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cyril guinet

Pour Eléonore, pour Marceau, pour Virgile

Prologue

Le ciel était d’un bleu de porcelaine. Sans un nuage, sans une ombre. C’était octobre, le début de l’automne. Pourtant la forêt n’avait pas encore troqué sa parure verdoyante pour ses habits de saison, rouges, or et bruns. Une brise légère faisait dodeliner la cime des grands arbres. Elle colportait le bavardage des oiseaux et des querelles d’écureuils. La façade ocre du château de Roncevrac resplendissait au soleil. On avait ouvert toutes les fenêtres. Comment imaginer que le malheur pourrait s’inviter en un si bel après-midi ?

Des jardins, montait le bruit d’une cavalcade. Dans le labyrinthe des buis et des lauriers taillés comme la barbe d’un officier, deux enfants faisaient la course. Les graviers roulaient sous leurs semelles. Leurs rires ricochaient sur le miroir liquide des bassins.

Une fillette filait en tête. Dix ans à peine, la foulée souple et les cheveux charbon au vent. Elle jeta un regard espiègle par-dessus son épaule.

apprentie mousquetaire

Je vais gagner ! lança-t-elle.

Un garçon du même âge qu’elle, poings serrés, coudes au corps, redoublait d’efforts sans parvenir à la rattraper.

Tournant à droite, la fillette déboucha dans une large allée rectiligne. À l’autre bout, elle apercevait son but : une statue d’Artémis adossée à un massif de rhododendrons.

Victoire ! s’écria-t-elle en touchant la déesse de la Chasse du plat de la main.

Le garçon la rejoignit en boitillant. Il s’assit sur le socle de la statue, retira son soulier droit et le secoua jusqu’à ce qu’un gravier en dégringole.

Ce n’est pas juste, se plaignit-il en frottant son pied endolori, j’avais un caillou dans ma chaussure.

Que dirais-tu d’une petite séance d’escrime maintenant ?

Tu ne préfères pas une partie d’échecs ? rétorqua le vaincu, l’air suppliant.

Mais je te bats aussi au jeu des échecs !

C’est vrai, mais au moins, je serai assis… soupira le garçon. Son amie afficha une moue contrariée. Elle n’avait guère envie de s’enfermer par un si beau temps.

Je demanderai qu’on nous apporte une collation, poursuivit le garçon dans l’espoir de la convaincre.

D’accord ! concéda la fille.

Quelques instants plus tard, tandis qu’ils disposaient leurs pièces sur l’échiquier, une petite femme replète, un tablier noué autour de la taille et des boucles blondes s’échappant de son

alo, apprentie mousquetaire

béguin, leur apporta un plateau sur lequel étaient disposés un bol d’abricots confits dans le sucre, de belles tranches de brioche et une chocolatière fumante.

Rien que de humer l’odeur du cacao, je me sens déjà mieux… Merci Alphonsine ! fit le garçon en déplaçant un premier pion.

Les deux joueurs n’avaient pas échangé trois coups qu’un martèlement de sabots au loin leur fit tourner la tête du côté de la fenêtre. Le cœur battant, ils se précipitèrent à la croisée. Une dizaine de cavaliers, au pas, suivis d’une troupe de fantassins, remontaient la grande allée bordée de hêtres centenaires. En tête, marchait un porte-étendard. Sa bannière bleu azur, ornée de trois loups aux griffes et aux langues rouges, ondoyait fièrement au vent.

Les armes de Roncevrac ! s’écria le garçon. Ils sont de retour !

La partie d’échecs, le goûter, tout cela fut aussitôt oublié. Et même la blessure au pied du garçon. La douleur s’était envolée comme par magie. Les deux enfants dévalèrent l’escalier. Ils débouchèrent en trombe dans la cour d’honneur.

La main en visière, la fillette scrutait la troupe qui progressait lentement dans leur direction. Les hommes qui s’en revenaient avaient l’air harassés, leurs traits marqués par une longue route. Mais sur tous les visages se lisaient le soulagement de retrouver son foyer et la joie de revoir les siens.

alo, apprentie mousquetaire

Le comte Gaston de Roncevrac tenait les rênes de sa monture de sa main gauche. Son bras droit était serré dans un bandage contre sa poitrine. À peine avait-il mis pied à terre que le garçon se ruait sur lui pour l’étreindre.

Aïe ! Doucement, fils ! Ou tu vas achever le travail commencé par ces maudits Hollandais ! Vous êtes blessé ! s’alarma le garçon en reculant.

Ce n’est rien, dit le comte en lui ébouriffant les cheveux de sa main valide.

La fillette, elle, errait au milieu des scènes de retrouvailles, l’espoir à fleur de peau. Autour d’elle, des soldats enlaçaient leurs épouses, embrassaient leurs enfants, les soulevaient dans leurs bras ou les installaient sur leurs épaules. Mais celui qu’elle cherchait n’était nulle part. Un pressentiment lui serra le cœur, car il lui sembla qu’on se détournait d’elle, gêné, lorsqu’elle s’approchait.

Son regard croisa celui du comte. Gaston de Roncevrac était un homme grand de taille et large de carrure. Il avait affronté des armées acharnées à Zwammerdam. Il avait vu tomber le fameux d’Artagnan au siège de Maastricht et s’était battu comme un lion à la bataille du Pont de Konz. Pourtant, il ne put réprimer un frisson lorsque la fillette vint se planter face à lui. Les pupilles bleu-gris de la gamine avaient l’éclat du diamant. Où est mon père ? demanda-t-elle.

Le comte baissa la tête. Sa voix faite pour commander s’étrangla lorsqu’il répondit :

alo, apprentie mousquetaire

Je suis désolé… Je suis tellement désolé, Marie-Lorraine…

La fillette resta un instant interdite. Sans un mot. Sans une réaction.

Malo ! lâcha-t-elle enfin, le menton tremblant. Mon père m’appelle Malo !

Puis elle tourna les talons et s’enfuit en courant.

Château de Roncevrac, cinq ans plus tard

Leste et silencieuse comme un félin, Malo se faufile le long du couloir. Elle relève sa robe au-dessus de ses chevilles pour l’empêcher de froufrouter sur les dalles. Sa cape à capuche flotte, légère, dans son dos. Tous les trois pas, elle se retourne pour jeter un regard par-dessus son épaule, comme si elle craignait d’être suivie.

Il fait sombre, dans l’aile ouest du château, car les rayons du soleil matinal n’y pénètrent pas encore. Mais Malo n’a pas besoin de lumière. Elle connaît le chemin. Elle s’arrête devant une porte, marque un temps pour s’assurer que la voie est libre, abaisse la poignée et passe la tête dans l’entrebâillement. Une odeur musquée lui monte au nez. Malo ferme les yeux. Il flotte dans cette salle des effluves de bois, de fer et de cuir fané, mais aussi le souvenir de son père. C’est ici que le sergent Roch Bellemain officiait comme maître d’armes lorsqu’il n’accompagnait pas le comte Gaston sur les champs de bataille. Gentilshommes, cadets ou officiers en devenir venaient de loin pour bénéficier

alo, apprentie mousquetaire

de ses enseignements, alléchés par la réputation de sa main ferme et de ses estocades mortelles.

Malo se glisse à l’intérieur de la salle d’armes et referme la porte derrière elle. Adossée au panneau de chêne, elle observe le décor familier. Trois hautes fenêtres à petits carreaux en losange éclairent la pièce tout en longueur. À sa gauche, un banc s’incruste dans le mur. Au-dessus, des épées de différentes tailles s’alignent dans un râtelier. Il n’y a pas d’autre mobilier, à part un cheval d’arçons, animal de bois sans tête destiné aux exercices de voltige, et un mannequin d’entraînement à l’escrime. Ce dernier, dressé comme un épouvantail, est couvert de cicatrices témoignant de nombreux assauts. Son pourpoint bourré de filasse est percé, éraflé, déchiré par les coups d’épée. De simples lattes de bois enfilées dans les manches simulent ses bras, une rapière est fixée à l’emplacement de la main droite.

Malo jette sa cape sur le banc et décroche un fleuret du râtelier. Elle l’assure fermement dans sa main. Le fer siffle lorsqu’elle fouette l’espace devant elle.

Elle s’arrête à trois pas du mannequin, pointe sa lame vers le plafond, la ramène devant son visage, puis l’abaisse vers le sol. En garde ! lance-t-elle en achevant ce salut rituel.

Et aussitôt, elle se met en position : jambes fléchies, buste droit. Ses semelles crissent sur le parquet tandis qu’elle avance et recule au gré du combat imaginaire. Elle sautille sur place, bondit soudain pour fondre sur son adversaire, se replie aussitôt. Elle enchaîne fentes, parades, ripostes. Sa lame engage celle du

alo, apprentie mousquetaire

mannequin, la repousse. Son mouvement, vif comme l’attaque d’une vipère, s’achève par un assaut en double fente qui touche au niveau de l’épaule.

Marie-Lorraine Bellemain ! l’interpelle soudain une voix dans son dos. Peut-on savoir ce que tu fabriques ici ?

Malo se fige, surprise. Sa mère se tient dans l’encadrement de la porte, les poings sur les hanches, les sourcils froncés.

Il faut bien que je m’entraîne si je veux devenir mousquetaire, répond l’adolescente en relevant le menton.

Je te l’ai dit cent fois : les femmes mousquetaires n’existent pas !

Il faut un commencement… Je serai la première, voilà tout !

Eh bien, en attendant ce jour, range cette épée !

Malo soupire, mais elle obéit. Elle sait bien qu’argumenter ne changerait rien.

Mathilde Bellemain suit sa fille des yeux tandis qu’elle se dirige vers le râtelier pour remettre le fleuret à sa place. Ce n’est pas la première fois qu’elle la surprend l’arme à la main, mais comme toujours, le même souvenir l’assaille. Elle revoit le jour où son époux, un sourire lumineux aux lèvres, avait enfilé sa casaque sur les frêles épaules de Marie-Lorraine, puis l’avait coiffée de son chapeau orné d’une longue plume d’autruche, avant de lui tendre sa rapière. Elle était encore si petite ! Noyée sous les étoffes, aveuglée par le feutre qui lui tombait sur le nez, la fillette tenait l’épée à deux mains, les yeux brillant de détermi-

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nation. On aurait dit un minuscule mousquetaire, prêt à conquérir le monde.

Tu seras une grande guerrière, ma fille ! s’était esclaffé le maître d’armes avec un éclat de rire qui résonne encore aux oreilles de Mathilde.

La plaisanterie, aujourd’hui, prenait presque des airs de prophétie. Était-il possible que tout se soit joué ce jour-là ?

Et coiffe-toi comme une jeune fille ! lance Mathilde, interrompant ses pensées.

Malo dénoue le ruban de velours qui retient sa queue-decheval. Du bout des doigts, elle fait bouffer la cascade de boucles brunes qui dégringole jusque sur ses épaules.

Tu es tellement plus jolie comme ça, dit sa mère avec un sourire.

Être jolie… Quelle corvée ! Malo n’a aucune envie d’être jolie, elle veut être libre. Elle préfère l’odeur de la poudre à canon aux parfums capiteux, le choc du fer à la musique des clavecins. Mais par égard pour sa mère, elle ne rétorque rien.

J’imagine que tu as une mission de la plus haute importance à me confier, bougonne-t-elle.

Une mission ? Non… Des commissions ! répond sa mère en tirant d’une poche de son tablier un billet plié en deux et une petite bourse de tissu fermée par un cordon.

Voyant que son jeu de mots n’adoucit pas l’humeur de sa fille, elle poursuit :

alo, apprentie mousquetaire

J’ai besoin que tu te rendes en ville et que tu me rapportes les articles qui figurent sur cette liste. Et méfie-toi : ce vieux

hibou de marchand y voit de moins en moins. La dernière fois, il t’a vendu du coton à la place de la toile de lin.

Elle lui tend un grand sac de toile robuste.

Tiens, tu en auras besoin pour rapporter tout ça. Et fais attention à ne rien froisser !

Malo prend le sac avec un soupir exaspéré.

Encore ! proteste-t-elle. Je suis déjà allée Au Fil d’Ariane la semaine dernière !

Je le sais bien, mais c’est ainsi : la comtesse Athénaïs m’a commandé une nouvelle robe. Elle souhaite la porter lors d’un événement que son mari organise prochainement.

Un bal ? Une réception ? Et en quel honneur ?

Mon métier est de coudre, pas de poser des questions. Et le tien, pour l’instant, est d’aller chercher ces tissus. Allez, file !

Tu n’es pas curieuse, fait remarquer Malo.

Au contraire ! Par exemple, j’aimerais bien savoir quand vous comptez vous mettre en route, mademoiselle l’impertinente.

Malo examine la liste que sa mère vient de lui remettre. Elle récupère sa cape et se dirige vers la porte, tête basse. Au moment de quitter la pièce, elle fait volte-face, l’air implorant.

S’il te plaît… Est-ce qu’au moins je peux emprunter Flambeau ? demande-t-elle.

Les aventures d’une héroïne au temps du Roi-Soleil !

M alo, adolescente rebelle et intrépide, n’a qu’un rêve : devenir mousquetaire. Mais dans le royaume de Louis XIV, ce rêve est interdit pour les filles.

Pourtant, le jour où elle découvre un complot visant le Grand Dauphin, fils du Roi-Soleil, Malo n’écoute que son courage et fonce, prête à risquer sa vie pour sauver celle du prince.

Entre mystère et danger, Malo saura-t-elle déjouer la conspiration et prouver qu’une fille peut être aussi audacieuse qu’un mousquetaire ?

Illustration de la couverture : Julie Rouvière

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