LE CHANTIER DES NOUVEAUX TYPES DE COMMUNAUTES-RESEAUX
LE GRAND CHANTIER DE LA FORMATION
POLYTALENTS
EGLISE IN FUTURE
EGLISE LIQUIDE
LE MONDE DE JESUS
LE CHANTIER DE LA SPIRITUALITE ARCHAÏQUE
LES EVANGELIQUES EN PASSE DE DEVENIR IDOLÂTRE?
LE CHANTIER DES FINANCES
EGLISES EMERGENTES: LES RISQUES DE SE PERDRE
PAROLE FAIBLE CONTRE IMAGES FORTES
ANTIOCHE SUR CALIFORNIE, LE NOUVEL HORIZON
LES TENDANCES ACTUELLES DE L'EGLISE
NATIFS DIGITAUX OU LES NOUVEAUX PAROISSIENS NUMERIQUES COMMENT MESURER SA SPIRITUALITE?
Henri Bacher a travaillé comme permanent de la Ligue pour la lecture de la Bible en Suisse romande et au Pérou. Il est créateur du blog eglisenumerique. Avec son épouse Martine, ils créent surtout du contenu visuel pour la culture numérique
Henri Bacher reprend son bâton de pèlerin pour marteler une série de convictions qui l’habitent Il nous propose plusieurs contributions autour de l’adaptation culturelle, du fonctionnement en réseau, de la formation, du financement, etc. Vous trouverez également des contributions vidéos sur http://www.youtube.com/bibletube
Les documents ne sont pas classés d'une manière linéaire et systématique, mais c'est plutôt une construction en mosaïque.
Dans les dernières décennies l’église a énormément investi dans plusieurs domaines, les plus importants touchant à la relation d’aide et à la mise à niveau académique de ses instituts de formation ou de ses facultés de théologie. Or, ce qu’on constate, c’est que la première a toujours le vent en poupe - et je dirais qu’elle a trouvé sa vitesse de croisière, tandis que les seconds, les « académiciens » (1), malgré les efforts consentis, peinent à trouver leur public.
L’humoriste plutôt que le professeur
Bien plus, ils semblent sérieusement en perte de vitesse et ceux qui influencent l’église ne sont plus des professeurs et des enseignants, mais des musiciens, des «théâtreux», des artistes de tous poils, des vidéastes, des informaticiens, des «enchanteurs» (prophètes, visionnaires, guérisseurs, etc.). On investit plus volontiers dans la tournée d’un humoriste chrétien que dans celle d’un professeur d’institut biblique. Faut-il en déduire que l’enseignement est un échec ? Disons plutôt que le monde culturel a changé et que la relation d’aide se positionne dans la nouvelle demande de nos concitoyens, tandis que l’élévation du niveau des études correspond à un ultime combat pour garder le leadership dans la formation spirituelle et non à un engouement du grand public pour la sphère de la pensée. Bien sûr, il existe toujours une demande dans le secteur de la réflexion et de l’analyse théologique, mais cela ne concerne plus qu’une minorité. Comme pour le livre, lui aussi en perte de vitesse quant à son influence sur le comportement des gens, les études de type académique jouissent encore d’une grande réputation, mais en réalité peu de gens en tiennent compte. Les prédications qui s’inspirent du monde académique sont honnies par une majorité d’auditeurs, au point qu’on n’hésite plus, temporairement, dans certaines de nos communautés, à éliminer la prestation homilétique aux profits de groupes de discussions. Symptomatique, n’est-ce pas ?
Un orateur devient coach
Tout récemment, un groupe d’églises m’a demandé de l’accompagner dans une réflexion sur l’argent dans la communauté. Les responsables m’ont proposé de partir faire une course de montagne tout en réfléchissant. Dans un contexte pareil, je ne pouvais pas me comporter en orateur, pourtant c’est ce que l’on m’a appris à «l’académie». Je suis donc devenu «coach», entraîneur, émulateur, questionneur. Je ne pouvais pas proposer de prendre des notes. Tout s’est joué dans l’interactivité. Ce petit exemple montre que nos membres d’églises sont parfaitement adaptés à la modernité et que l’église doit ouvrir de nouveaux chantiers pour rester dans la course. Nous ne sommes qu’au début d’un chamboulement qui va affecter durablement tous les domaines-clés de l’église : l’évangélisation, l’enseignement, la formation des leaders, l’organisation interne, les messages, les cultes.
Note :
1 Dans le cadre de cet article, l’ « académie » ou les « académiciens » sont des termes utilisés pour parler de la formation ou de ceux qui se forment dans une école, un institut ou une université. En fait dans la sphère de l’écrit.
LE CHANTIER DE L'ADAPTATION
CULTURELLE
Nous devons passer d’une culture littéraire à une culture d’oralité électronique. Pour l’instant, on peut encore parler d’un mix entre ces deux cultures, mais peu à peu l’oralité va marginaliser durablement l’écrit comme descripteur et ordonnateur de la réalité.
La multiplication des sous-cultures
La culture du livre est de fait une monoculture, servie par le levier technologique de l’imprimerie. C’était un puissant moyen d’uniformiser la pensée et les comportements. L’oralité électronique, par contre, est génératrice d’une mosaïque de sous-cultures qui elles-mêmes développent des « tribus ». Notre société se tribalise. Alors que la culture du livre a éliminé en France, par exemple, l’utilisation régulière du breton, de l’occitan, ainsi que d’autres langues, les nouvelles cultures orales produisent le verlan, le langage SMS, le patois des banlieues.
Culture orale ou culture écrite
Quelle est la différence entre culture écrite et culture orale ? Disons, en caricaturant, que l’écrit n’utilise que très peu l’émotion, le sentir, pour transmettre l’information de base. Autrement dit, techniquement, vous lisez un texte, une sorte de code qui ne procure pas, d’entrée, une émotion quelconque. Ce n’est qu’à la fin de la phrase, lorsque votre cerveau aura passé par le processus d’analyse, c’est-à-dire le fait d’assembler logiquement des lettres et des mots, que vous allez comprendre et éventuellement ressentir une émotion : par exemple la joie développée par le propos ou la tristesse engendrée par l’histoire écrite. Il est clair que le processus n’est pas aussi mécanique que je le décris, preuve en est la poésie. Pour comprendre, les lettres et les mots doivent être alignés sur une même ligne, les uns derrière les autres. Il y a un début et il y a une fin. On ne peut pas intervertir le commencement et la fin d’une phrase. Ce processus de lecture forme aussi notre manière de voir le monde, de communiquer, de formuler notre foi. Le sermon traditionnel emploie cette manière de penser. Point 1, point 2, point 3, conclusion. On emboîte les arguments les uns derrière les autres comme on aligne les mots d’un texte. C’est à la fin, qu’on se dit: voilà j’ai compris ! C’est une argumentation logique, froide de préférence pour ne pas polluer le propos avec des émotions personnelles. L’auditeur de ce genre de pratique homilétique ressent une joie intellectuelle, plus qu’une joie au niveau de ses tripes.
L’oralité et l’importance du ressenti
Pour l’oralité c’est tout autre chose. Pas de logique linéaire, pas d’emboîtements d’arguments, mais plutôt une juxtaposition d’ambiances, d’émotions, de sons, de couleurs, d’odeurs. Une sorte de mosaïque, comme lorsque le peintre se met à élaborer un tableau. Il ne commence pas en haut à gauche pour terminer en bas à droite, en suivant des lignes imaginaires comme dans l’écriture. Tout en ayant en tête son image finale, il peut peindre d’une manière complètement anarchique, illogique et pourtant, peu à peu, sa représentation prendra du sens. Dans ce contexte, la vision est primordiale. S’il ne peut pas visualiser sa représentation mentalement, il n’arrivera jamais à la réaliser. Si nous parlons tellement de vision aujourd’hui dans l’église, c’est que nous avons changé de culture ! Pour appréhender une peinture, on ne l’analyse pas (même si certains analytiques le font), mais on la sent. On ressent une peinture avant de la comprendre. Ou bien on comprend ce que l’on ressent. Le sentir est donc premier dans le processus de l’oralité.
Là où l’écrit a besoin d’une ligne pour se matérialiser, l’oralité a besoin d’une histoire pour se dire. L’histoire a la fonction d’un filet à provisions. C’est un moyen de « transporter » les vérités que l’on veut transmettre. Les paraboles de Jésus fonctionnaient comme ces filets pour donner des informations sur son Père, sur les hommes, sur le Royaume, etc.
Quel prédicateur êtes-vous ?
Le prédicateur traditionnel raffole des textes de l’apôtre Paul, très proches de la structure analytique de l’écrit. Le prédicateur moderne adore les histoires des évangiles et de l’Ancien Testament. Pour tester quel prédicateur vous êtes, comptabilisez le nombre de fois où vous avez prêché sur les épîtres et le nombre de fois où vous avez prêché sur l’Ancien Testament ou sur une parabole.
Quelques questions pour terminer
- Les communautés « tribales » vont se multiplier. Ce qui est déjà le cas dans les grands centres urbains. Je ne parle pas de la tribalisation ethnique, mais bien de celle engendrée par les cultures actuelles. Comment former des pasteurs dans une académie imprégnée par l’esprit de la monoculture pour des communautés pluri-culturelles ?
- Comment créer l’unité entre ces différentes « tribus » ? Le « un seul cœur, une seule pensée » de l’apôtre Paul nous l’avons souvent interprété par le « une seule culture » !
- Comment dire les vérités divines en racontant des histoires ? Une histoire se vit. On ne la lit pas en public. Il faudra donc apprendre à être conteur, avant d’être lecteur de son sermon!
- Comment construire une thématique annuelle, dans la communauté, en la mettant sous forme d’histoire ? Dans la Bible, on parle des histoires individuelles qui entrent dans l’histoire générale du peuple juif.
- Quelle est « l’histoire » générale de notre communauté ? Est-ce que nos «sermons-histoires» ont quelque chose à voir avec l’histoire de notre
communauté?
- Est-ce que nous avons une vision pour notre communauté ou bien sommes-nous un peintre qui barbouille sa toile sans une « image-vision » derrière la tête ?
LA PARABOLE DE L'ENTONNOIR
Le développement de l’église a toujours été étroitement lié à la culture. Plus le message chrétien a collé à la culture des personnes qu’il devait atteindre, plus il a été performant. La culture est une sorte de support pour véhiculer le message mais très souvent nous avons confondu le support avec le message et nous n’avons pas pu faire la part des choses. Nombre de nos attitudes dites chrétiennes sont en réalité des substrats culturo-spirituels.
Aujourd’hui nous vivons un profond changement culturel dû à la poussée des mass-médias électroniques, au fonctionnement en réseau électronique, à la montée en puissance des comportements archaïques. L’église, pour survivre, surtout en occident, doit se poser des questions fondamentales. Nous ne sommes pas seulement dans une évolution de mentalités et de pratiques, mais c’est de changement qu’il faut parler. Changement comparable aux temps de la Renaissance, à la fin du Moyen-Âge.
Lors d’un changement de ce type, il y a toujours deux tendances qui se profilent : celles des rénovateurs et celles des innovateurs. Luther a ses débuts était un rénovateur. Il voulait simplement bousculer l’institution catholique pour la rendre plus « missionnelle ». Il a vite déchanté et comme il a été exclu de l’institution, il s’est transformé en innovateur. Les premiers chrétiens à Jérusalem étaient des
rénovateurs. Ils fréquentaient le temple et se soumettaient même à certaines pratiques issues du judaïsme. Par la force des choses et sous la poussée des chrétiens d’Antioche, l’église est devenue innovatrice d’une nouvelle manière de vivre la foi.
Pour nous, au XXIème siècle, il ne faut pas investir trop de forces dans la rénovation, mais il faut innover dans tous les domaines, qu’ils soient théologiques, ecclésiologiques, pratiques, etc. Ce qu’il faut faire avec l’église actuelle, c’est de négocier des espaces de libertés pour pouvoir innover sans rompre la communion fraternelle. Par espaces de liberté, j’entends, espaces séparés et autonomes.
Les évolutions culturelles dans une perspective apocalyptique
Nous avons tendance à garder le nez sur nos problèmes à résoudre sans les mettre dans une perspective historique. Avec cette parabole de l’entonnoir, j’aimerai partir d’une vision d’ensemble qui englobe à la fois les débuts des humains et la fin des temps, le point alpha et le point omega, le point bêta étant la tranche intermédiaire de l’expérimentation humaine, bêta faisant référence aux versions bêta de nos logiciels d’ordinateur. Dans l’espace « bêta » se développent les cultures et les civilisations successives qui progressent à l’intérieur de l’entonnoir du temps et de l’espace, par ricochets, comme la lumière dans une fibre optique. Mon entonnoir n’a rien de scientifique, c’est une parabole, une pâle image de la réalité pour aider à comprendre.
Nous sommes tous convaincus qu’il y aura du point de vue culturel, politique et religieux un rétrécissement de l’expérience humaine. Pour se faire comprendre l’antéchrist aura besoin de systèmes de communications uniformes, standardisés, accessibles à tous, sinon il ne pourra pas dominer tous les hommes. Mais la communication ne suffit pas, il faut également que la culture et le religieux suivent la même voie. Les cultures vont être un puissant vecteur de modélisation comportementale et aujourd’hui Google fait partie de ces entreprises qui formatent en profondeur les humains en vue de la fin des temps. Nous chrétiens contribuons également à cette standardisation. Nous sommes probablement, « l’entreprise » la plus performante dans ce domaine. Si on calculait ce que l’ensemble des chrétiens dans le monde dépense par jour pour l’avancement du Royaume de Dieu, Microsoft, Google et Yahoo feraient figure de nains ! Nous avons de plus en plus une culture chrétienne homogène sur toute la planète et si vous parcourez Youtube, vous verrez des vidéos tournées en Corée du sud qui auraient pu se tourner ici en France ou en Suisse.
L’image de l’entonnoir montre que du fait du rétrécissement final, les cycles des cultures deviennent de plus en plus courts. Au début de l’existence humaine, les civilisations peuvent atteindre de longues périodes. Maintenant, ces temps d’incubation et de développement se font de plus en plus vite, surtout à cause de l’impact de la communication électronique. Cette accélération des cycles culturels opère comme le mixer de nos cuisines. Le mixage à l’échelle planétaire, sous l’impulsion d’internet, de la télé, de la radio, de la téléphonie, va transformer
les blocs épars de cultures en une « bouillie » malléable pour l’antéchrist.
Je ne veux pas m’étendre dans cette perspective apocalyptique, mais juste montrer, que le cycle de nos formes d’églises est étroitement lié à cette accélération. Après presque quatre siècles les églises historiques de la Réforme sont en perte de vitesse. Le mouvement évangélique n’a guère qu’un siècle et déjà on constate un certain fléchissement. Il est clair que les changements ne sont pas aussi linéaires et aussi mathématiques que je les décris. La civilisation des incas, en Amérique du sud, n’a duré que 150 ans ! Aujourd’hui le mouvement évangélique est en pleine expansion dans l’hémisphère sud. C’est une constatation qui pourrait contredire ma thèse, mais il faut aussi admettre que les évangéliques du sud se sont probablement mieux adaptés à ces nouveaux changements qui mettent en avant l’émotion et les expériences dites « archaïques ».
La progression des cultures
On a tendance à croire que les civilisations se suivent et s’emboîtent comme des légos. Je préfère parler de progression par ricochets. Les civilisations sont comme une balle de tennis qui rebondit sur les bords d’un entonnoir et qui, sous l’impact, changent de direction. On pourrait aussi parler du coup du balancier. La culture n’englobe jamais l’ensemble de l’expérience humaine, surtout lorsqu’elle est étroitement liée à des leviers technologiques comme l’imprimerie et aujourd’hui les mass-média électroniques et internet. L’utilisation intensive de la technologie dans le domaine de la culture amène un appauvrissement indéniable et la foi réformée et évangélique classique a été amputée de tout l’aspect émotionnel à cause du rouleau compresseur de l’imprimerie. Tout se disait et s’expliquait à travers la page écrite. Comment expérimenter le rêve avec l’écrit ? On ne peut que le décrire ! Nous, les gens du livre, on est bien conscient de la pauvreté du contenu de la télévision : riche en émotion et vide de sens !
Ce qui m’intéresse le plus dans cette démonstration, c’est les points d’impacts, source de turbulences. C’est là que nous remettons le nez dans nos problèmes. Actuellement la civilisation change radicalement de direction, mais nous n’avons pas encore quitté les zones de turbulences. Nous avons réellement des problèmes de communication entre nous, des problèmes de langage et des concepts différents quant au développement de l’église. On ne peut prendre une bonne direction que dans des conditions de stabilité. D’où aussi nos tâtonnements actuels.
Un exemple historique peut nous aider dans notre recherche. Les débuts du christianisme se situaient exactement dans une zone de turbulences. Les juifs étaient sous domination romaine et bientôt le temple sera détruit. Ce sera aussi un changement radical pour tous les protagonistes de cette période. La « biculturalité » de l’apôtre Paul témoigne d’un autre aspect de ces changements en profondeur. Les premiers responsables chrétiens, issus de la première génération, après le Christ, pataugeaient littéralement dans leur transmission de l’évangile. On
ne garde en mémoire que les hauts faits, mais on oublie vite les dissensions, les tentatives mal gérées. Un certain nombre d’évangélistes est parti sur la bande côtière vers le nord avec un message très apocalyptique. Ils annonçaient le retour imminent du Christ et certains ont même arrêté de travailler à tel point que l’apôtre Paul a du les rappeler à l’ordre dans une de ses lettres. Finalement, c’est le modèle d’Antioche qui a eu le vent en poupe, bien loin de « Jérusalem ». Les solutions pour l’avenir ne viendront pas des communautés issues de la Réforme, mais elles émergeront loin de nos viviers d’origine.
Dans cette période instable, il ne faut plus investir dans des bâtiments, ni dans des plateformes internet très sophistiquées, ni dans des chaînes de télévision, à l’image des grandes chaînes nationales. Nous ne sommes pas au bout de l’évolution technologique. Par contre, il faut expérimenter, se donner les moyens pour mettre au point des prototypes de communautés. Il faut surtout passer du temps, pour ne pas détruire les anciennes communautés. La culture est très étroitement liée à l’identité d’une personne. Nous n’avons pas le droit de pousser constamment les croyants dans la nouveauté, à des rythmes de plus en plus accélérés. Nous allons casser des gens. C’est d’autant plus que je préconise de construire des communautés parallèles restant en communion fraternelle avec les anciennes structures. Favoriser « Antioche » tout en récoltant de « l’argent » pour aider « Jérusalem ».
Les cultures parallèles
Dans le schéma de l’entonnoir les cycles de cultures sont parallèles, mais pas à intervalles différenciés. Celles qui se suivent directement sont asymétriques. La culture qui démarre actuellement est parallèle à celle qui a précédé la culture du livre. Dans un autre article, je parle abondamment du Moyen-Âge qui est un modèle pour nous aujourd’hui, un modèle positif et négatif. Toute culture ayant sa part d’ombre.
Le système des valeurs
Les valeurs du christianisme transcendent toutes les cultures, d’où cette ligne médiane sur le schéma. C’est vite dit et vite écrit et comme mentionné plus haut, nos valeurs sont facilement perverties par la culture. Nos liturgies s’articulent aussi sur des canevas culturels. Il est extrêmement important de faire un travail d’élagage pour faire émerger les valeurs éternelles du christianisme, sinon nous allons rapidement nous retrouver dans des impasses.
La course est ouverte
Vous l’aurez compris, je ne suis pas très favorable à la rénovation des églises. C’est une source permanente de conflits pour finalement arriver dans des évolutions qui ne satisfont personne. Je suis aussi réticent au patchwork culturel dans nos communautés. Ce n’est pas très unificateur. Il faut plutôt choisir et encourager des personnes qui ont envie de se coltiner à la réalité actuelle. A l’époque des Hudson
Taylor, tout le monde n’était pas apte à aller en Chine. Il fallait avoir une sacrée vocation, une persévérance hors du commun. Aujourd’hui, il faut découvrir des missionnaires qui aillent dans la nouvelle culture, sans forcément y envoyer toute la communauté. J’ai parfois l’impression qu’on veut envoyer l’église entière en « Chine ». Dieu nous demande d’être témoin, mais il met certain à part pour être missionnaire. Quels sont les missionnaires sur Youtube, Dailymotion, Facebook, Myspace, Second Live, etc ? Ce sont des « territoires » virtuels qui parlent « chinois » pour la plupart d’entre nous ! Il faudrait déjà commencer par apprendre la langue … comme Hudson Taylor !
LE CHANTIER DU FONCTIONNEMENT
EN RESEAU
L’adaptation culturelle ne concerne pas seulement la manière de concevoir ou de transmettre un message. Il faudra également repenser les espaces et les lieux de communication qui eux aussi conditionnent nos comportements et nos messages. Lorsque je parle de lieu ou d’espace, ce n’est pas forcément un espace physique, mais ça peut aussi être en relation avec le virtuel. Un réseau téléphonique est bien réel tout en étant virtuel.
Ecole contre réseau
La civilisation du livre, relayée par le levier technologique de l’imprimerie, s’est développée grâce à l’école. Les écoliers s’assoient à une table, dans une salle de classe, face au maître ou à la maîtresse (à penser). Bien que ce genre d’agencement ait évolué durant ces dernières décennies et que l’enseignement scolaire se soit énormément adapté à l’évolution de la société, l’école reste fondamentalement traditionnelle dans son fonctionnement. D’un côté, il y a le maître qui sait et, de l’autre, on trouve ceux qui ne savent pas ou qui ne savent pas encore. Ce qui donne une communication à sens unique, comme à la radio. Bien sûr, l’auditeur comme l’élève peut intervenir, mais ce n’est que d’une manière « autorisée », lorsqu’on tend le micro ou lorsque le maître pose une question ou demande une participation. Les évangéliques ont un peu arrondi les angles de ce type de communication en permettant aux participants de s’exprimer librement par la prière ou de choisir un chant, mais personne n’interromprait le speech du prédicateur pour compléter ou contester sa pensée. L’Eglise des Calvin et des Luther a copié le système scolaire et les évangéliques du XIXe siècle n’ont guère quitté la galaxie Gutenberg. Normal ! Si vous vouliez être au centre de la culture des gens, il fallait également adopter leurs manières de communiquer et le canal par lequel ils reçoivent les informations. L’Eglise a pu prospérer parce qu’elle savait utiliser les instruments et la mentalité de travail des scolaires ! Tout notre vocabulaire interne parle de ce patrimoine : enseignement, cours et études bibliques, lecture et explication de la Bible, professeur de théologie, école du dimanche... Si vous demandez à un pasteur quel est son don principal, il vous répondra presqu’à coup sûr, qu’il a un don d’enseignement. Estce le don d’être un bon « instituteur spirituel » ou bien celui dont parle l’apôtre Paul ? Je suis un brin provocateur, mais c’est juste pour montrer à quel point nos Eglises sont scotchées sur le banc de l’école. En fait, nos communautés sont des écoles spirituelles où le pasteur ou le prédicateur vient devant ses « élèves » pour leur dire : « Moi, je sais et vous, vous avez besoin d’apprendre ». On croise les bras, on écoute et puis on repart. Là, aussi, c’est un brin caricatural, puisque beaucoup d’Eglises, comme d’ailleurs la majorité du système scolaire a évolué vers quelque chose de différent. En écrivant cet article, je me positionne dans la civilisation du livre. Ne prenez donc pas mes remarques pour des critiques.
Aujourd’hui le centre de notre culture n’est plus à l’école, mais dans les massmédias, internet, la téléphonie mobile… et les réseaux !
Le réseau
Le principe de base du réseau, c’est la relation. Le filet est une belle image du réseau. Ce sont des points ou des nœuds reliés entre eux par un lien. Notre société se structure peu à peu autour des réseaux, qu’ils soient électroniques ou sociaux. C’est là que ça se passe et preuve en est l’école qui passe d’une réforme à l’autre sans trouver la stabilité qu’elle avait auparavant. Elle sent bien qu’elle ne peut plus continuer comme par le passé. Si on voulait maintenant adopter les termes du réseau à notre vocabulaire d’Eglise, ça donnerait peut-être cela : dimanche matin je vais aller chatter avec mes frères et sœurs à l’Eglise. Nous allons constituer avec l’aide du pasteur une « wikiprédic », c’est-à-dire un prêche élaboré avec l’ensemble des participants, à l’image de ce qui se fait sur Wikipedia. Nous allons organiser mardi soir un forum biblique et nous allons mettre sur pied une chaîne de prières (tiens ça existe déjà !).
Aujourd’hui, surtout en Occident, les gens connaissent beaucoup de choses et tout l’art des responsables d’Eglises, c’est de pouvoir en tirer parti, d’organiser le partage. Les promoteurs de Youtube ou de Dailymotion, par exemple, ne se sont pas mis eux-mêmes à produire des vidéos, mais ils ont simplement mis à disposition un espace électronique pour que tout un chacun puisse y poser la sienne. Bien sûr, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Dans le cadre d’une Eglise, le rôle des responsables est d’aider à trier les contributions, à les hiérarchiser et à les organiser. Pourtant, si on s’arrête au partage de savoir, on n’est pas encore dans la mentalité des « réseauteurs ». Un réseau, c’est avant tout des personnes qui se rassemblent autour d’un certain nombre d’intérêts qui leurs sont communs. Le partage d’expériences ou de savoir n’est que secondaire, alors que dans le système de l’école c’est primordial. On ne vient pas à l’école pour se faire, avant tout, des copains, mais pour apprendre. Les gens qui ne viennent au culte que pour voir les copains sont plutôt suspects. On vient à l’Eglise pour être enseigné dans sa foi et pour louer Dieu!
La pratique du réseau
Dans le système de l’école, il y a à la base un auditoire et un maître qui se trouve en face de celui-ci. Dans notre communication, en tant que responsables de communauté, nous sommes une ou plusieurs personnes en face d’un groupe que nous dirigeons. Ce groupe est de préférence compact et tout le monde fait, dit et devrait penser la même chose, comme une classe d’école qui a le même programme et qui devrait apprendre les mêmes choses en même temps. Cette approche n’est donc pas négative, dans un contexte scolaire. Par contre, dans un contexte de réseau, c’est très handicapant. Par définition, les réseaux ne se ressemblent pas, puisqu’ils se constituent par affinités et par centres d’intérêts. Un réseau de motards, fans de Harley Davidson, ne va jamais partager le bitume avec des amateurs de trottinettes pétaradantes. Dans l’Eglise, on s’est bien rendu compte qu’il y avait des attentes différentes. On
a donc commencé par faire, ce que j’appelle du « patchworking ». Un peu de tout à la fois pour contenter le plus grand nombre. Or, cette approche fait fuir plus de monde qu’elle n’en rassemble. Culturellement, il y a « brouillage », comme les ondes d’une radio sont brouillées par des appareils spéciaux. Il ne suffit plus de dire que chacun doit faire des efforts et qu’il faut aussi savoir s’accueillir les uns les autres. Les responsables devraient cartographier les réseaux qui existent dans leur communauté et essayer de développer une réponse spécifique pour chacun d’eux.
A terme, le plus gros problème, c’est que les communautés ne desservent plus qu’un seul réseau en pensant atteindre tout le monde. Un réseau qui ressemble à son pasteur et au conseil qui l’entoure.
Questions :
1. Comment, un pasteur peut-il s’occuper d’une multitude de réseaux-groupes différents, alors qu’il a déjà de la peine à s’occuper du grand groupe ?
2. Avec cette vision d’un éclatement de l’auditoire en réseaux multiples, comment créer le sens de la communauté corps du Christ ?
3. Comment enseigner la Parole à des personnes qui ne veulent plus être assis sur un « banc d’école » ?
4. Quel est le modèle qu’un pasteur peut utiliser, s’il veut quitter le système scolaire pour devenir « pasteur-reseauteur » ?
5. Apparemment dans les réseaux chacun « sait » ? Est-ce que Dieu n’a plus rien de spécifique à dire au travers d’un pasteur ou d’un ancien ? Est-ce que les gens « savent » vraiment ?
LE CHANTIER DES NOUVEAUX TYPES
DE COMMUNAUTES-RESEAUX
En général, les chrétiens abordent le futur avec les lunettes du passé. Ce qui n’est pas faux en soi, même si l’exercice peut s’avérer limité. Je prends par exemple la question de l’individualisme. On tire à boulet rouge sur cette génération qui s’isole par rapport à la communauté familiale, qui ne veut plus soutenir les institutions traditionnelles, qui veut jouir seule de la vie sans prendre ses responsabilités vis-àvis de son groupe social. Ce travail d’analyse, nous le faisons par rapport à notre passé européen. Pour nous, communauté veut dire : se rassembler « en tas » le dimanche matin ou en semaine pour « têter » à la même mamelle spirituelle. L’individualisme se manifeste justement par le comportement de ceux qui voudraient avoir autant de « mamelles » que de désirs.
Décadence ou repositionnement ?
L’Eglise, en critiquant le monde actuel sur la base de sa propre expérience culturelle du passé, ne voit pas ce qui est en train de se dessiner sous ses yeux. L’homme est un animal social. Il n’est pas créé pour vivre seul et même le péché ne pourra pas faire disparaître cette donne fondamentale de l’humain. Il pourra la perturber, mais pas l’éliminer. Ce besoin d’individualisme qu’on a ressenti et vécu ces dernières décennies, n’est peut-être pas tant le reflet d’une décadence que l’expression d’une nouvelle recherche d’un style de vie plus adapté à notre environnement.
On ne peut pas sauter d’un seul coup d’un type de sociabilité dans un autre, sans passer par des stades intermédiaires. On conseille bien aux jeunes qui veulent se marier, d’apprendre à vivre un certain temps seuls, sans compagnon, afin de mieux se préparer pour la vie commune. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que l’individualisme de notre société n’est qu’une manière de se détacher des ornières du passé pour mieux construire quelque chose de nouveau ?
Des communautés par milliers !
Savez-vous qu’aujourd’hui il y a des centaines de milliers de communautés qui se sont créées sur le net ? Ne les traitez pas de superficielles, même si certaines le sont. Prenez le cas de Craig Newmark, un informaticien de la région de San Francisco. Il a commencé, vers 1995, par envoyer à ses amis des mails avec des petites annonces sur des tuyaux de location d’appartements, des places de travail vacantes, etc. Il voulait rendre service et, à l’époque, ce genre de partage ne se faisait pas sur le web. Finalement, le bouche à oreille a tellement bien fonctionné que des millions de personnes consultent et alimentent les sites web issus de cette première expérience. Il a réussi à créer une immense communauté
d’intérêts qui s’étend sur le monde entier. Regardez vous même sur : www.craigslist.org. Craig Newmark a lâché son job principal pour se consacrer à ses sites. Ils ne sont actuellement qu’une petite équipe de vingt-deux personnes et les salaires des dirigeants ne sont pas calculés d’après le volume des transactions. D’ailleurs, tout est gratuit, sauf les annonces des agences immobilières. Ils le disent eux-mêmes : leur plus grande satisfaction, c’est de rendre service aux gens et pas de faire fortune comme certains magnats du net ! Je rêve ! Ils fonctionnent comme des chrétiens !
En fait, le nouveau système communautaire qui est en train de se mettre en place est simplement différent de celui que nous connaissions. Lorsque je regarde vivre mes quatre enfants, dont la plupart sont mariés, je constate qu’ils ont réussi à créer des réseaux sociaux, des sortes de tribus extrêmement solides et interdépendantes. Les points d’articulations principaux ne sont plus les parents ou la communauté ecclésiastique, comme jadis, mais les copains, les cousins... Est-ce un péché ?
Et c’est bien ça l’enjeu : comprendre que la configuration des communautés actuelles ne ressemble pas à celles de hier.
Questions :
1. Quels sont les ingrédients mis en œuvre pour forger la notion communautaire dans un réseau ?
2. Faut-il amener les réseaux dans la communauté actuelle ou bien l’inverse ?
3. Comment évangéliser des réseaux ?
4. Est-ce que les centres de formation actuels préparent des responsables pour des communautés-réseaux ou continuent-ils à les former pour les communautés classiques du passé ?
LE GRAND CHANTIER DE LA FORMATION
Durant le Moyen-Âge, pour apprendre, on s’immergeait dans un tissu religieux, on plongeait dans un magma d’émotions spirituelles, on suivait l’exemple des saints qui n’hésitaient pas à se flageller pour expier leurs fautes. Pas besoin de réfléchir, on suivait le flot communautaire. En faisant corps, comme dans la procession, avec ses condisciples, on espérait faire partie des élus. Hors du « corps » social et religieux de l’Eglise, pas de salut et ceux qui osaient penser différemment, comme les Albigeois ou les Vaudois, se faisaient trucider. Former les gens, dans un contexte pareil, c’était les intégrer dans un corps et ceux-ci apprenaient par osmose, par « mimique » interposée. Pourtant, les Européens, à la fin du MoyenÂge, commencèrent à en avoir marre de cette spiritualité qui leur demandait de faire des pèlerinages pour assurer leur salut, de brûler des cierges dans les églises, de se signer, de « processionner ».
Le protestant, un croyant autonome dans sa foi et sa pensée
Les réformateurs comme Luther ou Calvin ont commencé par extraire le croyant de ce magma communautaire pour lui faire prendre conscience que le salut dépendait de lui et seulement de lui, qu’il appartienne à une communauté ou non. D’ailleurs, en réalité, le croyant n’apprenait plus rien pour lui-même. Il suivait des rituels et se tranquillisait en répétant les gestes et en participant aux actes communautaires. Il fallait donc éliminer, de près ou de loin, ce qui pouvait le rattacher à cette notion de salut par immersion communautaire. Théologiquement, c’est juste qu’en devenant croyant, on intègre le corps du Christ, mais le catholicisme de l’époque a transposé cette vérité biblique avant tout dans le champ social.
Le protestant est donc devenu un croyant qui pense tout seul, qui prie tout seul, qui lit sa Bible seul ! Ont suivi les dérives communautaires et sectaires, puisqu’on n’avait plus besoin d’être soumis à un « corpus » autoritaire, encore que l’Eglise catholique a tout simplement su garder les dérives sous le même chapeau. La formation dans le protestantisme passe donc de la « communauté apprenante » à « l’individu apprenant ». Les pasteurs vont fournir au croyant un ensemble de « clés » ou de doctrines pour encadrer sa foi. S’il n’y a plus de communauté pour cadrer le croyant et lui indiquer le chemin en l’intégrant dans son parcours, il faut des cadres doctrinaux et des techniques d’analyse personnelles pour survivre, spirituellement parlant. Le livre deviendra le support idéal où le chrétien puisera ses idées, ses exemples, ses pratiques et vous comprendrez pourquoi la lecture de la Bible a pris une telle importance dans le protestantisme naissant.
Le pasteur donne simplement des indications. Il explique la Parole, sans vraiment s’impliquer avec ses émotions. Le croyant ne doit pas faire corps avec son pasteur, donc il faut cultiver une certaine distance émotionnelle.
L’univers du livre, une superstructure handicapante
C’est au croyant de choisir et la communauté ne doit pas choisir pour le chrétien !
Cette notion de communauté apprenante était une excellente idée dans le christianisme naissant, de même que l’individu qui peut croire sans forcément être pris dans un magma communautaire. Le problème, c’est que toute entreprise humaine se fige un jour, parce qu’on pousse l’expérience trop loin et ce qui a été bénéfique au départ, devient destructeur par la suite. Pour les protestants et les évangéliques, malgré quelques corrections en cours de route, l’univers du livre avec son cortège d’exégètes, d’interprètes est devenu une superstructure mentale aussi handicapante que la communauté à la fin du Moyen-Âge. Les gens aujourd’hui en ont marre d’apprendre des théories, de se plier à des doctrines et de se faire expliquer la foi. Ils veulent retrouver une communauté qui les enseigne, non à la manière des livres, mais en les entraînant dans un chemin, au lieu d’analyser pour eux le chemin ! Pourquoi des mouvements comme Taizé arrivent-ils à mobiliser des centaines de milliers de jeunes ? C’est avant tout le modèle communautaire qui attire et non pas en premier lieu les idées de ces frères. D’ailleurs, même s’ils écrivent des livres, ce ne sont pas ceux-ci qui ont convaincu les gens de se déplacer. Les festivals de musique, les marches pour Jésus, autant de réminiscences de la procession du Moyen-Âge, sont des indices qui nous montrent que les gens ont à nouveau besoin d’être immergés dans une communauté. Pour l’instant, comme les élites de nos Eglises ne se sont pas vraiment rendu compte de ces profonds changements, ces nouveaux mouvements reprennent des formes communautaires du passé, sans en avoir vraiment le contenu. Comment passe-t-on du « livre » à une communauté apprenante ? Comment partager le savoir, la connaissance, et pratiquer la spiritualité en utilisant la communauté ? C’est un peu comme l’enfant qui apprend au sein de sa communauté familiale. C’est une éponge qui absorbe les propos, les comportements, les « Weltanschauungen » de son milieu, sans cours, sans formation spécifique. Avec le web 2.0, le monde nous a devancés, comme la Renaissance à l’époque du Moyen-Âge a doublé l’Eglise de l’époque. Aujourd’hui des Luther et des Calvin seraient des gens actifs dans le web 2.0, là où ça se passe!
Dans la pratique
Que faut-il faire ? Vous cherchez sûrement des programmes de travail, un manuel qui vous explique comment ça fonctionne. Hélas, c’est comme vous donner un mode d’emploi de comportement au début d’un concert. Dans un concert de musique contemporaine, on apprend à se comporter, il va sans dire, en regardant ce que font les autres. L’Eglise redeviendra un lieu où il faudra apprendre à «montrer», à regarder et à reproduire. Les modèles «live» deviendront plus importants que les modèles théoriques. Creusez-vous la tête pour trouver d’une part des modèles vivants à mettre en avant et, dans un deuxième temps, des lieux et des activités qui permettent d’être au contact de ces modèles. Pour moi, comme dans la famille, un modèle c’est quelqu’un qui vit sa foi, qui en parle et qui a envie de transmettre son expérience. En somme, le pasteur sera un géniteur et
un « organisateur » de modèles. Il créera des réseaux qui fonctionneront comme des viviers de modèles à suivre.
Questions :
Est-ce que les modèles théoriques sont vraiment obsolètes ?
2. Une foi qui se nourrit en immersion sera-t-elle solide sans structuration théorique ?
3. On sent dans les propos de l’auteur une «haine» contre tout ce qui est intellectuel. N’est-il pas court-circuité dans sa réflexion, par le fait qu’il n’est pas universitaire ?
4. Peut-on honnêtement se passer des écoles et des universités pour structurer les communautés chrétiennes ?
POLYTALENTS
Formation de leaders
Cet article fait une proposition concrète. Pour l'instant elle n'a pas été réalisée.
Jusqu’à maintenant la formation des cadres de nos communautés ou de nos organisations chrétiennes se passait dans une école, école étant pris non sous l’angle du bâtiment, mais sous celui du style et du contenu de la formation. Le cursus scolaire se termine par l’obtention d’un diplôme attestant des connaissances de l’élève. Forcément, ne sont prises en compte que les connaissances que l’on peut quantifier ou vérifier. Les aptitudes, comme par exemple le talent de se faire des relations peut difficilement se noter d’une façon mathématique, donc, dans une formation classique en institut ou faculté de théologie, ce talent ne compte pas pour la qualification finale d’un candidat au ministère pastoral. Or, c’est peut-être actuellement un des talents les plus demandés en communauté.
Aujourd’hui avec la possibilité de trouver une foule d’informations sur d’innombrables supports, l’important ce n’est plus d’engranger des connaissances, mais de connaître les filons d’informations les plus sûrs et de savoir les exploiter. Nous apprenons toute notre vie, il faudra donc apprendre comment apprendre et non plus apprendre dans le but de stocker un maximum d’informations.
Définition des termes utilisés
a) Talents
Ce sont les aptitudes de base très utile dans le cadre de la société. Il s’agit autant de talents manuels, qu’intellectuels, émotionnels ou sociétales. A titre d’exemple je n’en citerai que quelques-uns :
- Dextérité des doigts et des mains
- Charisme de la relation
- Charisme de la convivialité
- Talents d’hospitalité
- Talents culinaires
- Propention particulière à mémoriser
- Facilités pour conceptualiser
- Facilités pour développer une vision
- Talents d’analyse
- Talents d’organisateur
- Talents sportifs (endurance, capacité de se surpasser)
- Talents d’écrivain
- Talents photographiques
- Talents artistiques en général (arts plastiques, musique, etc.)
- Talents d’orateur, de comédien, d’acteur
- Talents médicaux
- Talent de gestionnaire financier
Dans ce domaine je mettrais également les dons spirituels cités dans 1 Cor. 12
b) Réseau de formation
Lorsqu’il est question de réseau, c’est avant tout des personnes reliées par Internet et se formant au travers de ce réseau. Ce qui n’exclut pas de recourir à des lieux physiques, mais en tout cas, l’idée ce n’est pas de concentrer la formation dans un bâtiment particulier. Il faut investir le minimum dans des dépenses importantes quant à la structure. Les changements sont tellement importants actuellement que personne ne sait où l’on va et ce que l’on met en route aujourd’hui est peut-être déjà obsolète dans cinq ans.
c) Les formateurs
Ce sont des personnes de la communauté chrétienne qui mettent de leur temps à disposition pour former des tiers. De préférence, ce doit être des personnes qui sont dans les circuits de travail et qui ne sont pas des permanents d’une institution universitaire. Ces personnes sont sélectionnées selon leurs talents et selon ce que ce talent a produit dans la société. Ils peuvent s’engager pour une seule heure de formation comme pour un cycle entier. Ces formateurs seront des sortes de coach. La vision, c’est qu’une communauté de formateurs formera une communauté de candidats au ministère.
Formation proposée
La formation que nous suggérons aura comme objectifs de découvrir et de valoriser les talents d’un candidat au ministère. Le développement se fera en priorité à partir des talents et des aptitudes de celui-ci et non à partir d’un programme type que l’on jugerait nécessaire pour exercer un ministère. La personne qui passera par notre formation, devrait savoir, à la fin du parcours, pour quel type de ministère et d’activités elle est le mieux adaptée. Elle recevra aussi une formation biblique toujours en relation avec son talent. Un musicien ne se formera peut-être pas dans le domaine de l’homilétique, mais il devra comprendre ce que la Bible a à voir avec son art.
Ce qui veut aussi dire qu’une communauté va engager des profils de pasteur dont elle a besoin pour accompagner ses différentes phases de développement. Une église sera peut-être devant un nouveau défi pour agrandir la communauté, elle aura donc plutôt besoin d’un pasteur-visionnaire (avec le talent de générer des visions, non pas pris dans le sens des visions de 1 Cor . 12) et non d’un pasteur administrateur. Le contraire est aussi vrai. Une communauté aura peut-être
progressé d’une manière exponentielle sous l’impulsion d’un pasteur très doué pour les nouvelles idées, les nouveaux défis, les contacts, etc., et elle aura besoin de consolider l’acquis. Elle fera donc appel à un pasteur sorti de la filière de formation comme une personne dont le talent est justement celui de rassembleur, de « restructurateur ».
Le but ce n’est pas seulement de découvrir son talent, mais de le perfectionner et d’en connaître les limites et les pièges. Il faudra aussi «l’habiller » théologiquement parlant.
Les formateurs sélectionnés, pour suivre et coacher un candidat, ne seront pas sélectionnés sur la base de leur diplôme ou de leurs connaissances intellectuelles de la matière, mais eux-mêmes devront être des gens talentueux et reconnus comme tels. Un talent ne peut progresser qu’au contact d’un autre talent qui lui servira de modèle.
Il est clair que dans ce type de formation, il faut plutôt voir les tendances que nous voulons développer. Si nous mettons l’accent sur les talents, cela ne veut pas dire que l’accumulation de connaissances intellectuelles est superflue. Cette accumulation est simplement tributaire du talent. Va-t-elle fortifier le talent ou au contraire le mouler ou le pétrifier ?
Explication du schéma directeur
1. Phase de sélection
Comme par le passé, le candidat doit avoir une solide vocation, un appel pour commencer la formation. Cet appel doit être confirmé par les anciens de sa communauté ou par son pasteur.
Tous les candidats passent par une série de tests pour définir leurs talents. Leur entourage immédiat va également y participer. Les formateurs mettront sur pied des séminaires pour révéler les talents cachés et chaque candidat sera longuement auditionné par les formateurs. Ce sera une phase importante de tout le processus.
2. Phase de formation appelée « Tronc commun »
Tous les candidats passeront pas ce tronc commun pour y être éduqués dans les valeurs chrétiennes de base. Ils auront des apports également théologiques et la phase de mise en valeur des talents se poursuivra.
3. Formation selon les talents
A ce stade les candidats optent pour une filière selon leur propre profil de talents. Une grande liberté est laissée au candidat pour choisir ses « points » de formation. Derrière chacun de ces points, il y a un formateur qui a été sélectionné pour son ou ses talents. Il dispensera un transfert de connaissances et de pratique dans le domaine qui correspond à son talent.
Chaque candidat devra collectionner un nombre de points défini par les formateurs. Ce ne sont pas des notes d’évaluation, mais simplement une manière de valider un parcours.
Les candidats, même s’ils optent pour des filières bien définies peuvent piocher dans les autres filières, mais ils devront tout de même ramasser le maximum de points dans leur filière préférentielle.
4. Phase décision ou validation
Contrairement au système scolaire, la validation de leur formation ne sera pas obtenue au travers d’examens des connaissances ou avec l’accumulation des points de formation, mais au travers de l’approbation de la communauté. Le candidat, après sa formation devra obligatoirement passer un minimum de six mois à plein temps dans une communauté et c’est elle qui décidera, selon ses talents reconnus, de la suite à donner à son ministère. Nous revenons donc à la situation des premiers missionnaires envoyés par la communauté d’Antioche. C’est elle qui a reconnu la valeur des hommes à envoyer et non l’organisme formateur.
Les contingences pratiques
De préférence les candidats se forment tout en travaillant en entreprise ou en s’engageant à mi-temps dans une communauté. Il mettra du temps de côté pour des périodes de formation où tout le monde se retrouve dans un lieu et une
période donnée. Pour ce faire, il prendra sur ses vacances et demandera un congé sans soldes à son entreprise. Ces périodes ne dépasseront jamais deux mois (par exemple, celle pour le tronc commun).
Les formateurs utiliseront au maximum les infrastructures internet (webcam, etc…) pour communiquer avec les candidats. Pour les formateurs qui n’auront pas l’aptitude pour travailler avec des techniques de communications numériques, il sera aménagé des plages de formation dans des salles ou autres lieux de rencontre.
La supervision et l’organisation de Polytalents ne devrait pas être confiées à un pasteur ou un enseignant, mais à un manager ayant fait ses preuves en entreprise comme talentueux organisateur et concepteur.
EGLISE IN FUTURE
Écrire et spéculer sur le futur, surtout en ce qui concerne l’église est plus que hasardeux. Néanmoins, je me risque à livrer quelques réflexions qui devraient plus nous aider à discerner les lignes de forces que les points de détails. Le futur, puisqu’il n’est pas encore réalisé, ne peut pas faire l’objet d’une analyse. J’emploierai donc la parabole ou l’analogie pour décrire ce qui pourrait se passer.
La parabole des berges et du fleuve
Pour faire sentir les enjeux actuels, je parlerai d’un fleuve et de ses berges. Les mass media et, en général le monde interconnecté du téléphone, de la télé et de l’ordinateur nous entraînent dans un univers flottant, agité et changeant dont on sent le mouvement mais pas encore la destination. Le monde actuel migre dans sa pensée, ses émotions et ses actions de la “berge” vers le “fleuve”. Nous devenons des “marins”, alors que durant plusieurs siècles, en Europe du Nord, nous étions des sédentaires, en majorité liés à la terre qui nous a portés. Le fleuve n’était là que pour nous tremper les pieds. Notre perspective était celle de prendre racines là où nous habitions, dans notre “terroir” socioculturel et politique. Nos villes anciennes sont à l’image de cette mentalité: nous nous abritons à l’intérieur d’un mur d’enceinte et nous aimons nous attabler sur la terrasse d’un bistrot, à l’ombre d’un platane, pour refaire le monde. Alors que les nouveaux marins, qui ont traversé l’océan, ont été nourris avec l’esprit de la caravane et de la conquête. Go! Go! Ils n’ont pas le temps de construire des murs. Ils naviguent, surfent, s’éclatent et recherchent le nouvel eldorado derrière la ligne bleue de l’horizon. Pour transposer dans le domaine de l’église nous sommes attachés à une doctrine, une liturgie, un catéchisme, un chantoir. Stabilité derrière notre mur d’enceinte, fidélité au lieu, aux amis, sérieux, engagement tels sont nos qualités. Pourtant, sous l’impulsion des radios et des télés qui nous ont inondés du monde extérieur, nous changeons peu à peu. Il n’y a pas seulement les médias électroniques qui nous ouvrent l’horizon, mais l’abaissement du temps de travail et l’avènement de la civilisation des loisirs nous permettent de bichonner nos émotions, notre corps, notre âme, bien plus qu’auparavant. On a le temps de penser, de profiter, de se faire plaisir, d’avoir des émotions, sans devoir s’échiner au dur labeur de la “terre”.
L’artiste détrône le théologien
Beaucoup se laissent embarquer et prennent goût au mode de vie du fleuve qui demande d’autres facultés que celles développées par l’environnement “terrien”. Sur la berge, impossible de satisfaire au besoin de nouvelles émotions mises en évidence sur l’élément liquide. La situation a encore empiré puisque l’ensemble des activités socioculturelles se passe maintenant sur le fleuve. Les écoles traditionnelles, construites sur la terre ferme, forment des écoliers de moins en moins adaptés. Les enseignants sont obligés de lancer une réforme après l’autre pour correspondre aux exigences du fleuve qui apparemment n’en a cure! Nos écoles théologiques ne font plus référence et ceux qui influencent le plus souvent l’église sont des artistes: chanteurs, musiciens, comédiens, peintres, etc. Le chantoir de JEM a plus fait évoluer les églises que maints traités théologiques sur l’hymnologie. C’est compréhensible. Comment appliquer des théories élaborées pour les gens de la “terre” à des personnes qui vivent la majeur partie de leur existence ailleurs. Un vrai dilemme. Il y a quelques années en arrière, on pouvait encore espérer pouvoir concilier les deux modes de vie, surtout dans nos églises. Un peu de théorie terrienne, un peu de surf existentiel. Un peu du catéchisme de Luther, un peu du fun jemmien. Un peu de raison et un peu d’émotion. Le fleuve grouille de vie. Les bateaux vont et viennent. Le “business”, comme ils disent est intense. Une chose est sûre, il y aura un retour de balancier, mais il ne se positionnera plus jamais à l’endroit qu’il a quitté auparavant. Bien que le fleuve reprenne certaines pratiques et concepts du MoyenÂge, il ne “photocopiera” pas ce temps tel quel. Nous sommes condamnés à aller de l’avant, sinon il ne nous restera, dans quelque temps, plus que les yeux pour voir la vie de loin, sur la ligne bleue de l’horizon “liquide”.
Les hommes du “fleuve”, leurs activités et leur organisation
Dans une génération au plus, nous verrons le plein effet de cette mutation profonde qui traverse nos sociétés. Elle affectera tous les domaines de nos églises. En voici quelques-uns:
La foi
Sur la “berge” elle se nourrit en premier lieu de doctrine. On présente au croyant une sorte de plan de montage théorique pour lui permettre de reconstruire, d’après mesure, “l’habitation” spirituelle où il devra habiter. On qualifie ce plan ou ce catéchisme de véritable, d’authentique. On ne conçoit pas la vie religieuse sans
plan, sans théorie, sans doctrine de base. Celui qui connaît et applique la doctrine est sauvé et gare au déviationniste qui interprète le plan à sa manière.
Sur le “fleuve”, tout est mouvement. On ne peut pas construire des bâtiments. On navigue, on expérimente, on surfe, on teste, on essaie. On est dans le courant ou à contre-courant. On est dans le vent ou sous le vent. Les règles changent et on ne peut pas appliquer les théories élaborées sur la berge. Le croyant se sent sauvé car il convaincu d’être dans le bon courant. Les marches pour Jésus, par exemple, réminiscence de la procession catholique, facilitent peut-être la notion d’appartenance à un “mouvement de salut”. Le chrétien s’immerge dans un flot dont la direction et le contenu sont bien définis. Bibliquement ce n’est pas plus aberrant que l’adhésion à une doctrine. Pour que les israélites soient sauvés, il fallait qu’ils sortent d’Egypte en s’intégrant dans un peuple en marche. Dieu ne leur a pas demandé de connaître des théories, il les a enjoints à se joindre à la grande famille “en exode” et de croire qu’il allait les libérer de cette façon-là. Faire “corps avec” aura plus d’importance que croire au même canevas de doctrines. On est croyant parce qu’on vit et on sent les mêmes choses que ses frères et soeurs. Comme certaines théories ou doctrines qui avaient acquis beaucoup de résonances chez les chrétiens de la “berge”, ce sont des lieux et des activités qui prendront du relief auprès des chrétiens du futur. Dieu rappellera souvent aux israélites la sortie d’Egypte comme lieu d’ancrage de leur foi. Il fait référence à un endroit géographique, une action et un processus de délivrance. La communauté du “fleuve” aura ses “lieux” de bénédiction, de délivrance. Bien sûr, le diable les détournera à son profit et l’idolâtrie s’installera comme par le passé au même titre que certaines doctrines ont corrompu durablement une partie de la chrétienté.
Sur le “fleuve” il a intérêt à quitter son habit d’enseignant, de professeur. Il n’est plus celui qui sait, alors que ses ouailles ne savent pas! C’est un entraîneur. Celui qui marche devant. La figure de proue. Le berger du troupeau et non son instituteur. Sa tentation ce sera de devenir gourou au lieu de rester le serviteur de la communauté. Il prêchera avec des images électroniques, mentales et créera un sentiment d’appartenance avant de vouloir diffuser un savoir. Il prendra exemple sur l’acteur, le comédien, le présentateur de télé pour communiquer et la chaire aura disparu dans les églises. Son espace liturgique aura la forme d’un forum ouvert sur le public. Son modèle ne ressemblera plus à l’école, mais au studio de télévision ou de radio. D’ailleurs, son culte sera retransmis sur les réseaux locaux ou par l’entremise de l’internet. Il aura passé son
Le pasteur
permis de conduire informatique et maîtrisera sur le bout des doigts une foule de programmes.
Son message
Son plus grand souci sera de développer une vision pour sa communauté. Elle permettra que toutes les activités tournent autour d’elle. Fini la dispersion et la fragmentation des messages du passé, à l’image de ce monde analytique qui coupe la réalité en rondelles de saucisson. Il cherchera à structurer sa communauté autour d’une idée, d’une action de base de longue durée à l’exemple du Christ dont un des messages principaux traitait de la venue du Royaume de Dieu. Pour les gens du fleuve, il travaillera la notion du sens de la vie en relation avec l’éternité. Sur un océan qui bouge, le meilleur point de repère pour le navigateur ce sont les étoiles. Nous allons redécouvrir les messages sur l’au-delà, sur l’enfer et le paradis au grand dam des théologiens classiques qui ont horreur de ce genre de discours simplistes et réducteurs. Fini la théologie du doute! Doutes sur l’authenticité des textes sacrés, sur les expériences non rationnelles, sur la vie après la mort et sur Dieu luimême. Ça portait peut-être moins à conséquence pour les gens qui avaient les pieds sur terre, mais quand on est dans de perpétuels changements, on attend du pasteur qu’il prêche des certitudes!
Le lieux de formation du pasteur
La faculté de théologie, ainsi que les écoles bibliques qui l’auront copiée, perdront de leur aura, parce qu’elles ont leurs racines sur la berge, dans la culture du livre et de l’école. On se formera avec un maître et on développera la relation maître et disciple. Le “voyage” fera partie de cet enseignement, voyage géographique, interculturel, interdisciplinaire avec si possible une vie communautaire. Le pasteur ne brandira plus son diplôme pour attester de sa formation, mais il sera évalué selon les maîtres qu’il aura fréquentés. Et lui, à son tour, pour former les gens de sa communauté, deviendra un “maître”. Il entraînera peut-être ses disciples, durant un été, au Futuroscope de Poitiers pour y tenir son “voyage” de formation! Plus prosaïquement, il passera du temps à manger avec ses “disciples-paroissiens” pour entrer avec eux dans leur quotidien et pour leur aider à trouver un sens.
La communauté et son organisation
Elle se composera, surtout dans les grandes églises, de différentes “tribus” avec chaque fois un chef de tribu. Celui-ci aura accédé à cette responsabilité à cause de son charisme, sa faculté de diriger ou sa capacité de représenter les aspirations de son groupe. Peu à
peu, le conseil des anciens se transformera en conseil des chefs de tribus. Un système d’alliance permettra de souder la communauté et le pasteur sera le garant de cette alliance. Les conflits ne seront plus d’ordre doctrinaires, mais par contre les différentes expériences vont s’affronter et les prises de pouvoir entre groupes se joueront sur des questions “territoriales” ou des questions de “ressources”, surtout si l’une ou l’autre tribu se sent négligée dans les répartitions (lisez l’A.T., le manuel parfait de la vie entre tribus!). Les communautés entre elles s’organiseront en réseau, soutenu par un réseau électronique. On va voir se développer un pastorat de réseau. Le pasteur n’est plus le berger d’une église, mais d’une série d’églises interconnectées. On pourrait aussi imaginer que chaque tribu aient son lieu de culte et que le pasteur officie pour les tribus organisées en réseau!
L’église et le monde qui l’entoure
Elle ne sera plus qu’une voix parmi d’autres, à l’image du christianisme naissant. En but à la concurrence aussi bien de la part de religions constituées comme l’islam ou le bouddhisme que d’une foule de micro-croyances ésotériques pour ne pas dire occultes. Nous nous acheminons, en Europe du nord, vers un paganisme mâtiné de valeurs judéo-chrétiennes. Aussi longtemps que l’église se positionnera comme une solution spirituelle parmi d’autres, elle sera acceptée ou tolérée, mais dès qu’elle revendiquera l’exclusivité du salut, elle sera persécutée. La sphère politique déteste les groupes qui ne veulent pas entrer dans le consensus général. Pour s’attirer les faveurs de l’état, il faudra adopter un profil bas, surtout si, peut-être, le président est bouddhiste, son premier ministre conseillé par un chaman et le maire du village un “sorcierguérisseur” reconnu par l’ensemble des citoyens!
En conclusion
L’église du futur? Elle sera forcément différente d’aujourd’hui. Le monde évolue en bien et en mal, il faudra donc que le “corps” du Christ suive son rythme et sa trajectoire pour le “sauver”. Le Christ a marché sur les traces de ses contemporains. Il s’est implanté, incarné dans un monde, un corps, une famille, un peuple, une religion, un peuple et un état. Jésus nous invite à le suivre dans ce monde futur, virtuel, électronique, délirant et décadent ... avec notre église! Elle sera aussi sainte que par le passé, aussi “habitée” par l’Esprit qu’auparavant, aussi “déjantée” que dans bien des périodes historiques, aussi exceptionnelle et aussi à côté de ses pompes que dans d’autres. Et le Christ sera toujours son chef et son inspirateur!
EGLISE LIQUIDE
En participant à un colloque francophone sur le thème de l’église missionnelle ou émergente, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’on devrait appeler ce mouvement naissant du nom d’ « église liquide ».
Pour moi, l’eau est le meilleur symbole à utiliser pour parler de ce que l’église devrait être aujourd’hui. Mais peut-être plus que l’eau, c’est la notion de liguide qui m’intéresse. Un liquide est appelé à prendre la forme du récipient qu’on lui propose, sans pour autant perdre sa qualité première. N’est-ce pas un peu l’illustration de ce texte de Paul qui disait que le chrétien était dans ce monde (il épousait le récipient) sans pour autant être du monde (sans perdre sa spécificité de chrétien). L’église est comme un liquide donné pour que le monde s’abreuve, se réhydrate, s’arrose. Le liquide devrait aller vers la plante et non l’inverse. Une oratrice, dans ce colloque, parlait de s’incarner dans le monde, au lieu d’attirer le monde à l’intérieur de ses murailles.
Le marécage
Jusqu’à la fin du Moyen-Âge l’église est devenue tellement puissante en Europe, politiquement et religieusement parlant, qu’elle a investi toute la vie : religieuse, économique, culturelle, sociale. Au fond, elle a transformé l’espace européen en un vaste marécage, infesté par les moustiques. Un marécage est un biotope en soi, mais je pense que la vision du Royaume de Dieu ne colle pas tout à fait avec celle d’un « marécage ». Dans les questions environnementales, lorsque tout un territoire se transforme peu à peu en marécage, éliminant de ce fait d’autres écosystèmes, les spécialistes sont inquiets pour les équilibres de vie.
La tendance à radicaliser et à rationaliser ce qui marche est une tentation bien humaine. Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus performant. Surtout si on a les moyens et chaque civilisation cherche non pas à imposer la pluralité, mais à imposer une monoculture et à vouloir dominer. Le triomphe apparent de la chrétienté au Moyen-Âge a été en même temps son tombeau. Lorsque s’y mêlent encore de puissants leviers technologiques comme par la suite l’imprimerie et les médias propulsés par l’électricité, cette tendance prend des proportions inquiétantes.
Le désert
Lorsque les Réformés sont arrivés, ils ont mis en route leur talent et un nouveau savoir-faire pour assainir le marigot. Ils ont drainé, asséché à tout va avec une ardeur incomparable pour redonner à l’eau sa vraie dimension, celle d’être nourricière, celle d’abreuver, celle d’être là sans être là. Ils ont tout fait pour créer des espaces de liberté face à la religion ambiante. Peu à peu sont apparus à
nouveau des îlots où l’église n’était plus la maîtresse incontestée, mais seulement la conseillère, l’inspiratrice. La raison, le raisonnable étaient les moteurs ou les moyens de cet assainissement mais comme auparavant pour la constitution du « marécage », les élites ont poussé leur logique trop loin. De bénéfique au départ, le drainage à outrance a provoqué l’assèchement complet et en fin de compte la désertification.
Le bocal
Au XIXème siécle, une poignée de chrétiens, surtout en Angleterre et par la suite dans d’autres pays européens comme la Suisse, ont pris conscience de cet assèchement spirituel. Ils ont passé par un profond réveil et l’histoire de l’eau a repris une nouvelle dimension. Les évangéliques issus de ces bouleversements ont pris la question de l’eau sous un autre angle. Leur désir fondamental, c’était de garder l’eau pure. C’était en fait des écologistes spirituels. Ils ont érigé des doctrines, des pratiques, des règles pour ne pas souiller l’église. Le principe de base était la séparation avec le monde. De grands mouvements de sanctification (de purification) ont façonné la vie de l’église. Tout naturellement, pour garder cette eau, on l’a mise dans un bocal avec un couvercle. Elle se garde mieux « propre ». La preuve ? Par exemple, pour la St Cène il fallait montrer patte blanche. Des mouvements comme les darbystes ont poussé la notion de pureté, jusqu’à trier sur le volet ceux qui pouvaient communier et ceux qui en étaient exclus, lettre de recommandation à l’appui. Les gens venaient à l’église au lieu que l’église vienne à elle. Elle a donc dû devenir « attractionnelle » avec un fort accent mis sur le témoignage personnel. Pour attirer les gens dans le « bocal » il fallait qu’il soit convaincant. Toute la stratégie d’évangélisation des évangéliques consiste à remplir le bocal ou plutôt à faire prendre aux gens un bain dans le bocal. Ce qu’ils appellent « conversion ». C’est donc, avant tout une évangélisation sélective.
Cette approche de la réalité spirituelle a entraîné la « bocalisation » de l’église, chacun y allant de son degré de pureté. Ces bocaux se sont donc multipliés à l’infini et le grand public se retrouve avec des « étagères » remplies de bocaux dont ils ne connaissent ni les ingrédients, ni les effets, à moins de les tester.
Et aujourd’hui?
Ouvrir le bocal et laisser à nouveau couler l’eau à l’extérieur semble être une solution envisageable. Mais elle soulève nombre de questions. Peut-on laisser se vider le bocal, alors qu’on y a investi de grosses sommes pour l’améliorer et le rendre plus attractif ? Peut-on courir le risque que l’église se dissolve dans le monde, disparaisse peut-être à jamais ? Mais au fond, est-ce que l’"église-eau" a
vraiment besoin d’être protégée ? Et puis, cette eau qui se répand à l’extérieur va-t-elle revenir dans le bocal ou s’embourber ? C’est bien là que l’ « Eglise-liquide » posera problème. Elle quittera le bocal pour ne plus y revenir. Comment va-t-elle se développer ? Nul ne le sait vraiment, mais ce qu’on sait, c’est qu’elle retrouvera sa liberté d’entant, jusqu’au prochain assainissement !
LE MONDE DE JESUS
On a l'habitude de se référer à la Bible plus pour des questions spirituelles et éthiques, moins pour des aspects culturels ou pour comprendre certains développements stratégiques en relation avec l'église. Le message, la pratique et la stratégie du Christ, lors de son périple terrestre, peuvent nous aider dans la compréhension de ce que nous devrions faire aujourd'hui.
Nous sommes actuellement dans un clivage "civilisationnel" comme du temps de Jésus. A cette époque le monde juif est dominé par les romains, et la culture grecque avait marginalisé celle développée par le judaïsme. En l'an 70, les romains vont sonner le glas de cet univers dont la religion était un des principaux ciments. Un peu comme aujourd'hui, où le multimédia et l'internet accélèrent la mondialisation et la destruction d'une vieille civilisation liée à l'écrit, aux concepts de nations souveraines, etc… Les apôtres et leurs disciples vont écrire ou faire écrire le Nouveau Testament en grec et non en araméen ou en hébreu, signe de l'ampleur de la mainmise d'une culture étrangère sur la culturelle locale.
Quelles sont les clés du succès de Jésus?
Au risque de froisser certaines personnes, je prends le modèle développé par le Christ d'une manière très profane. Je fais abstraction de sa divinité. Lorsqu'elle est prise en compte, on explique facilement certaines décisions par le fait qu'il est Dieu et que forcément, sans grandes difficultés, il a fait les meilleurs choix. Je préfère rester dans le registre de son incarnation: homme parmi les hommes.
En premier lieu, le Christ a développé un nouveau message et une nouvelle approche de la spiritualité en parlant du Royaume de Dieu. Il n'a pas pris le meilleur de la foi judaïque pour le valoriser. Il ne s'est non plus évertué à améliorer un modèle ancien, à le rendre plus "missionnel". Il a carrément rompu avec le modèle théologique du passé tout en restant en constant dialogue avec les tenants de la tradition spirituelle héritée des fils d'Abraham. Il n'a d'ailleurs jamais renié son passé juif et il participait aux rencontres dans les synagogues et aux cérémonies du temple. Pourtant, il n'est jamais entré dans le système religieux des pharisiens et des saducéens.
Ce qui devrait, en premier lieu, nous inspirer aujourd'hui, c'est qu'il a simplifié la foi. En entreprise, on parlerait de restructuration. Toute nouvelle avancée est conditionnée par une phase de délestage. Se débarrasser de croyances collatérales, de pratiques trop compliquées, de rituels obsolètes. La foi juive était plombée par plus de 600 lois à caractère religieux. Jésus les a réduit à deux!
La manière dont Jésus s'y est pris peut nous aider énormément. Il n'est pas entré dans les synagogues pour les restructurer, mais il a simplement changé de "lieu" de communication. Son activité pastorale, il l'a accomplie, en grande partie, dans les "champs", au bord ou sur le lac, dans les maisons, dans les espaces publics. Tout naturellement, sa transmission spirituelle s'est aussi adaptée à son milieu. Il ne pouvait pas se promener avec des rouleaux de la Loi sous le bras en rase campagne, puisque ceux-ci avaient un emplacement réservé dans la synagogue.
Quitter les lieux "sacrés"
Une église émergente quitte les "lieux sacrés" pour mieux reformuler son message et sa pratique dans son nouvel espace d'expression. C'est un comportement qui se retrouve maintes fois dans la Bible. Abraham a quitté son pays, d'abord dans une première étape avec son père, puis dans une deuxième seul, rien qu'avec sa famille proche. Les prophètes de l'Ancien Testament étaient souvent des personnes qui ne faisaient pas partie de la nomenklatura. Parfois, ils étaient même étrangers par rapport au destinataire de leur message. Un prophète de "l'extérieur" voit souvent la réalité d'une manière très différente des "insiders". Le principe même du christianisme, c'est le fameux "sortez de", "quitte ton milieu", "laisse ton job et suis-moi".
Dans la foulée, Jésus s'est entouré de personnes qui n'étaient pas formées dans le giron de la synagogue. Pourtant, des pharisiens comme Nicodème, un théologien professionnel, auraient pu entrer dans son équipe de disciples. Personnellement, je ne crois pas que les théologiens issus de la civilisation du livre et formés dans les académies puissent renouveler les églises actuelles. Il faudrait qu'ils aillent dans les "champs" sans leurs manuscrits sous le bras et inventent une nouvelle spiritualité. Rien que ça! On me rétorquera que l'apôtre Paul, fut un intellectuel de premier ordre. Sauf qu'il n'était pas de la première génération des proches de Jésus et que sa formation s'est déroulée en grande partie dans le cadre de la culture hellénique. Il était parfaitement biculturel et c'est un homme qui a beaucoup voyagé. Avant d'entamer son ministère, il a donc été confronté à bien d'autres styles de pensée et de vie. Il n'est donc pas un pur "player" du monde des pharisiens et des saduccéens.
Expérimenter
Je suis toujours étonné que la première génération des chrétiens ait tellement tâtonné pour évangéliser ses concitoyens! Pourquoi, Jésus ne leur a-t-il pas donné plus de techniques et plus d'indications pour remplir leur mission? Son fameux "Allez par tout le monde…" est un peu "short" pour se lancer dans une mission d'envergure. Peut-être,
mais je pense que le Christ voulait aussi que ses disciples trouvent eux-mêmes les solutions. Qu'ils expérimentent. Certains sont partis le long de la côte, vers le nord, en prêchant le retour imminent du Fils de Dieu. Ils proposaient même aux gens de ne plus travailler et l'apôtre Paul a dû les rappeler à l'ordre dans l'épître aux Galates. Ce n'est pas ce courant, parti de Jérusalem, qui a triomphé, mais les gens d'Antioche. Ceux qui n'étaient plus dans l'orbite de Jérusalem. Encore un argument pour dire que souvent il vaut mieux reprendre le flambeau en étant loin de l'épicentre historique. Ces premiers chrétiens ont expérimenté. Ils n'ont pas mis simplement en route les techniques que Jésus leur avait enseignées. Philippe n'a pas fait du porte à porte, mais il a fait de l'auto-stop ou de la charrette stop! Un style d'évangélisation inédit dans le contexte juif. Aidé par le St Esprit, ils ont mis en route leur créativité… et une bonne dose de culot!
Conclusion
Favoriser les initiatives un peu loufoques, celles qui ne cadrent avec votre milieu, vos habitudes. Elles risques de vous apporter de nouveaux développements inédits.
LE CHANTIER DE LA SPIRITUALITE ARCHAÏQUE
Lorsqu’un pasteur, respecté de la majorité des chrétiens de ce pays, appelle à la prière pour contrer les puissances qui gravitent au-dessus de la ville de Lausanne et la tiennent prisonnière, est-il postmoderne, archaïque ou simplement charlatan ! J’opte pour le terme « archaïque », ce mot n’ayant pas chez moi un sens péjoratif ou dépréciateur. On pourrait citer d’autres pratiques spirituelles qui remontent à quelques décennies en arrière, histoire de montrer, que ce n’est pas un phénomène très récent. A l’époque de la fameuse bénédiction de Toronto, beaucoup de responsables d’églises se sont précipités dans cette ville canadienne pour y trouver un nouveau souffle. Avec un certain succès et même un certain bonheur ! Loin de moi, de tirer à boulets rouges sur ce phénomène très loin de l’expérience réformée classique. Ces deux événements, qui participent au « réenchantement » du monde, sont de type archaïques. Archaïque étant utilisé ici dans le sens « expérience d’avant les temps modernes dominés par la raison ». Dans le domaine non-chrétien, cet archaïsme se retrouve dans les questions ésotériques ou occultes dont l’horoscope est la forme la plus répandue et dont les gens raffolent. Dans un autre domaine, non spirituel celui-ci, comme celui des nouveaux réflexes tribaux générés par internet, on assiste également à ces comportements archaïques. Les internautes, par Facebook interposé, montent des rencontres conviviales et festives où l’important est de vivre le groupe social. Les rave-parties en sont une autre expression. L’archaïsme peut donc se lier sans problème avec les moyens de communications électroniques. Je dirais même que l’archaïsme moderne se développe grâce à ce que j’appelle l’oralité électronique.
L’archaïsme contemporain
On pourrait aussi traduire ce terme archaïque par « ce que l’on ne contrôle pas avec sa tête », qui ressurgit de nos entrailles, terme utilisé dans le tissu biblique. De grandes figures de la Bible sont des dignes représentants de ce monde souterrain : le patriarche, le prophète, le thaumaturge, le devin, le voyant. Souterrain ne veut pas forcément dire malfaisant. Une rivière souterraine n’est pas plus polluée qu’un cours d’eau à l’air libre, sous prétexte qu’elle circule dans les entrailles de la terre. Ces « archaïques » sont des personnes liées à des forces dont on a du mal à comprendre d’où elles viennent. On pourrait pousser un peu plus loin cette image de la rivière souterraine et de celle circulant en surface. Nous avons tellement canalisé, dompté la spiritualité en surface, comme on a capté, bétonné les rivières à l’air libre que les gens veulent retourner à des expériences plus « bios », plus naturelles, moins sophistiquées, moins bétonnées ou « doctrinisées ». Ils se ressourcent, c’est le cas de le dire, à ce qui jaillit de la profondeur de la « terre ».
Il n’y a pas seulement des hommes ou des femmes qui reflètent cet archaïsme, mais par exemple, un lieu peut symboliser un espace « archaïque ». Toronto m’a
beaucoup intrigué, pas parce que les « bénis » tombaient dans les pommes, mais parce qu’il fallait aller là-bas pour vivre cette expérience. On m’avait toujours appris que Dieu pouvait agir n’importe où, n’importe quand. Cette fois-ci, il était nécessaire d’être à Toronto ! Comme quoi, même chez les évangéliques on a retrouvé le sens du lieu de pèlerinage, de l’endroit plus « béni » que les autres.
L’Ancien Testament, terrain « archaïque » par excellence
Le courant évangélique, ayant défendu contre vents et marées que la Bible était Parole de Dieu du premier jusqu’au dernier verset, ne pouvait pas faire autrement que de prendre en considération l’Ancien Testament. Pourtant, soyons honnête, nous y avons pris ce qui nous arrangeait ou ce qui arrangeait nos doctrines. La hache qu’Elisée a repêchée dans le fleuve, l’épisode des coloquintes était bon à raconter à l’école du dimanche, mais nous nous sommes efforcés à gommer le côté « archaïque » de ces écrits : les rêves, les malédictions, les systèmes de bénédictions, l’imposition des mains, l’onction, les visions, le tribalisme. Ou bien on les a tellement symbolisés qu’ils ne pouvaient pas être appliqués dans la pratique. D’ailleurs, nous avons largement, dans nos prédications, privilégié les écrits de Paul au détriment de l’Ancien Testament. Plus largement, ce n’est pas seulement les pratiques ou les figures de communicateurs qu’il faudrait explorer dans ces textes du monde juif, mais aussi les « weltanschauungen », les visions du divin, les conceptions théologiques. Rassurez-vous, je ne suis pas en train de minimiser l’œuvre de salut du Christ, ni de quitter la théologie calviniste de la grâce. Je crois aussi que le Christ est l’accomplissement de la Loi. Mais il faut avouer que nous avons souvent mis cette grâce en « boîte », en code. Les fameuses quatre lois spirituelles en sont un exemple flagrant ou bien le fameux « Jean 3 :16 » avec lequel nous avons définitivement clos le débat sur le salut. Pour nous renouveler, tout en gardant en ligne de mire les épîtres de Paul, nous avons besoin de revisiter ces textes anciens.
Le Moyen-Âge, grande vitrine historique de la mentalité archaïque
Non, je ne veux pas vous ramener dans ces siècles qualifiés d’obscurs par les modernes que nous sommes ! Nous y sommes déjà ! La preuve ? Vous vous êtes, mêmes dans nos milieux évangéliques, mobilisés pour héberger les jeunes participants au Pèlerinage de la confiance organisé par Taizé à Genève. Vous avez participé à des cérémonies teintées de cette spiritualité faisant une large place au silence, au chant répétitif, à une certaine simplicité de l’approche spirituelle. Pour Taizé le vécu communautaire est plus important que le discours. On se fonde dans un corps social plus que dans un corps doctrinal cher aux évangéliques. Voilà une autre facette de l’archaïsme que l’on retrouve aussi dans l’Ancien Testament. D’autres pratiques refont surface comme les marches pour Jésus qui ressemblent furieusement aux processions. On ne se signe pas en entrant dans une église, mais dans certaines communautés, les bras levés au ciel, pendant un moment de louange, sont le gage d’une ferveur authentique. Geste du corps, geste de foi qui peuvent être aussi vides de sens qu’un signe de croix machinal. Parmi les protestants on recommence à prôner le jeûne pendant le
carême et il se forme des groupes de paroissiens qui suivent des parcours méditatifs, pendant cette période, tout en jeûnant. Les labyrinthes dans les cathédrales ont joué un certain rôle dans l’activité religieuse archaïque. Actuellement, il reste encore celui de Chartres, datant de 1200, de 13 m de diamètre. Il y a quelque temps, une communauté protestante de jeunes à Genève, a organisé des parcours méditatifs à l’intérieur d’un labyrinthe. Plusieurs jeunes de notre communauté évangélique y ont participé avec beaucoup de plaisir. Il faudrait également mentionner toutes les pratiques redécouvertes au travers du mouvement charismatique et l’importance actuelle des cultes de guérison. Peut-être Stop Pauvreté 2015 est une réminiscence ou une résurgence des mouvements monastiques qui ont fait vœu de pauvreté ? Ou bien comme les Promise Keepers aux Etats-Unis qui font vœu de chasteté ? Bon, je vous l’accorde, je pousse probablement le bouchon un peu trop loin!
Comment se comporter vis-à-vis de ces manifestations ?
Pour certains, c’est très simple : ils brandissent le mot « New-Age » comme le toréador agite sa toile rouge devant le taureau qu’il veut abattre. Vite dit et vite condamné. Ainsi le chrétien fidèle à sa doctrine peut-il se réfugier derrière ce qu’il connaît.
Pour d’autres, c’est la manifestation évidente du St Esprit et « chrétiens charnels » ceux qui ne l’entendent pas de cette oreille. Autre point de vue, autre condamnation !
Dans un premier temps, il faut oser se remettre en question. Nous avons cru que la civilisation du « raisonnable » avec un zeste d’émotion allait pouvoir satisfaire les gens qui nous entourent. Hélas, ce n’est plus possible, surtout depuis que la culture de l’oralité électronique défriche d’autres espaces culturels.
Dans un deuxième temps nous devons laisser nos peurs au vestiaire et laisser les gens se lancer dans des choses inconnues, à la seule condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’enseignement biblique… même le plus saugrenu. Avec Toronto, on nous a peint le diable sur la muraille et aujourd’hui on se rend compte que ce n’était pas forcément nécessaire de monter aux barricades comme nous l’avons fait.
Nous avons pris l’habitude de juger du bien-fondé d’une spiritualité sur la base de ce que leurs auteurs en écrivent. On fait plus confiance à l’écrit qu’à la réalité des faits et gestes de tous les jours. Or, c’est justement dans les comportements journaliers (pas cultuels) que nous pouvons discerner si la pratique est inspirée par le St Esprit ou non. C’est aux fruits qu’il faut reconnaître l’authenticité d’une démarche et non aux écrits ou au reportages vidéos qui parlent de ce qui se passe. L’écrit et la vidéo sont des filtres très déformants. Il faut donc aller sur le terrain.
C’est plus facile, pour nous, de débusquer les déviances, car la majorité des
pratiques archaïques ont eu dans le passé leur côté sombre. Le prophète de l’Ancien Testament a eu des confrères véreux. Au Moyen-Âge, beaucoup de belles choses au départ, ont déraillé et en analysant ces déraillements on peut mieux aider les gens, aujourd’hui, à trier le bon du mauvais. Ce n’est pas parce qu’un train déraille qu’il faut enlever la ligne de chemin de fer. Il faut plutôt chercher la cause du déraillement.
Le théologien et le pasteur d’aujourd’hui doivent se mettre à étudier assidûment l’Ancien Testament et lire les historiens et sociologues du Moyen-Âge. Ainsi ils seront mieux armés pour s’activer dans ce nouveau chantier de la spiritualité.
Deux auteurs laïcs à consulter : Jacques Le Goff (spécialiste du Moyen-Âge) et Michel Maffessoli (spécialiste de la postmodernité).
LES EVANGELIQUES EN PASSE DE DEVENIR IDOLÂTRE?
Depuis des années, je m'intéresse au Moyen-Âge. Beaucoup de nos nouveautés actuelles en église et hors église proviennent de ce temps-là. Dans le domaine laïc, je ne citerai que le système de péage que l'on retrouve sur les autoroutes, mais aussi en téléphonie. Les réseaux ont été fort répandus à partir du XIIème siècle: réseaux de monastères, d'universités. Le compagnonnage des artisans en était un autre.
Dans le domaine de la foi, sous l'influence et le massage permanent des massmédias, d'internet et de la téléphonie, nous développons de plus en plus une foi de type "archaïque", comme avant la Réforme. Entendez par là, une foi liée à notre être souterrain, à nos capacités émotionnelles, à notre intuition. Loin de moi, de mépriser cette foi, largement vécue par les personnages de l'Ancien Testament, tels les patriarches, les prophètes et autres voyants.
Une culture qui favorise la constitution des idoles
Culturellement nous favorisons de plus en plus l'image et la communication basée sur les émotions, y compris dans l'église. Le problème, c'est que nos académies n'ont pas été préparées à ce déferlement de visuel. Par ricochet, nos responsables d'églises, n'ont été sensibilisés ni aux avantages, ni aux dérapages du monde des images. Donc, ils l'utilisent tant bien que mal. Comme la notion de performance a remplacé celle de la vérité, on est jaugé sur la base du nombre d'adeptes qui remplissent nos salles de culte et non plus selon des critères bibliques. Pour faire du "chiffre" parfois tout est bon! C'est en analysant les pratiques religieuses du Moyen-Âge que nous pouvons le mieux saisir les évolutions religieuses d'aujourd'hui, puisque sans nous en rendre compte nous nous inspirons de ce temps-là.
Quelques exemples: les marches pour Jésus, n'est-ce pas une réminiscence des processions? Bien sûr, les objectifs sont différents, mais ce qui se vit à l'intérieur de ces cortèges modernes s'apparente à cette pratique "moyenâgeuse". On fait partie d'un corps en marche. On est un corps "socio-spirituel" en face d'un monde laïc. Le croyant s'immerge dans la spiritualité, alors que la Réforme nous a inculqué une foi par instruction. Les fêtes flamboyantes rythmant le calendrier ecclésiastique sont reprises,
dans une version actualisée, par nos spectacles, festivals de musique où l'on rivalise de créativité et qui coûtent de plus en plus chers.
Un exemple argentin
Tout récemment un article du journal "La Croix", relayé par le Top chrétien, m'a intrigué. L'article faisait mention d'un pasteur évangélique argentin qui invite ses ouailles à s'avancer vers une table où il a posé une pierre. en souvenir du texte de Samuel1 qui parle de la pierre de secours. Il propose de la toucher pour bien intégrer le message. Jusqu'ici rien de répréhensible, apparemment. C'est une sorte de parabole. Si ce type de message se passe une fois par année, il n'y a pratiquement aucun risque d'idolâtrie, mais si ce genre d'activités se répète régulièrement sous d'autres formes, c'est là qu'apparaît le risque de dérapage. Aujourd'hui, l'homme aime voir, entendre, toucher et sentir. Il réagit très favorablement à toute stimulation utilisant les quatre sens que la spiritualité du Moyen-Âge a largement exploités. Lorsque l'émotion est le critère privilégié d'évaluation pour juger d'une situation ou de la véracité d'un fait, on tombe très vite dans le subjectif. Si l'émotion est négative, on en déduit que ce n'est pas juste et bon pour le croyant, si les impressions sont bonnes, c'est forcément valable et véridique. Les gens qui auront touché cette pierre et qui auront senti une vraie émotion diront spontanément que le St Esprit a puissamment travaillé dans leur vie. Peut-être! Mais, il y a de fortes probabilités pour que ce ne soit qu'un acte culturellement très performant. Dans un autre domaine, si une personne vibre intellectuellement à une belle démonstration de pensée, cela ne veut pas dire que le St Esprit parle. Se pose alors la question de la vérification. Comment être sûr que le St Esprit a parlé? Est-ce une vague d'émotions ou une belle compréhension intellectuelle qui nous confirme son action? En réalité, c'est assez simple: c'est dans la pratique de tous les jours que nous savons que l'Esprit était ou est à l'action. Les émotions ressenties peuvent faciliter cette mise en pratique. Il y a une forte tendance à croire que l'intensité des émotions est synonyme de la présence de l'Esprit, alors que ces sentiments peuvent être provoqués facilement par des leviers culturels. Il suffit d'avoir du talent. J'ai envoyé une fois, une des mes stagiaires venant d'un milieu pentecôtiste dans un culte réformé vaudois. Elle en est revenue avec un verdict sans appel: ils n'ont pas le St Esprit! A quoi a-t-elle pu juger ainsi les croyants de cette communauté? A l'absence de manifestations émotionnelles visibles. Si elle s'était donnée le temps de les suivre dans leur quotidien, elle se serait peut-être rendu compte qu'un grand nombre de participants au culte étaient de vrais disciples du Christ.
Un eldorado émotionnel
Il est clair que beaucoup de responsables vont s'engouffrer dans cet eldorado émotionnel. Très facilement, ils pourront croire que Dieu est présent, sous prétexte
qu'ils ont réussi à mettre une certaine ambiance spirituelle. Les techniques de communications actuelles, bien maîtrisées, facilitent grandement ce pouvoir de "séduction". Ne me faites pas dire, ce que je n'ai pas voulu dire: je crois que le travail avec l'émotion est essentiel pour communiquer l'évangile aujourd'hui, mais pas à n'importe quel prix. L'intellectualisme du passé a fait autant de dégâts dans le passé que l'"émotionalisme" en fera aujourd'hui.
Dans ce nouveau contexte émotionnel, les idoles vont apparaître très rapidement, car elles offrent un pouvoir d'attraction énorme, bien plus que la simple parole. Si on est conscient du processus de formation d'une idole, l'église pourra plus facilement contrôler les dérapages. Prenons l'exemple de la pierre de ce pasteur argentin. Si celle-ci reste en place, histoire de perpétrer le message, elle risque de faire capoter la communauté, comme une grosse pierre sur la route peut faire tomber le cycliste. Surtout, si de temps en temps, le pasteur fait référence à cet objet minéral dans le style: "Rappelez-vous, lorsque vous avez appelé le Seigneur au secours lors de la première exposition de celui-ci et qu'il vous a répondu!". Il suffit qu'il se produise un petit miracle de guérison dans son environnement immédiat et voici que débute la grande carrière de l'idole-pierre. Pour vérifiez à quel stade se trouve l'objet dans le cycle idolâtre, il faut prendre la pierre et la poser plusieurs dimanches de suite sur le parking de l'église. Si personne ne s'en offusque, c'est que la pierre est encore dans son cycle parabolique.
Quelques conseils pour éviter les écueils
1. Lorsque vous utilisez des objets, des images comme message ou support didactique, ne les gardez pas et surtout ne leur accordez pas une place privilégiée. Par exemple, les icônes utilisées par les orthodoxes tournent très facilement en objet idolâtre, même si la représentation contient un message théologique certain.
2. Restez strictement dans le mode parabolique.
3. Ne spiritualisez pas les images ou les objets. Ne les investissez pas d'un pouvoir spécifique. Dans le cas de la pierre du pasteur argentin, celui-ci a franchi le pas. La pierre n'est pas restée dans son rôle pédagogique. Ce qui l'a transformée en candidat pour l'idole, c'est le fait de la toucher.
4. Evitez les actions de masse: toute la communauté qui touche la pierre. Laissez le choix et en même temps, spécifiez que la personne qui reste à sa place, n'en est pas moins secourue.
5. Plus vous changez d'images, plus vous êtes à l'abri des idoles. Par changer, j'entends aussi le fait de changer la représentation. Le Jésus blond de nos représentations évangéliques est à la limite du processus idolâtre.
Ce n'est donc pas le fait d'utiliser des images ou des objets qui pose problème, mais c'est la place physique et émotionnelle qu'on leur accorde et leur permanence qui vont engendrer les dérapages.
L'Argentine est loin, ne nous croyons pas à l'abri. L'épisode de la "poudre d'or" qui
a fait courir les jeunes de Suisse romande est bien de chez nous.
11 Samuel 7:2: Samuel prit une pierre, qu'il plaça entre Mitspa et Schen, et il l'appela du nom d'Ében Ézer, en disant: Jusqu'ici l'Éternel nous a secourus.
LE CHANTIER DES FINANCES
D’emblée, je voudrais avertir mes lecteurs que je suis très critique quant aux relations de l’Eglise au monde financier. Je suis d’autant plus acerbe que je travaille à plein temps en entreprise et que je suis journellement au contact de l’ecommerce, du marketing et des contingences financières. Faut-il préciser que je suis à l’aise dans mon job et que je n’ai pas d’appréhension à gagner de l’argent ! Il en va tout autrement pour l’Eglise. Dans mon ministère, j’ai dû apprendre à travailler avec une autre mentalité quant aux questions financières, non pas qu’il y ait dichotomie entre mon existence en entreprise et celle en Eglise, mais plutôt une portée différente.
De bon ton
Pour parler du chantier financier de l’Eglise, je voudrais surtout me référer à la question du pouvoir. Mammon est un puissant pouvoir qui a pourri la vie des chrétiens et du monde depuis la nuit des temps. À la différence du passé, aujourd’hui, l’argent est le pouvoir central dans notre monde. Il n’a que très peu de contre-pouvoir et il devient de bon ton, surtout dans nos pays européens, de l’afficher. Ce n’est pas innocent qu’un président en France, qui se dit vouloir être le président de tous les Français, se prélasse, après son élection, au vu et au su de tous, sur le yacht d’un de ses amis milliardaires. Même si les présidents précédents n’étaient pas des angelots en la matière, au moins ils avaient la pudeur de ne pas s’afficher ostensiblement avec les plus riches.
Une Eglise politicarde
L’Eglise s’est toujours fait avoir par les différents pouvoirs. Lorsqu’elle a frayé avec l’empereur Constantin dans les premiers siècles, elle est devenue éminemment politique et l’Eglise catholique, issue de ce lignage, l’est encore en grande partie aujourd’hui, détenant même un territoire (le Vatican), une armée (les Gardes suisses), une administration, des ambassadeurs (les nonces apostoliques) et un certain pouvoir politique !
Comment peux-t-on imaginer qu’une figure de proue de la chrétienté comme Bernard de Clairvaux (1090-1153) ait pu prêcher la deuxième croisade à Vézelay ? Il a simplement raisonné selon le pouvoir dominant. Pour nous, aujourd’hui, ce côté politique et politicard de l’Eglise nous est complètement étranger.
Une Eglise « intellectuelle »
Plus tard, les réformés et les luthériens, issus des milieux humanistes et universitaires de la Renaissance, sont devenus des chrétiens dominés par l’université et l’école, nouveau pouvoir en Occident. Au XIXe siècle, les évangéliques ont réagi contre cet intellectualisme froid et raisonneur en lançant un vrai contre-pouvoir où on a
redonné de l’importance aux prédicateurs laïcs, non formés dans le sérail de l’Académie, ainsi qu’à des pratiques comme les dons spirituels pour le pentecôtisme, qui ne pouvaient pas s’apprendre sur les bancs de l’école.
Une Eglise riche
Le mouvement évangélique est né avec l’essor de l’industrie en Europe, marchepied du capitalisme. Il a beaucoup « guerroyé » sur le plan doctrinal pour se faire une place au soleil, alors qu’un pouvoir plus puissant le guettait. Il a passé son temps à s’opposer aux Eglises officielles et historiques, sans se rendre compte qu’elles allaient de toute façon perdre de leur importance et de leur influence. Ces dernières années, les évangéliques ont lancé « Le défi Michée » ou « Stop Pauvreté 2015 », tout en vivant dans le cadre de l’Eglise comme des « riches ». Avec une mentalité de riches, comparable à la mentalité du Moyen Age marquée par la politique ou à celle des XIX et XXe siècles qui croyait que l’élévation de la qualité de l’enseignement dans les facultés de théologie allait promouvoir une spiritualité plus engagée !
Mentalité de riches ? Evidemment, lorsqu’on pense que sans investissements financiers, sans appel aux donateurs, on ne peut pas faire progresser une œuvre d’une manière significative! Les premiers apôtres sont partis les mains vides pour conquérir le monde. Ils ont commencé dans une petite localité de l’empire Romain pour arriver dans la capitale, à coup de naufrages, à coups de petits boulots (Paul, l’intérimaire de la tente), à coup de passages en prison. Ils n’avaient (pas encore) la mentalité du politique, de l’intellectuel, du financier, même s’ils n’hésitaient pas à avoir des amis politiques, à se cultiver, à étudier, à gagner de l’argent, à faire des collectes.
Si je pousse le raisonnement à fond, je dirais que, dans quelques décennies ou quelques siècles, les Eglises évangéliques seront dominées par des multinationales, ayant leurs services financiers offerts à la population tout entière, leurs sociétés de marketing, leurs business plans, leurs supermarchés avec bien sûr des rayonnages de bibles (avec notre audiobible, bien sûr !) pour se dédouaner, ses télés dites chrétiennes, mais financées par la pub… Et tout le monde trouvera cela normal comme Bernard de Clairvaux a trouvé normal d’envoyer des armées pour libérer le tombeau (vide) de celui qui a dit : « Heureux les doux, car ils hériteront la terre » (Mt 5,4).
Haro sur Mammon
Pourtant, je ne me fais pas de soucis. Dieu enverra un vrai réveil qui mettra les pendules à l’heure. Comme par le passé, ces nouveaux « pauvres » vont se faire « caillaisser », embastiller, calomnier, traiter de dissidents financiers, d’idéalistes, voire de sectaires, mais c’est eux que l’on retrouvera sur le devant de la scène pour un temps et si le Seigneur ne revient pas avant, comme les précédents, ils seront absorbés par leur propre système qu’ils auront élaboré avec beaucoup de larmes et d’abnégation. Ainsi va la vie… de l’Eglise ! Mais en attendant, haro sur l’argent qui gangrène nos communautés !
Quelques pistes pratiques
Il faut donc aborder les relations Eglise-argent avec une nouvelle mentalité. On ne combat pas un pouvoir à coup de programmes d’application. Lorsque nous pensons qu’une œuvre peut difficilement se développer sans apport d’argent, c’est que nous sommes déjà dans une fausse position… de combat. On enseigne bien que, par exemple, dans le sport, le mental est déterminant pour gagner un match. Donc, c’est bien d’entrer dans une démarche financière avec un certain nombre de convictions :
1. L’Evangile est gratuit. Si nous mettons des péages sur les chemins d’accès à la foi, ne contredisons-nous pas cette notion de gratuité en vendant par exemple des tickets d’entrée à une manifestation chrétienne ?
2. La pauvreté, pas la misère, ni le misérabilisme, est un « must » dans la théologie chrétienne, y compris dans le domaine financier. Comment aborder nos ministères sous cet angle-là ? Sous prétexte de faire avancer le Royaume de Dieu, nous construisons souvent des « cathédrales », pas vraiment nécessaires à l’exercice de la foi chrétienne.
3. Le modèle de financement par excellence, dans la perspective biblique, c’est de vivre, comme on dit dans le jargon, par « la foi ». On n’entend plus tellement parler dans nos milieux de ce genre de comportement. C’est vrai que c’est dur et astreignant...
4. Le « faiseur de tentes » est un autre modèle biblique. Hélas, il est très peu soutenu par l’Eglise ou, bien plutôt, l’Eglise ne prend pas la peine d’organiser ses ressources humaines en fonction de cette donne. Bien des pasteurs supporteraient mieux leur charge pastorale en travaillant, par exemple à mitemps en entreprise. On pourrait alors engager un pasteur supplémentaire...
5. Le financement personnel est un autre chemin d’excellence. Un groupe de jeunes veut monter une comédie musicale qui demande pas mal de finances ? Pourquoi ne feraient-ils pas une croix sur leurs vacances, leurs soirées au ciné ou à des concerts, leurs voyages à Barcelone ou à Bruxelles pour financer leur travail, au lieu de faire payer une entrée ? C’est un excellent placement pour l’éternité !
6. Le partage de ressources est le modèle par excellence dans la foi chrétienne. Combien d’entre nous ont des ordinateurs hyper-puissants dont ils ne se servent pas vraiment ? Je donne un exemple : j’enregistre mes commentaires audio pour la vidéo, dans une des chambres de mon appartement. Je n’ai ni le matériel, ni l’environnement adéquat, mais je suis convaincu que certains chrétiens sont super bien équipés. Au lieu de devoir acheter mon matériel, pourquoi ne pas utiliser celui de mon frère ?
Et comme en mai 68, l’imagination au pouvoir !
EGLISES EMERGENTES:
LES RISQUES DE SE PERDRE
Dans n’importe quelle entreprise humaine, il y a toujours le risque d’aller trop loin, mais aussi de ne pas aller assez loin. Jusqu’où faut-il s’acculturer? Et puis, quel est le rôle de l’Eglise: centre culturo-spirituel chrétien ou organisation de services?
La vraie question
Nous sommes les premiers à dire qu’il faut entrer à fond dans la civilisation des loisirs pour porter l’Eglise là où sont les gens aujourd’hui. Pour maîtriser le langage multimédia et les techniques internet, il est impératif de s’y immerger. On n’apprend pas à vivre dans cet univers connecté en lisant des livres. La question n’est jamais : jusqu’où peut-on aller ? Le Christ en s’incarnant ne s’est pas posé cette question. Il est allé jusqu’au bout. Nous devons accompagner les gens jusqu’au bout de leur voyage culturel. Pourtant, la vraie question qu’il faudrait évoquer, c’est le but de ce périple. Jésus n’est pas venu pour être à la hauteur des orateurs de son époque. Il ne voulait pas être le meilleur communicateur ou le meilleur pharisien. Il était venu pour servir et nous révéler le Père. Aujourd’hui, nous avons tendance à détourner le fameux commandement : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu…» pour en faire : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et tu divertiras spirituellement ton prochain comme toi-même».
L’Eglise une entreprise de messagerie?
On a l’impression que sous prétexte de transmettre le message du Christ, nous devenons avant tout des communicateurs multimédias, des faiseurs de produits culturels à connotation chrétienne. Une sorte de vaste entreprise de «messagerie». Certaines de nos Eglises sont en train d’imploser. Elles ne peuvent plus suivre le rythme de cette surenchère culturelle où il faut rivaliser avec les meilleurs artistes du moment, pour avoir quelque chose à dire dans cette société. Il n’y a que les grosses communautés qui peuvent coller à ce standard culturel imposé par notre société de consommation de loisirs. Ce phénomène de «messagerie» est encore accentué par le fait qu’une multitude de personnes peuvent produire et diffuser du contenu multimédia à moindre frais. Chacun peut créer son blog, son site web, etc. Imaginez, dans la culture du livre, les chrétiens avoir les possibilités d’édition et de diffusion actuelles. Ils auraient passé leur temps à produire livre sur livre. Chacun y allant de son commentaire et de son explication. L’Eglise n’est pas une entité religieuse qui est appelée à produire surtout des messages écrits ou multimédia. Elle a comme mission d’être une société de services. Et bien sûr, ce service doit pouvoir parfois s’expliquer, mais on a l’art d’expliquer à l’avance ce qu’on va faire au lieu de disserter sur ce que l’on a fait!
La place du croyant n’est pas dans l’Eglise!
J’ai l’air de dire qu’il ne faut plus entrer dans cette course culturelle et certains de mes lecteurs sont prêts à m’appuyer pour s’éviter les souffrances de l’acculturation. Je ne tiens pas ce langage. Pour moi, l’Eglise devrait, certes, s’appauvrir et se délester des fardeaux culturels qu’on lui impose, mais en même temps elle devrait encourager les croyants à s’immerger à fond dans la société. D’une manière un peu caricaturale, la place du croyant n’est pas, à mon sens, dans l’église-bâtiment, mais dans la société. Il est peut-être plus important qu’un bon musicien chrétien joue dans une formation laïque pour servir son prochain ou qu’un croyant qui passe son temps à peaufiner des spectacles, pour réjouir une majorité de chrétiens, organise des spectacles pour tous. Et si le chrétien a envie de s’offrir un petit plaisir culturel, il vaut mieux qu’il puise dans le monde. Il y a d’excellents loisirs à disposition dans les télés, les sites web, les cinémas, les radios, les livres.
Une Eglise émergente qui cherche avant tout l’acculturation culturelle, fait fausse route et risque de se perdre. Elle pourrait, bien sûr, rivaliser avec n’importe quelle maison de la culture. De plus, les gens qui fréquentent ces «temples» culturels se meuvent dans des environnements plus « clean » qu’ailleurs, mais est-ce le but d’une Eglise?
Eglises de service ou centre culturel
chrétien?
Notre objectif, c’est de monter des Eglises de services et non de créer des communautés qui soient des centres culturels chrétiens. Le trait est un brin forcé, je vous l’accorde, mais n’oublions pas que l’Eglise s’est toujours fait happer par les modèles culturels dominants. Au Moyen-Âge, ce sont les architectes, les artisans de la construction et les artistes qui ont accaparé de nombreuses ressources de l’Eglise et des croyants, avec l’aide des politiques et la bénédiction des prêtres. Dans les siècles suivants, l’école et l’université ont très souvent transformé l’Eglise en école religieuse, distribuant même des diplômes aux pasteurs. Aujourd’hui, ce sont les musiciens, les vidéastes, les concepteurs multimédia, les cinéastes, les publicistes, les webmasters et les communicateurs de tout poil qui prennent le relais et beaucoup de personnes s’engouffrent dans cette brèche, croyant bien faire. Il est très difficile de faire la part des choses. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas le fait qu’on fasse de la musique ou du théâtre, mais qu’on pense que seul ce type de moyens permette d’atteindre l’homme du XXIe siècle. Nous devons, dans nos Eglises émergentes, réinventer le concept de charité, de compassion, de service à autrui. Aucune autre entité que l’Eglise n’a comme objectif principal ce genre d’application vitale pour l’équilibre d’une société. Si personne ne le fait, qui le fera?
PAROLE FAIBLE CONTRE IMAGES FORTES
Parole faible contre images fortes: tel est le dilemme qui se présente au chrétien. Que vaut une parole même biblique contre la force des images?
Le point de départ
Longtemps je me suis posé la question suivante: pourquoi les auteurs bibliques accentuent-ils tellement la notion de parole? Etait-ce uniquement pour respecter le deuxième commandement? L'autre aspect qui m'intriguait, c'est l'insistance de Dieu à se cacher. "Jusqu'à quand, Eternel, te cacheras-tu sans cesse" (Ps.89:47). Donc, à ne pas se "visualiser". Même Elie le prophète, n'a pas eu le privilège de le voir. Il l'a entendu, il a senti son souffle, mais la vue de Dieu lui a été impossible. D'ailleurs quiconque le voit ne peut vivre (Ex.33.20). Pourquoi ce mystère autour de la personne visible de Dieu, alors qu'un jour, nous le verrons de nos propres yeux, lors de l'avènement du Christ? Il doit y avoir une intention très précise, de la part de Dieu, pour ainsi se "dérober" à nos yeux. Voilà le point de départ de ma réflexion biblique.
Des images fortes
C'est en pensant à la transfiguration du Christ que mon investigation a réellement avancé. Dans ce passage, où l'aspect visuel revêt une importance aussi grande que le message parlé, le Christ est présenté, non comme le Sauveur, mais comme le Seigneur du monde: "Voici mon Fils bien-aimé...". Les disciples sont saisis d'un immense respect et d'une attitude de crainte qu'ils n'avaient pas, dans la vie de tous les jours, avec leur maître. On se rend compte que Pierre, Jacques et Jean, à ce moment-là, étaient vraiment sous une très forte pression émotionnelle et psychologique. On les sent prêts à tout, pour prolonger ce formidable rendez-vous. En réalité, les trois compagnons du Christ n'ont pas le choix. Que peuvent-ils opposer comme arguments face à cette formidable "machine" divine? Il ne leur reste qu'à accepter. Il y a là une évidence. Ce qui amène à une première conclusion. Dès que Dieu lève le voile de sa divinité et laisse entrevoir (dans le sens de voir), ne serait-ce qu'une infime partie de sa personnalité, notre champ de liberté se rétrécit. Dieu s'impose. C'est ce qui se passera lors du retour du Christ. Tout le monde le verra et personne n'aura plus le choix de croire ou de ne pas croire: il sera évident que le Christ est Fils de Dieu. Il ne reviendra pas en Sauveur, pour se proposer, mais en Seigneur pour régner, pour s'imposer. Il sera trop tard pour choisir dans la liberté... et la tranquillité d'esprit. Cela explique tout simplement la notion de jugement. Les gens eux-mêmes se rendront compte qu'ils se sont trompés et qu'il faudra accepter la situation telle qu'elle se présente. Pensez-vous qu'une relation d'amour puisse naître d'une imposition? Ce sera bien là le drame! Dieu ne veut pas nous "enfermer" dans un paradis malgré nous, aussi beau soit-il! Les cages dorées, cela existe! On peut aller plus loin et dire que la
majorité des événements "extra-normaux" liés au visuel, à la vue, dans la Bible, manifestent la sainteté de Dieu, son caractère d'autorité. On a l'impression de ne pas pouvoir lui échapper. Regardez les apparitions ou même les visions qu'ont reçues Esaïe ou d'autres prophètes. Les participants de ces "événements", en premier lieu visuel, sont parfois saisis d'effroi et développent un fort sentiment de crainte et de respect.
La difficulté d'être Dieu sur terre
Il faudra donc que Dieu se rende faible pour conquérir le coeur de l'homme. Il ne pourra guère venir avec des armadas d'anges pour convertir ses créatures. Ce n'est pas un conquistador en mal de territoire, mais un amoureux qui cherche à se faire aimer. Il ne peut pas en jeter plein la vue aux hommes: pensez donc, il n'aurait que des groupies, au lieu de vis-à-vis. Même lorsque le Christ s'est incarné il n'a pas revêtu, en premier lieu sa stature de Dieu. Il était homme-Dieu parmi les hommes et non pas Dieu parmi les hommes. Sa nature divine, il ne l'a pas manifestée corporellement (sauf lors de la transfiguration ou de la résurrection). Par son comportement, son amour, sa fidélité, son esprit de service... et ses miracles, il a levé d'une certaine manière le voile, il a fait "voir" la puissance de Dieu, mais en aucun cas il n'a endossé le personnage d'un "Rambo" divin: rôle que d'ailleurs le diable voulait lui faire jouer lors de la tentation: de quoi soulever les foules mieux qu'en technicolor!
Une parole faible
D'habitude on présente la Parole de Dieu comme la puissance même. Le croyant se réfère volontiers à la création du monde pour illustrer cette pensée-là: Dieu dit et la lumière fut! On a parfois l'impression que cette parole, et par extension le texte sacré qui la véhicule, est purement un acte de type magique, qui agit d'une façon indépendante, détaché de l'auteur de cette parole. Il faut la relier à toute la personne de Dieu, au Dieu trinitaire. Elle n'est que le prolongement de l'être intérieur de Dieu. C'est cela qui lui donne autorité, puissance et efficacité, sinon elle resterait souffle. Si Dieu se cache, ce n'est pas pour rendre la parole indépendante de sa personne, mais pour en couper l'effet autoritaire. Imaginez une mère de famille qui appelle son fils du fond de l'appartement et ne se donne jamais la peine de se déplacer pour faire exécuter ses ordres. Très rapidement le gamin ne la prendra plus au sérieux et n'en fera qu'à sa tête. La présence physique est très importante pour appuyer une parole. Pourtant, paradoxalement Dieu préfère appeler "du fond de l'appartement"! Les paraboles du Christ, le présente d'ailleurs, plusieurs fois comme un propriétaire en voyage. Parti! Mais imaginez un enfant qui obéit chaque fois, à sa mère, sans que celle-ci ait besoin de montrer les dents au sens propre comme au figuré. Quelle belle relation!
La "Parole" salutaire
Ce qui veut dire que la parole est liée au salut. Elle nous offre suffisamment d'espace de liberté pour la questionner, la jauger, pour hésiter, pour douter d'elle. Le jour où on lui fait confiance, elle nous connectera avec son auteur et nous commencerons à cultiver une relation choisie par nous-mêmes et que personne ne nous aura imposée. Nous n'aurons pas été colonisés, mis à genoux par un conquérant, mais "conquis" par une personne qui nous respecte tellement qu'elle est prête à partir en voyage pour ne pas nous casser les pieds. Avec un Dieu pareil, on est prêt à vivre l'Eternité. Prévert avait raison en écrivant, même s'il ne l'entendait pas de cette façon-là: "Notre Père qui es aux cieux... restes-y!" Parce que s'il descendait autrement qu'en nouveau-né ou en charpentier, il y a belle lurette que le monde entier serait sous sa gouverne!
Les
applications
Le monde des images, de par sa nature même, a toujours tendance à vouloir être spectaculaire (dans le sens de s'offrir en spectacle). Il veut impressionner avant de convaincre. L'écrit nous renvoie à nous-mêmes et l'audiovisuel nous propulse à l'extérieur. Alors que le livre atteignait bien des millions de lecteurs, on ne l'a jamais qualifié de produit de masse. Ce qui n'est pas le cas des media. Le monde des images se lie donc irrémédiablement à la notion de diffusion de masse. Ce qui n'est pas sans conséquence dans nos pratiques ecclésiastiques. Si nous voulons évangéliser et nous situer du côté de la culture dominante, nous n'avons pas le choix: il faudra penser masse! Or, le travail avec un public est déjà une image en soi. Un stade rempli à ras bord impressionne et donne une image percutante. Nous serions donc tentés de produire ce genre de représentations pour convaincre, pour éblouir et entrer dans cette logique des mass-media. Mis à part les grandes manifestations, nous pourrions avoir tendance à vouloir tellement "enrober", subjuguer les spectateurs par nos présentations, toutes plus esthétiques les unes que les autres, que ceux-ci n'auraient aucun espace de liberté pour répondre à nos propositions. Comment un adolescent peut-il refuser l'appel d'un chanteur "auréolé" de lumière et de son, accompagné sur scène de jolies femmes et d'une impressionnante sono? Ce n'est plus du domaine de la parole, c'est le règne de l'image. Alors comment appliquer cette communication "pauvre" qu'est la parole? En tout cas, il faudrait aménager une sorte de "sas" entre le spectacle et l'appel. Laisser le temps au spectateur de récupérer ses émotions, le ramener sur le terrain de la parole (pas sur le terrain de l'écrit). Dans l'Evangile, le Christ nous donne un exemple concret pour ce genre de pratique. Avec la multiplication des pains, Jésus a usé de "l'image". Il a fait un miracle qui a d'abord touché les émotions des gens. Le résultat était à la hauteur du "spectacle", on a voulu le faire roi! A ce moment-là, il aurait pu "faire" plusieurs milliers de disciples! Il a préféré fuir la foule... et les impacts des images fortes. C'est seulement le lendemain qu'il a repris la notion du pain de vie dans un dialogue avec ses auditeurs et a fait l'application du miracle de la veille (Jean 6). Pour un résultat bien maigre! L'échange a plutôt dégénéré, à tel point qu'il a demandé à ses disciples s'ils voulaient encore le
suivre. Le Christ a besoin de vrais disciples, pas de spectateurs conquis par la force des images et qui vont le quitter dès qu'elles deviennent négatives.
ANTIOCHE SUR CALIFORNIE, LE NOUVEL HORIZON
Antioche sur Californie, le nouvel horizon
L'incarnation est un mot-clé dans l'expérience chrétienne, particulièrement lorsqu'il s'agit du message. Le Christ s'est aussi incarné dans une culture, celle des juifs. Le christianisme a pu se répandre parce que des théologiens et des missionnaires comme Paul ont accepté de laisser tomber, en quelque sorte, la culture juive pour adapter leur messages au monde grec. Le monde était, à cette époque, entrain de basculer et le grand apôtre des païens n'a pas fêté les 500 ans de la naissance du prophète Esaïe1 pensant que ça servirait à revigorer la foi de ses contemporains. Non, il a lancé une révolution copernicienne en ne prenant plus Jérusalem comme centre de la spiritualité chrétienne. Au fil des années et des siècles le développement des disciples du Christ a suivi non seulement les évolutions politiques, mais aussi les avancées technologiques. Les chrétiens ont souvent été des avant-gardistes. Aujourd'hui, on les appelle des "geeks", des passionnés de nouveautés technologiques, des découvreurs de nouvelles manières de communiquer, des explorateurs de nouveaux espaces de socialisation. Si les églises semblent aujourd'hui à la traîne, c'est qu'une bonne partie de la Suisse à tendance à se retirer dans sa coquille. Elle est donc tributaire de son environnement.
Paul a utilisé le réseau des voies romaines et la langue grecque pour diffuser l'évangile. Ce réseau ressemble à s'y méprendre à nos réseaux électroniques actuels. Antioche était un nœud important de communication dans le système des échanges romains. La langue du réseau était le grec, et l'araméen que Jésus parlait, n'aurait servi à rien. Ce ne sont pas les disciples directs du Christ, comme Pierre, qui ont investi ce réseau romain, ce sont des gens comme Paul. Des "pluriculturels", des "résoteurs", des explorateurs. Plus tard, les centres comme Antioche se sont déplacés vers "l'ouest": Constantinople, Rome, Genève ou Wittenberg, l'Angleterre, la côte est du continent américain avec les pères fondateurs des Etats-Unis et aujourd'hui la côte ouest avec la Silicon Valley. Demain, le nouveau centre du monde sera peut-être chinois. Toujours plus à l'ouest selon les dires de Jacques Attali2. Attali parle surtout de développement économique lié à des découvertes comme le gouvernail, les lettres de crédits, etc… Toutefois il est intéressant de constater que les centres d'influence des chrétiens ont suivi ces pôles économiques. Il est indéniable de constater que le moteur actuel du christianisme se trouve aux Etats-Unis, tant du point financier que du point de vue spirituel. De là à dire que le christianisme est aussi lié à l'économique me paraît un peu exagéré, mais n'empêche que cette question devrait nous titiller. Du temps de la Réforme, Genève était une importante ville de foire connue sur toute l'Europe et les banquiers y jouaient un rôle important.
Donc, pour résumer, comme chrétien nous devons investir les centres de pouvoir, mais aussi entrer dans les techniques de communication et les "philosophies" qui s'y rattachent. La Réforme a utilisé à fond le levier technologique de l'imprimerie, mais elle a aussi puisé dans l'humanisme qui n'était pas à proprement parlé un mouvement spirituel.
Aujourd'hui les gens se trouvent mentalement, mais aussi d'une manière virtuelle sur la côte ouest des Etats-Unis entre Google, Twitter, Facebook, Seesmic, Youtube, Dailymotion, Iphone et Androïd. Si les chrétiens ne laissent pas tomber le monde des imprimeurs et celui de l'approche scolaire de la foi, ils perdront le fil de leur histoire. Dans nos églises on soutient plus facilement des librairies que des télévisions. On organise encore des bibliothèques de prêt au lieu de gamberger sur Facebook. Notre élite est formée à "Genève" et "Wittenberg" au lieu d'expérimenter le "toujours plus à l'ouest".
En Californie se forge une nouvelle culture que j'appelle "oralité électronique". Les disciples actuels du Christ, comme Pierre, à l'époque, devront peut-être recevoir une puissante révélation, pour se rendre compte que les "païens" d'aujourd'hui, ont besoin d'un Evangile repensé et revisité; attention je n'ai pas dit "édulcoré" ni "amputé". Mais, j'ai confiance, Dieu a préparé des Paul pour s'élancer dans les réseaux électroniques et sociaux actuels.
1 C'est un coup de pied au 500ème de la naissance de Calvin, fêté en 2009. Esaïe aurait vécu à Jérusalem au VIIIe siècle av. J.-C., approximativement entre 766 et 701 (Wikipedia). Cette allusion, de ma part, à ce prophète, n'est donc que symbolique.
2 Une brève histoire de l'avenir – Fayard 2006
LES TENDANCES ACTUELLES DE L'EGLISE
L'avenir est à la disparité et non à l'uniformité. Notre société se tribalise alors qu'elle a mis plusieurs siècles, surtout en Europe, à s'homogénéiser. Certains penseurs comme Jacques Ellul prédisaient une standardisation de la société et c'est justement le contraire qui se produit. Nous sommes dans l'hyper-choix, et même dans le domaine ecclésiastique c'est une tendance qui s'accentue. Lorsqu'on compare la composition des différentes communautés de notre fédération, on se rend compte que le moule "frère" n'est plus normatif. Nous avons tous les courants en notre sein. Ils vont de la sensibilité réformée à la composante pentecôtiste, en passant par l'expérience darbyste. Comment l'église va-t-elle évoluer dans les prochaines décennies? Quels sont les pôles qui vont l'influencer et quelles seront ses avancées et les risques qu'elle va encourir?
Pour simplifier, j'articulerai le développement futur de l'église autour de trois pôles ou plutôt autour de trois objets ou espaces qui ont ou vont marquer durablement les communautés chrétiennes: la chaire, le micro et la scène. Ils ont ou vont engendrer trois types de développements très distincts les uns des autres. Nous sommes déjà en prise avec l'église de l'Alphabet; l'église de la Modulation et celle de la Mise en scène prennent forme devant nos yeux. Les trois tendances se retrouvent d'ailleurs parfaitement dans le tissu biblique. L'église de l'Alphabet liée à la chaire et au discours nous est familière. La Bible est truffée de discours et de prédication, mais ce n'est pas sa seule manière de parler de l'expérience spirituelle. La modulation se retrouve d'une façon magistrale dans le récit d'Elie dans sa grotte lorsqu'il rencontre Dieu. Les psaumes sont "modulés". Ce ne sont pas des discours faits pour être décortiqués comme nous le faisons. La modulation parle à l'oreille et non à la vue. La remise des dix commandements, la transfiguration, la résurrection sont des mises en scène. Ces manifestations s'adressent en premier à la vue. Les femmes qui ont annoncé la résurrection disent: "nous l'avons vu!". Je ne prends donc pas la mise en scène d'une manière péjorative.
Chaque église, depuis les premiers siècles, a utilisé ces trois pôles. Les grands développements historiques de l'église ont magnifié à tour de rôle l'un ou l'autre des espaces. Ainsi l'église du Moyen-Âge a volontiers mis en avant la modulation (le chant grégorien, les litanies chantées, les temps de silence des moines, etc.), ainsi que la mise en scène avec les processions et les fastes ecclésiastiques. La Réforme a mis la chaire au milieu du village, au détriment de la modulation et de la mise en scène. Aujourd'hui nous assistons au retour de balancier. L'accent est mis sur le micro et la scène. Et les nouvelles églises actuelles se développent plutôt du côté du micro et/ou de la scène. Par micro, il faut comprendre non pas l'amplification de la voix, mais le travail avec celle-ci. Un voix chaude et radiophonique va plus accrocher qu'une voix éraillée. Le communicateur qui sait utiliser le micro parle à l'oreille. Il ne parle pas en premier à l'intellect, comme avec le discours.
Il s'agit donc de dosage et rappelons-le, les églises de l'Alphabet ne sont pas supérieures aux autres. Chacune, surtout lorsqu'elles démarrent dans leur nouveau développement, sont très efficaces. Mais tous les mouvements finissent par s'épuiser et s'appauvrir dans leur expression de la foi, d'où l'essor du suivant. Ainsi en est-il des églises de l'Alphabet. Elles ne répondent plus au besoin des gens et les églises dites émergentes ont le vent en poupe.
Alors que les communautés formatées par le discours ont suscité des ensembles très homogènes et très réducteurs à certains égards, la modulation et la mise en scène, quant à elles vont permettre l'éclosion d'une multitude d'expériences. Au départ, ce sera bénéfique de retrouver quelques facettes de la foi occultées par la chaire, mais à la longue les chrétiens vont eux aussi se lasser de ces nouvelles manières de célébrer Dieu et un autre type de communauté va prendre la relève. Peut-être la chaire aura de nouveau sa chance. Mais en attendant plus vous serez "chaire" moins vous percerez sur la scène ecclésiastique!
Eglise de l'Alphabet Eglise de la Modulation Eglise de la Mise en scène
Espace ou objet de communication: la chaire
Type salle publique, avec estrade. Espace surélevé pour prédicateur. Face à l'auditoire. Bien dégagé
Chaises ou bancs alignés en lignes droites ou parfois en demi-cercle. Pas de recoins.
Aucune intimité
La vue sur le lecteur et le prédicateur est essentielle.
L'orchestre entraîne le public.
Si c'est un orgue, il est au fond de l'église.
Peu de recherche sonore. Manque de basse et d'harmoniques. Mauvaise réverbération. Sauf dans les églises récentes.
Espace ou objet de communication: le micro
De type "cave". Plutôt sombre, Vitraux au besoin. Pas d'espace "prédicateur" / "public"
Espace ou objet de communication: la scène
Salle de spectacle. Le public est surélevé et le prédicateur occupe le centre de l'espace cultuel
Alignement des chaises changeant selon besoin du moment. Recoins. Le public circule pendant le culte
Gradins, arène. Espace scénique. Le public est spectateur
La communauté est centrale L'animateur est central. C'est l'homme orchestre.
Musiciens avec le public ou orchestre au centre du public.
Le son est très étudié. Insistance sur les graves. Le son est environnant. Réverbération profonde.
Les musiciens jouent pour le public. Ils sont en représentation.
Sonorisation frontale. Contrôle du micro par l'animateur. L'orchestre couvre le chant des spectateurs.
Lumières blanches (néons).
Suppression des ombres et du clair-obscur.
Aucun éclairage indirect.
Mauvaise utilisation des appareils de projection pour chants. Souvent pas assez visible. Strictement utilitaire.
Le pasteur et la prédication sont centraux.
Les textes sont lus y compris le sermon.
Beaucoup de paroles de remplissage et d'explication.
Le discours est roi.
S'adresse a des adhérents qu'il essaye de convaincre et de mobiliser.
Le pasteur impose.
Eglise de l'explication et de l'enseignement de type scolaire.
Zones variées d'ombre et de lumière. Lumières chaudes. Dominante rouge et orange.
Eclairage étudié pour illuminer l'espace scénique. Les spectateurs sont dans l'ombre.
Peu d'inter réactions entre les croyants.
Organisation hiérarchique liée à un territoire géographique.
Participer c'est comprendre et répondre.
Le culte consiste à penser à Dieu et à lui parler.
L'écran n'est pas central, mais permet de créer des ambiances visuelles par projection.
Le pasteur est plutôt berger. Il est présent parmi ses ouailles. Il encourage la participation.
Peu de paroles, Beaucoup de silence. L'écoute de textes de la Bible est essentielle. Peu de discours. Rassembleur plus que dispensateur. Le pasteur propose.
L'écran reproduit en grand l'espace scénique.
Eglise faisant entrer les croyants dans une atmosphère spirituelle propice à l'intériorisation.
Construction cultuelle communautaire.
Participation collective.
Organisation en réseau non géographique.
Le pasteur est leader. Il marche devant. Il est animateur spirituel. Cherche la mobilisation de son public et essaye de lui procurer un bon spectacle spirituel. Communication orale, maîtrise de l'espace scénique. Le pasteur "séduit".
Participer c'est s'immerger dans un corps spirituel. Le culte c'est vibrer avec …
Eglise cherchant à englober le croyant dans une ambiance spirituelle et culturelle convaincante.
Participation collective où la gestuelle à autant d'importance que les pensées.
Organisation de type entreprise sociale liée à des réseaux électroniques
Participer c'est créer un spectacle communautaire agréable à Dieu.
NATIFS DIGITAUX OU LES NOUVEAUX PAROISSIENS
NUMERIQUES
Les technologies numériques nous transforment. C'est presque une banalité de l'affirmer. Tout le monde en est conscient, mais peu de personnes dans nos communautés en tirent les conclusions. Le dimanche matin ou lors d'un autre événement, le pasteur et tous ceux qui prennent la parole se trouve en face de personnes qui ont passé environ 13 heures, durant leur semaine, à interagir avec des produits numériques tels que ordinateurs, consoles de jeux ou portables. Et ne parlons pas de ceux qui passent leur temps devant un écran.
Un des symptômes de ces évolutions se retrouve dans les classes d'école où les enseignants, même très doués, n'arrivent plus à faire taire les gamins. La classe bourdonne comme une ruche. Il y toujours un bruit de fond et bon nombre d'élèves n'arrivent plus à se concentrer selon les règles imposées par le système scolaire. On est sensé apprendre dans le silence ou au moins être silencieux quand le maître d'école parle. Faut-il en conclure que la mauvaise éducation des enfants en est la cause? Probablement, mais ce qui est sûr, c'est que ces élèves sont "formatés" différemment par la culture dominante que je qualifie d'oralité électronique.
Le culte classique est synonyme d'espace dédié au silence, autrement dit au respect de celui qui parle. Nos églises sont des écoles spirituelles, avant d'être des lieux de rencontre et un bon nombre de personnes se lassent de nos réunions parce que leur cerveau, grâce au numérique, a appris à penser, à réagir, à vivre d'une manière qui tranche avec le passé.
Natifs et immigrés digitaux
Le natif c'est celui qui est tombé dans la marmite comme ma petite-fille, par exemple, qui a l'âge de quatre ans utilise mieux les supports numériques que certains quadragénaires. Sa génération et celle de ses parents a grandi avec ces technologies numériques et ils sont "nés" sur ce territoire des octets et autres pixels. Tandis que nous, la vieille génération, et parfois hélas, des plus jeunes, nous sommes des immigrés. Nous avons dû apprendre une autre "langue", une nouvelle manière de socialisation, de nouvelles manières de transmettre des messages. Or, ce qui se passe c'est qu'on nous repère très vite comme immigrés, comme le portugais de l'époque. Le drame, c'est que nos églises sont remplies d'immigrés qui veulent apprendre aux natifs comment "parler" correctement. Alors que c'est eux qui devraient nous enseigner comment parler et communiquer dans notre monde actuel. On fustige les communautés qui fonctionnent pour et avec les "natifs" et qui laissent les "immigrés" sur le banc de touche, mais c'est le juste retour des choses.
Le profil du natif
Le numérique utilise d'autres zones du cerveau que la culture du livre et de l'école (du passé). Par ricochet, ce cerveau développe des compétences différentes en matière de raisonnement, de captation et de traitement de la réalité. Le natif n'est performant que s'il est connecté à un réseau. C'est-à-dire qu'il est en contact avec une communauté qui interagit. Vous le déconnectez, il est amorphe et sa capacité de se concentrer est réduite au minimum. Première constatation: si vous voulez intéresser un natif à votre culte, travaillez en réseau, pas forcément d'une manière électronique, mais faites-le participer comme s'il était en phase avec d'autres "utilisateurs". Jésus se faisait interrompre dans ses "messages", prendre à parti. Il organisait des hapennings communautaires comme la multiplication des pains. Le natif est un être multitâche. Il peut écouter de la musique, se concentrer sur un problème de maths et chatter avec ses copains sur le net et tout cela en simultané. L'immigré fait une chose après l'autre d'une manière rigoureuse. Il pense que parce qu'il a appris à chatter, qu'il a appris à écouter de la musique avec son Ipod qu'il comprend la jeune génération. Non, il ne sait pas faire les choses en même temps et ça ne s'apprend pas avec un cours théorique, c'est lié à une pratique constante, depuis tout petit. Le natif fonctionne à l'instantané et il a besoin d'avoir du plaisir sur le champ, tandis que l'immigré est capable d'attendre comme le chien savant à qui le dresseur remet une sucrerie après avoir exécuté ses numéros. Le natif préfère le visuel au textuel, la parabole et l'analogie à l'analyse et à la systématique et l'interactivité au travail solitaire. Petite question: est-ce qu'un natif est prêt à lire sa Bible pendant un an chapitre après chapitre, d'une manière systématique? Non, et ce n'est pas par manque de spiritualité, mais par inadaptation culturelle aux standards fabriqués dans le passé.
Beaucoup de conflits et de frustrations dans nos communautés sont dus à des problèmes culturels et non à des questions spirituelles. J'ai aussi l'impression que des pasteurs quittent leur ministère par fatigue. Ils n'ont pas été formés pour la tâche actuelle et ne se retrouvent plus. Les standards qu'on leur a inculqués n'ont plus cours dans la société numérique. Quand est-ce que nos instituts de formation se réveilleront-ils? Quand il sera trop tard?
COMMENT MESURER SA SPIRITUALITE?
En d'autres termes comment puis-je savoir si mon église tient la route? Cette question d'évaluation est d'autant plus importante que nous sommes en face d'une explosion de pratiques spirituelles très différentes les unes des autres. Avant, on était en face de blocs religieux et on se contentait de se définir par rapport à sa position dans l'une ou l'autre de ces entités. D'un côté, on avait les pentecôtistes, de l'autre les communautés de type frères, baptistes, méthodistes, etc. Les réformés, les luthériens et les catholiques devaient être évangélisés et l'évangélique classique rangeait les pentecôtistes dans le domaine de la secte, comme d'ailleurs les adventistes. Le réveil charismatique des années septante a brouillé les cartes; puisqu'il a influencé sans exception, toutes les communautés, de près ou de loin et on retrouve dans les différentes églises un courant transversal teinté très fortement de pentecôtisme quant aux pratiques spirituelles.
La Vérité
Dans un passé, pas si lointain, on avait la Vérité avec un grand V ou on ne l'avait pas. Bien que l'on affirmait haut et fort que le Christ seul était la Vérité, il est bien clair qu'en réalité, un arsenal doctrinaire sous-tendait cette affirmation. Un manquement à l'une ou l'autre des doctrines officielles vous projetait irrémédiablement en dehors du cercle des initiés. Les théologiens qui posaient des questions de type historico-critique à la Bible passaient à la trappe. La question de la Vérité était donc devenue un système d'évaluation, plus qu'une manière de professer sa foi. Ce qui m'intéresse est l'utilisation de la Vérité comme grille d'analyse de la bonne santé d'une communauté. Dès qu'on se sentait en danger, on brandissait cet argument comme un étendard. C'était irréfutable.
Ces dernières décennies, alors que les frontières religieuses se sont estompées, la défense de la Vérité a battu en retraite, vaincue par le désir de se rapprocher d'autres tendances, mais aussi par le fait que nos spiritualités sont devenues plus émotionnelles. L'émotion ne fait pas bon ménage avec l'arsenal des affirmations doctrinales. C'est très difficile de sentir émotionnellement une doctrine. On la comprend intellectuellement. On y souscrit avec sa raison, mais une doctrine ne fait pas vibrer nos tripes. Or, aujourd'hui une grande partie de l'église et particulièrement les nouvelles communautés utilisent les "technologies" de l'émotion pour se développer. Le carburant c'est l'émotion et non plus le raisonnement. Comment dans ce contexte vérifier la pertinence de la foi? A quoi va-t-on juger si on est dans le droit chemin?
La performance
On n'entendra plus dire qu'on est dans "la Vérité", mais on dira: "Regardez, le St Esprit nous rend performant!". "Il n'y a qu'à voir les chiffres, pour comprendre que
Dieu nous bénit". Et puisqu'il nous bénit par chiffres interposés, forcément nous sommes spirituels. Avant nous avions la dictature de la Vérité, celle de l'arsenal doctrinal. Aujourd'hui nous avons la dictature des chiffres. Un pasteur qui ne peut pas revendiquer des centaines de "follovers" (comme sur Twitter) est regardé de travers. On le soupçonne de n'être pas crédible sur le plan de la foi, pas assez sanctifié. Nous donnons facilement du crédit à un responsable qui a réussi à monter une ou plusieurs communautés de fidèles en l'espace de quelques années ou celui qui a une communauté qui a 1000 membres. Or cette dictature de la performance, nous fait réagir d'une manière qui n'a rien à voir avec l'évangile. A quoi mesurons-nous notre impact dans le monde? Au nombre de clics sur nos pages web, par exemple? Nous revendiquons de fortes audiences et nous sommes fiers sans nous rendre compte que nous alimentons en occident l'économie de la paillette. Ces internautes-visiteurs sont la plupart du temps comme ces badauds qui font du lèche-vitrines. Ils regardent, sans "entrer" dans notre "arrière-boutique", là où se trouve la solution. Le succès et la performance sont dans l'air du temps. Pire encore, nous faisons croire à nos donateurs que nous sommes influents, spirituellement parlant, à cause du nombre de visiteurs dans nos réunions, nos concerts ou sur nos pages web. Le cas des concerts de musique est très flagrant. Y a-t-il eu beaucoup de personnes qui ont rejoint une communauté après un concert? Et ils drainent souvent des milliers de personnes! Au Pérou, on me demandait souvent à la fin d'un camp, combien j'avais eu de convertis. Je répondais que je donnerai les chiffres cinq ans plus tard. C'est facile d'émouvoir des gens, mais c'est plus difficile de les retrouver comme disciple du Christ, quelques années plus tard.
Une moisson finale plutôt maigre
Il y a toujours une vérité à défendre. Les chiffres sont également importants, sinon l'évangéliste n'aurait pas mentionné le nombre de personnes que Jésus a nourries. Ce qui est préjudiciable c'est que cela serve de critères d'évaluation de la santé spirituelle. Jésus s'est occupé de milliers de personnes à la fois, mais il s'est plus souvent investi pour une seule personne à la fois. Quand vous donnez de l'argent à une oeuvre regardez derrière les chiffres! Ne vous laissez pas impressionner par le nombre! D'ailleurs, selon l'Ecriture, Parole de Vérité, la moisson finale sera plutôt maigre. Alors si même le Créateur des chiffres, accepte des bilans minables, pourquoi devrions-nous nous lamenter? Etre fidèle, mettre en pratique la foi, aimer son prochain, c'est ça la grille d'analyse par excellence.
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Nous devons passer d’une culture littéraire à une culture d’oralité électronique. Pour l’instant, on peut encore parler d’un mix entre ces deux cultures, mais peu à peu l’oralité électronique va marginaliser durablement l’écrit comme descripteur et ordonnateur de la réalité.