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Les aventures rocambolesques et pleines de tendresse d’une famille pas comme les autres qui, à la veille des grandes vacances, sauve une élève en détresse, prépare à bride abattue la kermesse de l’école, y participe avec entrain et assiste à l’arrivée d’un gros lot hors du commun. Paul Beaupère a passé son enfance à élever
des cochons d’Inde et des lapins. Plus doué pour parler aux chats ou aux enfants qu’aux adultes, c’est un illustrateur hors pair de vaches volantes et un fournisseur officiel d’approximations orthographiques.
Dans la même collection :
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Chapitre 1
Un début tq puri ecsoqmumence e la fin ’es quand c
Où l’on se dit que la vie est belle, où tout à coup le tableau s’assombrit, où la réalité qui se croit cruelle est en fait la bienvenue, où pour certains la fin de l’année risque bien d’être la fin du monde mais où l’on imagine des solutions pour empêcher le Titanic de couler. Il fait beau, il fait chaud, le ciel est bleu, la mer est turquoise et une immense plage de sable s’étale à perte de vue. Juste à côté de moi, une tortue nage tranquillement. Oubliant les parents qui dévorent des glaces aussi grosses que la pyramide de Khéops et plus couvertes de chantilly que le mont Blanc l’est de neige en hiver, je m’accroche à la tortue et plonge avec 5
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elle pour slalomer entre les coraux et les poissons multicolores. Désormais je le sais, j’en suis sûre, le paradis existe : j’y suis. Autour de moi, des méduses font une ronde de corolles qui s’agitent, se déploient, ondulent et dansent dans le plus gracieux des ballets. Un hippocampe se dandine devant moi et une pieuvre me salue de ses huit bras. Soudain, une ombre passe, le soleil se cache. En une fraction de seconde, les couleurs disparaissent, les poissons s’enfuient et se réfugient dans les trous des rochers. D’un coup de nageoire, mon amie la tortue se dégage et file, me laissant seule avec cette menace qui plane au-dessus de moi. Je lève la tête. Il est là, énorme… Un requin blanc ! Sa gueule est grande ouverte, ses milliers de dents plus aiguisées les unes que les autres sont prêtes à me découper en morceaux ! Moi qui n’aime pas la viande crue, je vais finir en tartare de Brune dans le ventre de ce monstre. J’ai beau nager de toutes mes forces, mouliner des jambes plus vite qu’un hamster fou dans sa cage et remuer les bras comme un oiseau-mouche au décollage, rien n’y fait, je reste clouée sur place. Je sens déjà le monstre s’approcher de moi par-derrière. Je me retourne pour regarder la mort en face et lui dire ce que je pense de ses manières et, surprise ! je me rends compte que cette horrible 6
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bête a la tête de… ma prof de maths ! Avec un peu de chance, juste avant de me croquer, elle va me demander de résoudre un problème de robinet qui fuit ou de train en retard ! Les maths ne m’épargneront pas, même dans la mort ! Et soudain, crac ! la grande gueule pleine de dents se referme sur moi… C’est la fin ! Adieu, moi ! Au revoir, Brune ! – Brune ? Brune ? Brune, tu es avec nous ? – … – Brune, réveille-toi, le cours n’est pas fini ! J’ouvre les yeux et, horreur, la bête est devant moi… Ma prof de maths. – Je sais que la fin d’année approche, qu’il fait beau, que tu as chaud, mais ce n’est pas une raison pour dormir pendant mon cours ! Allez, on reprend l’exercice. Un train transporte une baignoire qui fuit d’un décilitre par quart d’heure. Il part à six heures moins six de Troyes en direction de Sète, il avance à cinquante kilomètres à l’heure sur la moitié des cinq cent quarante-cinq kilomètres et à trente-trois sur le reste du trajet. Combien de temps met le train pour arriver à destination ? Y a-t-il encore de l’eau dans la baignoire à la fin ? On sait qu’au départ, la baignoire est remplie aux trois cinquièmes de ses huit cent trente-sept litres et demi. Alors ? Qui a la réponse ? 7
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Bien sûr, c’est Tom qui a la réponse. De toute façon, Tom a tout ! Les bonnes réponses et les bonnes notes qui vont avec, la tête d’un acteur et la popularité qui l’accompagne, et une maison avec piscine avec plein de copains pour se baigner dedans. Quand il traverse la classe, même les mouches s’arrêtent de voler et le regardent en soupirant. Depuis une semaine il fait beau, pas juste beau comme au printemps, non, beau comme en été, vraiment beau. Alors tout le monde a la tête en vacances, même la prof de maths qui, de temps en temps, oublie un peu les trains et nous fait calculer la distance entre la plage et la piscine, ou le nombre de glaces que l’on peut déguster à douze devant un match de foot qui aurait trois mi-temps, chacune égale à la moitié du temps réglementaire d’un match de basket. La prof de français nous fait conjuguer « se baigner » au futur, « travailler » au passé simple, et elle regarde par la fenêtre les yeux dans le vide. On voit bien que, s’il existait, elle conjuguerait au présent le verbe « vacancer ». En biologie, on étudie le soleil, en anglais, on chante et on apprend à dire « voyage, train, avion, vacances, piscine » et un tas de mots indispensables pour survivre l’été.
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– Et dans un peu plus d’un mois… vacances ! dit Nico en rangeant son cartable. Plus de devoirs, plus de profs, grasses matinées, plage, cousins. La vraie vie, quoi ! – Des heures à lire des romans ! soupire Adèle avec un sourire argenté, éclatant de ses bagues toutes neuves. – Ouaip, des bandes dessinées, du vélo et des goûters qui durent des heures ! Le truc, c’est qu’il faut tenir encore six semaines alors qu’on s’y croit déjà, soupire Élie. Depuis le retour des vacances de Pâques, avec ces trois-là, on est inséparables. « Vous êtes comme les quatre doigts de la main ! » nous a dit le prof de sport, qui doit avoir des lacunes en anatomie ou des problèmes en maths. – J’ai l’impression que tout le monde ne partage pas notre joie, me dit Adèle en me donnant un discret coup de coude. Dans la classe presque déserte, en plus de nous, il ne reste que Pénélope. Elle est encore assise et regarde sa copie de maths avec l’air d’un pingouin perdu dans le Sahara. – Ça ne va pas ? lui demande Nico. Tu as un problème ? – Non… non, ça va… répond Pénélope. Ça va… Puis elle éclate en sanglots et s’effondre sur son bureau, noyant de larmes sa copie et la transformant en un océan bleu d’encre où surnagent deux chiffres rouges : 2 sur 20 !
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– Non, en fait ça ne va pas, mais pas du tout ! Je ne comprends rien, je suis nulle, je ne réussis rien, je n’ai que des mauvaises notes, et si ça ne s’améliore pas d’ici la fin de l’année, je quitterai l’école. Je suis médiocre ! Alors les vacances qui arrivent, pour moi c’est exactement comme d’aller jusqu’au poteau d’exécution. Le 30 juin… je meurs ! Les derniers mots de sa phrase se perdent dans un énorme sanglot qui engloutit d’un coup le 2 rouge. – C’est pas grave, oubliez-moi ! Enfournant ses affaires à toute vitesse dans son sac, Pénélope se lève et disparaît dans un dernier reniflement désespéré. Un instant, nous restons sans voix, immobiles. Ce n’est pas facile de voir autant de tristesse quand on est si heureux. – Vous saviez, vous, qu’elle avait de si mauvaises notes ? demande Nico. – Ouais, j’avais deviné que c’était pas la fête du 20 sur 20 tous les jours… Chuis à côté d’elle en français ! Mais j’avais pas compris que c’était à ce point-là, dit Adèle. – Elle est sympa, Péné. Ça fait de la peine de la voir comme ça, complète Élie. – Vous croyez qu’on pourrait l’aider ? j’ajoute. – L’aider ? L’aider à quoi ?
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– Bah, toi Adèle, pendant le cours de français, tu pourrais lui expliquer des trucs ! Nico, t’es fort en maths ? Ben si ! Ne dis pas le contraire, t’es bon en maths et en anglais. Alors tu pourrais l’aider dans ces matières-là. Moi je prends la biolo et la géo ; toi, Élie, tu la soutiens en histoire, et le tour est joué ! En rentrant à la maison, j’essaye d’imaginer comment on va pouvoir sauver Pénélope de la noyade, éviter que le Titanic rencontre l’iceberg, faire en sorte que notre copine de classe soit toujours là l’année prochaine. Quand j’arrive, je n’ai pas trouvé de solutions, mais j’ai déjà quelques pistes.
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Chapitre 2
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Où je me présente, où je vous explique deux ou trois petites choses, où ceux qui me connaissent déjà se demandent s’ils vont apprendre des trucs nouveaux et où les autres commencent à comprendre ce qu’ils n’avaient pas bien saisi au premier chapitre, où l’on se dit que c’est bien agréable de se retrouver. Pour ceux que je n’aurais jamais croisés, ou ceux qui n’auraient jamais eu la chance de lire un des tomes précédents des aventures de la famille Saint-Arthur, il convient peut-être que je me présente et que je présente aussi rapidement les membres de la famille. 12
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Alors, même si je sais que ce n’est pas très poli de commencer par soi : en premier, il y a moi ! Moi qui vous raconte l’histoire, moi que vous allez suivre pendant toutes ces pages, moi que vous connaissez pour certains depuis bien longtemps, et moi, c’est Brune ! Je suis en sixième et, c’est décidé, maintenant je suis une grande ! Chez moi, il y a papa et maman (Nicolas et Juliette), plus de trente ans, pas encore quarante mais presque, pas encore vieux mais déjà des cheveux blancs. Vous voyez le style. Papa écrit des livres, il reste à la maison et tente de gérer une partie de notre vie quotidienne. Heureusement pour lui et pour nous, il y a maman qui, même si elle travaille toute la journée dans une banque, est toujours là quand on a besoin d’elle. Après moi, il y a Alexandre. Le plus souvent on dit seulement « Alex », pour aller plus vite, et justement, avec lui tout va très vite ! Il rêve de passer en CM2 et d’être grand, mais pour l’instant, je le dépasse d’au moins une tête. Ensuite il y a Charlotte, elle est en CE1, on pourrait croire qu’elle est encore petite, mais il faut se méfier. Souvent, elle réfléchit et parle comme une grande, même si elle rêve de rester petite. Puis arrivent les jumeaux, Aude et Basile, ils ont un an et demi et, s’ils ne parlent pas vraiment, ils font quand même pas mal de bruit et prennent beaucoup de place. À la maison, on peut aussi croiser un chat pas toujours malin qui 13
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s’appelle Vivaldi, un cochon d’Inde presque sourd qui se nomme Mozart, une voisine un peu spéciale, madame Henriette, des cousins, nos grands-parents Guy et Huberte, qui sont les parents de papa, et papy, le papa de maman qui nous écrit souvent des lettres, et avec lui il faut s’attendre à tout ! Ça y est, vous êtes prêts ? Alors en route, quelque chose me dit que vous n’allez pas tarder à croiser ce petit monde. C’est parti !
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Chapitre 3
ciel, il fait chaud C’est offi
Où l’on se dit que c’est drôlement bien quand il fait chaud, mais où l’on constate que la chaleur provoque des choses curieuses et qu’il n’y a pas que les cocottesminute qui risquent d’exploser quand elles ont trop chaud ; où l’on comprend qu’un pyjama peut vous sauver la vie. – N’oubliez pas que demain soir il y a la réunion de préparation pour la kermesse de l’école, nous dit maman au dîner. Je vous rejoins là-bas avec papa. – C’est vrai que c’est vous les chefs ? demande Charlotte. C’est ma copine Léa qui me l’a dit. Même que ses parents, ils 15
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pensent que vous êtes fous et que jamais ils ne feront ça, car c’est un boulot de dingue et que, de toute façon, les gens sont jamais contents et qu’à la fin, si vous n’êtes pas morts de fatigue, vous serez dévorés par des parents hargneux, des professeurs furieux et des élèves en colère ! C’est vrai, tout ça ? – Bien sûr, répond papa. D’ailleurs, il faut que l’on vous dise : avec maman, on a fait notre testament et on accepte ce sacrifice avec bonheur ! – C’est quoi un testatruc ? demande Charlotte. – C’est un papier qui décide qui prend quoi après la mort des parents, dit Alex. Moi, je veux bien la collection de bandes dessinées et le canapé du salon. Mais je refuse de garder le chat et je vous laisse tous les livres sans images qui sont dans la bibliothèque. – Moi je m’occupe de Mozart et Vivaldi ! En tout cas, les parents, vous devez savoir qu’on va drôlement vous regretter ! Enfin, pas tout… Par exemple, le gratin de brocolis, on ne regrettera pas. Quand papa chante fort et faux… – On ne regrettera pas ! dit Alex en complétant ma phrase. – Les sorties culturelles dans des musées tout pleins de poussière et de vieux trucs pourris…
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– On ne regrettera pas ! Les visites chez vos copains pas drôles qui ont des enfants idiots… – On ne regrettera pas ! Les soirs où vous nous obligez à nous coucher super tôt alors que le monde appartient à ceux qui se couchent tard… – On ne regrettera pas ! Les habits ringards, style chemises, alors que tous les copains mettent des tee-shirts, les chaussures qui se cirent quand plus personne n’en porte… – On ne regrettera pas ! Et les… – Stop ! Arrêtez, c’est pas drôle ! dit Charlotte qui se jette dans les bras de maman, en larmes. Moi je ne veux pas qu’ils meurent, je ne veux pas les BD ou le chat, je veux garder les parents ! Stop, vous arrêtez de dire des horreurs ! – Chérie, ce n’était pas méchant, lui dit maman, c’était pour rire. Et rassure-toi, personne n’est jamais mort d’avoir organisé une tombola ou une pêche à la ligne. Ton père et moi, nous allons nous en tirer. On a survécu à cinq enfants, on doit pouvoir résister à presque tout. – T’inquiète, chérie, ajoute papa. De toute façon, après ma mort, c’est à toi que j’ai décidé de donner mes bandes dessinées ! – C’est vrai ? dit alors Charlotte toute joyeuse. – Bien sûr ! 17
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– Prémamort, prémamort, prémamort ! hurlent Aude et Basile en riant aux éclats. En voilà au moins deux qui ne sont pas trop angoissés par la kermesse de l’école ou par l’héritage des parents. Le soir dans mon lit, j’ai du mal à m’endormir, il fait chaud, très chaud, trop chaud ? Je me tourne dans un sens, dans l’autre, je me lève pour boire, je me recouche, je déloge le chat qui s’est installé à ma place, je ne dors pas. J’entends papa et maman qui prennent une tisane dans le jardin et discutent de la réunion de demain. Je ne comprends pas ce qu’ils disent, mais j’aime le ronronnement de leurs voix qui me bercent. – Eh, tu roupilles ? La tête d’Alex vient d’apparaître par la fenêtre de ma chambre, bientôt suivie par tout le reste de son corps. Il me fait tellement peur, cet idiot, que je hurle et me cogne contre ma tête de lit. – Mais t’es complètement fou ! Tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? Tu risques de tomber et de te tuer, ou pire, de te blesser… – Oh, ça va, je ne suis plus un bébé ! Et ne crie pas comme ça, les parents sont juste en dessous ! En ce moment, « je ne suis plus un bébé » est la phrase préférée de mon frère. Il la case à tout bout de champ. Si on 18
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lui demande de vider le lave-vaisselle : il n’est plus un bébé. Si on le prie de se coiffer le matin : il n’est plus un bébé. Si on lui dit qu’il pourrait peut-être être aimable : il n’est plus un bébé. Même quand on lui dit bonjour, il répond qu’il n’est plus un bébé… – Alex, tu dégages, tu retournes dans ta chambre ! Je dors ! – Oh, ça va, monte pas sur tes grands chevaux, princesse ! C’est même pas vrai que tu dors. Et puis d’abord, je te signale que je ne suis plus un bébé ! Je suis presque en CM2. Ce qui veut dire que je suis presque en sixième, ce qui signifie que j’arrive quasi au lycée, donc que je vais bientôt commencer mes études supérieures et, tel que tu me vois, tu peux considérer que tu as devant toi un adulte en pleine possession de ses moyens ! Donc j’ai bien le droit de marcher dans la gouttière ! Voilà, et toc ! – Dégage, sors d’ici ! T’es un débile mineur, immature et dangereux ! Va te coucher ou j’appelle les parents ! – Je fais ce que je veux, d’abord ! T’as pas d’ordres à me donner ! Et puisque c’est comme ça, je m’en vais comme un prince ! Je m’en vais comme je suis venu, digne et droit. – Mais t’es dingue ! Mais il est taré. La porte ! Tu passes par la porte, pas par la fenêtre… C’est à ce moment-là que les choses dérapent. 19
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Bien décidé à rejoindre sa chambre par le chemin qu’il a emprunté à l’aller, Alex passe un pied par la fenêtre. D’un bond, je me jette sur lui en hurlant pour l’en empêcher. Mais, emportée par mon élan, je produis le résultat inverse de ce que j’espérais : nous basculons tous les deux dans le vide en poussant un double grand cri : « Haaaaaaaaaaaaa ! » pour Alex, « Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! » pour moi. Juste en dessous de nous, le nez dans leurs tisanes, les parents sont un peu surpris. Alertés par les cris, ils lèvent la tête au moment où Alex et moi jaillissons dehors. Puis, ils observent, un brin affolés, un très joli mouvement de double salto exécuté par leurs enfants, avec accrochage d’Alex à la gouttière et vol plané de leur fille vers les étoiles. À cet instant, papa et maman sont encore assis, le nez en l’air et la bouche ouverte en forme de « O ». Ils ressemblent à des poissons rouges qui voient débarquer un requin dans leur aquarium. Dans la seconde qui suit, Alex se retrouve suspendu dans le vide à la gouttière qui plie sous son poids. De mon côté, n’ayant que très peu d’aptitude au vol, je commence à dessiner une jolie courbe qui me ramène inexorablement vers le sol.
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J’ai beau battre des bras comme un colibri, rien n’y fait. Je ne suis pas un oiseau. En bas, papa et maman sont maintenant debout, leurs tisanes renversées sur leurs pieds, les bras tendus vers les étoiles, et surtout vers moi qui arrive sur eux à la vitesse d’un boulet de canon. Tout à coup, dans ma chute désespérée, une de mes mains rencontre une chose à laquelle elle peut s’accrocher, alors immédiatement, ma deuxième main s’y agrippe elle aussi. Je m’immobilise dans les airs, je ne tombe plus. Ouf ! Sauvée. En bas, papa et maman crient plus fort l’un que l’autre. Ils s’agitent et courent en tous sens, ils s’époumonent à nous donner des conseils. Trop occupée à tenter de maîtriser une situation qui m’échappe un peu, je n’entends que quelques mots par-ci par-là : « tiens bon », « chérie », « accrochetoi ! ». Ça, c’est la voix de maman. Mais il y a aussi : « crème d’andouilles », « idiots récalcitrants », « triples cornichons sucrés », et ça, c’est plutôt la voix de papa. Enfin, complètement stabilisée, j’ouvre les yeux. Un petit coup d’œil devant moi et je distingue ce qui semble être du tissu bleu marine. Coup d’œil en bas : je vois des mains dressées vers le ciel qui s’agitent. Et vers le haut… je vois Alex. En fait, je suis suspendue, accrochée comme un morceau de 21
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lierre sur un arbre, aux jambes de mon frère qui, lui, tient la gouttière à bout de bras. Gouttière qui commence à fatiguer et dessine une courbe de plus en plus accentuée vers le bas. La situation n’est pas encore désespérée, mais elle ne devrait pas tarder à le devenir. – Lâche-moi ! hurle Alex. – Même pas en rêve ! Si je te lâche, je tombe, si je tombe, je meurs… Je ne te lâche pas ! – Mais tu vois bien que si tu ne me lâches pas, c’est moi qui vais lâcher la gouttière et là, on tombera tous les deux et on mourra tous les deux ! Il faut que tu te sacrifies, égoïste ! Lâche-moi ! – Plutôt mourir ! – Justement, c’est de ça qu’il s’agit ! hurle Alex. C’est toi l’aînée, tu dois te sacrifier ! J’aimerais bien lui répondre quelque chose. Avoir à ce moment-là une grande phrase définitive, un mot qui reste dans l’histoire, mais je n’en ai pas le temps. Entre mes bras, ma prise se dérobe, je commence à glisser, je descends lentement, puis plus vite, et soudain je sens que je ne suis plus accrochée à rien ; c’est le vide, la chute finale. Je file vers la terrasse, la nuit, la mort peut-être, et une sublime engueulade des parents, ça c’est sûr. 22
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En fait, ce sont les bras de papa qui m’accueillent. Il m’attrape et me serre très fort contre lui. À sa figure, je devine qu’il n’y aura pas de reproches… il a eu bien trop peur pour avoir l’idée de me gronder. À côté de nous, maman supplie Alex. – Tiens bon, ne lâche pas, surtout ne lâche pas ! Pour toute réponse, mon frère hurle un truc du genre « maaaaaarrrrrrddddddiiiiouillllllllleeeeee ». Enfin, quelque chose qui se rapproche de ça, mais je vous avoue que je n’ai pas eu le temps de noter. Et en même temps que ce cri, il y a un autre bruit, une sorte de claquement régulier, un « tchac… tchac… tchac… », et enfin, plus rien. Quand j’ose regarder, Alex est debout, les deux pieds sur la terrasse. Il tient toujours entre ses mains la gouttière qui, en se décrochant point après point, a accompagné mon frère jusqu’au sol. Il est indemne, intact, en pleine forme, mais tremblant comme une feuille à l’automne et blanc comme un fantôme qui sort de chez son teinturier. Papa me pose enfin par terre et je me rends compte que j’ai toujours dans les mains la chose à laquelle je m’étais accrochée comme un pou à un cheveu. – Mais c’est quoi, ça ? dis-je en regardant le morceau de tissu bleu qui m’a sauvée… 23
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Je suis descendue du toit agrippée au pyjama d’Alex ! Mais, si j’ai le pyjama entre les mains, alors, Alex, il est… Alex a déjà disparu, il est remonté en vitesse dans sa chambre, pour échapper à la colère des parents et surtout pour trouver un nouveau pantalon de pyjama. Un peu plus tard, allongée dans mon lit, je n’ai toujours pas envie de dormir. Il a fallu expliquer à papa et maman ce qui s’était passé, rendre à Alex son pyjama, puis enfin, retour sous la couette… J’ai les jambes qui tremblent et, à chaque fois que je ferme les yeux, j’ai l’impression de tomber dans un puits sans fond. Sur la terrasse, devant une nouvelle tisane, les parents tentent de se calmer malgré la gouttière qui pend lamentablement sur presque toute la longueur de la maison. – Ce soir, c’est officiel, nos enfants viennent de battre un record du monde ! Je ne sais pas encore lequel, mais ce qu’ils ont fait, aucun homme, aucune bête ne l’avait fait avant eux ! J’ai bien peur que nous soyons rentrés dans une époque de turbulences, dit papa. – Tu crois que ça va durer longtemps ? demande maman.
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– Si on a de la chance, un petit siècle, et si nos enfants sont normaux, un gros millénaire ! – Mais qu’est-ce qui se passe ? Nous sommes maudits ? – Non, c’est l’adolescence qui pointe son nez à la maison… Je ne suis pas sûr d’avoir super envie d’élever des ados… soupire papa. – Tu n’as qu’à te dire que ce sont des piranhas ! – Ah bon ? Et pourquoi ? – Bah, comme ça, ils ne te sembleront pas si méchants que ça. – Ouaip… Je me demande si je ne vais pas les rapporter au magasin et demander des poissons rouges à la place !
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Table des matières 1. Un début qui commence quand c’est presque la fin ............ 5 2. À qui donc ai-je l’honneur ? ...................................................... 12 3. C’est officiel, il fait chaud .......................................................... 15 4. Pénélope tricote et les autres pédalent ..................................... 26 5. Adultes… mais pas trop ! ............................................................ 38 6. Une lettre de papy ........................................................................ 50 7. Un dimanche presque ordinaire ............................................... 58 8. Une bonne idée ? .......................................................................... 70 9. Comme des pirates… ................................................................... 79 10. Une lettre de papy ...................................................................... 87 11. Un lot qui grossit et des points aussi ..................................... 92 12. Une nuit de folie ! ...................................................................... 102 13. Tableau d’honneur .................................................................... 110 14. Une tisane et au lit ..................................................................... 120 15. Un étrange coup de téléphone ................................................ 130 16. Au début, tout va bien… ou presque ..................................... 135 17. Ensuite, ça se complique un peu ............................................. 145 18. Et puis ça tourne au drame ! .................................................... 157 19. Et le gagnant est… ...................................................................... 168 20. Voilà, c’est fini ! .......................................................................... 180 21. Bonnes vacances ! ...................................................................... 186
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