Prologue – West
Cette nuit, je n’étais pas censé me trouver là. Entraînement de foot oblige, demain, je me lève aux aurores, j’espérais donc me pieuter à une heure raisonnable. Mais, en tant que membre phare de ma fraternité, impossible de me dérober à cette mission ultra secrète. Si je suis honnête, mon insatiable faim d’adrénaline en tire profit.
Aujourd’hui, c’est la Naked Night. À trois heures du mat’, la majorité des étudiants de la High Hills University arpentent les rues de Westwood, Los Angeles, en sous-vêtements, voire à poil, torchés pour la plupart. Personne ne remarque le groupe de sept Bêta Thêta Pi qui se faufilent entre les haies, la capuche de leur hoodierabattue sur le chef, en direction de la maison Gamma Bêta. Leurs résidents sont partis en week-end «sociability» avec les p’tits nouveaux pour les tester. Ouais, c’était surtout un prétexte pour louer une baraque d’enfer à Malibu Beach, trop contents que nous étions d’avoir remporté notre affrontement au méga beer pong de ce début d’année. Sauf qu’ils ont triché… mon cercle est catégorique, mais c’est impossible à prouver. Par conséquent, ils gagnent le droit exclusif d’organiser des soirées démentes avec les Zêta Alpha Zêta, sororité aux petites bombasses, pour le reste de l’année. Putain, qui a lancé ce pari débile!? Ouais, bon, je plaide coupable. Excuse-moi, j’étais bourré! J’avais tout oublié le lendemain. Tout le monde aurait dû tout oublier le lendemain! Mais il paraît que je l’ai annoncé sur X1 sur le moment même… comme si qui que ce soit allait sur X…
Soudain, le dernier maillon de notre chaîne siffle à notre attention.
— Les gars, les sœurs Thomas en string à quinze heures, sur le trottoir d’en face!
Ma pote Kelly et son aînée…
Leurjolicultunemateraspoint!
Derrière une rangée de buissons, je fléchis les genoux et penche la tête dans leur direction. Désolé,Raison,maisPerversitéremporte lapartie.
— Crétin, on s’en branle! grogne Dorian, le nouveau président de notre fraternité. À cause de ce stupide jeu, on ne pourra plus les côtoyer, cette année!
Bordel. Le corps de Kelly Thomas n’a pas vraiment de secrets pour moi, mais la voir danser en string en plein milieu de la rue hypnotise mon pauvre cerveau de mâle alpha.
On avance!
Avec discrétion, nous pénétrons dans la maison Gamma Bêta par la porte arrière, laissée ouverte par l’une de nos taupes. Qu’est-ce que ces cuisiniers ne feraient pas pour aller voir les Dallas Cowboys jouer à domicile, tous frais payés…
N’oubliez pas vos masques, les gars! leur rappelé-je. Votre sale tronche serait trop facile à repérer!
Dès qu’on investit les lieux, l’adrénaline pulse dans mes veines dans un rythme disco endiablé.
«Ah!Ah!Ah!Stayalive,stayalive2…»
On remonte tous le bout de tissu pour camoufler nos visages.
— Hashton, couvre tes cheveux, on voit tes bouclettes briller à des kilomètres à la ronde! sifflé-je au nouveau.
Aucune idée de comment ce bizut s’est retrouvé dans l’opération. Brad, un vieux frère doté d’un QI hors pair, a dû l’embrigader.
Plus on est de fous…
On se disperse et on fait vite! commandé-je à ma bande de casse-cou préférée.
Muni d’un sac à dos, chacun de nous investit une partie du bâtiment vide. Ces salopards de Gamma Bêta jouissent d’un intérieur aussi stylé que le nôtre, avec son mobilier en bois en plus de l’aspect chaleureux qui transpire le fric. J’ouvre mon sac à dos et en extirpe une bombe de peinture craie jaune fluo. Deux minutes plus tard, la surface murale est recouverte de tags incroyables. Illustration pour laquelle j’excelle: des énormes nichons, façon porno! Allez inviter des gonzesses avec ça sur les murs.
Mouahaha! Je suis trop fier de mon sabotage ! Glenn Hashton – le bizut, donc – file derrière moi, son sac dans les bras. Une odeur de cigarette attire mon attention vers lui. Clope au bec, par-dessous son masque remonté sous le nez, il s’apprête à gagner l’étage.
Hashton! Tu t’occupes des œufs pourris?
— Partout dans leur chambre, acquiesce-t-il, tremblant d’excitation tel un camé en manque de meth.
— Accomplis donc ta mission, brave soldat, dis-je d’un air solennel, le pouce levé.
Nous saccageons leur demeure, sans rien casser, foutant un bazar suffisant pour les astreindre quelques jours au nettoyage. Quelques jours durant lesquels ils feront donc l’impasse sur cette soirée tant attendue avec les ZAZ3 , à laquelle le gratin du campus s’était promis de participer. La vengeance des Bêta Thêta Phi se mange glacée, mes potos!
— Oh bordel, ça pue! peste Brad depuis l’extrémité du salon.
— Retiens-toi, Ducon ! ricane Dorian, notre président.
Ce sont les boules puantes, Ducon!
Une odeur nauséabonde envahit les lieux comme un nuage toxique, mélange de pourriture naturelle et artificielle. Elle est si puissante que respirer devient difficile.
— Je vais mourir, se lamente un autre.
Ça y est, ces fillettes s’y mettent toutes!
— On se tire avant de s’évanouir?
Même pas en rêve, soldats! s’oppose Dorian. West doit encore taguer les murs. On est entrés ensemble, on crèvera ensemble!
— Ouais, on va crever asphyxiés par ces conneries !
Je me redresse, pivote vers les trois frères à proximité et baisse mon masque.
Vous m’avez entraîné dans votre vengeance, vous assumez ou vous oubliez les meilleurs plans cul de votre vie d’étudiants! déclamé-je avec emphase.
Je les entends déjà râler.
— Euh, c’est ta faute si on se retrouve ici!
Je plisse les yeux un instant, puis hausse les épaules.
— OK, barrez-vous, bande de trouillards! Vous êtes indignes de cette fraternité.
On… peut? interroge l’un d’eux, plein d’espoir.
Mauviettes… Dire qu’ils en font partie depuis plus de deux ans !
Dorian m’évalue, alors que je reprends mon opération artistique, feignant d’être outré.
Une fois votre rôle rempli, quittez la maison. Tout compte fait, votre panique risque de nous attirer des problèmes. Les étudiants
commencent à rentrer chez eux, ils vont emprunter cette rue, faudrait pas qu’on nous remarque.
Alors, c’est parti ! Il faut que je me magne !
L’odeur répugnante de rance, la prison de tissu devant ma bouche, le hoodie bien trop chaud, même pour la fraîcheur d’octobre, forment des gouttes de sueur sur ma tempe. J’aime ça. Cette pression, cette crainte de me faire gauler pendant que je tapisse leur piaule de dégueulasseries. Honnêtement, j’avais toutes les bonnes raisons de refuser, mais mon goût du risque l’a emporté.
Quand j’investis la chambre du président, déjà bien empuantie, je pile sec. Qu’est-ce que…? Les yeux ronds, j’en ai la mâchoire qui se fracasse par terre.
Au pied du lit, le p’tit Glenn Hashton me dévisage, terrorisé et froc baissé, à deux doigts de baiser une blondinette…
— Merde, qu’est-ce que…?
Sous le coup de la surprise, il la lâche. La fille retombe sur le matelas, molle et sans vie, tandis qu’il remballe son matos dans son pantalon.
Merde! Elle est droguée? Inconsciente? Endormie? Pire, morte?
Une vague de panique m’envahit.
Mais qu’est-ce que tu fabriques?
L’air affolé, le bizut balbutie, sa clope toujours entre les lèvres, et les mains en l’air. Je m’élance vers eux, pose ma main sur l’épaule de la gonzesse pour m’assurer qu’elle va bien… mais sa peau présente une texture étrange.
Une putain de poupée, réalisé-je, en me tapant le front.
Au son de ma voix, Glenn sursaute de nouveau, comme un lapin effrayé.
— Je… je voulais… c’est la poupée de leur président alors… je voulais lui donner une… leçon, balbutie-t-il.
En s’envoyant en l’air avec son jouet ? J’arque un sourcil.
T’es au courant qu’elle n’est pas vivante?
Il déglutit, misérable.
— Elle était soigneusement bordée dans ses draps…
Bordel, ce pauvre mec est timbré! Mais… je jette un coup d’œil à la poupée en question. Un jouet de cette qualité doit valoir une fortune. Qu’elle partage son lit dénote l’attachement de son propriétaire. Une idée saugrenue me vient à l’esprit.
— Glenn… tu la veux?
Les yeux en soucoupe, il reste pétrifié.
Je m’empare de cette réplique remarquable pour la secouer devant le bizut. Qu’elle est lourde, bon sang !
— Ah! Ah! Ma main à couper qu’il s’agit de ta première expérience!
Quelle idée de tringler un jouet en pleine opération secrète? Le slip de ce pauvre agneau doit gratter… ou coller. J’veux même pas savoir!
— Allez, chope-moi ça, dis-je en la lui refourguant. Elle nous servira de monnaie d’échange.
Contre… quoi?
Je hausse les épaules.
On trouvera bien! Tu prendras soin de notre otage super sexy !
Olhan Malher, le président des Gamma Bêta, possède une poupée sexuelle. Cette information ne peut pas se perdre dans les limbes de l’oubli. Oh, non, certainement pas ! J’en trépigne d’avance.
J’illustre la pièce de moult joyeusetés, saisis le puceau par sa capuche, les traîne, lui, sa poupée et son déshonneur, au rez-dechaussée. Dorian, le dernier soldat au front, nous intercepte, son sac à dos sur l’épaule.
— C’est quoi ce truc ? nous interroge-t-il, perplexe.
— La nouvelle captive de Glenn. Qu’on a volée à leur président, fanfaronné-je.
— Tu comptes vraiment te trimballer cette chose jusque chez nous? On n’était pas censés rester discrets?
Je prends le risque. Je prends tous les risques. Sinon, ce n’est pas excitant!
Je ne laisse pas ce genre d’atout derrière moi!
— Oh, putain, s’exaspère Dorian. Allez, on se tire, je suis à deux doigts de dégueuler.
Il observe le freshman4 qui nous accompagne avant de se précipiter vers la porte arrière. Nous nous suivons en file indienne, tandis que des groupes d’étudiants dévêtus et ivres titubent vers les dortoirs des Collines.
Je me délecte déjà de la surprise des Gamma Bêta, quand ils rentreront tout à l’heure! Mes sinus sont encore saturés de la pestilence intérieure. Lorsque soudain, l’attention des badauds se porte dans notre direction. Nous passons à la vitesse supérieure et désertons les lieux. Je les sens s’agglutiner vers la baraque de nos plus anciens rivaux, j’espère qu’on n’a laissé aucune trace. Sans me retourner, je galope vers ce qui constitue mon repère et ma résidence depuis ma première année à la High Hills University: la maison des Bêta Thêta Phi.
Chapitre 1 – West
— La gerbeuse ne gerbera plus, quel triste futur nous guette! soupiré-je avec grandiloquence.
La principale concernée plonge le nez dans sa limonade sans alcool, le rose aux joues, tandis que Zach, son mec, passe le bras autour de son épaule d’un geste possessif. Qu’il m’énerve, lui!
— Pour mon plus grand bonheur, réplique-t-il, des yeux plissés en fentes menaçantes. Mêle-toi de ton cul, Reed!
Zach, c’est mon pote depuis quatre ans. On a débarqué à la High Hills University et on a intégré le cercle des Bêta Thêta Phi en même temps. Ça a été le coup de foudre amical, on est devenus inséparables. On m’a ensuite promu responsable des bizuts, je leur concoctais des défis tous plus exceptionnels les uns que les autres, tandis que lui organisait les meilleures fêtes du campus. Cette belle époque est révolue. L’année dernière, il a rencontré Leyah, aka Lexmo, akala gerbeuse. Une fille géniale dont je n’aurais fait qu’une bouchée s’il ne représentait pas déjà son amour d’enfance. Mais je ne perds pas espoir !
— C’est quoi, ce sourire niais sur ta tronche? ronchonne Zach, méfiant, la voix assourdie par le capharnaüm qui règne ChezBarney. Nous passons nos soirées dans ce bar lorsque notre pote Liam (ami d’enfance et également membre de la fraternité) joue ici avec son groupe. Une consécration pour les Thunders, depuis qu’ils se sont fait repérer sur les réseaux sociaux, il y a quelques mois. Forcément, la voix de leur chanteuse atypique, une Nippone gothique aussi aimable qu’une porte de prison, envoie du lourd. Mais
c’est la colocataire de Leyah et Zach, alors je tempère sur les critiques.
— Je suis nostalgique du bon vieux temps, Zach, couiné-je en avalant une lampée de bière. On a toujours partagé nos conquêtes, toi et moi. Nos plans à trois me manquent !
J’appuie mon regard sur Leyah, parce que c’est une sacrée coquine en plus d’être devenue une grande amie.
Je ne prête même pas attention à la magnifique serveuse qui me contourne en pressant mon biceps. Sous-entendu: elle ne serait pas contre l’idée de s’envoyer en l’air avec le quarterbackstar de la HHU. Leyah hausse les épaules.
Je suis désolée, Zach est catégorique.
Mon ami s’indigne.
Pas toi?
Une risette à croquer apparaît sur sa frimousse d’ange.
— Je ne fantasme que sur toi, mon choupinou, mais si un jour tu es partant, West est le seul avec qui j’accepterais de tenter l’expérience.
Zach blêmit. J’ignore si c’est en raison de son surnom ou des propos de la fille avec laquelle il a emménagé.
Mais oui! Un jour, on parviendra à s’entendre tous les trois, ricané-je pour l’enrager davantage.
— Vous me faites chier! s’agace-t-il, conscient qu’on se joue de lui.
Enfin, pas tout à fait, pour ma part. Mon béguin pour cette fille est indiscutable. Jolie blonde au visage d’ange, son passé de mormone en fait l’innocence personnifiée. Un vent de fraîcheur parmi tous ces clones que je n’arrive même plus à différencier. J’ai un goût
prononcé pour le risque, pour les sensations fortes et le sexe débridé, – après tout, yolo5 – mais elles finissent toutes par se ressembler. Des poupées parfaites animées d'un désir semblable au mien: profiter de leurs années de campus avec le quarterback le plus doué, le plus sexy, et le plus fun de la fac. Et rien d’autre. Je les comprends, bien sûr, sauf que je commence à m’emmerder sévère.
Alors, Leyah, cette fille pas comme les autres, c’est un fantasme qui égaie mon quotidien. On dit bien que l’espoir fait vivre.
En parlant de poupée, m’exclamé-je, la soirée d’hier me revenant en mémoire. Zach!
Je lui raconte nos aventures nocturnes en précisant ma trouvaille dans la chambre du prez’ des Gamma Bêta. Et alors, Zach se redresse, les yeux ronds. Sa copine en fait autant, l’inquiétude distordant son minois.
— Attends… c’était vous, l’incendie de la baraque des Gamma Bêta?
Hein? Le quoi?
Mes amis échangent un regard alarmé, et c’est Leyah qui prend la parole.
— Cette nuit, pendant la Naked Night, leur maison a pris feu. Les pompiers ont mis tellement de temps à arriver qu’elle a entièrement brûlé. Il paraît que c’était impressionnant. Comment tu as pu rater cette info?
Parcouru d’une décharge électrique, j’ai la sensation que mon âme quitte mon enveloppe charnelle. Pétrifié, j’essaie de rassembler mes pensées.
— Je me suis réveillé embrumé, je suis directement allé à la salle de sport. J’ai ensuite dû emmener mon frangin aux urgences à cause
d’une fracture à la jambe. Puis je suis passé chez une meuf avant de rappliquer ici.
Paie ta proximité géographique avec la maison familiale, quand tes parents sont trop occupés pour prendre soin de leur gosse.
Mes tripes se retournent à mesure que j’énonce mon emploi du temps des heures précédentes.
Personne ne t’a prévenu? hallucine Zach.
— J’étais noyé sous les notifs, comme d’hab. Avec la journée que j’ai eue, j’y ai pas prêté attention, murmuré-je hagard.
L’immense bar s’obscurcit peu à peu, les projecteurs illuminent la scène qui accueille les Thunders. Malgré l’effervescence, je me sens plus démuni que jamais.
— Ils connaissent la cause de l’incendie? demandé-je à Zach, angoissé.
— C’était pas intentionnel ?
— T’es malade! On voulait juste leur faire une mauvaise blague.
Les obliger à tout nettoyer et gâcher leur soirée avec les ZAZ. Je ne sais pas comment ça a pu… arriver.
Eh merde!
— Les autorités n’ont rien ajouté ?
Qu’ils trouvent nos tags et nous soupçonnent d’avoir retourné leur maison m’aurait fait marrer, mais s’ils croient qu’on y a foutu le feu, de graves problèmes nous attendent avec l’administration. Et l’expulsion de la fac n’est pas une option pour moi.
Je remue nerveusement sur ma chaise, ouvre les messages de Dorian qui m’avertissent en effet de la situation. C’est une putain de catastrophe!
— Pas pour l’instant, me rassure Zach.
J’espère que les flammes ont suffisamment carbonisé les murs pour camoufler notre délit.
— Si ça se savait, je peux dire adieu à l’univ… et à la NFL! me lamenté-je, frappant mon front sur le comptoir en bois.
Sur scène, Gothika pousse la chansonnette, accompagnée par Liam au synthé. Les notes graves de sa voix s’infiltrent sous ma peau et lestent mes veines. Je me sens étouffer. D’une autre part, la panique pulse dans mes tempes et me file des vertiges. Elle devient euphorie, même quand elle met mon avenir en jeu. Ouais, je suis complètement frappé. Cette recherche constante d’adrénaline, ce besoin insatiable de vibrer, selon mes vieux, sont loin d’être sains.
Zach ne me lâche pas des yeux, conscient de mon séisme intérieur. Ma jambe s’agite, malgré mon sourire extatique. D’un coup d’un seul, je déploie mon mètre quatre-vingt-dix-sept de muscles et quitte le tabouret.
— OK, faut que je me détende, là. Mon cerveau brillant ne sera capable d’analyser la situation qu’une fois mes bourses vides !
— Lesquelles? s’enquiert la candide Leyah.
Il a besoin de tirer un coup, marmonne Zach, sifflant son verre de Pepsi.
Pauvre chou, me plaint-elle sincèrement.
Ce que je l’aime, cette fille. Mais ce n’est pas elle qu’il me faut, là. Soudain, son mec pointe du doigt une serveuse qui me reluque depuis que j’ai foulé l’entrée des lieux. Nos yeux se percutent, nos sourires s’entrelacent.
Parfait.
Je me dirige vers elle séance tenante, sans tenir compte du concert de mes amis. Comme si nos esprits étaient connectés, elle
dépose son plateau à l’autre bout du comptoir et m’invite à la suivre
derrière un accès réservé aux employés.
Mon sang fuse dans mes veines. Je suis à cran, et son cul moulé dans sa minijupe m’aide à me canaliser. On se trouve dans la réserve. Elle me plaque contre un mur de caisses et son nez frôle le mien. D’un air mutin, elle mord sa lèvre inférieure aussi botoxée que la supérieure.
— C’est la première fois, nous deux? souris-je, affamé de ses attentions.
Elle hoche la tête.
— Ta réputation te précède, bébé. Il paraît que t’es le sportif le plus chaud de High Hills University, articule-t-elle lentement.
Au grand dam de mon coach…
Elle se trémousse contre moi telle une panthère prête à l’assaut. Ma commissure se soulève encore.
— Tu devrais vérifier la légende par toi-même.
Son bassin se presse contre ma trique. Mon souffle se mêle au sien.
La légende me rend déjà toute chaude…
Sur ces mots poétiques, elle écrase ses lèvres pimpées contre les miennes. On se pelote, on se déculotte. Elle s’abaisse, puis, tandis qu’elle m’offre une pipe vorace, une autre employée franchit la porte et nous surprend. Ma serveuse sursaute. Je lui caresse la joue, comme une sommation de continuer.
— Désolé, souris-je en haussant les épaules, mon air le plus innocent placardé sur la face. Comme tu peux le constater, on passe un bon moment, et j’ai presque terminé. J’espère qu’on ne dérange pas?
L’intruse bégaie, pivoine. Elle est jeune et je ne l’ai jamais vue auparavant. Sûrement une nouvelle. Pitié, qu’elle ne brise pas ce moment, j’en ai cruellement besoin. Comme une cocotte, je suis sur le point d’exploser. Au contraire, elle me dévisage avec, derrière son embarras, une lueur d’envie non assumée.
— Je… euh… Faites comme si je n’étais pas là !
Elle contourne rapidement ma partenaire et s’empare de trois bouteilles de vodka, le regard fuyant. Quant à la panthère, il ne lui suffisait que d’un accord pour tout oublier et continuer d’astiquer Big Reed.
— Oh, bordel, que c’est bon, lâché-je, rejetant la tête en arrière. Est-ce que t’avales, chaton ?
Dans un mouvement de succion, elle relève le menton vers moi.
Te pose pas de questions, bébé, laisse-moi te faire kiffer.
Je ne me ferai pas prier!
Les yeux ronds, la jeunette nous scrute avant de s’enfuir au pas de course. Un rire secoue ma poitrine, car je sais que dans un futur proche, c’est elle qui se trouvera à la place de serveuse panthère. Elle est trop mignonne.
L’urgence resserre son étau autour de mon bassin, et soudain, les images de la veille refluent.
Glenn Hashton. Sa clope. Bordel de merde!
Nouveau coup de flippe qui me propulse vers un orgasme libérateur. Serveuse panthère engloutit mon plaisir avec gourmandise, et pousse des miaulements alanguis. C’était expéditif, excitant et jouissif.
Pantelant, je me rhabille et plonge mon regard d’arnacœur dans les yeux de ma bombe du moment. Un baiser profond en guise de
remerciement, parce que cette déesse – une de plus dans mon paysage – m’a aidé à décompresser. Mais en quittant la réserve, ainsi que le bar, je sais déjà que la soirée est loin d’être terminée. Big Reed pourra en attester.
Chapitre 2 – West
Rien n’est plus pareil au sein de la fraternité. Cette année, j’ai abandonné mon poste phare. Trevor, l’ancien président durant deux années consécutives, a quitté la fac. Zach a emménagé avec Leyah pas loin de l’université. Liam est de moins en moins présent, et moi, je suis pris par mes entraînements de foot. Cette saison s’avère primordiale pour mon avenir. J’ai décidé de m’inscrire à la draft, car l’objectif de jouer pour les pros est un stimulant parfait. Je vais jusqu’au bout de mon cursus de commerce afin de conserver mon éligibilité pour les repêchages, mais ces études ne m’intéressent pas du tout. S’il me reste le sport dans lequel j’excelle en compagnie de mes Coyotes, mon dossier est plutôt chargé. On ne peut pas dire que mes frasques favorisent ma sélection pour jouer en NFL. Orgies décadentes, bizutages jugés problématiques, rendez-vous intempestifs avec le doyen, participation à des courses de moto clandestines, sans compter mon amitié – révolue bien sûr – avec un criminel. Même si je m’échine à les éviter, les tabloïds ne me dépeignent pas comme le sportif universitaire le plus rigoureux, hormis mon talent sur le terrain. Quand bien même, il faudrait une catastrophe naturelle pour parvenir à me calmer! Je suis West Big Reed, bordel!
— J’en ai marre!! beugle Brad en jetant sa manette sur ma tronche, une veine palpitant sur sa tempe. Tu ne joues pas à la loyale! Ma caisse se fait éjecter à chaque virage!
Je ricane dans ma barbe, saisis sa manette PlayStation et la fourre dans les mains du petit nouveau, assis à côté de moi.
— C’est parce que t’es qu’un incapable, Brad! Regarde, je suis certain que Glenn te surpasse sans sourciller.
— Euh… j’ai jamais joué, en fait…
Installé sur le canap’ de la salle de jeu des BTP6 , je lui dédie un sourire carnassier. En revanche mes yeux brûlent de menaces. Si je lui ai remonté les bretelles quant à sa probable implication dans l’incendie chez nos rivaux, je ne l’ai pas ébruitée. Depuis trois jours, notre groupe est assez à cran pour qu’on n’en rajoute pas une couche.
Ce petit me doit donc la vie.
Sur quel critère ce gringalet a bien pu être recruté? Il doit avoir assez de fric – condition sine qua non pour intégrer le cercle –, mais sa cruelle absence de charisme inspire plus la pitié que le respect.
Ses cheveux ondulés couvrent presque ses yeux noisette, et son visage est tout aussi longiligne que son gabarit. Il est vêtu d’un teeshirt blanc bien trop large pour lui et d’un jean décontracté. Par son comportement gauche et son manque d’assurance, il transpire la fin d’adolescence. Une chance que sa peau ne soit pas envahie d’acné!
West, tu lui fais peur, à le fixer comme un demeuré, avise Dorian.
Oh, ça va, prez’…
Les gars! intervient l’une de nos recrues habillée en soubrette. Il y a une fille dans le hall. Elle demande après West.
Je jette un œil à l’écran de mon téléphone. Quinze heures.
— Encore une fan désireuse de tripoter mon incroyable corps d’apollon, crâné-je.
— Ou pas, se moque Liam.
— On parie? Cinquante dollars que je devrai sacrifier mon corps pour la santé affective d’une damoiselle en détresse.
Accompagné de mes potes qui n’ont rien d’autre à foutre que d’assouvir leur curiosité, je suis notre homme de ménage et gagne le hall de la plus belle fraternité du campus. Elle en impose, avec ses boiseries, son escalier principal qui se jette au rez-de-chaussée avec majesté, et ses tapis aux couleurs chaudes – abîmés par nos soirées arrosées. Rien à voir avec la plupart des garçonnières de la HHU.
Je n’ai même pas le temps d'atteindre le centre de la pièce qu’une inconnue se rue vers moi comme une dingo.
«Getup,getup,getup7…»
Un ouragan dans la bâtisse. Une brunette élancée aux cheveux chocolat, dans un carré déstructuré coupé au ras de la nuque, et des sourcils plus froncés tu meurs.
«Wakeup,wakeup,wakeup…»
Devant ce spectacle de furie, une délicieuse odeur florale envahit les lieux, accompagnée de bourgeons imaginaires qui éclosent dans mon champ de vision.
«Ooh…babynowlet’sgetdowntonight…»
Tout se déroule au ralenti. Dans son ample tee-shirt floqué d’une tête de mort qui lui arrive à mi-cuisse et ses bottines à clous, elle s’approche, son faciès tordu de fureur.
«Ooh,baby,I’mhotjustlikeanoven.Ineedsomelovin.»
Mon cœur se serre inexplicablement. L’émotion humidifie mes globes oculaires.
«And baby, I can hold no muchlonger . It’s getting stronger and stronger.»
L’aura qu’elle dégage est sensationnelle. Bien trop hotpour que je réprime mon sourire. Ce à quoi je ne m’attendais pas, par contre, est qu’elle me saisisse par le col avec tant de hargne.
C’est bien toi, West Reed? rugit-elle, en me montrant les dents.
— Wow, tout doux, la lionne, réagis-je, les mains en l’air. Regardemoi… tu en doutais ?
Sa prise se resserre et son visage se rapproche du mien, embaumant un parfum rafraîchissant.
Toi, tu laisses mon frangin tranquille, c’est compris ?
«WhenIgetthatfeeling»…(La musique dans ma tête ne s’arrête pas, bordel!)
Je cille, pas certain de saisir.
— Et tu es…?
Entre les pétales des fleurs irréelles qui ondulent autour d’elle, la tigresse plante ses incroyables yeux noirs d’obsidienne en moi, comme si elle voulait me pulvériser. Je rentre en apnée.
«Sexualhealing… »
— Quinn? s’exclame une voix derrière moi. Qu’est-ce que tu fais là?
Sans me lâcher, elle torpille le post-adolescent des yeux, puis revient à notre échange aphrodisiaque. Enfin, pour ma part.
Je suis la grande sœur de Glenn, et je suis particulièrement remontée par son intégration dans ce cercle!
Oh, c’est mignooon ! persifle Brad.
— Ta gueule, toi, le recadre Dorian.
Moi, je suis gagné d’une drôle de sensation. Des fourmillements dans tout le corps, une joie indéfinissable, inexplicable, à l’origine complètement inconnue.
— Arrête tes bêtises, Quinn, proteste le principal concerné.
Pourquoi il ne ferait pas partie de notre fraternité? la lancé-je. Elle me secoue de nouveau.
Votre réputation vous précède!
Je le connais, ce refrain. Peu à peu, les frères présents dans la maison s’agglutinent autour de nous. La voix de Marvin Gaye m’enferme néanmoins dans une bulle intime où cette Quinn attise mon intérêt.
Raconte, qu’est-ce que t’as entendu sur nous? rebondis-je avec défi.
Son petit nez moucheté se plisse, et je suis incapable de me détourner de ses lèvres immenses, pulpeuses à souhait, qui frémissent de fureur.
«Makesmefeelsofine.»
Elle balaie la pièce du regard, son corps tendu à l’extrême, et grogne tout bas :
Il m’a raconté, pour votre vengeance bidon, et pour l’incendie. Je sais dans quoi vous l’avez embarqué, le week-end dernier. Et je sais que t’es en charge des recrues. Si mon frangin rencontre des problèmes à cause de toi… JE TE BUTE!! crie-t-elle en me secouant de plus belle.
«Helpstorelievemymind.»
J’entends Liam pouffer depuis son poste d’observation.
Je prends mes propres décisions, scande Glenn en s’approchant de sa sœur. West n’est même plus responsable des bizuts !
Elle ne dévie pas ses immenses yeux de chat pour autant. Ils demeurent ancrés dans les miens, projetant des menaces assassines par leur éclat.
— J’sais pas… Je l’aime plutôt bien, le p’tit, la provoqué-je. Et je crois que je kiffe la sœur davantage.
Saisie d’effroi, elle me lâche comme si j’avais la peste et titube en arrière sous le rire narquois de mes frères. Elle cale une mèche de cheveux derrière son oreille et nous observe tous telle une chatte sauvage acculée par des prédateurs.
Qu’elle est belle…
— Je t’aurai prévenu! crache-t-elle à mon intention.
Au moment où elle fait volte-face, Glenn entreprend de la rattraper. Sauf que c’est moi qui le rattrape, hypnotisé par le dos svelte de sa frangine.
Laisse, elle se calmera, intervient Liam en nous rejoignant.
— J’suis désolé, les gars, elle est un peu spéciale.
L’esprit encore truffé de fleurs, je passe mon bras autour des épaules de mon nouveau petit frère.
— Spéciale, ouais…, marmonné-je, rêveur. Dis-moi, Glenn, ta sœur est à la fac?
Je le sens qui m’épie d’en bas.
Oui… en dernière année.
Bon sang!
Et pourquoi je ne l’ai jamais vue dans le coin ?
Une créature pareille, je ne l’aurais pas loupée.
Sous mon aisselle, le freshmanse raidit.
Elle n’aime pas tout ce qui est… fraternité. Comme tu as pu le constater. Elle est plutôt axée… filles.
Je le dévisage, décontenancé.
— Tu veux dire qu’elle est lesbienne ?