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LES BARS À SOUPES SONT DANS LA PLACE

TIERS-LIEUX: POUR UN MONDE PLUS SOLIDAIRE ET RESPONSABLE

On y travaille, on s’y informe, on s’y cultive, on y musarde... et, bien sûr, on y mange ! Les tiers-lieux essaiment sur notre territoire, portés par une soif de convivialité, et une envie de bousculer les codes – y compris alimentaires – et de réenchanter la société. Focus.

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Un tiers-lieu, quèsaco? Si le terme reste encore méconnu du grand public, certains de ces espaces jouissent pourtant d’une forte notoriété. C’est le cas du Cent Quatre, de la Recyclerie ou de Ground Control à Paris, de la Belle de Mai à Marseille, de Darwin à Bordeaux ou encore de la Commune à Lyon. Hybrides, ces lieux pérennes ou éphémères mélangent culture, restauration, innovation, coworking… Le public y afflue pour travailler, boire un verre, faire du skate, assister à une exposition ou un atelier d’agriculture urbaine. À chaque tiers-lieu son concept et ses spécificités. Certains ont une vocation plutôt humanitaire (comme les Grands Voisins à Paris). D’autres font la part belle à l’art et à la culture (le Cent Quatre, la Belle de Mai), à l’événementiel (Ground Control), au coworking (Darwin accueille près de 200 entreprises par jour)…

Militantisme et expérimentations

Engagés, les tiers-lieux sont des laboratoires où l’on teste de nouveaux usages, de nouveaux modes de vie, de travail ou de consommation. Pour exemple, le restaurant Oratoire, qui officia au sein de la friche parisienne éphémère des Grands Voisins, fit beaucoup parler de lui. Dans l’assiette, les plats simples à base de produits frais et locaux affichaient des prix calculés au plus juste. En cuisine, un tiers du personnel était en insertion – des réfugiés hébergés sur le site. Exit la hiérarchie. Tous les salariés, de la chef au plongeur, étaient payés à l’identique, et l’ensemble de la brigade faisait les plannings, cuisinait, recrutait… D’autres tiers-lieux préféreront développer des ateliers de sensibilisation au bien manger ou des espaces de permaculture où les chefs s’approvisionneront directement… «Dans les tiers-lieux, le pôle restauration a quelque chose d’expérimental, avec une offre plutôt intelligente et premium qui suit une logique de transparence et privilégie les ingrédients bruts. Ces acteurs sont dans une dynamique de fait maison, de local ou de bio», constate Nicolas Nouchi, directeur du département des études de CHD Expert.

Un phénomène de société

«C’est un vrai phénomène de société, poursuit Nicolas Nouchi. Ces lieux rassemblent les attentes d’un grand nombre de consommateurs : un besoin de transparence, un rejet de tout ce qui pourrait être trop capitalistique, trop industriel.» Les tierslieux connaissent une belle envolée dans l’Hexagone. On en dénombre 2500 en 2021 (dont 52% en milieu rural), et de 500 à 1000 nouveaux lieux pourraient voir le jour en 2022. Quelque 150000 personnes y travaillent quotidiennement, pour un chiffre d’affaires cumulé de 248millions d’euros. En 2019, 2,2 millions de personnes ont fréquenté un tiers-lieu. Les raisons de ce succès ? « Un tiers-lieu permet de développer le business et le réseau. Dans certains tiers-lieux axés sur le secteur alimentaire et culinaire, les cuisines sont mutualisées, ce qui répond à une réalité métier : beaucoup aimeraient s’installer comme restaurateur, mais ça demande des investissements conséquents. Dans ces foodlabs, on trouve une certaine souplesse. On paie le lieu au nombre d’heures qu’on l’utilise. Il y a même parfois des pépinières qui permettent de positionner des chefs qui démarrent et de tester leur offre pendant six mois », détaille MarieLaure Cuvelier, secrétaire générale de l’association France Tiers-Lieux.

Une approche collaborative

« Les tiers-lieux ne sont pas des machines à cash », souligne MarieLaure Cuvelier. Les projets, qui s’inscrivent généralement dans le champ de l’économie sociale et solidaire, déploient une approche circulaire et collaborative: les activités payantes (principalement la restauration et le coworking) permettent de soutenir les activités gratuites ou moins lucratives (programmation culturelle, ateliers…). Les modèles économiques sont variés, parfois hybrides: 62 % des tiers-lieux ont adopté un statut associatif, tandis que 26% sont des SAS ou des Sarl. Ils reposent à 50% sur des subventions publiques et à 50% sur des recettes en propre. «Les restaurateurs ne sont pas toujours dans cette logique de partage et de coopération, ce qui peut expliquer leurs réticences. Cela peut aussi être compliqué pour un restaurateur d’intégrer un lieu avec une forte identité et un cahier des charges contraignant. Il faut souvent faire des cafés cantines à prix modique pour les gens travaillant sur place. Il faut aussi que la concession soit suffisamment longue pour que cela soit intéressant», note Marie-Laure Cuvelier. Avis aux amateurs!

L’avis d’Emmanuelle Briche, franchisée du Promocash de Gap

«Nos clients restaurateurs nous confirment chaque jour en magasin que les modes de consommation évoluent, et davantage encore depuis le confinement. D’où la nécessité pour eux de s’adapter et pour nous de faire évoluer nos assortiments, avec plus de produits locaux notamment.»

Marie-Amandine Vermillon,

cofondatrice de l’association La Belle Bouffe (Lyon)

DÉBATTRE ET EXPÉRIMENTER

«La Belle Bouffe est une association qui milite pour un système alimentaire plus juste, plus transparent, plus écologique et plus solidaire sur la métropole de Lyon. Nous avons comme projet de monter un tiers-lieu dédié aux transitions alimentaires, avec l’association Singa Lyon qui travaille avec les réfugiés. Notre objectif est d’ouvrir un restaurant solidaire avec un objectif d’insertion socioprofessionnelle. On a besoin des tiers-lieux pour débattre et expérimenter d’autres manières de travailler, de consommer et de s’approvisionner… Des lieux de démocratie alimentaire qui permettent de redorer les politiques locales.»

Laurent Trochain,

chef étoilé à la tête du Numéro 3 (Yvelines)

UNE QUESTION DE GÉNÉRATIONS

« Un restaurant gastronomique ou étoilé est un endroit atypique et personnel, avec une identité spécifique et une clientèle d’habitués qui viennent chercher une cuisine précise et du calme. Certains établissements gastronomiques peuvent s’apparenter à des tiers-lieux quand ils regroupent différentes entités comme une table étoilée, un hôtel, un jardin, un bistrot… Mais un restaurant gastronomique et un tiers-lieu sont dans la plupart des cas deux choses bien différentes, dont on a envie à des âges différents. Ainsi, je n’irais pas fêter l’anniversaire de mes parents octogénaires dans un tiers-lieu! Je rechercherais un lieu plus classique et calme.»

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