Retrouver sa libérté intérieure

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

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D i e u

P r é s e n t s

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M o n d e

B I M ESTR I EL DE L A COM M U NAUTÉ DE VI E CH RÉTI EN N E ET DE SES AM IS – Nº 54 – J U I LLET/AOÛT 2018

Le visage de l’Église selon le Pape François Le Sabbat

Retrouver sa liberté intérieure


Sommaire

Directrice de la publication : Brigitte Jeanjean Rédactrice en chef : Véronique Westerloppe Secrétaire générale de rédaction : Éléonore Veillas Comité de rédaction : Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Thérèse Michel Geneviève Roux Éléonore Veillas Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Claire Maillard Étienne Taburet Martine Ranson Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © TongRo Images Inc / TongRo Images

Prochain dossier : Européens, agir ensemble Sortie Septembre 2018 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE

l’air du temps Vivre avec les musulmans ? P. Vincent Feroldi chercher et trouver dieu

Retrouver sa liberté intérieure Témoignages L’attention : ressort de la vie intérieure Jean-Guilhem Xerri Conduits par l’Esprit Geneviève Delhomme Ignace et la liberté intérieure Olivier de Framond s.j. se former Contempler une œuvre d’art : Ciel à Honfleur de Nicolas de Staël École de prière : Prier avec la création Eric Carreel Expérience de Dieu : En union de prières pour le monde Marie-Claire Revel Lire la Bible : Le sabbat ou le septième jour Claire Le Poulichet Spiritualité ignatienne : Le visage renouvelé de l’Église selon le pape François Giuseppe Riggio s.j. Question de communauté locale : Le bilan : pour quelle croissance ? ensemble faire communauté Une parole à méditer Quelles relations à la justice ? Une communauté en croissance Accompagner la souffrance à la manière ignatienne Témoin du vivant et don pour le monde Européens en marche vers l’Assemblée mondiale babillard billet Cette envie d’aider Denis Corpet prier dans l’instant En dirigeant des travaux Dominique Pollet Retrouvez-nous sur

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Éditorial

se reposer et nourrir ses racines

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© Evgenyatamanenko / iStock

L’été est là. C’est le temps des vacances, du changement d’activités et du repos dans le meilleur des cas. Nous vous proposons pendant ces deux mois un dossier pour « Retrouver sa liberté intérieure » et tirer profit de ce temps pour un renouvellement et une recréation de tout notre être. Être libre pour rencontrer Dieu et les autres en profondeur ou encore prendre une décision fondatrice pour notre vie pendant ce temps béni de l’été. La rubrique Lire la Bible sur le thème du sabbat nous invite, elle aussi, à sanctifier le temps et à restaurer la vie : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat ». Tels sont l’enseignement et l’appel du Christ à faire grandir la Vie pendant le temps du repos. Dans un même mouvement, l’École de prière nous invite à prier avec la création à l’école de Pierre Teilhard de Chardin, en une méditation guidée sur un extrait du texte La Messe sur le monde.

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L’été est aussi l’occasion de se former : c'est l'objectif de la rubrique Spiritualité ignatienne. Dans celle-ci, Giuseppe Riggio s.j. développe pour nous les grandes lignes du « style » du pape François et du renouvellement de l’Église qu’il appelle de ses vœux pour le monde d’aujourd’hui. Enfin, du 22 au 31 juillet, la Communauté va vivre son Assemblée Mondiale : « La CVX, un don pour l’Église et le monde » ; l’équipe des délégués allemands nous raconte, dans les pages Monde, son cheminement de préparation vers ce grand moment. Bel été sous le signe de la liberté intérieure !

Véronique Westerloppe redaction@editionsviechretienne.com

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L'air du temps

vivre avec les musulmans ?

Dans un contexte de pluralisme religieux et culturel, s’approcher de l’autre suscite parfois de la méfiance. Connaissons-nous suffisamment les musulmans de France ? Le Père Vincent Feroldi nous donne quelques clés de discernement pour aller à la rencontre de ces croyants.

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P. Vincent Feroldi, Directeur du Service national pour les relations avec les musulmans à la Conférence des évêques de France.

1. Il dit en effet : « C’est un signe particulièrement réconfortant de notre temps que les croyants et les personnes de bonne volonté se sentent toujours plus appelés à coopérer à la formation d’une culture de la rencontre, du dialogue et de la collaboration au service de la famille humaine. Cela requiert plus qu’une simple tolérance. Cela nous stimule à tendre la main à l’autre dans une attitude de confiance réciproque et de compréhension, pour construire une unité qui intègre la diversité non comme une menace, mais comme une source potentielle d’enrichissement et de croissance. Cela nous incite à nous exercer à l’ouverture du cœur, de manière à voir les autres comme un chemin, non pas comme un obstacle ».

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Dans son encyclique Ecclesiam Suam du 6 août 1964, Paul VI écrivait : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation » (§ 67). Quelque cinquante ans après, le 1er décembre 2017, lors d’une rencontre interreligieuse, le pape François parla à Dhaka, au Bangladesh, d’une « ouverture du cœur », condition pour une « culture de la rencontre » 1. Évoquer en exergue les propos de ces deux papes au moment où nous nous posons la question : « Vivre avec les musulmans en Europe et en France en particulier ? » n’est pas anodin car, reconnaissons-le, le point d’interrogation de la question laisse supposer qu’il y a une autre question sous-jacente : « Est-ce possible ? » N’oublions pas quelques éléments fondamentaux de la foi chrétienne, à savoir que nous sommes des êtres en relation, des êtres de relation, que tout être est notre frère ou sœur en humanité, que la Terre a été confiée à l’homme, créé à l’image de Dieu et qu’il lui revient de la préserver 2.

Dans cette existence commune, les peuples se constituent en nations et lient leurs destins. Au fil des siècles, entre déclarations de guerre et traités de paix, des alliances se font, des fédérations se créent, des unions naissent, comme les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne. Aujourd’hui, avec le développement des moyens de transport, l’omniprésence des réseaux sociaux dans nos vies et l’essor des nouvelles technologies, la terre est un village. La diversité des cultures et le pluralisme religieux sont repérables par tous. La question des identités est devenue première. Chacun cherche à savoir qui il est et quelles sont ses solidarités. Définir l’autre n’est plus évident et, souvent, il sera défini par ce qu’il n’est pas ou par ce qu’il a de différent de moi.

quelle vision du vivre ensemble ? Or, se poser la question du « vivre avec les musulmans », c’est mettre la question de la religion en premier. Est-ce si simple ? Quand nous parlons de musulmans, pensons-nous à une foi parmi d’autres, à un mode de vie ou à une organisation de la société ? Sommes-nous attirés par

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un passage scripturaire coranique ou mystique, ou par des textes juridiques et la charia, par des rites religieux ou par des questions de nourriture ou de vêtements ? Sommes-nous dérangés ou non par la manière de vivre de jeunes issus de l’immigration maghrébine, par la construction d’une mosquée ou par la répétition d’attaques terroristes, en France et à l’étranger ? Ne sommes-nous pas avant tout inquiets de la montée de l’indifférence religieuse, de la perte de la foi chrétienne chez beaucoup de nos concitoyens et de la présence de plus en plus voyante d’une religion autre que la nôtre ? Il est donc judicieux d’avoir toujours présent à l’esprit que nous devons réfléchir à ces questions du vivre ensemble comme citoyens et croyants et que, derrière le « ensemble », se présentent différentes façons de le vivre : avons-nous une vision communautariste, individualiste, pluraliste, pluriculturelle ou pluricultuelle de la société ? Avons-nous aussi le souci de distinguer des réalités, différentes mais très liées, à savoir l’islam, l’islamisme, l’islam politique, l’islam spirituel, l’islamisme djihadiste…?


© SonerCdem / iStock

Les musulmans sont divers et nombreux : entre 1,6 et 1,9 milliard. Quel est celui que nous connaissons et côtoyons ? En avons-nous peur ou sommesnous déjà en train de tisser des liens avec lui ? Que souhaitonsnous vivre avec lui à l’avenir ? Voulons-nous nous enrichir mutuellement ? Sommes-nous prêts à agir avec lui dans des actions de solidarité et de citoyenneté ? Un ami musulman me disait récemment : « On ne parle que des 20 % qui posent problème. Or 80 % des musulmans vivant en France n’aspirent qu’à témoigner paisiblement de leur foi. Ils sont des citoyens comme les autres, heureux d’être dans l’Hexagone ». Ils désirent que leur culture soit

prise en compte et s’exprime au cœur même de ce beau tissu de valeurs communes que les personnes vivant en France ont tissé ensemble, depuis des siècles, et que beaucoup souhaitent élargir à la dimension européenne. Estce aussi notre attente ? Le défi que nous avons à relever est du même ordre que celui que le Christ a révélé lors de son dernier repas en lavant les pieds de ses disciples : nous faire les uns les autres les serviteurs de celui qui s’est fait notre prochain. Pour nous, présentement, ce prochain est celui qui témoigne de cette foi musulmane, chemin d’adoration du Créateur des mondes, le Tout Miséricordieux.

Allons à sa rencontre ! Ouvronslui notre cœur et écoutons la parole qui surgit de son cœur ! Recherchons ce qui nous unit ! N’hésitons pas à agir, main dans la main, pour promouvoir une culture de la rencontre et de la fraternité dans l’accueil des plus démunis !

2. Le pape François déclare : « Sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral » (Laudato Si’, § 13).

Dans le quotidien, le Christ nous donne rendez-vous ! Si Dieu s’est fait homme pour se révéler à nous, c’est bien pour que nous mettions la fraternité humaine au cœur même de notre vie de chrétien, habité de l’Amour de Dieu, Amour fou et démesuré ! P. Vincent Feroldi

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Chercher et trouver Dieu

retrouver sa liberté intérieure La liberté intérieure peut être le fruit d’un exercice quotidien sans cesse renouvelé au cœur d’une vie professionnelle bien remplie comme en témoigne Marc (p. 11) ou encore le résultat d’une prise de décision importante comme le raconte Valérie (p. 10). Elle a été source, chemin de vie et d’engagement pour Géraldine (p. 8), une fois entrée dans la vie religieuse et pour Jean (p. 9), à la suite d’une semaine d’Exercices spirituels. Tandis que le Contrechamp (pp. 12-13) offre le regard et l’expérience des Pères du désert sur les ressorts de l’intériorité et ses maladies, toujours d’actualité, la rubrique Repères ignatiens (pp. 16-17) présente la nature, les clés et les conditions de la liberté intérieure pour Ignace de Loyola. Enfin, saint Paul, dans l’Éclairage biblique (pp. 14-15) nous oriente sur la vraie liberté des enfants de Dieu, fruit d’un combat spirituel qui nous conduit à choisir entre la « chair » et « l’Esprit ».

TÉMOIGNAGES Des voyages à la sédentarité. . . . . . . . . . . . . . . 8 Libéré par le Seigneur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Quitte et va… ne crains pas. . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Entreprise, comment garder sa liberté intérieure ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

© Vitalalp / iStock

CONTRECHAMP L’attention : ressort de la vie intérieure. . . . . . . . .12

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Conduits par l’Esprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14 REPÈRES IGNATIENS Ignace et la liberté intérieure . . . . . . . . . . . . . .16

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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . . .19

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

des voyages à la sédentarité Géraldine aimait beaucoup la liberté que lui procuraient les voyages. Entrée à La Xavière1, elle est devenue sédentaire. Ce changement d'état l’a conduite à se laisser guider par l’Esprit pour découvrir que c’est cette vie-là qui la comblait.

1. La Xavière est une congrégation religieuse apostolique de spiritualité ignatienne.

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Mais, une fois franchi le pas, il m’a bien fallu admettre que l’esprit du monde demeurait prégnant à

l’intérieur de cette vie que j’avais choisie… ! C’est donc à l’intérieur qu’il fallut désormais porter le fer pour apprendre à vivre libre pour le Christ. Je n’ai pas porté le fer moimême… les événements s’en sont chargés. Pour ne prendre qu’un exemple, je repartirai de mon rapport aux voyages. J’avais pris l’habitude, en famille, des déménagements fréquents. C’était à chaque fois une aventure et c’était devenu un fonctionnement. Et voilà que la vie à la Xavière m’apprit à devenir plus sédentaire.

© Littlehenrabi / iStock

2. Je suis partie en coopération avec la Délégation catholique pour la coopération au Tchad de septembre 2001 à août 2003. C’est là que j’ai rencontré les xavières.

La liberté m’était chère avant d’entrer à La Xavière. Elle avait pris pour moi la forme des voyages et d’un goût pour les larges horizons. Lorsque j’ai découvert la vie religieuse apostolique au Tchad 2, je l’ai vite aimée : il soufflait là un vent de liberté joyeuse en dépit de la dureté des conditions de vie. Cette liberté m’a attirée : une liberté par rapport à l’esprit du monde, un être dans le monde sans être du monde…

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 54

Durant le noviciat, qui était en région parisienne, nous avions deux stages à faire hors du noviciat. J’ai eu à les vivre à Paris quand d’autres partaient pour le sud de la France ou même pour la Côte d’Ivoire ! Un premier émondage bien réel… Quelques années plus tard, il fallut renoncer au projet de partir dans une communauté à l’étranger : je butais devant un impossible… Un comble ! Ce fut le début d’une traversée profonde. Ce fut peut-être l’occasion favorable de la révolution copernicienne dont m’avait parlé quelques années plus tôt un ami dominicain. Je reçus dans cette épreuve la grâce de sentir que c’était la meilleure des choses qui pouvait m’arriver. Ce fut un passage : passage d’une manière de fonctionner qui avait fait son temps à l’appel à se laisser mener par l’Esprit. À la veille des vœux définitifs, c’est cette vie sous l’Esprit que je contemplais en Jésus. J’en reçus une grande joie : là était la vie que je désirais vivre. Géraldine


libéré par le seigneur

Jean a fait une expérience forte de libération intérieure lors d’une semaine d’Exercices spirituels. Il témoigne que cela a transformé sa vie et l’a mené sur un chemin d’épanouissement, l’ouvrant davantage aux autres.

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« Il me faut aujourd’hui demeurer chez toi ». Cette phrase de Jésus, je l’ai reçue en CL lors d’une journée CVX il y a longtemps. J’étais artisan avec des journées de travail très longues.

J’ai ressenti cette attention particulière de Dieu à mon égard. Oui, il voulait demeurer chez moi ! Depuis j’aime à dire que je construis mon puzzle intérieur pour y voir le projet de Dieu sur moi.

Comment mieux mettre Dieu dans ma vie et être disponible à ses appels ?

Et voilà que je suis appelé par CVX à m’inscrire à la formation Emmaüs pour deux ans sur Lyon. Je réponds favorablement. Ce chemin de formation constitue pour moi un véritable épanouissement à la spiritualité ignatienne. De plus, je participe mieux à la vie communautaire de ma région. En un mot, je suis bien avec saint Ignace !

Combien de fois ai-je entendu en réunion de CL : « Tu verras à la retraite tu vas pouvoir sortir de ta chrysalide ». Ce temps arrive enfin en 2014 et fin mai 2015, j’arrive à Vanosc en Ardèche pour une première semaine d’Exercices spirituels. Pendant ce temps désiré, qui a été un vrai bouleversement dans ma vie, j’ai découvert combien j’étais aimé de Dieu. Cette relecture de vie avec mon accompagnatrice a ouvert mon cœur à Jésus. Il était là présent, lors d’un temps fort en milieu de semaine où j’ai été foudroyé d’Amour en écrivant cette prière : « Tu es ma force Seigneur et la lumière que je désire. Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Je venais d’être purifié et unifié à la fois, je me suis senti libéré enfin !

Ce chemin que Dieu me trace, je le discerne en moi et naturellement, je demande à faire mon

engagement au sein de la CVX. J’y ai prononcé ces paroles : « Je te remercie Seigneur pour ton appel qui m’a mis en chemin avec l’aide de la CVX, je te remercie pour la transformation qui depuis lors a eu lieu dans ma vie ». En relisant tout cela, je découvre aujourd’hui que je suis plus enclin au dialogue, dans le cœur à cœur en vérité simple et aimante avec ceux que Dieu met et mettra sur ma route. Et je retiens cette phrase de saint Ignace reçue en formation qui me donne de la joie : « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie l'âme, mais de sentir et goûter les choses intérieurement ». Jean

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

quitte et va… ne crains pas Un travail de discernement, porté par la prière, a aidé Valérie dans une décision difficile : abandonner un bien de famille pour se rapprocher des siens.

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Un jour, lors d’un enterrement, j’ai lancé à des parents présents : « Quand venez-vous à J. ? » où je possède un appartement de famille. Chacun s’est excusé : garde des petits-enfants, d’une maman de 95 ans, voyage « trop long, trop cher »… La tristesse a surgi : « S’ils avaient vraiment le désir d’être avec moi, ils viendraient »… J’ai remis cela au Seigneur. Et j’ai commencé à considérer les choses d’un autre regard.

J’ai prié aussi avec Abraham : « Quitte tes racines… et va ». Ce qui me retient à J : une histoire familiale, du soleil. Mais tout cela ne nourrit pas une vie ! Petit à petit, les raisons de vendre m’apparaissaient de plus en plus pertinentes, mais des objections matérielles se dressaient : déménagement, démarches. Pourtant, j’entendais : « Va, ne crains pas »…

© Chochowy / iStock

Un appel à me rapprocher d’eux ? Qu’est-ce qui me retient à J. ? Faut-il que je garde l’appartement ? Et en vue de quoi ?

En priant le texte de l’Annonciation, j’ai été touchée par cette parole : « Ne crains pas »… « Tu enfanteras »… Appel à la confiance, promesse de fécondité, de vie nouvelle…

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D’où cette question : à mon âge, qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? Elle ne se limite pas à mon histoire familiale, elle s’incarne aujourd’hui dans l’accompagnement spirituel, l’animation de sessions de formation à l’accompagnement spirituel mais aussi le maintien d’un lien familial. En m'en remettant, à nouveau, au Seigneur, j’ai saisi une continuité – faire fructifier ce que mes parents m’ont transmis – et une rupture – ne pas m’attacher au passé, oser me mettre en route vers un lieu où je pourrai m’insérer dans une communauté ecclésiale et y servir avec mes talents. Aujourd’hui il me semble clair que c’est à V. que je vais aller, à proximité d’un centre spirituel plus proche de ma famille. Une perspective très consolante : en m’invitant à partir, Dieu me met à l’abri d’un repli sur moi. Il a agi en moi, m’incitant à oser un chemin de vie. Je reçois ce choix dans l’action de grâce et la paix. Il me reste à le mettre en œuvre. Valérie


entreprise, comment garder sa liberté intérieure ? Au travail, Marc témoigne qu’il est possible de mettre le Seigneur au cœur de sa vie professionnelle grâce notamment à la prière et à l’écoute de la Parole de Dieu.

Les missions sont passionnantes dans un milieu stimulant, mais l’environnement est favorable à l a d i s p e rs i o n e t a u x je u x politiques internes. Conserver l’enthousiasme dans cet environnement, loin des clients et des équipes pour lesquels on travaille, ne va pas de soi. Pour moi, cela passe par l’exercice sans cesse recommencé de mettre le Seigneur dans ma vie professionnelle, en reconnaissant ce terrain comme celui où je suis appelé chaque jour. Où je peux voir et partager du sens, distinguer l’accessoire de l’essentiel, conserver une liberté pour la rencontre, faire confiance, admirer la capacité d’une équipe à être le ferment dans la pâte et la richesse de l’action collective.

Pratiquement, j’essaie de remettre chaque journée dans les mains du Père, en profitant du trajet pour écouter sur Radio Notre Dame ou Prie en chemin l’évangile du jour et en prenant un temps avant de sortir de la voiture pour ne pas me précipiter dans le rush de la journée. Cela vaut aussi avant les réunions importantes. Les fruits sont souvent nombreux, en capacité d’écoute, de recherche de vérité et de consensus. Parfois, l’utilisation de certaines pratiques de CL, comme de vrais

tours de table sans interruption, peut transformer le climat d’une réunion. Bien sûr, tout n’est pas simple. Il me faut en particulier accepter que l’entreprise soit aussi un lieu de combat interne et assumer les jeux politiques pour la vision que l’on défend. Les réunions de CL sont l’occasion de relire aussi ma vie professionnelle, et malgré les imperfections de toute communauté humaine, de savoir rendre grâce: l’entreprise est aussi un lieu où se joue la Création. Marc

© Zoff-photo / iStock

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J’ai la chance de travailler dans une entreprise de services répondant à des besoins humains essentiels dans de nombreux pays. Après plusieurs années opérationnelles, je suis désormais au siège dans une équipe qui soutient le développement à l’international.

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

l’attention : ressort de la vie intérieure Pour les Pères du désert, l’homme peut tomber malade quand l’esprit, la volonté libre, ne conduit plus l’âme. Ils ont répertorié les « maladies de l’intériorité » qui gardent toute leur actualité. Au cœur de chacun, la liberté intérieure, portée par la volonté, doit s’exercer pour orienter l’attention et les pensées sur ce qui est beau et bon et pour le chrétien, sur le Christ. Explications de Jean-Guilhem Xerri.

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Comment retrouver sa liberté intérieure ?

Jean-Guilhem Xerri, Psychanalyste et biologiste médical, est l’auteur de Prenez soin de votre âme, Cerf, janvier 2018.

1. Les Pères du désert étaient des chrétiens qui vivaient dans les déserts de Mésopotamie, d'Égypte, de Syrie et de Palestine entre le IIIe et le VIIe siècle. Parmi eux, Athanase d'Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Antoine le Grand…

Il s’agirait tout d’abord de prendre conscience que nous avons tous une vie intérieure ! Notre société développe une vision de l’homme qui fait l’impasse sur son intériorité, l’enfermant dans des représentations matérialistes ou psychologisantes, alors qu’il trouvera son authentique liberté en étant attentif à ses dynamismes intérieurs qui sont de l’ordre du don, de la beauté, de la bonté, de ce qui peut l’émouvoir au-delà des mots, autrement dit, de ce qui est du côté du mouvement, de l’être et de la vie. Là où la raison trouve ses limites. Pour retrouver sa liberté intérieure, il me semble qu’il s’agit également pour l’homme d’identifier ce qui peut l’altérer. Nous pouvons nous rendre compte de notre vie intérieure par le biais de la souffrance. C’est ce que les plus grandes traditions spirituelles de l’humanité ont cherché à explorer et à guérir.

Dans mon dernier ouvrage Prenez soin de votre âme, je présente notamment la tradition des Pères du désert   1 . Dans les premiers siècles du christianisme, ils ont élaboré une classification de ces « maladies de l’intériorité », d’une extrême actualité. Ce qu’ils nomment par exemple « les avidités » sont très présentes dans notre société, qu’elles soient alimentaires avec les troubles de l’obésité ou encore sexuelles avec l’hyperconsommation pornographique. La dépression spirituelle qu’ils appellent « acédie » est une autre de ces maladies dont nous avons de nombreux symptômes : perte de sens, recherche permanente de distraction, rapport démesuré au travail… Pour les soigner, les Pères du désert ont développé une véritable « pharmacie de l’âme » qui peut aider nos contemporains. Prendre conscience de son intériorité, s’agit-il uniquement de

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vie spirituelle ou également de psychisme? Notre anthropologie aujourd’hui est incomplète. Nous parlons de maladies psychiques, de maladies de société parce que nous n’avons plus les mots pour dire ce qui se passe en l’homme. L’anthropologie des Pères du désert est extrêmement éclairante. Elle identifie trois composantes que sont le corps, l’âme et l’esprit. Elle les distingue mais elle montre bien l’articulation entre elles. Pour eux, certaines maladies du corps ou mentales sont liées à notre vie de l’esprit, c’est-à-dire à notre volonté libre. Tout l’enjeu est de savoir quel usage je vais faire de cette volonté libre. Dans certains cas, l’homme tombe malade quand l’âme n’est plus dirigée comme il convient par l’esprit. Les Pères du désert, comme d’ailleurs la psychologie cognitive moderne, insistent sur la place des pensées. Certaines sont bien


inspirées, d’autres mal inspirées. La question qui se pose à chacun est : « Qu’est-ce que je fais de ces pensées ? » C’est là où notre volonté est libre et doit s’exercer.

En actualisant la réflexion des Pères du désert sur les pensées qui traversent notre esprit, je parle dans mon ouvrage de perturbateurs de l’intériorité que sont le bruit, les images, la surconsommation, la survalorisation du narcissisme, mais également la dictature de la disponibilité permanente et l’hypersollicitation de notre attention. En se laissant aller à ces perturbateurs, l’homme s’expose à des addictions, à l’hyperactivité, au burn out ou encore à la fatigue intérieure. C’est ce que j’appelle le hold-up attentionnel qui entraîne aujourd’hui une explosion des souffrances intérieures. Notre attention est en permanence sollicitée, kidnappée par ces perturbateurs. Alors que l’enjeu serait de reprendre le contrôle de son attention car c’est là qu’en réalité s’exerce ma liberté. L’attention est la colonne vertébrale de notre équilibre intérieur. À quoi suis-je attentif ? Je peux être attentif à tous les bruits, à tous les projets, jusqu’à m’épuiser et ne plus habiter ma propre vie… Le résultat m’amènera à tomber malade. En revanche, je peux orienter mon attention sur le fait de poser des paroles, des gestes, des silences en conscience, ou plus exactement en présence.

© Peshkova / iStock

Comment prendre soin de son intériorité ?

Quels petits pas concrets peuton faire pour se disposer à retrouver sa liberté intérieure ?

m’interroger sur ma capacité à ne pas être toujours dans la parole, à laisser des silences s’installer dans une réunion ou dans un déjeuner, à ne pas me ruer le matin sur la radio ou le soir sur ma télévision. Je proposerais aussi de remettre de la continuité. Notre société nous incite à être multitâches, alors que neurologiquement il est prouvé que nous ne le sommes pas. Nous mobilisons une énergie mentale considérable qui fragilise la vie de l’esprit. Dans mon ouvrage, je parle aussi de sobriété, de revenir au juste nécessaire, ce qui permet de libérer mon attention sur le plan spirituel pour la recentrer sur ce qui a plus de sens pour moi.

Commencer par faire un auto-diagnostic et repérer quels sont mes perturbateurs. Puis, remettre de la lenteur dans ma vie, par exemple, en allant au métro, pour déjeuner ou dîner, de la lenteur pour parler ou conduire… Remettre du silence aussi. Je ne parle pas nécessairement d’aller le trouver dans un monastère mais de

Enfin, remettre dans la vie des temps de méditation. Cela peut être des longs temps ou plus courts comme une minute toutes les heures où je reprends contact avec mon corps, mes pensées, ma respiration. Il ne s’agit pas nécessairement de prières mais de me donner ces temps-là pour revenir à moi-même.

Dans l’anthropologie chrétienne, l’exercice de la liberté profonde est le fait d’orienter son attention sur ce qui nous fait grandir. Pour un chrétien, son attention est fondamentalement orientée vers la personne du Christ, comme la liturgie l’invite en restant les yeux fixés sur Lui. À partir de là, les choses intérieurement se simplifient. Mon intelligence est là pour chercher comment la présence du Christ se manifeste aujourd’hui dans le quotidien et mes désirs peuvent être un petit peu plus purifiés dans une perspective de salut.

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Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

conduits par l’esprit 13 Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez

été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair! Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. 14 Car la loi tout entière trouve son

accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 15 Mais, si vous vous mordez et vous

dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. 16 Écoutez-moi : marchez sous

l’impulsion de l’Esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire. 17 Car la chair, en ses désirs, s’oppose à

l’Esprit, et l’Esprit à la chair ; entre eux, c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. 18 Mais si vous êtes conduits par l’Esprit,

vous n’êtes plus soumis à la loi. GALATES 5,13-18 Traduction TOB

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© Sébastien Thébault / CC


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La lettre aux Galates a été écrite par Paul dans un contexte difficile au sein de la communauté chrétienne naissante. Des prédicateurs issus du judaïsme viennent semer le trouble en voulant imposer la loi mosaïque (dont la circoncision) aux fidèles d’origine païenne et les païens convertis n’ont pas tous abandonné leurs pratiques anciennes. Paul est donc amené à préciser ce qu’est la liberté des enfants de Dieu. Le verset 13 frappe fort. Tout est dit ! Après, il ne restera plus à Paul qu’à développer sa pensée. Quatre mots importants sont prononcés : la liberté, la chair, l’amour et le service. Dans l’Ancien Testament, la liberté est de l’ordre de la libération collective, comme l’affranchissement du peuple hébreu de l’esclavage : « Je suis le Seigneur, ton Dieu ; c’est moi qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Exode 20,2). Dans la lettre aux Galates, Paul, sans oublier celle-ci, invite à la libération d’un esclavage plus personnel. Cela résonne avec la pensée grecque qui exalte la liberté personnelle comme un bien précieux à conquérir en tentant d’accéder par soi-même au détachement face aux aléas de l’existence. Mais pour Paul, la liberté personnelle ne se conquiert pas à la force du poignet ; l’homme en est incapable : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » (Galates 5,1). C’est le salut en Jésus Christ qui nous libère d’une servitude intime. Seulement, cette liberté est sans cesse menacée par ce que Paul nomme « la chair ». La chair, au sens premier du terme, signifie notre condition de créature humaine; l’être humain est chair. Quand Jean écrit « le Verbe est devenu chair » (Jean 1,14), il signifie simplement que Jésus a pris notre condition terrestre, fragile et assujettie aux contraintes de ce monde. Mais ici Paul emploie le mot « chair » pour désigner ce qui, s’opposant à l’Esprit qui donne la vie, engendre le péché qui conduit à la mort (Galates 5,19-21). Cela comprend la Loi, quand elle devient un légalisme qui asservit le croyant (Galates 5,1-2).

Ainsi, celui qui vit selon l’Esprit, et non selon la chair, est animé par l’amour de Dieu et il est libéré du péché. Il peut alors se mettre librement, par amour, au service de ses frères (le texte grec emploie même le verbe « être esclave »), et cela à l’imitation de Jésus qui s’est fait serviteur (Jean 13,15). Les versets suivants vont préciser la pensée de Paul. Pour lui, quiconque aime son prochain accomplit parfaitement la Loi ; il n’a besoin ni de suivre les multiples prescriptions du judaïsme, ni même la circoncision. Paul, en disant que la Loi toute entière se résume dans le seul commandement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19,18), ne fait que suivre ce qu’a dit Jésus (Marc 12,31 ou Matthieu 22,39). Il prend soin d’avertir les Galates que, s’ils cèdent à tout ce qui ne va pas dans le sens de l’amour mutuel, ils courront mutuellement à leur perte. En chacun se joue un combat spirituel ; il faut choisir, on ne peut pas vivre à la fois selon la « chair » et selon l’Esprit. Paul appelle à se laisser conduire par le souffle de l’Esprit qui nous rendra libres. Geneviève Delhomme

points pour prier + Me mettre en présence du Seigneur et

lui demander la grâce de me laisser conduire par son Esprit, dans le concret de ma vie quotidienne. + Sentir ce qui me retient d’être libre aujourd’hui : un désir de pouvoir, d’argent, de confort, le souci de paraître, la soumission à des injonctions, règles ou pratiques familiales, amicales ou professionnelles... + Me rappeler comment la confiance en la grâce de l’Esprit a déjà pu, à certains moments, me faire expérimenter une liberté qui m’était soudain donnée. + Me demander ce que peut signifier, pour moi, me mettre au service du prochain par amour. juillet/août 2018 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ignatiens

ignace et la liberté intérieure Pour Ignace, la liberté intérieure est une disposition nécessaire à un juste discernement. Dans la décision, elle se conjugue à deux, entre celui qui est concerné et Dieu lui-même. Elle suscite l’altérité véritable. Olivier de Framond s.j. nous en décrit la nature, les conditions et la finalité à partir de la lettre d’Ignace à François de Borgia.

L Olivier de Framond s.j., jésuite au Centre spirituel Le Châtelard.

Retrouvez la lettre d'Ignace à François de Borgia sur : viechretienne.fr

La liberté intérieure, chez Ignace – on le voit dans sa lettre à François de Borgia –, est à la fois un chemin de disposition à la recherche d’une « plus grande gloire de Dieu » et un fruit de l’engagement sur ce chemin. François (1510-1572) est issu d’une grande famille catholique « pas très catholique » puisque sa mère est fille illégitime d’un évêque de Saragosse ! Charles Quint le marie à Eléonore, portugaise. Duc de Gandie, il sera père de 8 enfants. A 36 ans, il perd son épouse. Deux ans après, il entre dans la Compagnie de Jésus dont il sera le Préposé général à 55 ans. L’empereur souhaite qu’il soit fait cardinal. Le pape Jules III y semble favorable. Tous deux insisteront deux ans encore, jusqu’à ce que François, hésitant, y renonce définitivement. Ignace, à qui il demande conseil, n’a pas un « oui » réjoui, ni un « non » ferme. Quelle est la volonté de Dieu ? Il engage un discernement de trois jours et en fait part en juin 1552

à François, lui disant ce par quoi il est passé, sans nommer les arguments qui ont joué. Il demande à tous les frères de prier, jusqu’à la décision. Il éprouve tantôt des craintes à dire « non », tantôt le contraire. « Je manquais de liberté », dit-il, poursuivant le chemin jusqu’à une paix qui ne le quitte plus, signe d’une correspondance entre deux libertés, celle de Dieu et la sienne. La volonté de Dieu est pour lui que François renonce au cardinalat. Un fruit annexe laisse interrogateur : « J’ai pensé et je pense encore que ce fut la volonté de Dieu que j’adopte cette position, et d’autres une position contraire en vous conférant cette dignité, sans qu’il y ait la moindre contradiction ». Pas de contradiction ? En fait, pour une personne libre, la volonté de Dieu n’est pas un ordre extérieur implacable. « Elle a pu mouvoir l’empereur et le pape dans un autre sens à cause de raisons qui leur sont propres. » Elle se donne dans une relation

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où l’altérité a toute sa place, où chacun est accueilli et entendu comme il est. François, le concerné par la décision, désirera et choisira, lui, en pleine liberté « ce qui contribue davantage à une gloire de Dieu » (Principe et Fondement). Il en va de la vie de tous, lui-même, le pape, l’empereur, l’Église, les compagnons jésuites, les fidèles. La liberté intérieure s’adresse en « JE », quand nul ne s’approprie la volonté de Dieu.

CE QU’EST OU N’EST PAS LA LIBERTÉ INTéRIEURE Cette lettre le montre, une liberté intérieure n’est pas une emprise des émotions. Je peux pester contre des chefs de gouvernement, d’Église, de boulot. « Ces enfoirés ! Je les dérange et ils me virent, etc. ! » Je récrimine en moi qu’ils ne font pas la volonté de Dieu puisqu’ils ne font pas ce que j’estime bon. Le règne de l’émotionnel arrête l’avancée de la Vie. La liberté intérieure n’est pas non plus obéissance à une


La liberté intérieure consiste à « seulement bien faire son travail » et à susciter l’altérité véritable dans la relation aux autres et à tout le créé. Bien faire son travail, c’est prêter attention à la manière dont s’engagent les décisions. Il en va de la qualité de relation au Créateur et à la Création. Cette liberté fait exister François, l’empereur, le pape, les compagnons de Jésus à Rome, Dieu… Pour Ignace, la manière d’agir prime sur l’action elle-même. Car celle-ci est tournée vers « la fin », une « plus grande gloire de Dieu ». Elle engage un discernement, entre ce qui vient de Dieu et fait aller de l’avant et ce qui vient du Mauvais. Il s’agit, pour moi, de choisir la Vie. Discerner ce qui se passe en soi conduit à la paix, aux « verts pâturages ». C’est l’importance du « cadre » dans les Exercices spirituels : les conditions pour avancer davantage vers la Vie, une relation vivante à l’Autre. Ainsi l’annotation 6 invite l’accompagnateur à interroger l’exercitant sur son rapport au cadre s’il ne sent au-

cune « motion » : préparation de l’oraison, durée, horaire, manière de prier, etc. « Bien faire son travail » aide Dieu à se faire chair… jusqu’à ce que nous naissions vraiment au monde, lui avec nous, et nous avec lui.

dES CONDITIONS La première condition d’une liberté intérieure est ce courage à bien faire son travail, dans une non-appropriation de la volonté de Dieu. L’annotation 5 ajoute un cœur large et généreux, à tenir en tout temps, troublé ou paisible. L’annotation 20 pointe l’importance à s’engager entièrement sur ce chemin vers un pas, une parole, une action, qui auront des effets sur la vie du monde et de l’Église. Il y a à bien user de toutes ses facultés ; la raison a une bonne place dans la « première manière de faire élection selon le 3e temps » (ES 178-183). Une non-liberté intérieure de l’un rend plus difficile l’avancée de l’entourage vers une telle liberté. Veiller. La liberté intérieure sera toujours du côté d’un compagnonnage plus habité avec l’Ami, le Christ, en tout ce qui m’est donné, heureux ou amer, pour e n « t i re r p rof i t » e t c ho i sir d’accueillir avec Lui ce qui vient en confiance. Une règle « pour sentir avec l’Église », à

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extériorité sans échange, ni résignation devant cette extériorité. Elle est affirmation de soi quand je dis ce qui se produit en moi, pour en faire part aux personnes concernées. Sinon je suis dans l’appropriation de la volonté de Dieu. Elle est obéissance à l’Esprit, confiance en soi, en Dieu, en la vie, en des chemins toujours possibles où Dieu donnera son fruit. Pour Ignace, l’échec ou un chemin bouché à jamais n’existe pas.

▲ Saint Ignace de Loyola.

la fin des Exercices, dit : « Ce que je vois blanc, croire que c’est noir si l’Église hiérarchique en décide ainsi ». La liberté intérieure est un aboutissement d’une conversion de fond qui me fait entrer avec l’autre, le frère, le conjoint, l’Église, l’autorité, dans une relation vivante et vraie, jamais finie, même si je dois passer par des oppositions ou d’apparentes « contradictions », comme Ignace avec l’empereur et le pape. L’important : demeurer sur le Chemin. Olivier de Framond s.j. juillet/août 2018 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Je fais mémoire d’un moment de grande liberté intérieure. Dans quelles conditions l’ai-je vécu ? Quelle disposition cela m’a-t-il demandé ? Ai-je été acteur de ce moment ou bien l’ai-je reçu ? Quels mouvements ai-je ressentis ? M’ont-ils guidé vers plus de Vie ? En quoi cette expérience m’a-t-elle fait grandir ? • Pendant ce moment de liberté intérieure, ai-je recherché la volonté de Dieu ? Ai-je voulu sa plus grande gloire ? Me suis-je senti sur un chemin de conversion et de compagnonnage plus grand avec le Christ ? Comment ai-je tiré profit de cette expérience ? • Qu’est-ce qui dans mon comportement quotidien perturbe ma liberté intérieure ? Est-ce que je sais profiter de l’été pour ralentir le rythme et mettre du silence dans ma vie ? Que puis-je faire pour mieux me disposer à la prière et à la contemplation ?

À lire : • Libre pour se décider Jacques Fédry s.j., Éditions Vie chrétienne, 2010, 12 euros – De façon pédagogique, Jacques Fédry retrace l’itinéraire d’Ignace : un enchaînement de décisions prises à l’écoute de Dieu. De là, l’auteur dégage douze points de repère pour une libre décision. Ces repères condensent l’essentiel de la dynamique des Exercices spirituels et de la tradition ignatienne. Le lecteur est constamment invité à les confronter à son expérience personnelle pour en tirer profit. • L a liberté intérieure Jacques Philippe, Éditions des Béatitudes, 2002, 8,10 euros – Ce petit livre écrit dans un style simple et concret par le P. Jacques Philippe, membre de la Communauté des Béatitudes, veut montrer comment l’homme conquiert sa liberté intérieure dans l’exacte mesure où la foi, l’espérance et l’amour se fortifient en lui. Il met en lumière combien le dynamisme des « vertus théologales » est le cœur de la vie spirituelle et manifeste aussi le rôle-clé de la vertu d’espérance dans notre croissance intérieure. • Lumière au cœur de la nuit Alfred Delp, s.j., Éditions Vie chrétienne, 2014, 12,90 euros – Le témoignage qu’Alfred Delp, jésuite allemand, emprisonné par les nazis, nous offre est une réflexion très actuelle sur la résistance spirituelle. Les textes rassemblés dans cet ouvrage sont des lettres et méditations spirituelles écrites dans l’espoir que ses amis et les chrétiens allemands continuent le combat pour une Allemagne libre. Un itinéraire de discernement intérieur à découvrir.

À voir : • Amazing grace De Michael Apted, 2007 – L’histoire vraie du député William Wilberforce qui s’est battu pour faire abolir la traite négrière dans la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle. Le film montre son combat intérieur et le discernement qui l’ont amené finalement à gagner. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 54


© Bridgeman Images © Adagp, Paris, 2018

contempler une œuvre d'art

Ciel à Honfleur (1952) de Nicolas de Staël Voyez la lumière diffuse entre ciel sombre et ciel d’été, la ligne d’horizon inégale, hésitante, les taches de couleur, taches d’incertitudes, présence à peine décelable. Ici l’harmonie des camaïeux happe, fascine. L’intimité de l’artiste reste palpable. Il transmet par son couteau la pulsation de son intériorité. Nous sommes invités à entrer dans un processus de transfiguration de nos fragilités et des marbrures de notre quotidien, à laisser sourdre une parole de bénédiction.

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Se former

École de prière

prier avec la création

Le temps de l’été est propice à la contemplation. Nous vous proposons de prier avec la création à l’école de Teilhard de Chardin. À partir d’un extrait de la Messe sur le monde, voici une méditation guidée pour vivre le mouvement de la création vers le Créateur.

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Entrer en communion avec tout ce qui se vit dans le monde et avec l’immensité de la création est source de réunification personnelle. Étrangement, en nous rendant sensibles à cette immensité de Vie, nous ne nous perdons pas. Au contraire, nous sommes comme replacés avec justesse sur le chemin d’ensemble vers lequel est conduite toute la création. Ce grand mouvement habite la pensée du jésuite et paléontologue Pierre Teilhard de Chardin qui conçoit le monde, dans un courant d’évolution, de création, tiré par et vers le Christ Oméga. Prophète de notre temps, dès la première moitié du XX e siècle, Teilhard a senti que nous aurions à vivre aujourd’hui dans un contexte mondialisé de plus en plus interdépendant et dans un continuel échange d’informations.

1. L’extrait de la Messe sur le monde peut être magnifiquement entendu de la voix d’Edouard O’Neill s.j. dans le disque du jubilé 2006 « Amis dans le Seigneur, IHS jubilé » disponible sur Spotify, Itunes…

Nous proposons ici de prier avec un extrait de la « Messe sur le monde », texte que Teilhard a commencé à écrire sur le Chemin des Dames en 1917 et terminé en Chine. Cet écrit nous place au cœur de l’Eucharistie et de son préalable : il s’agit tous ensemble d’offrir ce que nous sommes pour, à l’issue, nous recevoir « Un ».

Prier avec tout ce qui se vit dans le monde Un matin ou un soir, seul, en famille ou avec des amis, face à une nature qui nous submerge par sa grandeur et sa beauté, par son travail immense et son éternel recommencement, prendre le temps de se poser. En ce moment particulier, assis sur la terre, sentir que notre corps se réunifie et s’unifie à ce qui nous entoure. Regarder ou deviner le soleil levant ou couchant là-bas. Retrouver l’émotion de la création immense en mouvement, en recherche et en transformation vers son Créateur. Et entendre l’invitation à nous rassembler avec toutes les forces du monde pour un Offertoire total. Lire le texte à voix haute, ou l’écouter 1. Vibrer. Le relire. Vibrer encore. Contempler ce mouvement du prêtre qui rassemble tout ce qui se vit, naît, se cherche, meurt dans le monde pour l’offrir au Christ. « Puisqu’une fois encore, Seigneur, dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la

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pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde. Le soleil vient d’illuminer, làbas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s’éveille, frémit, et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés. Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du globe et converger vers l’Esprit. Qu’ils viennent donc à moi, le souvenir et la mystique présence de ceux que la lumière éveille pour une nouvelle journée. Un à un, Seigneur, je les vois et les aime. […] Je les évoque, ceux dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants ; ceux qui viennent et ceux qui s’en vont ; ceux-là surtout qui, dans la vérité ou à travers l’erreur,


à leur bureau, à leur laboratoire ou à l’usine, croient au progrès des Choses, et poursuivront passionnément aujourd’hui la lumière.

Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l’aube nouvelle. Ce pain, notre effort, il n’est de lui-même, je le sais, qu’une désagrégation immense. Ce vin, notre douleur, il n’est encore, hélas ! qu’un dissolvant breuvage. Mais au fond de cette masse informe, vous avez mis un irrésistible et sanctifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l’impie jusqu’au fidèle : “Seigneur, faites-nous un”. » Sentir ce qui en nous, à la fois nous tire vers le Créateur, et en même temps nous rend plus en lien avec la création. Nous sentir aimés avec tous les aimés.

© Biletskiy_Evgeniy / iStock

Cette multitude agitée, trouble et distincte, dont l’immensité nous épouvante, cet océan humain, dont les lentes et monotones oscillations jettent le trouble dans les cœurs les plus croyants, je veux qu’en ce moment mon être résonne à son murmure profond. Tout ce qui va augmenter dans le monde au cours de cette journée, tout ce qui va diminuer, tout ce qui va mourir aussi, voilà, Seigneur, ce que je m’efforce de ramasser en moi pour vous le tendre ; voilà la matière de mon sacrifice, le seul dont vous ayez envie.

Nous pouvons aussi vivre une proposition complémentaire avec ce texte, et selon les mêmes préambules, prier avec toute la verticale de l’évolution : nous rendre sensible à toute la transformation de la matière, à la naissance du vivant, à l’évolution de l’humanité, des cultures, des arts, des sciences, des religions depuis

l’origine. Héritages. Et tout en ayant en nous ces héritages, goûter les ruptures qui se créent : la création poursuit son chemin, dans le creuset du monde, aujourd’hui, pour avancer vers son Créateur. Rendre grâce… Eric Carreel CVX

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Se former

Expérience de Dieu…

en union de prières pour le monde En participant à la mission du Réseau Mondial de Prière du Pape qui vise à diffuser largement, chaque mois, une intention proposée par le Saint-Père, Marie-Claire témoigne d'un chemin d'ouverture du cœur et de confiance en l’action de Dieu dans le monde.

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Depuis février 2011, je suis coordinatrice de l'équipe numérique du Réseau Mondial de Prière du Pape-France. Je relis cet engagement salarié comme une mission récapitulant tout ce qui a fait ma vie jusqu'à présent et me permettant un davantage avec le Seigneur.

© Smilcus / iStock

Si je ne connaissais pas cette œuvre de la Compagnie de Jésus, j’ai vite été interpellée par son

ouverture à l’Église universelle. À travers l’intention de prière mensuelle que le pape donne à son Réseau mondial, je pouvais me pencher vers mes frères et sœurs à l’autre bout de la planète, puis leur ouvrir mon cœur et me laisser toucher par leurs réalités. Jusque-là, happée par mon quotidien, j’avais connaissance des défis du monde mais je me sentais impuissante face à leurs réalités. Peu à peu, j’ai découvert

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la prière comme une action et j'ai expérimenté que prier ensemble en réseau mondial est efficace. Je ne me sens plus sans ressources face à ces défis (enfants-soldats, migrants, chrétiens privés de liberté religieuse ou persécutés, petits producteurs, corruption, commerce des armes…). Ma prière unie à celles de tant de millions de personnes dans le monde porte du fruit. Mystérieusement, je ne le vois pas nécessairement mais, dans la confiance, je prends ma part. Donner chair à ces intentions de prière, défis de l’humanité ou de la mission de l’Église, c’est la mission de l'équipe que je coordonne. Nous la traduisons en articles pour notre webmagazine : témoignages, prières, itinéraire spirituel, travail intérieur à partir d’une vidéo, contemplation d’une œuvre d’art, prière universelle pour les paroisses, affiches… En équipe éditoriale, nous prions puis nous nous mettons à l’écoute des paroles du pape à ce propos, avec parfois des extraits de textes du Magistère. Cela m’a permis de découvrir intérieurement la proximité,


l’humanité, la grande sagesse de notre Église. Nous poursuivons en partageant notre expérience, nos recherches, notre propre réflexion sur le sujet. Quand vient le choix des articles, nous avons le souci d’éclairer le défi du mois par une communication constructive. Nous mettons en lumière des actions positives, pour inspirer une approche active à nos lecteurs et les aider à entrer dans la prière à cette intention. Sans optimisme naïf, j’ai découvert que notre mission concourt à briser le cercle anxiogène de l’actualité qui donne l’impression que le mal est sans limites. Nous sommes attentifs à ce qui ouvre à l’espérance, à la confiance en soulignant ce qui se fait de bon, de bien, de beau dans cette réalité. Pour chaque défi, je suis émerveillée de découvrir nombre d’associations déjà mobilisées et, comme compagnon CVX, je contemple l’action de Dieu au cœur du monde. « Ne crains pas, car je suis avec toi » (Isaïe 43,5). Cela est une source de joie et d’action de grâce. Le Réseau mondial est porté par la spiritualité du Cœur de Jésus. Il m’a été difficile d’y entrer. Trop d’images pieuses, vieillottes… En équipe, nous avons cherché une image pour aujourd’hui. L’icône du

Le Réseau Mondial de Prière du Pape est un service du Saint-Siège confié à la Compagnie de Jésus. Il touche 98 pays dans le monde et 35 millions de catholiques. Le pape propose chaque mois à la prière de son Réseau un défi de l'humanité ou de la mission de l'Église. Disponible à la mission du Christ par la prière d'offrande quotidienne, le Réseau entre en compassion pour le monde. C'est dans l'union au Cœur de Jésus qu'il trouve son inspiration et sa force. En France, en plus de la vidéo du Pape (lavideodupape.org) le Réseau propose : un webmagazine sur www.prieraucoeurdumonde.net, une application, clicktopray. Le Réseau est présent aussi sur Facebook : @reseaumondialdeprieredupape et édite un trimestriel papier à garder dans sa poche Avec le Christ.

disciple bien-aimé reposant sur le cœur de Jésus nous a séduits. Je cherche à vivre toujours davantage de ce cœur à cœur avec Jésus, non pas pour mon bien-être personnel, mais au quotidien je demande à être disponible, par la prière et l’action, à la mission et l’amour de Jésus pour le monde. Cela fait de ma vie une offrande jusque dans les petites choses de la journée, décentrement qui change tout. Cette spiritualité est transversale dans l’Église, elle fait le lien entre les diverses sensibilités, source d’unité, vraie chance pour aujourd’hui.

Cela est donné à tous ceux qui e nt re nt da ns c e mo u v e me nt d’intercession et de compassion pour le monde à travers le Réseau Mondial. C’est possible pour chacun, quels que soient son âge, ses capacités, le temps dont il dispose. Nombreux sont les plus âgés d’entre nous qui portent déjà cette mission de prière ; mais pour les jeunes, les actifs, nous sommes appelés à sortir de nos habitudes pour ouvrir notre fenêtre sur le monde, à l’appel du pape. Marie-Claire Revel

Une théologienne relit cette expérience Selon l'épître aux Hébreux, Jésus est l'unique prêtre qui offre le sacrifice définitif pour le salut du monde. Mais dans l'apostolat de la prière, chaque baptisé prend sa part du sacerdoce du Christ, offrant à Dieu le monde et le recevant de Dieu. Par la prière de tous et de chacun, l'Église devient sacrement, c'est-à-dire signe et instrument de l'unité et de la paix avec Dieu et entre les hommes. juillet/août 2018 23


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Lire la Bible

le sabbat ou le septième jour Le sabbat est une invitation à sanctifier le temps, à se tourner vers Dieu et vers les autres en leur faisant de la place. Il trouve son origine dans la Genèse et le Décalogue. C’est un temps de repos et de restauration de la vie dont Jésus, dans l’Évangile, va pleinement éclairer le sens. Récit par Claire Le Poulichet.

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Claire Le Poulichet, membre de la CVX.

Le sabbat est une réalité majeure dans la Bible et une institution essentielle du judaïsme. L’Ancien Testament en fait mention 129 fois, le Nouveau 59 fois. Au commencement, le sabbat est un commandement divin instituant un jour d’arrêt total des activités ordinaires. C’est un jour de repos, de célébration et de prière, le septième jour de la semaine qui commence dès la tombée de la nuit le vendredi soir et s’achève le samedi au crépuscule. Aujourd’hui, le sabbat est perçu par beaucoup de nos contemporains comme une obligation religieuse contraignante que seuls les juifs orthodoxes continuent de pratiquer tant il est associé à trop de choses concrètes qu’il ne faut pas faire ce jour-là. Et les règles qu’il instaure peuvent apparaître vraiment décalées par rapport aux exigences de la vie moderne. Alors retournons aux sources avec deux textes fondateurs dans l’Ancien Testament.

Au commencement

1. André Wenin, L'homme biblique, Cerf, 1955, p. 40.

« Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploie-

ment. Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite. » (Genèse 1,31-2,3) Dans le récit de la création, Dieu apparaît comme celui qui, par la puissance de sa parole, organise et transforme le chaos en un univers harmonieux. En six jours. Au septième jour, surprise… Le Créateur change d’attitude. Comme le texte le souligne deux fois, il s’arrête, bénit et sanctifie ce nouveau jour, contemplant l’œuvre de création qu’il vient d’accomplir. Ainsi Dieu lui-même, dès l’origine, observe le sabbat ! De plus, contrairement aux six premiers jours, rien ne vient clore le septième. Le refrain qui scandait les précédents « il y eut un soir, il y eut un matin » a disparu. C’est donc un jour différent, un jour « sanctifié » qui marque une différenciation dans le temps. André Wénin, bibliste, ajoute : « En s’arrêtant, Dieu se montre maître de sa propre maîtrise »1. Dieu se révèle libre vis-à-vis de son œuvre et laisse un espace ouvert pour tout

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ce qui n’est pas Lui, pour offrir aux hommes de participer à son œuvre créatrice.

Dieu enseigne son peuple Le Décalogue reformule en Dix Paroles un ensemble d’instructions déjà données à Moïse au mont Sinaï dans le livre de l’Exode (chapitre 20) et repris dans le Deutéronome (5,6-15). « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux pardessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces images pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux […] Observe le jour du sabbat, en le sanctifiant, selon l’ordre du Seigneur ton Dieu. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni


Dans les versets suivants, advient ce qui concerne la relation à autrui : « Honore ton père et ta mère, comme te l’a ordonné le Seigneur ton Dieu, afin d’avoir longue vie et bonheur sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » etc. Dans ces Dix Paroles, deux dimensions s’articulent. L’une, verticale, concerne les rapports des humains avec le Seigneur et l’autre, horizontale, les rapports des êtres humains entre eux. Le commandement du sabbat fait suite aux paroles concernant l’idolâtrie et précède celles qui visent le rapport à autrui. Il est au cœur du Décalogue comme pivot entre la relation au Seigneur et la relation avec les autres vivants. Ce qui laisse entendre que seul le renoncement à l’idolâtrie peut permettre de nouer des liens harmonieux avec autrui en consentant aux exigences du vivre ensemble.

© KriegerDenis / CC

ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante se reposeront. Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu. C’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a ordonné de célébrer le jour du sabbat. ».

▲ Le récit de la création, vitrail de l'église de la Madeleine à Troyes.

L’insistance du texte sur le respect du sabbat souligne combien l’homme peut idolâtrer son activité humaine et tout particulièrement son travail, au point d’en devenir l’esclave et d’adorer ce qu’il produit plus que le Créateur. Quoi de plus difficile que de mettre à distance son activité quotidienne pour apprendre à penser et à vivre autrement son rapport à Dieu, au monde, aux choses et aux autres ? En apprenant à couler son rythme dans celui du Seigneur, en consentant à cet arrêt régulier, l’homme apprend à sanctifier le temps en se tournant vers Celui qui est source de la vie, et en laissant également de l’espace pour l’autre, tous les autres : ses proches, ses serviteurs et même ses animaux. Il apprend

ainsi à ne pas tout maîtriser, à ne pas tout avoir, à consentir au manque, au désir. Le temps du repos peut alors devenir un temps de gratuité pour la parole, le dialogue et l’échange. Pour l'homme, décentré de luimême, renonçant à la convoitise, au toujours plus, un chemin d’humanité s’ouvre où chacun peut trouver sa juste place dans la création : un parmi d’autres, partenaire des autres vivants.

Le sabbat dans les Évangiles Jésus, comme juif religieux, fréquente la synagogue où il prend la parole, enseigne et guérit. Les Évangiles nous rapportent sept guérisons qu’il opère le jour du sabbat. Ce qui suscite des contro-

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Se former

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Lire la Bible

2. Paul Beauchamp, La loi de Dieu, Seuil, 1999.

verses violentes avec les pharisiens présents qui lui reprochent son attitude qu’ils jugent provocatrice voire transgressive de la loi divine. Jésus exprime clairement son désir non pas d’abolir la Loi, mais au contraire de l’accomplir. Et pour cela, il va mettre en lumière ce qui est caché, mensonger et fausse la pratique de la loi divine. « Lequel d’entre vous, s’il n’a qu’une brebis et qu’elle tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour l’en retirer ? Combien un homme ne vaut-il pas plus qu’une brebis ! Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat. » (Matthieu 12,11-12)

Jésus dénonce le rapport perverti au sabbat, quand l’homme s’enferme dans une pratique rigoriste et formelle et qu’il ne sait plus discerner entre ce qui le conduit vers la mort ou vers la vie… Ainsi, par sa parole et les actes qu’il pose, Jésus refonde le sabbat car il n’y a pas d’autre sens au sabbat que la restauration de la vie !

Le sabbat pour nous aujourd’hui Aujourd’hui, nous ne cessons de courir après le temps car les activités diverses que la société

© Matthias Gerung / CC

Plus explicitement encore quand il demande aux pharisiens : « Est-il permis le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une personne ou de la tuer ? » (Marc 3,4). Jésus pose la question du sens d’une obéissance

à la loi divine qui interdirait de faire le bien tout particulièrement ce jour-là… Comme le dit Paul Beauchamp : « Cela signifie que le critère du bien et du mal ne suffit pas, qu’il s’efface devant celui de la vie et de la mort. » 2 Ainsi Jésus dit : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l’homme est maître, même du sabbat. » (Marc 2,27)

▲ Jésus guérit une femme le jour du sabbat.

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propose saturent le quotidien. Comment stopper la spirale infernale de cet activisme qui empêche toute intériorité ? Comment résister au consumérisme et à l’obsession du toujours plus ? Comment choisir le silence, la prière, la contemplation et la disponibilité à la rencontre du prochain ? Pour les chrétiens, c’est le dimanche qui est le jour consacré au Seigneur. À nous de choisir résolument de prendre cette pause indispensable pour Le célébrer, partager Sa parole et Son pain. Et témoigner autour de nous de cette nécessité vitale. Claire Le Poulichet CVX

Pour aller plus loin « Le sabbat célèbre le temps et non l’espace. Six jours par semaine nous vivons sous la tyrannie des objets de l’espace. Le sabbat, nous nous efforçons de nous mettre au diapason de la sainteté dans le temps. C’est une journée où nous sommes appelés à prendre part à ce que le temps a d’éternel pour nous détourner des conséquences de la création et nous tourner vers le mystère de la création. » Abraham Heschel, rabbin américain, ami de Martin Luther King, dans le livre Les bâtisseurs du temps, Les Éditions de Minuit, 1957.


Spiritualité ignatienne

le visage renouvelé de l’église selon le pape françois Nous vivons un « changement d’époque » qui, pour le pape François, nous invite à de nouveaux défis. Pour y répondre, il trace les voies d’une Église renouvelée de l’intérieur, d’une Église en sortie, pauvre, fondée sur le Christ et à l’école du discernement. Giuseppe Riggio s.j. développe les grandes lignes du « style » François et les enjeux de ce renouvellement.

L © Lajoumard / CC

Le renouvellement de l’Église estil à l’ordre du jour ? Si on s’arrête en considérant les documents, les interventions publiques, les gestes du pape François pendant ses cinq ans de pontificat, on ne peut que donner une réponse positive à cette question. Dès les premiers jours, le pape a exprimé plusieurs fois le souhait d’une « Église pauvre pour les pauvres », d’une Église enracinée en Jésus-Christ, d’une Église « hôpital de campagne », qui se soucie de soigner les blessures et de réanimer le cœur des fidèles, d’une Église en sortie. Dans cette

même ligne, on peut situer différents documents de François, à partir de l’exhortation Evangelii gaudium de 2013, qui trace des voies « pour la marche de l’Église dans les prochaines années », ou encore la nomination d’un comité de neuf cardinaux pour aider le pape à réaliser la réforme de la curie romaine.

Vivre à l’heure d’un changement d’époque Cet élan de renouvellement a étonné, a redonné de l’espérance, mais a aussi parfois dérouté beau-

coup de personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. Pourquoi, en ce moment historique, le pape a-t-il placé avec force cette question au centre de la vie de l’Église ? La réponse se trouve en lisant les documents du concile Vatican II : l’Église, lumière des peuples, est appelée à lire et à interpréter les signes des temps pour réaliser sa mission d’annonce de l’Évangile à l’humanité. Ce travail de discernement a été fait par les pères conciliaires et a été poursuivi par les papes après le concile, mais il ne se termine jamais. Il s’agit d’une œuvre toujours en cours, car l’humanité ne s’arrête jamais d’évoluer. Plus précisément, selon le pape François, « Aujourd’hui nous ne vivons pas une époque de changements, mais un changement d’époque. » (Discours au Ve Congrès de l’Église italienne à Florence, 10 novembre 2015). Cette affirmation ne constitue pas un jeu de mots plus ou moins réussi, mais elle veut souligner que nous sommes en train de vivre un temps qui pose de nouveaux défis,

Giuseppe Riggio s.j., rédacteur en chef adjoint de la revue Aggiornamenti Sociali des jésuites de la Province EuroMéditerranéenne.

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Se former

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Spiritualité ignatienne difficiles à saisir, face auxquels nous nous découvrons démunis de repères et de réponses.

© BananaStock

En suivant les interventions de François, nous pouvons identifier les traits les plus marquants de cette époque : l’individualisme dominant qui fragilise les liens sociaux ; les styles de vie productivistes et consuméristes dans les pays occidentaux qui ne respectent pas la création et les créatures ; la technologie et les progrès scientifiques qui sont parfois devenus des idoles modernes. Le fil rouge commun est le refus de toute limite, y compris celui de la finitude de la vie, et la prétention que rien ne peut s’opposer à la satisfaction de mes besoins et envies. Mais ce cadre n’est pas complet si on ne reconnaît pas aussi que le Seigneur est actif et à l’œuvre dans le monde, qu’il y a des semences de bien à cultiver,

des exemples concrets d’une résistance obstinée de ce qui est authentique à valoriser (Laudato Si’, n°112). De plus, la quête du sens de la vie est toujours présente, elle nous interpelle aujourd’hui comme autrefois. Il s’agit d’une recherche à la fois exigeante et incontournable, qui ne peut pas se satisfaire de réponses simples. C’est là un motif d’espérance !

Les voies du renouvellement de l’Église Les changements en cours sont nombreux, parfois ils relèvent d’un domaine très technique, de plus ils évoluent d’une manière rapide et parfois déroutante. Nous ne sommes pas appelés à tout comprendre dans le moindre détail, mais notre tâche est de reconnaître les lignes directrices de ce qui est en train de se passer, de lire et d’interpréter les ra p p o r ts e nt re le s différentes forces en jeu, afin de prendre position pour ce qui est du côté de la vie. Le renouvellement de l’Église signifie alors travailler afin que puisse encore résonner l’annonce évangélique du salut pour tous en parlant aux esprits et aux cœurs des hommes et des femmes d’aujourd’hui, pris par mille préoccupations, souvent habités par la tristesse, le mal-vivre et l’insatisfaction.

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Si on s’arrête pour considérer les interventions du pape François, on peut déceler trois points récurrents, véritables phares de sa manière de penser l’Église renouvelée.

Enraciné dans le Christ Sa première indication pourrait étonner. En effet, dans le numéro 3 d’Evangelii Gaudium, le pape invite « chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse ». Le point de départ coïncide donc avec le renouvellement de la relation personnelle et communautaire des chrétiens avec le Christ. Les réflexions théoriques, les analyses sociologiques, les techniques de communication sont des outils importants et nécessaires pour lire les signes du temps présent et en interpréter les dynamiques, mais ils ne suffisent pas pour formuler une proposition chrétienne vivante et féconde. Le renouvellement de l’Église et la réponse des chrétiens à la quête de sens de l’humanité passent par le témoignage qu’une autre manière de mener sa propre vie est possible. Être enraciné dans le Christ n’est pas une assurance qui nous protège en cas de conflits, de difficultés, d’obstacles, de fatigues, etc. (Ils seront déçus ceux qui cherchent à tout contrôler dans leurs vies !) Au contraire, il s’agit d’être capable


de vivre le quotidien, parfois si complexe et bouleversant, en reconnaissant la grâce de Dieu à l’œuvre dans nos vies et dans la société. Le témoignage authentique d’une vie bénie par la joie pascale redonne enthousiasme et créativité à l’Église et interroge nos contemporains.

En effet, la centralité donnée à la relation au Christ est étroitement liée à la dimension missionnaire. Le pape François a souvent parlé d’une Église en sortie, appelée à aller dans les rues et aux carrefours, à démolir les murs et les frontières, car il s’agit de rencontrer l’humanité là où elle se trouve. L’Église alors se présente comme une mère attentive et amoureuse, qui comprend, accompagne, caresse, en particulier ceux qui sont restés sur le bord de la route : « Boiteux, estropiés, aveugles, muets » (Matthieu 15,30). Au contraire d’une culture individualiste, centrée sur la réalisation de soi-même, le style évangélique vécu par l’Église se fonde sur la solidarité et le partage. Ainsi, nous pouvons mettre en œuvre une culture de la rencontre et du dialogue entre les personnes et les peuples, capable de surmonter l’enfermement sur soi-même, les injustices et la corruption qui tuent l’être humain et la société. Cette démarche présente

© Maximilien Luce / CC

Une Église tournée vers la mission

bien sûr des risques dont le pape François est conscient, mais il a plusieurs fois déclaré qu’il préfère « une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités » (Evangelii Gaudium n° 49).

À l’école du discernement Le dernier point nous renvoie à la manière d’avancer comme Église. Souvent le pape a invité les chrétiens à croître dans le discernement spirituel : nous sommes sollicités à devenir de plus en plus, à la fois aux niveaux personnel et ecclésial, hommes et femmes capables de reconnaître et interpréter les motions du bon esprit et du mauvais esprit, pour choisir les premières et repousser les secondes. La référence au discernement peut

être inconfortable, parce que nous préférons souvent avoir une indication claire à suivre plutôt que « lire depuis l’intérieur » ce que le Seigneur nous demande (vidéo de mars du pape François pour le Réseau mondial de prière). Un récit biblique peut nous aider à mieux saisir le renouvellement de l’Église promu par le pape François : la parabole du bon samaritain dans l’évangile de Luc. Nous rencontrons un samaritain, qui appartient à un peuple détesté par les juifs, qui a vu la détresse d’un autre homme et il n’est pas resté indifférent. Saisi par la miséricorde, il s’est fait proche de lui, il a pris soin de lui, il a su discerner quelle était la meilleure manière pour l’aider. C’est là l’icône biblique d’une Église qui se renouvelle, tout en restant fidèle à l’Évangile, pour poursuivre la mission que le Seigneur lui a confiée. Giuseppe Riggio s.j. juillet/août 2018 29


Se former

Question de communauté locale

le bilan : pour quelle croissance ? Le bilan de fin d’année permet d’inscrire dans la mémoire de la communauté locale les temps forts vécus ensemble. Mais après, que va-t-on en faire ? Comment l’histoire sainte d’une CL peut-elle être chemin de croissance pour chacun ? Voici le récit d’une communauté en enracinement par son accompagnatrice.

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C’est la fin de la 4e année de la période d’enracinement de notre CL. Notre fil rouge était : « Grandir dans le sens du service à la suite du Christ. Éprouver, constater que la vie communautaire m’aide à voir où servir » 1. Pendant le bilan, nous avons visité nos lieux de service pour y discerner les appels que le Seigneur adresse à chacun, mais c’est surtout la dimension communautaire des partages qui a porté du fruit.

1. Site enracinement : www.cvxe.fr/neuf.html Dans le « jardin », le fruit Être serviteur / dimension communautaire. 2. Expérience fondatrice qu’il est conseillé de vivre en période d’enracinement pour élargir le sens de la communauté au-delà de la CL, expérimenter les fruits de la prière ignatienne, vivre l’expérience du service en CVX ou dans le monde. www.cvxe.fr/ 3jours/3jours.html 3. Fiche « S’imprégner de la vocation d’un grand témoin : Ignace de Loyola » www.cvxe.fr dans le « jardin » (axe serviteur / dimension personnelle / contempler).

Le binôme responsable/accompagnatrice manifeste émerveillement et étonnement ! En effet, ce qui était impensable il y a quelques mois, s’impose comme une évidence : Christiane qui disait encore en mars son blocage face aux sollicitations de la CVX, témoigne maintenant que, grâce aux expériments 2 vécus en CL, elle se sent « embarquée » dans un mouvement dynamique et décide de rejoindre ses compagnons pour préparer la journée régionale !

Quel chemin de croissance ? Christiane reconnaît la joie des compagnons dans les actions qui les relient à Dieu. Elle se sent en communion avec eux, elle laisse advenir les mouvements qu’elle ressent et se voit emportée malgré elle. Un tel climat de confiance, exercé par la contemplation de nos quotidiens, a conduit chaque compagnon à se mettre au diapason des autres lorsque par exemple, Pierre a proposé de vivre un temps de prière et jeûne pour une semaine de l’Avent, France un week-end spirituel danser-prier, Solange un atelier d’écriture et Alain un atelier prier dans la rue pour la journée régionale.

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La qualité des échanges de nos réunions a permis à chacun d’écouter les mouvements intérieurs et les combats spirituels qui se vivent au fil des épreuves. Ainsi Christiane qui a travaillé les modes de discernement à partir du Récit du Pèlerin 3 a compris que le voyage est plus important que le but. Tout en se demandant encore si la CVX est vraiment son chemin de croissance, elle discerne dans sa prière une petite voix qui lui dit de continuer : « C’est en chemin que tu vas trouver la paix et la joie ». Un peu plus tard en référence à l’évangile de Matthieu (7,7-12) elle a pu dire : « Je sais maintenant que si les portes étaient fermées je serais capable d’y frapper ! » Parce qu’elle était dans la confiance, elle a osé exprimer ses fragilités. Par l’écoute et les sollicitations des compagnons, elle fait l’effort de discerner la présence de Dieu dans sa vie, ce qui la motive à agir : elle confie à la CL que non seulement elle n’a pas rejeté, comme à son habitude, la plaquette d’offres de sessions pour l’été, mais qu’elle a coché des formations qui la tentent et que jusqu’à présent elle ne se sentait pas capable d’envisager ! De même, Marie témoigne que c’est dans l’exercice du compagnonnage qu’elle s’est sentie appelée. L’humilité dans le partage de situations où chacun se montre en vérité dans ses pauvretés et le partage du cheminement de ses compagnons, aboutissant parfois de façon paradoxale à une découverte inattendue, l’ont aidée à « voir » l’Esprit à l’œuvre dans sa vie. Cela l’a amenée


© LoveTheWind / iStock

naturellement au désir de creuser ce qui est essentiel pour elle aujourd’hui : « Ces rencontres ont réellement changé ma manière de m’abandonner à Dieu. J’ai acquis la conviction que je n’ai pas à m’acharner à faire mais plutôt à Le laisser faire, ce qui est source depuis plusieurs mois d’une grande paix dans la confiance. » Les expériences d’abandon à la volonté d’un autre nous donnent de nous approcher et de vivre l’attitude de la contemplation. En relisant alors nos mouvements intérieurs, nous apprenons les bases du discernement et cela nous mène vers une décision. Contempler – discerner – agir !

Que faire de ce beau fruit ? Nous voulons d’abord cultiver la confiance qui produit de beaux fruits à cueillir ensemble et non à consommer individuellement. Pour cela, nous allons continuer de vivre ce qui est le fil conducteur de notre CL : écouter les mouvements de l’Esprit en nous, les contempler au travers des partages, relire nos choix… sous le regard des compagnons qui nous aident à mettre des mots sur nos états de vie et à confirmer que ce sont bien là des signes de la présence de Dieu à nos côtés. Progressivement nous pourrons comme Marie nous laisser provoquer par le chemin de nos compagnons

et chercher ensemble quelle est notre vocation particulière. André, qui est en formation pour mieux unifier sa foi et sa vie au quotidien, aimerait entendre de ses compagnons la confirmation que c’est bien là que Dieu l’appelle en ce moment. Il est responsable de notre CL, et à Beauvais 4 il a découvert le sens de l'Envoi tel qu’il est compris dans le DESE 5, mouvement par lequel nous sommes amenés à vivre pour que notre communauté soit davantage apostolique. Notre CL, pour l’année qui vient, se propose donc d’avancer en communauté apostolique en se formant au soutien spirituel et à la pratique du DESE. Avant même que le binôme responsable/accompagnatrice ait eu le temps de faire une proposition de temps fort pour 2018, plusieurs voix se sont élevées pour décider de faire confiance à la CVX (comme Christiane a fait confiance à sa CL) qui nous propose un chemin de croissance avec des passages pour aller plus loin et de s’inscrire ensemble soit à la halte spirituelle de 5 jours 6, soit au week-end « Un pas de plus en compagnonnage ».

4. Rencontre nationale des accompagnateurs et responsables de communauté locale à Beauvais en juillet 2017. 5. Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer. 6. Compagnons à la suite du Christ – vivre une retraite selon les Exercices spirituels www.cvxfrance.com/ trouver-et-sinscrire-a-uneformation/

Françoise, accompagnatrice Communauté Régionale Hauts de Seine Sud

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Ensemble faire Communauté

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Une parole à méditer

« Le colloque se fait, proprement, en parlant comme un ami parle à un ami ou un serviteur à son seigneur ; tantôt demandant quelque grâce, tantôt s’accusant d’avoir fait quelque chose de mal, tantôt faisant part de ses affaires et demandant conseil à leur sujet. Et dire un Notre Père. » Saint Ignace, Exercices spirituels, n°54

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En France

quelles relations avec le monde de la justice ? « Droits des étrangers et justice » est le thème choisi par l’atelier « étrangers » pour cette année marquée par de fortes évolutions législatives. Une rencontre en avril a permis aux compagnons engagés auprès des personnes exilées d’approfondir le sujet. Retour sur cette rencontre avec Nicole Amrouche, la responsable de l’atelier.

Cette année est aussi marquée par des changements législatifs importants. Nombre de compagnons de l’atelier, investis pour un accueil digne des personnes exilées, s’inquiètent des risques des nouveaux textes fondés sur une logique de pénalisation et répression accrue des demandeurs d’asiles. Parmi nos inquiétudes, la réduction du délai de recours (15 jours au lieu de 30) devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). Cela revient à priver d’un droit fondamental une personne qui ne pourrait être accompagnée pour trouver un avocat à temps. Nous déplorons aussi l’augmentation de la durée de rétention

portée de 45 à 90 jours y compris pour les familles avec enfants, soit une privation complète de liberté pour des personnes déboutées ou « dublinées » 1 n’ayant commis aucun délit. Quels ont été les temps forts de cette rencontre ? Cette rencontre semestrielle est d’abord un temps de partage communautaire, prière, relecture de nos engagements et échange d’informations. À chaque rencontre nous invitons un grand témoin : Guy Aurenche, avocat et militant des droits de l’homme nous a rejoints pour celle-ci. Son intervention a précisé ce que l’accueil voulait dire d’ouverture à l’autre. Comment les lois votées au nom du peuple français nous rendent co-responsables. Il nous a aidés à décrypter le projet de loi en ses nombreux points. Quelles suites donner à cette rencontre ? À l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme nous organisons avec l’atelier Justice, les 24 et 25 novembre prochains un week-end « Égaux en Dignité et en Droits ». L’atelier Art a également manifesté

son intérêt pour y participer. Nous souhaitons mieux discerner comment cette notion de dignité peut être prise en considération dans nos pratiques professionnelles ou bénévoles. La présidente de JRS 2 France, Véronique Albanel sera notre grand témoin.

Contact et information : atelieretrangers@ cvxfrance.com Site web : www.cvxfrance.com/ nos-ateliers/etrangers/

1. Selon les critères de la réglementation européenne dite de Dublin, la personne « dublinée » est dans l’obligation de déposer sa demande d’asile dans le premier pays où elle est entrée.

2. Jesuit Refugee Service : Service Jésuite des Réfugiés.

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Pourquoi l’équipe service de l’atelier « étrangers » a-t-elle choisi le thème de la justice pour cette rencontre ? Nous sommes partis de l’évangile : « Et Jésus dit : Pourquoi aussi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste ? » (Luc 12,57). La loi, c’est important, elle structure notre vie commune. Lors des accompagnements des personnes étrangères, nous nous posons souvent la question des limites, les nôtres, celle de la légalité, la légitimité, la loi de Dieu.

▲ Christian Mellon s.j., Guy Aurenche.

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Ensemble faire Communauté

En France

une communauté en croissance Depuis plus de 20 ans, la CVX La Réunion chemine et croît. En 2012, elle a été reconnue en tant que Communauté régionale et en 2015, elle a intégré l’Équipe Service Grande Région d'Ile-de-France. Retour sur son histoire.

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La CVX La Réunion est partie d’une semaine d’initiation aux Exercices spirituels, organisée par des jésuites en 1993-1994. Nous avons alors formé une première équipe. Puis un premier tournant décisif a eu lieu en 2004 lorsque notre accompagnateur, Christophe Kerkhardy s.j., nous a invités à un discernement communautaire : qu’est-ce que la CVX peut apporter de spécifique à l’Église à la Réunion ? Devons-nous ouvrir notre équipe à de nouveaux membres ?…

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Un autre tournant a eu lieu au Congrès de 2006 à Lourdes où toute la famille ignatienne était venue fêter les 450 ans de saint Ignace. Cela a été un point de départ pour les dix membres de la communauté

qui y ont participé, grâce à la solidarité et à l’entraide financière de chacun. Dès janvier 2007, nous étions envoyés deux par deux pour accompagner de nouvelles équipes (anciennement parcours accueil). Aujourd’hui, nous comptons quarante membres dont huit ont rejoint directement deux communautés locales (CL) existantes. Pour nous, c’est une première expérience : auparavant, nous accompagnions les nouveaux en parcours d’accueil pendant dix mois avant de les intégrer dans une CL. Sous la mouvance de l’Esprit, la CVX La Réunion s’agrandit, se structure et s’anime. Nous accueillons des compagnons qui viennent travailler ou sont de passage à La Réunion ; un membre nous a rejoints début 2017 et nous attendons un couple pour le mois d’août 2018. De plus, nous continuons à cueillir les fruits de notre discernement de 2004. Nous percevons que la formation d’accompagnateurs laïcs devient incontournable. En 2016, pour la première fois, une CL est accompagnée par une

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laïque. Depuis, trois membres y ont été appelés. Enfin, impliqués dans la vie de la CVX, nous en ressentons le désir d’aller dans les paroisses pour témoigner de notre manière de vivre en CVX et nous nous appuyons sur le site Internet pour faire découvrir la spiritualité ignatienne. La croissance de la CVX La Réunion passe également par la croissance spirituelle de nos membres grâce notamment à la participation de certains aux congrès de 2010 et 2015, à l’Assemblée générale de Nevers en mai 2017, à la Rencontre des responsables de CL à Beauvais en 2017, et à l’élection de la nouvelle ESCN au Hautmont en janvier dernier. Des nouveaux projets ont démarré ou sont en cours comme la proposition d’une matinée de formation des accompagnateurs et responsables de communautés locales qui a démarré en novembre et une proposition de retraite d’initiation aux Exercices spirituels dans la vie qui aura lieu en juin-juillet 2018. Nous rendons grâce au Seigneur pour ce qui a été accompli depuis 1993 et lui demandons de bénir nos projets. Marie Josée Vinketassala Responsable régionale


accompagner la souffrance à la manière ignatienne Pour faire vivre la dimension de compagnonnage en communauté régionale, l’ESCR d’Yvelines Nord a eu l’idée de proposer un « atelier » sous la forme d’une rencontre de deux à trois heures le samedi après-midi. Après un premier atelier sur la politique en 2017, ce fut cette année une proposition sur le thème de la santé.

Pour cette rencontre, nous avons proposé une « formule » alternant exposés et partages en petits groupes de cinq à six personnes selon les principes des réunions CVX. La première intervention donnait des définitions de l’accompagnement à partir des mots « avec » « vers » et « pain ». Ensuite étaient rappelées différentes postures d’accompagnement dans la Bible. Les plus connues étant le bon samaritain (Luc 10,33-35), le paralytique (Marc 2,1-4), les compagnons d’Emmaüs (Luc 24, 13-15). Mais celle qui a le plus interpellé fut Simon de Cyrène

(Luc 23,26) parce que plusieurs compagnons se sont identifiés à lui. L’accompagnement peut être une charge qui n’a pas été choisie. Ces passages d’Évangile ont servi pour le premier partage en petits groupes. Chacun était invité à exprimer la posture qui le touchait le plus et pourquoi. La deuxième intervention portait sur le concret de l’accompagnement à partir d’expériences professionnelles et personnelles, avec des questions qui pouvaient bousculer : « Dans l’accompagnement, ce qui est possible, pertinent. Dire oui, dire non ? À trop vouloir en faire on peut devenir mal-traitant ! Et si c’était moi l’accompagné ? ». Enfin, pour la troisième intervention, un père jésuite a fait le lien avec l’aide apportée par les Exercices spirituels et l’ajustement permis par la pratique de l’indifférence ignatienne. Par la suite, des compagnons ont partagé au sein de leur communauté locale ce que cet après-midi leur avait apporté, ce que cela avait produit en eux. D’autres CL ont repris le thème pour l’approfondir. Nous voyons plusieurs fruits à ce type de rencontre. Elle permet

d’abord aux personnes présentes de recevoir une aide concrète pour leur vie quotidienne. Ensuite, les compagnons peuvent se réapproprier les thèmes abordés en réunion de CL. C’est aussi une façon pour eux de participer autrement à la vie de la Communauté régionale et de se découvrir dans les petits groupes. Ces liens ébauchés peuvent continuer à se tisser. Enfin, elle est une occasion de partager le trésor de la démarche ignatienne en proposant aux invités « non CVX » de l’expérimenter. La variété de ces fruits nous donne envie de continuer ! Laurence Bertin et l’ESCR Yvelines Nord

© Gerd Eichmann / CC

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L’atelier que nous avons vécu en février avait pour titre : « Comment la manière ignatienne peut m’aider à intervenir, à accompagner avec justesse, un proche souffrant ? » Ce thème touchant à la vie quotidienne a été choisi après discernement de l’ESCR et répondait aux désirs exprimés par les compagnons. Nous avions également à cœur que l’atelier soit ouvert aux compagnons des régions limitrophes et que chacun puisse inviter des amis « non CVX ».

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Ensemble faire Communauté

Dans le monde

témoin du vivant et don pour le monde En Allemagne, la préparation de l’Assemblée mondiale de juillet à Buenos Aires s’inscrit dans la continuité du Congrès et des Assemblées de la Communauté nationale de ces deux dernières années. Rencontre avec l’équipe de préparation.

1. ExCo : Conseil Exécutif mondial de la CVX.

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Ensemble être témoin du vivant, tel était le thème du Congrès national 2017 de la CVX Allemagne auquel ont participé 300 compagnons et une trentaine d’invités internationaux. C’est un grand défi pour les compagnons allemands d’être témoins de la quête de Dieu dans un pays riche, mais secoué par des crises politiques et sociales ainsi qu’au sein d’une Église en profonde mutation. Un autre défi à relever porte sur le dialogue avec les chrétiens des Églises protestantes, avec les autres religions (surtout l’islam) mais également avec les non-croyants très présents dans les Länder de l’est de l’Allemagne. Déjà lors de ce Congrès, les regards des compagnons étaient tournés

vers l’Assemblée mondiale grâce à l’intervention du secrétaire exécutif Alwin Macalalad qui a présenté le thème de l’Assemblée et la préparation proposée par l’ExCo 1. Depuis l’Assemblée de la Communauté en mai 2016, nos priorités sont l’accueil des jeunes et des familles, l’option préférentielle pour les pauvres qui se traduit par une attention aux migrants et enfin la création de “lieux de visibilité” de la spiritualité ignatienne et de la CVX. L’Assemblée de la Communauté de juin 2018 approfondira le cheminement de ces deux dernières années avec une intervention du Père Johannes Siebner s.j., provincial : « Notre manière de vivre est partie intégrante de notre mission ».

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Quatre délégués à l’Assemblée La délégation nommée pour l’Assemblée Mondiale (Daniela Frank, Thomas Leis, Bernhard Zaunseder et Nicole Zink) a été le fruit d’un discernement de plusieurs mois et représente la diversité de la Communauté nationale : deux compagnons de l’ESCN et deux délégués de l’est et du nord de l’Allemagne. 36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 54

Arrivant à la fin de son mandat en 2019, Thomas Gertler s.j., assistant national, ne participera pas à l’Assemblée. L’équipe de préparation travaille sur les questions posées par l’ExCo dans les Projets n° 168 et 169. Composée de quatre délégués et de trois remplaçants, elle assurera également la communication avec la Communauté nationale avant, pendant et après l’Assemblée. Un cheminement spirituel sur une dizaine de jours avant et pendant l’Assemblée permettra à tous les compagnons allemands de s’unir par la prière avec l’Assemblée. Témoin du vivant et don pour le monde par le cheminement spirituel, les échanges et les interventions avec les compagnons du monde entier, la CVX Allemagne veut grandir dans sa mission surtout dans les domaines de la pastorale de la famille, de l’écologie et des migrants. Nous espérons être toujours davantage témoins de la présence de Dieu dans la société et l’Église actuelles dans notre pays. L’équipe de préparation de l’Assemblée mondiale, CVX Allemagne


européens en marche vers l’assemblée mondiale En Europe, la CVX est présente dans 20 pays. L’Euroteam, l‘équipe qui assure le lien entre ces Communautés nationales, a réuni leurs représentants, en mars dernier, pour un partage en vue de l’Assemblée Mondiale.

Chaque communauté en Europe a un Eurolink. Il fait le lien entre sa Communauté Nationale et les autres Communautés en Europe. Pendant trois jours, nous avons pris le temps de faire connaissance, de prier, de recevoir des enseignements, de partager en petits groupes et de faire la fête ! De quels pains nos paniers sont-ils remplis pour les donner à partager ? Quelles sont nos faiblesses et nos richesses ? En partageant nos richesses et faiblesses, nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de sujets en commun : l’appel des membres à s’engager pour la CVX, la moyenne d’âge relativement élevée, l’accueil des jeunes enfants par exemple. Pour moi, ce fut rassurant : nous ne sommes pas seuls face à ces

challenges. En quoi pouvons-nous être complémentaires avec nos différences ? Les Communautés nationales de petite taille connaissent tous leurs membres mais peuvent manquer de bras. Alors que celles de grosse taille ont des forces vives mais ne connaissent que peu de membres. Pour guider nos réflexions, le père Giuseppe Riggio, jésuite italien, nous a présenté l’exemple du polyèdre, utilisé par le pape François. Il nous démontre que, par l’unité dans la diversité, le tout est plus grand que les parties et que chacun est nécessaire à la constitution de ce tout. Ensemble nous avons construit ce polyèdre, avec les messages que chaque Communauté nationale d’Europe veut apporter à l’Assemblée Mondiale.

Beaucoup de Communautés ont présenté des projets qui peuvent en intéresser d’autres : vacances européennes en France, soutien des enfants en Syrie, le parcours « l’horloge de la famille » en Espagne qui permet aux familles, quelle que soit leur réalité, de relire le chemin parcouru ensemble, ou encore le volontariat avec les demandeurs d’asile à Ragusa en Italie, en sont quelques exemples. L’Euroteam nous a rappelé l’importance de partager nos informations via le site de la CVX Europe : clc-cvx.eu C’est donc riches de ces diversités et de notre unité que nous nous sommes séparés le 4 mars, mais avec la grande envie et hâte de nous retrouver en juillet à Buenos Aires. Marie-Emmanuelle Reiss

© D.R.

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Début mars, l’Euroteam a organisé une rencontre des Eurolinks avec les responsables et assistants nationaux des Communautés nationales européennes, au Centre spirituel du Hautmont. Le but était de prendre du temps pour se préparer à l’Assemblée Mondiale de cet été. Nous étions environ 60 membres, de 17 nationalités différentes.

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À LIRE L’inimaginable compassion – Michel Farin, s.j.

Éditions Vie chrétienne, mai 2018 – 11 € Il suffit d’ouvrir un journal ou d’écouter les informations : le monde aujourd’hui souffre d’un manque criant de compassion. Plus fondamentalement, chaque homme dès sa naissance, nu et démuni de tout, dépend de la compassion d’autrui. En faisant appel à l’Écriture, Michel Farin montre dans cet ouvrage que la compassion humaine n’est pas qu’un sentiment naturel. Elle provient, d’une manière inimaginable, de l’Amour infini de Dieu pour l’homme qu’il crée à son image, qu’Il rejoint pour toujours en Jésus, mort et ressuscité. Pour la faire nôtre, il nous faut entrer sans peur dans l’Alliance que Dieu propose et renoncer à posséder notre propre vie ou celle des autres. En vente sur viechretienne.fr et en librairie.

À LIRE Jésus – L'encyclopédie

Albin Michel, Octobre 2017 – 59 € L’encyclopédie Jésus commence par un chapitre sur « cette étrange rumeur » partie du constat du tombeau vide par les disciples, fondement du fait chrétien. Ce Jésus mis à mort est déclaré vivant ! Cette rumeur-annonce qui se répand à travers le monde romain jette une lumière décisive sur l’identité de Jésus pour qui sait l’interpréter. Déjà, tout au long de sa vie, Jésus avait prévenu qu’il faudrait du temps pour faire la clarté à son propre sujet : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? » L’enjeu de cette encyclopédie est de fournir des bases historiques et exégétiques solides pour aller à la quête de cette identité, en suivant principalement le récit de Luc, de la naissance à la Résurrection, avec des articles de fond, des éclairages mais aussi des contrepoints de spécialistes venus de divers horizons (judaïsme, éthique, psychanalyse). Une carte blanche, en fin de chaque chapitre, livre le regard que des personnalités variées portent sur Jésus. Écrite dans un langage accessible, cette encyclopédie n’élude aucune grande question sur Jésus et s’adresse aux croyants comme aux incroyants.

À LIRE Gaudete et exsultate – Pape François,

Parole et Silence, avril 2018 – 3,50 € Avec ce très beau texte de 128 pages, le pape François veut faire « résonner l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis et ses opportunités ». « En effet, poursuitil dans son introduction, le Seigneur a élu chacun d’entre nous pour que nous soyons « saints et immaculés en sa présence, dans l’amour » (Ephésiens 1,4). Il invite notamment à regarder les saints du quotidien : « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire » écrit-il. Et il exhorte chacun à être à l’écoute de son propre appel : « Que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui. » Un texte indispensable.

À VOIR Louise en hiver – DVD Réalisé par Jean François Laguionie, 73 minutes, novembre 2017 A la fin de l’été, Louise voit le dernier train de la saison, qui dessert la petite station balnéaire de Biligen, partir sans elle. La ville est désertée. Le temps rapidement se dégrade. Les grandes marées d’équinoxe surviennent, condamnant maintenant électricité et moyens de communication. Mais elle n’a pas peur et considère son abandon comme un pari. Le réalisateur du film d’animation « Le Tableau » nous offre ici un chef d’œuvre de finesse, une invitation au rêve et à une relecture de vie.

À VOIR Silence – DVD – Réalisé par Martin Scorcese, 2 heures 42 minutes, juin 2017

Le film se déroule dans la seconde moitié du XVIIe siècle et raconte les aventures de deux jeunes jésuites envoyés par Rome au Japon pour faire la lumière sur le Père missionnaire portugais Ferreira qui a publiquement renié la foi chrétienne après avoir été torturé. Ce film est un chef-d’œuvre de Martin Scorcese. La mise en scène des tortures subies par les chrétiens est éprouvante mais l’affrontement philosophique et théologique du grand inquisiteur japonais et du jésuite pose de façon magistrale la question toujours actuelle de la rencontre entre les cultures et l’annonce de l’Évangile. Il faut bien les 2h40 du film pour entrer dans ce débat poignant. La fidélité devient silence. L’homme se tait et communie au silence de Dieu. 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 54


Billet

cette envie d’aider Je revenais à Toulouse après quelques jours d’alpinisme. Crevé mais heureux d’avoir traversé les Aiguilles dorées avec un cousin, qui m’avait déposé à Valence-TGV. Je m’installe confortablement dans le train, pour rattraper un gros retard de sommeil. Avant de fermer les yeux, mon attention est attirée par trois jeunes en rouge qui entrent dans le wagon avec d’énormes valises. Ils les posent sur les étagères, et ressortent aussitôt en chercher d’autres, aussi grosses, qu’ils casent à grand peine. Puis une troisième fois ! Ce sont les jeunes en rouge qui aident les voyageurs dans les gares. Et voici les propriétaires de ces énormes bagages : un groupe de huit jeunes plutôt rondouillards entre 20 et 35 ans, l’air un peu paumé, accompagnés d’une jeune fille frêle et énergique. Elle les rassure par leur prénom, va rechercher dehors celui qui est perdu. Elle montre à chacun son siège et dit gentiment : « Ce n’est pas encore le pique-nique ». Trois secondes avant le départ, elle retrouve la sacoche oubliée sur le quai. Tout le wagon regarde ces jeunes qui attirent la sympathie par leur gaucherie et leurs sourires affectueux. Puis cela se calme : ils ont ouvert leur pique-nique. Je rabats mon bonnet sur mes yeux, j’enfonce les boules Quiès dans les oreilles, et je m’assoupis, tranquillement bercé par la vitesse. Vous vous dites : « Et Dieu, quand parle-t-il  ? » Patience, j’y arrive ! Alors que je dormais si bien, Dieu me réveille. Le bon Dieu lui-même me parle à l’oreille, malgré les boules Quiès. « Denis, me dit-il, qui va les aider à descendre ces énormes valises en gare de Montpellier ? » Pas très heureux qu’il me réveille ainsi, je grommelle qu’il y aura sûrement des jeunes en rouge. Mais il insiste : « Denis ! le train reste très peu en gare. La jeune fille mince n’aura pas le temps de trouver de l’aide ». Il a raison, évidemment. Alors je lui réponds comme le petit Samuel ou le grand Isaïe : « Seigneur, me voici ». Mais il n’a pas fini : « Denis tu es costaud, mais il y a neuf valises monstrueuses ! » Je reste pensif. Bien sûr je pourrais demander à quelqu’un de m’aider, par exemple ce gentil fiancé assis en face de moi. Mais ça me gêne de demander : « Seigneur, tu n’as qu’à lui demander, Toi ! ». « Mais il ne croit pas en Dieu ! Cela me gêne encore plus que toi ». Et oui, Il a raison. Alors j’enlève mes boules Quiès et mon bonnet avec un soupir. Puis en souriant je commence à parler avec les amoureux assis en face de moi. Denis Corpet

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© Casanowe / iStock

On se dit que ce serait bien si Dieu nous parlait clairement : ça arrive !


Prier dans l’instant

en dirigeant des travaux Nous faisons des travaux dans une petite maison reçue de nos parents. Les ouvriers sont là depuis quelques jours. La plupart sont ouverts, disponibles et attentifs. Tous sauf un, qui ne répond pas à notre salut le matin et passe son temps à râler. Quand je souligne tel point d’attention, il me répond que ce n’est pas possible. Pourtant il en tient compte et travaille avec beaucoup de soin. © Daisy-Daisy / iStock

Au bout de quelques jours, une occasion se présente et un peu en riant, je lui demande ce qui lui déplaît tant sur ce chantier : « Tout, trop de temps passé à faire de petites choses, on ne voit pas le travail avancer ; j’aime poser rapidement de grandes surfaces et le soir on voit ce qu’on a fait ». Manque de chance, il s’agit d’aménager des combles où l’espace est compté, dans un vieux bâtiment où rien n’est d’aplomb. « Désolée, c’est ce dont nous disposons et nous essayons d’en tirer le meilleur parti ». Le tout dit de manière légère, en prenant acte de son mécontentement sans me laisser émouvoir. Les jours qui suivent marquent une évolution. Il râle toujours mais avec moins de conviction, comme par principe ; son visage est moins fermé, un sourire parfois juste sous la surface. Il accueille de manière moins rogue mes demandes, et à chaque imprévu nous cherchons ensemble jusqu’à trouver le meilleur accommodement. Seigneur je te rends grâce pour avoir pu nous parler simplement et nous placer ensemble sur le ton de l’humour, sans lequel l’ambiance aurait pu devenir électrique. Outre le fait d’avoir été écouté, je pense qu’il estime notre démarche, et qu’il sent que j’estime son travail. Merci pour ces contacts de chantier qui mettent en relation nos deux mondes tellement différents ; pour un temps nous travaillons réellement ensemble, chacun reconnaissant l’expertise de l’autre. Dominique POLLET

Nouvelle revue Vie Chrétienne – juillet/août 2018


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