À : diane.dumont3@gmail.fr
Salut, Alors voilà, je me jette à l’eau ! Je te croise chaque matin devant le lycée et tu ne me vois pas. ` Mais moi je te vois bien. Pire, je ne vois que toi. J’aimerais bien qu’il se passe entre nous autre chose qu’un échange de regards. Et encore, ce n’est pas un échange de regards puisqu’il n’y que moi qui te regarde. Bref. Fais-moi signe, s’il te plaît. Je t’embrasse. Diane bat des paupières, interdite. Elle s’incline en avant sur la chaise du bureau – posture probablement révoltante pour la colonne vertébrale, mais cela fait un moment que sa mère ne lui assène plus ses sonores « Diane, tiens-toi droite ! C’est mauvais pour le dos ! ». Son petit nez en trompette, étoilé de pâles taches de rousseur, touche presque l’ordinateur. C’est bien là. Les mots flottent sur l’écran. Anonymes. Mystérieux. - Bizarre, bizarre, murmure Diane dans un souffle. Elle se laisse aller en arrière, cligne des yeux pour refaire la mise au point. - Qui a bien pu m’écrire ça ? Pour être honnête, on ne peut pas dire que cette boîte mail soit particulièrement active. Hormis le flot intarissable de publicités pour des sites où elle a eu le malheur de passer plus de trois minutes, les newsletters jamais ouvertes et quelques devoirs envoyés (en retard) à ses profs, c’est plutôt aride, surtout en ce moment. De toute façon, à part les adultes qui travaillent en liquidant des litres de café devant leur ordinateur, qui envoie encore des mails ? Et surtout, qui lui envoie des mails à elle ? Pensive, Diane étend le pied, cherchant à atteindre le dos grassouillet de Pirate : le chat, tapi sous le bureau, s’écarte hors de portée de son gros orteil avec un miaulement agacé. - Sympa, commente Diane. Elle ramène ses jambes vers elle et les entoure de ses bras, fixant l’écran sans le voir. Une moue boudeuse se peint sur son visage. Diane n’a jamais fait partie des filles populaires. Ni au collège, ni au lycée. Probablement que les filles populaires reçoivent des tas de mail comme celui-là tous les jours, par centaines, par centaines de milliers peut-être. Des lettres d’amour électroniques d’admirateurs secrets. Des déclarations anonymes. Ça doit être leur quotidien, aux filles populaires, vu qu’on les regarde tout le temps. Elles savent y faire. Et elles savent sûrement comment réagir en lisant ça. Mais Diane n’est pas une fille populaire et la probabilité qu’elle le devienne un jour frôle le néant intersidéral : alors elle se contente de relire inlassablement les sept lignes du message, à tel point que les lettres finissent par toutes se mélanger sur sa rétine, formant une bouillie rétroéclairée. Ça doit être une erreur. Oui. Ça ne peut être que ça.