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Chapitre 1

L’énorme problème de M. Pinsabillet

M. Pinsabillet triturait entre ses mains la lettre d’Étienne Mangeclou, son unique employé.

En termes brefs, celui-ci annonçait :

1°) qu’il se mariait, 2°) qu’il partait vivre sous les Tropiques.

En conséquence de quoi : 3°) il démissionnait !

– Trente ans de bons et loyaux services, tout ça pour me laisser en plan avec la boutique à une semaine de Noël ! Non mais, je rêve ! se désolait le patron du Grand Jeu, le célèbre magasin de jouets de Paparis.

Sonné, il relut la lettre pour la dixième fois au moins.

– Aaah, c’est un cauchemaaar !

Au secours, on a ensorcelé Noël !

M. Pinsabillet avait beau hurler sur la lettre, celle-ci restait de marbre. Seul le chat Rouflaquette commençait à regarder son maître de travers…

– Mouahou ! Faudrait pas oublier mes croquettes !

Pour l’heure, le petit homme avait autre chose en tête. Il se frappa le front et n’eut même pas mal, car le seul endroit sensible de son corps trapu était son portefeuille : en effet, M. Pinsabillet aimait plus que tout entendre marcher son tiroir-caisse. Il l’entendait d’autant mieux en cette période de Noël où son magasin de jouets ne désemplissait pas.

– Cette démission tombe au plus mauvais moment !

Tout seul, comment je vais faire pour gérer les commandes de jouets et tenir la caisse du magasin ?

Je n’ai pas quatre bras !

Sans l’aide d’Étienne Mangeclou, il voyait déjà

Le Grand Jeu en faillite !

Rouflaquette sauta sur les genoux de son maître.

– Maouh ? Et mes croquettes ?

Hélas, M. Pinsabillet était trop préoccupé par sa situation pour décrypter le langage du félin ; il se trompa sur ses intentions. 8

L’énorme problème de M. Pinsabillet

– Tu veux des caresses ?

Le chat était le portrait craché de son maître : petit et épais. Non, il ne voulait pas de caresses, il voulait manger !

– Maouh… Ça serait tellement plus agréable le ventre plein…

– Ah, mon brave Rouflaquette, heureusement que tu es là !

Le chat pensa que le moment était bien choisi pour rappeler à son maître l’heure du repas, mais son maître interpréta son message autrement :

– Oh, toi au moins, tu me comprends !

Dépité, Rouflaquette se mit en boule sur les genoux de M. Pinsabillet.

Ses ronronnements finirent par détendre le commerçant dont les pensées s’envolèrent vers les Noëls d’antan, à l’époque où il était petit garçon. Ses parents tenaient alors la boutique.

C’était un temps où les clients l’appelaient JeanPierre et lui tapotaient gentiment la tête.

– Il n’y avait pas toute cette pression. C’était un autre monde, soupira M. Pinsabillet, rêveur. 9

Hé ho, welcome, dear children !

Notre boutique bourdonnait comme une ruche.

Car à l’époque, il n’y avait pas d’Internet : les gens se déplaçaient pour acheter les jouets !

Ho hé, bienvenue à l’annexe du Père Noël !

Papa et maman accueillaient les clients déguisés en lutins de Noël !

Les employés, tout de de vert vêtus, distribuaient des friandises aux enfants !

Tu veux une crotte au chocolat ?

La caisse n’arrêtait pas de me faire des clins d’oe il.

Dis merci, Josy !

L’énorme problème de M. Pinsabillet

M. Pinsabillet était tout surpris d’avoir gardé autant de bons souvenirs. Le retour à la réalité fut brutal.

– J’ai besoin d’un nouvel employé ! s’écria-t-il.

– Maouh ! Et moi, j’ai besoin de mes croquettes ! riposta le chat.

Ce que son maître interpréta aussitôt par :

– Une annonce dans le journal !

Sur le coup, M. Pinsabillet trouva l’idée géniale ; mais après réflexion, il regarda son chat en fronçant les sourcils :

– Non, mon bon Rouflaquette, on n’a plus assez de temps pour ça : n’oublie pas que Noël est dans une semaine !

Rouflaquette soupira, dépassé, tandis que le cerveau de son maître fonctionnait à plein régime.

– Ce qu’il me faudrait DE TOUTE URGENCE, c’est… UN MIRACLE !

Il avait à peine prononcé ces mots qu’il sentit une présence dans la pièce.

Effectivement, un garçon d’une dizaine d’années l’observait.

Au secours, on a ensorcelé Noël !

Rouflaquette feula :

– Ksss ! Lui, je ne l’aime pas du tout du tout !

Après un moment de surprise, M. Pinsabillet reprit ses esprits :

Mince alors, j’ai fermé le magasin en oubliant un client !

Et s’adressant à l’enfant :

– Désolé, petit, suis-moi, je vais t’ouvrir…

L’inconnu resta immobile. Un sourire étrange fit naître des ombres mouvantes sur son fin visage.

Quand il bougea, ce fut pour se redresser de vingt bons centimètres.

Prudent, Rouflaquette se cacha sous le comptoir, tandis que son maître réalisait son erreur :

Mais… c’est un adulte ! Avec cette drôle de tenue, il y avait de quoi se tromper !

Embêté, il balbutia :

– Veuillez excuser ma familiarité ! Le magasin est fermé, mais si vous désirez un renseignement sur un article, je peux vous aider.

L’inconnu ne cilla pas, mais répondit : – En vérité… c’est moi… qui peux vous… aider.

Je me présente :

Parfait… Amusoir.

Parfait Amusoir ?

Oui, j’ai pour prénom… Parfait… et pour nom de famille… Amusoir. Amusant, non ?

Mmmh…

Surtout quand on pense que je veux… travailler dans… votre magasin de jouets.

Malgré l’élocution hésitante, ces mots pulvérisèrent les appréhensions du commerçant.

Vraiment ? Vous avez de l’expérience ?

À vrai dire… je n’ai jamais rien… vendu.

M. Pinsabillet fronça les sourcils : – Aïe, c’est un problème ! Mais vous ne manquez pas d’aplomb. C’est un bon début. – C’est aussi… mon avis.

Parfait Amusoir évitait le regard du commerçant : il s’adressait tantôt à son épaule gauche, tantôt à son coude droit… quand ce n’était pas à ses pieds !

Comme ceux qui ont quelque chose à cacher !

M. Pinsabillet s’en indigna en silence.

Au secours, on a ensorcelé Noël !

Alors quoi ? Ses parents ne lui ont pas appris la politesse ?

Il voyait déjà l’effet désastreux que cela produirait sur ses clients ; il le voyait aussi clairement que s’il installait un écriteau : Ici, on ment sur la marchandise !

C’était un problème bien plus grave que celui de n’avoir jamais rien vendu. En temps normal, cela aurait suffi pour disqualifier ce candidat, mais aujourd’hui, le patron du Grand Jeu n’avait pas les moyens de faire le difficile.

Bah, je le mettrai à l’expédition des commandes, ainsi il n’aura aucun contact avec le public.

Heureux d’avoir résolu tous les problèmes, il annonça : – Mon cher Parfait, réjouissez-vous : je vais vous prendre comme apprenti !

Le regard de Parfait s’illumina, suivi bientôt par toute sa personne, qui se mit littéralement à CLI-GNO-TER ! Comme un sapin de Noël !

Sous le comptoir, Rouflaquette s’agita. Il avait vu des excentriques défiler au magasin, mais des comme lui, jamais !

L’énorme problème de M. Pinsabillet

– Maouh ! Bas les pattes ! cracha-t-il, le poil hérissé.

M. Pinsabillet, lui, n’en croyait pas ses yeux : les vêtements de Parfait venaient de passer du gris au rose fluo ! À présent, ce rose fluo emplissait la pièce.

On n’arrête pas le progrès ! se dit-il en mettant ces changements sur le compte des nouvelles technologies.

En réalité, la tenue de Parfait s’adaptait à son humeur. Or le garçon venait de passer de l’incertitude à une grande joie… Ceci expliquait cela.

M. Pinsabillet ne se laissa pas distraire longtemps.

– Je vous dis donc à demain ! Le magasin ouvre à 9 heures, soyez ponctuel !

– Oh, merci… mon bon boss ! Je serai un employé… à l’heure !

Le commerçant le regarda, étonné.

« Mon bon boss », quelle formule ridicule !

Mais il ne dit rien, car à cette heure tardive, une seule chose lui importait : que cette journée calamiteuse s’achève !

Au secours, on a ensorcelé Noël !

Il escorta son futur apprenti jusqu’à la sortie.

Avant de le quitter, Parfait se fendit d’un sourire qui ressemblait plus à une grimace :

– Merci encore… vous n’imaginez pas… à quel point je peux être… surprenant !

Puis sa silhouette voûtée d’homme-enfant se perdit parmi les lumières de Noël.

– Drôle de type ! estima le commerçant.

– Maouh ! Je confirme ! l’informa son chat, qui attendait toujours ses croquettes.

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