Eating Planet

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Barilla Center for Food & Nutrition

eating planet

se nourrir aujourd’hui : un défi pour l’homme et la planète barilla center for food & nutrition

www.barillacfn.com info@barillacfn.com comité consultatif

Barbara Buchner, Claude Fischler, John Reilly,
 Gabriele Riccardi, Camillo Ricordi, Umberto Veronesi en collaboration avec :

Worldwatch Institute, Washington D.C. Nourishing the Planet Rédaction : Danielle Nierenberg The European House – Ambrosetti Éditeur : Luigi Rubinelli réalisation éditoriale Edizioni Ambiente srl www.edizioniambiente.it Coordination rédactionnelle : Anna Satolli Projet graphique : GrafCo3 Milano Infographie : Tati Cervetto Traduction de l’italien : Sophie Lem Les schémas, graphiques et tableaux dont la source n’est pas indiquée sont l’oeuvre de l’auteur. © 2012, Barilla Center for Food & Nutrition via Mantova 166, 43122 Parma, Italy © 2012, Edizioni Ambiente via Natale Battaglia 10, 20127 Milano, Italy tel. 02.45487277, fax 02.45487333 ISBN 978-88-6627-024-9 Achevé d’imprimé en avril 2012 par Genesi Gruppo Editoriale – Città di Castello (PG) Imprimé en Italie – Printed in Italy Ce livre a été imprimé sur du papier Munken Print White certifié FSC les sites web d’edizioni ambiente

www.edizioniambiente.it www.nextville.it www.reteambiente.it www.verdenero.it Et aussi Facebook.com/EdizioniAmbiente


BARILLA CENTER FOR FOOD & NUTRITION AVEC LA COLLABORATION DU WORLDWATCH INSTITUTE

EATING PLANET se nourrir aujourd’hui : un défi pour l’homme et la planète



Barilla Center for Food & Nutrition

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se nourrir aujourd’hui : un défi pour l’homme et la planète introduction de Guido Barilla, Le BCFN : une réponse à trois paradoxes XI préface de Mario Monti, Le défi politique de l’alimentation XV guide de lecture

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1. les défis de l’alimentation

introduction Danielle Nierenberg, Worldwatch Institute : des interventions possibles à grande et à petite échelle 10 food for all : une alimentation pour tous 14 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5

Les gaspillages des pays riches De nouvelles techniques de transformation Mieux se nourrir La restauration scolaire Acheter local

16 17 18 19 20

food for sustainable growth: une alimentation pour le développement durable 22 1.6 1.7 1.8 1.9

Repenser la révolution verte Rendements et durabilité environnementale Changement climatique et alimentation durable Zootechnie pour la durabilité

22 23 24 28

food for health: une alimentation pour la santé et le bien-être 30

1.10 Des calories, mais pas seulement 1.11 Le rôle des légumes 1.12 Rendre accessible une alimentation saine partout dans le monde 1.13 L’importance de l’information 1.14 Le rôle des structures sanitaires

31 32 34 35 36


VI

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food for culture: une alimentation pour la culture 1.15 Relancer les systèmes agricoles 1.16 Les nouvelles technologies informatiques et de communication 1.17 Divulgation “ sur le terrain ” 1.18 Faciliter l’emploi des jeunes

37 38 40 41 42

les trois objectifs de l’alimentation 1.19 Accroître la prise de conscience du rôle joué par l’agriculture

44 47

2. une alimentation pour tous introduction Raj Patel, Trouver les réponses adaptées aux excès du marché

50

faits et chiffres clés

54

l’accès à l’alimentation : les défis d’aujourd’hui et de demain 2.1 La sécurité alimentaire et les problèmes d’accès à la nourriture : les dimensions du phénomène 2.2 Le “ paradoxe alimentaire ” et ses causes 2.3 Les possibles domaines d’action

57 60 66

une nouvelle urgence : l’instabilité des prix alimentaires 2.4 Le modèle interprétatif du BCFN 2.5 Les variables du modèle BCFN 2.6 Des stratégies pour lutter contre la volatilité

72 72 74 82

approches et instruments pour le “ bien-être durable ” 2.7 Produit intérieur brut contre indicateurs de bien-être 2.8 Approche objective contre approche subjective les différentes perspectives de mesure du bien-être 2.9 Les indicateurs de bien-être et de soutenabilité du bien-être du BCFN : caractéristiques et spécificités 2.10 L’indice BCNF 2011 et les principaux résultats 2.11 Les différentes dimensions de la soutenabilité

87 88 90

entretiens Paul Roberts, La diversité de l’accès alimentaire, un facteur clé Ellen Gustafson, Les politiques agricoles doivent prendre en compte la santé et le bien-être de l’ homme

102 106

propositions et actions

110

56

94 96 99


sommaire

3. une alimentation pour le développement durable introduction Carlo Petrini, Payer le juste prix

114

faits et chiffres clés

118

la double pyramide : une alimentation saine pour tous et durable pour l’environnement 3.1 3.2 3.3 3.4 3.5

La pyramide alimentaire comme instrument pédagogique Quelques études sur le régime méditerranéen La pyramide environnementale La double pyramide et la croissance de l’enfant La double pyramide sur le long terme

le futur de l’agriculture : vers des paradigmes durables

3.6 L’agriculture aujourd’hui : les principaux paradigmes agricoles 3.7 La durabilité des systèmes de culture du blé dur : étude de cas Barilla water economy : la question de l’eau entre disponibilité et intérêts économiques

120 122 124 128 131 135 138 142 145 158

3.8 La disponibilité en eau : de l’abondance à la rareté 3.9 La réalité et les perspectives du droit à l’eau 3.10 Choix et comportements pour une consommation durable de l’eau 3.11 L’empreinte hydrique d’une nation et le commerce d’eau virtuelle 3.12 La privatisation de l’eau : entre privé et public

160 164 165 170 173

entretiens Hans R. Herren, La difficile transition vers l’agriculture durable Tony Allan, Eau virtuelle, entre surconsommation et mauvaise gestion

177 180

propositions et actions

183

VII


VIII

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4. une alimentation pour la santé introduction Ricardo Uauy, La santé dépend de l’alimentation et de l’agriculture

186

faits et chiffres clés

190

des aliments pour une vie saine

192

4.1 La diffusion et l’évolution probable des maladies chroniques, leurs impacts socio-économiques 4.2 Les grandes lignes d’une alimentation saine et d’un mode de vie correct 4.3 Les recommandations et les régimes alimentaires les plus répandus 4.4 Le guide pour faire son choix

197 200

alimentation et enfance : la bonne éducation

202

4.5 La diffusion de l’obésité et de la surcharge pondérale chez l’enfant et l’adolescent et leur impact socio-économique 4.6 Les nutriments des différentes phases de la croissance 4.7 Recommandations pour une alimentation et un mode de vie sains chez les enfants et les adolescents 4.8 Le guide pour faire son choix longévité et bien-être : le rôle fondamental de l’alimentation

193 196

203 204 214 214 216

4.9 Démographie, longévité et impact socio-économique des principales pathologies 4.10 La relation entre longévité, pathologies et rôle de l’alimentation et des modes de vie adoptés 4.11 États inflammatoires et restriction calorique : de possibles interventions pour ralentir les processus de vieillissement 4.12 Le guide pour faire son choix

231 234

entretiens Marion Nestle, Les entreprises doivent se comporter de façon responsable Aviva Must, Partager la responsabilité des enfants Alex Kalache, L’ impact des modes de vie sur le vieillissement

236 240 243

propositions et actions

247

220 225


sommaire

5. une alimentation pour la culture introduction Shimon Peres, Food for Peace : un appel pour la mobilisation des bonnes volontés

250

faits et chiffres clés

252

la dimension culturelle de l’alimentation 5.1 5.2 5.3 5.4 5.5 5.6 5.7

Le rapport alimentation-culture : les origines La nourriture devient communication et convivialité Plaisirs et dégoûts : la classification culturelle du comestible Le rapport des aliments avec les sociétés, les sexes et le pouvoir La valeur symbolique des aliments dans les grandes religions Les interdits alimentaires : nourriture et pureté Alimentation et culture : un lien indissoluble

254 254 256 257 260 261 262 263

les grandes traditions culinaires et l’alimentation d’aujourd’hui 263

5.8 Les grandes traditions culinaires 5.9 L’alimentation aujourd’hui : défis et perspectives 5.10 Pour une nouvelle vision de l’alimentation 5.11 Quelques suggestions pour redéfinir la relation homme-alimentation

264 268 270 272

la culture méditerranéenne : mode de vie et tradition alimentaire 272

5.12 Les caractéristiques principales du régime méditerranéen 5.13 Les aspects sociaux du modèle méditerranéen : l’importance de la commensalité 5.14 Le déclin actuel du modèle méditerranéen 5.15 Comment retrouver le sens de la méditerranéité

entretiens Joaquín Navarro-Valls, Construire une culture de la responsabilité Vandana Shiva, Lorsqu’on contrôle l’alimentation, on contrôle la démocratie Michael Heasman, La guerre de la culture de consommation et le système alimentaire : quelles implications pour le modèle méditerranéen ?

273 278 280 285 288 290 293

propositions et actions

296

notes

297

IX



XI

introduction de

Guido Barilla  *

le bcfn : une réponse à trois paradoxes

Nous vivons à une époque marquée par plusieurs paradoxes mondiaux. Trois d’entre eux en particulier retiennent notre attention et renforcent notre désir de donner vie à un centre d’études aux caractéristiques innovatrices et originales. Le premier a trait à la coexistence dans le monde de plus d’un milliard d’affamés et d’un nombre équivalent de personnes souffrant des conséquences d’un excès de nutrition, sous la forme de graves maladies métaboliques comme le diabète. Pourtant, le système alimentaire mondial est en mesure de garantir un apport nutritionnel adapté à tous les habitants de la planète. Les causes de cette situation ne sont pas faciles à identifier et à éradiquer. Ceci ne doit pas décourager ceux qui ont à cœur le destin de millions d’hommes et de femmes frappés par la tragédie de la faim et de la misère, mais au contraire les éperonner et les inciter à proposer des solutions neuves et efficaces. Le deuxième paradoxe est lié à la présence sur la planète d’environ trois milliards d’animaux d’élevage. Un tiers de la production alimentaire mondiale sert à leur alimentation. Cette activité contribue de façon significative aux phénomènes de changement climatique. On estime qu’elle est responsable de plus de 50 % des émissions de gaz de serre. Le troisième paradoxe illustre une autre forme d’emploi inadéquat des ressources de la planète : la concurrence entre biocarburants et alimentation. Une part croissante des terrains agricoles est destinée à la production de carburant. Ce faisant, nous choisissons d’abreuver nos automobiles plutôt que de donner à manger aux êtres humains. La prise de conscience de ces déséquilibres nous a poussés à réfléchir sur les modalités les plus efficaces pour communiquer et travailler avec les personnes désireuses d’approfondir ces thématiques de façon indépendante, sérieuse et scientifique. Le Barilla Center for Food & Nutrition (BCFN) est né en 2009 de cette exigence d’informer, d’impliquer, de communiquer, de chercher des solutions. Il s’agit d’un centre d’analyse et de proposition à l’approche pluridisciplinaire, qui a l’ambition d’approfondir les grands débats liés à l’alimentation et à la nutrition à l’échelle mondiale. Dans ce but, il se propose de prêter une


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oreille attentive aux exigences de la société, en rassemblant les expériences et les compétences les plus qualifiées et en favorisant un dialogue continu et ouvert. La complexité des phénomènes étudiés a rendu nécessaire l’adoption d’une méthodologie qui aille au-delà des frontières des différentes disciplines. C’est là l’origine de la division de notre objet d’étude en quatre grands domaines : une alimentation pour tous, une alimentation pour un développement durable, une alimentation pour la santé, une alimentation pour la culture. La partie Une alimentation pour tous traite les thèmes de l’accès à la nourriture et de la malnutrition. Elle amorce une réflexion sur les possibilités de promouvoir un meilleur système agroalimentaire à l’échelle mondiale, afin d’arriver à une distribution plus équitable des aliments et à impact plus favorable sur le bien-être social, la santé et l’environnement. La partie Une alimentation pour le développement durable approfondit le thème de l’optimisation des ressources naturelles à l’intérieur de la filière agroalimentaire. Une alimentation pour la santé examine l’influence qu’exerce notre alimentation sur notre santé. Enfin, Une alimentation pour la culture tente de comprendre, décrire et pourquoi pas, d’enrichir le rapport culturel que l’homme entretient avec la nourriture. Au cours de ses trois premières années d’activité, le BCFN a déjà à son actif de nombreuses publications scientifiques. Guidé par les agendas institutionnels et les priorités de l’actualité économique et politique internationale, il a su créer et renforcer son rôle de collecteur et d’intermédiaire entre science et recherche d’un côté, décisions politiques et actions gouvernementales de l’autre. Il a également organisé des évènements ouverts à la société civile, en particulier l’International Forum on Food & Nutrition, un moment de confrontation avec les experts les plus renommés du secteur, qui a connu jusqu’à présent trois éditions. Les activités du BCFN sont guidées par un Comité consultatif pluridisciplinaire, un organisme composé d’experts appartenant à des domaines différents, mais complémentaires, qui proposent, analysent, et développent des axes de recherche, tout en formulant des recommandations concrètes. Un ou plusieurs conseillers ont supervisé le travail effectué sur les quatre parties de cet ouvrage : Barbara Buchner (experte en énergie, changement climatique et environnement) et John Reilly (économiste et spécialiste des questions environnementales) pour la partie Une alimentation pour le développement durable ; Mario Monti (actuellement Président du Conseil de la République italienne) pour la partie Une alimentation pour tous ; Umberto Veronesi (oncologue), Gabriele Riccardi (nutritionniste) et Camillo Ricordi (immunologue) pour la partie Une alimentation pour la santé ; Claude Fischler (sociologue) pour la partie Une alimentation pour la culture. Le travail de ce groupe d’experts a produit des fruits : la construction de la double pyramide alimentaire et environnementale ; l’indice de bien-être BCFN ; la pyramide de l’eau ; l’analyse des recommandations nutritionnelles


introduction

des principaux organismes médico-scientifiques internationaux, pour comprendre l’impact de l’alimentation sur notre santé ; les approfondissements relatifs à une alimentation équilibrée pour tous les âges de la vie, et en particulier durant la croissance. C’est ainsi qu’Eating Planet a vu le jour, grâce à la collaboration de scientifiques, de dirigeants politiques, de Prix Nobel et d’experts mondialement connus, que nous souhaitons remercier ici : Tony Allan, Ellen Gustafson, Michael Haesman, Hans Herren, Alex Kalache, Mario Monti, Aviva Must, Joaquín Navarro-Valls, Marion Nestle, Danielle Nierenberg, Raj Patel, Shimon Peres, Carlo Petrini, Paul Roberts, Vandana Shiva, Ricardo Uauy. Trois ans après la création du BCFN, nous avons jugé bon de proposer une synthèse des résultats obtenus, pour marquer une étape dans notre parcours et commencer à envisager de nouveaux développements. Le livre que nous vous proposons est la meilleure preuve de notre passion : celle que nous éprouvons pour l’homme et ses réalités concrètes, mais aussi pour le métier que nous faisons qui, en raison de sa nature particulière, nous interdit de ne penser qu’aux gains de l’entreprise. Notre métier nous impose, c’est ce que nous croyons, de concourir à la construction d’un monde meilleur. *Président de Barilla Center for Food & Nutrition.

XIII



XV

préface de

Mario Monti  * Le défi politique de l’alimentation  *  *

Pourquoi ai-je éprouvé une forte attraction intellectuelle envers le travail effectué ces dernières années par le Barilla Center for Food & Nutrition ? C’est parce que je crois que l’énorme problème de l’accès à la nourriture est une synthèse des difficultés rencontrées aujourd’hui par ceux qui traitent de concurrence sur les marchés et de gouvernance mondiale. Aujourd’hui, un peu partout dans le monde, les décisions se prennent le plus souvent dans l’urgence. Cela a été le cas lors de la récente crise financière, qui a suscité une réaction immédiate ou presque, ainsi que d’importants efforts de coordination, aucun pays, aucune région au monde n’étant en mesure de résoudre de façon isolée les difficultés du système financier. Nous avons désormais pris conscience que l’accès à la nourriture requiert une intervention urgente. Mais un biais dangereux est apparu, au moins dans le domaine financier et macroéconomique : lorsqu’un problème devient pressant, nous prenons peur, ce qui nous incite à renoncer à une partie de notre souveraineté nationale puisque nous pensons que la coopération est l’unique façon de trouver une solution. Le problème devient-il un peu moins urgent, un peu moins sensible à court terme ? Nous retournons immédiatement à notre routine. C’est ce que nous appelons le risque de réversibilité. Deux observations doivent être faites en ce qui concerne la spécificité de la question alimentaire et la contribution que l’Union européenne peut apporter en la matière. L’agriculture et la nourriture, la sécurité alimentaire et ses implications financières, sont des problèmes extrêmement complexes, profondément enracinés dans notre système économique et notre société, avec toutes les conséquences, amples et durables, qui en découlent. Trouver une solution au déséquilibre financier n’est pas chose facile, mais résoudre ces problèmes sera infiniment plus long et demandera un effort soutenu, car il s’agit de travailler sur les structures socio-économiques en profondeur. C’est la raison pour laquelle nous devons nous garder du risque de réversibilité qui nous guette dès qu’une solution semble pointer à l’horizon. Je suis sur ce point relativement optimiste pour l’Union européenne. Nous sommes 27, nous avons des organismes décisionnels, des institutions et des lois, ainsi que des structures pour mettre en œuvre ces lois. Le risque de réversibilité


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est donc plus faible. Prenons l’exemple de la crise financière : grâce à l’excellent travail effectué par le Parlement, le Conseil et la Commission, nous avons mis sur pied – rapidement pour les standards européens – un nouveau système de règles garanti par une autorité chargée de leur application et de leur supervision. Ces règles perdureront une fois la crise passée. De façon plus spécifique, en ce qui concerne la sécurité alimentaire, il est clair qu’un éventuel renforcement de la gouvernance mondiale est fondamental. La gouvernance n’est pas synonyme de répression, la gouvernance n’a pas pour but de bloquer les initiatives entrepreneuriales : il s’agit de donner des règles générales aux marchés, et les entrepreneurs, comme les usagers et les consommateurs, sont des acteurs du marché. Ce dont nous avons besoin, à mon avis, n’est pas d’un modèle de planification trop ambitieux à mettre en œuvre au niveau mondial, régional ou national ; je crois au contraire qu’il est plus efficace de travailler sans relâche à l’amélioration des rapports entre instruments politiques et réaction du marché. Certaines propositions dans ce domaine me semblent pertinentes, à commencer naturellement par l’attribution d’un rôle central à l’alimentation dans le programme politique et économique international. Il est aussi fondamental de promouvoir le développement économique et de favoriser l’augmentation de la productivité agricole. Un troisième aspect crucial consiste à modifier la filière de production et de distribution alimentaire afin de gérer la croissante volatilité des prix et de garantir l’existence de filets de sécurité. C’est là que le secteur alimentaire converge le plus avec le secteur financier. Mais l’anneau final de la chaîne, la destination ultime des biens agricoles, qui dépend des habitudes alimentaires des consommateurs, est également primordial. Pour de nombreuses raisons liées à la durabilité, mais aussi à des considérations de santé individuelle et familiale, c’est un domaine dans lequel il est nécessaire d’augmenter les investissements, tout comme il est nécessaire de promouvoir les économies d’énergie et le respect de l’environnement au niveau des consommateurs (privés et industries). Pour clore sur une observation macroéconomique d’ordre plus général, il est possible d’affirmer que l’un des points faibles des modèles économiques et politiques dans le monde ces vingt dernières années a été une baisse d’attention portée à la distribution, entendue comme la possibilité d’accéder à la nourriture. Aujourd’hui, toutes les questions liées à l’égalité, l’inégalité et à la distribution (“ comment mettre en œuvre la distribution désirée ”) reviennent sur le devant de la scène politique nationale et internationale. * Mario Monti (Président du Conseil des ministres et Ministre de Economie et des Finances, République Italienne ; Président de l’Université Bocconi ; membre


préface

du Comité consultatif du Barilla Center for Food & Nutrition de février 2009 à novembre 2011). ** Les réflexions contenues dans ce texte ont été développées durant le workshop intitulé “ L’Union européenne peut-elle affronter les nouveaux défis géopolitiques et économiques de l’accès à l’alimentation ?” organisé par le Barilla Center for Food & Nutrition auprès du Parlement européen le 15 juin 2011.

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sommaire introduction

Worldwatch Institute : des interventions possibles à grande et à petite échelle de Danielle Nierenberg

food for all : une alimentation pour tous 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5

Les gaspillages des pays riches De nouvelles techniques de transformation Mieux se nourrir La restauration scolaire Acheter local

food for sustainable growth : une alimentation pour le développement durable 1.6 1.7 1.8 1.9

Repenser la révolution verte Rendements et durabilité environnementale Changement climatique et alimentation durable Zootechnie pour la durabilité

food for health: une alimentation pour la santé et le bien-être 1.10 1.11 1.12 1.13 1.14

Des calories, mais pas seulement Le rôle des légumes Rendre accessible une alimentation saine partout dans le monde L’importance de l’information Le rôle des structures sanitaires

food for culture: une alimentation pour la culture 1.15 1.16 1.17 1.18

1.19

Relancer les systèmes agricoles Les nouvelles technologies informatiques et de communication Divulgation “ sur le terrain ” Faciliter l’emploi des jeunes

les trois objectifs de l’alimentation

Accroître la prise de conscience du rôle joué par l’agriculture


1. Les défis de

l’alimentation Prenant acte de l’inadéquation évidente du système alimentaire actuel, le Worldwatch Institute souligne avec vigueur la nécessité d’élaborer et de promouvoir de nouvelles stratégies pour satisfaire la demande mondiale de biens alimentaires de façon équitable et durable. Le chapitre analyse les causes du déséquilibre du système, tout en présentant des recommandations pour soutenir la production agricole, en valoriser le rôle au sein de communautés et favoriser l’intégration biologique des ressources naturelles.


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1. Les défis de l’alimentation Worldwatch Institute : des interventions possibles à grande et à petite échelle Danielle Nierenberg, Directeur du projet Nourishing the Planet du Worldwatch Institute

À Ahmedabad, en Inde, un groupe d’agricultrices et de travailleuses indépendantes du secteur de la transformation alimentaire est en train de changer les habitudes alimentaires des Indiens. Ces femmes font partie de la Self-Employed Women’s Association (SEWA), le syndicat qui regroupe plus d’un million de travailleuses en situation de pauvreté. En Inde, 93 % de la force de travail féminine n’est pas inscrite à une organisation syndicale, ce qui rend les femmes presque invisibles, leur empêchant l’accès au crédit, à l’achat de terrains ou aux services financiers, ouverture de compte bancaire comprise. En les impliquant dans la production alimentaire, la SEWA aide ces femmes à améliorer leurs moyens de subsistance à travers la conquête d’une autonomie accrue. Quarantecinq pour cent des membres de la SEWA est constitué de travailleuses agricoles exerçant des activités dites “ marginales ”.1 Les adhérentes de la SEWA choisissent et empaquettent le riz qu’elles commercialisent sous leur propre marque. Dans une ferme rurale gérée par l’organisation, elles cultivent du riz et des légumes biologiques et produisent du compost à partir des matières organiques sur des terrains auparavant considérés comme improductifs et marginaux. “ Nous gagnons désormais plus de 15 000 roupies (350 dollars) par saison, un chiffre que nous n’espérions pas atteindre en une vie ”, soutient Surajben Shankasbhai Rathwa, membre de l’association depuis 2003. Ces femmes gagnent davantage d’argent, s’alimentent mieux et rendent un important service à la communauté en produisant pour les consommateurs locaux des aliments sains, bon marché et cultivés selon les principes de durabilité. En effet, les familles les plus pauvres n’ont souvent pas les moyens d’accéder à une nourriture de bonne qualité, le riz et les autres aliments de base qu’elles acquièrent sont des produits délétères : les grains de riz sont fréquemment brisés


agriculteur de la cloud kpalimé forest, togo

L’ONG Les Compagnons Ruraux du Togo transmet aux paysans de la Cloud Kpalimé Forest les pratiques d’une agriculture durable. L’organisation améliore en outre la sécurité alimentaire locale en menant des activités de formation destinées aux femmes sur la culture et la vente de légumes biologiques, de plantes officinales et d’huile de palme produite sur place. Grâce à la collaboration qui s’est établie avec les résidents, l’organisation espère pouvoir freiner la fuite des jeunes adultes vers les villes.


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eating planet

ou mélangés avec de la poussière et de la pierraille ; ces aliments sont produits la plupart du temps avec des pesticides et des fertilisants artificiels.2 Mais les femmes de la SEWA ne s’intéressent pas seulement à ce qui se passe à l’intérieur de leur communauté. Elles veulent aussi savoir ce que font les agriculteurs de l’Afrique subsaharienne, à des milliers de kilomètres de là, pour combattre le changement climatique, stocker l’eau et mettre en valeur la terre. Au cours d’une rencontre advenue début 2011, elles ont essayé de faire émerger ce que pourraient leur enseigner leurs homologues africaines, elles aussi confrontées aux mêmes difficultés quotidiennes : évènements climatiques imprévisibles, dégradation des sols, prix élevés des denrées alimentaires, pauvreté, malnutrition. Même si les activités de formation et les services de crédit agricole offerts par la SEWA ne suffisent pas à eux seuls à transformer le système alimentaire global, ils représentent toutefois un pas dans la bonne direction : nourrir l’humanité n’est pas l’unique finalité de l’agriculture, elle doit aussi être source de revenus, contribuer à la préservation de l’environnement et à la vitalité des économies rurales et urbaines.3 un tournant décisif. Sans aucun doute possible, notre système alimentaire actuel ne fonctionne plus : d’énormes quantités de nourriture sont gaspillées, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres ; l’agriculture est responsable d’un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre ; les pathologies d’origine alimentaire prennent de plus en plus d’importance ; l’impact environnemental de l’agriculture, entre déforestation, épuisement des ressources en eau et augmentation des émissions de gaz à effet de serre se fait sentir de manière toujours plus tangible. 4 Durant les trois dernières décennies, le système alimentaire occidental s’est organisé de manière à promouvoir la consommation excessive de quelques matières premières dominantes – le riz, le blé et le maïs par exemple – et a laissé de côté des produits alimentaires locaux qui, en plus de procurer un apport calorique valable, sont riches en vitamines et en micronutriments essentiels et présentent une bonne résistance aux températures élevées, à la sécheresse et aux maladies. L’une des conséquences directes de cette évolution est l’existence dans le monde d’un milliard et demi de personnes obèses ou en surpoids, par conséquent davantage sujettes au diabète, aux maladies cardiovasculaires et autres pathologies.5 Les défis auxquels nous devons faire face ne seront pas faciles à remporter. L’agriculture est à un tournant de son histoire. La “ révolution verte ” a eu lieu il y a près d’un demi-siècle, et pourtant près d’un milliard de personnes se couchent affamées tous les soirs, et plusieurs milliards d’êtres humains souffrent de carences en micronutriments (figure 1.1). Si nous nous y mettons maintenant, nous pouvons mettre au point une stra-


introduction  |  les défis de l’alimentation

tégie, une vision du futur et une feuille de route pour un meilleur système alimentaire global, un système qui prendra en compte à la fois la planète et ses habitants, en identifiant les solutions pour rendre la production et la consommation d’aliments plus équitables et durables en termes économiques, écologiques et sociaux. Des remèdes valables existent déjà – dans les market gardens des campagnes du Niger (horticulture et vente des produits sur les marchés locaux), sur les tables italiennes, dans les potagers suspendus du Vietnam, à l’intérieur des laboratoires de recherche de Taïwan, dans les edible school yards américains (des potagers aménagés dans les cours des écoles), et en général dans les communautés du monde entier –, mais ils ne reçoivent pas l’attention et les investissements dont ils ont besoin. Tout ceci doit changer. 1.350 1.200

estimation 1.020

millions de personnes

1.050 900

878

853

845

825

1979‑81

1990‑92

1995‑97

857

873

2000‑02

2004‑06

915

925

925

2010

2011

750 600 450 300 150 0

1969‑71

2008

2009

figure 1.1 La faim dans le monde (1969‑2011) Source : Réélaboration Worldwatch institute, données Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), “Hunger Statistics”, www.fao.org.

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3. une alimentation pour le développement durable Payer le juste prix Carlo Petrini

La “ durabilité ” est un concept lié à une idée très ancienne : le temps. Les Anglo-saxons parlent de sustainability, “ soutenabilité ”, un mot dont l’origine renvoie à l’une des pédales du piano, la pédale forte, sustain en anglais, celle qui sert à allonger les notes, à les faire durer dans le temps. La conscience que ce que nous décidons d’entreprendre carlo petrini a fondé (à l’échelon privé, public ou entrepreneurial) doit poudans les années 1980 Arcigola, devenue en voir durer dans le temps à différents niveaux (social, éco1989 l’association innomique, environnemental) est l’un des éléments clés du ternationale Slow Food, dont il est actuellement futur des activités humaines. Aujourd’hui, “ durabilité ” président. De ses idées est un mot très employé : nous pensons davantage à l’avesont nées la première université de Sciences nir, certains plus que d’autres. L’idée de durabilité sousgastronomiques, et Terra entend que le futur ne nous appartient pas, pas plus que les Madre, un réseau de plus de 2 000 communautés ressources naturelles. C’est un patrimoine commun, que alimentaires qui réunit les générations actuelles doivent préserver pour les générades producteurs agricoles de tous les pays. tions suivantes, envers lesquelles elles ont des responsabilités. Nos descendants ont le droit de trouver à leur tour des saveurs, des climats, des panoramas, des conditions de santé, de qualité de vie comparables aux nôtres. Mais ce n’est pas tout. Pour protéger tout ce à quoi nous tenons et tout ce que nous voulons transmettre, il est nécessaire de mettre en branle différents niveaux d’action : les mesures gouvernementales, les traités internationaux, les lois ; mais aussi les gestes de tous les jours, les choix individuels, les “ oui ” et les “ non ” que nous pouvons tous exprimer pour réorganiser notre existence ou nos activités en fonction d’un ordre de priorités différent. Gagner du temps et de l’argent ne doit pas être notre seul critère de jugement. Nous devrions considérer le temps passé à choisir notre nourriture comme du temps investi dans


introduction  |  une alimentation pour le développement durable

notre propre santé et celle de l’environnement, et l’argent dépensé à cet effet comme une participation à un métier, celui d’agriculteur, qui doit être rémunéré, non seulement pour ses produits, mais aussi pour les multiples services qu’il rend à la société et à la Terre. Une somme d’argent qui est davantage qu’un prix, la reconnaissance de certaines valeurs. Lorsqu’on parle de durabilité, la nourriture est un facteur central, déterminant, que l’on ne peut négliger. De ce point de vue, les individus sont certainement aujourd’hui plus actifs et plus responsables que les acteurs politiques qui sont vagues, absents et souvent ignorants. L’agriculture est souvent vue comme un secteur indépendant, un simple producteur de matières premières, qui ne valent que ce qu’elles coûtent, ou dont le prix est fixé grâce aux corrections imposées par le haut (ou pire, par la spéculation financière). Trop souvent, on ignore les valeurs dont cette activité est porteuse, valeurs qui ont toutes trait, et ce n’est pas par hasard, à l’idée de durabilité. Il y a par exemple l’attention portée aux sols et aux terrains. Savoir les garder vivants à travers l’activité agricole, en protégeant une biodiversité que l’on peut immédiatement remarquer en observant les plantes (cultivées ou non) et les animaux (sauvages ou domestiques), mais qui est aussi cachée dans d’innombrables micro-organismes, la vie microscopique qui rend fertiles et productifs les terrains, qui en préserve la richesse pour le futur, qui les fait durer. Malheureusement, les sols et la biodiversité sont irrémédiablement appauvris par les monocultures intensives faites plusieurs années de suite sans rotation, en abusant des fertilisants et des pesticides. On justifie souvent ces pratiques en avançant qu’elles sont indispensables pour produire plus, mais produire pour produire n’est pas soutenable, ni même nécessaire. Pas plus que ne l’est le bétonnage sauvage, qui ne peut être compatible avec la conservation des systèmes naturels et agricoles, toujours plus menacés. Un terrain cimenté ne redeviendra jamais fertile : nous le perdons pour toujours et le soustrayons aux générations futures. Sols et biodiversité sont les conditions nécessaires à l’obtention d’aliments abondants, sains et variés en fonction des climats et des cultures, d’aliments durables en un mot. L’acharnement héroïque que déploient certains pour défendre les petites économies agricoles locales, en particulier celles menacées d’extinction, n’est pas un exercice nostalgique ou l’activité épicurienne de ceux qui apprécient les mets rares de grande qualité. C’est un acte pour la durabilité, valable pour tous les types de productions, pour soutenir la biodiversité et les communautés parfaitement en accord avec leur environnement, avec la variété de goûts et de cultures qui en découle. Sans diversité, pas d’identité, sans échange, pas d’enrichissement réciproque. Un conditionnement standardisé nous affaiblit et nous appauvrit, nous fait douter de notre avenir, de notre “ durabilité ”. Ce n’est qu’un exemple des valeurs que nous devrions payer – en faisant nos

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courses, en réglant nos impôts – à une agriculture responsable qui respecte le contexte naturel dans lequel elle s’insère. Nous devrions la rémunérer au moyen de paramètres sérieux et contrôlés, en intégrant la multifonctionnalité dans l’évaluation de l’activité des exploitations agricoles. La multifonctionnalité – l’ensemble de ces valeurs – se traduit presque toujours par des territoires de toute beauté, des panoramas qu’une anthropisation (la main de l’homme sur l’environnement) positive a rendus encore plus plaisants et pittoresques. Des lieux où les soins attentifs de l’homme sont partout visibles. Et l’entretien du territoire est un autre présupposé de la durabilité, qui naît de l’amour et du respect pour les choses vécues au quotidien, que l’on souhaite perpétuer. Le soin apporté aux tâches de chaque jour, ainsi que toutes les autres valeurs, génère presque toujours la beauté, mais aussi la qualité, la capacité à tirer le meilleur d’un produit, d’en exalter les caractéristiques à travers des techniques agricoles et de transformation adaptées, d’en faire connaître son goût unique et intense. La beauté et la qualité font donc intégralement partie du concept de durabilité : il est temps d’en finir avec l’idée selon laquelle éthique et esthétique seraient deux idées, deux philosophies, deux camps opposés et incompatibles. Éthique et esthétique, dans une optique de durabilité, sont complémentaires au point de ne faire plus qu’un, le phare qui nous sert de guide. Faisons une liste : ne pas polluer, ne pas abuser de la chimie, ne pas compromettre les ressources naturelles, la terre et ceux qui la cultivent au nom du seul profit. Préserver la fertilité des sols. Défendre la biodiversité. Stimuler les économies locales, les productions traditionnelles, les petites et moyennes entreprises dans des zones en difficulté, isolées ou affamées. Rapprocher les citadins des agriculteurs et de l’agriculture. Encourager un retour à la terre des jeunes. Voici quelques-uns des “ commandements ” à respecter au nom de la durabilité, quelques-unes des actions qui peuvent être mises en œuvre à tous les niveaux. Des actions qui conjuguent parfaitement la beauté et la qualité, dans un monde qui produit trop de nourriture (la quantité totale d’aliments produite sur Terre est plus que suffisante à nourrir tous les habitants de la planète), et qui en gaspille trop. Les données officielles sur le gaspillage alimentaire sont intolérables et choquantes au regard du milliard d’êtres humains confrontés tous les jours à la faim et à la malnutrition. Encore d’autres “ commandements ” : produire un peu moins, produire mieux, distribuer avec bon sens, en enracinant le plus possible les productions et les consommations dans leurs territoires, en agissant principalement au niveau local. Pour revenir au simple citoyen, le fait que beauté et qualité soient à la fois cause et conséquence de la durabilité ne peut que nous encourager à changer nos habitudes, en commençant par nos choix alimentaires, nos courses quotidiennes. Bien vite – si ce n’est déjà le cas –, nous découvrirons que manger peut être une activité d’autant plus agréable et bénéfique qu’elle est durable. Nous


introduction  |  une alimentation pour le développement durable

apporterons notre pierre à l’édifice sans grands sacrifices, mais au contraire en apportant de petits moments de bonheur dans notre vie. En payant ce qu’il est juste de payer : le prix et les valeurs. “ Manger est un acte agricole ”, a écrit le poète paysan Wendell Berry. Ajoutons que c’est un acte écologique, un acte paysagiste, un acte de profond respect pour la culture, un acte politique. Qui doit devenir maintenant un acte durable, car manger est la chose la plus intimement, la plus directement liée – aussi bien de façon évidente que de façon cachée car insondable pour nos connaissances scientifiques actuelles – à tout ce qui nous entoure : le système complexe qui nous abrite, la planète. La biosphère. Notre maison, dont nous sommes parties prenantes et non simples locataires, puisque nous sommes à l’intérieur du système. Pendant trop longtemps, nous avons agi comme un hôte de passage, qui prend ce qui est à sa disposition jusqu’à épuisement des réserves. Ne pas se comporter de façon durable nuit à la Terre, mais surtout à nous-mêmes. L’égoïsme propre à notre espèce nous conduira donc à revoir nos choix, à commencer par ceux qui, pour trop d’entre nous, sont devenus insignifiants parce que réalisés quotidiennement. Commençons à changer le monde en choisissant notre menu.

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3.  une alimentation pour une croissance durable

3

+ milliardS

D’ASSOIFFÉS DANS LE MONDE 2012

9 milliardS

En 2050, nous serons 9 milliards sur Terre, contre 7 milliards aujourd’hui

30%

+

2050

En 2025, trois millards de personnes n’auront pas assez d’eau potable pour couvrir leurs besoins

impact de l’activité agricole

33 % 80 % CONSOMMATION D’EAU ÉMISSIONS DE GAZ DE SERRE L’activité agricole est responsable de 33 % de la production mondiale de gaz de serre et de 80 % de la consommation d’eau destinée à la production alimentaire.

-terreS 8/20 % cUltivaBleS D’ici 2050, la superficie des terres cultivables diminuera en raison des changements climatiques et la géographie de la production agricole se modifiera radicalement

- 45% de “ poUmoNS “ vertS

Environ 43 % des forêts tropicales et subtropicales et 45 % des forêts tempérées seront converties en terrains pour l’agriculture


faits et chiffres clés  |  une alimentation pour le développement durable

élevage de BeStiaUX

26 % DES TERRAINS 1/3 DES TERRAINS SERT À PRODUIRE DU FOURRAGE SONT DES PÂTURAGES L’élevage de bestiaux est aujourd’hui la destination d’usage la plus gourmande en terres disponibiles : près de 26 % des terrains sont des pâturages, tandis qu’un tiers des terres agricoles est consacré à la production de fourrage.

2.600 litreS

5.400 litreS

1.500 litreS

coNSommatioN d’eaU virtUelle

32% deS reSSoUrceS

HalieUtiQUeS SoNt épUiSéeS 32 % des zones de pêches ont été excessivement exploitées et appauvries, voire épuisées

La consommation d’eau virtuelle d’un régime carné se situe autour de 5 400 litres, tandis qu’un régime composé de céréales, fruits, légumes et poissons n’en consomme qu’entre 1 500 et 2 600 litres

-DE CO30DANS%L’AGRICULTURE D’ÉMISSIONS 2

La mise en oeuvre de pratiques agronomiques vertueuses permet de réduire les émissions de CO2 générées par les activités agricoles de près de 30 %

1% 2012

3,8% 2030

la part deS BiocarBUraNtS Les biocarburants utilisent aujourd’hui 1% des terrains agricoles. On estime qu’en 2030, ce chiffre variera entre 2,5 % et 3,8 %

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la double pyramide : une alimentation saine pour tous et durable pour l’environnement Il est impossible d’aborder la question du développement sans placer au premier plan toutes les variables qui composent le système agroalimentaire. C’est en effet dans ce secteur que naissent les problèmes, mais aussi les solutions liées à la durabilité. Il est par ailleurs évident que la durabilité de la filière agroalimentaire ne dépend pas uniquement de l’engagement des agriculteurs, des producteurs et des distributeurs, mais aussi – peut-être même surtout – des comportements des individus et des foyers dont les choix quotidiens conditionnent fortement tout le marché. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines socio-économiques (les transports par exemple, ou l’habitat), où l’avantage collectif s’oppose souvent à l’avantage individuel, dans le secteur alimentaire, l’effort de responsabilisation demandé aux personnes ne diminue pas leur bien-être. Il est même possible d’affirmer que la réduction de l’“ impact environnemental alimentaire ” de chacun n’entraîne pas de coûts supplémentaires et bénéficie directement à la santé de l’individu concerné. En analysant l’empreinte écologique des aliments, le BCFN a en effet découvert les qualités “ environnementales ” inattendues des produits que, selon les nutritionnistes, nous devions consommer le plus fréquemment. Autrement dit, si nous suivons les recommandations synthétisées par la pyramide alimentaire (qui place au sommet les produits à consommer avec modération et à la base ceux qui devraient figurer le plus souvent au menu), nous respectons notre santé, mais aussi celle de la planète qui nous accueille. Le Barilla Center for Food & Nutrition a élaboré et publié pour la première fois en 2010 la double pyramide alimentaire et environnementale, un instrument de communication en mesure de mettre en relation les aspects nutritionnels et l’impact environnemental des aliments consommés. En 2011, la double pyramide a été mise à jour et redessinée dans la version reproduite figure 3.1. La position des catégories d’aliments dans les différents étages de la pyramide alimentaire varie en fonction de la fréquence de consommation conseillée : tout en respectant le principe de la variété du régime alimentaire, les aliments situés près du sommet de la pyramide devraient être consommés plus rarement, alors que ceux situés à la base de la pyramide devraient toujours se trouver sur notre table. La partie nutritionnelle de la double pyramide a été construite en prenant pour modèle le régime méditerranéen, soit l’approche alimentaire traditionnellement adoptée dans les pays comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et le sud de la France. Le régime méditerranéen est un modèle alimentaire complet qui se distingue par un équilibre nutritionnel remarquable.


la double pyramide  |  une alimentation pour le développement durable

pyramide environnementale réduite

fort

Desserts Viande rouge

Viande rouge Fromage Poisson Huile Viande blanche

Légumineuses, Desserts Yaourt, Œufs

Pain, Pâtes, Lait, Riz, Biscuits

te

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Pain, Pâtes, Riz, Pommes de terre, Légumineuses

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Fromage Œufs Viande blanche Poisson Biscuits Lait Yaourt

Fruits Pommes de terre Légumes

Fruits Légumes

importante

faible

pyramide alimentaire figure 3.1 Le modèle de double pyramide alimentaire et environnementale Source : BCFN, 2011.

Il est reconnu par de nombreux spécialistes de l’alimentation comme l’un des meilleurs régimes alimentaires, en particulier en ce qui concerne le bien-être physique et la prévention des maladies chroniques, les maladies cardiovasculaires en particulier. L’inédite pyramide environnementale a été quant à elle construite en reclassant les mêmes aliments dans la pyramide en fonction de leur impact sur l’environnement (les aliments ayant un impact élevé se trouvent à la base, tandis que ceux qui sont davantage écocompatibles se situent vers le sommet). C’est ainsi que nous avons découvert que la séquence des aliments était plus ou moins la même, en sens inverse, ce qui apparaît clairement lorsqu’on renverse la pyramide environnementale. On remarque au premier coup d’œil que les aliments dont la consommation est conseillée sont aussi ceux qui ont un impact moins important sur l’environnement, tandis que ceux dont la consommation devrait demeurer mesurée sont aussi ceux qui ont l’impact le plus fort sur l’environnement. En résumé, un unique modèle alimentaire fait coïncider deux objectifs différents, mais d’importance égale : la santé des personnes et la protection de l’environnement.

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3.1  la pyramide alimentaire comme instrument pédagogique Au cours de ces dernières années, le nombre de personnes qui peuvent choisir quoi et quand manger a considérablement augmenté. Toutefois, sans une culture appropriée, sans la divulgation de grandes orientations nutritionnelles, illustrées et concrètes, ces personnes risquent d’adopter des habitudes alimentaires déséquilibrées. Preuve en est la récente et galopante diffusion de pathologies dues à une alimentation excessive et médiocre. Le physiologiste américain Ancel Keys a été le premier à expliquer au monde pourquoi la population de certaines régions disposait d’une plus grande espérance de vie. Le secret de cette longévité résidait dans une consommation équilibrée de tous les aliments naturels, en privilégiant en fréquence et en quantité les fruits, les légumes et les dérivés des céréales, et en limitant celle des aliments riches en matières grasses saturées, des viandes et des desserts. Keys découvrit que grâce à ce régime (qu’il qualifia de “ méditerranéen ”), la mortalité cardiovasculaire des pays du sud de l’Europe et de l’Afrique du Nord était bien plus basse que celle des pays anglo-saxons et du nord, où l’alimentation était riche en acides gras saturés. Depuis, le régime méditerranéen a été malheureusement concurrencé sur ses propres terres par d’autres modèles, en particulier par les fast foods anglo-saxons. L’intérêt de la pyramide alimentaire est double : d’un côté, elle représente une excellente synthèse des principales connaissances validées par la médecine et les études sur l’alimentation ; de l’autre, c’est un outil pédagogique grâce à sa représentation graphique simple et intuitive. la base de la pyramide. On trouve à la base de la pyramide les aliments d’origine végétale, caractéristiques des habitudes alimentaires méditerranéennes, riches en éléments nutritifs (vitamines, sels minéraux, eau) et protecteurs (fibres, composantes bioactives végétales). En allant vers le haut, on rencontre des aliments à densité énergétique croissante (très présents dans les régimes alimentaires nord-américains) qui devraient être consommés avec modération. En allant du bas vers le haut, nous rencontrons en premier les fruits et les légumes, des aliments au contenu calorique réduit qui fournissent à l’organisme de l’eau, des glucides, des vitamines, des minéraux et des fibres. Leur apport en protéines et en matières grasses est peu important. Les glucides contenus par les fruits et les légumes sont surtout des sucres simples, facilement utilisables par l’organisme, et peu d’amidon. Les aliments d’origine végétale sont la principale source de fibres qui, en plus de régulariser la fonction intestinale, contribuent à apporter la sensation de satiété, ce qui aide à contenir la consommation d’aliments à densité énergétique élevée. En continuant notre parcours, nous trouvons les pâtes, le riz, le pain et les légumineuses. Les pâtes apportent beaucoup d’amidon, une quantité correcte de


la double pyramide  |  une alimentation pour le développement durable

protéines et presque pas de matières grasses. Le riz, comme toutes les céréales, contient lui aussi beaucoup d’amidon, peu de protéines et encore moins de matières grasses. Il renferme aussi de petites quantités de vitamines du groupe B et des minéraux. La pomme de terre fournit peu de matières grasses et de protéines, beaucoup d’amidon et de glucides. C’est l’une des sources les plus importantes de potassium, de phosphore et de calcium. Le pain est un aliment de première nécessité : il apporte à l’organisme la dose de glucides nécessaire à l’organisme humain pour produire de l’énergie. Les légumineuses, enfin, sont les aliments végétaux qui fournissent le plus de protéines (d’excellente qualité, car riches en acides gras essentiels et facilement digérables) et présentent aussi un contenu important en fibres. De plus, les légumineuses sont une bonne source de vitamines du groupe B (surtout B1, niacine et B12) et de minéraux comme le fer ou le zinc. Elles constituent une alternative valable à la consommation de viande. On trouve ensuite dans la pyramide l’huile d’olive extravierge qui est composée de triglycérides (riches en acides gras mono-insaturés), d’acides gras essentiels, de vitamine E, de polyphénols et de phytostérols (qui jouent un rôle protecteur pour l’organisme humain). Toujours en remontant, on rencontre le lait et le yaourt. Le lait est composé de 90 % d’eau dans laquelle sont diluées des protéines de haute valeur biologique, des matières grasses saturées à chaîne courte facilement digérables – la plupart d’entre elles sont aussi riches en graisses animales qui favorisent l’augmentation du cholestérol plasmatique et doivent donc être consommées avec modération – et des glucides (en particulier le lactose, formé de galactose et de glucose). Les principales vitamines du lait sont les vitamines A, B1, B2, B12 et l’acide pantothénique. Le lait est aussi la principale source de calcium. Le yaourt, comme le lait, est un aliment à valeur nutritionnelle élevée, plus digeste pour les personnes intolérantes au lactose en raison de la présence de lactase bactériologique. la seconde partie de la pyramide. Un groupe fourni d’aliments variés – les fromages, les viandes blanches, le poisson, les œufs et les biscuits – se situe au niveau supérieur de la pyramide. Les fromages contiennent des protéines et des graisses, et une quantité quasi nulle de glucides. Leur contenu en calcium, sous une forme particulièrement biodisponible, apporte une notable contribution à la satisfaction des besoins de l’organisme à ce niveau. Les vitamines du groupe B sont présentes en petites quantités, la vitamine A est plus abondante. Le poisson contient des protéines particulièrement intéressantes et des quantités variables de graisses, jusqu’à 10 % de son poids. Les matières grasses des poissons contiennent des acides gras polyinsaturés, qui appartiennent à la catégorie des acides gras essentiels, en particulier à la famille des acides gras oméga-3, qui

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prévient l’apparition des maladies cardiovasculaires. Les protéines des œufs ont une valeur biologique tellement élevée que pendant de nombreuses années, la composition protéique de l’œuf a constitué le point de référence pour évaluer celle des autres aliments. Les biscuits sont faits de plusieurs ingrédients, et leur valeur nutritionnelle et énergétique est extrêmement variable. En général, leur contenu en sucres simples est assez élevé, tandis que leur contenu en matières grasses varie beaucoup, entre 9 et 25 %. La consommation de viande, en particulier de viande maigre, est importante car cet aliment fournit des protéines essentielles à la croissance et à la formation des muscles. Près de la moitié des protéines de la viande est constituée d’aminoacides vitaux pour l’organisme humain. On trouve aussi des vitamines du groupe B (la vitamine B12 en particulier), le sélénium, le cuivre et le zinc. La proportion de matières grasses varie selon le type de viande entre presque 0 % et 30 % ; ce sont principalement des acides gras saturés et mono-insaturés. Il faut donc consommer de préférence des viandes blanches et limiter la consommation de viandes rouges, ainsi que l’illustrent les nombreuses versions de la pyramide alimentaire. Tous les instituts de recherche nationaux et internationaux les placent en effet au sommet de la pyramide, avec les desserts et sucreries, riches en matières grasses et en sucres simples. 3.2  quelques études sur le régime méditerranéen L’analyse de plusieurs études de référence conduit à la conclusion selon laquelle l’adoption d’un régime alimentaire inspiré du régime méditerranéen est un facteur protecteur contre les maladies chroniques les plus répandues (les maladies cardiovasculaires et tumorales, mais aussi la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer). Ce modèle alimentaire – adopté par le BCFN pour la construction de sa pyramide – est caractérisé par : •   une consommation importante de légumes, légumineuses, fruits frais et fruits secs, huile d’olive et céréales (complètes de préférence) ; •   une consommation modérée de poisson, de produits laitiers (en particulier de fromage et de yaourt) et de vin ; •   une consommation limitée de viande rouge, viande blanche et graisses animales. Les habitudes alimentaires propres au régime méditerranéen sont conformes aux recommandations nutritionnelles émises par les institutions scientifiques internationales spécialisées dans les pathologies modernes que sont les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète. Les études qui étayent ce que nous venons d’affirmer sont nombreuses. La valeur nutritionnelle du régime méditerranéen a été démontrée par l’étude


paysages agricoles : tokyo

La culture de variétés alimentaires dans des sites industriels est en train de devenir une réalité au Japon. Le vieillissement de la population active agricole est en effet préoccupant : l’âge moyen est de 65 ans et les moins de 40 ans représentent seulement 5 %. La production agricole en conditions contrôlées permet aussi de stabiliser les quantités et la qualité du produit.


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figure 3.2 La représentation graphique des conseils alimentaires de l’USDA Source : USDA, 2011.

bien connue de Keys dite des “ sept pays ”, qui comparait les habitudes alimentaires de différentes populations pour en identifier les points forts et les faiblesses. L’étude mit en évidence les associations entre typologie de régime et risque d’apparition de maladies chroniques, Elle découvrit aussi qu’un niveau élevé d’acides gras saturés et de cholestérol dans le sang représente un facteur en mesure d’expliquer les différences de taux de mortalité et de prévoir les futures maladies coronariennes chez les populations analysées. Depuis l’Étude des sept pays jusqu’à aujourd’hui, plusieurs recherches ont analysé les caractéristiques et les associations entre habitudes alimentaires et apparition de maladies chroniques. À partir de la moitié des années 1990, un autre axe de recherche s’est développé, portant sur la corrélation entre longévité et régime alimentaire. Une recherche dans la base de données scientifique PubMed – sur un laps de temps limité à trois mois – donne 70 publications ayant pour thème principal le régime méditerranéen. Ces publications présentent les résultats d’études cliniques ou épidémiologiques dans lesquelles le régime méditerranéen est étroitement corrélé à des bénéfices mesurables pour la santé. Citons à titre d’exemple une amélioration des conditions métaboliques, des effets préventifs des pathologies cardiovasculaires, des pathologies neurologiques ou psychiatriques (la maladie d’Alzheimer), des maladies respiratoires ou allergiques, des troubles de


la double pyramide  |  une alimentation pour le développement durable

la sexualité aussi bien féminine que masculine (dysfonctions érectiles), de certaines pathologies oncologiques. Une étude européenne récente de vaste envergure, EPIC, a fourni à ce propos des conclusions intéressantes. EPIC a porté sur plus d’un demi-million d’Européens sur une durée de neuf ans. Elle a démontré que l’observance du régime méditerranéen a pour conséquence une réduction significative (-33 %) du risque de développer un carcinome gastrique. Enfin, la littérature scientifique souligne l’impact positif du régime méditerranéen sur tous les âges de la vie, de la période in utero jusqu’à la vieillesse. de la pyramide à l’assiette. Un grand effort au niveau international est actuellement fait pour rendre les informations fournies par la pyramide alimentaire plus accessibles et plus concrètes. Le Département de l’agriculture américain (USDA) a par exemple traduit graphiquement le contenu de la pyramide alimentaire en une “ assiette ” (figure 3.2). Au-delà des modalités de représentation graphique des conseils alimentaires, une conclusion s’impose : les recherches scientifiques sur la relation entre alimentation et maladies chroniques qui font référence affirment, sans aucun doute possible, que le modèle méditerranéen doit être considéré comme le point de référence d’une alimentation correcte. Évidemment, des modes de vie sains devraient lui être associés. La figure 3.3 fait la synthèse de ces recommandations en matière de pathologies cardiovasculaires, tumorales et diabétiques.

alimentation et mode de vie sains Faire 30 min d’activité physique tous les jours

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5 Adopter un régime alimentaire équilibré

Consommer 2-3 portions de poisson par semaine

Limiter la consommation de viande et de volaille à 3-4 portions par semaine

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Éviter les situations de surpoids ou d’obésité

Augmenter sa consommation de fruits et légumes

Préférer les condiments d’origine végétale

Ne pas saler exagérément les aliments

figure 3.3 Synthèse des recommandations Source : BCFN, 2009.

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Limiter la consommation d’alcool Préférer les glucides complexes et manger davantage de céréales complètes Limiter la consommation d’aliments à forte teneur en matières grasses Limiter la consommation d’aliments et de boissons sucrés

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Ne pas fumer

Augmenter la consommation de légumineuses

Limiter la consommation d’aliments frits

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16 Éviter l’utilisation quotidienne de compléments alimentaires

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entretien  lorsqu’on contrôle l’alimentation, on contrôle la démocratie

Vandana Shiva

Vandana Shiva est la fondatrice de Navdanya, un mouvement pour la protection de la biodiversité et des droits des agriculteurs. Elle a fondé et dirige la Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy, dont la mission est de s’attaquer aux problèmes sociaux et économiques les plus préoccupants en collaborant avec les communautés locales et les mouvements sociaux. Vandana Shiva a aussi apporté son expertise au gouvernement indien, à d’autres pays, et à des ONG comme l’International Forum on Globalisation, Women’s Environment and Development Organisation et Third World Network.

Un milliard de personnes affamées, deux milliards de personnes malades, une planète en mauvais état (l’eau et la biodiversité disparaissent, le climat change, les sols se dégradent...) : tous ces facteurs sont reliés entre eux par un modèle agricole qui néglige les soins dus aux personnes et à la terre en mettant au centre de ses préoccupations les profits qui dérivent de l’exploitation des ressources naturelles. Les petits agriculteurs ne réussissent pas à survivre, puisqu’ils font partie des nouveaux expropriés. Ou s’ils réussissent à cultiver la terre, ils s’endettent et vendent ce qu’ils produisent. Le résultat ? Sur le milliard de personnes qui souffrent de la faim, la moitié sont des producteurs. Le système alimentaire mondial a oublié que ce que nous mangeons doit avoir une valeur nutritionnelle, il finit par produire des aliments inadaptés, qui incitent à la “ malbouffe ”, elle-même à l’origine de diverses pathologies. Ce même système exploite l’eau sans en assumer les coûts, provoque l’extinction des espèces animales et végétales, relâche dans l’atmosphère 40 % des gaz à effet de serre qui ont entraîné le réchauffement de la planète. Les profits détruisent les aliments, la Terre, nos agriculteurs et notre santé. Les profits sont devenus une obsession.

Une fois ce constat posé, quelle approche les pays en voie de développement doiventils adopter envers l’agriculture, pour éviter que la situationne s’aggrave ? Les pays que nous qualifions “ en voie de développement ” sont ceux qui n’ont pas connu la première révolution industrielle. La plus grande partie de ces pays, y compris la Chine et l’Inde, est constituée de petits agriculteurs. C’est le cas en Afrique et en Amérique latine. Ces petits agriculteurs représentent notre capital social, car les petites entreprises agricoles sont celles qui produisent le plus. Si nous nous mettons à imiter l’agriculture industrielle à grande échelle des multinationales occidentales, non seulement nous détruisons nos agriculteurs, mais nous compromettons aussi notre sécurité alimentaire. Les pays en voie de développement sont situés dans les régions du monde qui présentent la plus grande biodiversité. Nous devons prendre conscience que c’est là que réside notre capital, non dans les prêts financiers des banques qui finissent par prendre nos


entretien  |  une alimentation pour la culture

terres, non dans les technologies qui, comme l’ingénierie génétique, se sont déjà avérées des échecs. Nous devons respecter notre terre, nos agriculteurs et les nombreuses connaissances séculaires dont ils sont dépositaires et qui ont fait leurs preuves. C’est d’ailleurs la position défendue par le rapport de l’IAASTD, l’International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development. La révolution verte ou l’ingénierie génétique ne règlent pas le problème de l’accès à la nourriture. C’est l’agroécologie, étroitement associée aux connaissances indigènes, qui permettra d’augmenter la production tout en préservant les ressources. Les femmes ont-elles un rôle spécifique à tenir dans ce processus ? Les femmes ont un rôle particulier à tenir pour deux raisons. La longue histoire de l’agriculture, qui nourrissait les personnes sans les rendre obèses et sans causer d’épidémies de diabète, est l’histoire d’un système agricole et alimentaire dans lequel les femmes occupaient une place centrale et étaient les gardiennes de la connaissance. C’est donc aux femmes qu’il faut s’adresser pour savoir comment retrouver une alimentation saine et équilibrée. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place avec l’association Navdanya la Grandmothers’ University (l’université des grands-mères), pour réapprendre à respecter la nourriture. Par ailleurs, le système agricole qui crée tous ces problèmes – un milliard d’affamés, deux milliards d’obèses – est un système qui naît de la guerre. Les substances agrochimiques ont été mises au point durant la guerre. Ce système est issu de ce que j’appelle la mentalité patriarcale, qui voit l’homme comme un dominateur, un conquérant. Ce modèle ne convient pas au système alimentaire. Nous avons besoin de la non-violence, de la diversité et de la plurifonctionnalité que les femmes peuvent conférer à l’agriculture. Vous avez dit un jour que celui qui prend possession de notre système alimentaire s’approprie également notre démocratie. Qu’entendez-vous par là ? Kissinger affirmait que lorsqu’on contrôle les armes, on contrôle les gouvernements. Lorsqu’on contrôle la nourriture, on contrôle les gens. Aujourd’hui, le contrôle de la nourriture passe par le contrôle des semences. Monsanto est le protagoniste absolu dans ce domaine. Le gouvernement américain, qui s’est terriblement appauvri en externalisant toute la production, touche maintenant des royalties sur les semences brevetées, privant les agriculteurs du Tiers-Monde de la démocratie, du droit d’utiliser leurs propres semences, privant le monde entier du droit de choisir quels aliments cultiver et de savoir ce qu’ils contiennent. La démocratie alimentaire implique de disposer de la souveraineté et de

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la liberté des semences. Il faut donc s’opposer aux brevets des semences et soutenir la possibilité de cultiver ses propres aliments. Ceci signifie défendre les petits agriculteurs et mettre un terme au système pervers des subventions aux importations – qui s’élèvent à 400 milliards de dollars – qui fournit à l’agriculture industrielle un avantageunique. Enfin, nous devons être beaucoup plus attentifs aux aliments que nous mangeons et à leur provenance. La démocratie commence dans l’assiette.




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