

Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste
Préface du père Francis KohnPs 123, 7
« Son âme comme une colombe s’est échappée. »
À tous ceux qui nous ont soutenus par leur prière et leur affection.
Préface
Ce livre de Dominique Reyre est le témoignage poignant d’une mère qui a perdu sa fille unique. Aurélie était mariée et avait sept enfants. Cavalière chevronnée, elle a fait une chute de cheval lors d’une promenade en forêt avec deux de ses filles. Après quelques jours dans le coma, elle quittait ce monde, à 44 ans, entourée de l’affection et de la prière de son mari Laurent, de ses enfants et de ses parents, tous animés par la foi chrétienne. Je me souviens avec émotion de sa messe de funérailles, le 11 mai 2021 ; la cathédrale de Senlis, pourtant si vaste, était comble.
Ami de longue date de Dominique et de Vincent Reyre, son époux, j’ai passé des vacances chez eux à Festes où, comme d’autres prêtres, ils m’ont accueilli généreusement à partir de la fin des années 1980, alors que j’étais curé de la paroisse de la Sainte-Trinité à Paris. J’ai connu leur fille Aurélie enfant, puis adolescente. Le 4 juillet 1998, j’étais présent à son mariage avec Laurent, un ancien chef scout de ma paroisse.
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste
Au fil des pages de ce livre plein d’espérance, Dominique retrace les jours d’angoisse vécus à la nouvelle que sa fille ne pourrait pas survivre à son accident. Son cœur de maman a été infiniment meurtri par ce « départ » inattendu. Elle a dû apprendre à se détacher de la présence physique de sa fille et découvrir un autre mode de relation avec elle. L’auteur partage ici cette expérience spirituelle singulière, celle qu’elle a faite à l’occasion de cette épreuve. Elle raconte comment elle a été confortée – réconfortée – par les signes donnés par Dieu dans les semaines qui ont précédé et suivi le décès d’Aurélie.
La mort d’un proche est toujours un choc terrible qui nous ébranle profondément. Accepter la séparation physique de celui ou de celle que nous aimons est difficile, impossible même pour certains. Confrontés à la finitude et à la fragilité de notre existence humaine, nous sommes démunis, souvent désemparés. De nombreuses questions sur le sens de la vie nous assaillent alors, surtout lorsque cette mort est soudaine et qu’elle survient en pleine jeunesse.
La mort demeure, pour tous, un grand mystère que nous ne pouvons pas appréhender avec notre seule raison. Tout au long de ces pages émouvantes transparaît la conviction profonde de l’auteure : la mort n’est pas une fin, mais un « passage », une
« pâque », l’entrée dans une nouvelle étape de la vie, une vie qui se manifeste alors autrement. Le mystère pascal n’est-il pas d’ailleurs au cœur de la vie chrétienne ? Par son incarnation, Jésus, le Fils de Dieu, a rejoint notre humanité. Il a assumé pleinement notre condition humaine, avec ses joies et ses souffrances. Il ne les a pas « éliminées », mais les a « illuminées » de sa présence. Par sa mort sur la croix et par sa Résurrection, le Christ a vaincu la mort. Il nous a ouvert la porte du Ciel et nous a donné accès à une vie nouvelle : la vie éternelle.
Dès son enfance, Aurélie avait une grande soif d’absolu, un profond désir du Ciel. Son accident est survenu durant le temps pascal. Elle a quitté ce monde quelques jours avant la fête de l’Ascension, qui fait mémoire de l’exaltation du Christ au Ciel. Dès maintenant, il nous donne d’avoir part à la vie surabondante, à la gloire qu’il partage de toute éternité avec son Père. Ce livre est un témoignage d’espérance qui manifeste la proximité du Ciel avec la terre. Il nous ouvre à la réalité du monde invisible, intimement lié au monde visible dans lequel nous vivons.
Pour beaucoup aujourd’hui, la mort est un sujet tabou. Dans les mois qui ont suivi celle de sa fille, Dominique Reyre a rencontré des personnes qui n’osaient pas en parler avec elle pour ne pas aviver
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste sa douleur. D’autres lui ont confié qu’elles n’avaient jamais pu accepter la perte d’un être proche. Dominique les a réconfortées dans leur détresse et les a aidées à surmonter leur deuil en leur partageant sa foi, de manière spontanée et personnelle.
Ces pages montrent qu’il est possible de témoigner de l’espérance qui nous habite au cœur de l’expérience douloureuse de la mort à laquelle nous sommes tous confrontés. Dans cette épreuve, comme dans toutes celles que nous traversons, Dieu est proche de nous, que nous soyons croyants ou non. Il nous console, il guérit les blessures de notre cœur et nous manifeste son Amour.
Puisse cette espérance être communiquée à tous ceux et celles qui liront ce livre.
Francis Kohnprêtre de la communauté de l’Emmanuel, chargé du dossier de béatification de son fondateur, Pierre Goursat
11 juillet 2022
Avant-propos
Chaque matin, je me réveille avec un coup de poignard dans le cœur et une question : où est Aurélie ?
Ma fille unique est morte. De tout le jour qui commence, je ne la verrai pas, je n’entendrai ni sa voix, ni ses mots tendres.
Chaque matin, des images de mort m’envahissent au réveil, mais une force intérieure me pousse à dire non. Non au désespoir et non aux regrets du passé. Je me ressaisis et j’écoute une parole qui monte en moi :
« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?
Il n’est pas ici, il est ressuscité. » (Lc 24,5-6). Je crois à cette parole. En entendant ces mots, j’ai la certitude que ma fille, elle aussi, est vivante. Oui, je crois qu’elle a pris la main du Christ ressuscité. Oui, je crois qu’il l’a conduite, avec lui, dans la Vie éternelle. Je suis devant un choix de liberté, celui-là même que dut faire Moïse lorsque Dieu lui dit : « Voici que je mets devant toi la vie
ou la mort. Choisis donc la vie pour que toi et ta descendance vous viviez » (Dt 30, 19). Et alors, dans le jour
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste naissant, je décide de choisir la vie en plénitude, celle qui ne finit pas.
Ainsi, chaque matin, j’ouvre les volets de mon existence pour laisser entrer cette lumière qui chasse les larmes et les angoisses de mort. Et je récite ce merveilleux verset du prologue de saint Jean : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1, 4). Le Christ est cette lumière. Il est vivant ! Et donc Aurélie aussi est vivante, avec lui, par lui et en lui !
Chaque matin, il me faut livrer ce combat pour la vie éternelle. C’est le combat de la foi dans le Christ. C’est lui le seul à pouvoir m’arracher aux ténèbres et à m’aider à m’emparer de la vie qui resplendit par-delà la mort. Il est le seul à me donner des armes pour livrer ce combat : sa parole vivante dans la Bible, son soutien indéfectible dans les sacrements de l’Église et des signes de sa présence et de celle d’Aurélie. Ces signes surgissent dans ma vie comme des éclats de lumière pour me signifier qu’elle est bien vivante et qu’elle est là.
Cette nouvelle vie avec ma fille est une expérience spirituelle qui demande un apprentissage lent et patient. C’est une nouvelle vie avec Dieu, lui qui éclaire le vrai sens de mon existence sur terre. Il s’agit d’une découverte progressive qui confère désormais à tout ce qui fait ma vie quotidienne une profondeur
insoupçonnée, un déploiement hors des limites du temps et de l’espace.
Pour cela, jour après jour, il me faut apprendre à lire et à relire la parole de Dieu à la lumière de la promesse de la vie éternelle. Jour après jour, il me faut m’entraîner à voir les signes, souvent humbles et modestes, surprenants et fugaces et même sidérants parfois, par lesquels le Christ m’enseigne la proximité du Ciel et du monde invisible. Enfin, il me faut demeurer dans l’amour de charité qui vient du cœur de Dieu et qui dilate mon cœur. Seul cet amour accueilli et donné peut me permettre de rester en contact avec ma fille. Une chose est sûre : plus j’accueillerai cet amour de Dieu et plus je serai capable de pressentir la réalité de la vie éternelle et de l’annoncer.
Voilà pourquoi je suis passée de l’expérience de la déchirure à celle de l’écriture. C’est d’abord pour garder mémoire des précieuses grâces reçues. C’est ensuite pour transmettre à d’autres personnes, blessées par la perte d’un être cher, un message d’espérance : rien n’est fini ni ne s’arrête avec la mort. Ceux et celles qui nous ont quittés vivent en Dieu et sont plus vivants et actifs que nous. Un an après le départ d’Aurélie, l’urgence de partager cela au monde s’est imposée à moi. C’est une nouvelle tellement immense ! Je ne pouvais me résoudre à laisser se perdre les fruits de ma souffrance
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste
et de celle de mes proches. Après l’avoir acceptée et offerte à la Croix du Christ, il m’a semblé que, grâce au témoignage, je pouvais humblement rendre gloire à Dieu.
Ce livre est le récit de cette aventure magnifique. Puisse sa lecture faire grandir notre foi dans le Christ ressuscité et notre amour pour lui. Un jour, il viendra nous chercher, à notre tour, pour nous conduire au Ciel.
Prologue
L’envol de la colombe
Dans un lourd claquement d’ailes vient se poser une forme blanche, juste devant moi, sur l’herbe verte. Je reconnais l’une de mes colombes.
– Mais que fais-tu là, Iona, loin de ta cage ? Comment t’es-tu échappée ? Que viens-tu faire ici ?
Je plonge en avant pour la cueillir, petit cœur affolé qui bat tiède dans ma main. Clic ! Mon époux a saisi cet instant improbable.
Il a aussitôt envoyé la photo à notre fille Aurélie qui répond par message : « Allez, ma ravissante Iona ! Oh Maman ! Laisse-lui la liberté, qu’elle s’envole vers le ciel, qu’elle aille rejoindre les anges et les chérubins aux ailes tournoyantes ! »
Cela me touche qu’Aurélie ait intuitivement relié le surgissement de la colombe avec un départ vers le Ciel. Nous sommes le 24 avril, et cela fait
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste exactement trois ans que l’âme de mon cher papa s’est envolée. Je sens ma fille très proche de moi, malgré le fait que nous ne nous voyons que très rarement, deux fois par an, quelques jours à Noël et en été. Mais souvent, elle m’appelle au téléphone le matin vers neuf heures, et nous parlons à cœur ouvert de nos petites vies.
C’est ainsi que deux jours plus tard, au matin du lundi 26 avril, j’exprime mon émotion à notre fille :
– C’est merveilleux, ma chérie, que tu aies pensé au départ de ton grand-père en voyant la photo de la colombe.
– Mais oui, ma petite maman, c’est exactement cela, une âme qui prend son élan et qui s’élance vers le Ciel… Ah le Ciel, comme cela doit être bien ! Comme j’aimerais y aller !
– Ah non, ma chérie, tu n’as pas le droit de parler comme ça. Tu as sept enfants, ta place est ici, sur cette terre, auprès d’eux !
Puis, nous parlons de mon futur anniversaire. Elle tient absolument à être auprès de moi pour fêter mes soixante-dix ans. Je refuse : elle ne peut pas quitter ses enfants en période d’examens.
Mais elle insiste :
– Oh, tu sais, maman, il faudra bien qu’ils apprennent à se passer de moi.
C’est la dernière phrase qu’Aurélie me dit sur cette terre. C’est aussi la dernière fois que je suis appelée par le merveilleux nom de « maman ». Mais, à ce moment-là, je l’ignore.
La chute
Au soir de ce même 26 avril, vers 22 heures, le téléphone sonne. C’est un appel de notre gendre, Laurent :
– Aurélie a fait une chute de cheval. C’est grave. Elle est à l’hôpital, son pronostic vital est engagé. Je vous tiens au courant.
Je suis sous le choc, anéantie. Je comprends soudain que la vie de ma fille, ma fille unique avec laquelle j’avais conversé quelques heures plus tôt, est entre les mains de Dieu. Je me souviens alors d’une parole de la Bible qui m’avait beaucoup touchée, quelques jours auparavant : « Qui d’entre vous peut, en se faisant du souci, ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? » (Mt 6, 27).
Une fois de plus, j’éprouve la fragilité de nos vies humaines. En me rendant au pied du tabernacle, je cherche un réconfort. Il est là, dans l’Eucharistie, tout près de moi, et je sais qu’il m’entend. Alors, je le supplie de protéger Aurélie. J’imagine notre fille souffrant sur
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste un brancard, dans le couloir d’un service d’urgence. Cela m’est intolérable. J’implore Jésus afin qu’elle soit accueillie dans une structure pour y être soignée.
Sa réponse ne se fait pas attendre. J’apprends par mon gendre que les médecins vont tenter une opération, la nuit même. Il faut agir vite car le choc ayant causé l’hémorragie cérébrale a été très violent.
Ô Jésus, tu es vraiment à mes côtés et tu as entendu ma prière.
Je remercie le Seigneur de prendre les choses en main. J’ai confiance : il parlera à mon cœur et me guidera dans les heures qui viennent.
Je me laisse bercer de sa présence et j’ouvre tout simplement ma bible. Des versets s’offrent à moi.
Dieu me parle par le prophète Osée, chargé d’annoncer au peuple hébreu qu’après l’épreuve viendra le temps de la guérison et du retour à la vie avec Dieu :
« Venez, retournons vers le Seigneur ! Il a blessé, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il nous soignera. Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour, alors, nous vivrons devant sa face » (Os 6, 1-3). J’écarte de moi l’erreur d’une interprétation littérale. Cela consisterait à croire que Dieu a voulu le
drame de la chute et de la blessure d’Aurélie… Dieu est absolument innocent du mal, car « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mc 12, 27).
Je repousse aussi la tentation trop facile d’appliquer cette parole d’une manière magique, comme si elle annonçait une guérison sous trois jours : mardi, mercredi, jeudi… Je crois que Dieu peut guérir Aurélie, s’il le veut, quand il le veut et comme il le veut. Cependant, j’envisage surtout le sens spirituel de cette parole : l’annonce des trois jours du passage par la mort et la résurrection. Bien sûr, j’espère secrètement que l’opération va réussir. Je m’accroche à une autre parole qui monte de mon cœur et me rassure:
« Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir des êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent » (Sg 1, 13-14). Je garde précieusement toutes ces paroles lues dans la Bible, car je sais qu’elles me soutiendront dans l’épreuve et me montreront le chemin vers la Vie.
Le mardi matin, le deuxième jour, je prends un avion pour Paris et je retrouve mon gendre et mes sept petits-enfants. Dans une prière fervente, chacun d’eux demande à Dieu, avec ses propres mots en fonction de son âge, la guérison d’Aurélie. Je suis impressionnée
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste par leur foi et leur Espérance. Je me dis que ma fille et mon gendre leur ont transmis l’essentiel. C’est magnifique ! Tous ensemble, nous suivons les nouvelles, heure par heure. Le mercredi, une deuxième opération a lieu, nécessaire car le sang de l’hémorragie initiale empêche une bonne circulation dans le cerveau. Nous demandons un miracle. Cette opération semble avoir réussi.
Je n’ose y croire et je préfère m’en remettre à la liberté souveraine de Dieu. Il ne fait pas des miracles tous les jours ! Je me joins à la supplication de tous devant le Saint Sacrement. Mais, en réalité, ma demande à Dieu concerne la suite. Si Dieu n’accorde pas la guérison à Aurélie, comment va-t-on expliquer cela aux enfants ?
À ce stade et devant des prières suppliantes qui se font de plus en plus pressantes, je n’ai plus qu’une seule chose à faire : nous confier tous à la miséricorde de Dieu, comme don du Cœur de son Fils Jésus dans notre misère. Nous n’avons pas d’ordres à donner à Dieu, mais seulement à lui accorder notre confiance inconditionnelle.
Quoi qu’il arrive, Seigneur, que les enfants gardent leur foi en un Dieu d’Amour.
Le troisième jour, le jeudi 29 avril, nous nous rendons à l’hôpital. Les nouvelles sont mauvaises, la pression augmente et le sang circule mal dans les artères d’Aurélie. On ne me permet pas de voir ma fille. En allant prier dans la chapelle, je demande à l’aumônier d’exposer le Saint Sacrement. J’ai besoin d’être la plus proche possible de Dieu. Jésus est là, présent dans l’hostie, magnifiquement fidèle dans mon épreuve et il m’accompagne. Je le sais, je le sens. C’est ce qu’il a promis à ses disciples et il tient toujours sa promesse : « Ceci est mon corps » (Mt 26, 26) et : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Je repense avec tendresse à un message qu’Aurélie m’avait envoyé un mois plus tôt de Paris : « Maman, je sors de la chapelle de la Médaille miraculeuse, je suis confiante car j’ai tout donné à Marie, je suis dans la main du Seigneur, donc je ne crains rien. »
À ce moment-là, je comprends que, par grâce, ma fille a été préparée par Dieu à la grande rencontre et qu’elle est en train d’accomplir sa montée vers lui.
N’est-ce pas en cela que réside la miséricorde ? Non pas dans le fait d’exaucer nos pauvres prières, mais dans sa Providence qui fait tout concourir à notre bien en temps voulu ? Je me sens protégée du doute
Ouı˙, la vı˙e éternelle exı˙ste par une parole de Dieu qui monte en moi : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8, 28). Je m’accroche à cette parole comme à un rocher solide au milieu d’un océan déchaîné.
