
Tanguy-Marie Pouliquen
Tanguy-Marie Pouliquen
Trouver les clefs dâune croissance personnelle, spirituelle et relationnelle
Suivre sa conscience, prĂ©face de Mgr AndrĂ© LĂ©onard, Ăditions de lâEmmanuel, 2005, 253 p. (Ă©puisĂ©).
La Parole, don de Vie. Lecture spirituelle de la Bible Ă lâĂ©cole de la Lectio Divina, prĂ©face de Bernard Ducruet, EdB, 2006, 271 p. (Ă©puisĂ©). Traduit en polonais (Espe, 2008).
LâĂ©preuve spirituelle. Un chemin de croissance Ă lâĂ©cole de saint Jean de la Croix, coll. « PTS », EdB, 2006, 91 p. (Ă©puisĂ©)*. Traduit en tchĂšque (Paulinky, 2007).
Convertis-toi ! Un chemin de libertĂ© Ă lâĂ©cole de sainte ThĂ©rĂšse dâAvila, coll. « PTS », EdB, 2007, 103 p. Traduit en polonais (Mic, 2008).
Liberté et substitution, thÚse de doctorat, 2 tomes, Institut Regina Apostolorum, IF Press (Rome), 2007, 850 p.
Libres en Christ. La libertĂ© chrĂ©tienne selon lâanthropologie de Hans Urs von Balthasar, prĂ©face de Jacques Servais, coll. « Theologia », EdB, 2008, 360 p.
La confiance fait des miracles, selon sainte ThérÚse de Lisieux, coll. « PTS », 7e édition, EdB, 2009, 115 p.* Traduit en polonais (Salwator, 2011) et en portugais (Ave Maria, 2012). Disponible en livre numérique, en français et en portugais.
Mieux vivre ensemble dans un monde en crise. PrĂ©cis dâĂ©thique sociale, PrĂ©face de Mgr Robert Le Gall, EdB, 2009, 250 p.
RenaĂźtre Ă la vraie libertĂ© avec le cardinal Pierre de BĂ©rulle, Ăditions du Carmel, 2012, 120 p.*
Devenir vraiment soi-mĂȘme. ItinĂ©raire dâun dĂ©veloppement personnel chrĂ©tien, 3e Ă©dition, EdB, 2014, 320 p.*
Consentir Ă la diffĂ©rence sexuelle. ThĂ©orie du genre, Mariage pour tous, autosuffisance de la conscience, comme fermeture Ă lâaltĂ©ritĂ©, Parole et Silence, 2015, 210 p.
Fascination des nouvelles technologies et transhumanisme. 115 questions, préface de Mgr Jacques Suaudeau, EdB, 2017, 320 p. Traduit en espagnol (Rialp, 2018) et en slovÚne (Druzina, 2022).
En collaboration avec Jean-Michel Poirier et Daniel Vigne, Qui est mon frĂšre ? Construire la fraternitĂ© aujourdâhui, coll. « Theopraxis », Parole et Silence, 2019, 344 p.
9 jours pour prendre la bonne décision, 2e édition, EdB, 2020, 112 p.
HyperconnectĂ© et libre. Bien vivre Ă lâĂšre du numĂ©rique sans retomber Ă #lagedepierre, EdB, 2020, 310 p.
En collaboration avec Brigitte Cholvy, David Doat, Pascal Marin et NathanaĂ«l Wallenhorst, Lâavenir. Critique, rĂ©sistance, utopie, colloque Udesca, Peter Lang, 2022, 280 p.
Discerner pour bien agir avec saint Ignace et le pape François, Téqui, 2023, 150 p.
* Disponible aussi en livre numérique
** Disponible également en livre audio
Site de lâauteur : https://tmchine5.wixsite.com/website
Contact auteur.
Lâauteur est disposĂ© Ă entrer en relation avec son lecteur, il est possible de le contacter Ă lâadresse suivante : tanguy.marie@belgacom.net
Ă ceux qui veulent toujours aller de lâavant, mĂȘme Ă petits pas.
« Je suis venu pour que vous ayez la vie en abondance, dit Jésus. »
Ăvangile de Jean 10, 10
« Au milieu de lâhiver, jâapprenais enfin quâil y avait en moi un invincible Ă©tĂ©. »
Albert Camus
Introduction
La libertĂ© Ă lâĂ©cole dâun processus de transformation personnelle ............................................................................. 12
I. Les quatre étapes du processus de transformation personnelle 35
1. Les quinze « maladies spirituelles » ou lâart de regarder les problĂšmes en face : « RĂ©former ce qui est dĂ©formé » ....................................................................... 44
2. Les douze « antibiotiques » contre la maladie ou lâart de dĂ©cider dâaller de lâavant grĂące au « catalogue des vertus » : « Conformer ce qui est rĂ©formé » 63
3. Les douze leçons de « bonne conduite » ou lâart dâenraciner ses bonnes actions : « Confirmer ce qui est conformé » 82
4. La « carte dâidentité » de la transformation personnelle ou lâart de toujours ĂȘtre en croissance grĂące aux huit BĂ©atitudes : « Transformer ce qui est confirmé » 105
II. Les conditions spirituelles du processus de transformation personnelle 129
1. Lâart de savoir transformer les tensions en alliĂ©s : de Bergoglio Ă François, le souci constant de la rĂ©forme .........................................................................136
2. Lâamour de la parole de Dieu : la source principale de la transformation personnelle 149
3. Lâaccomplissement christique de lâagir humain : le Christ « formateur intĂ©rieur » de la transformation personnelle 162
4. Devenir lâhumble fils de Dieu et le serviteur du Christ : le but de la transformation personnelle ................................................ 183
Conclusion Au cĆur du « choc de la rĂ©alité », je deviens le frĂšre de tous 198
de façon littĂ©raireâŠ
par une lecture continue, tout en faisant attention Ă bien unir la lecture de lâouvrage avec les « processus de croissance » dĂ©crits, afin de favoriser lâimplication personnelle. Une attention particuliĂšre peut ĂȘtre portĂ©e Ă la lecture des « textes Ă mĂ©diter » ;
comme une retraite spirituelleâŠ
en se concentrant surtout sur la premiĂšre partie de lâouvrage pour ainsi se laisser interpeller personnellement par les changements concrets suggĂ©rĂ©s par le pape François.
de façon dynamiqueâŠ
en lisant dâabord le schĂ©ma de synthĂšse (p. 43) et les deux « excursus » (p. 138 et 208) dans le texte, pour comprendre comment les principes de la pensĂ©e du pape François se retrouvent dans le dĂ©veloppement des quatre Ă©tapes de son processus de croissance, et se laisser interpeller. Une attention particuliĂšre peut ĂȘtre portĂ©e aux « aller de lâavant en⊠» qui vulgarisent dans une perspective personnaliste les fondamentaux de la construction intĂ©grale de la personne... de maniĂšre rĂ©flexiveâŠ
en considĂ©rant attentivement la seconde partie, les introductions des sections et des parties ainsi que lâintroduction gĂ©nĂ©rale et la conclusion gĂ©nĂ©rale, Ă©galement les notes de bas de page, afin de scruter les racines spirituelles de la pensĂ©e du pape François.
« Ils menĂšrent JĂ©sus jusquâĂ un escarpement de la colline oĂč leur ville est construite, pour le prĂ©cipiter en bas. Mais lui, passant au milieu dâeux, allait son chemin. »
Ăvangile de Luc 4, 29-30
« Avec toutes les choses qui nous arrivent, nous apprenons que tout problĂšme a sa solution, il faut simplement aller de lâavant. »
Pape François
« Refuser la crise, câest faire obstacle Ă Dieu, la crise est mouvement, elle fait partie du chemin. »
Pape François
Le pape François finissait il y a quelques annĂ©es une priĂšre de CarĂȘme en ces termes : « Avec toutes les choses qui nous arrivent, nous apprenons que tout problĂšme a sa solution, il faut simplement aller de lâavant.1 » Aller de lâavant et non pas se laisser aller. Le pape en est convaincu, « la confiance2 » en lâavenir est le bon moteur pour « avancer » et traverser « paisiblement » les crises. Elles deviennent, en prĂ©sence de Dieu, des crises de croissance.
Invitation Ă la confiance fĂ©conde attestĂ©e par la parole de Dieu : « BĂ©ni soit lâhomme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance, sâĂ©crie le prophĂšte JĂ©rĂ©mie. Il sera comme un arbre, plantĂ© prĂšs des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. LâannĂ©e de la sĂ©cheresse, il est sans inquiĂ©tude : il ne manque pas de porter du fruit » (JĂ©rĂ©mie 17, 7-8).
Invitation Ă la responsabilitĂ© Ă©galement : « FrĂšres, insiste lâapĂŽtre Pierre, redoublez dâefforts pour confirmer lâappel et le choix dont vous avez bĂ©nĂ©ficié : en agissant ainsi, vous ne risquez pas de tomber. Câest ainsi que vous sera gĂ©nĂ©reusement accordĂ©e lâentrĂ©e dans le royaume Ă©ternel de notre Seigneur et Sauveur JĂ©sus-Christ » (2 Pierre 1, 10-11).
Ă la suite du premier des ApĂŽtres, en invitant lâĂglise Ă se transformer mais Ă©galement tout le monde, le Saint-PĂšre prend la posture dâun leader transformationnel, câest-Ă -dire dâun chef « capable dâaider les personnes Ă devenir ce quâelles sont appelĂ©es Ă ĂȘtre3 », tant au niveau individuel que collectif.
Transformer sa vie avec bonheur est possible, dĂšs maintenant. Ce nâest pas parce que la poussiĂšre recouvre lâexistence de temps en temps que celle-ci change de nature. Malheureusement, il est des situations qui attirent crĂ»ment lâattention, et certaines personnes, comme les avions, ne font la une des journaux que parce quâelles sont tombĂ©es ! Il est tentant de se focaliser sur lâĂ©vĂ©nement douloureux au risque de regarder constamment en arriĂšre. Nâessayons pas non plus dâouvrir des portes fermĂ©es, rester devant de tels obstacles immobilise.
Une autre attitude est possible : rechoisir la vie en ouvrant dâautres portes, accueillir une nouvelle rencontre, dĂ©velopper une meilleure conscience de soi, poser un acte de confiance, reproportionner un problĂšme, se remettre en question, pardonner, tout cela, grĂące Ă une prĂ©sence de Dieu approfondie⊠Autant de domaines au cĆur de la prĂ©occupation centrale du pape François dâaccompagner les changements : « Ce qui lâintĂ©resse, souligne son biographe Austen Ivereigh, câest le processus de transformation lui-mĂȘme : comment se produit le changement historique, comment nous rĂ©sistons ou embrassons ce processus4 ».
La possibilitĂ© dâun humanisme plus accompli ne demande, pour le Saint-PĂšre, quâĂ ĂȘtre authentiquement accueillie par une ouverture nouvelle Ă la vie, fruit dâun regard tournĂ© vers lâavant avec confiance. Ses mots prĂ©fĂ©rĂ©s sont « joie, tendresse, proximitĂ©, Ă©merveillement5 ». Un processus de transformation personnelle non pour promouvoir un surhomme, mais pour convertir lâhomme Ă sa vraie
vocation, lâinviter Ă vivre toujours plus en prĂ©sence du Seigneur au service de ses frĂšres humains. « Câest seulement en Ă©tant ancrĂ©s dans le Christ que vous pouvez faire lâexpĂ©rience dâune joie qui vous pousse Ă conquĂ©rir les cĆurs6. » Perspective paulienne : « Que jâenfante Ă nouveau, jusquâĂ ce que le Christ soit formĂ© en vous » (Galates 4, 19). Mais Ă©galement augustinienne : « En effet, le Christ est formĂ© en celui qui prend la forme du Christ ; or on prend la forme du Christ lorsquâon sâunit au Christ par lâamour spirituel.7 » Appels Ă un processus de croissance qui prolonge celui du concile Vatican II visant Ă rĂ©vĂ©ler « la grandeur de la vocation des fidĂšles dans le Christ et leur obligation de porter du fruit dans la charitĂ© pour la vie du monde8 ».
Les chrĂ©tiens ne sont pas exempts dâune telle dĂ©marche de changement Ă mettre en Ćuvre Ă lâheure de la tristesse que gĂ©nĂšrent des scandales dans lâĂglise. Regarder en arriĂšre est tentant, mais stĂ©rile.
Comme antidote, le pape François nous prĂ©sente un processus de renouvellement permanent pĂ©tri de confiance et dâengagement. Il aime citer le poĂšte Hölderlin : « Mais lĂ oĂč est le danger / croĂźt aussi ce qui sauve9 . » Sa « loi » de transformation de la personne que nous exposons ici est alimentĂ©e par un dynamisme spirituel inĂ©puisable. Elle ouvre Ă un avenir de vie, de croissance, de joie. Bonne nouvelle aussi, la source dâune telle croissance personnelle est Ă portĂ©e de main et offerte Ă chacun.
Pour les chrĂ©tiens, elle est le Christ : « NâarrĂȘtez pas de prier le Christ, souligne sainte ThĂ©rĂšse de Lisieux, la confiance en lui fait des miracles10. » Les tempĂȘtes sâapaisent quand nous mettons notre confiance en JĂ©sus (cf. Luc 8, 22-25). Sans lui, nous ne pouvons rien faire (cf. Jean 15, 5), ce qui sous-entend quâavec lui, nous pouvons tout faire, pour autant que nous nous engagieons Ă sa suite !
Texte à méditer
« Câest la confiance » qui fait aller de lâavant11
La petite voie de la confiance et de lâamour
« Lâune des dĂ©couvertes les plus importantes de ThĂ©rĂšse, Ă©crit le pape François, pour le bien de tout le peuple de Dieu, est sa âpetite voieâ, la voie de la confiance et de lâamour, connue aussi sous le nom de Voie de lâenfance spirituelle. Tous peuvent la suivre, dans tout Ă©tat de vie, Ă chaque moment de lâexistence. Câest la voie que le PĂšre cĂ©leste rĂ©vĂšle aux petits (cf. Matthieu 11, 25).
ThĂ©rĂšse raconta sa dĂ©couverte de la petite voie dans lâHistoire dâune Ăąme : âJe puis donc, malgrĂ© ma petitesse, aspirer Ă la sainteté ; me grandir, câest impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen dâaller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle.â
Pour la dĂ©crire, elle utilise lâimage de lâascenseur : âLâascenseur qui doit mâĂ©lever jusquâau Ciel, ce sont vos bras, ĂŽ JĂ©sus ! Pour cela je nâai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plusâ. Petite, incapable dâavoir confiance en elle-mĂȘme, mais confiante en la puissance aimante des bras du Seigneur.
Câest âla douce voie de lâamourâ, ouverte par JĂ©sus aux petits et aux pauvres, Ă tous. Câest le chemin de la vraie joie. Face Ă une conception pĂ©lagienne de la saintetĂ©, individualiste et Ă©litiste, plus ascĂ©tique que mystique, qui met surtout lâaccent sur lâeffort humain, ThĂ©rĂšse souligne toujours la primautĂ© de lâaction de Dieu, de sa grĂące. Elle va ainsi jusquâĂ dire : âJe sens toujours la mĂȘme confiance audacieuse de devenir une grande Sainte, car je ne compte pas sur mes mĂ©rites nâen ayant aucun,
mais jâespĂšre en Celui qui est la Vertu, la SaintetĂ© MĂȘme, câest Lui seul qui se contentant de mes faibles efforts mâĂ©lĂ©vera jusquâĂ Lui et, me couvrant de ses mĂ©rites infinis, me fera Sainteâ. »
Pour tous, chrĂ©tiens ou non-chrĂ©tiens, les fruits de la croissance continuelle, portĂ©s par la confiance, peuvent sâappeler gratitude, bienveillance, rĂ©silience, don gratuit, fraternitĂ©, communionâŠ
Le pape François veut transformer (câest-Ă -dire, dans son vocabulaire, « rĂ©former ») la vie de tout homme et particuliĂšrement de lâĂglise, par « de nouvelles mentalitĂ©s, de nouvelles attentions » et en embrassant lâhumain dâaujourdâhui « dans toutes ses dimensions ». Ces changements nĂ©cessitent aussi « des mĂ©thodes de fonctionnement nouvelles », comme le travail intrinsĂšquement liĂ© aux valeurs de la vie et vĂ©cu en synergie12. Le Saint-PĂšre est confiant dans les processus Ă mettre en place. Il veut promouvoir pour tous une « conversion pastorale13 », une volontĂ© « dâaller de lâavant », « la transformation missionnaire dâune Ăglise âen sortieâ »14, le service de « la communion », « lâĂ©tincelle de la charité »15, en commençant par une rĂ©forme de la Curie romaine, plus radicale que celle de ses prĂ©dĂ©cesseurs16. « La pire chose quâil puisse nous arriver, dit-il, est de penser que nous nâavons plus besoin de conversion, tant au niveau personnel que communautaire17. » Son christianisme est performatif, suivant en cela la logique de lâincarnation du Christ.
La rĂ©forme ne concerne pas seulement ses collaborateurs les plus proches mais engage tous les chrĂ©tiens et finalement chacun dâentre nous : car qui ne veut pas avancer en profondeur ? Le pape dĂ©nonce ceux qui promeuvent « lâidĂ©ologie du retour en arriĂšre » parce quâils ont « peur de la liberté »18. RĂ©forme et transformation des personnes vont chez lui de pair. Sâil nous faut « conserver » lâĂvangile, câest en le rendant toujours plus actuel. LâhĂ©rĂ©sie de nos jours, « serait, dit le pape François, de ne pas traduire lâĂvangile
dans le langage et les modalitĂ©s actuels19 ». Dieu se rĂ©vĂšle pour nous aujourdâhui et la vie par lui veut « grandir, dans le sens dâune vocation qui donne son unitĂ© Ă la vie et en constitue le sens ultime20 ».
Cette rĂ©forme nâest pas dâabord fonctionnelle, mais existentielle et surtout spirituelle. Elle vise avant tout le cĆur des personnes, leur vie intĂ©rieure, plus que les organisations. « Le premier devoir de la vie, insiste le pape François, câest la priĂšre, pas une priĂšre de perroquets, mais une priĂšre avec le cĆur. » Ă chacun dâouvrir la bouteille de parfum de la prĂ©sence de Dieu pour en ĂȘtre embaumĂ©.
La dĂ©termination du pape Ă affronter les problĂšmes autorise Ă se demander si la crise provoquĂ©e par les scandales nâest pas une bonne occasion pour avancer rĂ©solument. Comment la crise de lâĂglise actuelle est-elle source dâenseignements pour traverser en fait toute crise ? Pourquoi beaucoup ont-ils chutĂ© gravement ? Comment penser le remĂšde Ă leurs graves erreurs ? Et nous, comment aller de lâavant ? Câest Ă la racine de la vie humaine et chrĂ©tienne que sâattache lâaxe de ce livre : retrouver la dynamique authentique de toute croissance personnelle, en se rĂ©fĂ©rant Ă lâanalyse critique et pastorale du pape François. Aller de lâavant pour « commencer », comme le souligne le Saint-PĂšre, en citant la philosophe Hannah Arendt, en opposition Ă son ami Martin Heidegger : « Les hommes, mĂȘme sâils doivent mourir, sont nĂ©s pour commencer21 ». Recommencer, toujours, et de maniĂšre renouvelĂ©e.
Le terme « crise », comme un tamis qui nettoie le blĂ© aprĂšs la rĂ©colte, renvoie Ă un jugement de vĂ©ritĂ© et Ă un changement Ă vivre, il est « lâoccasion de nous convertir et de retrouver une authenticitĂ©22 ».
Quelle vĂ©ritĂ© dans un monde marquĂ© par la post-vĂ©rité ? Notre Ă©poque sâintĂ©resse davantage Ă ce qui est utile quâĂ ce qui est. La
vĂ©ritĂ© est « vivante » pour le pape, elle nâest pas une gnose, elle correspond à « ce qui se rĂ©vĂšle et est dĂ©voilé », Ă la foi qui cherche lâintelligence. La vĂ©ritĂ© donne la vie : elle fait avancer. « Ici sur terre, vivre, câest changer, Ă©crit le grand penseur anglais John Henry Newman, et la perfection est le rĂ©sultat de nombreuses transformations23. » Un changement qui a son centre, et non sa mode, dans « la stabilitĂ© de Dieu ». « Je sais, mon Dieu, Ă©crit-il, que si je veux voir ta face, je dois changer24. » Le Saint-PĂšre adhĂšre Ă la pensĂ©e de Newman, quâil a canonisĂ©. Le saint anglais, quâil cite, prĂ©sente la vĂ©ritĂ© comme « une lumiĂšre bienveillante que nous nâatteignons pas ordinairement par la raison mais âpar lâimagination, par le moyen dâimpressions directes, par le tĂ©moignage de faits et dâĂ©vĂ©nements, par lâhistoire, par des descriptionsâ25 ». Se convertir implique simplement dâaccepter de changer.
Changer, pour rester fidĂšle : « Si nous voulons que tout reste tel, renchĂ©rit Newman, il faut que tout change26. » Lâinverse dâune conception abstraite de la vĂ©ritĂ©. Pour le pape François, « on dĂ©bat des concepts mais on discerne le rĂ©el27 ». Lâimportant pour lui est que le rĂ©el de la personne se rĂ©alise dans un changement, dans un devenir, une croissance, confrontĂ© aux nouveaux dĂ©fis extĂ©rieurs, mais toujours en sâimpliquant personnellement : le changement requiert une « conversion anthropologique ». Câest pourquoi lâĂglise doit engager de nouveaux processus et non pas occuper des espaces pour sâautoconserver, lâenjeu Ă©tant dâaccompagner la vie en « continuel dĂ©veloppement ».
LâĂglise discerne aujourdâhui la vĂ©ritĂ© des causes des problĂšmes. Tout au long de son histoire, elle nâa cessĂ© de se rĂ©former pour approfondir la comprĂ©hension de son propre mystĂšre. La nĂ©cessitĂ© de se rĂ©former sâest imposĂ©e Ă elle Ă travers les crises successives. Le drame quâelle connaĂźt aujourdâhui lâaccule Ă accueillir de maniĂšre nouvelle sa forme vivante (cf. Philippiens 2, 6) qui est le Christ lui-mĂȘme. Tel est le sens « de sa rĂ©forme, du renouveau dans la continuité » qui la caractĂ©rise, soulignait dĂ©jĂ BenoĂźt XVI. La cĂ©sure dans lâĂglise dâaujourdâhui, prĂ©cise le pape François, nâest pas entre
« progressistes » et « conservateurs », mais entre « amoureux » et « habituĂ©s »28. Seuls les amoureux vont de lâavant, acceptant dâĂȘtre toujours en crise ! Pour une raison simple : « LâĂvangile est le premier Ă nous mettre en crise29. »
Câest pourquoi lâĂglise dans son ensemble est un corps non pas en conflit mais toujours en crise : « Justement parce que [son corps] est vivant, mais elle ne doit jamais devenir un corps en conflit avec des vainqueurs et des vaincus. Car de cette maniĂšre, elle rĂ©pandra la crainte, elle deviendra plus rigide, moins synodale et imposera une logique uniforme et uniformisante, bien loin de la richesse et de la diversitĂ© que lâEsprit a donnĂ©e Ă lâĂglise30. » Ătat de crise permanent qui implique la nĂ©cessitĂ© de mourir Ă des façons de faire, Ă des maniĂšres dâĂȘtre, comme le fait « lâacte de mourir de la semence » : « mourir pourrir », « mourir germer », pour accueillir une nouvelle forme de vie31. La crise nous met en mouvement, elle nous ouvre Ă lâavenir32. Lâart du chrĂ©tien sera de ne pas transformer la crise en conflit, mais plutĂŽt dâaccompagner lâĆuvre nouvelle que Dieu fait en son Ăglise et dans le cĆur des hommes dans un contexte nouveau : « Nous ne sommes plus en chrĂ©tientĂ©, dit-il. » Câest une « chance » pour changer, pour annoncer de maniĂšre nouvelle lâessentiel de la foi.
LâĂ©vangĂ©lisation est le cĆur de la rĂ©forme dans un but clairement affirmé : « [Que] les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclĂ©siale deviennent un canal adĂ©quat pour lâĂ©vangĂ©lisation du monde actuel, plus que pour lâauto-prĂ©servation33. »
Le changement dâĂ©poque actuel doit ĂȘtre portĂ© par un changement de mentalitĂ© pastorale : avancer vers de nouvelles frontiĂšres pour réévangĂ©liser lâhomme : « LâhumanitĂ©, Ă©crit le pape, est le chiffre distinctif avec lequel lire la rĂ©forme. LâhumanitĂ© appelle, interpelle et provoque, câest-Ă -dire appelle Ă sortir et Ă ne pas craindre le changement34. » En fin de compte, il sâagit de redĂ©finir le sens du progrĂšs dans un monde en crise, dans un monde nouveau qui est un nouveau monde, ce qui requiert des leaderships nouveaux, comme celui du pape François35. Pour promouvoir un progrĂšs comme lâest
le jaillissement dâune promesse de vie : « Je suis, dit JĂ©sus, la rĂ©surrection et la vie » (Jean 11, 25).
La comprĂ©hension de la rĂ©forme voulue par le pape François sâapprofondit toujours plus en sâouvrant au mystĂšre de la Vie scellĂ© dans lâĂglise, Ă©pouse du Christ. « Refuser la crise, câest faire obstacle Ă Dieu : la crise est mouvement, elle fait partie du chemin36. » En traversant continuellement ses crises, lâĂglise a changĂ© le monde, rapporte lâhistorien anglais Tom Holland37. Elle a mĂȘme transmis lâesprit de la rĂ©forme Ă ceux qui ne partagent pas son credo, en donnant toujours plus envie de progresser. Sainte en son identitĂ©, mais composĂ©e de pĂ©cheurs, elle est une Ăglise en pĂšlerinage constant, toujours en train de se rĂ©former, pour approfondir la connaissance de son propre mystĂšre. LâĂglise, câest chacun dâentre nous, acceptant de changer, et mieux encore, de se transformer ! Aux chrĂ©tiens de montrer lâexemple en se laissant rĂ©ellement rĂ©former, non sans viser un but prĂ©cis souligne saint Paul : « JusquâĂ ce que le Christ soit formĂ© en vous » (Galates 4, 19).
Une conviction nous habite. Le meilleur est devant nous si nous acceptons ce processus fondamental de changement : vivre dans le Christ vivant, source de croissance authentique ! Dieu tâaime, souligne-t-il, le Christ est ton sauveur, il est vivant, il te rend vivant par son Esprit38. En accueillant la Vie du Christ, nous pourrons faire des crises un chemin continu de transformation ! Mais ne nous trompons pas de rĂ©forme. Elle est dâabord un travail personnel, sur soimĂȘme, avant dâĂȘtre une question dâorganisation collective.
« Croissance » est synonyme de « plus ». Demandons-nous si lâagir de lâhomme peut trouver le lieu de son achĂšvement en voulant « toujours plus », lui dont la conscience, plus ou moins Ă©clairĂ©e,
quĂȘte sans cesse le sens de lâexistence. Quel bien choisir pour le goĂ»ter infiniment ? Ă partir de quel enracinement et en vue de quelle fin obtenir ce vrai bien ? Ătre Ă©levĂ© Ă lâinfini tout en restant bien les pieds sur terre, est-ce possible ?
La rĂ©ponse est affirmative. Elle est mĂȘme authentiquement chrĂ©tienne : nous sommes appelĂ©s Ă vivre en Dieu notre finitude, Ă la laisser ĂȘtre transfigurĂ©e et habitĂ©e dâun « sourire radieux ».
Pas nĂ©cessairement comme le Ravi de la crĂšche. PlutĂŽt avec une joie qui traverse la personne, intĂ©gralement. La sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui attend-elle cette transformation heureuse ? Oui, mais sans souvent en prendre les moyens.
Lâhomme contemporain occidental est dit « postmoderne ». Lâaffirmation constante de sa singularitĂ©, de son « je », synthĂ©tise ses nombreuses caractĂ©ristiques. Il est centrĂ© sur sa libertĂ© autorĂ©fĂ©rĂ©e, sur lui-mĂȘme, il a lâappĂ©tit du progrĂšs permanent, fascinĂ© par les pouvoirs de la technique. Il est en attente dâun ersatz dâinfini, promoteur dâun libĂ©ralisme progressif, rĂ©actif aux Ă©motions, soucieux de la dĂ©fense radicale des singularitĂ©s (wokisme, antiracisme, Ă©galitarisme). Mais, considĂ©rant les racines comme des dĂ©pendances, il dĂ©veloppe Ă la fois « une sociĂ©tĂ© liquide et lâanxiĂ©tĂ© permanente39 » comme le souligne le sociologue Zygmunt Bauman souvent citĂ© par le pape François. Lâhomme, particuliĂšrement occidental, soutient « la sĂ©cularisation qui porte en elle une nĂ©gation de la transcendance40 ». Il a un sens aigu de la « dĂ©liaison » : il dĂ©construit plus quâil ne construit, alors que « tout est liĂ©41 » dans le sens oĂč tout est à « relier », les hommes dâabord entre eux comme des frĂšres.
Cet homme postmoderne, trĂšs individuel, est tentĂ© de se rĂ©fugier derriĂšre les bits de son Ă©cran allumĂ© la moitiĂ© du temps quâil passe Ă©veillĂ©42 ! Il dĂ©fend bec et ongles sa finitude sans la relier Ă la source rĂ©elle de lâinfini. Pourtant, souligne clairement le pape, « le bonheur ne doit pas se confondre avec un canapĂ©43 ». Nous ne pouvons ĂȘtre des personnes qui ne veulent pas grandir, comme le veut Peter Pan44. Le Saint-PĂšre engage Ă une recherche active de la vĂ©ritĂ©. Câest elle qui rend vraiment libre. Ă lâencontre de la pulsion dâacheter,
dâune distraction permanente, dâun divertissement entretenu, dâun asservissement inconscient au virtuel, sur fond collectif de « guerre mondiale en petits morceaux » selon les propos du Saint-PĂšre, lâintention de lâhomme peut viser volontairement sa rĂ©alitĂ© la plus profonde. Lâhomme peut ĂȘtre bienheureux, vraiment libre ! Telle est la certitude rĂ©aliste que propose la foi chrĂ©tienne. Une croissance spirituelle sans limites est Ă portĂ©e de main, de cĆur.
Lâagir humain a la possibilitĂ© dâĂȘtre divinement transformĂ©. Le Christ en est lâalpha et lâomĂ©ga. Il est lâinfini qui sâest fait fini de maniĂšre singuliĂšre et providentielle. Il est « la synthĂšse vivante et personnelle de la libertĂ© parfaite dans lâobĂ©issance totale Ă la volontĂ© de Dieu, soulignait Jean Paul II45 ». LâhypermodernitĂ©, un autre nom de la postmodernitĂ©, cherche Ă tĂątons Ă unifier le fini Ă lâinfini mais elle en oublie le dynamisme profond qui doit lâanimer pour atteindre ce but lĂ©gitime. Elle est tentĂ©e de faire un grand pas en avant⊠dans le vide du virtuel46, fascinĂ©e par la technique. La foi chrĂ©tienne peut lui donner ce quâelle attend, mais le pape avertit les chrĂ©tiens. Il ne faut pas faire semblant dâĂȘtre chrĂ©tien : « Le monde est fatiguĂ© des charmeurs menteurs. Et je me permets de dire, âdes prĂȘtres Ă la modeâ, ou des âĂ©vĂȘques Ă la modeâ47 ». La mode, mĂȘme spirituelle, sâaccommode mal avec le cheminement authentique, bien orientĂ©48, qui transforme parce quâil engage personnellement. Le Saint-PĂšre sâinscrit en faux contre une anthropologie de lâĂ©phĂ©mĂšre : « Aujourdâhui, dit-il, rĂšgne une culture du provisoire qui est une illusion. Croire que rien ne peut ĂȘtre dĂ©finitif est une tromperie et un mensonge49 ».
PrĂ©sentons en langage dynamique lâinvitation du pape François Ă se rĂ©former personnellement. Une rĂ©forme de fond qui sâassimile Ă une transformation. Non pour regarder en arriĂšre, mais pour prĂ©parer lâavenir qui commence dĂšs⊠maintenant, comme lâindique spirituellement le prophĂšte IsaĂŻe : « Le Seigneur dit : ne faites plus mĂ©moire des Ă©vĂ©nements passĂ©s, ne songez plus aux choses dâautrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe dĂ©jĂ , ne le voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le dĂ©sert, des fleuves dans les lieux arides » (IsaĂŻe 43, 18-19).
La rĂ©forme souhaitĂ©e par le pape nâest pas : - du moralisme Ă rebours, - un devoir de plus Ă accomplir, - un volontarisme effrĂ©nĂ© Ă sâimposer, - une culpabilisation Ă intĂ©rioriser. Elle est un chemin sĂ»r de plĂ©nitude Ă venir.
Pour le Saint-PĂšre, « [se rĂ©former], câest la volontĂ© de se purifier continuellement pour transformer les chutes en occasion de renouvellement50 ». La transformation a son « énergie » propre. La forme Ă recevoir est par excellence celle de la prĂ©sence du Christ. Elle transforme, dans le sens oĂč elle accomplit la condition humaine. Elle la fait devenir participante de la vie divine. Non par exaltation de soi par soi, mais par lâamour de Dieu pour soi et de soi pour tous les autres. Chaque croissance personnelle digne de ce nom est aussi sociale. Elle construit le vivre-ensemble et la communion. Le Christ est le rĂ©vĂ©lateur de la « force salvifique du don51 ». Un don Ă rĂ©pandre sans limite, aux pĂ©riphĂ©ries. Le don de son Amour nous permet aussi de regarder la tapisserie de la Vie du bon cĂŽté : tout devient plus simple avec lui.
Le Christ, formateur intĂ©rieur de lâaccomplissement humain
La conscience chrĂ©tienne consent par la foi Ă lâaffirmation que le Christ est la rĂ©vĂ©lation de la plĂ©nitude de lâhomme52. Elle adhĂšre Ă la conception dynamique de lâhomme qui permet de rendre accessible la possibilitĂ© dâĂȘtre, nous aussi, des « fils de Dieu ». Le chrĂ©tien devient « fils » par grĂące pour participer Ă la gloire de Dieu, Ă sa communion cĂ©leste, de plus en plus. Ă la condition de sây connecter vraiment par la priĂšre ! « Te reconnaĂźtre fils de Dieu, fille de Dieu, affirme le pape François, câest le point de dĂ©part de toute
renaissance53. » La mission filiale de JĂ©sus, le salut quâil nous a offert, la communication de sa prĂ©sence par lâEsprit et la sacramentalitĂ© de lâĂglise « maison du Christ » (Charles Journet), tracent le chemin de lâaccomplissement de lâagir humain. Il est dâabord filial.
Notre conscience nâest pas isolĂ©e. Le Christ sâest donnĂ© sur la Croix pour nous sauver tous, afin dâĂȘtre par sa RĂ©surrection, Ă©ternellement avec nous. Il nous relie au mystĂšre de la Vie. Il a tracĂ©, grĂące Ă son action incomparable dans lâhistoire, la voie Ă suivre pour recevoir la vie en surabondance. Une rĂ©ception pas solitaire, mais ensemble, puisque nous sommes tous frĂšres grĂące Ă lui⊠qui est aussi le grand frĂšre !
Tel est le bon esprit familial et ecclĂ©sial quâil nous donne en partage.
Reste que le cheminement est personnel et portĂ© par une qualitĂ© dĂ©cisive, lâhumilitĂ© : « La seule clĂ© pour le pape François qui ouvre Ă la communication, câest lâhumilitĂ© [âŠ] Communiquer, câest sâabaisser, comme le Christ le fait avec lâhomme54. » Ă chacun de travailler, humblement, sa posture Ă lâĂ©gard de la vie. Ouvert Ă la prĂ©sence humble de Dieu qui est nĂ© dans une mangeoire, le processus de croissance, personnel, engage Ă prendre des dĂ©cisions, tout en considĂ©rant leur influence sur les autres personnes55 . On ne se sauve pas seul.
LâunitĂ© du genre humain, entre tous, finalise le projet divin sur notre monde : « Quâils deviennent ainsi parfaitement un » (Jean 17, 23).
Lâacte de lâhomme est Ă©levĂ©, lorsquâil vit humblement dans le Christ, Ă la gloire des fils de Dieu. Il reçoit « la vie en abondance » (Jean 10, 10). Divinement « connectĂ©s », les fils de Dieu trouvent dans le service du Seigneur la dynamique de leur progrĂšs sans fin. La foi dans lâĂglise ne gĂ©nĂšre pas un libre-service mais un lieu pour servir. Lâengagement radical de soi, vĂ©cu principalement dans la priĂšre, permet dâĂȘtre fĂ©cond sur le long terme. Il produit la rĂ©jouissance du cĆur de lâhomme, comme la sĂšve dans la tige donne en son temps la fleur puis le fruit. Vivre « dans lâengagement de Dieu »
selon lâexpression de Hans Urs von Balthasar, en sâengageant pour lui, satisfait les attentes les plus cachĂ©es de lâhomme : le Christ est le pont par excellence, en Ă©tant celui qui unit pleinement lâhomme et Dieu, sans confusion ni sĂ©paration. « Lui, il faut quâil grandisse et moi que je diminue » (Jean 3, 30) sâexclamait Jean le Baptiste en parlant du Seigneur : dâoĂč le primat de lâhumilitĂ© pour permettre une croissance authentique. Le pape François en prĂ©cise les modalitĂ©s : « On ne peut aller de lâavant sans humilitĂ©, il nây a pas dâhumilitĂ© sans humiliations. Et saint Ignace de Loyola nous dit de demander les humiliations56. » Des humiliations non pas sadiques, mais qui sont autant dâoccasions de comprendre ses limites et dâentrer dans une dynamique de dĂ©passement de soi.
Bonne nouvelle, la vision filiale et chrĂ©tienne de lâhomme rend le meilleur accessible Ă tous57. Cela contre toute rĂ©duction de lâhumain Ă la matiĂšre, Ă la relation, Ă sa fusion dans le collectif, voire Ă la pensĂ©e, finalement Ă la consommation de biens utiles. Vivre en prĂ©sence de Dieu permet de se laisser former par sa parole. Elle met en ordre, elle fait le tri. ProximitĂ© qui suscite aussi le plus grand des dĂ©sirs : ĂȘtre divinement dĂ©sirĂ©, infiniment aimĂ©. Un dĂ©sir revisitĂ© par lâAmour qui unifie le cĆur Ă lâaction et lâenvie de vivre dans la lumiĂšre de Dieu. Avec lui, plus besoin dâun autre Ă©clairage : « Quel homme raisonnable se sert dâune lampe en plein soleil ? » se demande saint Maxime de Turin. IlluminĂ©s par Dieu, osons le face-Ă -face avec notre propre cĆur. Pour le dilater.
Lâamour qui conduit au don gĂ©nĂ©reux de soi-mĂȘme stimule le dilatement de lâhumain : « Le mystĂšre de la âfilialisationâ de lâhomme Ă la suite de celle de JĂ©sus de Nazareth sera, souligne le thĂ©ologien RĂ©al Tremblay, la condition de possibilitĂ© dâune morale oĂč lâhomme sera pleinement respectĂ© et oĂč la grĂące dilatera lâhumain au point de lui permettre de se rĂ©aliser par le dĂ©passement58. » Le Dieu rĂ©el dĂ©truit les idoles, stimule les plus grands dĂ©sirs. Le vrai Dieu, lâunique, qui est tout-puissant dâAmour, peut vraiment donner la force dâaller de lâavant. Il donne envie dâouvrir des paysages de vie toujours plus nouveaux et ensoleillĂ©s. Il donne
aussi tout et demande beaucoup en mĂȘme temps, sans nous laisser les mains vides. En gardant le jeu de mots, on peut affirmer que Dieu transmet sa prĂ©sence au prĂ©sent comme un prĂ©cieux prĂ©sent. Mais il nous veut « sans masques ni armures », dâune humilitĂ© qui sait « habiter sans dĂ©sespoir, avec rĂ©alisme et joie notre humanitĂ©59 ». Dieu nâa que maintenant pour commencer Ă diviniser notre pauvre et belle existence humaine, en Ă©largissant notre humanitĂ©, jamais en lâĂ©liminant, toujours en lâattirant : vraiment, en la dilatant. Câest pourquoi il nous « faut » accepter de changer : « Une foi qui ne nous bouleverse pas, souligne le pape François, est une foi qui doit ĂȘtre bouleversĂ©e60. » Ce nâest pas facile, mais câest (toujours) possible.
Lâhomme est capable de se transformer dans lâaujourdâhui de son histoire. La Vie du Christ peut faire en lui « tache dâhuile ». Se transformer nĂ©cessite bien sĂ»r de la constance. « Il faut accompagner dit le Saint-PĂšre avec misĂ©ricorde et patience les Ă©tapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour aprĂšs jour 61. » Le pape a de lâhumour avec lui-mĂȘme lorsquâil dit : « Faire des rĂ©formes Ă Rome, câest comme nettoyer le Sphinx dâĂgypte avec une brosse Ă dents 62. » Se transformer surtout par les dĂ©cisions suivies dâactes, car la conscience des enjeux ne suffit pas 63. Lâengagement effectif de la libertĂ© et de lâaction sâavĂšre incontournable.
La fĂ©conditĂ© de la rĂ©forme institutionnelle voulue par le SaintPĂšre64, effective depuis le 5 juin 2022, est subordonnĂ©e Ă la transformation des personnes qui veulent la mettre en Ćuvre : elle est relative Ă leur « rĂ©forme intĂ©rieure ». « La force dâune institution, Ă©crivait-il quatre ans auparavant, quelle quâelle soit, ne rĂ©side pas dans le fait quâelle est composĂ©e dâhommes parfaits (câest impos-
i ntroduction sible) mais dans sa volontĂ© de se purifier continuellement ; dans sa capacitĂ© Ă reconnaĂźtre humblement ses erreurs et Ă les corriger ; dans sa capacitĂ© Ă se relever de ses chutes, Ă voir la lumiĂšre de NoĂ«l provenant de la mangeoire de BethlĂ©em, qui traverse lâhistoire et arrive jusquâĂ la Parousie65. » La logique divine de transformation peut renverser la corruption spirituelle (faite de tromperie, calomnie, Ă©goĂŻsme, autorĂ©fĂ©rentialitĂ©, dâesprit de discorde doute division dâinfidĂ©litĂ©âŠ) en chemin de vie renouvelĂ©e, comme le repentir de David lâa incarnĂ© (cf. 1 Samuel 16 â 2 Samuel 12). Il a transformĂ© par sa conversion sincĂšre son triple pĂ©chĂ© (abus de pouvoir, abus de pouvoir et abus sexuels), des « dĂ©lits de dĂ©tournement » dâautoritĂ©66, en pardon divin car « le Seigneur regarde avec le cĆur » (1 Samuel 16, 7).
Pour tous les David de lâĂglise et du monde, la route de la transformation personnelle est possible, Ă la condition, comme JĂ©sus, de sâabaisser, de devenir petit : « Et cette dialectique, grand est petit : câest la tendresse de Dieu.67 » Force de renouvellement, gage dâespĂ©rance pour toute lâĂglise en raison de lâaction de lâEsprit Saint : « [Il transforme] les pĂ©chĂ©s en occasions de pardon, les chutes en occasions de renouvellement, le mal en occasion de purification et de victoire68 . »
La réforme communautaire subordonnée à la réforme personnelle
Trois niveaux de « rĂ©forme intĂ©rieure » des personnes sont particuliĂšrement visĂ©s par les douze critĂšres prĂ©sentĂ©s dans la Constitution apostolique Proclamez lâĂvangile pour ĂȘtre un bon serviteur de Dieu et de lâĂglise en ce monde. Ce qui est valable pour la petite Ăglise quâest la Curie romaine, lâest aussi pour toute lâĂglise, pour tout homme vivant en collectivitĂ©.
RĂ©former dâabord le domaine spirituel
« La Curie romaine ne contribue Ă la communion de lâĂglise avec le Seigneur quâen cultivant la relation de tous ses membres avec le Christ JĂ©sus, en se dĂ©pensant avec une ardeur intĂ©rieure en faveur des desseins de Dieu et des dons que lâEsprit Saint donne Ă son Ăglise, et en Ćuvrant pour la vocation de tous les baptisĂ©s Ă la saintetĂ©. » Viennent ensuite les critĂšres de compĂ©tence des membres de la Curie : « IntĂ©gritĂ© personnelle et professionnalisme : par la vie spirituelle, la bonne expĂ©rience pastorale, la sobriĂ©tĂ© de la vie et lâamour pour les pauvres, lâesprit de communion et de service, la compĂ©tence dans les matiĂšres qui leur sont confiĂ©es, la capacitĂ© de discernement des signes des temps69. »
Une réforme intérieure finalisée par la compassion et la fraternité
« La rĂ©forme de la Curie romaine sera rĂ©elle et possible si elle jaillit dâune rĂ©forme intĂ©rieure par laquelle nous faisons nĂŽtre le âparadigme de la spiritualitĂ© du Concileâ, exprimĂ© par âlâhistoire ancienne du Bon Samaritainâ, de cet homme qui dĂ©vie sa route pour sâapprocher dâun homme Ă moitiĂ© mort qui nâappartient pas Ă son peuple et quâil ne connaĂźt mĂȘme pas. Il sâagit dâune spiritualitĂ© qui prend sa source dans lâamour de Dieu qui nous a aimĂ©s le premier, alors que nous sommes encore pauvres et pĂ©cheurs, et qui nous rappelle que notre devoir est de servir nos frĂšres et sĆurs comme le Christ, surtout dans les plus grands besoins, et que le visage du Christ soit reconnu dans le visage de tout ĂȘtre humain, en particulier de lâhomme et de la femme qui souffrent (cf. Matthieu 25, 40)70. »
Une rĂ©forme intĂ©rieure qui doit permettre lâacquisition dâun discernement « authentique »
« Il doit ĂȘtre donc clair que la rĂ©forme nâest pas une fin en soi, mais un moyen de donner un tĂ©moignage chrĂ©tien fort ; favoriser une Ă©vangĂ©lisation plus efficace ; promouvoir un esprit ĆcumĂ©nique plus fĂ©cond ; encourager un dialogue plus constructif avec tous.
La rĂ©forme, vivement souhaitĂ©e par la majoritĂ© des cardinaux dans le cadre des CongrĂ©gations gĂ©nĂ©rales avant le conclave, devra encore parfaire lâidentitĂ© de la Curie romaine elle-mĂȘme, Ă savoir dâassister le Successeur de Pierre dans lâexercice de sa charge pastorale pour le bien et le service de lâĂglise universelle et des Ăglises particuliĂšres.
Exercice par lequel lâunitĂ© de la foi et la communion du peuple de Dieu sont renforcĂ©es et la mission propre de lâĂglise, dans le monde, promue. Certes, atteindre un tel objectif nâest pas facile : cela demande du temps, de la dĂ©termination, et surtout la collaboration de chacun. Mais pour y parvenir, nous devons nous confier Ă lâEsprit Saint, qui est le vĂ©ritable guide de lâĂglise, en priant pour le don dâun discernement authentique71. »
Tous ces critĂšres de rĂ©forme intĂ©rieure, quâils soient spirituels ou visant lâintĂ©gritĂ©, la compĂ©tence, la compassion, le discernement authentique, concernent en fait tout homme, chrĂ©tien ou non. Ils sont au fondement de chaque transformation personnelle. Le pape, en sâadressant Ă la Curie, sâadresse Ă tous les chrĂ©tiens, finalement Ă lâhumanitĂ© entiĂšre.
Son public cible est⊠le monde entier !
Ă nous dây aller maintenant !
Puisons Ă la pensĂ©e du Saint-PĂšre, soucieux « dâaccompagner les processus de croissance72 », la force dâavancer et les antidotes aux scandales. Ainsi nous Ă©viterons le syndrome du kayak qui veut remonter le courant mais qui, en sâarrĂȘtant, de pagayer ne cesse de reculer ! PersĂ©vĂ©rant, arrivĂ© Ă la source, il pourra par un autre cĂŽtĂ©, sur la bonne riviĂšre, avancer paisiblement au fil du courant de la Vie. Face aux scandales, que lâesprit du monde ne centre plus notre attention sur la honte, la culpabilitĂ©, le doute ou le dĂ©couragement !
Que lâEsprit Saint renouvelle plutĂŽt notre dĂ©sir dâaller de lâavant. La source de la joie, câest de savoir que Dieu est toujours de notre cĂŽtĂ©.
Centrons-nous sur le dynamisme de croissance des personnes, que nous comprenons comme un parcours Ă vivre de transformation humaine parce que spirituelle et relationnelle, en suivant lâanalyse du pape François sur les causes profondes des scandales et des dysfonctionnements dans lâĂglise. Un parcours intĂ©gral73 portĂ© par un processus de croissance Ă vivre pour tous : car qui nâa pas envie dâavancer, dâĂȘtre vraiment libre ?
Nous discernons cette dynamique de croissance personnelle dans les premiers messages que le Saint-PĂšre adresse au personnel de la Curie romaine (2014-2016)74. Enrichissons-nous de sa mĂ©ditation sur les BĂ©atitudes et de lâesprit rĂ©formateur des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola75. ConsidĂ©rons avec confiance, au-delĂ des Ă©preuves, et en suivant la pensĂ©e du pape François, les quatre Ă©tapes de la transformation personnelle, dans la premiĂšre partie, avant de prĂ©ciser les conditions spirituelles de ce processus de croissance, dans la deuxiĂšme partie. Pour Ă©viter de rĂ©duire ce parcours de transformation humaine Ă des recettes psychologiques, il nous faudra enraciner spirituellement, thĂ©ologiquement aussi, le langage pastoral du pape François76. La clĂ© dâinterprĂ©tation de sa pensĂ©e est de comprendre que le Christ est le formateur intĂ©rieur, de notre condition humaine. Il nous rend toujours « plus humain77 ».
Ce parcours de croissance intĂ©grale conjoint la pensĂ©e, lâĂȘtre, lâagir et la relation. Il cherche Ă unifier la personne. Une personne unifiĂ©e est⊠unifiante. Il ne sâattarde pas sur le volet institutionnel de la rĂ©forme. Il sâintĂ©resse avant tout au comment de lâhumanisme intĂ©gral que propose le Saint-PĂšre. Le Christ en est le « germe » (Zacharie 8, 3). La transformation de la personne, « lâessor de lâhomme » (Gaudium et Spes, 25) est au fondement de toute vie chrĂ©tienne, humaine, sociale, renouvelĂ©es, car elle est « son centre et son sommet » (Gaudium et Spes, 12). « Lâhomme par son action se perfectionne luimĂȘme » (Gaudium et Spes, 35). Par les processus de croissance
suggérés et la qualité de nos actes, mettons-nous en route pour vivre une dynamique de perfectionnement78.
Pour aller concrĂštement de lâavant, chaque section proposera :
 un « texte à méditer » ;
 un « processus de croissance » Ă mettre en Ćuvre, celui-ci, par des questions, aidera Ă regarder sa vie en face et Ă rechoisir dâaller de lâavant ;
 des rubriques « aller de lâavant enâŠÂ », comme des stimuli, donneront des repĂšres pour intĂ©grer lâenvie dâavancer.
Le Saint-PĂšre indique une bonne direction. Ne nous laissons pas aller. Allons plutĂŽt de lâavant, traçant notre chemin, comme JĂ©sus face Ă lâadversitĂ© des habitants de Nazareth qui voulaient le tuer : « Mais lui, passant au milieu dâeux, allait son chemin » (Luc 4, 30).
Il faut simplement aller de lâavant
« Ne pleure pas sur ce que tu as perdu, lutte pour ce que tu as.
Ne pleure pas sur celui qui est mort, lutte pour celui qui est vivant.
Ne pleure pas sur qui tâa abandonnĂ©, lutte pour celui qui est avec toi.
Ne pleure pas sur celui qui te hait, lutte pour celui qui tâaime.
Ne pleure pas sur ton passé, lutte pour ton présent.
Ne pleure pas sur ta souffrance, lutte pour ton bonheur.
Avec toutes les choses qui nous arrivent, nous apprenons que tout problĂšme a sa solution, il faut simplement aller de lâavant. »
Pape François, 26 mars 2015
âą Est-ce que je crois que ma vie peut ĂȘtre transformĂ©e ?
âą Mes crises personnelles me replient-elles sur moi-mĂȘme ou sont-elles lâoccasion de mâouvrir un chemin nouveau Ă vivre ?
⹠Quelle crise en particulier ?
⹠Quel domaine devrais-je regarder davantage en vérité ?
âą Suis-je prĂȘt Ă me faire aider ?
⹠Quel est le talent que Dieu a déposé en moi ?
⹠Dieu est-il le moteur de ma volonté de changer ?
âą Je choisis de lutter pour ce qui peut me faire avancer aujourdâhui. Dans quel domaine ?
âą Quelle nouveautĂ© sâouvre devant moi ?
Ă lâintime de son ĂȘtre et de son agir, la personne participe Ă lâappel du Bonheur. Pas un petit bonheur fugace et qui passe, mais un grand Bonheur qui attire Ă vivre une plĂ©nitude de vie, une complĂ©tude. Ce Bonheur infini, appelĂ© BĂ©atitude, est inscrit dans le cĆur humain. Câest dans la relation Ă Dieu, BĂ©atitude en luimĂȘme, que se rĂ©alise cette promesse. DĂ©jĂ -lĂ mais pas-encore, atteindre cette plĂ©nitude de Bonheur implique que chaque personne pose des actes « alignĂ©s », pleinement humains, qui correspondent Ă cet appel (voir infra) : des actes bons (Cf. Somme ThĂ©ologique, Ia-IIae, q. 1-5).
Aller de lâavant⊠pour toujours croĂźtre
Les personnes Ă©tant en constante genĂšse dâelles-mĂȘmes, elles ont, souligne Maurice Blondel, « à subir une croissance » (LâĂtre et les ĂȘtres, 1935, p. 204) par la qualitĂ© des relations avec autrui qui les invite à « se dĂ©passer » (p. 286). Lâhomme ne se suffit pas Ă lui-mĂȘme, « il faut quâil agisse pour les autres, avec les autres, par les autres » (LâAction, 1893, p. 229). Blondel siffle la fin de lâindividualisme, en nous encourageant Ă nous attacher « ailleurs quâen nous » (p. 230). LâaltĂ©ritĂ© est constitutive de lâidentitĂ©, la personnification devenant rĂ©elle par lâouverture Ă un « soi-mĂȘme comme un autre » (RicĆur, 1990) portĂ©e Ă la dynamique du don sincĂšre de soi pour les autres (cf. Constitution apostolique Gaudium et Spes, 24, 3). (Cf. « La personnification intĂ©grale. »)
Aller de lâavant⊠en reconnaissant ses limites
Non pour sâarrĂȘter devant un mur, mais pour dĂ©passer les obstacles, les transformer. Une dynamique de dĂ©passement chrĂ©tienne Ă trois temps qui permet dâaller toujours de lâavant.
1. « Ăduquer », pour reconnaĂźtre son incohĂ©rence fondamentale, Ă savoir lâĂ©cart entre ce que je fais (les comportements, les attitudes, les sentiments et les motivations) et ce que je crois (les valeurs, mon idĂ©al).
2. « Former », en dĂ©posant lâincohĂ©rence fondamentale reconnue et mon impuissance Ă changer, au pied de la Croix de JĂ©sus, vĂ©ritable Arbre de vie.
3. « Accompagner », le changement Ă partir des grĂąces reçues de Dieu pour quâelles rĂ©forment les motivations, les sentiments, les attitudes et les comportements. Fondamentalement, accueillir petit Ă petit une nouvelle forme de vie, celle de fils de Dieu, Ă vivre dans le Christ, unique rĂ©dempteur du monde. (Cf. Amadeo Cencini, Ăduquer, former, accompagner ; Les Sentiments du Fils ; Discernement.)
« On débat des concepts mais on discerne le réel. »
Pape François
« Nous posons les bases de ce qui se développera. Nous mettons le levain qui multipliera nos capacités. Nous ne pouvons pas tout faire, mais commencer nous apporte un sentiment de libération. »
Cardinal John Dearden cité par le pape François
Nous discernons le sens du processus de croissance de transformation personnelle requis pour la rĂ©forme curiale, mais aussi, pour toute vie humaine et chrĂ©tienne authentique, dans un extrait du message du pape François Ă lâoccasion des vĆux de NoĂ«l Ă la Curie romaine le 22 dĂ©cembre 2016, qui prĂ©sente lâesprit des Exercices de saint Ignace de Loyola.
Reconnaßtre les déformations, puis réformer, conformer, confirmer, transformer
« En vĂ©ritĂ©, il me vient ici spontanĂ©ment Ă la mĂ©moire lâancien adage qui illustre la dynamique des Exercices spirituels de la mĂ©thode ignatienne, câest-Ă -dire : rĂ©former ce qui est dĂ©formĂ©, conformer ce qui est rĂ©formĂ©, confirmer ce qui est conformĂ© et transformer ce qui est confirmĂ©. Il est certain que, dans la Curie, le sens de la rĂ©-forme peut ĂȘtre double : avant tout la rendre conforme âĂ la Bonne Nouvelle qui doit ĂȘtre proclamĂ©e joyeusement et courageusement Ă tous, spĂ©cialement aux pauvres, aux derniers et aux marginalisĂ©sâ ; con-forme âaux signes de notre temps et Ă tout le bon que lâhomme a atteintâ, pour âmieux aller Ă la rencontre des exigences des hommes et des femmes que nous
sommes appelĂ©s Ă servirâ ; en mĂȘme temps il sâagit de rendre la Curie plus con-forme Ă sa fin, qui est celle de collaborer au ministĂšre propre du Successeur de Pierre. »
Donnons dâabord une explication rationnelle de cette citation avant de considĂ©rer ses implications spirituelles, Ă©thiques, existentielles et sociales. Le thĂ©ologien jĂ©suite Gaston Fessard79, au point de dĂ©part de la formation intellectuelle du futur pape François80, puise dans lâanalyse des quatre semaines des Exercices de saint Ignace le sens Ă donner aux mots-clĂ©s de la citation mentionnĂ©e : « RĂ©former ce qui est dĂ©formĂ©, conformer ce qui est rĂ©formĂ©, confirmer ce qui est conformĂ© et transformer ce qui est confirmĂ©. »
Il interprĂšte les quatre moments en deux phases distinctes, comme le passage de la mort Ă la vie ou du non-ĂȘtre Ă lâĂtre.
1. RĂ©former ce qui est dĂ©formĂ©. La personne prend conscience de son refus profond dâaccueillir Dieu. Elle est autosuffisante. Elle ne correspond pas Ă sa vocation. Le nonĂȘtre est reconnu.
2. Conformer ce qui est dĂ©formĂ©. La personne rejette son indĂ©pendance et choisit de vouloir ce que Dieu veut pour elle. Louer, vĂ©nĂ©rer et servir Dieu. Elle choisit de suivre le Christ. Le non-ĂȘtre est rejetĂ©.
3. Confirmer ce qui est conformĂ©. La personne suit le Christ pour renaĂźtre Ă la vraie vie et vouloir vraiment ce que Dieu veut. Le non-ĂȘtre est exclu et lâĂtre est accueilli.
4. Transformer ce qui est confirmĂ©. Ă lâĂ©coute de lâEsprit Saint, la personne est transformĂ©e par lui Ă lâimage glorieuse de lâAmour de Dieu. Elle sâenracine dans lâĂtre, dans la vraie vie.
Point dâidĂ©ologie81, de systĂšme fermĂ©, dans cette approche Ă quatre temps, car elle est finalisĂ©e par lâespĂ©rance et lâamour82. Elle invite Ă un cheminement personnel, Ă un processus de croissance,
jamais Ă une pensĂ©e en surplomb qui ne sâengagerait pas elle-mĂȘme dans la dĂ©marche spirituelle dâune rencontre entre Dieu et lâhomme. Cette relation se confronte nĂ©cessairement au mystĂšre de la Croix. Dieu y rĂ©vĂšle son Amour plus grand que nos pĂ©chĂ©s. Dieu est toujours plus grand, semper maior, que nos reprĂ©sentations mentales et en mĂȘme temps toujours plus proche de nos limites. Plus nous avançons, plus Dieu se rĂ©vĂšle encore plus grand que ce que nous en expĂ©rimentons, non sans nous unifier en lui ni sans nous remettre Ă notre place !
Le Christ donne sens Ă la vie de lâhomme en faisant le lien entre la crĂ©ation et le CrĂ©ateur par son incarnation. Il est le pont qui unit la force et la faiblesse. Le rencontrer suscite sans cesse un appel Ă plus de vie « et » Ă une mort Ă soi, Ă ses Ă©troitesses. Lâamour divin en JĂ©sus fait Ćuvre dâintĂ©gration et de rĂ©conciliation. En lui « toute contradiction est rĂ©conciliĂ©e » comme le souligne la pensĂ©e de Blaise Pascal. Ă chacun de voir la grandeur de Dieu dans ce qui est le plus petit, Ă©galement dans ses limites, sans les absolutiser, mais en les exposant au don de lâAmour rĂ©vĂ©lĂ© sur la Croix. Trouver Dieu en toute chose, tel est le cĆur de la pensĂ©e du pape François. Dieu aime toujours le premier, mais câest Ă chaque personne de faire son miel aprĂšs avoir butinĂ© aux bonnes choses quâil donne.
Le Saint-PĂšre a une approche des quatre Ă©tapes mentionnĂ©es non pas philosophique ou thĂ©ologique mais spirituelle et existentielle selon la tradition des docteurs de lâĂglise du Moyen Ăge83. Il veut rejoindre la vie des personnes simples, « des classes moyennes du salut » comme il lâa dit le lendemain de son Ă©lection, se rĂ©fĂ©rant Ă Joseph MalĂšgue84. Pas de pensĂ©e abstraite dans sa pastorale. Redisons-le, pour lui, « on dĂ©bat des concepts mais on discerne le rĂ©el85 ». Avec son bon sens qui refuse de « se laisser aller », il rejoint directement ce qui est vivant en chacun pour « aller de lâavant ». Suivant en cela saint Augustin, la transformation visĂ©e est un processus continu de formation qui engage directement la volontĂ©86 . Le pape veut donner envie dâavancer vers le bonheur rĂ©el par lâimplication personnelle dans le processus de transformation87.
Pour lui, trois critĂšres pratiques aident au discernement dâune dĂ©cision Ă prendre :
- est-ce que je « veux » vraiment ?
- est-ce que je « peux » ?
- ai-je le « carburant » (la volontĂ© pratique) pour mettre en Ćuvre ?
Quâen est-il pour nous ?
Nous exposerons dans la seconde partie les conditions spirituelles dâune transformation personnelle complĂšte en soulignant lâimportance de voir :
 dans les tensions de la vie, des alliées ;
 dans la parole de Dieu, le lieu dâune communion directe avec le Seigneur ;
 dans la présence vivante du Christ, le levier « formateur » de notre accomplissement ;
 dans lâattitude humble dâun fils de Dieu et le sens du service, la sĂšve de la transformation personnelle.
Ces quatre dimensions, tel un carrĂ© facilitant le dessin dâun rond, permettent dâapprofondir la rĂ©alitĂ© transformante que propose le pape François. Elles engagent spirituellement notre responsabilitĂ©, notre rĂ©ponse, notre action. Centrons-nous dâabord sur le processus de transformation personnelle en le situant thĂ©ologiquement.
La croissance de la personne en Dieu nâest jamais un systĂšme Ă mettre en Ćuvre. Elle nâest pas non plus une euphorie subjective Ă dĂ©ployer. LâĆuvre du salut du Christ est Ă©galement unique. Chaque ĂȘtre humain est unique Ă ses yeux. La Croix du Seigneur nâest pas un moment dialectique, mais lâArbre de vie qui fĂ©conde mystĂ©rieusement la vie du croyant. Elle permet de garder la saine distance Ă lâĂ©gard du Seigneur pour recevoir la vie toujours de lui88. La Croix dĂ©centre et transcende89. Elle garantit le face-Ă -face, avec Dieu et
avec les autres. Le Christ donne sa grĂące90 quand il le veut et comme il le veut, toujours pour celui qui la veut vraiment. « Tu trouveras le Seigneur, souligne dĂ©jĂ lâAncien Testament, si tu le cherches de tout ton cĆur et de toute ton Ăąme » (DeutĂ©ronome 4, 29). Le Christ donne envie de vivre sur un chemin singulier et libre qui rend activement responsable. Il nous empĂȘche de vivre avec les volets fermĂ©s ! Il est « la lumiĂšre du monde » (Jean 8, 12). Câest « par surprise » que le pape a fait lâexpĂ©rience de la MisĂ©ricorde durant une confession, expĂ©rience Ă la racine de sa vocation : « On mâattendait91 ». Sa vie a Ă©tĂ© la rĂ©ponse active Ă cet amour gratuit.
PrĂ©sentons maintenant les quatre Ă©tapes du processus de transformation personnelle voulu par le Saint-PĂšre pour rĂ©former, certes, la Curie romaine, mais Ă©galement en profondeur lâĂglise, afin quâelle soit au service de tous par la promotion dâun humanisme intĂ©gral, et, cette fois-ci intĂ©grĂ©. Dynamique accessible, en son commencement, Ă toute personne, croyante ou non.
Changer, câest dâabord changer les personnes, câest vouloir quâelles vivent un processus de transformation personnellement engagĂ©. La bonne action rend bon ! Faire le bien fait du bien ! Nous sommes ainsi appelĂ©s Ă bien faire le bien ! Le processus de croissance est en dĂ©finitive valable pour tous ceux qui cherchent Ă ĂȘtre vraiment libres, ce qui nâest possible ultimement quâen Dieu.
En puisant aux diffĂ©rents messages adressĂ©s Ă la Curie romaine, particuliĂšrement les messages dits ad intra car concernant les personnes elles-mĂȘmes (2014-2016), dĂ©finissons les Ă©tapes du processus de transformation personnelle selon lâesprit ignacien que promeut le pape :
 vouloir, en présence du Christ « formateur intérieur », réformer ce qui est déformé (les maladies spirituelles) ;
 conformer ce qui est réformé (par les vertus) ;
 confirmer ce qui est conformé (grùce à de nouveaux comportements) ;
 pour transformer toute personne en lâincorporant aux sentiments du Christ que sont les BĂ©atitudes.
Un processus de croissance à vivre activement !
Nous verrons ainsi successivement en reprenant le langage du pape François :
1. comment réformer les déformations que sont les « maladies spirituelles » ;
2. comment conformer ce qui est réformé grùce aux traitements par des « antibiotiques » vertueux ;
3. comment confirmer ce qui est rĂ©formĂ© par le respect dâun « code de bonne conduite »
4. comment transformer ce qui est confirmĂ© grĂące Ă la « carte dâidentitĂ© » des BĂ©atitudes.
Dans cette premiĂšre partie, nous dĂ©finissons dâabord, dans une perspective pĂ©dagogique, le « comment » du processus de transformation personnelle pour ensuite, dans une seconde partie, scruter les « racines » et le « but » de la transformation personnelle intĂ©grale. Ces deux approches rendront opĂ©rantes la mise en Ćuvre des processus de croissance souhaitĂ©s par le pape François. Pour une plus grande joie, la nĂŽtre et celle de tous, car quelquâun dâunifiĂ© est⊠unifiant !
Uni à la présence du Christ « formateur intérieur », réformer, conformer, confirmer pour transformer sa vie et devenir le frÚre de tous.
2
Conformer ce qui est réformé
Choisir le Christ
Pratique des vertus
PauvretĂ© dans lâesprit
Traverser ses tensions
1
Réformer ce qui est déformé
Maladies spirituelles : pĂ©chĂ©s, divisions, vicesâŠ. RĂ©former grĂące Ă Â : lâexpĂ©rience de la MisĂ©ricorde, la mĂ©ditation de la parole de Dieu, la connaissance du Christ, lâaccueil de lâautre
Aller de lâavant
Le Christ, forme pléniÚre de
lâexistence
4
Transformer ce qui est confirmé
Vivre les Béatitudes
Ătre le frĂšre de tous
Vie dans lâEsprit Saint
Promotion du bien commun
Sens de la communion
Fils de lâĂglise
3
Confirmer ce qui est conformé
Bonne conduite, humilitĂ©, respect dâautrui, don de soi, service dĂ©sintĂ©ressĂ©, renoncement, amour de la Croix, vivre en Christ et le suivre.
Unité différenciée et réconciliée
Synodalité
Clé d'interprétation :
Le Christ, forme plĂ©niĂšre de lâexistence, formateur intĂ©rieur, est la parole de Dieu incarnĂ©e. Il accomplit la vie humaine : « Dieu tâaime, le Christ est ton sauveur, Il est vivant et il te rend vivant par son Esprit. »
(Cf. pape François, Il vit le Christ, titres du ch. 4)
Aller de lâavant⊠en suivant sa conscience.
LâĂglise ne se substitue jamais Ă la libertĂ© de conscience des personnes. Elle reconnaĂźt le primat de la conscience, en levant dâabord « un toast Ă la conscience » avant de le lever Ă la santĂ© du pape (cf. Saint John Henry Newman). Le rĂŽle de lâĂglise est dâĂ©clairer les personnes, de former leur conscience, de lâĂ©largir, mais sans jamais dĂ©cider Ă la place des consciences personnelles. Si la personne doit « suivre » ultimement sa conscience, son premier devoir sera de « former » sa conscience. Si je suis responsable « devant » ma conscience, je suis dâabord responsable « de » ma conscience. Pas dâexcuse en lâespĂšce. Refuser de regarder le rĂ©el en face, câest se dĂ©mettre de sa responsabilité : en ne donnant pas une rĂ©ponse personnelle Ă lâappel du rĂ©el, pĂ©tri de nature, de grĂące et de relations. Seule la confrontation au rĂ©el permet de rĂ©aliser sa vie en pleine conscience. « Moi dit le Seigneur, je mâappuie sur toi » (psaume 54, 24). (Cf. Suivre sa conscience.)
2. Les douze « antibiotiques »
3.
de lâavant⊠en goĂ»tant les
de lâavant⊠en cherchant lâinterdĂ©pendance
de lâavant⊠en vivant les Ă©preuves comme une croissance
II. Les conditions spirituelles du processus de transformation personnelle
à méditer : « Chante et marche »
1. Lâart de savoir transformer les tensions en alliĂ©s
Excursus : Les quatre « tensions » du pape François pour construire le bien commun et la paix sociale
: Aider lâĂglise Ă sortir dâelle-mĂȘme
2.
4. Devenir lâhumble fils de Dieu et le serviteur du Christ 183
Schéma de synthÚse : Saint Jean-Paul II
Les quatre étapes de la construction intégrale de la personne : la loi du don ................................................................................ 190
Texte à méditer : Je suis une mission pour les autres .................................... 193
Processus de croissance ...................................................................................................... 194
Aller de lâavant⊠poussĂ© de lâintĂ©rieur 195
Aller de lâavant⊠en demandant la bĂ©nĂ©diction de Dieu .........................196
Aller de lâavant⊠en renversant sa blessure 197
Aller de lâavant⊠en se laissant attirer par le Christ ....................................
Schéma de synthÚse : Appel à la vigilance sociale : la personne dépendante des écrans .................................................................. 200
Excursus : La loi pastorale du pape François ADAI : Accueillir, Discerner, Accompagner, Intégrer
à méditer : Promouvoir une culture de la rencontre
de lâavant⊠sans soumission aux smartphones ................................
Aller de lâavant⊠en ne sĂ©parant pas le vrai, le bien et la libertĂ© 217
Aller de lâavant⊠pour se relier les uns aux autres ...................................... 217
Aller de lâavant⊠en refusant dâĂȘtre abusĂ© 218 Aller de lâavant⊠en stimulant la juste proximitĂ© .........................................