’âne, se perd, s’inaudible, s’épuise, s’embrouille, se fourvoie, s’interrompt, se laisse tomber, s'efface, se refoule, digresse, se perd, s'emmêle ils en parlent, entre mille autres choses, dans cette belle discussion entre pierre et gabriel bergounioux + bon tiré de krnk.net http://f.bon.free.fr/son/bergounioux_discussion.mp3 autour de continuum (2) je ne sais pas où ça va me mener combien de temps je vais le mener comment je vais le mener si je vais mener ou être mené j'avance sans savoir où je vais c'est souvent comme ça je ne suis pas le premier à avancer ainsi sans savoir à me laisser embarquer les plus beaux voyages se font souvent au hasard à m’enfoncer ainsi à découvrir au fur et à mesure explorer octobre 05

épuisement — élan lettre d’Antoine Emaz parlant d'un mélange d'épuisement et d'élan.. d'acharnement à dire ce mélange à rapprocher de certains monologues de Beckett oui pour mes travaux — et je crois que quelques amis proches seulement le savent — cela est fondamental : épuisement et élan fondamental pour la lang aussi, me semble dans l'épaisseur de matière, élan, champignonnement de bouche, poussée de lang, montée de voix 64


et épuisement, incapacité, bé bé bégaiement, montée pâteuse, montée raide est-ce à dire — se mélange s'engloutit parl parl monte et en même temps se perd je ne sais pas dans la vie de tout les jours je n'ai jamais eu difficulté à parler, jamais eu difficulté à écrire et pourtant là ici dans ce que j'écris, c'est toujours histoire de lang... histoire de montée de lang qui se heurte toujours ça s'efforce toujours c'est irrépréhensible ça n'est pas donné pourtant

risque 1 écrire à la table pas à l'ordi vais essayez quelques jours besoin d'y revenir j'écris j'écris je ne fais que ça quand j'écris je prends des risques physiques risque 2 écrire à la table laisser l'ordi cette envie ce besoin d'y revenir à la table quelques jours ou alors ne pas utiliser l'ordi comme ouverture du bureau sur le reste du monde mais se refermer sur l'écran s'y pencher comme sur la page le carnet descendre s'isoler et non ouvrir s'enfoncer s'isoler du silence du silence du silence de musique éventuellement mais un silence en tout cas j'écris j'écris je ne fais que ça j'écris jusqu'à épuisement quand j'écris ainsi je prends des risques physiques réels brute seule

écriture sans point ponctuation majuscules retours à la ligne c'est de l'écriture seule c'est de l'écriture seule elle seule 65


brute pas d'indication de lecture si ce n'est issue de la matière brute lisse seule de l'écriture seule je crois que la ponctuation l'orthographe ne sont qu'annexes ne sont pas de l'écriture véritablement mais périphéries l'écriture seule ainsi bloc c'est évidemment graphisme de telles lignes régulières tendues noires je suis porté à croire que la qualité graphique de l'écriture (manuelle ou informatique) indique la qualité contenue pour la lecture tout vient donc de ce graphisme continu tout vient de la phrase ainsi déroulée (je n'ai pas d'attirance pour l'objet l'icône mot) tout vient de cette sorte de ligne continue onde à peine modulée à peine ondulée (les variations Goldberg me semblent ainsi construites, je ne parle pas de l'aspect "variation" mais de cette mélodique très régulièrement "ondulée") cela oblige à une précision diabolique tout le rythme le mélodique étant contenu dans la parol dans la ligne sans aucun soutien extérieur/périphérique/ponctué/typographique tout le relief est comme intérieur intrinsèque contenu oui ce continuum là il me semble avancer vers cela de plus en plus radicalement

« Tout ce qui précède oublier. Je ne peux pas beaucoup à la fois. Ça laisse à la plume le temps de noter. Je ne la vois pas mais je l’entends là bas derrière. C’est dire le silence. Quand elle s’arrête je continue. Quelque fois elle refuse. Quand elle refuse je continue. Trop de silence je ne peux pas. Ou c’est ma voix trop faible par moments. Celle qui sort de moi, voilà pour l’art et la manière. » Samuel Beckett

"Le passé n'est jamais mort, il n'est même pas passé" Faulkner 66


« … la langue d'un auteur grandit avec lui ; elle fait son chemin dans son cerveau, dans son cœur et dans son corps. On fait un parcours : la langue, le chant, se chargent ou se déchargent de choses de plus en plus inavouables. La vie et la langue avancent ensemble. L'une fatigue l'autre, l'autre réanime l'une. » Pierre Guyotat Explications, 2000 « J'ai souvent dit que j'étais passé de la littérature à l'écriture, puis de l'écriture à la langue, puis de la langue à la voix. » et plus loin « En quelque sorte, j'efface de la langue tout ce qui m'y paraît inutile, tout ce qui n'est pas expressif. » Pierre Guyotat entretien pour Lire

ma lang (2) je suis passé de la littérature à l'écriture, puis de l'écriture à la langue, puis de la langue à la voix Guyotat • littérature > écriture > lang > parl > voix Curieux, troublant de retrouver chez Guyotat, ce passage, descendant. Descendant car allant à mon sens au plus profond. Ces notes d'écriture ici sont finalement un peu l'histoire de cette découverte et passage progressif. J'avais découvert dans vox que la voix est avant la langue. La voix vient du ventre, du corps, du souffle. Avant la langue... Mais plus largement c'est vraiment passer de toute la codification littéraire, langagière (la lang normée, socialisée au fil de l'histoire), à une 67


lang, à une voix, plus directement venue, surgie dans un matériau plus brut, plus sauvage. Cette lang là me semble plus proche de sa source, plus "fidèle" à son surgissement. Cela doit être une histoire ancienne, ce goût pour le brut plus que pour le ciselé. Même si cela ne dispense pas de travailler, pétrir, polir, malaxer, cette lang brute, la lang éthérée, adjoint d'artifices (il me semble que c'est ainsi que Guyotat dit littérature) m'a toujours paru plus éloignée de l'urgence, de la nécessité profonde qui l'a fait surgir, que la lang brute. Mais je me trompe peut-être, il n'est que de lire Mallarmé, Proust ou Saint-John Perse. J'ai finalement toujours eu plus goût pour le caillou que pour le fronton de marbre... Ainsi donc cette sensation d'avoir désappris, de s'être éloigné de la littérature, pour aller à la lang, pour aller à la voix. C'est la première fois que je retrouve cette expérience, cette formulation chez un auteur, ou tout du moins qu'un le dise.

risque (3) (en parallèle à town town _ continuum p 6) • ortograf : pas besoin ! (je sais que pour beaucoup cette histoire d'orthographe est très polémique, mais en écriture on a à peu près tout remué, et pourtant si peu ces règles-là... ce n'est pas par snobisme que je m'interroge là-dessus, mais parce que j'y sens des potentialités.) ça alourdit cela encombre _ on croit que ça aide (car nous sommes conditionnés, pétris, après longs et contraignants apprentissage de ces codes) mais on pourrait, sans perdre en compréhension, s'en passer _ à condition de désapprendre codes, réapprendre la lang du début comme enfant _ alors tout sera plus léger non seulement lir un livr n'a pas besoin de e, mais je crois passe ici une énergie. parl ou clop sont ainsi énergisés : - via le graphique deviennent une entité nouvelle, sens particulier, recouvrent monde à part. parl devient un monde une entité particulière plus que parole - via le son, peu de différence, et pourtant clop me semble claquer plus que clope

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cette déconstruction, désapprentissage, a été fait en peinture peutêtre beaucoup plus qu'en écriture _ en écriture la syntaxe a été atteinte, mais peu la signalétique, le graphisme _ et donc cette influence du graphique sur le sens et sur le son cela évidemment ne peut avoir un intérêt qu'utilisé subtilement et non systématiquement.

profération _ performance (ébauche) Il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces… Deleuze à Bon : ta perf d'hier, ainsi que tes dernières expériences sonores aussi m'intéressent au plus haut point (les derniers tumultes que tu as mis sur krnk par ex) avec ses rythmiques rock, ou sur scène, la profération, l'incantatoire du déroulé de la phrase, les scansions du corps, des pieds même les hésitations de lecture, les ratés de démarrage de phrase, après un léger temps de surprise, m'ont plu aussi — un peu comme mes bégaiements — c'est là aussi je pense que l'on "entend" le cœur du moteur lors de mes trop rares perf, j'avais callé tout cela au millimètre et finalement inhibé ces scansions, ces montées d'énergie — je caricature un peu mais tout était passé uniquement par la bouche et j'avais gardé les mains dans les poches mais il faudrait que je m'y confronte régulièrement pour pouvoir vraiment avancer ouais cette histoire de pur miroir écriture, périodes oscillant de la tentatives de purs récits, aux tentatives de creusement de l'histoire de la lang, où je ne raconte rien d'histoire, mais où pourtant il se raconte quelque chose toujours quand même, et souvent évidemment c'est l'histoire de cette écriture arrivant

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• il y a là dans la profération, il y a pour que le txt deviennent profération, force incantatoire et force rythmique, liées : profération | force incantatoire _ pulse le parler parler déroulé dans la puissance montée peu à peu enveloppante amené par rythme de train rythme cf incantations de Luca, de Montels à l'articulation incantation-rythme, le souffle le foutu paquet de souffle qui rentre là ou plutôt qui sort de là scansion | force rythmique _ beat rythme de train rythme scansion recherche de la montée toujours recherche de la montée à donner à projeter devant doucement impérieusement cf scansions de Tarkos, et dans une certaine mesure de Prigent pouvoir | histoire _ mc (maître de cérémonie) dans la puissance montée peu à peu enveloppante là le pouvoir là prenant le spectateur dans la montée qui fait histoire, l’histoire qui fait montée agissante peu à peu sur le spectateur qui fait impression une histoire de présence une histoire de puissance une histoire de prise sur de captation la montée de la tension qui prend sur que cela me raconte quelque chose que cela me cause que cela me parle que cela interfère croise mon système de références et alors prise sur cf pouvoir de Léo Bassi (vidéo) que j’ai pu voir à Aurillac qui, pour démontrer et démonter de façon extrême le pouvoir du pouvoir sur les foules, ou sur des spectateurs, nous prend en otage avec notre propre peur, avec ses provocations (vidéo ne rendant malheureusement que peu compte de la montée de la tension, mais je vous jure que la démonstration est plus que convaincante) • Guyotat (entretien pour lire) : Oui, la chose publiée ne me suffit pas. Parce que la chose publiée a perdu aujourd'hui une part essentielle de sa force. Parce que, aussi, la lecture publique est une épreuve, un défi, un risque qu'il est bon de prendre. On se sent si bien après. Et c'est aussi une façon très simple de découvrir et d'évaluer le pouvoir qu'a le verbe qu'on crée; et ceci n'est pas aussi sans inquiéter. Moi, du moins, ça me 70


tourmente. (...) Sans ces lectures et sans ces interventions publiques, sans ces extériorisations du risque qu'il y a d'écrire, et d'écrire comme je le fais, ma «vie d'auteur» serait insupportable. (...) Ce n'est qu'après Eden, Eden, Eden que j'ai commencé à imaginer la langue comme pouvant produire des sons extériorisables. Et la découverte intérieure de la langue comme prononçable, comme voix, cela a été pour moi un drame de tous les instants. Tenir le non ne pas finir tête basse (…) on peut rêver d'une poésie au couteau face à cette bêtise massive ou bien tenir un non crispé jusqu'à l'os et boyaux déglingués Antoine Emaz - Os écrire toute sa vie / ça apprend à écrire : ça ne sauve de rien Marguerite Duras - C’est tout Je voudrais dénoncer ici la mondanité à laquelle on cède tous, forcément. On est dans les salons, les marchés, les lieux poétiquement corrects et chiants. On devient chiant, à force de se chier dessus. Il faudrait tous qu’on disparaisse un bon coup pour fomenter quelque chose de terrible. Ce ne sont pas des mitrailleuses qu’il nous faut, mais c’est faire front face à l’atonie, celle que nous provoquons aussi avec nos palabres et nos discours pompeux, on cire trop les godasses aux institutions… Charles Pennequin - Lettre à J.S. 71


novembre 05

autour de continuum (3) constatations froides (début) : ce que ça amène ce qui se découvre dans cette histoire-là... évolution (préparation des pages 7, 8, 9) • à certains moments c'est l'image - ou le txt - ou le son _ qui prend le pas _ presque toujours _ un puis l'autre, alternativement _ qui précède qui tire le reste, qui mène • qui parfois emmerde parce que tirant dans sa direction _ l'autre ''matériau'' alors comme empêché de se développer, étouffé, mis au silence • envahissement de l'image et txt plus rien, souffle coupé _ ou son au devant et txt plus rien... • ou txt envahit et son au-dedans _ incapable d'avoir une ''image'' mentale de son, la lecture du txt reste de la ''lecture'', merdique _ incapable de se dégager du premier jet sonore, formaté _ incapable de trouver nouveau ton nouveau rythme nouvelle voix avant plusieurs jours et dizaines d'essais enregistrés en strates • laisser le temps de l'émergence _ retenir quand ce n'est pas prêt _ lâcher ensuite _ laisser mûrir _ accumuler, laisser accumuler derrière, jusqu'à ce que ça sorte _ que ça sorte plein, mûr, lesté, pesant, sauvage • de pages en pages les images peu à peu prennent leurs places jusqu'à maintenant presque pré-définir le txt qui y sera adjoint accolé • chaque page gagne en identité chaque page trouve une identité _ par la couleur d'abord souvent le plus souvent _ la couleur de la photo d'en-tête, qui donnera la couleur de la série, la ''couleur'' de la page. chaque page, au fil de cette évolution, gagne une ambiance, une typologie txtuelle • j'y travaille quotidiennement au continuum, petites touches de rien du tout, parfois comme ça juste du bidouillage technique _ rien de nouveau _ jours plats _ et puis jours parfois comme ça de grandes 72


touches _ la sensation ivresse quand on est rentré dedans _ que l'on a touché • se mettre en colère contre les / ses vieilles formes • je ne sais pas où ça va me mener et ça m'intéresse de le savoir Lorsqu’un jeune homme, qui aspire à la gloire, dans un cinquième étage, penché sur sa table de travail, à l’heure silencieuse de minuit, perçoit un bruissement qu’il ne sait à quoi attribuer, il tourne, de tous les côtés, sa tête, alourdie par la méditation et les manuscrits poudreux ; mais, rien, aucun indice surpris ne lui révèle la cause de ce qu’il entend si faiblement, quoique cependant il l’entende. Il s’aperçoit, enfin, que la fumée de sa bougie, prenant son essor vers le plafond, occasionne, à travers l’air ambiant, les vibrations presque imperceptibles d’une feuille de papier accrochée à un clou figé contre la muraille. Dans un cinquième étage. Isidore Ducasse, comte de Lautréamont Mieux vaut, pour un poète, être lourd que léger. Antoine Emaz

décembre 05

autour de continuum (4) correspondance txt - image pas de correspondance littérale le txt ne raconte pas l’image. La plupart du temps le txt vient d’un autre champ que celui de l’image la correspondance s’établie de toute façon : ton, couleur, ambiance

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à mon sens l’image et le txt, dans leurs rapports, sont parfois plus rehaussés, soulignés, mis en valeur, par un txt ou une image venant d’un autre champ que par un txt ou une image illustrant l’image n’illustre pas le txt, elle donne une couleur à la page le txt ne raconte pas l'image, il est _ autonome, en lui seul dans le même temps et parallèlement à cette tentative net de continuum élaboration de la version papier, avec la partie textuelle, seule, (accompagnée peut-être d'une seule photo par bloc de txt) _ qui doit avoir sa cohérence indépendamment de la partie sons & images _ avec le txt au centre dans la version web le txt est aussi au centre _ avec la couleur _ au centre vers le centre _ le centre est autre chose

d'où ça vient d'où ça vient ça écrire ? depuis si longtemps depuis presque toujours. depuis que je sais tenir un crayon pour y tracer des lettres d'où ça vient ? je ne me suis finalement pas si souvent que ça posé la question. oui un milieu, un environnement — des livres dans la maison, des proches qui écrivaient un peu — une pulsion créative, une combinaison de tout cela. ce qui est sûr c'est que l'on ne m'y a jamais poussé, on ne m'a jamais suggéré d'écrire. on m'a fourni des enseignements artistiques, musique par exemple, et encore quand je dis artistiques c'était plutôt bien scolaire cette sensibilisation et bourrage de crâne. dans ce milieu, c'est comme ça, on fait de la musique, mais il n'y a que le classique qui exista... alors évidemment j'avais choisi de jouer de la batterie. d'où cela vient alors. je sais que j'ai toujours été un constructeur (cabane, jeux, inventions, voyages, projets, équipes, boites...). sans doute une concordance de toute cela : un environnement sur un terrain, une pulsion de constructeur (un peu mystérieuse quant à sa source) — en puis sans doute après des blessures (ruptures de toutes sortes) et des rencontres (amis, ceux là encore avec qui nous nous accompagnons depuis 15 ans) qui ont renforcé cela écrire, ok, viendrait de construire, comme à peu près tout bonhomme en a l'envie, la nécessité, la génétique

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mais pourquoi écrire plutôt qu'autre chose ? j'ai essayé bien d'autres formes, je suis toujours revenu à écrire. pourquoi écrire plutôt qu'autre chose, je n'ai pas de réponse comme tout un tas de gens, j'ai écrit, mais — et cela est plus rare — cela a continué, jusqu'à s'aggraver, toujours plus, au fil des ans comme me le disait Emaz dans sa lettre qui m'a marquée, on y trouve (comme dans ce que j'ai pu tenter) un mélange d'épuisement et d'élan... qui a toujours été là. certains jours rien donc, ou plutôt certains jours il n'y a que cet épuisement, cette façon de tourner sans cesse autour de pot pas d'autre possibilité en fait que de faire ce que je fais _ je ne sais si c'est poussé à fond, mais fait ainsi dans cette tension perpétuelle, fait parfois dans un épuisement radical de la tentative, et donc un épuisement du bonhomme, ça peut aller jusqu'à être pris dans réel risque physique, risque psychique. si cela vient de loin peut-être alors cela peut-il aller loin, si cela vient de profond peut-être alors cela peut-il aller profond...

txt-sommet et jours rien dans le flot de tentatives les échoués et les txts sommets (comme dit fb), les txts charnière, rupture, bascule quand une intensité le sommet d'intensité l'ivresse nécessaire la montée de la vision nécessaire à ce que ça sorte comme lors de l'écriture de jour où remue silence avec musique 67 fois écoutée très forte dans le casque pour avoir l'ivresse pour avoir l'intensité l'isolement nécessaire et, dans cet isolement, une force de connexion avec tout le reste, un enfouissement et une force — une force d'enfouissement dans le sujet dans le cœur du txt dans sa centrale énergie et, à la fois, une connexion globale à mon environnement c'est juste faire dégagé de la pression du résultat, faire et on verra après, sortir des dizaines d'objets sans nécessité que cela soit bon à chaque coup, cela n'étant de toute façon pas possible il y a des livres ou des txts échecs, mais même un livre ou un txt échoué est nécessaire 75


un txt où il a été parlé tenté un txt où une parole a été tentée où elle est venue à la surface par ce trou-là la bouche un txt échoué n'est pas toujours un txt mauvais on ne peut pas faire sans txts échoués et puis (aussi) comme aujourd'hui, les jours où l'on tourne des heures autour du pot, autour du txt (surfer, lire, grignoter, balader, gérer le quotidien) sans jamais tomber dans cette intensité (sommet ou enfouissement) — tiens dans les journaux de Woolf de Kafka de Giacometti, c'est toujours cette même pression que l'on retrouve (il faudrait aussi revoir ceux de Matisse de Tarkovski) — Giacometti même dans les jours de creux se relance en écrivant : "en peu de mois savoir où j'en suis" ou "en 15 jours un résultat en sculpture, en peinture, en dessin, en tout cela oui" — tourner autour du pot toujours, la tension, tendu toujours 3 ou 4 pages de town town en chantier, et pourtant il manque deux trois trucs encore, peu de chose et pourtant impossible de finir, impossible de tomber dans cette intensité qui fera que les quelques mots manquants alors pourraient venir, venir équilibrer venir compléter venir "cohérer" le reste déjà posé les jours de rien les jours sans rien les jours où rien n'est sorti les jours où rien n'est écrit

notes retouvées le Cahier III (nov 92 - juin 96) surprenant toujours, de voir que certains éléments — préoccupations, obsessions, pensées — sont restées stables, même 10 ans après (cahier 58 aujourd'hui). constater : rien n'a dévié, la même préoccupation toujours. rassurant aussi, se dire : je n'ai fait que ça, et c'est cela que je voulais faire. • les Cahiers sont ce que je peux dire dans une discussion, un échange avec d'autres. les autres écritures, je ne sais pas les dire. ça ne se raconte pas. • je me demande un peu si la véritable histoire ne serait pas celle des cahiers. y'a l'histoire de la pâte et l'histoire donnée par elle. elles se pénètrent l'une l'autre.

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• j'arrive à peu près en ce moment à sortir ce que je veux dire, car je sais que ça restera faillible. je tente sans pression, sans souci a priori de résultat. alors j'avance plus vite. • je n'utilise pas mes compétences à faire des objets finis, mais à essayer et buter. • un unique but, une seule envie, obstinément, dégager les choses, nues. • si je parle de langue riche c'est en m'appauvrissant. je déshabille, je suis le plus petit corps. nu. herbe. • ce n'est toujours que trois, quatre notes pures et simple que je cherche. nichées à la sève de ma personnalité, et extraites. • quand on est dedans, mène à fond, explore, descend : la décomposition du moi, la fatigue, l'épuisement, l'exigence, l'effort... • je ne parle pas de moi, mais d'un autre cherchant enfoui en moi. • hypothèse : le langage ne vient pas d'une nécessité d'expression, mais d'exploration. • ce sont les évidences qui pénètreront.

Je pus conserver mon appartement, j'y revins, et me remis à écrire avec le désir de m'appauvrir encore d'avantage. C'était ça le vrai mobile. Mon travail est un corps de sons fondamentaux produits aussi simplement que possible et je n'accepte de responsabilité pour rien d'autre. Beckett

la science de gueule Montaigne 77


des journées entières

dedans des journées entières à bidouiller écrire _ dehors rafales de pluie _ le jour baissé tôt _ les arbres dans le noir c'est tout _ juste ça _ c'est tout

janvier 06 engager il ne s'agit plus pour moi de "travailler à écrire" il ne s'agit plus de faire un ouvrage mais de plonger de mener de pousser quelque chose _ plonger oui c'est à peu près ça _ plonger ce n'est plus une histoire de travailler mais de s'engager d'être dedans d'être dedans complètement de plonger d'aggraver s'engager c'est à dire complètement oui une aggravation _ entier dedans de plus en plus difficilement supportable de devoir faire d'autres choses _ d'être "dérangé" oui quelque chose qui se précise qui s'enfonce comment dire, alors que cela est là depuis longtemps, mais en quelque sorte, ne fait que commencer je ne sais pas exactement ce que je dis ici _ ce sont des choses qui me sortent comme ça _ ce que je sais juste c’est que ce genre de trucs ce sont comme des prophéties _ que cela ira par là un jour ce que je sais c’est que c’est en cours

autour de continuum (pour la fin) continuum, seconde partie de town town _ tentative _ s'achève... 78


avant le risque d’essoufflement • town town 0 _ prémices | fév à juin 2005 _ txt & vox • town town 1 _ continuum | août 2005 à fév 2006 _ txt & vox & images 50 txts peut-être _ 1800 photos prises pour 130 utilisées _ 1 dizaine de sons _ 7 mois de boulot _ dont 2 à 3 mois jusqu'à 5 ou 6h du matin _ intensité 5 mois _ carnets LVI à LIX le sommet peut-être là : jour où remue silence lessivé _ l'achever maintenant _ au bout de ce que je pouvais faire là à ce moment là là _ tentative _ épuisé la chose il faut maintenant une rupture _ rompre, aller plus loin _ dans la continuité, rompre aller plus loin un cycle : boucle avec le début _ liaison avec la partie suivante fait avec total dés-intérêt _ et puis le fait d'écrire on line, en live _ sans à peine le temps laisser mûrir décanter _ tout frais parfois un peu de poids parfois non rien pas pesant rien nul • town town 2 _ boca | dernière partie du triptyque _ maintenant _ mûrit va commencer • et puis aussi en même temps _ autres petits txts aussi tout courts tout riquiqui _ brefs concentrés ramassés percut _ montent _ pour bientôt bientôt voilà ça et tout le reste... Il y a souvent des récits et très peu souvent de l’écriture. Duras février 06

Quand la terre claquera dans l’espace comme une noix sèche, nos œuvres n’ajouterons pas un atome à sa poussière. L’œuvre, Emile Zola

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... Et nous pensons que depuis quatre cents ans la conscience européenne vit sur une immense erreur de fait. Ce fait est la conception rationaliste du monde qui dans son application à notre vie de tous les jours dans le monde donne ce que j'appellerai "la conscience séparée". Vous allez tout de suite comprendre ce que je veux dire. Vous savez tous qu'on ne peut pas saisir la pensée. Nous avons pour penser des images, nous avons des mots pour ces images, nous avons des représentations d'objets. On sépare la conscience en états de conscience. Mais ce n'est qu'une façon de parler. Tout cela ne vaut en réalité que pour nous permettre de penser. Pour regarder notre conscience, nous sommes obligés de la diviser,sinon cette faculté rationnelle qui nous permet de voir nos pensées ne pourrait jamais s'exercer. Mais en réalité la conscience est un bloc, ce que le philosophe Bergson appelle de la "durée pure". Il n'y a pas d'arrêt dans la pensée. Ce que nous mettons devant nous pour que la raison de l'esprit le regarde, en réalité est déjà passé; et la raison ne tient plus qu'une forme, plus ou moins vide de vraie pensée.Ce que la raison de l'esprit regarde, on peut dire que c'est toujours de la mort. L'histoire qui enregistre des faits est un simulacre de mort... Antonin Artaud, Messages révolutionnaires

épuisement _ élan (2) - épuisement - élan dichotomie/opposition sans doute puisée au fond de la personnalité et de mon fonctionnement reproduit également les mouvements de la langue : exprime et ne peut tout dire, va et bute • dé-bouche • écriture - montée (élan) 80


• xxxx (épuisement)

crite & parl • il n'y a pas de choix pour la gribouillure _ il n'y a que 2 seules faces de la lang parl crite & parl _ txt & vox _ gribouillure & parlure _ graphie & son... ça comme une évidence qui me tombe, que l''on a pourtant sans cesse sous le nez oui mais d'importance car définit où l'on va chercher, où l'on va explorer • progressivement, il n'y a plus d'autres possibilités que de la dire avec le corps, ça, cette lang avec le corps puissant le corps amenuisé le corps détruit le corps malade le corps courant le corps criant le corps tremblant le corps murmurant le corps taisant avec avec avec avec avec

le corps malade tordu et la parole entrée dedans le corps puissant courant et la parole crachée devant le corps abattu avec le corps pressé avec le corps hurlant le corps parlant éructant avec le corps marchant marchant le corps tu

• dans les 2 faces de la lang parl, même paramètres, même forces retrouvées dedans : - mélodique - scansion - rythmique - imprécation - profération - incantatoire - puissance - enveloppement - un univers - diégétique tout à faire encore $

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Nous ne sommes pas encore nés Nous ne sommes pas encore au monde, Il n'y a pas encore de monde, Les choses ne sont pas encore faites. La raison d'être n'est pas encore trouvée..." Antonin Artaud mars 06

Les gens sont des mauviettes, ils ont du jus de navet dans les veines ! Personne, à part quelques artistes boucanés et tannés, n’ose regarder la vie et la mort en face ! Grisélidis Réal

Pour projet town town _ boca : Noter, c'est un travail de photographe. Penser, c'est du cinéma. Antoine Emaz, A vrai dire L'Atelier Contemporain, n° 1.

autour de town town _ boca • tentative de travail _ la lang, les bouches de la ville _ le txt-motpâte appuyé sur l'image _ sur rythme appuyé image _ sur rythme • des vidéos de bouches, plusieurs sur la même page parlant se répondant faisant murmure grouillement... • transcrire foule, myriade, miroitement, murmures des voix, images, éléments, grouillance et au milieu de ça une, deux voix entendues, audibles, sortant…

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• c’est quoi, ça va où ? _ est-ce le txt de creux ? _ est-ce le txt de dépression, de creux, après le sommet ? • une phrase très courte par vidéo _ une traversée, a trip, un voyage léger _ juste quelques phrases un peu lourdes, d’un peu de poids attendre que quelque chose vienne _ directement _ ne pas forcer • Keats « si la poésie ne vient pas aussi naturellement que les feuilles sur un arbre, mieux vaut s’abstenir »

avril 06 article pour dico roman popu article rédigé à la demande des éditions Nouveau Monde, pour constituer un dico sur les influences du roman populaire sur nos écritures, avec des articles de nombreux autres auteurs. remonter alors _ l’aventure d’abord _ avec les biblio verte _ 6 compagnons avalés dévorés _ pas narration plus emportante que ça, on attrape le fil et du début à la fin la grande aventure _ à rester des heures à la biblio les enfouir tous les dévorer les grands bouquins d’aventure ensuite _ montagne, explorateurs, alpinistes ou navigateurs, réels ou fictionnels _ Rébuffat, Néel, Moitessier, Bouvier, Corto le Maltais… là la narration, le flux continu, déroulant, de l’aventure racontée _ je trouvais l’épique là plutôt que dans Homère là sans doute un début de conscience des éléments premiers, de l’essentiel _ de l’évidence _ sentir là où on touche au monde _ le contempler, en avoir faim _ le recevoir en pleine poire comme sensation violente, épurée _ le sentir me traverser _ une sensation poétique _ appel puissant _ et visions pour ensuite aller réaliser cela soi-même, pour soi, aller chercher soi

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remonter remonter _ la chanson gainsbarre le maître le grand gribouilleur bidouille _ ses mélodie nelson et tête de chou _ c’est grande criture remuante ça _ son mélodique-rythmique sa façon de l’allitération et du renvoi m’ont marqué profond oui brassens le grand georges le très métré _ quoi de plus popu _ j’ai entendu ça jusqu’au fond de campagnes où il n’y avait que accordéon étoiles des neiges _ où il n’y avait que mobylettes pour se délasser un peu entre bals top kitsch 50 _ et pourtant là ces vers _ ce rythme mètre au cordeau _ même là entendus, intégrés remonter encore _ l’histoire des centaines de livres sur la seconde guerre _ résistance _ tous ceux de la biblio de mon bled, tous, méthodiquement _ et toujours depuis et la shoah _ lire shoah, écrire shoah, dire shoah, et tout tarés faits similaires _ srebrenica and so _ tenter de cerner cet incompréhensible où le pourquoi même a, semble-t-il, déserté ce sont peut-être plus influences constitutives qu’influences d’écriture mais là peut-être sensation de gravité _ pessimisme ontologique _ de ce que peut l’homme _ sa petitesse et son rien d’infini (comme quand vu d’ailleurs du haut d’une montagne ou au milieu océan) _ la conscience de son passage, illusion de sa pérennité _ conscience de la relativité de toute chose _ d’où sans doute capacité et utilisation constante du point de vue _ lucidité, acuité, conscience crue, incisive, sans doute traverse tout depuis _ visions et écritures de là peut-être aussi incapacité à tout grégaire _ de là donc sans doute, dans la criture, dans le parl, le penchant, l’élan, le mouvement vers le pas encore fait, la lang nouvelle, pas entendue _ toujours si possible des influences de contenus, d’univers, participant à une conscience, essentiellement _ les influences spécifiques d’écriture, les apprentissages de la pâte verbe, les coups de poing de parole, venant plutôt de cette écriture que l’on dit la grande est-ce avec cela que la nécessité d’écrire s’est développée ou avant ? je ne sais mais accompagné oui _ et depuis encore

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refonder _ cette poussée r e f o n d e r : ce n’est pas rien comme titre finalement _ une refondation _ c’est ambitieux, énorme _ mais il n’y a pas d’alternative _ à quoi cela sert-il si on ne fait pas, si on ne tente pas du nouveau ? refonder verse au constat _ retourner à la refondation, je veux dire au fondement, à ce qu’il faut tenter à ce qu’il faut retourner à ce qu’il faut la lang est une matière pour moi, une boule de matière mâchonnée dans la bouch une boule une bulle une pâte de chewing-gum la poussée de la pâte lang dan la bouch physiquement (cette propulsion, percussive, claqué de lang, vers l'avant, cette poussée, vers l'avant toujours) _ & historiquement (la montée de la lang, sa création, sa version archaïque, son premier bruit, celle du début, anthropologique, génétique) mais surtout ça : cette poussée cette montée cette incroyable montée d'énergie provoquant cette poussée vers l'extérieur _ provoquant cette parl ce désir poussant (chez l’homme archaïque, l'enfant, celui qui écrit...) cette nécessité poussant cette incroyable poussée d'énergie, surtout ça qui m'impressionne, qui me travaille : d'où ça vient ça ? d'où ça monte ? de quel profond ? de quel ancien archaïque besoin ? cette tarée poussée dans la gorge dans la tête (comme une montée de lave dans une cheminée volcanique sous pression) ? a-t-il fallu parler pour survivre ? a-t-il fallu un jour écrire-parler pour être ? a-t-il fallu sortir ça pour ? a-t-il fallu projeter en-dehors et malaxer cette matière pour ? quand cela est sorti pour aller frapper devant _ quand cela s'est projeté expulsé pour aller parler devant _ quand cela s'est formé dehors pour parler en face _ quand cela s'est ensuite architecturé pour dire pour aller dire _ pour aller au tout début au tout début sans doute _ cette poussée d'écrire, de dire, étant comme ce début dans l'histoire _ montée archaïque _ poussée ça qui me pousse ça que je pousse ça qui me travaille

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le sujet meurt avant d'atteindre le verbe. Beckett

mai 06

Pas de langue vraiment pauvre. Avec l'écriture en plus, c'est pire. Encombrée par l'abondance, le luxe, le nombre de flexions, de variations, de nuances, si on la fait "brute", si on la parle brute, c'est malgré elle. Michaux "Emergences - Résurgences"

autour de VIA envie toujours revenue inlassable du txt court, concentré, ramassé, tendu, revient toujours des vers lourds, phrases de poids, pesantes un écriture de mots poids, appuyés, marqués. une écriture à l'économie de moyen, rustique archaïque _ pauvre. dégagée de l'effet, dégagée au mieux de la syntaxe grammaire orthographe. une écriture juste puissance (/mouvement) _ qui parlât par malaxage, pétrissage de sa matière, par rythme, beat, palpitation, vibration interne _ et non par construction savante. une écriture vibrant de sa matière de sa pâte de sa texture, et non de son utilisation intellectuelle, élaboration technique une écriture juste elle, nue, pauvre, première _ non élaborée _ venue c'est tout comme ça une fois la collecte de matière : malaxer, pétrir, rythmer, aggraver, appuyer, marquer

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un poème c'est un tension... un poème porté au bout c'est un poème épuisé ? où la tension s'est portée pleinement ? est-ce possible d'écrire nouveau lorsque l'on écrit dans un pays à l'histoire actuelle relativement stable ? Notre génération, la première sans guerre sur le sol où nous habitons...

juillet 06 jusqu’au bout maintenant de dire ça il n'y a plus d'autre possibilité maintenant que de la dire avec le corps, ça, cette lang écrire par le plein de la bouche et du corps lang physique lang organe ce n’est plus de la pensée ce n’est plus intellectualisé c’est quelque chose de physique maintenant _ quelque chose de chair et de bouche quelque chose de concret palpable là-dedans je n’exprime plus rien _ je mets les pognes dedans la pâte _ je fais _ c’est tout oui c’est ça c’est physique _ une lang organique _ c’est aussi concret que de marcher_ de plus en plus concret même _ du tâter pâte-mot à tâton il s’agit d’aller jusqu’au bout de dire ça il s’agit de savoir ce que l’on tiens dedans on peut aller plus loin, disloquer encore plus quelque chose d’autre que de la littérature je crois que c’est, comme si, peu à peu, on pouvait moins faire confiance à la lang, ne plus l’utiliser telle quelle _ elle a été tellement détachée, au fil des siècles, de ses fonctions organiques archaïques, tellement intellectualisée _ que je ressens le besoin lancinant (depuis le début je crois), de trouver un patois, de malaxer cette pâte, de la dé-synt-axer pour trouver ce patois _ mais peutêtre cette lang, seule, ne suffit-elle pas… 87


ce qui me ramène au corps _ encore _ à cet appel du corps de plus en plus, semble-t-il, ce que je fais s’écoute… j’entends de plus en plus de gens m’expliquer qu’ils ont du mal à lire, à comprendre. et puis _ lorsque je leurs fait écouter _ c’est comme si tout était clair, résolu, somme si tout à coup cela avait porté sans doute cela renforce-t-il encore le fait que je ressente de plus en plus cette lang comme ne pouvant plus se dispenser du corps je ne sais pas ce que mon écriture « veut dire », je ne sais que ce qu’elle dit un sens au ras des mots, un sens qui est dans ce ras des mots _ logé dans l’énergie primaire qui les traverse et les lie _ dans ce premier degré _ il ne s’agit pas d’aller chercher plus loin un sens plus élaboré _ je pense que la signification est dans ce mot à mot, non plus « haute » je n’écris plus sur quelque chose c’est ce quelque chose là lui-même qui est dedans comme toujours, aggraver tout cela pas besoin de raconter quelque chose pour que quelque chose se raconte dans la chair

septembre 06

une lang autre encore je ne sais plus ce qu’est le sens quelque chose je suis sûr qui se fait malgré tout il se fait. se fait sans doute par ce qui est là. c’est tout. il n’est pas cherché. cela fait sens – indépendamment. il se fait par la présence même de ce qui est là. cela advient malgré soi 88


c’est la raison pour laquelle je n’écris plus sur quelque chose mais que c’est ce quelque chose là lui-même qui est dedans je sais qu’écrire veut dire jouer quelque chose d’autre que la littérature… de l’être ce qui m’intéresse c’est le fait que la parol sorte. et d’où elle vient. peut-être pas autre chose je m’aperçois en partie surpris qu’en 2002 (http://www.fgriot.net/notes/dotclear/index.php?2005/10/17/12-d-avant-que-cacommence-a-parler) cela déjà était là. est d’actualité toujours de plus en plus. je vois aussi qu’il faut rompre encore plus. provoquer une cassure. une lang autre encore.

épuisement _ élan (2) épuisement _ élan toujours les mouvements vont et butent toujours la lang va et bute je crois qu'il faut que j'accepte ce que j'ai en moi en faire l'un de mes matériaux premiers maintenant Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y ait nécessité d’un tel bégaiement. Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage luimême. Etre comme un étranger dans sa propre langue. Faire une ligne de fuite. Gille Deleuze / Claire Parnet (Dialogues - 1977) octobre 06

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Notre univers virtuel se voit confier une responsabilité nouvelle, qui n’était pas notre propos initial. Mais il apparaît bien désormais que c’est ici, via l’écran, que peut s’assumer, hors le pouvoir et la banque, ou malgré eux, l’effectivité et la recherche, l’inquiétude qu’on nomme littérature. François Bon

d’exploration je sais que l’écriture d’exploration (ou le théâtre) pour être reconnue comme telle, doit souvent être grave, sérieuse et si possible emmerdifiante que dans certains domaines plus c’est obscur, abscons, imbitable, et plus cela a des chances d’être considéré comme valable et sérieux pourtant l’écriture d’exploration peut aussi se soucier du plaisir simple du lecteur, ne pas s’adresser forcément à des initiés, des spécialistes, un petit milieu des gens du « métier » elle peut être simplement touchante tout en étant profonde et novatrice elle peut être travaillée, malaxée, distordue, tenter des formes nouvelles et être accessible sans clé, sans code l’idéal même ce serait ça : nouveau et simple (chercher, et innover si possible, tout en gardant une accessibilité)

net d’exploration de la littérature dans le net : le débat entre solide (livre) et gazeux (net) est dépassé. déjà. les deux états sont complémentaires, ne s’excluent pas en soi je ne parle pas ici d’un net de vitrine, ou de simple exposition de ce qui existe par ailleurs le fait est que le net est à la fois :

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- lieu de ressources : évident - lieu d’exposition de l’exploration : non pas exposition de produits, mais comme ouverture de l’atelier, du labo : visibilité, manuscrits, paperolles, tentatives, tension vers, aboutissements éventuels - lieu de flux et d’échanges : interactions, confrontations, influences, et réseaux, rencontres, communautés de goûts, mutualisation de compétences - lieu et matériel d’exploration en soi : apparition pour l’écrivant des apports et interactions du graphisme, du sonore, de l’image, film, etc… - lieu de durée d’exploration : work in progress, et par là lieu d’exposition (au sens ici de s’exposer à un risque, tenter, et non de donner à voir), suivi des durées des mouvements progressifsrégressifs de l’écriture, genèse - épaisseur d’exploration : sites construits comme œuvres globales en soi, stratifications, empilement, accumulation, architecture de là qu’il est possible d’avoir une constance sur le net, de créer pesant, d’écrire de poids, alors même que l’outil est « dit gazeux » par certains le débat est déjà dans l’usure, le pas est en train d’être passé c’est juste l’époque d’une charnière, avec ses premiers auteurs « gazeux » jamais publiés en « solide » pas loin le jour où un auteur sera reconnu comme essentiel, ayant basculé la langue par devant, sans être d’abord passé par le livre et les filtres donnant accès au livre l’objet livre n’est pas crevé, et les explorations d’écritures présentes sur le net ne lui font aucun mal... nous le désirons d’ailleurs encore ce livre, avec le suivi éditorial qu'il suppose. si le net (ou pour être plus exact, les auteurs pratiquant le net) enjambe le livre, c'est qu'il enjambe plutôt les filtres d’accès à l’édition, quasi verrouillés à l’écriture d’exploration… et là forcément il y a aigreur, et peur sans doute, des détenteurs-modérateurs de ces filtres... est-ce sans doute par conséquence que ceux-là font si peu leurs « courses » sur le net, qu'ils le considèrent comme contenant d'abord, pauvre de contenu de poids ensuite... saisir que le théâtre d'exploration se déplace, c'est être déjà demain 91


L'orthographe des langues est une convention dans laquelle la prononciation n'a que faire ; et la profonde erreur des grammairiens d'aujourd'hui, c'est d'avoir pris au pied de la lettre cet axiome étourdi d'un grand écrivain : «L'orthographe est l'image de la prononciation» Nodier

décembre 06

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Ensuite autour de la plui j’ai juste lancé l’écriture et l’ai laissée courir c’est-à-dire d’abord dans la vitesse, écrit comme sans/au-delà de moi autant que possible, glissant en avant de la pensée, plus vite à ce moment, là j’écris peu à la fois, mais finalement assez souvent et ça va grosso modo dans la bonne direction — me semble en tout cas des blocs de txts d’abord : je pars de 2, 3 mots en tête et je continue au hasard sans guide en laissant glisser — je dois avoir assez de technique maintenant pour pouvoir le faire — lang autre, dans son rythme — le rythme alors surtout qui s’affirme "proème" lang simple vocabulaire nu marche, écrit comme on marche, d’où rythme je ressens effectivement que de plus en plus cela pousse au corps à la voix — et vient de là — rythme, par et dans la langue élaguée pauvre autant que possible, et puis la perte de la ponctuation — le souffle la respiration suffisants — et puis orthographe venue de l’oralité (ou s'acheminant vers), orthographe où quasi tout ce qui ne s’entend pas a sauté à peine un canevas venu peu à peu : les 4 points cardinaux… avec le fleuve, la mer, la colline, la mer… la plui, l’alternance des jours aube soir, la plui encore… les boucles de séquences… répétitives les positions… à la table assis debout marchant allongé grimpant et reste mort… les éléments : marches 93


villes pourries mais profondes, ou extérieurs pleine nature intérieurs nus (cabane) extérieurs nus (lande mer) marche seul ou rencontres ceux vivants dans la rue (que seul ou ces gens-là/ceux-là) que ça histoire sur le devant : l’homme la marche, (un homme marche) — et le décor : la plui la lande ?… ou bien le contraire : l’histoire c’est la plui la lande ? c’est à peu près tout je crois. j’ai juste laissé glisser. juste une sorte de tension qui a duré 1 ou 2 mois. j’ai lancé l’écriture et l’ai laissé courir autant que possible. ensuite seulement, travail du corps du texte plusieurs mois. corrections par l’écoute du rythme, dictées par le rythme, presque uniquement, la respiration de plus en plus pour le reste, la technique et toutes ces choses-là, je me suis fait confiance… peut-être à tort enfin, je ne voulais plus parler d’écrire, ça écrit déjà assez là-dedans

octobre 06 - janvier 07

Gracq "Aucun écrivain, s'il écrit encore à cet âge, ne peut espérer maintenir toute la qualité de sa production à quatre-vingt ans. Mais, en peinture, Titien et Picasso — d'autres sans doute encore — y réussissent bel et bien. Aucun écrivain n'a de génie avant au moins la pleine adolescence. Mais, en musique, Mozart — d'autres encore sans doute — si. Ce qui tendrait (quant à moi, peu m'importe) à corroborer par la physiologie la hiérarchie des arts telle que la promulgue Hegel.

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Une contre-épreuve historique donnerait le même résultat : la littérature, de tous les arts, apparue la dernière. Et un jour, sans doute, la première à s'éclipser." Julien Gracq - en lisant en écrivant D'où que, n'ayant pas choisi la littérature — la langue s'est imposée à moi comme sans moi — je la veux d'un verbe le plus préhistorique, le plus archaïque, le plus pauvre et nu possible (comme la couleur pure et brute). Arrivée tardivement, déjà « chargée », elle est à mon goût trop souvent d'une composition trop riche, admirant elle-même ses compositions savantes... Et Julien Gracq encore... "ce qui reste le plus souvent étranger à un critique, mais si présent presque toujours à l'auteur : la notion de dépense vitale impliquée dans une œuvre, et son évaluation."

février 07

rehearsal in Prague day of ire on aimerait de la lang extérieure à la lang, dé-charnée mais être à l’extérieur de la lang ce n’est pas possible — essayer d’être à l’extérieur de la lang c’est sentir que l’on est dedan — qu’on ne peut plus être dehors la lang est carnée toujours parce que dedan — parce qu’on est dedan elle comme elle est dedan nous on aimerait dire la lang de l’extérieur — comme neutre atone comme parole blanche — mais on ne peut qu’avec de la lang dire la lang la lang qui est dedan nous on aimerait dire la lang de loin doucement — mais on ne peut pas de loin 95


performance in Budapest day of ire rapport à la traduction : expérience ces jours-ci de traductions en tchèque et hongrois (avant l’allemand, pour de l’écrit, dans quelques mois), traductions devant être dites sur scène simultanément au français… questionnement alors : d’où monte, vient le sens ? de l’intention, intensité, rythme, son de la lang dite… ou de sa traduction la plus fidèle choix à faire… confronté aux objectifs de la scène, presque toujours ai choisi le son, le rythme de la nouvelle lang au détriment, faible je pense, du sens… assez convaincu que la façon de dire sur scène le français, associé aux éléments de la lang locale (nous ne traduirons pas tout) suffirait à rendre ce que nous cherchions en plus de l’histoire : le déroulement du drame, les intentions, les intensités, les sons… sans compter sur la guitare électrique (que c’est bon le son « lourd ») racontant elle aussi son histoire avec la mienne -----translation in Hungarian : pas de racines communes avec le français, rythme totalement différent... et tout cela à dire sur scène avec traduction en live... le corps est dans le noir le corps est dans la bouche le corps est dans la rue le corps est nu le corps est à la vue de tous le corps est tordu le corps est invisible le corps est effacé aux yeux de tous le corps est mangé le corps est torturé le corps a mal le corps est invisible le corps est couché dans son sac le corps est tassé dans son sac le corps est puant dans son sac le corps est vivant le corps est là le corps est hurlant vrillé le corps est là devant vous vous ne regardez pas le corps vous sentez le corps mais vous ne le regardez pas le corps est oublié et pourtant le corps est là avec le corps malade tordu et la parol entrée dedans avec le corps puissant courant et la parol crachée devant avec le corps abattu avec le corps pressé avec le corps hurlant 96


avec le corps putain avec le corps parlant éructant avec le corps marchant marchant avec le corps tu avec le corps trou avec le corps écrabouillé avec le corps écrasé avec le putain de corps de avec le putain de corps merde avec le putain de corps hurlant vrillant avec le corps tu avec le corps ça avec le corps tu le corps est le corps est le corps est le corps est un corps de corps d’espace de mouvement avec le cerveau dessus qui est un corps de pensée de pensée de pensée voilà -----test sotetben van test a szajban van test utcan van test meztelen test mindenki szeme lattara van kiteve (test mindenki latokoreben van) test ossze van csavarodva test lathatatlan test ki van torolve (el van tuntetve) a latokorbol test meg van evve (el van fogyasztva) test meg van kinozva test rosszul van test lathatatlan test alszik a zsakjaban test buzlik a zsakjaban test ott van test sikitozva torzul test ott van elottetek nem nezni a testet erezni a testet, de nem nezni (erzitek a testet, de nem nezitek) test el van felejtve, megis a test ott van beteg, torzitott testtel, a mondat (beszed) belement eros, futo testtel, elotte a kikopott mondat 97


a legyozott testtel, a kinyomott testtel, az orditozo testtel a szaros testtel; a pofazo, boffogo testtel; a jarkalo, jarkalo testtel testtel te az ures testtel; szetnyomott, szettaposott testtel kurva testtel szaros kurva testtel orditozo torzult testtel testtel te testtel ez testtel te test egy test egy test egy test egy test; a ter, a mozgas megtestulese agy a tetejen, a gondolkodas teste, a gondolkodas teste, tessek

profération _ performance (2) sans doute n’y a-t-il rien de pire que de chercher à « bien dire » un txt, à lui procurer plus de sens en y mettant un ton… il y a plutôt à donner énergie, cette énergie qui fut là lorsque les mots sont montés, lorsqu’ils ont poussé à la page… cette énergie qui était là dans le corps de l’écrivant, cette énergie d’expulsion, de débordement qui était là surgie dans le corps de l’écrivant… alors seulement là peut-être peut-on « l’entendre », ça peut faire sens… • donner énergie, être là, affirmer, assumer : juste faire • être exactement là • aller jusqu’au bout de dire ça

mars 07

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cap • cap depuis toujours : aller à l’énergie primaire de la parol, ce qui la pousse. trouver la lang pour. depuis toujours ça • j’ai cru jusqu’à maintenant que c’était le point de friction (voire d’échec) de la lang au silence que je cherchais… en fait non, c’est son point d’émergence… ça reste très proche • au contraire de beaucoup qui sont allés peu à peu vers une réduction, j’ai commencé par peu de mots et continué ainsi • ne me parlent que les écritures ancrées ancrées en terre ancrées au corps ancrées au besoin et non pas les écritures éthérées, « intellectualisantes » (idem pour le spectacle, la sique…) le rapport de la lang au corps et à la glaise toujours me travaille, une écriture, une parole ancrées dans ce trivial là • écriture d’expérimentation : de la lang en tas, des tas de lang où souvent rien n’émeut émouvoir mettre en mouvement pas du tout une vieille notion pas de phrases qui soudain à des détours cartonnent renversent provoquent retournent, comme on le trouve chez Beckett par exemple Beckett d’ailleurs que je cherche à épuiser depuis quelque temps, par passer plus loin ce qui me rapproche chez lui : l’économie de moyen, le peu de mots, la réduction. le silence l’épuisement, mais la marche toujours. l’énergie de lang, malgré tout. ce qui pousse à dire, quand même. continuer encore • pas obligé d’écrire tout le temps, pas obligé de remplir tout le champ •

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me travaille depuis quelque temps la question du sens. paradoxalement, car peu à peu cette question n’a plus de sens pour moi le txt n’a pas à construire un sens a priori le sens dépasse le txt, toujours l’émergence du sens vient ensuite. si l’on reçoit, si l’on accepte le txt, alors quelque chose, de l’ordre du sens sans doute, se construit • site web comme œuvre générale, atelier, remplaçant les grandes malles où je rangeais les dessins, gribouilles, paperolles comme construction peu à peu mot à mot pierre à pierre

je ne comprends pas ce que je fais

son on ne peut écrire sans son parol lang est même essentiellement sons autour du silence — si tant est que silence est envisageable — essentiellement sons cris sons syllabes phonèmes sont origine lang fonctionnant mêlant constituants de silence et de tout bruit tout autour et dedans lang est d’abord bouche dan la bouche le ventre la gorge la tête parol lang est souffle montée une montée de souffle une montée d’énergie de force de compression de souffle parol lang est expulsion de souffle d’abord cri corps carné viande terre bloc jet ensuite ensuite réflexivité etc on ne peut écrire sans son 100


en tête entendre métier de lang est métier de bouche lang est bouche lang est de bouche lang de bouche parol lang est cri trouée parol lang est autour du silence mêlée entre silence

avril 07

net d’exploration 2 pour moi c’est déjà ça, depuis plusieurs années, écriture par le net, je ne crois pas qu’il y ait d’écriture pour le net, je ne crois pas que l’on écrive pour un support quelconque… quoique… le support parfois influença la forme de ce que l’on va mettre dedans une écriture par le net, ça oui (et tout un pan est déjà lancé quoique encore très restreint) refus côté édition m’y ont poussé, certes (et formes de plus en plus peu compatibles pour cette sorte de diffusion), mais aussi les nouveaux outils ouvrant des champs nouveaux (graphique, photographique, sonore, géographie hypertextuelle permettant de construire des travaux « en liens », la possibilité de rendre et de mettre en scène l’infinissable d’une recherche, son aspect évolutif et mouvant en plus de son aspect accumulatif, stratigraphique) écrit là où ça porte, écrit sans filtrage des validations symboliques, écrit librement… les validations symboliques intervenant après, éventuellement, mais n’influençant pas… en tout cas écrit en toute indépendance… et depuis pas mal de temps plus du tout en dépit de ces validations du monde papier… il n’y a d’ailleurs aucune sorte de concurrence entre ses deux supports, net et papier… on utilise, on s’appuie sur les deux… on ne se dispense d’aucun, le développement du net pour qui 101


écrit n’a pas amené cette dispense… tout comme la tablette graphique n’a pas tué la peinture, tout comme l’électro n’a pas tué le violon pas certain donc qu’il y ait une écriture nouvelle spécifique au net, (à ne pas confondre avec le fait que les écritures menées actuellement s’exposent sans doute pour une part désormais sur le net… même si le réseau net littéraire n’est encore qu’une parcelle étriquée au vue sans doute du nombre d’intervenants potentiels) par contre une écriture portée spécifiquement oui c’est une évidence… il n’est que de se pencher un peu, de creuser un peu sur ce que signifie le rapport txt-écran, ses variations possibles, pour se rendre compte, vite, très vite, que l’on ne balance pas un txt sur la toileécran, comme l’on balance un bouquin… qu’une page, même si le terme est identique, n’a pas même statut dans les deux « médias »… qu’il y a là, en plus du rapport graphique, un mouvement ou tout du moins quelque chose à faire vivre en permanence, à garder au feu, à animer sans cesse… que les sites vitrines sont morts-nés… que les sites peuvent être œuvres, sont œuvres pour quelques rares déjà… mes anciennes grandes malles de manuscrits sont maintenant des malles « entoilées » sur le web… et que ça peut se construire comme une baraque perdue, pierre à pierre, ça grandit, ça se tisse, se creuse, s’aggrave, se répand… que rien n’est définitivement fixé… je rajoute une photo hier à un txt ayant presque 20 ans… une mouvance propre, une animation propre… déplacement : le statut page définitivement modifié, le statut volume ou recueil de pages définitivement dilaté, le statut du définitif d’un txt définitivement dépassé pas une autre écriture en soi… mais une écriture portée, emportée différemment… une autre écriture vient de la lang, pas de son support… quoique, encore une fois quoique… écrit là où ça porte, où se creuse, où l’énergie primaire de la parol explose… alors désormais avec txt, son, image, graphisme, empilements, séquences répétitives évolutives, et exposition immédiate… possible d’énergiser un chouillat plus, de pousser cette projection de l’énergie primaire de la parol explose un espace spécifique, non pas avec une littérature spécifique, mais avec sa littérature portée spécifiquement… portée d’une part par ces 102


outils-supports nouveaux, par exposition directe d’autre part (exposition immédiat au lectorat, et exposition sans filtre éditorial) exposition directe portant son risque spécifique, celui du work in progress, aspect fondamental à mon sens… ce risque d’ouvrir son atelier… si proche finalement de la performance scénique… l’importance primordiale du live et là, deuxième voie, piste, cap… l’écrit scène, l’écrit rock, l’écrit projeté direct, l’écrit… où déménager le bordel ! que le txt sorte du corps, qu’il ne reste pas entre le corps et la feuille, qu’il soit expulsé là où l’énergie primaire de la parol, ce qui la pousse là où l’organicité de la parol dans le corps la tension de parol venue du ventre, du dedans, pas d’ailleurs avec ruptures, rythmes, silences, gueulantes, cris, exténuations, tension, intensité l’organicité de la parole mise en scène la lecture peut être quelque chose de puissant, renouvelé, quelque chose de beaucoup plus emportant que l’emmerdifiant pour initiés ré-unir la recherche à la facilité d’écoute aller là tout à faire

juin 07

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plateau plateau quelque chose d’autre que de la littérature

faut des acteurs d’intensité pas d’intention Novarina « lettre aux acteurs »

1. fondrement et ventriculation, palpite et tensité parole, sur scène : piston d’air et non pas joli ton d’une lecture toute intentionnée, bien dite sans doute rien de pire que de chercher à bien dire un txt, à lui procurer sens en y mettant un ton. il y a plutôt à donner énergie, cette énergie qui fut là lorsque les mots sont montés, lorsqu’ils ont poussé à la page. cette énergie qui est là dans le corps de l’écrivant, cette énergie d’expulsion, de débordement qui est là surgie dans le corps de respiration de l’écrivant. que le txt-lang sorte du corps, qu’il ne reste pas entre le corps et la feuille, qu’il soit expulsé. là où l’énergie primaire de la parol, ce qui la pousse. là où l’organicité de la parol dans le corps. la tension de parol venue du ventre, du dedans, pas d’ailleurs alors seulement là peut-être peut-on l’entendre, ça peut faire sens… dire un texte n’est pas une histoire de cervelle mais de ventrée et de poumon, de tripes et d’air on se fout de jouer avec la cervelle, c’est d’énergie primaire dont il s’agit, d’organicité, de corps-soufflet… ventrée énorme ou presque éteinte… il s’agit de risque, d’effondrement — ligne de crête, éboulement, vide — parole asphyxiée exténuée éteinte ou d’explosion, pression, jaillissement — vibrant gonflant enflant explose 104


c’est une histoire d’atmos… de très vivant point d’où la parole démarre… bascule où la parole éboule… dans un souffle et la ligne de tension jet entre du souffle flux dans la lecture, ne considérer que la matière textuelle-vocale, brute. pas le sens ni l’intention le mot « lang » par exemple, comment le dire. le dire comme à plat, cru, net, abandonné, brut. juste sorti de la bouche. avec sa force et dose d’énergie intrinsèque. une parole blanche. une parole lâchée qu’elle. que la lang. sans en rajouter. sans rien rajouter. nette dire comme ça c’est une histoire de dedans dedans de dedans et de devant, de dedans corps et de dehors autour tout autour, de dehors entourant et passant dans les tubes de la ventrée, traversant la ventrée dans les tuyaux d’air à souffle de dedans dedans allant vers du dehors dehors. du dedans traversant le dehors. et inverse c’est du dedans qui sort et du dehors qui entre c’est du dire du dedans qui court à l’entendre du dehors. par le souffle le parler c’est un instru à vent, par pression, un instru atmosphérique… c’est le dehors, boule coulée d’air, dans le dedans de la ventrée et du tripes c’est fondrement et ventriculation… palpite et tensité

2. la matière d’écoute est du palpable fondé sur de l’entendre parlé parole : il s’agit de besoin, avec montée de souffle, et pas possible autrement d’un foutu paquet de souffle on ne peut écrire sans souffle-son. parol lang est même essentiellement souffle-son autour du silence — si tant est que silence est envisageable 105


essentiellement sons cris syllabes phonèmes sont origine lang fonctionnant mêlant constituants de silence et de tout bruit tout autour et dedans lang est d’abord bouche dan la bouche le ventre la gorge la tête résonnatrice lang est bouche lang est de bouche lang de bouche parol lang est souffle montée une montée de souffle une montée d’énergie de force de compression de souffle parol lang est expulsion de souffle d’abord cri corps carné viande terre bloc jet ensuite ensuite réflexivité etc on ne peut écrire sans son parol lang est un jet de souffle dans l’espace le parl est d’abord une trouée une trouée de cri parol lang est autour du silence mêlée entre silences

parole c’est émerge d’un matériau brut, puissant. mots à matière souffle respire. mots appuyés condensés pesants. la parole a un poids dans le jeté souffle flux un poids dans l’appui. dans l’appui du souffle sur l’air de l’entendre la parole est dans l’entendre. le entendre est comme une tessiture d’écoute qui se tisse. se tisse par la pression et tension du souffle tendu vers le dehors. le dehors coule le souffle dans les dedans dedans des autres. qui ne font plus qu’un, respire ensemble : c’est l’entendre.

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le entendre est du palpable. de la matière d’écoute. la matière d’écoute est du palpable fondé sur de l’entendre parlé la parole portée est lancée vers ce palpable d’écoute là

3. la lang carnée | on ne peut pas de loin la parole portée du dedans dedans du corps sort carnée. avec son souffle et son corps tout entier la lang portée par la parole est carnée elle aussi. in-carnée on aimerait peut-être de la lang extérieure à la lang, dé-charnée mais être à l’extérieur de la lang ce n’est pas possible. essayer d’être à l’extérieur de la lang c’est sentir que l’on est dedans. qu’on ne peut plus être dehors la lang est carnée toujours parce que dedans. parce qu’on est dedans elle comme elle est dedans nous on aimerait dire la lang de l’extérieur. comme neutre atone comme parole blanche. mais on ne peut qu’avec de la lang dire la lang la lang qui est dedans nous on aimerait dire la lang de loin doucement — mais on ne peut pas de loin on est toujours dedans dedans. la parole est un morceau du corps. il y a la respiration et la parole dans les mêmes tubes

4. jusqu’au bout maintenant de dire ça | quelque chose d’autre que de la littérature il n'y a plus d'autre possibilité maintenant que de la dire avec le corps, ça, cette lang écrire par le plein de la bouche et du corps lang physique lang organe

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parole : la retrouver c’est aussi se libérer du langage évolué pour retourner à la lang. la primaire, l’archaïque, l’organique. celle qui souffle du dedans dedans ce n’est plus de la pensée ce n’est plus intellectualisé, c’est quelque chose de physique maintenant. quelque chose de chair et de bouche quelque chose de concret palpable là-dedans la parole est avant la lang. la parole vient du ventre, du corps, du souffle, avant la lang... comme née plus antérieurement, plus archaïque, plus originelle, plus proche de notre préhistoire vocale que la lang normée la lang ça sert à former la parole. ça vient ensuite. ça sert ça sue ça mécanise la parole c’est comme si, peu à peu, on pouvait moins faire confiance à la lang, ne plus l’utiliser telle quelle — elle a été trop détachée, au fil des siècles, de ses fonctions organiques archaïques, tellement intellectualisée — que ressens le besoin lancinant de trouver une lang propre, un patois. de malaxer cette pâte, de la dé-syntaxer pour trouver ce patois. retrouver la pâte de souffle, primaire le langage est pour beaucoup encore soumis aux règles, à la lang sociale, aux règles de la lang du corps social. le langage n’a sans doute pas d’abord surgi d'une nécessité d'expression, de communication sociale, mais d'exploration. dans ce sens il est nécessaire de redécouvrir une lang téméraire, curieuse, exploratrice, risquée, affranchie. portée devant. une lang sauvage. il ne s’agit plus de la suivre, de l’utiliser, normée, mais de laisser la parole carnée paroler d’elle-même ce qui ramène au corps. encore. à cet appel du corps respire à une lang et parole comme ne pouvant plus se dispenser du corps oui c’est ça c’est physique. une lang organique carnée. c’est aussi concret que de souffler marcher. de plus en plus concret même. du tâter pâte-mot à tâton il s’agit d’aller jusqu’au bout de dire ça il s’agit de savoir ce que l’on tiens dedans on peut aller plus loin. disloquer encore plus quelque chose d’autre que de la littérature 108


5. c’est ce quelque chose là lui-même qui est dedans je ne sais pas ce que mon écriture veut dire, je ne sais que ce qu’elle dit un sens au ras des mots, un sens qui est dans ce ras des mots. logé dans l’énergie primaire qui les traverse et les lie. dans ce premier degré. il ne s’agit pas d’aller chercher plus loin un sens plus élaboré. la signification est dans ce mot à mot, non plus haute je n’écris plus sur quelque chose c’est ce quelque chose là lui-même qui est dedans comme toujours, aggraver tout cela pas besoin de raconter quelque chose pour que quelque chose se raconte

6. ce qui s’échappe ce qui s’échappe être exactement là de ce qui s’échappe sur scène : parler comme sans soi, comme on écrit sans soi comme sans soi au-delà de soi autant que possible. glissant en avant de la pensée, en delà de la maîtrise. lâcher, laisser, après long éprouvant mâchage, après épuisement de la matière, laisser échapper, pfuit ! la parole respirée parler dans l’échappement, parler dans le souffle échappe la parole soufflée du ventre vers l’entendre, flèche flot flux fluide tendu, lâchée alors quelque chose d’autre que l’auteur ou l’acteur parle : ça parle dans le lâché monte cette parole respire on n’exprime plus rien, on ne travaille plus rien, ça pogne et mâche la pâte de parole sans pensée. ça se fait c’est tout

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le corps roule et parole déroule sans soi. le corps respire parole sans soi ça rencontre la matière d’écoute. c’est lancé vers ce palpable d’écoute là

7. être exactement là être exactement là où ouvre reçoit où cela arrive traverse quand dehors le dedans vient dehors dehors et pénètre où le corps recevant, traversé, au-delà du corps producteur, au-delà du soi produisant, tout ouvert, parole le corps perméable, poreux, enfin dégagé de soi. transpercé par la parole dans ce palpable d’écoute là où recevant, tout dedans connecté au tout autour, et inverse tout traversé comme au milieu de tout le dehors dehors en souffle avec le dedans dedans respire au bord sur le fil la ligne de crête où de sa propre cinétique la parole roule enroule déroule où la parole échappée être exactement là

8. aggraver beaucoup sont allés peu à peu vers une réduction, j’ai commencé par peu de mots et continué ainsi… une économie. une économie de moyens… le nu, le pauvre, le tout nu d’peu d’mots de la lang… le tout nu bourré à paroler, bourré à pêter d’énergie. le désapoil de la lang plein de force et profération, respirement et soufflation maintenant je sais que ce n’est pas seulement le point de friction, d’échec, de la lang au silence qui m’obsède… mais son point 110


d’émergence… c’est-à-dire dans le corps, quand le corps gonfle sa bulle de parole… ça reste très proche aggraver la perte de maîtrise de lang après épuisant ramâchage pour qu’échappe enfin souffle mâcher. perdre encore plus. échappe du dedans vers d’hors. aller au-delà encore. peut pas arrêter là. pas possible encore. toujours encore. du fond encore. perdre encore

juillet 07

notes de nuit ressors de 5 jours d’écriture et de nuit — et d’un retour du travail au h — couché le plus souvent entre 5 et 6h avant l‘aube, puis rattaque vers midi, etc… ce matin il pleut, sans doute pour toute la journée, très très peu de lumière dehors, le prunier goutte, et dedans, l’ombre… alors que toute cette semaine de travail le ciel était clair, froid, lumineux ces temps-ci, plus ça va et plus ça m’échappe. j’écris des bouts par ci par là, à peine contrôlés. je suis également immergé dans le sonore. et puis ces bouts, tombés, par ci par là, sortis comme sans moi, sans préméditation, sans but, sans objectif, laissés, échappés complètement. sans être rattachés à aucun volume ou projet en cours, éparpillés. et puis ce sonore, obsessif, inclu dans la mastiquation, mandication de la lang… sans doute tout cela progressivement s’organisera, non que cela prendra sens plus rationnel, mais se distribuera selon volumes, projets, constructions en cours, donnera forme probablement peu à peu à des « ensembles » immergé donc plusieurs nuits et jours, et vais remettre ça encore dans quelques jours. absolument seul, quelques sorties seulement pour faire quelques courses, respirer, faire la bise à des copains,

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mais sinon enfoui, des nuits et des jours… dans ce mûrissage lent, à l‘ombre, en arrière

oct 07

mettre en scène l'écriture 1 notes parcellaires (version 1) suite à l'expérience www live de la semaine dernière, de cheminement textuel, graphique, avec environnement sonore dans le site sur grand écran... une piste clairement à creuser... dans la mise en scène de l'écriture, et d'un temps propre de navigation que l'on propose au spectateur, différent de son temps lorsqu'il surfe/lit lui-même... presque un film. pas le txt juste posé, mais projeté. le txt projeté, il y a à inventer là. le txt non plus seulement dé-posé, pro-posé, mais lancé en avant, dans ce même mouvement né dans le tube à souffle de la bouche lang vers le devant et dehors. la voix s'élève. le txt jeté en avant, le travail jeté en avant, reproduisant sa dynamique sa cinétique, dans ce mouvement de projection, dans ce mouvement fleurissant/gravissant sur le mur blanc, calligraphiant le mur blanc. le site en train de faire œuvre, objet… depuis long, ce n'est plus seulement un support et un outil, mais une forme en /production, un lieu de matière, de pâte argile, de pâte mot. et, de là, de ce mouvement, emmener en et au mouvement, dans ce qui n'est plus forme fixe mais poussée. une gesture. d'où parcours de lecture, filmique, avec durée propre et environnement propre. une écriture, un parcours d'écriture surgissant par plans-séquences déroulés. des "blocs de mouvement durée" dit monsieur deleuze. le site est un corps : matière et chair, mouvement et poussée et respiration — siège de lang, mais désormais plus seulement posée, déposée, mais actée, dite, soufflée, respirée. le site, et son corollaire : environnement sonore et visuel/graphique, n'accompagnent pas le texte (ce texte qui reste toujours la 112


recherche et production centrale) mais le portent là où il s'avance. il n'y a pas illustration mais corps avec. alors peut-être ces blocs de mouvement durée pourraient accueillir, faire corps avec cette vie animée de la lang soufflée respirée. la lang n'a pas d'objet à illustrer en dehors de son avancée dans le monde (m'écrit arnaud maïsetti). c'est ce surgissement, cette élévation de la voix (miraculeuse) poussée par des masses d'énergie phénoménale vers le dehors dehors qui me semble l'aventure ultime et fondatrice. cette avancée de la lang vers dehors… cette avancée de la lang lorsque projetée au dehors…

fév 08

à suivre…

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www.fgriot.net

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