La vie au miroir de l'année liturgique

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SERVICE NATIONAL DE LA PASTORALE LITURGIQUE ET SACRAMENTELLE

Conférence des évêques de France

LA VIE AU MIROIR DE L’ANNÉE LITURGIQUE

En couverture :

Détail de l’Agneau de Dieu, abbaye de la Dormition, Jérusalem (Israël)

© Pascal Deloche/Godong

4e de couverture :

Symbole de Yom Kippour : le jour du Grand Pardon, Jewish Museum of Budapest (Hongrie)

© Pascal Deloche/Godong

© AELF, 2013 et 2021 pour les traductions de textes liturgiques

MAME

Direction : Guillaume Arnaud

Direction éditoriale : Sophie Cluzel

Responsable éditoriale pour la liturgie : Camille Icole

Édition : Marguerite Tourmente

Direction artistique : Thérèse Jauze

Création graphique : Armelle Riva

Composition : Patrick Leleux PAO

Direction de fabrication : Thierry Dubus

Fabrication : Sonia Romeo

© Mame, Paris, 2024

www.mameeditions.com

ISBN : 978-2-7189-1078-9

MDS : MM10789

Tous droits réservés pour tous pays.

ENTRER DANS L’ANNÉE

LITURGIQUE

Les artistes, comme Michel Fugain, l’ont chanté : « Même en cent ans, je n’aurai pas le temps. » Les sculpteurs l’ont éprouvé, entre autres Georges Récipon, avec L’immortalité devançant le temps… Toujours ce temps qui semble filer et ne pas laisser le temps de vivre. L’homme de foi se pose la question et entrevoit, presque désabusé : « Le nombre de nos années ? soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux ! Leur plus grand nombre n’est que peine et misère ; elles s’enfuient, nous nous envolons. » (Ps 89, 10) Mais une leçon est à tirer de notre vie marquée par le temps inexorable : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. » (Ps 89, 12) Mieux, une révélation divine nous est faite par et dans le temps que l’année liturgique déploie : « Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage, ruisselle l’abondance. » (Ps 64, 12) Notre temps n’est-il pas celui de la présence de Dieu qui sauve le temps de la vie ? En définitive, l’année liturgique ne nous apprendrait-elle pas tout simplement à vivre ?

L’ANNÉE LITURGIQUE EN MÉMOIRE

De l’appréhension du mystère du Seigneur vécu dans le temps, il reste quelques coutumes liées à l’année liturgique, qui voient les églises se remplir pour la nuit de Noël, la bénédiction des Rameaux, voire le jour de Pâques. Des fêtes et des temps, inscrits dans la mémoire ancestrale d’un peuple, surgissent à nouveau. Pour d’autres encore, l’année liturgique est synonyme de vacances et de week-ends prolongés : Toussaint, Ascension… même si l’on tend à vouloir effacer de la mémoire collective les fêtes liées à ces temps qui sortent du quotidien.

En définitive, l’Église, en instaurant un seuil minimal de pratique chrétienne – se confesser et communier une fois par an, à Pâques – n’a-t-elle pas induit chez certains, une perte du sens de la sacramentalité des temps liturgiques, à vivre dans son déploiement sur toute l’année ? En ce sens, il est heureux que l’année liturgique ait retrouvé toute sa cohérence et sa vertu, avec la restauration de la liturgie par le IIe concile du Vatican. En effet, le cycle de l’année liturgique a une vertu d’initiation à la vraie vie, en conduisant à entrer dans l’action de cet aujourd’hui de Dieu dans ma vie quotidienne.

INITIÉS PAR L’ANNÉE LITURGIQUE

En définitive, dans la quête de sens de nos contemporains, l’année liturgique ne serait-elle pas le vrai chemin, familier et toujours surprenant, du but vers lequel nous courons ? Alors, la vie, qui est don, trouverait sa vraie nature ; l’année liturgique, qui est don dans le temps de notre vie, ne serait plus un temps perdu. À cette fin, l’année liturgique se recevrait comme le symbole de toute existence : vivre l’espérance en veillant dans une nuit d’Avent ; naître dans une nuit d’humilité quelle que soit la crèche ; être révélé à soi-même et révéler à chacun une

épiphanie de lumière dans les pays de l’ombre de la mort ; traverser les déserts de l’existence à la recherche de la vraie vie et en carême de désir ; affronter les ténèbres de la souffrance et de la mort, mais laisser la résurrection pascale nous envahir et nous guider jusqu’à un feu d’Esprit et d’amour… Alors, l’ordinaire de la vie ne serait plus que l’abandon de notre temps au temps de Dieu. Le temps, mon temps, serait alors un temps sauvé.

RETROUVER LE GOÛT DE LA VIE

En parcourant le présent ouvrage, nous sommes invités à retrouver la saveur de l’année liturgique. Une année prise dans tous les paradoxes du temps, cyclique et pourtant toujours nouvelle, séquentielle et pourtant atemporelle, rituelle et pourtant, source de liberté. Aussi l’année liturgique nous invite-t-elle à une conversion. Il ne s’agit pas de réussir sa vie, tel que le vise un coaching, mais d’entrer dans l’action du salut telle qu’elle se déploie dans le temps séquentiel. A contrario, notre vie en resterait à une dimension linéaire de l’existence, là où l’année liturgique nous convie à une aventure avec Dieu et au pressentiment de ce qu’est, à ses yeux, le prix de notre vie. Notre existence vécue au miroir de l’année liturgique est bien ce qui, aujourd’hui encore, en fait toute la saveur. Le cycle de l’année liturgique nous façonne et nous transforme au plus intime de notre cœur. Il est un savoir-vivre qui donne de la couleur aux jours gris de l’existence qui passe et de la joie aux événements vécus. L’année liturgique se goûte lentement. Elle est temps de Dieu et temps de l’homme, mémoire du Christ et foi de l’homme, mystère spirituel et réalité charnelle. Elle tisse l’alliance avec Dieu au fil des jours. L’année liturgique est une amie qui me tend le miroir de l’éternité pour que j’y perçoive le reflet et la grandeur de ma vie.

L’AUJOURD’HUI DE L’ALLIANCE

ARNAUD TOURY

L’Écriture proclamée tout au long de l’année liturgique nous fait régulièrement entendre « aujourd’hui », un aujourd’hui du salut qui s’accomplit pour nous. Cela est possible car l’Alliance avec Dieu, nouvelle et éternelle, n’est qu’un perpétuel aujourd’hui.

Aux temps forts de l’année liturgique, au cours de la célébration de la messe, il nous est donné d’entendre une parole un peu étrange, celle d’un « aujourd’hui » toujours recommencé. « Aujourd’hui tu as dévoilé dans le Christ le mystère de notre salut pour que tous les peuples en soient illuminés » (préface de l’Épiphanie) ; « Au moment d’être livré, et d’entrer librement dans sa passion, c’est-à-dire aujourd’hui, il prit le pain […] » (récit de l’institution de l’eucharistie le Jeudi saint) ; « Vraiment, il est juste et bon […] de te glorifier aujourd’hui où le Christ, notre Pâque, a été immolé » (1re préface de Pâques) ; « Car le Seigneur Jésus, le Roi de gloire, vainqueur du péché et de la mort, s’élève aujourd’hui au plus haut des cieux » (préface de l’Ascension) ; « Pour accomplir jusqu’au bout le mystère de Pâques, tu as répandu largement aujourd’hui l’Esprit Saint sur ceux dont tu as fait tes enfants d’adoption en les unissant à ton Fils unique » (préface de la Pentecôte). Que veut donc nous

dire cet « aujourd’hui » chanté avec les plus grands mystères de notre foi ? Ouvrons les Écritures pour mieux le comprendre.

LE DON SOLENNEL ET PERMANENT DE L’ALLIANCE

Le terme « aujourd’hui », en hébreu םויה (Hayyôm) est étroitement associé dans l’Ancien Testament à la thématique de l’Alliance. Preuve en est qu’il est employé soixante-neuf fois dans le livre du Deutéronome, soulignant les termes qui engagent l’un envers l’autre, Dieu et son peuple : « Écoute, Israël, les décrets et les ordonnances que je proclame à vos oreilles aujourd’hui » (Dt 5, 1) ; « Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur » (Dt 6, 6). L’emploi de cet « aujourd’hui » vient marquer la dimension particulièrement solennelle, décisive et immédiate de l’engagement des deux contractants :

Aujourd’hui le Seigneur ton Dieu te commande de mettre en pratique ces décrets et ces ordonnances. Tu veilleras à les pratiquer de tout ton cœur et de toute ton âme. Aujourd’hui tu as obtenu du Seigneur cette déclaration : lui sera ton Dieu ; toi, tu suivras ses chemins, tu garderas ses décrets, ses commandements et ses ordonnances, tu écouteras sa voix. Aujourd’hui le Seigneur a obtenu de toi cette déclaration : tu seras son peuple, son domaine particulier, comme il te l’a dit, tu devras garder tous ses commandements. (Dt 26, 16-18)

Dans le même temps, cet « aujourd’hui » signifie la dimension permanente de l’Alliance :

Aujourd’hui, vous vous tenez tous debout devant le Seigneur votre Dieu […] ; tu es là pour passer dans l’alliance du Seigneur ton Dieu, cette alliance, avec son poids de malédictions, le Seigneur ton Dieu la conclut avec toi aujourd’hui, pour te constituer

aujourd’hui comme son peuple et être lui-même ton Dieu […]. Cette alliance […], je ne la conclus pas avec vous seulement, je la conclus aussi bien avec celui qui se trouve présent ici aujourd’hui avec nous devant le Seigneur notre Dieu, qu’avec celui qui ne se trouve pas présent ici aujourd’hui avec nous. (Dt 29, 9-14)

UNE ALLIANCE QUOTIDIENNE

Cette alliance engage les deux parties en présence. En premier lieu, Dieu lui-même, puisqu’il en a l’initiative (cf. Dt 26, 17).

Mais elle engage tout autant le peuple qui devra vivre cette alliance au quotidien, au présent et au futur : « Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie. » (Dt 6, 2)

L’engagement quotidien du peuple consiste en ceci : choisir de suivre Dieu pour trouver la vie. Ce choix de suivre Dieu est donc une question permanente : « Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » (Ps 94, 7, et cf. He 3, 7.13.15 et 4, 7)

Tout au long de l’histoire, l’infidélité du peuple vient comme remettre en question l’Alliance : « Aujourd’hui, vous vous écartez du Seigneur ; aujourd’hui, vous vous révoltez contre le Seigneur ; demain, c’est lui qui s’irritera contre toute la communauté d’Israël » (Jos 22, 18) ; « Aujourd’hui, devant ta face je prie jour et nuit pour les fils d’Israël, tes serviteurs : je confesse les péchés des fils d’Israël, nos péchés contre toi ; moi-même et la maison de mon père, nous avons péché » (Ne 1, 6).

Mais l’aujourd’hui de l’Alliance fait tenir l’engagement de Dieu. Ses promesses de vie sont toujours actuelles : « Si tu écoutes attentivement la voix du Seigneur ton Dieu, si tu veilles à

Calvaire, Plounéour Ménez (Finistère).

mettre en pratique tous ses commandements que moi je te donne aujourd’hui, alors le Seigneur ton Dieu te placera plus haut que toutes les nations de la terre. » (Dt 28, 1)

L’AUJOURD’HUI DU SALUT

Le motif profond de l’Alliance est l’actualité permanente du salut accompli autrefois par Dieu : « Ce qu’il a fait à l’armée égyptienne, à ses chevaux et à ses chars, en faisant déferler sur eux les eaux de la mer des Roseaux tandis qu’ils vous poursuivaient – le Seigneur les a supprimés ; vous le constatez encore aujourd’hui » (Dt 11, 4) ; « Et pourtant, c’est uniquement à tes pères que le Seigneur ton Dieu s’est attaché par amour. Après eux, entre tous les peuples, c’est leur descendance qu’il a choisie, ce qu’il fait encore aujourd’hui avec vous » (Dt 10, 15).

Ce salut s’accomplit définitivement dans le Christ : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11) ; « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21) ; « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham » (Lc 19, 9) ; « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43).

Dans l’événement de sa résurrection d’entre les morts, Dieu le Père a scellé irrévocablement l’Aujourd’hui de son alliance avec nous : « Nous vous annonçons cette Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a pleinement accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus, comme il est écrit au psaume deux : Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ac 13, 32-33)

Parce que « Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, [qu’] il l’est pour l’éternité » (He 13, 8), il est celui qui tient nos promesses dans l’Alliance avec Dieu. Dès lors, dans la célébration

Fontaine d’eau, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
L’AU

des mystères de son incarnation, de sa passion, de sa résurrection, de son ascension et du don de l’Esprit, la vie nous est donnée. Chacun de nous peut faire siennes les paroles du psaume : « Je proclame le décret du Seigneur ! Il m’a dit : “Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré”. » (Ps 2, 7) Chacun de nous peut se tourner vers Dieu comme son propre Père et demander de quoi tenir l’Alliance avec lui : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ».

TABLE DES MATIÈRES

PRÉSENTATION

Bernard Maitte

MYSTAGOGIE

LE TEMPS DE L’AVENT Christian Salenson

THÉOLOGIE

LE TEMPS DE DIEU, LE TEMPS DE L’HOMME

Bernard Maitte

La notion du temps pour l’homme

Le temps pour l’homme de foi

Le temps de Dieu – le temps pour Dieu

Le temps en liturgie

Temps du « déjà-là » et « pas encore »

Le temps de la grâce et de la gloire

Les temps sont accomplis

THÉOLOGIE

LE TEMPS DU MÉMORIAL

Louis-Marie Chauvet 57

L’« aujourd’hui » du temps liturgique 57

Un temps mémorial 61

Ouverture pastorale 64

LITURGIE

LES FÊTES JUIVES : LA RÉPONSE DU PEUPLE D’ISRAËL AU SALUT DE DIEU

Marie-Laure Durand 65

MYSTAGOGIE

L’AUJOURD’HUI DE L’ALLIANCE

Arnaud Toury 68

Le don solennel et permanent de l’Alliance 69

Une alliance quotidienne 70

L’aujourd’hui du salut 72

LITURGIE

LA SEMAINE SAINTE

Philippe Barras 75

LITURGIE

LA VÉRITÉ DES HEURES

Dominique-Marie Dauzet 78

THÉOLOGIE

LE CYCLE LITURGIQUE :

UNE CHANCE POUR NOTRE TEMPS

Patrick Prétot 81

Le Mouvement liturgique : la redécouverte de l’année liturgique comme « mystère » 83

En marche vers le Royaume 85

L’année liturgique : une ressource pour notre temps 87

LITURGIE

LE TEMPS ORDINAIRE : UNE VIE QUOTIDIENNE À LA SUITE DU CHRIST

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