La Feuille, 14 mars 2019 - Assises.

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La Feuille

NUMÉRO SPÉCIAL ASSISES DU JOURNALISME – 14 MARS 2019

Photo : Suzanne Rublon

Au tableau !

Les journalistes sont souvent sous le feu des critiques. Face à cette défiance, certains proposent la création d’un conseil de presse qui veillerait sur la déontologie.

ÇA BOUGE DANS...

LES MÉDIAS EN RÉGIONS

FOCUS

PORTRAIT

CHAÎNES D’INFO : DES SŒURS JUMELLES ?

ARIANE CHEMIN, FEMME DU “MONDE”

DE PLUS EN PLUS DE MÉDIAS ALTERNATIFS QUITTENT LA RÉGION PARISIENNE POUR S’INSTALLER EN PROVINCE. UN CHOIX ÉCONOMIQUE ET ÉDITORIAL /P.6

LES CHAÎNES D’INFO EN CONTINU OFFRENT-ELLES LES MÊMES IMAGES, LES MÊMES HISTOIRES ? NOUS AVONS COMPARÉ SIX HEURES DE PROGRAMMES /P.7

GRAND REPORTER AU JOURNAL “LE MONDE”, L’INFATIGABLE ARIANE CHEMIN COPRÉSIDE LE JURY DES ASSISES DU JOURNALISME. RENCONTRE /P.8


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Sur le vif 14 mars 2019

RENDEZ-VOUS SUR TWITTER @EPJTOURS

La Feuille

PAGES RÉALISÉES

PAR LA RÉDACTION

ENTENDU DANS LES ATELIERS

Photo : Lorène Bienvenu

« DES CIBLES ET DES ENNEMIS »

TROIS QUESTIONS À...

Estelle Cognaq

Membre du jury des Prix éducation aux médias et à l’information, directrice adjointe de la rédaction à France Info La Feuille : À titre personnel, quels critères avez-vous retenus pour présélectionner les projets en lice ? Estelle Cognaq : J’ai été particulièrement attentive à leur originalité. Certains ne sont pas novateurs. J’ai été plus intéressée par des projets avec des thématiques nouvelles. Quelles initiatives vous ont marquée en termes d’éducation aux médias et à l’information ? E.C. : Celles dédiées aux personnes qui n’ont pas accès aux médias, comme « Interclasses » de France Inter, nommé dans la compétition pour le Prix pour la meilleure initiative dans un média francophone. C’est un projet où des journalistes viennent créer un média dans des lycées de banlieue. Ce type d’initiative permet de renouer le contact entre les journalistes et la population. Il y a aussi tout le travail d’éducation aux médias et à l’information opéré par le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi). Il organise des rencontres entre des journalistes et des classes de jeunes. Ces scolaires viennent découvrir les rédactions pour poser des questions

aux journalistes. Nous, à France Info, quand nous accueillons des scolaires, nous les faisons beaucoup réfléchir à la vérification de l’information. Comment expliquer que l’éducation aux médias et à l’information ait une telle importance aux Assises ? E.C. : Le manque de proximité entre les journalistes et la population est une composante de la crise des médias. Les jeunes sont plus éloignés du monde des médias qu’il y a vingt ans. Avant, les parents regardaient le journal avec leurs enfants et des journaux trainaient à la maison. Une discussion se créait sur des sujets. Aujourd’hui, il n’y a plus de débat, les jeunes sont livrés à euxmêmes. On ne sait plus comment ils s’informent. Sans adulte, ils ne peuvent pas développer un regard critique. C’est une des raisons qui expliquent l’éloignement entre les journalistes et leur public, d’autant plus que les jeunes sont plus sensibles aux fake news et aux théories du complot. Cela veut dire qu’il faut encore plus les éduquer. Ils sont les lecteurs de demain. Propos recueillis par Théo TOUCHAIS et Mathilde WARDA

« Il y a une quinzaine d’années, j’avais le sentiment d’être protégé quand je portais un micro ou une caméra. Cela a longtemps été le cas. Aujourd’hui, de nombreux groupes nous considèrent comme des marchandises. Petit à petit, nous sommes devenus des cibles et des ennemis.» Kamal Redouani, grand reporter de guerre, à l’atelier « Informer en milieu hostile en France et à l’étranger »

« IL FAUT EXPÉRIMENTER ET TROUVER SON PUBLIC »

« Les rédactions se lancent de plus en plus dans le podcast. Il faut expérimenter, trouver son public, s’investir dans le développement de ce nouveau contenu qui permet de se démarquer d’un point de vue journalistique. Un podcast se doit d’être bien réalisé, sinon il ne s’écoute pas. Cela nécessite des formations et des compétences, mais les journalistes sont souvent très réceptifs et ne demandent qu’à se lancer. » Maëlle Fouquenet, journaliste et responsable des formations numériques à l’ESJ Pro, à l’atelier « Podcast : Quand la presse papier monte le son »

« UNE WEB-SÉRIE POUR RIRE DU COMPLOTISME »

«Nous réalisons un travail important sur le complotisme, en produisant une web-série “Les conspirations radicalement bidon”, pour les détourner et en rire. On a un réel parti pris de l’humour.» Olivier Magnin, délégué Pôle éducation à l’image et aux médias Image’IN-Ligue de l’enseignement de l’Oise, à l’atelier « EMI : L’éducation populaire mobilisé »


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Sur le vif

14 mars 2019

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Photo : Suzanne Rublon

LES ASSISES VUES… PAR UNE QUÉBÉCOISE

PLACE AUX JEUNES !

De très jeunes journalistes ont participé à un atelier organisé par Radio Campus. Ils font partie de l’association Jeunes reporters qui leur fait découvrir le monde du journalisme. Encadrés par des étudiants de l’EPJT, ils ont abordé des sujets variés : sport, voyage scolaire et organisation de leur association.

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Ann-Sophie Gravel est étudiante en journalisme au Canada. Elle participe aux Assises de journalisme avec des élèves et des enseignants de son établissement : le Cégep de Jonquière (province de Québec). Avant de rejoindre Tours, ce groupe a visité Paris. C’était le samedi 9 mars, jour de manifestation des Gilets jaunes. Dans l’avenue des Champs-Elysées, les Québécois ont croisé des manifestants. Elle raconte : « “Mais vous êtes pour qui, les médias ?” C’est la première question qu’un Gilet jaune a posée à notre groupe d’élèves québécois qui voulait en savoir plus sur le mouvement. La méfiance généralisée envers les médias, voilà ce qui nous a frappés lors de notre passage en France. Un sentiment qui ne nous semble pas partagé au Québec, où les journalistes sont davantage en phase avec la population et mieux respectés. »

% des Français pensent que les journalistes et les différents médias disent tous la même chose. Source : sondage Vivavoice réalisé en février 2019

« La désinformation est une cible mouvante. Plus on progresse pour essayer de la combattre, plus se déplace l’objectif » David Dieudonné, directeur du Google News Lab France, sur le plateau télévisé de l’EPJT

Photo : Lorène Bienvenu

LE MOT DU JOUR

Plus d’infos sur notre site assises.journalisme.epjt.fr

DEMANDEZ LE PROGRAMME ! Nous vous avons sélectionné quelques conférences à ne pas manquer lors de cette deuxième journée des Assises du journalisme. 9h15-10h45 > #LESMÉDIAS. Atelier recherche : la détestation des journalistes, une vieille histoire La haine envers les journalistes est-elle un phénomène nouveau ? Alors que les journalistes traversent une crise particulièrement violente, les invités, parmi lesquels des

professeurs de sociologie et en sciences de l’information et de la communication, interrogeront cette actualité pour la replacer dans un contexte historique plus large. 11h-12h30 > Le département invité des Assises 2019 : Mayotte Quand on vous dit Mayotte, vous pensez au soleil et à la plage ? Rien d’autre ? Venez découvrir le paysage médiatique de ce département d’outre-

mer, invité de cette douzième édition. Ce territoire regorge de particulariés. 14h-15h30 > #LESMÉDIAS. Femmes dans les médias : la parité, c’est pour bientôt L’affaire de la Ligue du LOL a marqué l’actualité médiatique de ces dernières semaines et a remis sur le devant de la scène le sujet du sexisme dans les rédactions. Comment combattre ce fléau ? Léa Lejeune,

présidente du collectif Prenons la Une et journaliste chez Challenge notamment, essayera d’apporter des réponses. 17h45-19h30 > Le grand débat #LESMÉDIAS Tous les mêmes ? Une conférence qui reprend le thème général des Assises. Les médias se ressemblent-ils ? Traitentils des mêmes sujets et de la même manière ? Un grand débat qui donnera des pistes de réflexion sur un thème de préoccupation majeur.


4 Enquête

14 mars 2019

La Feuille

JOURNALISTES, AU TABLEAU !

La création d’un conseil de presse fait de nouveau débat chez les journalistes et les éditeurs. Certains plébiscitent un outil de régulation. D’autres craignent la censure.

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ntre les médias et leur public, le climat est délétère. Les journalistes sont régulièrement pris pour cible dans l’espace public. Une fracture symbolisée par le mouvement des Gilets jaunes. Alors comment rétablir la confiance entre la profession et la population ? Une proposition revient souvent dans les débats : l’autorégulation des médias, avec l’instauration d’un conseil de presse déontologique. Jean-Luc Mélenchon avait porté cette idée dans son programme lors de l’élection présidentielle de 2017, avant, quelques mois plus tard, de lancer une pétition en ligne qui avait recueilli plus de 190 000 signatures. En 2014, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, avait lancé une mission sur le sujet qui avait conclu à l’absence de consensus entre syndicats de journalistes, ouvertement favorables, et éditeurs.

« sujet sensible »

se réfère à différents textes déontologiques, comme la Charte de Munich, quand les rédactions n’ont pas leur propre code, à l’image de Ouest-France ou France Télévisions. Radios et télés, quant à elles, relèvent du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui peut, dans les cas les plus extrêmes, émettre des sanctions. Mais la France demeure une exception sur le Vieux continent. Une vingtaine de pays européens se sont déjà dotés d’un conseil de presse, parmi lesquels figurent la Belgique, la Suède, le Danemark ou la Norvège, membres du top 10 du classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

« Ce n’est pas parce que l’État me missionne qu’il jouera un rôle dans le futur conseil de la presse. Sa place sera nulle. »

En octobre 2018, le ministère de la Culture s’est réemparé du dossier en confiant une mission sur le sujet à Emmanuel Hoog. Initialement prévue en janvier, la publication du rapport, qui n’engage pas le processus de création d’un conseil de presse, de vrait être faite d’ici quelques jours. Franck Riester, le ministre de la Culture, se dit « prudent » quant à cette démarche, parlant même de « sujet sensible » dans les colonnes du JDD du 10 mars. « Le rapport et ses conclusions pourront être une base de travail pour les journalistes, mais sa vocation première sera de faire de la pédagogie : expliquer ce qu’est un conseil de presse. C’est aux professionnels de s’entendre sur le périmètre d’action », précise Emmanuel Hoog. La déontologie occupe d’ores et déjà une place importante au sein du paysage médiatique du pays. La presse française

Plus d’infos sur notre site assises. journalisme. epjt.fr

soupçon de corporatisme

« La présence d’un conseil de déontologie de la presse n’entraîne pas automatiquement une montée au classement, mais cela peut expliquer en partie la bonne place q u’ y o c c u p e n t c e r t a i n s p ay s comme le Danemark », analyse Paul Coppin, le responsable des activités juridiques de l’organisation. Selon les pays, les priorités de ces instances diffèrent. Régulièrement mis en avant, le traitement des plaintes du public n’est pas forcément la tâche principale de ces conseils conçus pour être des médiateurs forts entre le public et les journalistes. Leur composition varie également selon les pays. La plupart ont une représentation tripartite, avec des journalistes, des éditeurs et des représentants de la société civile, afin d’éviter les soupçons de corporatisme. Une particularité que le futur conseil de presse français pourrait présenter. « Ceux qui se sont montrés favorables à un conseil de presse ont tous dit qu’il fallait une représentation de la société civile au sein de cette instance », confirme Emmanuel Hoog. Le Syndicat de la presse indépendante


Enquête 5

Photo : machin chose

Illustration : Marie-Pier Lebrun

La Feuille 14 mars 2019

Le conseil de la presse : un outil de régulation magique à brandir à loisir pour faire respecter les règles de déontologie ?

d’information en ligne (Spiil) se dit ouvert au principe d’un un bon signal », estime par exemple Jean-Christophe Bouconseil de presse. Tout comme le Syndicat national des langer, président du Spiil. Emmanuel Hoog tempère : « Ce journalistes (SNJ) qui revendique la « création d’une ins- n’est pas parce que l’État me missione qu’il jouera un rôle tance nationale de déontologie » et demande l’inscription dans le futur conseil de presse. Sa place sera nulle. » de la Charte de Munich dans la convention collective des La solution aux problèmes déontologiques pourrait journalistes. Jean-Marie Charon, sociologue au Centre d’abord passer par les rédactions et par des journalistes national de la recherche scientifique et spécialiste des qui se remettent quotidiennement en question. En janvier médias, estime que cette dernière requête suffit. « Recon- 2018, le quotidien La Voix du Nord a officiellement mis naître un texte qui soit opposable par les journalistes fin à la relecture de ses papiers par les interviewés. Une serait beaucoup plus intéressant que d’avoir un conseil pratique imposée par certains hommes politiques, mais au-dessus de tout », juge-t-il, considérant comme « inu- aussi, parfois, par ceux qui militent pour la création d’un tile » la création d’un conseil de presse. « On peut envisa- conseil déontologique… ger la médiation d’une autre manière, comme par Ariel GUEZ et Camille MONTAGU exemple avoir des structures au sein des réd action s », arg ue encore Jean-Marie Charon. Mais la créaujourd’hui, une cen- Si la plainte est justifiée, le gie en 2003 (actualisé en tion de ce conseil ne taine de conseils de média concerné doit publier 2015). Ces organes existent solutionnerait pas d é o n t o l o g i e d e l a un court message relatant aussi dans des pays moins tout . Plusieurs cr i presse existent dans le son erreur. Mais le principal cléments pour les journatiques reviennent soumonde. Certains sont plus objectif de ces instances est listes, comme au Togo, 86e du vent sur la mission réputés que d’autres. C’est le pédagogique. Le conseil de classement de la liberté de la d’Emmanuel Hoog. cas des instances scandi- presse du Québec, financé presse de Reporters sans L a p r i n c i p a l e  : q u e naves, comme le Norwegian par les médias, est indépen- fontières et la Russie, 148e de l’État soit à l’initiative Press Complaints, qui traite dant du gouvernement. De- la liste. Elle est d’ailleurs le du projet. « Même s’il les plaintes de civils directe- puis sa création en 1973, il a seul pays européen à intégrer n’aura aucun pouvoir ment concernés par les sujets donné son avis consultatif des représentants de l’État au dans le conseil une traités, du reportage à la sur plus de 2 000 plaintes et a sein de son conseil. fois celui-ci créé, cette chronique judiciaire. publié un code de déontoloA. G. et C. M. démarche n’envoie pas

Les spécificités des conseils de presse à l’étranger

A


6 Focus

14 mars 2019

Liberté, égalité, diversité

La Feuille

La journaliste Nassira El Moaddem regrette un manque de diversité dans les profils des étudiants en école de journalisme.

Photo : Thomas Samson/ AFP

modestes à se préparer sereinement aux concours et à intégrer les écoles. Ils bénéficient d’une aide financière, d’un tutorat pour trouver des stages et surtout d’un accompagnement pour qu’ils surmontent leurs difficultés et qu’ils ne s’autocensurent pas – certains peuvent renoncer à candidater. Vingt étudiants sont coachés et accompagnés toute l’année. C’est très bien, mais cela ne représente finalement que 200 étudiants sur une période de dix ans. Diplômée de Sciences Po Grenoble puis de l’ESJ Lille, la journaliste Nassira El Moaddem a dirigé jusqu’en décembre 2018 le Bondy Blog. Elle milite pour une diversité des étudiants en journalisme, à l’image de la diversité de la société.

La Feuille : Que pensez-vous de l’état actuel de la diversité dans les écoles ? Nassira El Moaddem : Il y a eu des avancées. Les écoles de journalisme ont pris conscience qu’elles étaient des sources d’endogamie sociale et ne représentaient pas la société. Il y a onze ans, le Bondy Blog et l’ESJ Lille ont mis en place la prépa Égalité des chances pour aider des jeunes issus de milieux sociaux

Les politiques d’ouverture sociale et d’accompagnement permettent-elles à ces étudiants de se sentir à leur place  ? N. E. M. : L’idée, ce n’est pas qu’au bout de deux ans, ces étudiants soient complètement pressurisés ou même dégoûtés du système des grandes écoles. Comment donner la possibilité à ces jeunes que l’on estime représenter la diversité de s’épanouir ? Comment leur permettre d’être eux-mêmes, sans qu’ils aient l’impression d’être dénigrés ? C’est le sujet le moins pris en compte selon moi. Toutes les écoles sont différentes, mais au CFJ, à l’ESJ Lille ou encore à Sciences Po Paris, pour ne citer que ces exemples, des étudiants me disent qu’ils ont encore du mal à trouver leur place.

Pourquoi est-il si difficile pour ces étudiants de trouver leur place dans les grandes écoles ? N. E. M. : La majorité des étudiants qui y évoluent sont issus de milieux sociaux assez homogènes. Ils ont déjà des connaissances culturelles communes, des codes sociaux et académiques qu’ils ont appris à maîtriser dans des lycées ou des prépas plus ou moins prestigieux. Ils ont acquis des façons d’être et de faire qu’ils n’ont plus à découvrir en arrivant dans les écoles de journalisme. Ils se retrouvent dans une sorte d’entre-soi, ce qui n’est pas le cas pour les élèves dont on parle ici. L’idée n’est donc pas d’introduire des corps étrangers dans un corps endogène, car ils n’ont pas à se forcer à rentrer dans le moule. Je pense qu’il est anormal de leur demander de s’intégrer, puisque cela revient à leur dire qu’ils ne sont pas comme les autres. Il faut rendre le système plus hétérogène et diversifié, afin de permettre à tous de s’intégrer. Il faut que les jeunes en question prennent leur place et comprennent qu’ils ne sont pas des pièces rapportées inadaptées. Propos recueillis par Éléa Chevillard

Ça bouge dans… les régions

Les journalistes, tous des Parisiens ? Pas si vrai, selon des professionnels qui ont installé leur rédaction hors de la capitale et qui sont bien décidés à créer une presse différente. . akir, CQFD, Le Ravi… Ils sont des que ce journal est « le réceptacle de nom- ment aux sept salariés associés, rendant

dizaines de médias dit « alternatifs » à s’être installés un peu partout en France, alors que la concentration des médias à Paris fait partie des critiques récurrentes adressées aux journalistes. Le journal en ligne Mediacités, lancé en 2016 à Lille, s’est depuis étendu à Lyon, Toulouse et Nantes. Spécialisé dans le journalisme d’investigation, il a lancé la plateforme Lanceur d’enquêtes, « pour se rapprocher du lecteur et permettre aux citoyens de coconstruire avec nous des enquêtes », comme l’explique Benjamin Peyrel, l’un de ses fondateurs. Le mensuel L’Âge de faire, fondé en 2005, basé dans le village de Peipin (Alpes-deHaute-Provence), existe toujours et tire à 20 000 exemplaires par mois. Lisa Giachino, directrice de publication, explique

breuses informations de militants qui n’ont pas d’écho dans les médias traditionnels ». Si, lors du lancement, le choix du territoire a été le fruit du hasard, cette zone très rurale convient finalement parfaite-

Photo : Benjamin Baixeras

F

Les sujets traités localement ont souvent une résonnance nationale.

possible « d’autres points de vue ». À Marseille, Le Ravi, mensuel satirique d’investigation, promet un traitement différent de l’actualité, à l’image d’un article publié avant l’Euro de football 2016. « Affairisme, corruption, argent roi, presse aux ordres, flicage » étaient au sommaire de l’enquête « Footez-nous la paix ! » Malgré ce dynamisme, le nord de la France reste peu couvert par ces médias « pas pareils » comme le relève une carte établie par L’Âge de faire. Une situation liée au manque d’émulation sur place, d’après Sébastien Boistel, journaliste au Ravi. Il reste donc encore des défis à relever pour renouer le lien entre médias et lecteurs à l’échelle locale. Melena Helias et Lena Plumer-Chabot


Focus 7

14 mars 2019

photo : benjamin baixeras

La Feuille

Quelles similitudes, quelles différences entre BFMTV, LCI et France Info ? Après six heures de visionnage, verdict...

Des sœurs jumelles ?

Les chaînes d’information en continu appliquent-elles toutes les mêmes recettes pour captiver le téléspectateur ? Pour le savoir, nous avons comparé les programmes de trois d’entre elles aux mêmes horaires.

L

es chaînes d’information en continu sont au cœur de la tourmente. Dès les prémices du mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018, la défiance affichée par une partie des Français contre les médias et en particulier les chaînes d’info en continu n’a fait qu’augmenter. Nulle n’est épargnée, de BFMTV à LCI en passant par France Info. Ces chaînes sont-elles toutes les mêmes ? Nous avons visionné trois chaînes en simultané le jeudi 7 mars à 14 heures puis à 18 heures, pendant une heure à chaque fois. Si le contenu se ressemble, la façon de raconter l’information est, elle, différente selon les chaînes.

bfmtv, « priorité au direct »

Contrairement à ses trois concurrents diffusant au même moment le dixième débat d’Emmanuel Macron à Gréouxles-Bains, dans les Alpes-de-HauteProvence, BFMTV reste sur l’information en continu avec comme sujet phare la démission du cardinal Barbarin. « C’est un choix totalement assumé. Cela fait écho à notre volonté de donner la priorité au direct et à l’information à nos téléspectateurs », explique Laurent

Drezner, secrétaire général de la rédaction de la chaîne. Au fil de ses éditions de flashs infos, BFMTV joint l’analyse au factuel, à grand renfort de chroniqueurs, à l’image du journaliste Nicolas Prissette, revenu à trois reprises pour décrypter l’annonce de la démission du cardinal.

lci, gare au duplex

Si les sujets abordés dans ses JT diffèrent peu de ceux du leader d’audience BFMTV, LCI se démarque par ses duplex. Au risque de tourner en rond, comme le confirme Julien Garrel, journaliste pigiste sur la chaîne. « Pendant les matinées des premiers samedis de mobilisation des Gilets jaunes, nous faisions des “duplex teasing”, qui ne servent finalement qu’à introduire ce qui allait se passer l’après-midi. » Un procédé sans valeur ajoutée que la chaîne du groupe TF1 a rapidement abandonné ensuite.

france info, la différence

Sur France Info, à la fois la forme et le contenu diffèrent de ceux de BFMTV et de LCI. La chaîne publique lancée

en 2016 met l’accent sur l’explication par un journaliste, souvent en images, sur le plateau plutôt que de multiplier les interventions sur le terrain. Même les flashs infos s’articulent différemment. Leur longueur, une demi-heure pour France Info, quinze minutes pour les deux autres, change la hiérarchie de l’information et le choix des sujets. À défaut d’être rapide, France Info s’octroie la liberté de proposer des sujets un peu plus longs et de contenus plus divertissants comme la séquence « VU » (similaire à l’ancien « Zapping » de Canal+), impensable s dans le quar t d’heure de BFMTV. Le paysage de l’information en continu ne serait donc pas aussi uniforme que certains pourraient le penser. Si BFMTV et LCI présentes des similitudes, France Info propose un regard et un rythme différents. Pourquoi alors ces chaînes sont-elles autant critiquées ? « Peut-être pour la simple raison qu’elles n’ont jamais été autant regardées », conclut Laurent Drezner. Benjamin BAIXERAS et Louis BOULAY


8 Portrait

Femme du Monde

14 mars 2019

La Feuille

Grande reporter, Ariane Chemin travaille pour ‘‘Le Monde’’ depuis 1996. Cette journaliste tenace et passionnée est coprésidente du jury des Assises.

I

l est 11 h 10, ses talons

Au journal Le Monde, elle fait partie de la famille des « grands reporters », mais elle, se définit simplement comme « journaliste ». Pour Ariane Chemin, le travail est le même : « Je n’aime pas certaines oppositions que l’on fait. Cela me parait étrange de toujours vouloir faire ces distinctions. Pour moi, ce qui fait la qualité d’un journaliste , c’est sa curiosité et sa volonté permanente de vouloir sortir des informations. »

Photo : Emmanuel Haddek Benarmas

claquent sur le sol de la rédaction du journal, qu’elle traverse d’un pas décidé. Ariane Chemin est difficile à suivre, sans cesse en mouvement. Un rapide passage à son bureau, « banal » comme elle le qualifie, qu’elle partage avec Florence Aubenas ou son amie Raphaëlle Bacqué.

Parfois, son travail l’amène un peu plus loin qu’elle ne l’avait imaginé. Le 18 juillet dernier, la journaliste publie dans Le Monde une enquête qui identifie Alexandre Benalla prenant à partie des manifestants place de la Contrescarpe à Paris. Le premier article d’une longue série… « Personne n’avait compris à ce moment qu’Alexandre Benalla n’était pas seulement l’homme qui usurpait une fonction, mais qu’il était aussi un personnage au cœur de l’Elysée. Au fond, c’est une affaire qui raconte le fonctionnement d’un pouvoir. »

un combat

Au fil des années, la femme de terrain est aussi devenue une femme de combats. En 2012, dans une série consacrée à l’histoire de son journal, Ariane Chemin revient sur l’année 1978, celle où Le « Ce qui fait la qualité d’un journaliste, Monde avait offert une tric’est sa curiosité et sa volonté permanente bune au négationniste Robert de vouloir sortir des informations. » Faurisson. Un peu plus tard, le goût du terrain l’article est repris dans le livre Ariane Chemin et Raphaëlle Ariane Chemin est une femme de terLe Monde, 70 ans d’histoire et Bacqué présideront cette année le jury rain. Après sept ans au service poli- le négationniste décide d’attaquer des Assises internationales du journa- tique du Monde, sa curiosité la pousse Ariane Chemin et le journal en justice lisme. Habituées à écrire à quatre mains à partir, mais jamais très loin de sa pour diffamation. La journaliste gagnepour Le Monde ou pour des livres, elles « deuxième maison ». Elle intègre le ra son procès. « C’est l’une des choses n’ont pas choisi le thème par hasard : service grands reporters du journal en dont je suis la plus fière », confie-t-elle. « S’intéresser à la contestation envers les 2002 : « J’avais envie de découvrir En racontant son histoire, elle paraît médias nous semblait pertinent, car c’est d’autres choses. Certaines personnes très calme. Mais son regard, lui, ne un phénomène nouveau. Selon moi, le sont plus heureuses en restant dans un perd jamais de sa force. Vincent Mardéclencheur a été la dernière élection domaine qu’elles connaissent, ce n’est tigny est l’un de ses amis proches. présidentielle. Certains candidats ont pas mon cas. » Ensemble, ils ont animé pendant beaucoup critiqué la presse. C’était la Aujourd’hui, elle traite de tous les su- un an l’émission « L’Atelier du poupremière fois que cela arrivait dans une jets, sur tous les terrains, et elle aime voir » sur France Culture. Il se souprésidentielle », explique Ariane Che- ça. « Ce qui la caractérise, c’est son vient du jour du procès : « J’ai vu min. Mais pour la journaliste, cela va éclectisme. Elle aime aussi bien écrire quelqu’un de très différent de la permême au-delà de la simple défiance : sur la Corse ou sur les coulisses de l’Ély- sonne que je voyais tous les jours. « Tout cela participe selon moi à la sée que sur le passage d’un ouragan », Une femme tenace et déterminée à ne montée d’un climat populiste qui ne se confie son amie de longue date et col- pas laisser le mensonge l’emporter. » limite pas qu’à la France. » lègue Raphaëlle Bacqué. Emmanuel HADDEK BENARMAS La Feuille. numéro spécial Assises du journalisme 2019. École publique de journalisme de Tours (EPJT) – IUT de Tours, 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 Directeur de publication : Nicolas Sourisce. Encadrement : Élodie Berthaud, Antonin Chilot, Benoist Pasteau. Rédaction en chef : Théo Touchais, Mathilde Warda. Rédaction : les étudiants de deuxième année, Benjamin Baixeras, Perrine Basset, Lorène Bienvenu, Alice Blain, Louis Boulay, Eléa Chevillard, Victor Fièvre, Elise Gilles, Ariel Guez, Emmanuel Haddek Benarmas, Melena Hélias, Chloé Lifante, Camille Montagu, Lena Plumer-Chabot, Salomé Raoult, Mélina Riviere, Lucie Rolland, Arnaud Roszak, Suzanne Rublon, Léa Sassine. Conception graphique : Laure Colmant/EPJT sur une idée de Frédéric Pla. Site Internet : www.epjt.fr. Impression : Picsel, Université de Tours. ISSN : 0299-3406. Dépôt légal : mars 2019. Toute reproduction est interdite et passible de poursuites.


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