Le jardin des merveilles

À mes trois merveilles : Rita, Juliette et Joachim. Vous avez en vous le ciel et la terre.

« J’ai contemplé dès mon enfance de grandes merveilles que ma langue ne pourrait exprimer si l’Esprit de Dieu ne m’avait enseigné à le croire. »

Sainte Hildegarde de Bingen, lettre à Bernard de Clairvaux

« Ainsi, l’homme est la clôture des merveilles de Dieu. »

Sainte Hildegarde de Bingen, Livre des œuvres divines

Le jardin des simples

« Tout ce qui va et vient, tout ce qui vit sera votre nourriture ; comme je vous avais donné l’herbe verte, je vous donne tout cela. » Gn 9,

Derrière la maison d’Oma, il y a un jardin. Et ce jardin est le coin préféré de sa petite-fille Richardis. Celleci passe des heures entières à le désherber, et à nommer les plantes qui parsèment les carrés de terre bien délimités. Ici, la sauge et la valériane ; là, le thym et la mélisse.

Oma appelle ses herbes des « simples » ; c’est le nom que l’on donnait autrefois aux plantes médicinales. Ce sont des herbes qui soignent.

En hiver, Richardis aime déterrer le fenouil, et faire de minuscules bouquets de violettes au printemps. En été, elle se repose à l’ombre du grand peuplier, et regarde les nuages passer dans le ciel comme des vagues. Blottie contre l’arbre, la petite fille se demande quelle est sa place dans l’univers. Richardis voudrait que la Terre en tière soit aussi ordonnée et parfumée que le jardin de sa grand-mère. Lorsque la petite fille arrache le chiendent qui

envahit le jardin, elle imagine qu’elle élimine la maladie dont elle souffre depuis des années. Si seulement la mala die et la pollution étaient aussi faciles à extraire du monde que les mauvaises herbes des parterres de gentianes.

Dans sa cuisine, Oma suspend les bouquets de Richardis au plafond pour les faire sécher. Et sous ce ciel de fleurs odorantes, la petite grand-mère fabrique des bis cuits de la joie, du baume de violette et de l’élixir de scolopendre.Toutesces

recettes, Oma les réalise selon les prin cipes de sainte Hildegarde de Bingen.

Maman dit qu’Hildegarde est une docteur de l’Église. Elle a dû soigner beaucoup de croyants, affirme Richardis en croquant un biscuit de la joie.

Oma éclate de rire :

Richa… Le titre de docteur de l’Église n’a rien à voir avec la médecine. Sainte Hildegarde a été proclamée docteur de l’Église non pour ses compétences de « super médecin », mais parce qu’elle nous a donné une vision de Dieu et de l’homme qui continue de nous éclairer aujourd’hui.Ah bon ? Je croyais qu’Hildegarde était une gué risseuse qui aimait la botanique et la musique.

Hildegarde était bien plus qu’une guérisseuse ! C’était un génie universel, une des plus grandes écrivaines du Moyen Âge, et la plus grande compositrice du xiie siècle. Elle a écrit des livres, des poèmes, un opéra, des centaines de lettres et composé soixante-dix chants. Elle écrivait en latin, mais inventait des mots nouveaux, elle a même composé une langue imaginaire dont personne n’a réussi à percer les secrets. Elle a soigné les malades, accueilli les pauvres, bâti des monastères, enseigné, et entrepris de longs voyages. À soixante-douze ans, elle montait encore à cheval ! C’était aussi une grande prophétesse !

Une C’estprophétesse ?unepersonne inspirée par Dieu, et qui nous révèle les mystères de l’univers. Hildegarde a écrit trois livres sur les visions qu’elle a reçues de Dieu. Des ouvrages pleinsEnluminures ?d’enluminures.C’est quoi, une enluminure ?

C’est une peinture faite à la main et qui orne un manuscrit ancien. J’ai quelques reproductions des enlu minures d’Hildegarde de Bingen dans la bibliothèque.

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À peine Oma a-t-elle précisé l’emplacement des illustrations, que Richardis monte en courant l’escalier menant à la bibliothèque.

La forêt bibliothèque

Toute chair est comme l’herbe, toute sa gloire, comme l’herbe en fleur ; l’herbe se dessèche et la fleur tombe. »

«

L a bibliothèque d’Oma est un lieu presque aussi magique que son jardin. Il s’y passe des choses vraiment merveilleuses. Souvent, après le déjeuner, Richa choisit un gros livre relié de cuir parmi les grimoires, et se passionne pour l’histoire qu’il recèle. Lorsqu’elle referme le volume enchanté, c’est déjà le soir… comme si le livre avait aspiré le temps.

Et puis, il y a les plantes en pot qui veillent sur la bibliothèque, et s’accrochent aux rideaux.

Chaque jour, les végétaux prennent de plus en plus d’espace. S’ils continuent à croître, la bibliothèque va devenir une extension du jardin, une « forêt bibliothèque », pense Richardis.

Sur les étagères en bois, Oma range aussi des her biers et des livres de recettes. Aux murs, la petite grandmère a encadré des dessins de fleurs rares et une prière d’Hildegarde que Richardis aime lire quand ça ne va pas.

« Ô feu de l’Esprit Saint, toute créature te loue, vie de toute chose, baume très précieux qui transfigure nos blessures béantes et souillées en pierres précieuses ! »

En farfouillant dans les tiroirs du bureau, Richardis trouve une grande pochette verte qu’elle s’empresse d’ou vrir. Enfin, elle tombe sur le trésor qu’elle cherchait : les enluminures d’Hildegarde !

La petite fille étale les peintures sur le plancher de la bibliothèque en poussant des cris d’admiration. Les reproductions sont si pleines de lumière et de vie !

Richa examine longuement une enluminure qui re présente Hildegarde. La sainte se tient devant un pupitre,

un stylet à la main. Un feu se déverse sur son crâne, un feu qui aurait la douceur et la senteur de l’huile. Richar dis le sent, ce n’est pas un feu qui détruit, c’est un feu qui éclaire et apaise. Un feu qui invite. Richardis voudrait tellement rencontrer Hildegarde et lui poser toutes les questions qui lui brûlent les lèvres. Elle tend la main, et voilà que ses doigts passent à travers la peinture. Comme si la feuille de papier était un voile d’eau tiède.

Intriguée, et fascinée, la petite fille y plonge un pied. Celui-ci traverse le plancher. Alors l’enfant prend une grande inspiration, et saute à pieds joints dans l’enluminure.