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Quand l’info fatigue

Un sur deux : c’est la proportion de « fatigués de l’information » en France. Face à une actualité et un traitement des nouvelles anxiogènes, ils saturent.

elle peut être oppressante. Olivier Le Deuff, chercheur en informationcommunication à Bordeaux, parle même d’addiction. Elle peut s’expliquer, selon lui, par les nouveaux formats d’information, plus courts. « Ce sont des supports mobiles qui ne sont pas idéaux pour une lecture attentive » , explique le spécialiste qui pointe du doigt TikTok. « Un utilisateur passe des dizaines de minutes sur l’application. Un temps qu’il ne consacrerait pas à la lecture d’un article. »

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Je suis allée mieux le jour où j’ai lu moins de choses », avoue Blandine Bissière, 44 ans, enseignante en mathématiques. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, il y a trois ans, elle a décidé de prendre en main sa consommation d’informations. Comme elle, un Français sur deux subit la « fatigue informationnelle », selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, publiée en septembre 2022. Cette expression désigne un sentiment éprouvé face à un trop-plein d’actualité, même si certaines personnes peinent à comprendre que le flux de nouvelles peut être à l’origine de leur stress. John Fernandes, psychologue à Tours, en témoigne. « Ces patients ont des difficultés à décrocher des médias.

Mais ce sont des symptômes indirects : ce n’est pas le motif pour lequel ils consultent. » Difficile en effet de dire si la surconsommation d’informations est à l’origine du stress ressenti ou si elle exacerbe un malaise déjà présent.

« Je suis à fleur de peau » Sandra Henry, 55 ans, responsable administrative d’une société dans le Var, connaît bien la fatigue informationnelle.

« Je suis à fleur de peau pour tout et pour rien. J’ai mis ça sur le compte d’une exposition trop soutenue à l’information. » Au début de la guerre en Ukraine, elle passait ses journées devant BFMTV. Un sentiment qui relève du paradoxe : le public a besoin d’informations même si

Les informations anxiogènes se succèdent : pandémie, guerre, pénuries… À chaque fois, avec cette impression que les médias en font beaucoup. « C’est la manière dont est présentée l’information qui est stressante » , déplore Marion Charmillot, 32 ans et naturopathe, qui s’est totalement coupée de l’actualité depuis 2014. Une solution pour lutter contre la fatigue informationnelle ? Elle n’a plus la télévision, n’écoute plus la radio et ne lit quasiment pas les journaux.

Anne-Sophie Novel nuance ce choix. Elle vient de publier un guide : Je passe à l’acte – Mieux s’informer, coécrit avec Natacha Bigan (Éd. Actes Sud, 2023).

« Il faut garder le réflexe de s’informer, mais il faut le faire de la bonne manière. En effet, comment organiser des débats en société si les gens sont mal informés ? »

Anne-France MARCHAND et Maël PREVOST

Journalistes : l’impossible déconnexion

En congés, les journalistes sont censés laisser le boulot au bureau. Pourtant, la pratique est bien souvent tout autre.

Je me sens journaliste 24 heures sur 24 », affirme Xavier Allain, 38 ans et rédacteur en chef web à France Info. Pour un journaliste, être au courant de ce qui se passe est une chose, laisser son travail à la rédaction en est une autre. Difficile de déconnecter lorsque l’info vous colle à la peau. « J’avais une montre connectée et j’y avais mis toutes les notifications. Mais elle me faisait vibrer la main tout le temps, même la nuit ou pendant la sieste » , raconte le rédacteur en chef.

L’actualité ne s’arrête jamais, ni pendant les jours de repos, ni pendant les vacances. « Je ne travaille pas le week- end, mais ça m’est déjà arrivé de publier une information un samedi. Je la jugeais importante et nous étions les seuls à l’avoir », avoue Chloé Gaillard, 28 ans et journaliste à Actu Oise.

Cette surconnexion brouille la frontière entre vie privée et professionnelle. Un phénomène parfois amplifié par les proches. Chloé Gaillard poursuit : « En famille ou avec des amis, tout le monde te donne des informations. Tu ne déconnectes jamais vraiment. »

Les journalistes doivent également composer avec une « pression de l’info ».

Bien souvent, ils se l’imposent à euxmêmes, de peur de rater une nouvelle importante. « C’est moi qui crée l’info, alors j’ai un besoin de m’informer , explique Xavier Allain. Quitte à recevoir la même info cinq à six fois. C’est comme une addiction : ça te fait du bien, comme ça te fait du mal en même temps. »

Certains professionnels ont pris conscience de ce cercle vicieux. Comme Pauline Grand d’Esnon, 35 ans et pigiste : « C’est presque contre-productif d’être si connecté. Il faut savoir mesurer le moment où ça devient inutile. » Le droit à la déconnexion est inscrit dans le Code du travail. Mais certains acteurs de la profession semblent parfois l’oublier.

Anne-France MARCHAND