La Feuille
Illustration : Ariel Guez / Suzanne Rublon
NUMÉRO SPÉCIAL ASSISES DU JOURNALISME – 15 MARS 2019
Je t’aime, moi non plus La défiance envers les médias ne cesse de grandir. Les critiques fusent, les agressions s’accumulent. Comment renouer le lien ?
ÇA BOUGE DANS...
FOCUS
PORTRAIT
LES ÉCOLES DE JOURNALISME
LES TRUBLIONS DE L’INFO
AUDE LORRIAUX PREND LA UNE
LES RÉVÉLATIONS DE LA LIGUE DU LOL ONT BOULEVERSÉ LE MONDE DU JOURNALISME. LES ÉCOLES N’ÉCHAPPENT PAS AU FLÉAU DU HARCÈLEMENT /P.6
LES ÉDITORIALISTES OCCUPENT L’ESPACE MÉDIATIQUE ET CRISTALLISENT LES TENSIONS AUTOUR DES JOURNALISTES. LEUR PLACE EST-ELLE LÉGITIME ? /P.7
PORTE-PAROLE DE L’ASSOCIATION PRENONS LA UNE, AUDE LORRIAUX SE BAT CONTRE LES DISCRIMINATIONS DEPUIS LE DÉBUT DE SA CARRIÈRE. RENCONTRE /P.8
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Sur le vif 15 mars 2019
RENDEZ-VOUS SUR TWITTER @EPJTOURS
La Feuille
PAGES RÉALISÉES
PAR LA RÉDACTION
ENTENDU DANS LES ATELIERS
Photo :Emmanuel Haddek
« PROTÉGER LES DONNÉES »
TROIS QUESTIONS À...
Éric Scherer
Directeur de la prospective à France Télévisions La Feuille : N’avez-vous pas peur que l’intelligence artificielle provoque la disparition du métier de journaliste ? Éric Scherer : Je ne pense pas que l’intelligence artificielle soit un frein, au contraire elle va être un outil très utile. Elle va permettre aux journalistes de se concentrer sur le travail le plus intéressant et de laisser aux machines ce qui est plus ingrat et ennuyeux. Je pense notamment aux résultats financiers, sportifs et à un tas d’autres choses que les machines peuvent déjà faire. Elles laisseront donc aux journalistes les travaux d’enquête, de mise en situation, de décryptage et de hiérarchisation qui sont au cœur-même du journalisme. Croyez-vous que l’intelligence artificielle représente un risque de propagation de fausses informations ? É.S. : L’intelligence artificielle nous permettra plutôt de diminuer les fake news. De la même manière que l’intelligence artificielle nous aide à recevoir moins de spams dans nos boîtes mails, elle permettra de réduire le flux de fausses informations
qui pourraient se retrouver dans les médias sans toutefois distinguer le vrai du faux. Il existe un bon et un mauvais côté pour chaque outil. Il appartient à tout un chacun d’avoir une éducation et un sens critique un peu plus développé qu’avant parce que l’intelligence artificielle permet de créer tout un tas de choses fausses qui peuvent sembler extrêmement réelles et qui sont de plus en plus difficiles à cerner. On espère que cela deviendra un outil efficace pour le faire. L’intelligence artificielle a déjà démontré qu’elle pouvait être plus productive que les journalistes. Ne croyez-vous pas que l’essence du travail journalistique sera gâchée par cette production excessive ? É.S. : Le journaliste devra justement mettre encore plus d’efforts dans la hiérarchisation de l’information et dans la mise en situation. Ce travail important de valeur ajoutée restera l’apanage du journalisme. Propos recueillis par Pierrick PICHETTE et Salomé RAOULT
« Une information est difficile à vérifier. Quand des rédactions reçoivent des leaks, des documents confidentiels, sur une clé, le premier réflexe doit être de protéger les données pour ensuite prouver leur authenticité. C’est une garantie indispensable, surtout en ce moment avec la défiance envers les journalistes. » Jean-Marc Bourguignon, cofondateur de Nothing2Hide, une association de protection de l’information, à l’atelier « La data au service de l’investigation »
« OBSESSION DE L’AMOUR DU PUBLIC »
« Peut-être que la défiance n’est pas si mauvaise que ça ? Il n’existe que peu d’institutions qui exigent de leurs membres une confiance absolue. C’est tout à fait sain, dans une démocratie, d’avoir ces phénomènes de méfiance. Les médias devraient se libérer de leur obsession de l’amour du public. » Gilles Bastin, professeur de sociologie à l’université Grenoble Alpes, à l’atelier « la détestation des journalistes, une vieille histoire »
« ON GÊNE UN PEU »
« Nos formats d’éducation aux médias échappent complètement aux cadres de l’éducation nationale, je sais qu’on gêne un peu. » Thibault Dumas, journaliste et président du Club de la presse Nantes-Atlantique à l’atelier « Journalisme en résidence : bilan et prospective »
La Feuille
Sur le vif
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LES ASSISES VUES… PAR UNE TUNISIENNE
Photo : Emmanuel Haddek
Hamdi Khouloud est étudiante à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) de l’université de la Manouba à Tunis. Elle participe aux Assises du journalisme avec ses camarades et encadrants grâce à une collaboration signée entre l’IPSI et l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). Après avoir couvert les Assises de Tunis, place à celles de Tours avec le magazine arabe Al rabaa. De cette expérience, elle retiendra surtout le travail, l’entraide et les rencontres culturelles. Selon elle, « la participation des étudiants journalistes du monde entier à l’organisation des Assises est un pas primordial et essentiel vers le professionnalisme. »
PRÉSENTATEURS D’UN JOUR
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Aux Assises du journalisme, tout est possible. Certains jeunes élèves ont pu, le temps d’un instant, devenir présentateur du journal télévisé de France 2 et se mettre dans la peau d’Anne-Sophie Lapix. L’astuce : un casque de réalité virtuel qui plonge les journalistes en herbe dans l’ambiance des dernières minutes qui précèdent le direct...
étudiants en journalisme réclament des mesures contre le harcèlement dans les rédactions. Source : Tribune signée par un collectif d’étudiants en journalisme mi-février 2019
« Il faut que l’on s’interroge sur le syndrome de l’imposteur des journalistes. Nous avons toujours l’impression d’être remplacés et de ne servir à rien. » Benoît Raphaël, journaliste et « éleveur de robots », sur le plateau de l’EPJT
Photo : Emmanuel Haddek
LE MOT DU JOUR
Plus d’infos sur notre site assises.journalisme.epjt.fr
DEMANDEZ LE PROGRAMME ! Notre sélection du vendredi 15 mars : 9h15-10h45 > Attentats, suicides, maladies graves : traiter du sensible Attentats, suicides, maladies graves, comment traiter du sensible dans les médias ? C’est à ce sujet que s’interrogeront les invités, dont Caroline Langlade, journaliste et auteure de Sorties de secours et Nathalie Pauwels, en charge du programme de prévention du suicide Papageno.
11h-12h30 > Cultures du cœur : la marginalité dans les médias Cultures du Coeur est une association qui favorise l’insertion des plus démunis par l’accès à la culture, aux sports et aux loisirs. Les invités, tous sensibilisés à ces minorités, s’interrogent sur leur exposition dans l’information, suffisante ou non. 15h30-16h15 > Carte blanche à Gilles Bouleau, et Pascale de la Tour du Pin
Depuis le 4 juin 2012, les téléspectateurs de TF1 ont rendez-vous avec Gilles Bouleau chaque jour, à 20 heures. Après neuf ans passés à BFM TV, Pascal de la Tour du Pin, quant à elle, a rejoint LCI en 2017. Lors de leur carte blanche, les journalistes donneront leurs avis sur les diversités éditoriales. 17h45-18h30 > Carte blanche à Dominique Wolton Une conférence qui reprend le thème général des Assises. Les médias
se ressemblent-ils ? Sont-ils tous les mêmes ? Un grand débat qui ne manquera pas de donner matière à réfléchir sur les pratiques journalistiques 18h15-19h30 > « Parlons info » Vous aimez écouter Radio France ? Venez rencontrer leurs journalistes au théâtre Olympia ce soir. Une opportunité de participer à un échange direct avec eux, et d’en apprendre davantage sur leurs visions de certaines pratiques éditoriales et ce qui les anime.
4 Enquête
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AUX GROS MAUX LES REMÈDES
Violence, méfiance, méconnaissance... La relation entre les médias et les Français est parfois conflictuelle. Des solutions existent pourtant.
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es journalistes pourchassés et insultés, leurs agents de sécurité roués de coups... Les violences envers les journalistes se sont intensifiées ces derniers mois. Selon un baromètre commandé par La Croix, datant de janvier 2019, 19 % des Français considèrent que ces insultes et agressions sont compréhensibles et justifiées. Les causes de cette haine sont nombreuses. Il est notamment reproché aux professionnels de l’information un certain manque de neutralité, un manque de proximité avec le public et un décalage avec la réalité. Pour lutter contre ce t t e d é f i a n ce , l a p r o f e s s i o n cherche des solutions. Voici trois d’entre elles.
renouer le contact avec le public
tion avec des standards plus pointus que ceux qui sont généralement mis en œuvre dans les rédactions ». Le Parisien a lui aussi créé Le labo des propositions citoyennes, une passerelle qui répond aux questions des lecteurs. Créée dans le cadre du Grand Débat, elle propose des informations vérifiées, développées et contextualisées.
créer de nouveaux formats
Pour lutter contre le manque de diversité des médias traditionnels, certains journalistes innovent avec des nouveaux modèles de diffusion. Brut, créé en 2016, utilise les réseaux sociaux pour partager ses reportages vidéo. La formule fonctionne : en 2018, plus de 400 millions de vues ont été dénombrées sur Facebook. Lors de la crise des Gilets jaunes, Rémy Buisine, journaliste à Brut, s’est démarqué en réalisant de nombreux Facebook live des manifestations. « L’avantage des directs sur les réseaux sociaux, ce sont les commentaires des internautes. C’est une valeur ajoutée car on est connecté directement avec notre audience », détaille-t-il. Mais le direct n’enlève rien à la véracité du contenu selon lui : « Ce n’est pas parce que je suis en direct que je ne peux pas avoir de recul sur les événements. Je suis en contact permanent avec ma rédaction et les autorités compétentes. » D’autres médias sociaux sont également de plus en plus présents et importants, comme le témoigne l’essor de la chaîne YouTube Hugo Décrypte, lancée en 2015 par Hugo Travers, alors étudiant à Sciences Po. L’objectif de son format est d’expliquer l’actualité à des jeunes, âgés de 15 à 25 ans. « L’une des causes de la défiance, c’est que beaucoup de jeunes ne suivent pas les informations. Avec ma chaîne,
« Le fact-checking crée un lien direct avec le public et permet également au journaliste de sortir de sa bulle. »
Presque toutes les rédactions possèdent désormais leur propre service de vérification de l’information appelé « fact-checking ». Si ce système existe depuis longtemps, la manière de procéder a évolué. Libération est, par exemple, passé de la simple vérification d’informations à la réponse aux questions directement posées par les internautes. « Cela crée un lien direct avec le lecteur et permet également au journaliste de sortir de sa bulle », précise Pauline Moullot, journaliste de Checknews. Par souci de transparence, la rédaction est allée jusqu’à révéler le scandale de la Ligue du LOL, qui concernait deux de ses rédacteurs. Dans les écoles de journalisme, des cours sont dispensés sur le sujet. Pour Laurent Bigot, journaliste, maître de conférence et responsable de la presse écrite à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), « le but du fact-checking est d’aider les étudiants à acquérir des réflexes de vérifica-
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Enquête 5
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Photo : machin chose
Illustration : Ariel Guez & Benoist Pasteau
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Comment reconnecter les médias aux Français ? Des initiatives sont lancées depuis plusieurs années. Parmi elles, l’association des Jeunes reporters fait découvrir le journalisme aux jeunes dès l’âge de 8 ans depuis 2017.
j’essaie de leur apporter un certain contenu d’information », explique le jeune homme de 21 ans.
sensibiliser les jeunes
ters (8-13 ans et 13-18 ans) a été créé en juin 2017, suite à un projet scolaire datant de 2007. Le but est de « faire découvrir le journalisme, apprendre à écrire pour les autres, mais aussi aller jusqu’au bout de leur démarche », explique Gaëtan Després, qui encadre les jeunes. Les médias prennent également des initiatives pour l’éducation. Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction à France Info, insiste sur cette thématique, selon elle « incontournable ». « On organise de nombreuses rencontres entre les journalistes et les classes. Il y a une nécessité pédagogique de la part des médias d’aller vers les jeunes et de démystifier notre métier. »
Former pour comprendre de quelle manière les médias fonctionnent est également un enjeu pour lutter contre cette haine. Créé il y a quarante ans, le Centre de liaisons pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), promeut l’éducation aux médias sous différentes formes. « Zéro Cliché », par exemple, est un concours ouvert aux écoliers, collégiens et lycéens, qui prône la déconstruction des stéréotypes sexistes à travers la production de contenus jour- Mélina RIVIÈRE et Suzanne RUBLON nalistiques. Serge Barbet, directeur du Clémi, placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation, estime la es citoyens n’ont pas at- existé. Les nouvellistes du nouveau média qui empêche mission né cessaire. tendu les Gilets jaunes XVIIIe siècle se retrouvaient le public de réfléchir parce « Quand on apprend à pour détester les journa- sous l’arbre de Cracovie pour qu’il s’adresse directement à faire la différence entre listes. L’apparition de cette raconter des « craques »... ses émotions en lui parlant une bonne information défiance remonte avant la L’ancêtre des fake news était chez lui. « À chaque nouveau et une manipulation, Révolution française, selon né. La dynamique s’est pour- média, une nouvelle critique on évite déjà un certain Claire Blandin, professeure suivie pendant le XXe siècle, qui va chercher à décrédibilinombre de pièges. C’est en sciences de l’information avec une tendance à l’intensi- ser les nouvelles formes de ce qui permet de deveet de la communication à fication à chaque apparition médiation », commente nir un citoyen éclairé. » Paris 13. D’aussi loin que les d’un nouveau canal d’infor- Claire Blandin. Et on le voit Des initiatives existent archives permettent de s’y mation. Dans l’entre-deux toujours aujourd’hui avec référer, une méfiance vis-à- guerres, les intellectuels se Internet... aussi localement. En Indre-et-Loire, l’assovis de la presse a toujours liguent contre la radio, ce Eléa CHEVILLARD ciation Jeunes repor-
Une haine qui a traversé les siècles
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L’actualité en signes
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Sophie Scheidt présente le premier journal entièrement en langue des signes. Ce programme, “Le 10 minutes” , est diffusé sur le site de M6.
Photo : Nidid
cessibilité des lieux publics pour les personnes sourdes. On était aussi l’une des seules entreprises à traduire les actualités. Lorsqu’elle a fermé, j’ai eu des difficultés à retrouver un travail. Avec mon collègue Olivier Calcada, nous avons décidé de créer notre propre structure de traduction Vice-Versa, qui existe depuis trois ans et demi.
De traductrice à présentatrice, Sophie Scheidt cherche à rendre l’information plus accessible aux personnes handicapées. Sourde de naissance, elle est à l’origine du projet « Le 10 minutes », émission web de M6 entièrement réalisée en langue des signes.
La Feuille : Quel a été votre parcours ? Sophie Scheidt : J’ai eu la chance de faire toute ma scolarité dans une classe bilingue, en français et en langue des signes. J’ai ensuite intégré un parcours pour devenir interprète. Lorsque j’ai été embauchée dans une agence de traduction, j’ai commencé à m’intéresser à l’ac-
Comment avez-vous intégré l’émission « Le 10 minutes » de M6 ? S.S. : Dès mes débuts en tant que traductrice, je m’intéressais à l’accès aux médias. On savait à l’époque qu’il y avait un vrai potentiel d’audience derrière. On a eu l’idée de monter un projet et de le proposer à M6. On ne savait pas encore sous quelle forme, mais on voulait rendre l’information accessible. On a donc créé un concept, on a dû chercher des fonds… Petit à petit, les portes se sont ouvertes, les personnes étaient vraiment intéressées par ce projet. « Le 10 minutes » est né. On voulait qu’il soit sur Internet pour le rendre plus accessible. Olivier et moi-même en sommes les présentateurs. Notre but n’était pas de parler de handicap, on n’évoque presque jamais le mot, mais de développer un programme accessible aux personnes sourdes.
Est-ce que cette initiative peut banaliser les questions liées au handicap dans les médias ? S.S. : Oui bien sûr ! L’objectif n’était pas de se mettre en avant. J’ai eu la chance d’avoir pu faire de longues études, mais la France accuse un grand retard : beaucoup de personnes sourdes sont illettrées ou en échec scolaire. Aujourd’hui, la jeune génération a accès aux nouvelles technologies. Grâce à l’émission, elle peut s’imaginer plus facilement un avenir. Le but était aussi de créer un nouveau modèle d’émission, qui puisse durer dans le temps, car on n’est pas immortel. [Rires] Considérez-vous que les journalistes sont « tous les mêmes » ? S.S. : Il est vrai que sur les chaînes télé, il y a des codes, des choses assez normées. Par exemple, on ne voit pas souvent des personnes d’outre-mer ou des personnes qui ont des accents. Les sourds sont aussi absents des écrans. Même si on a une culture et une langue minoritaires, je me sens Française avant tout. Je pense que certaines initiatives, comme celle de M6, participent à l’inclusion de l’ensemble de nos cultures. On aimerait que les présentateurs sourds soient plus nombreux.
Propos recueillis par Perrine BASSET
Ça bouge dans… les écoles
L’affaire de la Ligue du LOL a mis en lumière des cas de harcèlement dans le milieu du journalisme. Les grandes écoles ne sont pas épargnées par ce fléau. noms de famille de certains. Citons encore les chants antisémites et homophobes des étudiants de l’ESJ Lille qui auraient été entendus aux tournois de foot annuels inter-écoles. En 2017, Nassira El Moaddem avait affirmé sur
Photo : Emmanuel Haddek
A
vec son enquête sur la Ligue du LOL, Checknews, la cellule de fact-checking de Libération, est à l’origine d’une importante vague de témoignages et réactions, qui remonte même jusqu’aux écoles de journalisme. Un problème qui reste actuel et dont les é coles prennent peu à peu conscience. À l’EJDG à Grenoble par exemple, Céline Argento, ex-étudiante, est sortie du bois sur Twitter. « D’anciens membres de ma promo [...] continuent aujourd’hui d’alimenter un groupe de haine, joliment appelée ‘‘Ultim-hate’’.» Sur une conversation Facebook, aujourd’hui délaissée par beaucoup et regroupant les étudiants de plusieurs écoles de journalisme reconnues, des moqueries ont longtemps fusé sur les
Haine, moqueries... Des témoignages d’étudiants harcelés s’accumulent.
Twitter avoir été victime d’actes malveillants de certains camarades de promo à Lille, comme Hugo Clément, qui a nié les faits. « Les étudiants dits ‘‘cools’’, ceux-là même qui m’ont harcelée au téléphone me faisant miroiter un recrutement à Radio France », dénonçait-elle à l’époque sur Twitter. Certaines écoles ont mis en place des actions de prévention, comme à l’IJBA de Bordeaux, où le directeur Arnaud Schwartz, a annoncé à l’AFP réunir ses étudiants pour « en parler et attirer leur attention sur les questions de harcèlement ». L’école de Sciences-Po Paris, elle, vérifie désormais le passé de tous ses intervenants pour ne conserver que ceux au comportement plus vertueux.
Alice BLAIN
Focus 7
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ILLUSTRATION: ARIEL GUEZ
La Feuille
Depuis les années 1970, les éditorialistes envahissent chaînes et journaux créant une confusion avec les journalistes de terrain.
Les trublions de l’info
Les éditorialistes, omniprésents dans les médias, sont la cible de critiques. Bien souvent, ce sont leurs collègues, journalistes de terrain, qui en payent les pots cassés.
S
e confronter au terrain pollue l’esprit de l’éditorialiste. […] Il est un tuteur sur lequel le peuple, comme du lierre rampant, peut s’élever. » Dans un entretien accordé au Journal du dimanche (JDD) en avril 2017, Christophe Barbier affichait un égocentrisme décomplexé pour décrire son métier d’éditorialiste. Il est l’une des figures de proue de cette profession, payée à donner son avis. Chaque semaine dans les colonnes de L’Express, tous les matins sur BFMTV ou régulièrement dans « C dans l’air », sur France 5, il « affirme ses certitudes », comme il l’explique encore lui-même.
points de vue clivants
Et Christophe Barbier n’est pas le seul sur ce créneau : Jean-Michel Aphatie, Alain Duhamel ou encore Bruno Jeudy arrondissent aussi leur fin de mois, en vendant leur point de vue, souvent clivant. « Le passage de la presse écrite aux médias audiovisuels et la multiplication des supports dans les années 1970 », a fait s’accélérer leur présence
dans les médias, rappelle l’historien spécialiste des médias Christian Delporte. Et donc les critiques qui les accompagnent. En 1996, dans son article « Les médias et les gueux », Serge Halimi n’avait pas manqué de souligner la complaisance de nombreux éditorialistes à l’égard des réformes libérales proposées par Alain Juppé, alors Premier ministre.
« ils servent de poil à gratter »
C’est l’un des reproches qui revient régulièrement : « Ils prennent beaucoup de place pour un champ d’opinion très restreint finalement. Pour eux, être plus à gauche que Manuel Valls, c’est être d’extrême-gauche ! » s’agace Samuel Gontier, animateur du blog Ma vie au poste pour Télérama. Mais ce qui est sans doute le plus grave pour le métier, c’est la confusion entre journaliste de terrain et journaliste d’opinion. La frontière entre les deux n’existe pas pour un public peu sensibilisé à la production de l’information. Des reporters de BFMTV, mobilisés pour couvrir les manifesta-
tions des Gilets jaunes, ont pu l’expérimenter durant leur travail : « On est parfois desservis par nos éditorialistes qui sont bloqués dans leur corpus idéologique », se plaignaient-ils dans un article de Libération, « Contre les reporters de BFMTV, des attaques très directes », en novembre 2018. Pourtant, malgré ces constats, beaucoup de médias leur accordent de l’importance. Pour Céline Pigalle, la rédactrice en chef de BFMTV, les éditorialistes ont plusieurs fonctions : « Ils font de la pédagogie, ils donnent des éléments de contexte et servent aussi de poil à gratter, pour réagir avec leur avis tranché. » Selon elle, il y a une incompréhension sur le rôle en soi de l’éditorialiste, qui « ne dit pas au spectateur ce qu’il doit faire » mais qui donne simplement « sa vision des faits, pour stimuler le débat ». Pour Samuel Gontier, un brin pessimiste, « il faudrait que la profession se mobilise » face à leur omniprésence. Car à l’heure actuelle, ni les éditorialistes, ni les équipes dirigeantes semblent vouloir se remettre en question.
Arnaud ROSZAK
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Elle prend la Une
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La Feuille
Depuis l’affaire de la Ligue du LOL, Aude Lorriaux, porte-parole de l’association Prenons la Une est très sollicitée par les médias pour s’exprimer sur la misogynie.
A
Photo : Dmitry Kostyukov
u lycée, mes copains Nassira El Moaddem et Marie m’appelaient parKirschen les livres qui font fois “le troisième l’actualité féministe. Si la lutte sexe” », se souvient pour plus d’égalité est au cœur Aude Lorriaux. Si de son travail depuis longsa période de cheveux verts temps, la révélation de l’exisest révolue, son engagement tence de la Ligue du LOL, il y lui, est resté intact. La journaa un mois, intervient comme liste de 36 ans milite auun « accélérateur » dans le jourd’hui pour une juste recombat de la journaliste. « Il y présentation des femmes dans a dix ans, ça n’aurait même les médias et l’égalité profespas été traité. Là, on a vu énorsionnelle dans les rédactions. mément de réactions s’emparer Depuis janvier 2018, Aude du sujet » , se réjouit-elle. Lorriaux est porte-parole de l’association Prenons la Une, prise de parole fondée quatre ans plus tôt par À la question de savoir si le Léa Lejeune (Challenges) et monde journalistique est plus Claire Alet (Alternatives Écotouché que d’autres secteurs nomiques). Celle qui préfère par les discriminations liées défendre une cause commune au genre, la diplômée d’une plutôt que d’évoquer sa propre licence de philosophie répond expérience de cyberharcèleque le sexime est présent parment se réjouit de la nominatout : « Récemment, des aftion de son association au faires ont été révélées chez les « Il y a dix ans, l’affaire de La Ligue du LOL Grand Prix des Assises du pompiers ». Avant d’ajouter journalisme de Tours pour que « dans les sphères à resn’aurait même pas été traitée. Là, on a vu « son action en faveur de la ponsabilité sociale, il est enbeaucoup de rédactions s’emparer du sujet. » parité, la lutte contre le harcècore plus nécessaire de monlement et la place des femmes trer l’exemple ». Elle l’explique dans les médias ». enquête sur les enfants transgenres). Un dans un essai, cosigné avec Sensible aux questions d’injustice so- domaine qui n’emballait pas ses collè- l’historienne Mathilde Larrère, Des inciale depuis longtemps, Aude Lorriaux guesm : « Toi, tu t’occupes que des clodos trus en politique : femmes et minorités : a finalement déjoué les pronostics pa- et des pédés », lui reprochait son rédac- dominations et résistances, paru en rentaux qui voyaient en elle une avocate. teur en chef de l’époque. 2018. Le chemin est encore long, à en Après le baccalauréat, elle s’oriente vers S’ensuivent des années à écrire pour dif- croire les résultats de la consultation en les classes préparatoires littéraires de férents supports, de La Croix au Point en ligne lancée par Prenons la une, Nous Louis-le-Grand avant d’intégrer l’Insti- passant par AFP Multimédia, AFP TV et toutes, et Paye ton journal, publiés en tut d’études politiques de Lille, l’Institut Fluctuat.net. Avec comme fil rouge les mars. Deux tiers des femmes y ayant français de presse (IFP) puis l’école de discriminations. Celles basées sur l’âge participé affirment avoir été victimes de journalisme de Berkeley en Californie. attirent notamment son attention. Pen- propos sexistes au sein de leurs rédacdant plus d’un an, Aude Lorriaux va dé- tions. L’auteure de 266 articles pour en avance sur son temps dier un podcast à ce sujet sur Nouvelles Slate estime toutefois que les choses En commençant à exercer comme jour- Écoutes intitulé « Vieilles Branches ». avancent dans le bon sens. « On assiste naliste en 2010, elle prend véritablement Deux fois par mois, elle rend visite à des à une évolution sociétale globale : actuelconscience du sexisme. La jeune journa- personnalités de plus de 75 ans. Le tout lement, trois quarts des Français âgés de liste couvre alors de nombreux sujets liés premier épisode d’un nouveau podcast 16 à 25 ans se disent féministes. »Reste à au genre (elle publie par exemple « Le de Slate.fr, le « Deuxième texte », est sor- le prouver dans les actes. petit garçon qui aimait les barbies », une ti début mars. Elle y décortique avec Melena HÉLIAS La Feuille. numéro spécial Assises du journalisme 2019. École publique de journalisme de Tours (EPJT) – IUT de Tours, 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 Directeur de publication : Nicolas Sourisce. Encadrement : Élodie Berthaud, Antonin Chilot, Benoist Pasteau. Rédaction en chef : Théo Touchais, Mathilde Warda. Rédaction : les étudiants de deuxième année, Benjamin Baixeras, Perrine Basset, Lorène Bienvenu, Alice Blain, Louis Boulay, Eléa Chevillard, Victor Fievre, Elise Gilles, Ariel Guez, Emmanuel Haddek Benarmas, Melena Helias, Chloé Lifante, Camille Montagu, Léna Plumer Chabot, Salomé Raoult, Mélina Riviere, Lucie Rolland, Arnaud Roszak, Suzanne Rublon, Léa Sassine. Conception graphique : Laure Colmant/EPJT sur une idée de Frédéric Pla. Site Internet : www.epjt.fr. Impression : Picsel, Université de Tours. ISSN : 0299-3406. Dépôt légal : mars 2019. Toute reproduction est interdite et passible de poursuites.