rcane M MatthieuBobin


Bribes manuscrites des événements passés, récit d’un jeune ménoine.
Au sud, la guerre est déclarée. Et pourtant c 'est vers le nord que Farëanor est envoyé. Quant à Andugal, le chevalier de bronze sait seulement qu'il est vivant et qu'il œuvre pour le Bien. Le fils d'armes a reçu de lui une lettre.
Kel Féasîn Abîndaniel, avec son armée, ses chevaliers et ses troupes véloces, descend vers le sud pour affronter Bragast. Puisque les soldats sudarions réclament des terres et pillent les frontières, le roi-berger se doit de protéger les siens. Théafur, son bras droit, l'accompagne. Mais parmi les généraux, des dissensions se font sentir. Les soldats d'Ebanestal sont-ils assez nombreux pour faire face à l'armée de Kadarîm ?
Loin de là, en des terres ignorées des habitants de la Quadrentente, Andugal et son arklan ont accompli la première partie de leur mission : récupérer l'épée du vœu. reste encore à la porter jusqu'au roi-berger, en dissimulant sa formidable puissance aux regards indiscrets. Le père d'armes de Farëanor n ' a pas dit à ses arkels l'usage que Kel Féasîn voulait faire de cette arme. Ses guerriers le suivent donc, dans la confiance. Mais l'obtention de l'épée leur a coûté cher. Les corps et les cœurs sont encore à vif. À l'évidence, il ne peut donc pas s 'agir d'un charme anodin.
Farëanor, quant à lui, est devenu second d'arklan. Le temps de la formation est terminé, la période des tests est achevée. Désormais, le jeune chevalier de bronze joue dans la cour des grands. C'est le roi Shassareï en personne qui a constitué son groupe et l'a nommé second, « alsarath ». Il ne sait pas encore très bien ce que cette fonction recouvre. Maërwan, comme à son habitude, ne s 'est pas montré prolixe en paroles. C'est le seigneur
Sabraël qui sera son supérieur, son bérakhel. Étrange ironie du sort, qui place à la tête du fils d'armes un des ennemis d'Andugal. Pourtant, ce dernier a enjoint à Farëanor de passer outre une inimitié qui ne le concerne pas. Il est à souhaiter que le chef de groupe du jeune homme fera de même.
Autant que ses attributions d'alsarath, Farëanor ignore l'objet de sa mission. En chevauchant dans guéden g'Bar, il ne devrait pas tarder à l'apprendre. Ce qu'il ignore également, c 'est ce que peut bien penser de lui Méléanna. Il avait abandonné la jeune femme à son propre choix d'entrer dans les troupes véloces de gandagost, tandis que lui avait décidé de demeurer pleinement au service du roi d'Ebanestal. Il était donc parti pour secourir un frère et une sœur potiers, et ainsi passer l'épreuve assignée par Maërwan. Et voilà qu'il retrouve la dame guerrière du crépuscule pour une chevauchée au service de toute la Quadrentente. Après une séparation sans demi-mesure, Farëanor préfère avancer au pas plutôt qu ' au galop, mais à vrai dire il se demande encore dans quelle direction.
Dans le groupe, le chevalier de bronze sait heureusement qu'il pourra compter sur Tunk. Il a éprouvé sa valeur à Oriflamme et lui fait pleinement confiance. Mais la question de l'allégeance du nain reste en suspens : c 'est à Farëanor que Tunk a promis d’obéir et non pas au seigneur Sabraël.
Fravalgar les accompagne. C'est une joie et un étonnement : le grand frère retrouve la voie des armes et de la camaraderie. Mais la blessure de ses combats en Barbebelle est encore toute récente. Sans l'injonction de Maërwan, jamais le jeune homme ne se serait élancé aux côtés de son frère. Cheminent aussi avec eux Mécifal, ami de Méléanna, et Azure, une elfe guerrière, aussi belle que mystérieuse.
« C'est moi qui ai besoin […] et toi tu viens à moi !»
Mt 3,14
Aucune chance. La jeune femme n’avait plus aucune chance. Les loups la talonnaient et voilà que les branches étaient trop basses. Elle ne pouvait plus continuer à cheval. Tout se liguait contre elle.
Dacielle se refusait à abandonner. Elle sauta à bas de sa monture, en saisit vivement les rênes et se mit à courir entre les arbres.
– réfléchis ! réfléchis ! s’affolait-elle. Il doit bien y avoir un moyen de s’en sortir !
Au même moment, le cri strident du chef de meute voulut lui prouver le contraire. Dans quelques minutes, les loups l’auraient rattrapée et elle ne pourrait plus rien faire. Mais la femme de gandagost n’en démordait pas de vouloir vivre. Avançant aussi vite que possible, elle traversa tête baissée un bosquet de buissons épineux. Ses vêtements de voyage se déchirèrent en maints endroits et du sang perla sur ses bras et ses jambes. Elle s ' en trouva ralentie d’autant. Une sueur glacée lui coula sur la nuque.
– Dépêche-toi, Baril ! murmura-t-elle pour encourager son cheval.
Mais le brave animal n’avait pas besoin d’être pressé. Bien au contraire, il ne restait auprès de sa maîtresse qu’à cause d’une longue affection qui le liait à elle. S’il l’avait voulu, il aurait pu, lui, s’échapper.
– Peste ! s’écria la gandagostienne en butant sur une racine. Dacielle tomba par terre. Étendue dans les ronces, elle fut prise tout à coup d’une envie de pleurer. Ses nerfs étaient à bout.
Je vais finir toute seule dans ces épines, s’avoua-t-elle en fermant les yeux.
Un instant, elle resta au sol, abattue. Pourquoi avait-elle cherché à rattraper Mécifal et Méléanna ? Pourquoi avait-elle commis cette folie d’entrer sans escorte dans guéden g’Bar ? Peut-être pour se prouver à elle-même qu’elle ne valait pas moins que ceux qui l’avaient quittée. D’un bond, Dacielle se releva. La fille du seigneur Vélaz ne se laisserait pas prendre sans combattre. Les loups n’étaient plus très loin. Elle attrapa le cuir qui pendait sous le naseau de Baril et se remit à courir. Débouchant bientôt sur une clairière, elle sut que c’était là qu’elle mènerait son combat. Les cris des loups se multipliaient, perçant cette nuit froide et sombre de la forêt. Attrapant un de ses sacs sur le dos de son cheval, Dacielle en sortit une flasque de résine. Vite, elle recueillit trois brassées de bois mort et alluma le tout grâce à son briquet d’amadou. Les pierres ripèrent plusieurs fois sans donner d’étincelle. Les loups n’étaient plus qu’à quelques dizaines de loyes.
– Allez ! Allez ! implorait-elle. Il faut que ça marche !
Enfin, le feu jaillit de la pierre et la résine s’embrasa. Dacielle fit ce qu’elle put pour ajouter encore quelques branches. Ce qui brûlait là devait lui permettre de vendre chèrement sa vie. Puis la jeune femme déplaça son cheval près d’un arbre au large tronc.
– Toi, tu bouges pas de là. Tous ceux qui essaieront de s’approcher, je les fracasse.
Alors, la jeune femme décrocha son arme de la selle. Une longue tige de bois, à la ligne très pure, pointée de métal à l'une des extrémités. Dacielle était une batalière de gandagost, une fille de la noblesse des rois-bûcherons. Elle se mit en position de combat, bâton tendu, jambes légèrement fléchies. Son souffle était plus haletant que jamais, mais elle avait retrouvé un semblant de calme. Elle était prête. Prête à mourir.
Comme les ombres jaillissent des ténèbres, les premiers loups surgirent des taillis. Les flammes du feu commençaient à peine à embraser le bois. Aussi les créatures avides de nourriture eurent tôt fait de les contourner.
– Accroche-toi, Baril ! cria la jeune femme.
Le loup le plus rapide avait déjà bondi sur elle. Mais Dacielle fut vive. Esquivant d’un pas sur le côté, elle abattit son bois sur la nuque de la bête avec une précision mortelle. Le cou craqua et le
loup s’écroula sans vie. Immédiatement, deux de ses congénères attaquèrent avec la même hargne. Dacielle frappa l’un au front et planta sa pointe de métal dans le ventre du deuxième. En jappant de douleur, les deux loups s’écartèrent sans demander leur reste. Malheureusement, ils laissèrent place cette fois à huit prédateurs, et toute la meute n’était pas arrivée. Ils encerclèrent leurs proies à pas lents.
– Le feu, mon unique salut, murmura la guerrière sans grand espoir.
Dacielle profita de quelques secondes de répit pour ramasser tout le bois mort à proximité immédiate et elle le jeta dans les flammes. Celles-ci prirent alors de l'ampleur, ouvrant une percée de lumière dans l'obscurité. Avec l’arbre au large tronc, ces flammes demeuraient la dernière protection. Mais Baril commençait sérieusement à paniquer, balançant sa tête de droite et de gauche et piétinant le sol par saccades. Mais il ne voulait pas partir sans sa maîtresse.
La crainte du feu empêchait désormais les loups d’avancer. Mais pour combien de temps ? La jeune guerrière savait que c’était une question de minutes. Quand elle eut ramassé tout ce qui était possible, elle chercha à casser les branches vertes au-dessus d’elle. Elles brûlèrent comme les autres, mais Dacielle n’avait rien pour en couper davantage. Elle ne pouvait plus retarder le retour aux ténèbres.
Pendant ce temps, les autres carnivores de la meute avaient rejoint leurs meneurs. Dacielle entendait la cohue de leurs pas feutrés. Ils tournaient en cercle autour de la petite clairière où brûlait son pauvre feu. Parfois, l’un d’eux, plus hardi, s’avançait de quelques loines. Alors, la jeune femme voyait briller deux yeux jaunes terrifiants, qui repartaient bientôt dans l’ombre, attendant l’heure.
– Je vais mourir, songea de nouveau la sœur de Mécifal.
L’angoisse lui serrait la gorge. Tout ce qu’elle allait perdre lui pesa amèrement sur le cœur. Elle chercha refuge auprès de son seul compagnon.
– Oh, Baril ! On est fichu. Baril !
Elle passa la main dans la crinière de l’animal et serra fort, très fort. Baril la regarda. Il semblait ne pas comprendre ce que disait sa maîtresse. Pour lui, il suffisait qu’elle monte sur son dos et ils
pourraient s’enfuir car ses jambes étaient vaillantes. De cela, Dacielle en eut l’intuition. Elle lui dit bientôt :
– Toi, tu peux t’en tirer. Dès que tu verras une brèche, tu files. C’est bien compris ? Tu files.
Elle le regarda dans les yeux d’un regard dur. Si elle le grondait, il comprendrait qu’il devrait prendre ses distances. Alors seulement il saurait partir le moment venu.
Le bois se consumait trop vite et les flammes baissèrent, rayonnant une lumière de plus en plus pâle. Pourtant les loups n’attaquèrent pas tout de suite, comme s’ils savouraient l'imminence de leur victoire.
Dacielle eut un sursaut d’audace. Elle fit quelques pas très rapides jusqu’à des branches mortes, s’en saisit vivement et les jeta sur la braise. Elle ne comprit pas comment elle n’avait pas été prise d’assaut. Elle entendait pourtant encore les loups rôder tout autour. Une dernière idée lui vint, sursaut de vie et sursaut de volonté. Avec des effets tirés de son sac, elle enroula d'étoffes l'autre extrémité de son bâton-lame et en fit une torche. Elle versa dessus le reste de sa fiole de résine et tout s’embrasa très vite. Le feu, quant à lui, ne donna plus longtemps. rapidement, il ne resta plus que la torche. Dacielle, debout, son cheval à ses côtés, attendit donc l'affrontement ultime. Un étrange silence consumait la clairière. Le froid lui mordait le dos et la chaleur léchait son visage. Elle devait fournir un effort immense pour ne pas sombrer dans l'effroi. Ce silence était terrible.
Tout à coup, la horde carnassière s’ébranla. D’une même volonté bestiale, les loups fondirent gueules ouvertes sur Dacielle et Baril. L’heure était venue.
– YAAAAAH ! hurla la guerrière en réponse à leurs cris de fauves.
Son bâton s’anima alors d’une violente énergie. Un coup puissant terrassa un loup en lui fracassant la mâchoire. Une circonvolution fit siffler l’air de flammes de feu avant de briser les côtes d’un autre loup. Dacielle mit un point d'honneur à se montrer aussi enragée que les assaillants. Stoppant net le saut d’un loup en l’empalant sur sa pique, elle accompagna son mouvement pour la projeter sur celui qui voulait lui déchiqueter la jambe. Mais les bêtes étaient nombreuses, elles renouvelèrent leur attaque comme si de rien n’était. À une vitesse dont elle ne se croyait pas capable, Dacielle dut tourner sur elle-même pour repousser quatre
créatures. Quasi simultanément, elle frappa leur pelage de quatre coups sanglants et brûlants.
– Baril, sauve-toi ! hurla Dacielle.
Mais le bon animal s’y refusa. Il rua une première fois et envoya un loup s’écraser littéralement contre l'arbre. Un autre carnivore fut écrasé contre le sol d'un furieux coup de sabot. Dacielle, de son côté, ne cessait plus de frapper autour d’elle, d’un côté, de l’autre, partout. Par malheur, la flamme de son flambeau n’intimidait qu’à moitié les agresseurs. S’y étaient-ils déjà habitués ? Dacielle faisait tournoyer sans relâche son bâton-lame.
Pour l’instant, elle tenait, mais pour combien de temps ? Une nouvelle vague de crocs s’élança et le combat bascula. Un premier loup les planta sur Baril, au flanc. Un deuxième atteignit le cheval à la cuisse.
– Baril ! Non !
Mais un loup sauta à la gorge de Dacielle et la jeune femme dut vendre chèrement sa propre vie. Elle n’eut que le temps d’interposer son bâton, qui s 'encastra entre les mâchoires du loup. Le poids de l’animal fit reculer la guerrière de plusieurs pas, puis elle tomba en arrière. Les griffes des pattes plantées dans les cuisses de Dacielle, le loup lui arracha le bâton des mains d'un coup de gueule. La jeune femme, écrasée par la bête, n’eut que le temps de dégainer son épée courte et de l’enfoncer dans ses entrailles jusqu’à la garde. Elle sentit alors un sang chaud couler tout le long de sa main. L’animal s’affala en gémissant. Plongeant la main dans la fourrure humide de sueur et de rosée, la jeune femme le repoussa. Elle pensa alors que c’était la fin, que tous les loups allaient se jeter sur elle. Mais lorsqu’elle releva la tête, ce fut un autre spectacle d’horreur qui s 'offrit à elle. Préférant éviter l’humaine qui maniait le bâton brûlant, la meute s’était jetée toute entière sur Baril. Dacielle vit son compagnon en train de succomber sous les crocs sans nombre de la horde des loups. Elle n’eut que le temps de saisir la dernière lueur dans les yeux de Baril, lueur d’angoisse devant la mort, lueur de fidélité à celle qu’il aimait. « Sauve-toi, maîtresse ! », semblait-il lui crier. « Pour moi, tout est fini. »
Attrapant son bâton-torche, Dacielle se releva et se mit à courir. Un seul loup s’opposa à elle. Un unique coup au poitrail l’écarta pour toujours et la jeune femme s’enfuit dans les bois. Elle entendit un long hennissement emplir les airs. Alors des larmes
coulèrent le long de ses joues. Puis il n’y eut plus que les bruits de crocs d’une meute qui dévorait sa proie.
Dacielle avait encore la vie sauve, mais son cœur était brisé.
La bise sifflait doucement dans les cheveux de Farëanor. La matinée était froide et le jeune chevalier de bronze préféra rabattre son capuchon plutôt que de sentir ses oreilles geler sans bruit. Si le soleil se levait, il serait difficile de s’en rendre compte car la grisaille du ciel emprisonnait ses rayons sans grande pitié pour les voyageurs.
Assis, qui en tailleur, qui jambes étendues, les uns sur leur selle et les autres sur une couverture, les arkels étaient réunis autour d’un sobre feu de camp. Azure seule, les genoux à même l’herbe, se tenait assise sur ses talons, droite, la tête relevée. Farëanor ne put s’empêcher de penser qu’émanait d’elle une dignité sereine. L'amoratianne parlait peu. Et sa figure elfique revêtait encore tout le mystère d’un mode d’expression qui était inconnu au second du groupe, comme à la plupart de ses compagnons d'ailleurs.
À la droite de la dame elfe, se tenait la dame guerrière du crépuscule. D'elle aussi Farëanor connaissait bien le port altier. Mais il attendait encore avant de tourner son regard vers elle. Une gêne l'en empêchait encore. Il avait cru devoir faire le choix de laisser la jeune femme à l'écart de sa vie et voilà qu’elle surgissait de nouveau pour cheminer à ses côtés. Méléanna rendait tout à fait au jeune homme cette discrétion du regard. Elle non plus ne semblait pas encore prête à une confrontation qu 'elle avait cru pouvoir éviter.
– On se pèle ici ! râla Tunk en se frictionnant les avant-bras. Ce serait pas mal que les lascars de Shassareï se bougent avant que nos cheveux ne se transforment en rivières de glaçons !
– Je vous prierai de dire « Messire » Shassareï, corrigea Mécifal.
Le jeune soldat de gandagost avait les poings posés sur les genoux et de son regard il toisait le nain avec hauteur. Ses longs cheveux d’un noir splendide étaient enserrés d'un bandeau vert, couleur de la cité des rois-bûcherons. Fier de son peuple et de son suzerain, Mécifal l’était. Noble de sa cité, toute son attitude le criait. Tunk, de son côté, n’avait pas encore décidé s’il aimerait ou non ce garçon aux allures de petit seigneur.
– Écoute-moi bien, bonhomme, reprit le nain en relevant le manche de sa hache à la verticale, je ne me formaliserai pas quand à Fordorure tu t’abstiendras de courbettes devant mon guérad ganéar. Alors ne me cherche pas de noises pour tout ce qui touche au roi de ta cité. Chacun son chef et les gnolls seront bien frappés. C’est assez clair pour toi ?
Farëanor perçut immédiatement toute la tension qui galvanisa les muscles de Mécifal. Il n’en aurait peut-être pas fallu beaucoup plus pour que le gandagostien empoignât sa hallebarde.
– Apparemment, dans le royaume du Nord, la politesse ne vous étouffe pas, répliqua celui-ci vertement. Mais sans doute était-ce à prévoir.
– Quand tu auras mon âge, gamin, on reparlera de la politesse, rétorqua Tunk aussi vivement que le tonnerre à la foudre.
– « gamin », « bonhomme »… Sachez que je ne supporterai pas longtemps votre façon de vous adresser à moi.
– Va pourtant falloir t’habituer, parce que je ne changerai pas. Pas pour tes beaux yeux en tout cas.
La première à intervenir fut Méléanna. Elle posa sa main sur le bras de Mécifal. Le jeune soldat, sur le point de contre-attaquer, tourna la tête vers la dame guerrière du crépuscule et lut sur son visage qu’elle le pressait de ne pas aller plus loin. Ce geste avait été posé exactement au bon moment, faisant appel à de profonds liens d’amitié et de confiance. Le jeune soldat de gandagost y trouva la force de retenir et sa langue et son bras. Le chevalier d’Ebanestal, lui, sentit son propre cœur s’enflammer d’un violent sentiment.
– Il suffit !
Les mots de Sabraël avaient claqué comme le fouet d’un maître sur ses serviteurs.
– Vous aurez tout le loisir de vous affronter à propos des abîmes qui séparent les cultures de nos races respectives. En attendant, vous allez me faire le plaisir d’aller chercher du bois chacun de votre côté. Nous risquons de passer ici encore un certain temps à nous peler, comme vous dites si bien, maître Tunk. Le seigneur Maërwan nous avait prévenus de cette éventualité.
Sabraël était incontestablement le bérakhel de l’arklan. Et aussi sûr qu’il le commandait, les arkels devaient lui obéir. Encore fulminant, Mécifal fit l’effort de se lever, sous le regard inquiet de Fravalgar. Le frère de Farëanor n’aurait pas su, quant à lui, s’opposer à l’un ou à l’autre belligérant avec une telle hardiesse. Il aurait préféré se taire et encaisser les coups.
Alors que le nain ne faisait pas mine de se mettre debout, tous les regards se portèrent sur lui, sauf celui de Sabraël, qui continuait de fixer le feu, et celui d’Azure qui gardait la tête inclinée. Un lourd silence tomba sur le groupe, adouci seulement par les crépitements du feu et le bruit du vent dans les arbres. Puis Mécifal se décida. Il n’avait pas à attendre que le nain se bougeât pour obéir à celui qu’il considérait désormais comme son supérieur. D’un pas nerveux, il s’éloigna vers les bois.
– Tunk, il va falloir choisir, reprit Sabraël, toujours sans le regarder mais avec la même voix inflexible. Soit vous vous pliez à mes ordres, soit vous quittez dans l'heure notre groupe.
Le silence pesa plus lourd encore sur les membres de l’arklan. On avait l’impression qu’une chape de plomb était tombée sur eux. On hésitait presque à respirer.
– Vous n’avez juré allégeance ni à la Quadrentente, ni à aucun de ses rois, c’est entendu. Vous ne voulez entendre que les demandes de Farëanor, je le conçois également. Mais tant que Farëanor sera mon alsarath, mon second, il répercutera le moindre de mes ordres, il entérinera la moindre de mes décisions. N’en estil pas ainsi, Farëanor ?
D’un coup, il sembla au jeune chevalier de bronze que toute la responsabilité de la cohésion du groupe tombait sur sa nuque. S’il acquiesçait, il ne risquait pas moins que de perdre sur le champ un bon ami. Tunk avait en horreur qu ' on lui tînt la dragée haute. Mais si Farëanor ne secondait pas Sabraël dès ce premier conflit d’autorité, autant abandonner tout de suite l’idée même de demeurer le second de cet arklan.
–
Je sais peu de choses sur les amoratios des terres naines, déclara le jeune homme d’une voix d’abord mal assurée.
Il sentait que tout le monde l’écoutait avec une extrême attention. Même Azure releva légèrement la tête.
– Mais ce dont je suis sûr est qu’ils sont capables d’une fidélité à toute épreuve s’ils ont décidé de mettre leur fer au service d’une cause juste.
Au fil des mots, son ton s’éclaircissait et sa voix s’assurait.
– Je ne serais tout simplement plus de ce monde si Tunk ne m’avait pas une fois désobéi alors qu’il avait tacitement reconnu mon commandement.
Farëanor s’adressa alors directement à lui.
– Je te demande néanmoins, mon frère d’armes, de reconnaître en Sabraël ton chef de groupe au moins autant que tu m’as accordé jusqu’ici le service de ton vouloir.
Puis il se tourna vers le chevalier d’Ebanestal que le roi Shassareï avait institué comme guide et premier de leur arklan.
– Seigneur Sabraël. Mon épée est vôtre au nom de la Quadrentente. Et je suis sûr que parmi de nombreux instruments, la hache de Tunk pourra nous être des plus utiles. Mais étant donné qu'il est d'une autre race, ainsi que du reste dame Azure, ne peut-on penser pour eux un régime particulier ?
L’espace d’un instant, l’air aurait pu frémir de légèreté.
– Votre suggestion part sans doute d’un bon sentiment, déclara le chevalier d’or d’un ton qui présageait l’inflexibilité, mais telle n’est pas la loi des arklans. Soit Tunk et Azure reconnaissent mon autorité, soit ils n’ont plus rien à faire avec nous.
Farëanor allait répondre mais Tunk l’arrêta en tendant la main vers lui.
– Laisse.
Le nain en avait assez entendu.
Dix mille hommes. Ils étaient dix mille hommes à camper aux abords de la forteresse de Claircastel et ce n’était là qu’une partie de l’armée de l’Agneau d’Or.
Parmi ces dix mille, deux cent quarante étaient les preux d’Ebanestal, ceux qu’on appelait les guerriers d’élite ou encore la garde rapprochée du roi. Ces deux cent quarante formaient un corps d’armée parmi les plus redoutables en Magarcane. Toutes les races en avaient entendu parler, tous les ennemis les redoutaient.
Du haut de la tour centrale, on pouvait voir, au-delà des murailles et des douves, des tentes qui s’étendaient presque à perte de vue. D’une blancheur encore immaculée, les soldats mettaient un point d’honneur à les maintenir telles. Il y allait de la gloire d’Ebanestal et du roi-berger leur souverain.
Dans les couloirs et grandes salles à ciel ouvert que formaient ces abris de nomades, les troupes du roi étaient occupées à de multiples activités. Stationnées là depuis maintenant deux semaines, la vie du camp s’était organisée comme si elles devaient y demeurer une durée indéterminée : « Entre quelques jours et plus ou moins l'éternité », avait répondu un vieux briscard à un jeune guerrier tout frais émoulu de l'Académie militaire d'Ebanestal. Si l'on s 'asseyait sur un tonneau au milieu des tentes, on pouvait compter sur un mouvement permanent autour de soi. Tandis que des soldats chargeaient à n’en plus finir des sacs de farine, des caisses de viande séchée et des tonneaux d’eau potable, d’autres vérifiaient la qualité des armes d’appoint qu’une colonne de chariots devait transporter. Plus loin, les hommes d’armes préparaient leur monture pour la route, accordant aux chevaux toute l’attention dont ils ne pourraient plus faire preuve durant le temps des manœuvres. Beaucoup les brossaient avec soin, certains leur murmuraient à l’oreille des paroles d’amitié, d’autres s’astreignaient avec les maréchaux-ferrants à râper les sabots et poser de
nouveaux fers. Bref, on était plus dans l'idée de rester quelques jours que de s'éterniser.
– Poussez-vous de là, cria un grand gaillard à ceux qui lui bloquaient le passage.
Il portait un sac d’avoine sur l’épaule et ne semblait pas disposé, lui, à patienter longtemps. Les trois jeunes guerriers abandonnèrent sur le champ leur partie de dés et déplacèrent les caisses qui servaient de table et de chaises. Dans l’armée de l’Agneau d’Or, la priorité allait à ceux qui étaient en service. De toute façon, la pause était terminée. Et il fallait terminer son paquetage avant la nuit. La rumeur courait déjà : dès le lendemain, l’immense troupe viderait les lieux pour partir vers le sud, pour s ' en aller à la guerre.
– Dix mille hommes, murmura un des plus grands vétérans d’Ebanestal en fourrageant sa barbe. Je persiste à dire que c’est trop peu.
Assis sur le rebord en pierre d’une fenêtre, en haut de la grande tour du château de Claircastel, Théafur contemplait le corps d'armée qu’il devait lui-même mener au combat de concert avec son roi. Malgré la puissance dont ils seraient capables, Théafur ne partageait pas la vision optimiste de Féasîn. À leur prochaine rencontre, il tenterait une dernière fois de lui faire changer d’avis.
– Que pensez-vous, Avarol ? demanda-t-il à son aide de camp, qui, à quelques pas de lui, se tenait à sa table de travail, rédigeant les ordres que son supérieur venait de lui dicter.
– Mon seigneur ?
– Que pensez-vous de notre expédition ? Diriez-vous que nous allons à la victoire ou à la défaite ? Et je vous en conjure : dites-moi ce que vous pensez et pas ce que vous pensez que j'aimerais entendre.
Le guerrier quadragénaire releva la tête de son parchemin. Son catogan était noué au-dessus de sa nuque avec beaucoup de soin. Il avait l’œil vif et Théafur savait toute l’intelligence de ce fidèle soldat.
– Je comprends les raisons de notre roi qui l’ont poussé à diviser notre armée pour mieux défendre l’étendue de nos frontières et donc mieux protéger notre peuple. Quant à cette expédition, si nous sommes victorieux, nous tiendrons entre nos mains le sort de la guerre. Si au contraire nous sommes vaincus, outre le fait que
l’humiliation sera cuisante, la guerre pourrait bien durer plusieurs années.
Théafur, sans quitter de ses yeux le campement et son agitation, se permit un sourire.
– Vous n’avez pas répondu à ma demande, Avarol. Ma question était : vaincrons-nous ?
– Il serait prétentieux de ma part de donner une réponse catégorique à une telle interrogation. Si vous ne le faites pas, comment le pourrai-je ?
– Parce que tu es mon subordonné et que tu obéis aux ordres que je te donne ! Vas-tu cesser de tourner autour du pot, animal ?
Théafur se plaisait pourtant aux circonvolutions d’esprit de son aide de camp. Longtemps ils avaient servi ensemble le royaume. Il se tourna vers lui et le menaça amicalement du doigt.
– Je crois comme vous que nous commettons une imprudence en descendant avec si peu d’hommes contre l’armée du roi Kadarîm et de son homologue de Debguil. Les guerriers de l’Agneau d’Or sont forts, ainsi que son roi. Mais pour une bataille de cette envergure, je crains fort que la prudence nous presse d'employer plus de combattants contre l’envahisseur. Oui, je crois que les Birgwois et les Debguiliens, s’ils sont bien coordonnés, peuvent nous battre.
Théafur baissa la tête, soudain triste d’entendre son homme de confiance prononcer tout haut le jugement qu’il avait conçu tout bas.
– Cependant, nuança encore Avarol en s’appuyant sur le dossier de sa chaise, nous avons les troupes véloces. Elles ne sont pas quantité négligeable. Nous pouvons vaincre, seigneur. J'en ai la certitude. Et c 'est ce que nous ferons.
– Espérons-le.
Songeur, Théafur se passa de nouveau la main dans la barbe et reporta son attention sur le campement. Au centre des tentes blanches, une centaine de tentes dorées entouraient le pavillon du roi. Dans ce quartier, on ne percevait pas avec la même acuité la fébrilité qui agitait le reste du camp. Dans ce quartier, les hommes et les femmes marchaient d’un pas sûr, ils parlaient d’un ton posé et réfléchissaient calmement à l’ombre de leur abri d’or. Ils étaient deux cent quarante, deux cent quarante guerriers d’élite à raison
de vingt escouades de douze. Ils formaient la garde rapprochée du roi. Toutes les races en Magarcane avaient entendu parler de ces preux. Nul ennemi ne pouvait envisager la guerre avec Ebanestal sans redouter d’avoir à les affronter. Ces soldats-là savaient se battre.
– Oui, murmura Théafur en les contemplant, les troupes véloces peuvent faire pencher la balance en notre faveur. La stratégie de notre roi repose d’ailleurs essentiellement sur elles. Ils sont comme les maîtres-béliers du troupeau qu’il va lancer à flancs de colline. Mais qui peut savoir sur quoi ils vont tomber ? Car dans le dernier rapport que tu m ' as toi-même transmis, aucun de nos éclaireurs n’était encore revenu de la terre de nos ennemis. Est-ce que nous ne sommes pas en train de pécher par orgueil en misant tout sur le fleuron de notre armée, en ne nous appuyant que sur ce qui fait notre gloire ?
Cette fois, le général Théafur n’attendait pas de réponse. Il continua seulement de fixer avec anxiété l’Armée de l’Agneau d’Or. Il savait pertinemment que le roi ne reviendrait pas sur sa décision.
Au même instant, dans une autre salle du château de Claircastel, se tenait une autre conversation. Les divergences d’opinion y étaient semblables mais d’autres raisons y étaient évoquées.
– Enfin, mon époux, que deviendra le fils que je porte s’il vous perd avant de voir le jour ?
Le roi Féasîn était assis dans un fauteuil de velours vert. Devant lui, la reine se tenait debout. Magnifique dans sa robe bleu turquoise, Isha Sanaë tendait vers son mari des mains jointes et un regard suppliant. Le roi, lui, baissa la tête, les doigts appuyés sur le front.
– Vous partez avec trop peu d’hommes et pour une guerre que nos ennemis préparent depuis de longues années. Comment pouvez-vous accepter de nous faire courir un tel risque ?
À ces mots, le monarque releva le visage et planta son regard dans celui de son épouse.
–
Comment je peux accepter de protéger mon peuple en mettant en danger mes hommes et moi ? Mais précisément parce que je suis le roi-berger d’Ebanestal !
Sa voix avait été trop dure. Il en prit conscience lorsque sa femme se détourna pour se cacher le visage avec ses mains. Féasîn poussa un long soupir désolé. Il se leva et s’approcha. Elle pleurait en silence.
– Mon aimée, reprit-il en posant ses mains sur les épaules de sa femme, je ne puis permettre le sacrifice de quelques villes et villages sous prétexte que je veux gagner la guerre. Mes ancêtres ont toujours privilégié la défense des petits. Je me dois de suivre leur exemple.
– N’est-il pas possible de déplacer ces populations pour les mettre en lieu sûr jusqu’à la fin du conflit ?
La reine parlait avec difficulté. Des sanglots l’étreignaient à la gorge. Mais elle les retint pour se retourner et faire face à son époux.
– Et qu’adviendra-t-il alors de ces milliers de personnes qui du jour au lendemain auront tout perdu ? Et pouvons-nous lancer sur la route des vieillards et des enfants alors que notre armée est suffisamment forte pour couvrir toute la frontière ?
Sanaë laissa Féasîn l'entourer de ses bras. Elle glissa les siens autour de la taille de cet homme à qui elle avait dit « oui » et posa la tête sur sa poitrine.
– Vous le savez, mon aimé, reprit-elle, je ne suis pas femme à reculer devant le combat. Je vous l’ai prouvé maintes fois par le passé. Aujourd’hui, vous voulez défendre nos gens en fortifiant nos frontières, soit. Mais pourquoi descendre à la bataille avec si peu d’hommes ? Pourquoi vous jeter dans la gueule de l’ours et ne pas appliquer jusqu’au bout notre politique défensive. Attendez l’ennemi et alors vous frapperez. Il est encore temps de redéfinir votre ligne de défense.
Sanaë ne pleurait pas, et ainsi abandonnée à l’étreinte de son mari, elle trouvait la force de se retenir encore. Le roi, maintenant, caressait la tête de sa femme, glissant sa main sur ses cheveux et descendant doucement sur sa nuque.
– Je ne peux pas faire courir ce risque à mon peuple, se défendit Féasîn. Il faut un appât à notre assaillant. Il faut dévier sur nous ses crocs pour pouvoir garder sûre l’étendue de nos terres.
– Mais vous ne pouvez à la fois diviser vos propres forces et attaquer une armée unifiée. Vos hommes vont se faire dévorer.
– C’est précisément ce que nous voulons que croient les Debguiliens et les Birgwois qui les accompagnent. Mais vous devez savoir, ô ma reine, que je ne suis pas une brebis. Je suis le berger, et mes combattants se sont préparés des années et même des dizaines d’années à cette situation-là. Si les troupes véloces ont été créées, ce n’est pas pour un autre but que celui-ci : éviter la guerre à ceux qui les premiers en subiraient les conséquences. On dit que c 'est la garde rapprochée du roi. Je dis, moi, que ce sont les guerriers de l'arklan du roi et qu ' en montant ensemble au combat nous obtiendrons la victoire.
– Oh ! Féasîn ! Je crains tout pour vous. Mon cœur me dit que tout cela finira mal.
– C’est votre cœur d’épouse et de mère qui parle. C’est une chose juste. Et pourtant il faut que votre cœur de reine prenne le dessus.
– Oui, devant nos sujets il en sera ainsi. Elle reprit sa respiration.
– Pardonnez-moi. Pardonnez-moi de ne pas vous soutenir à cette heure où vous auriez tant besoin de ma force et non de mes pleurs. Je vous ai pourtant tant de fois connu dans la bataille.
– Chère Sanaë, en ce temps-là nous n’étions pas liés comme nous avons le bonheur de l’être aujourd’hui. retrouvez la paix. Je vous assure que nous sortirons vainqueurs cette fois encore.
– Puisse le Bien vous entendre, mon amour. Puisse-t-il détourner de vous et la flèche et l’épée.
L’homme et la femme demeurèrent serrés l’un contre l’autre. Ce pouvait être la dernière étreinte. Ils en étaient conscients. Longuement ils s 'offrirent cette tendresse silencieuse.
Demain, le roi-berger descendrait au combat.
Le soleil avait eu le temps de se coucher et la lune de traverser le ciel. Vers le milieu de la matinée, Farëanor taillait machinalement une longue tige de bois fraîchement coupée. Les copeaux s 'accumulaient lentement sur le sol et le blanc gagnait peu à peu sur l'écorce brunâtre. Le jeune chevalier repensait à la façon dont Sabraël avait fustigé Tunk et se demandait pourquoi son compagnon n’avait pas encore quitté l’arklan. Or, tandis qu’il achevait ce qui pourrait faire un bon bâton d’entraînement, son compagnon revenait justement, avec Méléanna, de leur prospection des alentours. Visiblement, il y avait du nouveau.
– Une colonne de cavaliers s’approche de nous, avertit la jeune femme. Nulle trace des effigies de gandagost sur leurs armures mais je suis à peu près sûre qu’ils font partie de l’armée du roibûcheron.
Immédiatement, les membres de l’arklan se redressèrent, prêts à toute éventualité.
– Ce qui me raye la marmite, continua de rapporter le nain, c’est qu’il y a trois orcs avec eux. Je n’ai jamais vu un truc pareil : des hommes et des peaux vertes qui ne sont pas en train de s’entretuer. Et seulement deux d'entre les orcs ont les poings liés.
– Fravalgar, appela Sabraël, allez chercher Mécifal et revenez au plus vite.
L’ancien aide-apothicaire eut un moment d’hésitation. Il ne s’était pas attendu à quitter seul le groupe. Immédiatement, Farëanor interpréta sa crainte.
– Je t’accompagne, déclara-t-il.
– Non, décréta le bérakhel, votre place est ici.
Sabraël semblait pourtant saisir l’enjeu de la proposition de son second. Il balaya rapidement du regard le reste de l’arklan.
– Azure, accompagnez-le. À deux, vous aurez plus vite fait de retrouver Mécifal.
L’elfe s’exécuta et se dirigea vers un bosquet d’arbres jaunis par la saison. Se retournant bientôt, elle marqua une pause pour attendre le frère de Farëanor qui ne s'était pas encore décidé à bouger. Le regard de la guerrière sylvestre n'était guère engageant. Fravalgar, surmontant l’humiliation qu’il était en train d’essuyer devant tous, ramassa son arc et lui emboîta le pas. Azure partait d'un pas rapide, ne cherchant en rien à ménager son compagnon.
Dès qu’ils eurent disparu, Sabraël recentra l’attention de ses arkels.
– Les cavaliers qui vont nous rejoindre sont bien ceux que nous attendons.
– Et les orcs ? interrogea Tunk de sa grosse voix.
– Ils sont « la raison » de notre présence ici, maître-nain. Nous devons les conduire à la limite nord des Chaînes Protectrices.
– ravi de l’apprendre ! ironisa Tunk en posant les poings sur ses hanches. Et que nous vaut le plaisir de voyager avec ces saletés de barbares cornus et puants ?
– C’est la demande expresse du roi Shassareï, répliqua Sabraël d’une voix posée. Ces orcs ont été réclamés par les membres de leur tribu pour être jugés par leurs chefs.
– Et pourquoi leur ferions-nous cette fleur ? Depuis quand les hommes s’occupent-ils de rendre service à des tueurs d’amoratios ? Jamais une tribu orque ne nous rendrait la pareille.
Sabraël expira longuement. Il prenait sur lui pour ne pas hausser le ton comme la veille.
– Les chevaliers du roi Shassareï sont entrés en contact avec le clan des rives Brunes. Croyez-le ou non, ces orcs ont eux-mêmes jeté les premières bases d’une relation avec nos peuples, une relation qui pourrait devenir durable. Aujourd’hui, la Quadrentente veut elle aussi faire un geste envers eux. Si nous réussissons, une amitié inédite pourrait naître entre des races qui s’affrontent depuis des millénaires.
À ces révélations, non seulement Tunk, mais aussi Farëanor et Méléanna restèrent muets. Telle était donc leur mission : tisser des liens avec ceux qui, pour les hommes, étaient des ennemis hérédi-
taires. Le chevalier d’or enleva alors la dernière planche de la charrette de leurs a priori.
– Et si vous avez des réticences, maître nain, je vous propose de demander à Fravalgar son avis sur la question. Ce sera instructif pour tout le monde. Par la même occasion, vous expliquerez à Mécifal, Fravalgar et Azure ce que j’aurais pu leur apprendre de vive voix si vous ne m’aviez pas mis en demeure de justifier les décisions du souverain de gandagost.
La discussion était close. Sabraël s’écarta pour seller son cheval. Tunk n’en revenait pas :
– Ben, ça !
Puis, lorsqu’il comprit qu’il fallait préparer le départ, il se secoua et alla s’occuper de riante. Farëanor et Méléanna se retrouvèrent seuls tout à coup.
– Désormais, nous connaissons notre mission, déclara le chevalier de bronze.
– Oui. Tout ce qu’il y a de plus inattendu, commenta sobrement la dame guerrière du crépuscule.
Pour la première fois depuis ce qui leur semblait une éternité, un instant d’intimité relative se présentait alors à eux. Après un court temps de silence pour envisager tout ce qu’impliquait le fait d’accompagner des orcs jusqu’à chez eux, Farëanor tenta de lancer une première corde vers la jeune femme. Il espérait que suffisamment d’eau avait coulé dans la rivière.
– Tu veux que je te porte ta selle ? gros-Cœur est déjà harnaché et je…
– Non merci, refusa-t-elle d’emblée. C'est gentil de ta part mais je peux me débrouiller toute seule. Les barzânes, eux, ne sont pas chargés. Si tu as pris de l’avance, tu n’as qu’à t’en occuper.
Farëanor se raidit. Méléanna venait tout bonnement de l’envoyer sur les roses, et pas au niveau des pétales. Le chevalier aurait voulu répliquer. Il ne fut capable que de lancer un regard à mi-chemin entre l’étonnement et l’offense. Alors il s’éloigna d’elle vivement pour aller s’occuper des ânes de guerre, comme elle l’y avait si judicieusement invité.
– Bon, ben voilà ! marmonna-t-il en sanglant les bêtes de port en des gestes irrités. Au moins, nous sommes fixés.
Mécifal, Azure et Fravalgar les rejoignirent. Naturellement, Mécifal se dirigea vers Méléanna et la jeune femme lui expliqua en quelques mots ce que Sabraël avait dit. Il se passa la main dans les cheveux et semblait réfléchir aux implications de la mission de l'arklan. À les voir tous les deux, le chevalier de bronze se trouva parfaitement agacé. Il sangla les barzânes plus rageusement encore. Pendant ce temps, Tunk prit la décision de raconter à Azure et Fravalgar de quoi il retournait. rapidement, ils préparèrent le départ.
À peine eurent-ils achevé, qu ' une colonne de cavaliers apparut. Ils étaient une bonne trentaine, en armes et armures. Leurs regards étaient méfiants et ils gardaient à portée de mains l'arc et l'épée. Très vite, devant les membres de l'arklan, ils se regroupèrent en petites unités. Farëanor en déduisit à la fois leur expérience de la traversée des bois mais aussi une vraie force tactique. Les chevaux avaient le souffle chaud, ils devaient crapahuter depuis l'aube. Mais ils semblaient encore détenir de quoi continuer pour quelques loines. Cette escouade paraissait tout ce qu'il y avait de plus sérieux en matière de corps armé et lorsqu'on repérait les trois orcs au milieu d'eux, on comprenait pourquoi. La hauteur de leurs épaules et la taille de leurs cornes suffirent à impressionner Farëanor.
Sabraël, à pied comme les siens, s ' avança d’entre ses propres guerriers. Point n'était besoin d'un cours de géostratégie pour comprendre qu'il était le chef du groupe. Il se dégageait de lui le charisme d'un chef. Dans ce qu'il faisait, dans ce qu'il disait, on savait que c'était lui qui décidait.
– Salutations !
Le capitaine de la colonne répondit avec la même sobriété.
– Pouvons-nous parler en privé ?
La question de Sabraël était rhétorique. Le capitaine descendit de cheval, d'un geste de la main, il donna un ordre tacite à ses hommes pour qu'ils surveillassent de près les orcs puis, suivi de son second, il emboîta le pas à Sabraël. D'un mouvement de tête, le bérakhel convia lui aussi Farëanor à les accompagner. Pendant ce temps, Mécifal indiqua un ruisseau où les soldat pourraient permettre à leurs montures de se désaltérer. À terme, bien peu de paroles seraient échangées entre les deux groupes. Dans une mission comme celle-ci, la discrétion était de rigueur.
– Cela fait plus d’une journée qu’on vous attend !
Sabraël n’agressait pas le chef des nouveaux arrivants mais il exigeait très clairement des explications. L’homme, qui portait une étrange barbiche, lui répondit avec une courtoisie limitée.
– Nous avons mis plus de temps que prévu à extrader nos prisonniers. Il n’est pas si facile de passer inaperçu en pleine ville avec trois orcs de taille adulte.
– J’en vois un qui n’est pas attaché, reprit Sabraël d’un ton sec. Qu’est-ce que cela signifie ?
– Orkabur est un émissaire du clan des rives Brunes. C’est lui qui sera notre guide quand nous aurons dépassé Keldaras.
– Peut-on seulement lui faire confiance ? interrogea Sabraël, dubitatif.
– Vous en jugerez par vous-même. Par force lettres et présents, il a manifesté à notre roi que les siens l'avaient envoyé pour servir d'intermédiaire à une conciliation entre nos deux races. Il n’a pas su tout de suite que nous avions des prisonniers orques. Son chef de clan lui avait ordonné de demeurer chez les hommes une année entière, aussi a-t-il d'abord résisté à notre proposition d'accompagner les criminels jusqu'à sa tribu. Et puis au dernier moment, il s 'est décidé à venir avec nous. Nous avons estimé que le fait qu’il se soit présenté seul aux portes de gandagost était une preuve de bonne volonté, ainsi que le fait qu'il ait accepté de nous conduire à son peuple.
– Quand vous dites « nous avons estimé », vous voulez dire « le roi-bûcheron a estimé ».
– C'est exact. Messire Shassareï m’en a fait mention « personnellement ».
Sabraël perçut de la vanité dans le ton de son interlocuteur, ce qui eut l'air de lui déplaire au plus haut point. Il avait compris que ce petit capitaine, en retard au rendez-vous malgré son excuse, se donnait plus d'importance qu'il n ' en avait. Or le chevalier d’Ebanestal n’aurait pas longue patience à lui offrir.
– Fort bien. Vous me laisserez quatre hommes pour escorter les prisonniers.
– Quatre hommes ? Mais… Il est prévu que nous vous accompagnions tous !
– Tous ? Non, certainement pas ! avait décrété le bérakhel.
Mes ordres sont de…
– Vos ordres sont de me confier les prisonniers pour que je dirige « personnellement » l’expédition. Alors vous allez me laisser quatre guerriers, expérimentés et endurants, et ce sera bien assez. Quant à vous, vous retournerez à gandagost faire savoir le succès de votre mission et transmettre le rapport détaillé de tout ce qu ' aura été votre part vaillante dans cette affaire.
Le seigneur Sabraël était si catégorique que Farëanor n'imagina pas un instant que le capitaine aurait pu répliquer. Sans doute son bérakhel s'était-il même quelque peu défoulé contre l’homme à barbiche. Auquel cas, Tunk s ' en était rudement bien sorti.
Effectivement, le capitaine sut dès cet instant qu’il n’aurait pas le dernier mot dans ces palabres. Il tenta pourtant une sortie.
– Vous ne savez pas de quels prisonniers vous vous chargez. Les trente hommes que je commande ne sont pas de trop pour surveiller ces deux tueurs. Et ce sont des orcs ! Savez-vous qu'ils ont eu l’audace et l’impudence de descendre en guéden g’Bar à la même latitude que notre cité de gandagost ? Nous avons eu beaucoup de mal à les capturer et…
– Oui, je sais, et à les extrader.
– Seigneur Sabraël, ne vous moquez pas de moi. Vous vous croyez peut-être des droits parce que notre roi vous fait confiance à vous, un Ebanestalien. Mais méfiez-vous de vos certitudes sur vous-même. Contrairement à ce que vous croyez, les soldats de gandagost ne sont pas de petits acades de première année. Si ces deux orcs ont tué plusieurs des nôtres, ils vous en feront perdre aussi.
Sabraël avait froissé son interlocuteur. Mais celui-ci s’en tint là de ses menaces et chargea son subalterne de lui trouver quatre hommes. Il le fit en crachant presque son nom.
– Et vite ! vitupéra-t-il.
Bientôt le second revint avec les quatre soldats. Alors le capitaine se retourna vers Sabraël.
– Ah ! Très bien ! Ils ont tous participé à la capture des deux orcs et commencent à bien les cerner. Mais même avec eux, je vous souhaite bonne chance et bien du plaisir !
rapidement, toute la troupe se mit en branle. Le capitaine donna l'ordre du départ au second, qui s ' empressa de le répercuter
en criant et tous les gandagostiens remontèrent à cheval. Mais avant de les laisser partir, Sabraël émit une dernière requête aux allures d'ordre, obligeant le capitaine à retenir sa monture, qui du coup piétina de quelques pas incertains.
– Le grand baraqué, là-bas, désigna le bérakhel. Il reste avec nous, lui aussi.
– guentar ? Notre défonceur ?
– Lui-même.
– Ce n 'est pas prévu que...
– Ce n 'est pas prévu que quoi ? guentar nous accompagne et il aura pour tâche de répondre personnellement pour les soldats de votre escouade. Sait-il se battre ?
– Il vaut facilement trois Ebanestaliens, si c 'est cela que vous voulez savoir. guentar, venez ici ! hurla-t-il.
Le jeune alsarath n 'approuvait pas pleinement la rudesse d'attitude de son bérakhel. Toutefois, il conçut de l'admiration pour sa capacité à asseoir son autorité. Amer d'humiliation, l’officier talonna quant à lui sa monture. Il n 'accorda pas même un regard au dernier homme qu'il abandonnait à son déplaisant interlocuteur.
– Je saurai me rappeler de vous, messire Sabraël !
– grand bien vous fasse, capitaine !
Comme la troupe s'élançait vers le sud, on exprimait toute la rage de son chef. Les chevaux martelèrent le long tapis de feuilles presque mortes qui jonchaient tout le sol de la forêt et les soldats les poussèrent par des coups d'éperons et de violentes frappes de lanière. Bientôt ils disparurent derrière les arbres.
– Bon, nous ne perdrons pas plus de temps dans guéden g’Bar.
L’idée était claire et clairement énoncée. Sabraël s’approcha alors des orcs et s’adressa à celui qui n’était pas lesté de chaîne :
– Vous êtes l’envoyé du clan rives Brunes ?
– C’est moi. Mon nom est Orkabur.
La voix de l’orc était à coup sûr la plus rocailleuse que Farëanor eut jamais entendue. On imaginait des pierres dévalant une montagne.
–
Et moi je suis Sabraël, le chef de ce groupe. Nous sommes chargés au nom de la Quadrentente de vous escorter avec vos prisonniers jusqu’à votre tribu.
En réponse, d’autres sons de roche jaillirent de la gorge de l'être à peau verte.
– Votre aide est la bienvenue. rogamor et Darkrag sont des amoratios dangereux, pour vous comme pour nous : ils ont fait périr beaucoup des membres de nos deux races. La vigilance de vos hommes ne devra donc pas faiblir avant le terme de notre voyage.
– Je serai là pour y veiller, assura Sabraël. Mais avant que vous nous précisiez ce que nous avons à savoir pour éviter les risques, seriez-vous vous-même en mesure de prouver votre loyauté au clan des rives Brunes ? Je ne puis céder ma force à qui ne m’assure pas de son bras.
Les mots du chevalier d’or étaient pesés, soupesés et bien tassés. Émissaire au nom des royaumes des hommes, il savait qu’il devait à la fois faire preuve de prudence et manifester de la courtoisie. De surcroît, il avait pris soin de prononcer le mot « force », un concept-clé pour ces nouveaux compagnons de voyage.
– Ce sont les hommes de votre roi qui m’ont escorté jusqu’à vous, dit l’orc. N’est-ce pas là une preuve suffisante ?
Il sembla à Farëanor que c’était au tour d’Orkabur de tester Sabraël. Et l’orc avait l’air sûr de lui.
– Primo, ce n’est pas mon roi mais celui des gandagostiens, répliqua le chevalier d’or. Secundo, je ne puis accorder ma pleine confiance à ceux qui ne se payent que de mots. Je veux bien protéger votre vie, mais qui me dit que je ne dois pas, contre vous, protéger celle de mes hommes ?
L’orc grommela, mais rien ne disait que ce fût négatif.
– Sage est le guerrier qui s’assure de ses alliers « avant » d’assaillir son ennemi. Voici une lettre de mon chef de clan. Mais qu’est-ce que des mots écrits par des orcs pour les hommes que vous êtes ?
– Derrière la plume qui écrit, il y a l’être qui couche sa pensée. Si elle est droite, les lignes le seront aussi.
Orkabur grogna de nouveau. Farëanor jugea que c’était là une façon d’acquiescer. Puis l’orc tira de sa pèlerine un rouleau de
parchemin et le tendit à Sabraël. Le chef d'arklan le parcourut rapidement.
– Fravalgar ! appela-t-il.
– Seigneur Sabraël ?
– reconnaissez-vous l’écriture ?
Le frère de Farëanor s’y pencha, réfléchit un instant puis il donna son avis.
– Oui, je la reconnais.
– Vous êtes sûr?
De nouveau, Fravalgar se pencha sur le parchemin.
– Parfaitement sûr.
– Fort bien, conclut le chef d'arklan. Orkabur, vous serez donc notre hôte. En cas d’affrontement, puis-je compter sur vos armes ?
– Je possède deux masses. Sachez qu 'elles seront toujours prêtes à se dégourdir les piques.
La plaisanterie de l’orc était dite sur un tel ton que les arkels en eurent le sourire aux lèvres. C’était comme si cet amoratio cornu, haut d'épaule et vert de visage, était fait pour prononcer ce dicton de guerre. Quelque chose chez Orkabur plut au jeune chevalier de bronze.
C’était le matin du même jour. Quelques bouts de coquille blanche étaient tombés là, entre une pomme de pin en décomposition et une branche de bois mort. Les œufs d'oiseaux avaient-ils été ouverts par un prédateur pour une fin brutale ou avaient-ils laissé la vie éclore pour un avenir d’air pur et de liberté ? Dacielle n’aurait su le dire, elle s’octroya toutefois l’étrange répit d’y réfléchir.
La jeune femme venait de passer la nuit la plus terrifiante de sa vie. Épuisée par son affrontement avec les loups et encore sous le choc de la perte violente de Baril, elle avait malgré tout réussi à s’enfuir. Après plusieurs éloines de courses dans la pénombre des bois, elle s’était finalement arrêtée et avait utilisé ses dernières forces pour escalader un arbre. Dacielle était plutôt ronde et, avec ses blessures, ce fut pour elle un supplice de grimper. Plusieurs fois, elle manqua de tomber du sapin qu’elle avait choisi. Mais ses bras étaient musclés et, à force de volonté, elle parvint à un nœud du tronc où plusieurs branches partaient côte à côte. Comme le lui avaient enseigné des bûcherons-trappeurs de sa cité, elle noua de ses doigts ensanglantés les extrémités des branches avec celles du dessus pour improviser une sorte de nid à taille humaine. Elle en pleura ses dernières larmes. Lorsque enfin elle y parvint, elle s’étendit aussi bien qu’elle put. Les loups ne semblaient pas avoir continué la poursuite, sans doute repus de la proie qu'ils avaient happée. Mais on ne pouvait pas savoir. Baril avait permis à Dacielle de s 'enfuir.
– Ce bon Baril...
Préférant oublier cette scène d'horreur, Dacielle attendit le lever du jour dans l’inconfort de ce refuge de fortune, tâchant de trouver un sommeil impossible. Elle parvint quand même à plusieurs épisodes de somnolence, entre lesquels son esprit se posait mille questions :
Qu’est-ce que je fiche ici ? Mais pourquoi ai-je quitté gandagost ? Quelle folie a pu me pousser à vouloir suivre Mécifal et Méléanna dans cette forêt où les soldats réfléchissent à deux fois avant de pénétrer en escouade ?
La jeune noble avait espéré atteindre au plus tôt ses compagnons. Mais dès le premier jour, elle avait perdu leurs traces. Tout le temps qu’elle avait employé à les retrouver fut autant de chances en moins de rattraper des guerriers aguerris qui ne souhaitent pas l’être. Mais Dacielle était une bonne pisteuse. Et comme elle n’avait pas froid aux yeux, elle avait foncé certaine qu’elle comblerait rapidement son retard. Et puis la meute avait dressé une nouvelle barrière, bordée de crocs celle-là, entre elle et ses proches. Privée de monture, l’amie de Méléanna et sœur de Mécifal aurait dû décider de rebrousser chemin et d'employer les énergies qui lui restaient encore à regagner la sécurité de la demeure familiale. Son père, parti à la guerre commander son bataillon pour le roi Shassareï, n'était peut-être même pas encore au courant. Et s'il avait eu le temps de l'être, il serait sans doute trop heureux de retrouver sa fille pour la punir au-delà d’une durée de deux ou trois lunes.
Mais la puînée du seigneur Pélaz n’était plus une petite fille. Elle était et voulait être une jeune femme. Un désir profond l’étreignait et la poussait dans une tout autre direction : elle voulait prendre son envol et battre de ses propres ailes. Aussi, lorsqu’aux aurores de cette terrible nuit, elle se laissa glisser avec peine au bas du sapin, elle s’arrêta longuement, accroupie, pour contempler les coquilles d’œufs des petits oiseaux, au pied du tronc. Ses blessures étaient superficielles. Elle frémissait encore à la pensée des loups, mais n ' en vit aucune trace. Contre toute attente, une certaine forme physique lui était revenue. Et surtout, elle avait conservé ce qui demeurait encore son plus puissant atout de gandagostienne : le bâton de combat hérité de sa mère, des années plus tôt, bien avant qu 'elle ne parte. Avec ce bois ganté de fer, elle avait franchi toutes les étapes de la maîtrise de l'arme des bataliers. C’était folie de continuer, plus grande encore que de quitter seule la cité des rois-bûcherons, mais rien n’aurait pu faire que Dacielle changeât d’avis. Elle continuerait d’avancer dans cette forêt, car elle était femme et elle était libre. Elle se releva, rejeta ses cheveux en arrière et serra plus fermement le bâton-lame entre doigts et paume. Puis elle se remit en route. Sans doute n’avait-elle aucune chance d’y parvenir. Qu’importe, elle irait jusqu’au bout de son audace.
*
Dacielle avait marché plusieurs heures, l’esprit vide. Son seul but avait été d’avancer. Peu importent les bêtes sauvages et les accidents du terrain. Elle voulait seulement combler la distance qui la séparait de Mécifal et de Méléanna. Elle savait qu’ils se dirigeaient vers le nord. Comme elle-même avait dévié vers l’est pour s’enfuir, il lui fallait maintenant obliquer vers le nord-ouest. Naïvement, elle gardait l'espoir de retrouver leur piste.
Il était midi maintenant. La jeune femme entendit le murmure discret d’un petit ruisseau, courant entre les galets et sur les mousses. Elle s’octroya une halte. S’y penchant, elle se rafraîchit la gorge puis elle songea à s’occuper de ses plaies. grâce à ses vêtements de cuir épais, son torse avait été épargné. En revanche, les griffes du loup avaient bien pénétré dans ses cuisses, juste audessus des genoux. De fait, des picotements n’avaient cessé d’accompagner chacun de ses pas depuis le matin. Avant de nettoyer, elle se mit en quête de quelques fleurs d’asselys, ces petites clochettes de pétales blancs qui prévenaient les infections.
– Ah ! s’exclama-t-elle. Victoire !
Entre deux racines, elle trouva la plante précieuse, qui finalement n’était pas si rare dans guéden g’Bar. retournant au ruisseau, elle épancha l’eau sur sa peau pour la dégager du sang séché et mieux discerner l'étendue de la blessure. Apparemment, la douleur avait été plus grande que le mal : les griffes n’avaient pas pénétré trop profondément. Dacielle pressa et malaxa consciencieusement les fleurs d’asselys et en fit ressortir la substance médicinale. Elle l’appliqua aus sitôt. Sa longue robe de voyage recouvrait opportunément sa cuirasse et ses pantalons pour la préserver au mieux du froid, elle en déchira l’extrémité et s’en fit des bandes pour s 'entourer les cuisses et la main.
Lorsqu’elle eut terminé sa tâche, la jeune guerrière de gandagost sentit son estomac se rappeler à son bon souvenir. La jeune femme ne s’inquiéta pas outre mesure. Elle savait qu’un adulte pouvait tenir jusqu’à trois ou quatre semaines sans nourriture. C’était l’eau qui demeurait plus immédiatement vitale, l’eau et tout ce qui lui servirait à préserver sa santé. Dacielle respira une large goulée d’air et, pour se donner du courage, scanda une leçon de survie qu’elle avait reçue de son père :
– Ma fille, il vaut mieux avoir faim que soif et soif que froid.
D’accord, papa, commenta-t-elle, mais en attendant de mourir de quelque chose d’autre, je ferais bien d’essayer les baies de ce sureau.
Les petites boules noires et juteuses lui tendaient effectivement les bras. La jeune femme se saisit de plusieurs grappes et en mangea les fruits. Elle avalait vite, comme par peur de manquer. Elle savait qu’elle ne devait pas en abuser, elle dépouilla toutefois tout le buisson avant de regagner la prairie de hautes herbes qu’elle avait traversée plus tôt. Avançant le bâton à la main dans les touffes de longues tiges vertes, elle fit une grimace.
– Allez ! Courage.
Dacielle déposa son arme et se mit à avancer le dos courbé. Bientôt, elle se fixa, exécuta un rapide mouvement de main. Elle avait attrapé quelque chose qui avait tenté de s’échapper en bondissant. La jeune noble avait été plus rapide. Écartant ses doigts, elle observa un instant la grosse sauterelle sur la paume de sa main.
– Bon ! En forêt comme en forêt ! commenta-t-elle.
Sans autre préambule, la fille de gandagost écrasa la tête du petit animal, retira les ailes et les pattes, puis ferma les yeux et jeta le tout dans sa bouche. L'insecte craqua entre ses dents. Dacielle prolongea quelques instants sa grimace mais choisit de ne pas trop se poser de question.
– Manger pour survivre, c’est tout ce que j’ai à savoir.
Une autre sauterelle bondit et tomba sur sa bottine. C’était la nature qui lui répondait.
C’était un peu plus tard dans la journée. Le soleil n’était pas encore au point de se coucher, mais les heures avaient déjà beaucoup couru. Les arbres resplendissaient encore de couleurs vives et chatoyantes. Nulle autre saison qu’Émilond n’offrait cette robe splendide aux bois de guéden g’Bar. Malgré le danger incessant pour la jeune guerrière, elle ne pouvait empêcher son âme bûcheronne de s’émerveiller. Elle était touchée par les ondées d’or pur et de brun lumineux, par les vagues de pourpre et d’orange braisé. La situation pouvait être grave, la forêt restait la forêt.
Alors, quand Dacielle arriva dans une clairière en surplomb et qu’elle put voir la mer des arbres s’étendre à l’horizon tout autour d’elle, elle s’arrêta un long moment, s’appuyant sur son bâtonlame pour contempler. Dans la beauté de ce qui l’entourait, elle puisait de nouvelles forces. Bientôt les ténèbres s’immisceraient et avec elles l’inquiétude. Il fallait croire, croire que le feu de couleur de cette forêt continuerait de brûler dans la nuit, croire que l’obscurité et son épreuve n’étaient pas autre chose que la respiration des bois. Et croire qu’il en allait de même pour la vie. Ne pouvaitelle pas accepter chacun de ses moments puisque le jour n’avait manqué de succéder à la nuit ?
– Pas une seule fois, murmura encore la jeune femme.
Dacielle aurait pu repartir et voyager encore deux heures avant que le manque de lumière n’entravât sa progression. Mais ses connaissances en matière de survie lui dictèrent de mettre un terme à sa marche du jour. Elle adopta la posture de chasseresse, se mettant à l’affût d’une viande plus consistante que de la sauterelle. Si elle voulait atteindre son but, elle aurait besoin d’énergie. Avançant à pas lents, à couvert de la lisière du bois, Dacielle chercha des yeux si quelque mammifère ne paissait pas dans les herbes folles. Elle n’obtint pas tout de suite gain de sa recherche mais elle persévéra jusqu’à ce qu’enfin, trois lièvres distraits se présentassent à elle. Une longue minute, Dacielle observa les déplacements auxquels leurs jeux les entraînaient, puis, le moment venu, elle se saisit de son bâton-lame comme de la hampe d’une lance, tendit calmement son bras vers l’arrière pour donner à son geste l’ampleur nécessaire et propulsa d’un seul coup sa longue arme de jet. Le bâton fendit les airs, puis il pénétra la chair. Le lièvre mourut sur le coup, ses congénères filèrent quatre à quatre le plus loin possible.
– Oui ! cria la jeune femme en brandissant le poing. C'est qui la meilleure ? C'est qui la plus forte de tout le royaume ?
Dacielle n 'avait pas eu que de la chance. Son habileté était réelle. Elle avait aussi rudement besoin d'encouragements.
– Maintenant, il faut faire vite, décréta la chasseresse.
Le sang attirait inévitablement les carnassiers. Dacielle se dépêcha donc d’enfouir l’animal sous un tas de feuilles.
– Première chose à faire : le feu.
Courant de droite et de gauche, la jeune femme ramassa plusieurs brassées de bois mort. Lorsqu’elle jugea qu’elle en avait suffisamment, elle collecta tout un fagot de picots secs, car ceux-ci s’embrasaient plus facilement que la paille. Elle en fit un petit tas sur lequel elle déposa nombre de branchettes et quelques branches fines. Alors seulement, elle sortit de sa poche un des biens qui avait acquis une valeur inestimable depuis qu’elle avait dû abandonner son briquet à amadou avec le reste de ses affaires. Il s’agissait d’un épais morceau de verre rond. Depuis son enfance, elle ne partait jamais en forêt sans lui. Aujourd’hui, il allait lui sauver la vie.
S’agenouillant, Dacielle employa toute sa patience à dévier et concentrer les rayons du soleil en un point unique. Les minutes succédèrent aux minutes, mais rien ne se produisit. La lumière avait beau être chaude, elle restait celle d’une fin d’après-midi d’Émilond.
– J’aurais dû m’y mettre plus tôt ! se réprimanda la jeune guerrière. Si ce picot ne s’enflamme pas, je suis bonne pour de la viande crue et un risque décuplé de me faire manger.
Le picot noircissait mais ne prenait toujours pas. Le soleil continuait de baisser.
– Saleté de saleté ! Tu vas brûler, oui ?
Brusquement, le végétal séché s’embrasa. Très vite, le feu se communiqua à toutes les fines tiges blanches. Et dès que les premières branchettes furent transformées en braises, Dacielle comprit que c’était gagné.
– Eh bien, voilà ! Il suffisait de s’énerver.
Ce disant, la jeune fille se leva pour récupérer son lièvre. Elle marcha deux pas, puis un trou la fit trébucher et choir lamentablement dans l'herbe haute. relevant la tête, Dacielle eut un sourire en coin.
– Bon d’accord, cela ne valait pas la peine de s’énerver.
rapidement debout, elle s’activa. Il fallait déshabiller puis dépecer la bête. Mais quand Dacielle retira la pointe de son bâton du corps de l’animal, le bruit d’entrailles et le sang qui se mit à couler la répugnèrent.
– Pouah ! c’est nettement moins romantique que dans les histoires de Mécifal.
La réalité était que la jeune femme l’avait déjà vu faire. Elle se rendit compte cependant qu’une chose était de voir, une autre de l’accomplir.
– Allez, s’engagea-t-elle, toi, je m’en vais t’accrocher au poteau.
Protégeant sa main d’une feuille, Dacielle bloqua la sortie du sang en appuyant sur l’orifice généré par son bâton-lame. Dans guéden g’Bar, l’odeur du sang était loin d’être un allié. Il attirait facilement les prédateurs. Les hypodrigues étaient spécialement à redouter, des espèces de lions à deux têtes, capables de se battre en se tenant sur deux de leurs six pattes velues. Seul leur pelage était beau à voir, aussi flamboyant que les feuillus à cette époque de l'année. Plus on allait vers le nord et plus on en trouvait. Mais Dacielle essayait de ne pas trop y penser. Elle se rendit jusqu’à l’arbre le plus proche. Après son bâton et son morceau de verre, son couteau était le troisième et dernier objet en sa possession pour lequel elle bénissait le ciel. Elle défit les lacets de ses bottines, attacha l’animal par les pattes arrière, puis incisa le lièvre sur toute la longueur de son entre-deux jambes et lui retira la peau comme on retire une chaussette : d’un seul geste. Puis elle le détacha, lui trancha la tête et lui vida les boyaux, toujours en faisant la grimace.
La besogne achevée, la jeune gandagostienne s’empressa d’enterrer le sang et les viscères. Après quoi, elle récupéra ses lacets et emporta les chairs pour les faire cuire. Mais alors qu’elle marchait, elle repéra des créatures qu 'elle avait jusque-là négligées : un petit troupeau de champignons, qui passait tranquillement entre les racines d'un arbre.
– Oh ! Vous, vous tombez à pic. Non, non, pas la peine d’essayer de vous enfuir ! Votre compte est bon !
Se baissant, elle admira leur forme et leur taille. Elle connaissait bien cette espèce : le corps blanc et fongueux, la tête grise et biscornue ; elle savait qu’ils étaient comestibles.
– Je reviens tout de suite.
Malgré son malheur, Dacielle se réjouissait. Elle avait le sentiment non seulement d’être capable de faire face, mais aussi qu 'elle était aidée. La nature pourvoyait à ses besoins. Oui, la nature y pourvoyait et peut-être que la jeune femme pourrait s’en sortir.
De retour au feu, la chasseresse se tailla une branche de bois vert et improvisa une broche avec deux fourches qu’elle planta
dans le sol. Bientôt, le lièvre entama sa cuisson et Dacielle put faire l’aller-retour aux champignons. La récolte fut bonne. restait à en apprêter les fruits.
– Voyons voir… Normalement, il suffit de retirer cette pellicule de peau et je pourrai les manger sans que ce soit mon dernier repas.
– Ne mange jamais la moindre amanite dont tu ne sois pas absolument sûre qu 'elle ne te tuera pas.
– C'est bon, papa. Tu peux me faire confiance.
– Mais c 'est toi qui as dit : « Normalement »...
– Je rectifie alors : j'en suis sûre !
Une fois de plus, le couteau fut utile. Les pelures s 'amassèrent une à une sur le sol. Juste à côté, Dacielle fit un joli petit tas avec les précieux champignons comestibles. Lorsqu’elle eut achevé de les apprêter, elle se lava longuement les mains dans la terre. À défaut d’eau, c’était encore le meilleur expédient.
– Bon, maintenant, soyons intelligente. Je sais, ça va être dur, mais il faut faire un effort.
La jeune guerrière décida de manger léger : peu de viande et beaucoup de champignons. C’était surtout le matin qu’elle devait absorber la nourriture la plus substantielle. La nuit était bonne pour dormir, pas pour digérer. Dacielle s’évertua donc à tailler dans la chair du lièvre d'épaisses lamelles pour les fumer au feu. Elle pourrait ainsi les emporter comme réserve pour les jours à venir.
– Des poches ne sont pas l’idéal pour un garde-manger, mais on s’en contentera.
Avant que la nuit ne tombât, la jeune femme devait aussi se préoccuper de son abri. Elle avait déjà placé plusieurs bonnes pierres dans le feu, elle se mit en quête d’un endroit idoine.
– Pas de nuage, il risque de faire très froid.
Le mieux était donc de se placer sous les arbres. Elle trouva un recoin buissonneux sous une famille de hêtres. Elle commença par creuser une petite tranchée dans le sol à l’aide de son bâton. Elle cherchait à s'isoler du sol, dont le froid pouvait malheureusement glacer les membres. Dans la légère tranchée, elle déposerait les pierres brûlantes pour qu’elles diffusassent lentement leur
chaleur. Entre les pierres et son corps de reine, une couche de petit bois serait suffisante pour éviter qu 'elle ne se brûlât. En attendant, Dacielle récolta des branchages pour poser un semblant de toit audessus de sa tête. Une fourche sommaire appuyée contre l'un des arbres servirait de faîtage. La jeune femme eut ainsi assez vite fait de se bâtir un abri de fortune. Elle revint alors près du feu. Ainsi quand elle commença fièrement son humble dîner, la nuit tomba.
La nuit. Emplie de silence, la nuit. Mais à chaque bruit, on se retourne pour voir s’il n’y a pas quelque chose qui approche. Heureusement, il y avait le feu. Mais ce n’était pas suffisant, pas après ce que Dacielle avait vécu. Elle savait qu’elle était folle de continuer. Mais elle avait fait son choix. La nuit tombait sur elle, comme un manteau noir et glacé.
Le feu mourait, Dacielle se mit donc en demeure de transporter ses pierres chaudes sous sa hutte. Ses gants ne la protégeant pas suffisamment, elle empoigna de grosses touffes d’herbe. Cette œuvre achevée, elle déposa le petit bois, arrangea encore pardessus un léger tapis de feuilles, puis elle s’étendit, se servant de sa cape comme d’une couverture et de son armure de cuir comme d’un oreiller, lui aussi rembourré de feuilles.
Au-dehors de la petite cahute, un hibou hulula. Un long temps de silence suivit, durant lequel Dacielle n’entendit que le sifflement du vent. Puis des pas d’animaux résonnèrent sous les hêtres. Les battements du cœur de Dacielle accélérèrent. Ce ne pouvait être que des lapins ou des biches. Mais c’était peut-être aussi un sanglier ou un hypodrigue ou un kalok. Tout pouvait arriver. Et le souvenir des horreurs de la veille était trop vif en elle. L’ultime regard de Baril lui serrait encore le ventre. Il fallut longtemps à la jeune femme pour accepter son impuissance, longtemps pour abandonner son sort au Bien. Les inquiétudes roulaient dans sa tête : pourrait-elle jamais se sortir vivante de guéden g’Bar et retrouver le monde des hommes ? Malgré tous ses aménagements, le toit, les pierres, les branchages, la cape,… Dacielle eut froid. Basculant sur le côté, elle plia ses jambes et serra ses bras contre son corps. Elle doutait de jamais retrouver le jour. De corps et de cœur, la jeune femme avait froid.
La mise à l'épreuve est terminée, la véritable mission commence. Farëanor est devenu second d’arklan. Mais voilà qu’on a désigné comme chef de groupe le seigneur Sabraël, honni par Andugal. Comble d'étonnement pour le chevalier de bronze, Méléanna est aussi membre de cet arklan, elle qu'il avait quittée si abruptement. Parmi les arkels, on compte encore sur Tunk, Mécifal, Fravalgar et même une elfe. Ils sont venus avec armes et bagages pour traverser Guéden G’Bar la sauvage. Mais tandis que le groupe de Farëanor monte vers le nord, le roi Féasîn et l’Armée de l'Agneau d'Or descendent au sud. Une guerre frontale est sur le point de s’ouvrir avec les royaumes sudarions. Les généraux s’inquiètent du peu d'hommes qui descendent au front. On aurait bien besoin du retour d’Andugal. Mais le cheva- lier à la Volonté de Mithril tarde...
Matthieu Bobin, licencié en théologie biblique, passionné d’Heroic Fantasy, développe avec Margacane une saga palpitante :
- Fils d’Armes
- Bénédiction
- L’Arklan
- Bérakhels
- La Ravine d’Espeïra...