

Les Fils de lumière
À Camille, Simon et Jade,
Aux lecteurs de tous âges qui sont venus rejoindre Nacklas, Caroline et Frédéric, et notamment Marco.
La mission des Messagers de l’Alliance commence, elle nous concerne tous !
TROISVOYAGESMYSTÉRIEUX
Après les émotions que nous avions ramenées du passé, Claire et Marc, nos parents, n’avaient aucune envie de nous voir repartir, Caroline et moi, pour un voyage à travers l’espace et le temps.
Pourtant, il y avait du nouveau. Nataël était revenu me visiter.
« À titre tout à fait exceptionnel ! » avait-il précisé. Les nouvelles étaient alarmantes : depuis notre départ, la situation avait basculé à Jérusalem et le pire pouvait arriver. Il fallait repartir.
Pour être franc, ça m’a surpris quand j’ai entendu dans mon sommeil le minuscule « cli-cli-cli ! » annonciateur de mon ange gardien. N’avait-il pas déclaré que sa mission sur Terre s’achevait parce que nous allions voir « plus grand que le Temple » ? C’était juste avant l’affaire Barabbas, avant que nous ne rencontrions le rabbi de Nazareth sur les bords du lac de Génésareth. Jésus luimême, d’ailleurs, ne nous avait-il pas investis pleinement dans notre mission ? Dans ces conditions, de quoi pouvait-il s’agir à
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présent ? Le son cristallin n’avait pas eu le temps de s’éteindre, que je sautai de mon lit : — Qu’est-ce qu’il y a ? ! Chut ! fit Nataël en agitant la main pour me faire taire. Tu vas réveiller tout le monde ! Laisse-moi parler.
Les yeux encombrés de sommeil, je m’assis au bord de mon lit. J’étais prêt à tout. Car ses visites, je le savais d’expérience, n’étaient jamaisÉcoute-moi,fortuites. fit-il avec un geste bref de la main. J’ai très peu de temps. Mais, « Là-Haut » (comme d’habitude il pointa son index vers le ciel en prononçant ce mot), on estime que vous devez retourner une dernière fois à Jérusalem. Il s’y passe des choses de la plus haute importance, dont vous devez être témoins. Chacun de vous devra donc effectuer un voyage initiatique. Ensuite, vous reviendrez ici définitivement. Et alors seulement vous serez en mesure de mettre en œuvre la mission à laquelle vous avez été invi tés et dont vous avez été jugés dignes. Va prévenir ta sœur et votre ami Frédéric, et préparez-vous à partir.
Partir ! Il en avait de bonnes, Nataël. Nous ne pouvions pas quitter les parents comme ça, au beau milieu de la nuit, sans rien dire. Et Frédéric ? Serait-il en mesure de venir sur le champ ? Bon, admit-il, je reconnais que c’est un peu précipité. Mais encore une fois, je te le dis, les choses vont très vite, à Jérusalem. Disons que je t’accorde au maximum… voyons… une journée. Ça va ? Ça va, mais Frédéric ? Je n’aurai peut-être pas le temps… Je m’en charge, fit-il en m’interrompant d’un ton sec.
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Mon ange gardien se rembrunit et fronça les sourcils, l’air soucieux.—Explique-moi ce qui se passe, Nataël. J’ai quand même le droit d’être surpris, non ? Quand nous avons quitté Jérusalem, tout le monde était dans la joie. Je revois encore tous ces gens qui entouraient Pierre et le pressaient de questions. On ne pouvait pas rêver mieux !
Ah, tu penses à ceux qui voulaient être baptisés ! Mais les autres ? Tu ne les as pas remarqués, les autres ? — Quels autres, Nataël ? Ceux qui ont fait crucifier Jésus, voyons ! Réfléchis un peu ! Ils n’ont pas désarmé, eux. Nataël fronça de nouveau les sourcils. Et nous, que devrons-nous faire ? Vous devrez ouvrir les yeux et les oreilles. Ce qui est en train de se passer là-bas est déterminant pour l’avenir de l’Église et pour votre mission. Durant ces voyages initiatiques, surtout ouvrez bien vos yeux et vos oreilles. C’est indispensable pour votre formation. D’ores et déjà, je peux t’annoncer que les Douze et leurs amis sont en danger.Comment a-t-on pu en arriver là ? m’étonnai-je. Nataël me regarda et se borna à murmurer cette phrase qui ne répondait pas directement à ma question :
Sache qu’avec les hommes, rien ne sera jamais simple !
Après un soupir, il ajouta : J’en ai assez dit. Avec tous les événements que vous venez de vivre et les trois rencontres qui vous attendent, Caroline, Frédéric
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et toi, vous en saurez suffisamment pour décider par vous-mêmes comment agir et organiser votre mission.
— Je voudrais savoir… Ces voyages initiatiques… c’est dangereux
Tout?ce
qui est grand est dangereux, Nacklas. Il vous appartiendra d’être vigilants. Moi, je veillerai, mais de loin. Une fois vos voyages achevés, nous ferons un dernier point ensemble. Ensuite, ce sera à vous d’agir. C’est vous, les Messagers de l’Alliance !
Comme à regret, Nataël se leva, m’adressa un étrange sourire, et son image disparut lentement, comme si elle se fondait dans une très légère brume, me laissant seul avec cette interrogation : quelles aventures nous attendaient à présent ?
Trois petits coups frappés à la porte me tirèrent de mes réflexions. Caroline s’introduisit dans ma chambre sans faire plus de bruit.
Que se passe-t-il ? souffla-t-elle à mi-voix. Je t’ai entendu parler, ça m’a Pourtantréveillée.onn’apas parlé bien fort.
Peut-être. Mais je n’arrive pas à dormir. J’ai comme un pressentiment.Assieds-toi, je vais t’expliquer.
Contrairement à moi, Caroline ne sembla pas s’étonner des propos de Nataël.
— Nous avons une mission. Nous l’avons acceptée, non ? fitelle en fixant un horizon imaginaire.
Oui, nous l’avons acceptée.
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Dans ce cas, pas de problème. Quand on a une mission, on y vaAh,! cette Caro ! Rien ne la surprend. Elle a une sacrée trempe ! Oui, tu as raison, on y va ! Elle m’avait redonné du tonus, et je me sentais capable à présent de courir tous les dangers du monde avec elle et notre inséparable Fred.J’ignore
si Caroline parvint à se rendormir. Pour ma part, plus je me retournais sous ma couette, plus l’inquiétude m’assaillait. Parce qu’à bien y réfléchir Nataël n’avait pas été très clair. Et cette phrase : « Avec vous, les hommes, rien ne sera jamais simple ! » Qu’est-ce que cela pouvait bien laisser augurer ? Évidemment, je venais enfin de trouver le sommeil quand les aiguilles de mon réveil déclenchèrent une sonnerie détestable. Elle me poursuivit, de son timbre odieux, jusqu’au fond du lit où je tentai vainement de me réfugier. Cette machine infernale, Claire l’avait commandée à mon inventeur de père et s’était fait une joie de me l’offrir pour mon dernier anniversaire, m’accusant d’être incapable de me lever normalement. J’eus beau me boucher les oreilles, la sonnerie réussit à s’infiltrer dans mon crâne. Seule chose à faire pour abréger cette torture : bondir du lit et appliquer à cette invention paternelle une claque destinée à lui clouer le Aussitôtbec.levé, les propos de Nataël me revinrent en mémoire, ainsi que la tirade de ma sœur : « Quand on a une mission, on y va. »
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Comme il fallait s’y attendre, nos parents réagirent très mal à l’annonce de notre départ.
— Pas question, protesta ma mère. Dis quelque chose, toi ! ajoutat-elle en se tournant vers Marc.
Oui, interdiction formelle, décréta mon père. Et cette fois, je serai ferme !
Ça, c’est tout lui ! Et croyez-moi, je le connais bien. Quand il se lance dans de grandes déclarations du style de celle-ci, il suffit de se faire tout petit, de sourire un peu et d’attendre qu’il se calme… Ce qui se produit habituellement assez vite ! Ensuite, il raisonne. Et là, avec un peu d’astuce, c’est le moment de prendre la Alors,main…fis-je,l’air désespéré, notre mission va échouer.
Comme Nataël quelques heures plus tôt, Marc fronça les sourcils.
Et pourquoi ça, s’il te plaît ? Tout simplement parce que tu t’opposes à…
Je faillis dire « Dieu » et me contentai de lever le doigt, à l’image de mon ange gardien, pour l’évoquer sans dire son nom. Peut-être, peut-être, maugréa Marc, apparemment gêné. Mais enfin, « Là-Haut », comme tu dis, on peut bien admettre nos réticences de parents, non ? Parce que, si j’ai bien compris, ça devient de plus en plus dangereux, vos déplacements.
Je me bornai à fermer les yeux et à adopter l’attitude résignée de celui qui obéit et n’en pense pas moins. Ça marche très souvent. La preuve : Marc s’approcha de moi et posa fermement sa main sur mon épaule. Il affirme souvent qu’une bonne pression de la main vaut mieux que des propos qui n’en finissent plus.
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Et… elle doit durer combien de temps, cette expédition ? voulut-il savoir.
Ça y est, je le sentais, c’était gagné !
Furieuse de voir son mari céder – car la question de Marc mon trait bien qu’il allait accepter et qu’il cherchait des arguments pour justifier son accord –, Claire mit ses poings sur les hanches, s’apprêtant à prendre les choses en main. Entre nous, elle adore jouer les chefs de famille, et je crois que cela amuse beaucoup notre père. Mais cette fois-ci, elle n’en eut pas le temps.
Redoutant un veto de ma mère, Nataël, depuis le quartier où se tiennent les anges gardiens, prit les devants. Le courant d’air froid, auquel nous nous étions habitués après tous nos allers et retours entre le présent et le passé, se mit à tourner autour de nous, nous enrobant d’une sorte de brume sous les yeux ahuris de nos parents qui assistaient, horrifiés, à notre disparition. Claire la première, aussitôt suivie par Marc, bondit pour nous retenir :
— Caroline ! Nacklas ! Restez !
Trop tard, le transfert venait de commencer.
RETOUR À JÉRUSALEM
À Jérusalem, la population était divisée en deux.
D’un côté, il y avait les religieux, grands prêtres, pharisiens, sad ducéens et autres. Vindicatifs à l’extrême, ils ne supportaient pas d’entendre parler du « Rabbi de Nazareth », comme ils disaient, cet homme qui avait eu l’audace d’appeler Dieu « son Père ». Ils considéraient cela comme un blasphème épouvantable, et prétendaient que ses disciples avaient volé son corps pour faire croire à sa résurrection.Del’autrecôté, ceux qui avaient épousé le chemin annoncé par Jésus. Ils s’étaient regroupés en une vaste communauté que depuis quelque temps on appelait « l’Église ».
En arrivant, le choc fut rude pour nous. D’autant que, dès le premier jour, nous fîmes une rencontre qui nous glaça le sang.
Tout aussi fulgurante et mystérieuse que d’habitude, notre traversée de l’espace et du temps s’acheva au Temple de Jérusalem, sur les marches du portique de Salomon, à une heure de grande affluence, près de l’endroit où Jésus avait l’habitude de se tenir
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pour dispenser son enseignement. Notre arrivée aurait pu se faire dans la plus grande discrétion… C’était sans compter sur la présence d’une femme curieusement vêtue, sans doute une Juive venue de quelque pays d’Orient, qui poussa un cri horrifié en nous voyant surgir du néant et nous matérialiser sous ses yeux.
Qu’est-ce qui te prend ? Tais-toi ! la gronda son mari. On va te prendre pour qui, à hurler comme ça ?
Mais je t’assure, là, il n’y avait personne et maintenant… Eh bien quoi, maintenant ?
— Là ! là ! bégaya-t-elle en nous montrant du doigt.
Ne faites pas attention, expliqua le mari aux fidèles du Temple qui la dévisageaient avec curiosité. On vient de loin… une longue route… elle est fatiguée, c’est tout.
Compréhensifs, les pèlerins, qui eux-mêmes venaient peut-être de lointaines régions, hochèrent la tête et, après avoir échangé quelques propos de circonstance avec le mari, s’éloignèrent. Plus personne ne nous prêta attention. Nous avions eu chaud !
Brusquement, Frédéric, qui venait à peine de reprendre ses esprits, fronça les sourcils et nous fit signe de regarder un groupe de pharisiens qui traversait le parvis et avançait dans notre direction.Plongés dans une discussion animée, ils étaient une douzaine, vêtus de longs manteaux bleus. Ils gesticulaient tout en tenant des proposSoudain,menaçants.jetressaillis en repérant parmi eux un petit homme au visage chafouin. Aucun doute, c’était lui qui s’en était pris à
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Yohanân sur les bords du Jourdain, puis à Jésus au moment de son entrée à Jérusalem. Le sauvage ! Mais ce n’était pas tout. Dans ce groupe figurait également un homme plus âgé que les autres, qui marchait péniblement, accroché au bras d’un plus jeune. Lui aussi, je le reconnus. Il s’agissait du vieillard acariâtre que nous avions entendu se réjouir du sort réservé au Rabbi de Nazareth. Cela s’était passé au cours de cette nuit terrible que je n’oublierai jamais, durant laquelle Jésus fut l’objet d’un simulacre de procès. J’eus l’impression de le revoir pénétrer le jardin de Caïphe en traînant la jambe. Sa remarque cinglante me revint à l’oreille : « Alors ça y est, ils l’ont eu ? Ce n’est pas trop tôt ! » Je sentis la colère monter en moi. Je sortis de la colonnade, prêt à lui crier des horreurs, mais Caroline, qui s’en était rendu compte, me tira aussitôt par le bras pour me ramener prudemment dans l’ombre.
Tout à leur discussion, le verbe enfiévré et le geste vif, les pharisiens passèrent près de nous sans nous prêter attention. Au moment où ils nous dépassaient, le petit sournois lança d’une voix suraiguë
On: a réglé son compte à ce Rabbi de malheur, maintenant on ne va pas laisser sa bande de disciples incultes embobiner le peuple avec cette histoire de résurrection. Il faut agir. Et vite ! — Fais confiance au Tarsiote, lui répondit un de ses pairs. Il va les réduire au silence, lui. En voilà un qui n’y va pas par quatre chemins.
Comme ils marchaient vite, on ne put entendre le reste de la conversation. Mais celui qui venait de parler se retourna et un frisson me saisit aussitôt.
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Caro ! Fred ! Regardez ! Là ! L’homme au regard de braise !
Pas de doute, c’était bien lui. En un éclair, je revis les multiples occasions qui m’avaient été données de le rencontrer, depuis sa tenue d’homme à l’imperméable gris, en faction sous ma fenêtre, jusqu’à son intervention criminelle auprès de Judas pour le pousser à trahir Jésus. Nous avait-il aperçus ? Ce n’était pas certain, car il n’avait marqué aucune réaction. Mais, avec Diabolos, je savais qu’il fallait rester sur ses gardes. Caroline posa sa main sur mon bras, inquiète, et Frédéric recula instinctivement.
Je n’en revenais pas. Ce monstre de Diabolos était donc de toutes les conspirations ! Après la résurrection de Jésus et la venue de l’Esprit qui avait tellement stupéfait la foule, il allait maintenant tout tenter pour reprendre la main. C’était évident. Nataël avait raison, la partie n’allait pas être facile. J’en eus froid dans le dos. Ne restons pas là, recommanda Caroline, ça peut devenir dangereux.Elleavait raison. Que s’était-il passé durant notre absence ? Qui était ce Tarsiote dont avait parlé l’homme au regard brûlant ? Sûrement pas quelqu’un de recommandable, vu ce qu’en avait dit Diabolos. Où fallait-il aller ? Caro suggéra que nous nous rendions chez Déborah. Si on ne la trouvait pas, on aviserait. Nous partîmes donc à la hâte, en longeant par l’arrière le portique de Salomon puis le portique royal pour éviter de nous faire remarquer. Mieux valait se montrer discret. L’avertissement de Nataël résonnait d’ailleurs encore à mon oreille : « Les Douze et leurs amis sont en danger. » Nous étions des amis des Douze, cela nous concernait donc également.
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Après tout un entrelacs de ruelles, nous arrivâmes chez Déborah. Elle faillit s’évanouir en nous voyant ! Elle lâcha le linge qu’elle s’apprêtait à faire sécher sur un muret chauffé par le soleil, releva le bas de sa jupe pour mieux courir et se précipita vers nous.
Mais où étiez-vous passés ? fit-elle en sanglotant à moitié. Ça fait des jours qu’on vous cherche ! Après tout ce qu’on a connu ici… Votre absence, c’était… J’étais folle ! J’ai même cru…
Elle n’acheva pas sa phrase et passa une main sur ses yeux pour en chasser les larmes qui montaient au fur et à mesure qu’elle parlait. Incapable de poursuivre, elle nous poussa vers sa minuscule maison, ouvrit fébrilement la porte et nous fit entrer.
Tenez, réussit-elle à dire après avoir saisi une cruche et rempli d’eau trois coupes d’argile, buvez. Avec cette chaleur, vous devez mourir de soif.
Déborah nous obligea à nous asseoir sur le vieux banc qui s’efforçait de tenir encore debout en dépit des vers qui le ron geaient depuis des lustres. Elle tira de l’ombre un tabouret dont l’un des pieds menaçait ruine lui aussi, l’installa en face de nous et s’assit à son tour. Elle voulait dire quelque chose, mais elle n’osait pas. L’expression de son visage alternait la joie et la tristesse.
Votre absence, finit-elle par demander d’une voix timide, c’est… c’était pour votre mission ?
Sa question ne nous surprit qu’à moitié. Déborah était au cou rant, nous lui avions parlé de la mission dès notre première rencontre et elle était restée d’une discrétion parfaite. Nous pouvions lui faireOui,confiance.Déborah, c’était pour ça.
Les Fils de lumiere
Ah ! j’aime autant ça.
Par trois fois elle se leva. La première, pour remplir de nouveau nos coupes de cette eau qu’elle avait le secret de garder fraîche malgré la chaleur, la deuxième, pour couper des petits citrons verts et nous les donner, affirmant que c’était tout plein d’énergie, la troisième, pour faire quelques pas à l’extérieur de la maison.
Hé ! expliqua-t-elle, c’est qu’il faut faire attention, à présent. Les prêtres et les pharisiens ont juré notre perte.
Justement, fit Caroline. On arrive du Temple. Les pharisiens sont plutôt remontés contre les Douze.
Et particulièrement contre Pierre, souligna Déborah, depuis qu’il fait des miracles. Ils l’ont même fait arrêter avec son frère, parce qu’il venait de guérir un infirme de naissance.
Quoi ? s’écria Frédéric. Comment peut-on arrêter quelqu’un qui guérit un infirme ? C’est fou !
C’est peut-être fou, répliqua Déborah, mais c’est pourtant ce qui est arrivé.
Et notre vieille amie nous raconta l’événement qui avait remué tout Jérusalem.
À LA BELLE PORTE
— Oui, commença Déborah, le premier miracle de Pierre faillit tourner à la catastrophe.
Mais pourquoi ? s’empressa de questionner Frédéric, avec sa manie de vouloir tout savoir en même temps.
Fred, arrête ! Laisse parler Déborah.
Merci, Nacklas. Figurez-vous que, ce jour-là, c’était à mon tour de participer au nettoyage du Cénacle.
—
Pourquoi ? l’interrogea Frédéric.
Fred ! cria Caroline. Si tu recommences, on te met dehors, vuFrédéric?
se renfrogna et laissa Déborah poursuivre son récit.
Oui. Je disais que ce jour-là je participais au nettoyage du Cénacle. Le soir, Pierre procède à la fraction du pain, comme Jésus a demandé de le faire en mémoire de lui. Ensuite, tout le monde prend le repas et reste pour la nuit. Alors le matin, à tour de rôle, on nettoie et on range.
Les Fils de lumiere
Déborah poursuivit ses explications en nous apprenant qu’un nombre important de pèlerins étrangers – surtout des Grecs – venus prier au Temple se laissaient séduire par les enseignements de Pierre et venaient partager le repas de midi et même celui du soir.
Vous comprenez, précisa-t-elle, la plupart d’entre eux ne pensaient pas rester si longtemps. Ils n’ont plus d’argent. Alors on les nourrit… Mais revenons à la guérison de l’infirme. Ce jour-là, une fois mon service terminé, je filai pour retrouver nos amis. En arrivant au Temple, je ne pensais pas trouver autant de monde devant le portique de Salomon, vous savez, celui où se tenait Jésus pourNousenseigner.hochâmes la tête en signe d’acquiescement.
Ç’a été difficile de s’approcher. Malheureusement, quand j’y suis arrivée, Pierre et son frère ne s’y trouvaient plus. Il n’y avait que des gens en train de commenter ce qu’ils avaient entendu.
« Vous cherchez Pierre et Jean ? m’a demandé une femme en voyant ma déception. Ils viennent juste de partir. Par là, précisa-telle en indiquant la direction du Temple. Si vous vous dépêchez, vous pourrez peut-être les rejoindre à la cour des femmes. » Déborah reprit son souffle avant de poursuivre.
Vous pensez si je me suis dépêchée. J’ai couru aussi vite que j’ai pu jusqu’à la Belle Porte. Là, j’ai dû m’arrêter. C’était noir de monde ! Rien que des gens qui portaient des colombes ou des brebis à remettre aux prêtres pour un sacrifice. J’ai réussi à me faufiler à travers un attroupement qui bloquait l’entrée de la cour et qui regardait quelque chose. Bien que je n’aime pas ça, j’ai joué des coudes pour avancer. Et là, qu’est-ce que j’ai vu ? Pierre
Les Fils de lumiere
et Jean, en pleine discussion avec un infirme assis à même le sol. Quand je me suis approchée, Pierre était en train de lui dire « Regarde-moi ! Je ne possède ni or ni argent, mon ami. Mais ce que j’ai, je vais te le donner. Au Nom du Messie, Jésus de Nazareth, lève-toi et marche ! »
Émue par ses souvenirs, Déborah se tut un instant. Aucun de nous trois n’osa interrompre son silence. Pas même Frédéric que l’on devinait pourtant au comble de l’impatience.
Vous voulez savoir ce qui s’est passé ?
— Oui, oui, Déborah, continue, fit Frédéric en tremblant. Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
La foule devait pressentir quelque chose d’exceptionnel. Plus personne ne poussait pour avancer. Plus personne ne parlait non plus. Alors, dans un silence total, l’infirme a saisi la main que lui tendait Pierre. Je crois qu’il a brusquement senti dans ses jambes une force qu’il n’avait jamais éprouvée jusque-là. On l’a vu inspi rer profondément, se concentrer, et il a commencé à se redresser, toujours soutenu par Pierre. Il était stupéfait et hilare. Une fois debout, il a lâché la main de Pierre, étendu les bras à droite et à gauche, médusé par ce qui lui arrivait, et s’est mis tout doucement à tourner sur lui-même, incrédule, comme si ce qu’il vivait ne le concernait pas. Il croyait peut-être qu’il s’agissait d’un rêve comme il avait dû en faire, sa vie durant, à espérer la fin de son infirmité.
Et les gens, Déborah, comment ont-ils réagi, les gens qui ont vu ça ?Ah
! Les gens ! Ils le contemplaient, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, presque aussi incrédules que lui devant ce miracle
Les Fils de lumiere
stupéfiant. Constatant qu’il tenait toujours debout, l’infirme a tourné de plus en plus vite sur lui-même, jusqu’à perdre l’équilibre.
— Il est tombé ? demanda Frédéric qui avait mille autres questions à poser en même temps.
Oui, mais heureusement des hommes près de lui l’ont retenu. Autrement, il aurait pu se faire mal. Je peux vous assurer que, dans la cour des Femmes comme sur le parvis des Gentils, tout le monde n’avait d’yeux que pour cet homme infirme – enfin, ancien infirme – qui marchait en face des Juifs émerveillés, et s’époumonait à remercier Dieu, à promettre à Pierre sa reconnaissance éternelle. Vous pouvez me croire, la foule était ébahie. Il y avait même un vieux grand-père qui rabâchait les poings sur les hanches : « Je n’arrive pas à y croire ! Ça fait des années que je le connais. Je l’ai toujours vu, là, à demander une pièce. Je rêve, ma parole ! » Le miraculé lui a répondu qu’il ne rêvait pas, que c’était bien lui, l’infirme de naissance. Il a ajouté : « Comment a-t-il fait pour me guérir ? » Le grand-père lui a répondu, en désignant Pierre : « Ça, c’est à lui qu’il faut le demander. »
Eh bien, tout est parfait, déclara Frédéric. Je ne vois pas pourquoi le miracle a failli mal tourner ?
Je n’avais rien dit, mais je comprenais la remarque de Fred. Pierre avait guéri un infirme, la foule se réjouissait, tout allait bien.
Attendez, rétorqua Déborah. Pierre est retourné sous le portique de Salomon, parce qu’on ne pouvait plus bouger, à la Belle Porte. Il y avait trop de monde. Pensez ! Tous les gens approchaient depuis le parvis des Gentils pour voir le miraculé. Vous savez, les bruits courent vite, au Temple. L’attroupement
Les Fils de lumiere
s’est donc déplacé pour aller vers le portique. Là, Pierre a expliqué que le miracle ne venait pas de lui ou de Jean, qu’ils n’avaient aucun pouvoir surnaturel ou quoi que ce soit de ce genre, mais qu’il avait guéri cet homme au Nom de Jésus que les Juifs ont condamné à mort et qui est ressuscité. Les gens, je peux vous assurer que ça les a remués, quand ils ont entendu Pierre leur dire : « Vous avez exigé que Pilate libère ce fou furieux de Barabbas et qu’il cloue Jésus sur une croix. » À la Belle Porte, on n’entendait pratiquement plus un bruit. À part les quelques reniflements de ceux qui retenaient leur émotion. Ils devaient se sentir coupables, si vous voulez mon avis. Pierre les a longuement regardés, ensuite il a déclaré : « Eh bien, sachez-le, Jésus est en effet mort sur la croix, mais il est revenu du royaume des morts. Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins. Alors, vous tous qui êtes les enfants du Seigneur, repentez-vous de vos fautes. Le Seigneur fera venir des temps meilleurs. »
— Ça aussi, c’est bien, dit Frédéric. Il ne risquait rien, Pierre, après ce miracle. Personne ne pouvait se retourner contre lui. Détrompe-toi. Tu oublies les prêtres. Tu crois que ça leur plaisait, ça ? Ils étaient furieux, oui ! Déborah nous apprit alors que des sadducéens qui se trouvaient à proximité du portique de Salomon, ulcérés par ce qui venait de se passer, avaient appelé la police du Temple, et que les gardes étaient venus arrêter Pierre et Jean.
C’est impensable ! ne pus-je m’empêcher de déclarer. Frédéric a raison. C’est inadmissible. Pierre a vraiment fait un miracle. Ils n’avaient pas le droit de l’arrêter.
Les Fils de lumiere
Devant ma fureur, et malgré la gravité de la situation, Déborah éclata de rire.
— C’est ton opinion, Nacklas. Mais permets-moi de te dire que, ton opinion, les gens du Temple s’en moquent.
Elle avait raison. Mais tout de même ! Arrêter un homme qui venait de faire un tel miracle, c’était une injustice incroyable ! Déborah nous raconta ensuite comment les gardes avaient mis Pierre et Jean en prison, mais les avaient fait relâcher le lendemain par crainte des réactions de la foule.
— Les prêtres leur ont ordonné de ne plus jamais parler de Jésus, ajouta-t-elle, scandalisée.
Ils ont accepté ? interrogea Caroline, sidérée.
Bien sûr que non ! Et même, ils en parlent de plus belle. La foule est passionnée.
I.
II.
TABLE DES MATIÈRES
XXII.
XXIII.
XXIV.
XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
XXIX.
XXX.
XXXI.
XXXII.
XXXIII.
XXXIV.
XXXV.
XXXVI.
XXXVII.
XXXVIII.
XXXIX.
XLI.
XLII.
XLIII.
XLIV.
XLV.
XLVI.
XLVII.
XLVIII.
XLIX. Les douze dans la montagne
L. Lettres aux Corinthiens et aux Galates....................................250
LI. L’émeute d’Éphèse......................................................................253
LII. Nataël dresse le bilan.................................................................260
LIII. La mission commence
Lettre confidentielle de la part de Nacklas, pour toi qui viens d’achever la lecture de ce livre.
