Revue Vie chrétienne N°53- Mai/Juin 2018

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Vie chrétienne Nouvelle revue

C h e r c h e u r s

d e

D i e u

P r é s e n t s

a u

M o n d e

BIMESTRIEL DE LA COMMUNAUTÉ DE VIE CHRÉTIENNE ET DE SES AMIS – Nº 53 – MAI/JUIN 2018

50 ans de CVX :

engagés pour l’Église et le monde

Les récits de Babel et Pentecôte Retraite dans la vie courante


l’air du temps Les chercheurs spirituels, une bonne nouvelle pour l’Église Frédéric Rochet 4 chercher et trouver dieu

NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directrice de la publication : Brigitte Jeanjean Rédactrice en chef : Véronique Westerloppe Secrétaire générale de rédaction : Éléonore Veillas Comité de rédaction : Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Colette Lalire Marie-Thérèse Michel Marie-Emmanuelle Reiss Geneviève Roux Éléonore Veillas Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Nadine Croizier Claire Maillard Étienne Taburet Martine Ranson Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © Denis Beirnaert

Prochain dossier : Retrouver sa liberté intérieure Sortie Juillet 2018 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau

ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris Les noms et adresses de nos destinataires sont communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement à la CVX sauf opposition. Les informations pourront faire l’objet d’un droit d’accès ou de rectification dans le cadre légal.

le dossier

Sommaire

50 ans de CVX : engagés pour l'Église et le monde Témoignages Un passé porteur d’avenir Marie-Odile Hesnard Une grâce reçue et donnée au monde Véronique Westerloppe et Marie-Emmanuelle Reiss Quel charisme pour la CVX ? Jean-Luc Fabre s.j. se former Contempler une œuvre d’art : L’Axe Majeur de Cergy-Pontoise de Dani Karavan École de prière : Une application pour méditer la Parole Grégoire Lebel s.j. Expérience de Dieu : « Tu as du prix à mes yeux » Marie-Agnès Bourdeau Lire la Bible : Babel, Pentecôte : uniformité ou unité ? Anne-Claire Bolotte Spiritualité ignatienne : La cura personalis pour prendre soin d’une équipe Pascal Sevez s.j. Question de communauté locale : Vers l’Assemblée Mondiale : une réunion de CL ensemble faire communauté Une parole à méditer Partager le trésor ignatien Discerner son charisme propre Paroles de CVX Assemblée mondiale : quel enjeu ? La naissance de la CVX Suède babillard billet La foi d'un malcroyant Jean François prier dans l’instant En lisant une excellente nouvelle Catherine Raphalen Retrouvez-nous sur

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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53

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Éditorial

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À l’horizon du mois de juillet se profile notre Assemblée Mondiale et à la même occasion la célébration des 50 ans de la CVX. Ce numéro spécial est l’occasion de relire l’histoire de la Communauté avec l’article de MarieOdile Hesnard, en pages 12-13, pour mesurer les grandes étapes de son développement, contempler le chemin parcouru et rendre grâce pour les nombreux fruits portés, dont les témoignages (p. 8 à 11) rendent compte. Une double page France (p. 34-35) complète cette histoire par des « Paroles de CVX » qui relatent les grands axes de croissance de la Communauté.

© Denis Bernaert

vers l'assemblée mondiale

Jean-Luc Fabre s.j., notre assistant national, nous invite, quant à lui, en pages 16-17, à approfondir le charisme de la CVX en s’enracinant toujours plus dans la Parole de Dieu avec les moyens d’Ignace. Fort de 50 ans de pratique et d’intégration, le charisme est prêt à être partagé. C’est le thème et le mouvement portés par l’Assemblée Mondiale de l’été 2018 : « La CVX, un don pour l’Église et le monde ».

»

La multiplication des « retraites dans la vie courante » (p. 32) qui s’adressent aussi à des « non CVX » est une illustration de ce charisme qui se donne pour permettre, à qui le souhaite, de tisser au quotidien sa vie et sa prière. Une proposition de déroulement d’une réunion de communauté locale vous est faite (p. 30) pour vivre ce mouvement auquel nous invite l’Assemblée Mondiale.

Enfin, nous avançons vers la Pentecôte. La rubrique Lire la Bible nous aidera à entrer dans la dynamique de cette grande fête en mettant en regard le récit de la Tour de Babel et celui du don de l’Esprit, dans les Actes des Apôtres. Bonne route vers l’Assemblée Mondiale, dans le souffle de l’Esprit !

Véronique Westerloppe

redaction@editionsviechretienne.com

mai/juin 2018

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L'air du temps

les chercheurs spirituels, une bonne nouvelle pour l’église

Qui sont les chercheurs spirituels aujourd'hui ? Qu’ont-ils à nous dire et à quelle présence nous invitent-ils ? Le défi pastoral qu’ils nous lancent nous pousse à approfondir notre identité de chrétien et à vivre la radicalité de l’Évangile. Explications de Frédéric Rochet, président de l’Observatoire des nouvelles croyances.

Frédéric Rochet, ancien directeur du Centre spirituel du Hautmont, président de l’Observatoire des nouvelles croyances à la Conférence des évêques de France. Son blog : lafinetlesmoyens.fr

M

1. Créé par Mgr Michel Dubost en 2013, l’Observatoire des nouvelles croyances a comme mission d’observer les manifestations contemporaines de la vie spirituelle et de la quête de sens.

« Mon expérience dans le catéchuménat m’a prouvé qu’il fallait tenir compte du parcours des personnes dans le bouddhisme, l’ésotérisme, etc. On ne peut pas balayer ce qu’elles ont vécu. Cela les a construites, cela les a conduites au Christ, Dieu leur parle à travers cela. » Ce témoignage d’un acteur pastoral partagé au sein de l’Observatoire des nouvelles croyances1 illustre les nouvelles questions qui émergent de la rencontre et du dialogue avec les chercheurs spirituels et la nécessité pour l’Église de s’intéresser à eux.

Loin d’être marginale et de ne concerner qu’une minorité, cette 2. 20 centres qui proposent une offre de développement question des nouvelles croyances personnel et spirituel et recherches spirituelles imprègne ont participé à l’enquête. profondément la manière de penser 50 000 personnes ont été de nos contemporains, y compris sollicitées, près de 8 000 celle des personnes qui baignent ont répondu, dont 6 000 ont qualifié leur démarche dans la foi chrétienne depuis de de « spirituelle ». Les nombreuses années. Il y a là un résultats sont disponibles véritable sujet pour l’Église qui dans l’ouvrage de JeanFrançois Barbier-Bouvet, questionne la manière de penser Les nouveaux aventuriers et de vivre la foi dans notre monde de la spiritualité. Enquête (rapport à la grâce et au salut) et sur une soif d’aujourd’hui, Médiaspaul, 2015. l’action pastorale pour les années 4

à venir. Les chercheurs spirituels interpellent l’Église quant à son identité et sa mission.

Qui sont les « chercheurs spirituels » ? Le terme « chercheurs spirituels » vise moins à observer et à étudier un public qui pourrait être clairement identifié, que les manifestations de la vie spirituelle et de la quête de sens qui prennent aujourd’hui des formes multiples. Est « chercheur spirituel » toute personne qui s’auto-définit comme tel et qui considère sa démarche comme « spirituelle ». Ce peut être des personnes « non religieuses » : elles vivent leur quête en dehors de toute tradition religieuse, sans affirmer des contenus de foi et sans afficher des valeurs transcendantes. Ce sont également des personnes « croyantes », et pas forcément pratiquantes, qui affirment leur appartenance à une tradition religieuse, mais qui s’intéressent à d’autres traditions religieuses que la leur et qui n’hésitent pas

Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53

à aller chercher à l’extérieur des outils et techniques qui les aident à vivre. Dans le cadre de l’université de Strasbourg, le GERPSE (Groupe d’Études sur les recherches et les pratiques spirituelles émergentes) a mené en 2015 la plus vaste enquête de société jamais réalisée, pour mieux cerner le profil et les parcours des chercheurs spirituels.2 Elle a permis de battre en brèche un certain nombre de représentations concernant les chercheurs spirituels. Ils sont bien insérés dans la société. Il ne s’agit pas de personnes qui fuient le monde, d’asociaux ou de marginaux. Leurs démarches sont sérieuses et exigeantes, par le temps donné, l’argent dépensé et les moyens qu’ils prennent au-delà des temps forts dans leur vie quotidienne. Et leur recherche est également pour les autres : l’anthropologie de la relation est centrale dans leur recherche. L’enquête révèle aussi qu’un fort pourcentage de personnes s’affirmant comme


© Ipopba / iSock

catholiques (près de 70 %) estime que les activités engagées ont enrichi leur rapport à leur religion d’origine. Enfin, elle montre, chez les chercheurs spirituels, un intérêt certain pour la spiritualité chrétienne et la personne de Jésus. Si l’intérêt pour d’autres religions que la sienne est important chez tous, 72 % d’entre eux s’intéressent au christianisme.

Pourquoi s’ouvrir aux chercheurs spirituels ? Il ne s’agit pas seulement pour l’Église de rejoindre et d’évangéliser les chercheurs spirituels mais également d’écouter, de se laisser interpeller et convertir, au nom même de ce qu’ils vivent, de l’exigence et de la radicalité de leur propre chemin. Leur soif d’essentiel nous oblige à retrouver et à partager ce qui fait le cœur de notre expérience. Les chercheurs spirituels amènent l’Église, les communautés chrétiennes et les baptisé-e-s à rechoisir le Christ, à approfondir leur union à Dieu et à redécouvrir les trésors de leur spiritualité, à prendre soin de leur vie intérieure, à approfondir leur identité spirituelle, à « expérimenter le Christ en elle-même [l'Église] »3 pour ensuite témoigner et partager. Prenonsnous suffisamment l’Évangile au sérieux ? Comment vivons-nous la radicalité évangélique, et la recherche de ce Dieu qui nous fait vivre ? L’Église est ainsi conduite à creuser sa singularité afin d’entrer plus avant dans son universalité.

3. Ecclesiam Suam, 27.

Une autre raison de s’ouvrir aux chercheurs spirituels est qu’il en va également du devenir conjoint de l’Église et de l’humanité. Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de l’humanité, à laquelle l’Église est ordonnée. Une humanité aujourd’hui entrée dans une conscience vive de sa précarité4. Une humanité où la question la plus partagée est aujourd’hui ravivée : La vie vaut-elle le coup d’être vécue ? Quel est le sens de l’humain et du vivant ? Tel est le message limpide des chercheurs spirituels. L’enjeu, c’est bien l’avenir du genre humain et de notre maison commune. Or, l’Église a une responsabilité propre dans

ce devenir5. À la suite du Christ, mue par son Esprit, l’Église est au service de ce devenir, au service de l’humain et de sa croissance, au service du bien commun, au service de l’unité. Les chercheurs spirituels sont une bonne nouvelle pour l’Église et pour le monde. Nous pouvons y déceler les traces d’un Dieu qui reste à l’œuvre en cet âge et qui continue à travailler le désir de l’homme. Dans quelle mesure cela n’annonce-t-il pas l’orée d’une nouvelle aube pour l’humanité et l’Église ?

4. Cf. les ouvrages de Théodore Monod, Et si l’aventure humaine devait échouer, Le Livre de Poche, 2002 et de Paul Jorion Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Essai sur l’extinction de l’humanité, Fayard, 2016. 5. Le dessein de Dieu tel que formulé dans divers textes du concile Vatican II : « Que tous les hommes parviennent à leur pleine unité » (Lumen Gentium, 1). « Le bien commun de toute la famille humaine » (Gaudium et Spes, 26).

Frédéric Rochet mai/juin 2018

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Chercher et trouver Dieu

50 ans de cvx : engagés pour l’église et le monde Dans la perspective de la célébration des cinquante ans de la CVX, des compagnons témoignent des fruits reçus. Hélène est touchée par l’accompagnement mutuel en communauté locale (p. 8) et Jean-Paul, en répondant à un appel, exprime que sa vie spirituelle en a été transformée (p. 10). Cet anniversaire nous invite à contempler l’histoire de la CVX (pp. 12-13) et à en relire les grandes étapes pour mieux goûter et approfondir son charisme, profondément enraciné dans les Exercices spirituels (pp. 16-17). Enfin, l’Eclairage biblique nous propose d’entrer dans cette dynamique de don pour l’Église et le monde, thème de l’Assemblée Mondiale de juillet à Buenos Aires (pp. 14-15).

© Denis Beirnaert

TÉMOIGNAGES Le goût de la CVX. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 La fécondité des outils ignatiens. . . . . . . . . . . . 9 Un appel qui transforme. . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Discerner avec ses compagnons. . . . . . . . . . 11 CONTRECHAMP Un passé porteur d’avenir. . . . . . . . . . . . . . . . . .12

ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Une grâce reçue et donnée au monde . . . .. . .14 REPÈRES ECCLÉSIAUX

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Quel charisme pour la CVX ? . . . . . . . . . . . . . . .16 POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . . .19 mai/juin 2018

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

le goût de la cvx Après trois années en enracinement, Hélène a témoigné des fruits du chemin parcouru en CVX lors d’une journée régionale. Une parole prononcée pour contempler et pour s’engager…

J

Je suis entrée en CVX en 2012 après avoir eu mon premier enfant. Je cherchais un lieu où me ressourcer. Un rendez-vous régulier en équipe avec des temps de prière et de partage me convenait bien.

1. Exploration poétique à partir de morceaux de textes bibliques.

Après mon année d’accueil, j’ai intégré une nouvelle équipe. Nous ne nous choisissons pas au départ, nous sommes différents, petit à petit les liens se tissent pour créer une communauté. J’aime les croisées des regards et l’accompagnement mutuel.

En octobre 2016, après les trois années d’enracinement, chaque membre de l’équipe a prononcé, lors d’une journée régionale, une parole pour manifester son souhait de continuer et nous avons partagé les fruits de ce début de chemin. Pour moi, la relecture proposée par CVX m’a permis pendant ces quatre années de prendre conscience des fruits de la vie, de les regarder, de les cueillir, de les goûter. Je me sens plus accompagnée par Dieu dans ma vie, je me laisse davantage guider par Lui. Je sens la présence de Dieu à travers les rencontres vraies, à travers la joie partagée avec mon conjoint et mes enfants.

© Quangpraha / iStock

Je suis touchée par la liberté de parole dans notre équipe et les partages en vérité : partages de joies, de peines, de questionnements. Je suis touchée par l’écoute particulière de chacun de mes compagnons de foi. J’aime observer et entendre comment Jésus nous accompagne chacun dans nos vies, cela me remplit d’espoir et de joie. 8

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La CVX et mon accompagnatrice spirituelle m’ont aidée, de manière très délicate et sans jugement, à prier plus régulièrement et faire davantage confiance à Dieu. J’arrive, depuis peu, à prendre un temps de prière tous les matins. D ie u m ’ a c c o m p a g ne da ns l e concret de ma vie et la CVX me soutient dans mes engagements : auprès de ma famille, dans mon travail… par la prière de mes compagnons, par les réunions, par la relecture de vie, le discernement. Je suis très attachée à la CVX qui me donne des outils concrets pour vivre ma foi au quotidien. En dehors de CVX, j’expérimente aussi la lectio divina créative. Je partage les fruits de ces ateliers (collages, pantoums1) à ma communauté locale. Hélène


la fécondité des outils ignatiens David, agnostique, est marié à Martine qui est en CVX depuis de nombreuses années. Avec elle, il découvre une des composantes de la Communauté, la richesse des outils ignatiens, pour la construction de sa vie de famille.

C

« CVX ? Ça veut dire quoi ?… Vous vous rencontrez et vous parlez de ce que vous vivez ? Pour quoi faire ? » Ce dut être à peu près ma réaction lorsque Martine m’a parlé de son engagement pour la première fois. Je l’ai pourtant épousée ! Et elle a bien voulu de moi et de mes doutes d’agnostique… Dix-sept ans plus tard, j’explique parfois : « Martine est à CVX, c’est… » J’en suis presque fier, en tout cas, sûr de ma volonté de défendre cette « association de croyants catholiques ». Et cela m’est facile car je ne peux que reconnaître que les outils ignatiens nous aident dans ce qui est le plus important pour moi : avoir une famille heureuse.

nous allons bien ! »… Evidemment nous avons fait cette session… Prévenir vaut mieux que guérir. Et la pratique, à deux et désormais avec nos trois enfants, est une aide dans notre quotidien. Depuis, les sessions en famille, à Nevers puis Penboc’h, ont renforcé notre pratique. Cela nous aide à mieux écouter nos enfants et à les soutenir. Ces outils solidifient notre couple, notre famille est plus forte. Parler est un effort. Pour moi et pour nos enfants. Faire l’huître est plus facile… Un couple est un équilibre fragile à maintenir à deux. C’est Martine qui lance « les

opérations dialogues », et je fais l’effort de ne pas fuir… C’est le prix pour repartir de l’avant. Ma chance m’a fait rencontrer Martine et sa « panoplie ignatienne ». Grâce à elle, nous avons, je le crois, une famille heureuse. Alors que notre société est marquée par un taux de divorces important, ce qui est bien souvent le plus important pour chacun de nous ne nous est enseigné nulle part. Je m’interroge : ces outils ne sont pas une garantie, cependant pourquoi sont-ils si peu diffusés ? David

Comment ?

Notre première session date de notre premier enfant. « Un weekend écoute en profondeur ? Mais

© Rayes / Photodisc

S’écouter, écouter nos enfants, les questionner, décider en famille, soutenir, évaluer… Grâce à mon épouse et sa pratique de ces outils, notre famille se renforce et poursuit son chemin, avec ses difficultés et ses joies.

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Chercher et trouver Dieu

Témoignages

un appel qui transforme « L'Esprit souffle où il veut ». Jean-Paul en a fait l’expérience en répondant « oui » à une demande de service. Il n’imaginait pas que cela allait le conduire sur le chemin du Congrès national de la Communauté de Vie Chrétienne à Cergy en août 2015 et bouleverser sa vie.

P

« Pour le Congrès de la CVX à Cergy en août prochain, nous avons besoin de compagnons en mesure de rendre de petits services ». Cette phrase prononcée lors de la journée régionale de ma communauté a fait bouger ma vie d’une façon spectaculaire. J’ai communiqué mon intérêt pour un « petit » service, habité par une forme de culpabilité de piètre compagnon. En juin 2014, après treize ans dans la communauté, je profitais exclusivement des rencontres mensuelles en communauté locale et avais participé à trois journées 1. ESCR : régionales. Je tenais là une bonne Equipe service de la Communauté régionale manière de me racheter ! 2. ESCN : Equipe service de la Communauté nationale

nage, le faire ensemble et le désir profond de m’engager plus intimement dans la Communauté. J’ai également expérimenté l’absolue confiance dans l’action de l’Esprit saint qui m’a prouvé vouloir le meilleur pour moi. Et enfin, j’ai ressenti le désir de me former pour mieux vivre dans mon quotidien la Parole du Christ.

Je ne sais pas trop si Ignace s’est exprimé sur le discernement « express », mais je suis sûr que l’Esprit saint était bien derrière ce « oui » complètement fou qui allait transformer ma vie.

L’expérience vécue lors de ce Congrès m’a appris à aimer la CVX. J’ai pris conscience que pour l’aimer vraiment, il est indispensable de la servir en fonction de ses moyens et de ses talents.

De cet engagement, j’ai recueilli trois beaux fruits. Le premier a été le goût pour le compagnon-

Et, cerise sur le gâteau, mes compagnons de la communauté Yvelines Nord m’ont amené à devenir responsable de l’ESCR1 et l’ESCN2 m’a fait accepter avec joie d’être délégué à l’Assemblée de Communauté au cours de laquelle j’ai eu le bonheur de participer à l’élection de notre nouvelle ESCN.

© Denis Beirnaert

Quelques semaines plus tard, je rencontrais le coordinateur des

équipes du Congrès. Après s’être informé sur mon pedigree, il me fit part d’un besoin urgent : prendre en charge l’équipe animation. « Tout est à construire ! me dit-il. Je te laisse discerner ». J’ai fermé les yeux, pris ma tête dans les mains, puis en le regardant, je lui ai dit : « c’est d’accord, j’y vais ! »

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À travers ces engagements, je peux vivre de l’intérieur le triptyque « Disciple, Compagnon, Serviteur ». Avec humilité mais aussi avec joie ! Jean-Paul


discerner avec ses compagnons Avocat, marié et père de trois enfants, Dominique Marie a rencontré Ignace et la CVX en 1991. Le compagnonnage dans l’atelier Justice l’a aidé à faire un choix professionnel radical en adéquation avec ses aspirations profondes.

En CVX, j’ai participé dès sa création à l’atelier Justice. Au gré de sessions, rencontres et partages, confronté plus qu’en communauté locale à des questions sur ma pratique professionnelle, mon éthique, avec des acteurs de justice divers, j’ai pu cheminer, pas à pas, jusqu’à une retraite d’élection. Changer de pratique en restant avocat, changer de métier, mais pour quoi faire ? Il m’a été donné d’entendre clairement un appel à quitter mon pays connu pour trouver une plus grande unité de vie. J’ai sollicité mon intégration dans la magistrature, dans une totale confiance dans le Seigneur. Il m’a fallu démissionner du Barreau, me soumettre à des stages probatoires, vivant sur plus d’une année dans l’attente du sort final et incertain de ma démarche. J’ai vécu pourtant cette période dans une grande paix, assuré que le Seigneur pourvoirait, si tel était son désir pour moi.

Après avoir intégré la magistrature, au gré de mutations de postes, je suis passé du Parquet aux fonctions de juge aux affaires familiales, des tutelles, pour terminer ma carrière juge des enfants. Le Seigneur m’a réellement conduit vers les plus petits. La comparaison de ma pratique d’avocat « d’affaires » et de juge des enfants porte à sourire. Dieu ne manque ni d’humour, ni de ténacité. J’ai terminé ma carrière professionnelle heureux et comblé (fatigué aussi !).

Le compagnonnage des amis de l’atelier Justice a été un des principaux moyens offerts sur ma route pour ne pas passer à côté d’un discernement radical auquel le Seigneur m’invitait depuis déjà longtemps. Je rends grâce à Dieu du soutien unique et fondamental reçu d’un tel compagnonnage. La communauté d’atelier est une manière spécifique de vivre notre vocation particulière dans l’Église et dans le monde. Elle peut offrir une aide irremplaçable au discernement, là où il n’est guère possible de faire semblant, au milieu de pairs. Dominique Marie

© Nataba / iStock

J

J’avais choisi le métier d’avocat par amour de la justice et pour défendre les faibles. Des considérations économiques m’ont amené dans la défense des intérêts de grandes sociétés.

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Chercher et trouver Dieu

Contrechamp

un passé porteur d’avenir La Communauté de Vie Chrétienne est née il y a 50 ans mais elle est le fruit d’une longue histoire débutée avec la Compagnie de Jésus au XVIe siècle. Une histoire faite d’étapes de croissance et de questionnement pour arriver aujourd’hui à maturité.

L Marie-Odile Hesnard, membre de la CVX depuis 1981, et archiviste de la Communauté depuis 10 ans.

La Communauté de Vie Chrétienne ou plus exactement son « ancêtre » les Congrégations Mariales existe en tant qu’institution canonique depuis que le pape Grégoire XIII a reconnu, en 1584, la « Congrégation de la Sainte Vierge ». Cette Congrégation avait été créée par Jean Leunis s.j. pour les étudiants du Collège romain, qui, tout en restant des laïcs, voulaient vivre de la spiritualité ignatienne. Les « règles » instaurées par le Père Leunis sont encore la base de nos « Principes généraux ». À l’intérieur de la Congrégation, toutes les responsabilités sont confiées aux laïcs y compris l’élection du « père assistant ». Jean Leunis s.j. insiste sur la vie communautaire avec une messe quotidienne ensemble et une réunion chaque semaine. Au moment de la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773, les Congrégations Mariales qui s’étaient répandues partout dans le monde perdent leur spécificité ignatienne pour devenir de simples groupes de piété de droit diocésain.

Dans les premières années du XX e siècle, la Compagnie va essayer de revigorer dans les Congrégations Mariales le charisme ignatien. Elle sera encouragée par le pape Pie XII qui, en 1948, reconnaît l’apport à l’Église des Congrégations Mariales et les incite à revenir à leur source, les Exercices spirituels. Le jésuite hollandais, Louis Paulussen, nommé au Secrétariat central des Congrégations Mariales en 1950, sera le principal acteur du renouveau. En 1958, Paul Roger-Dalbert s.j. reçoit la charge du secrétariat français. Il s’emploie à créer des Congrégations Mariales à la fois dans les collèges et pour les adultes. Il donne à ces nouveaux groupes le nom de « Vie Chrétienne ». En 1967, à Saint-Hugues de Biviers, lors d’une rencontre à laquelle participent treize jésuites dont Jean-Yves Calvez s.j., provincial de France, et quarante laïcs, il apparaît comme une évidence que les groupes « Vie Chrétienne » devaient s’unir en une association indépendante de la Compagnie mais s’appuyant c o m me e l le s u r le s moye ns

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ignatiens. Sont alors mises en place les structures juridiques qui donnent aux groupes de Vie Chrétienne une existence légale.

La transformation prend forme Bientôt on passera des « groupes » à la « communauté ». Le terme sera officiellement adopté au Congrès mondial de Providence en 1982 aux ÉtatsUnis, où la Communauté se reconnaît une et mondiale. La création de la Communauté de Vie Chrétienne coïncide avec la revalorisation du rôle des laïcs dans l’Église voulue par Vatican II. À l’assemblée générale des CVX en 1979, Pedro Arrupe s.j., alors supérieur général de la Compagnie de Jésus, commentant le « Décret sur l’apostolat de laïcs », précise que si les laïcs ne prennent pas toute leur place dans l’Église il y a comme une « atrophie » du corps mystique. Les domaines où leur rôle est indispensable, ajoutet-il, sont d’abord l’Église, puis la famille, la profession, le secteur civique et social, et enfin le secteur politique.


© Fx Dyakyte

Les offrandes lors de la messe du Congrès national de la CVX à Cergy en 2015.

Après l’ébranlement de mai 68, la Communauté tâtonne en France. On se pose des questions sur sa nature même : a-t-elle vocation à être seulement un lieu de ressourcement pour ses membres ou un lieu de discernement pour la mission ? Jusqu’où faut-il aller dans l’action ? Une action politique ? Qu’est-ce que la « consécration » ? Le 8 décembre 1973, le Comité National, l’instance de gouvernement de la Communauté, reprenant une méditation sur le Règne de Claude Flipo s.j., l’assistant national, explique qu’il s’agit de « passer d’une vie généreuse où je reste maître de mes décisions à une vie spirituelle où je reçois mon action de Dieu à travers les situations de vie et les appels intérieurs ». La Communauté grandit, passant de 1 000 membres en 1970 à 4 200 en 1995 puis 6 500 en 2010. Mais d’un autre côté, le nombre de jésuites disponibles diminue et il devient urgent de trouver des accompagnateurs. La formation devient une priorité. À partir de

1973, des sessions diverses sont organisées tous les ans. Puis à partir de 1980, des formations deviennent obligatoires pour tous les futurs accompagnateurs. Des laïcs commencent à être formés pour cette mission. La reprise, en 1992, par la Communauté, du Centre spirituel Saint-Hugues à Biviers, jusque-là tenu par la Compagnie, marque un tournant fondamental. Des laïcs recoivent la mission pleine d’enseigner le chemin suivi par saint Ignace, en partenaires, et non sous la dépendance, de la Compagnie de Jésus. La Communauté reprendra également en 2000 le Centre du Hautmont. Par ailleurs, la Communauté (mondiale dès sa création) s’ouvre toujours davantage sur la mission dans le « monde » guidée par les congrès mondiaux. En 2017, la CVX était présente dans 76 pays ; elle a un représentant à l’ONU depuis 1978. La CVX France a « parrainé » des communautés nouvelles, comme la Lituanie en 2003 et l’Ile Maurice actuellement.

Au Congrès de Lille en 1995, les participants ont été invités à s’inscrire à des forums, « pour élargir leur regard et se confronter aux appels des hommes d’aujourd’hui ». Toujours davantage, jusqu’au Congrès de Cergy en 2015 qui, nous invitant à venir « au puits de la rencontre », nous conduira à trouver le Seigneur dans des lieux tout à fait inattendus.

Découvrez une vidéo de présentation de l'Assemblée Mondiale de Buenos Aires sur : assemblee mondiale2018. cvxfrance.com

Dans le même esprit d’ouverture sont créés les « ateliers » en 1997 (Ateliers Justice, Art, Étrangers), et les Universités d’été en 2013. Ainsi qu’en 2000, le CISED pour aider les étudiants étrangers de l’université de Saint-Denis en partenariat avec la Compagnie et les religieuses ignatiennes. Cet été, l’Assemblée Mondiale réunie à Buenos Aires pourra rendre grâce pour ces 50 ans, en relisant l’histoire de « la CVX, un don pour l’Église et pour le monde ». Marie-Odile Hesnard mai/juin 2018 13


Chercher et trouver Dieu

Éclairage biblique

une grâce reçue et donnée au monde 30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus

et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné. 31 Il leur dit : « Vous autres, venez à l’écart

dans un lieu désert et reposez-vous un peu. » Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n’avaient pas même le temps de manger. 32 Ils partirent en barque vers un lieu désert,

à l’écart. 33 Les gens les virent s’éloigner et beaucoup

les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux. 34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. © Studio-Annika / iStock

Il fut pris de pitié pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses. 35 Puis, comme il était déjà tard, ses disciples

s’approchèrent de lui pour lui dire : « L’endroit est désert et il est déjà tard. 36 Renvoie-les ; qu’ils aillent dans les hameaux et les villages des environs s’acheter de quoi

manger. » 37 Mais il leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils lui disent : « Faut-il aller

acheter pour deux cents pièces d’argent de pains et leur donner à manger ? » 38 Il leur dit : « Combien avez-vous de pains ? Allez voir ! » Ayant vérifié, ils disent : « cinq,

et deux poissons. » Marc 6,30-38 Traduction TOB

14 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53


A

Au commencement de sa vie publique, Jésus institue douze disciples « pour être ses compagnons et les envoyer prêcher, avec pouvoir de chasser les démons » (Marc 3,14). Ainsi, à la suite du Christ et munis de sa grâce, les apôtres se voient confier la mission de répandre la Bonne nouvelle. Au côté de Jésus, ils vont être enseignés pour enseigner eux-mêmes, ils reçoivent beaucoup… De retour de mission, les apôtres retrouvent leur maître pour partager tout ce qu’ils ont vécu. Jésus les invite à s’éloigner de la foule, à se reposer un peu dans un lieu désert, pour prendre le temps de relire leur action et contempler ce qui a été donné et reçu : qu’est-ce qui a été grâce ? Avec le Christ, les apôtres expérimentent un moment d’amitié profonde, un lien de compagnonnage étroit (6,30-32). Mais la foule est en quête de sens. Elle perçoit que Jésus peut la combler et qu’avec lui, les apôtres sont porteurs d’une Bonne nouvelle. Les gens accourent vers le lieu désert avant même l’arrivée de Jésus et ses apôtres. Jésus éprouve de la compassion pour cette foule qui semble perdue, sans berger. Il prend en charge le vide qui est dans leur cœur et veut partager avec eux Sa vie et Sa grâce en leur enseignant beaucoup de choses (6,33-34). Préoccupés par les réalités de ce monde, les apôtres sont inquiets car il est tard. Ils sont dépassés par la situation ! Comment procurer de la nourriture à tant de gens ? Mieux vaut les renvoyer chez eux… Bien que le Pain vivant soit avec eux, ils ne peuvent pas encore le voir (6,35-36). La foi des apôtres ne sera pleinement éclairée et affermie qu’à la lumière de la Résurrection. Alors, Jésus va les confirmer dans son appel initial : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Tout comme il les a envoyés prêcher, il continue de leur confier les foules. Il les engage à entendre les cris du monde. Même si le doute et la peur persistent chez les apôtres (6,37), Jésus les pousse à reconnaître en eux la grâce qu’ils ont déjà reçue et qui les rend capables d’agir en son nom : « Combien avez-vous de pains ? Allez voir ! » (6,38). Allez voir le trésor que vous avez : « cinq pains et deux poissons », contemplez-le, discernez l’appel qui vous est fait et partagez-le avec la

foule. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Matthieu 10,8). Ce trésor est pour le monde. Distribuez-le… Parce qu’il est offert, le Christ multipliera ce don en abondance pour que tous mangent et soient rassasiés. Il restera douze couffins, ce qui pourrait symboliser tous les disciples de Jésus, présents et futurs, chargés de ramasser les morceaux pour s’en nourrir et les donner à leur tour. Tel est le passage de l’Écriture proposé à notre méditation en vue de notre Assemblée Mondiale de juillet 2018. La CVX a beaucoup reçu depuis 50 ans… Le moment est favorable pour, comme les apôtres, contempler les grâces reçues, les pains que nous avons, et nous demander quel est l’appel que Dieu nous adresse en tant que Communauté pour y répondre de notre mieux maintenant dans l’Église et dans le monde aujourd’hui. Véronique Westerloppe

points pour prier + Demande de grâce proposée : identifier les pains et les poissons que je peux donner à partager.

+ Prendre le temps d’imaginer la scène. Où est-ce que je me situe ? Dans quel personnage ? Dans la foule ?

+ Les apôtres rapportent à Jésus ce qu’ils ont vécu. Qu’ai-je envie de raconter à Jésus de ma vie actuelle ?

+ Jésus veut prendre soin des apôtres.

Puis il a de la compassion pour la foule, qui est sans berger, qui a besoin d’être nourrie. Quelles sont les parties de ma vie qui ont besoin d’être nourries par Dieu ?

+ Jésus enjoint à ses disciples de chercher par eux-mêmes ce que la foule a déjà pour se nourrir. Qu’est-ce que je peux mettre moimême à disposition des autres ? Et de Dieu ? Marie-Emmanuelle Reiss mai/juin 2018 15


Chercher et trouver Dieu

Repères ecclésiaux

quel charisme pour la CVX ? De 1967 à 2017, cinquante ans se sont écoulés. Peut-être le temps nécessaire pour que le charisme soit approprié par le corps de la CVX et qu’il puisse, à partir de là, s’offrir. Ce sera le thème de l’Assemblée Mondiale, cet été. Alors que pouvons-nous dire aujourd’hui de ce charisme ? Vers quoi entraîne-t-il la Communauté ?

L Jean-Luc Fabre s.j., Assistant national de la Communauté de Vie Chrétienne.

Le charisme en régime chrétien se définit comme un don qui est fait à certains pour les autres. C’est donc une réalité complexe qui demande du temps pour être appropriée. Depuis sa première réception, il se déploie jusqu'à maturation produisant alors un fruit à donner aux autres, fruit qui doit lui aussi trouver sa forme. L’Église a reconnu que le chemin vécu par l’un peut devenir véritable chemin d’Évangile pour d’autres. Pendant longtemps, le lieu d’expression de la diversité des charismes dans l’Église a été la vie religieuse. Toutefois, le concile Vatican II a reconnu que ce don de l’Esprit peut être fait à de « simples laïcs » qui le demeurent mais qui s’associant peuvent transmettre le charisme qu’ils ont reçu. La reconnaissance de la Communauté de Vie Chrétienne en 1967 est l’une des toutes premières attestations de cette capacité reconnue par l’Église pour les laïcs.

Enraciné dans les Exercices Spirituels Durant ces cinquante ans, la Communauté de Vie Chrétienne a reçu son charisme en interne pour l’offrir aujourd’hui… Comment peut-on caractériser ce charisme ? Pour nous aider, au début des Principes Généraux qui expriment la visée de la Communauté, regardons le n° 5 : « La spiritualité de notre Communauté est centrée sur le Christ et sur la participation au mystère pascal. Elle est puisée dans la Sainte Écriture, la liturgie, le développement doctrinal de l’Église, la révélation de la volonté de Dieu à travers les événements de notre temps. Parmi ces sources universelles, nous considérons les Exercices spirituels de saint Ignace comme la source spécifique et l’instrument caractéristique de notre spiritualité ». Un charisme, c’est toujours aussi une manière de relier, entre elles, les sources universelles.

16 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53

Alors quel est le chemin propre aux Exercices, qui se retrouve en chaque proposition ignatienne et dans ce que vivent les compagnons en communauté locale ? Durant les trente jours, le retraitant est appelé à confronter sans cesse ce que la Parole de Dieu lui dit (contemplation évangélique) et ce qui lui vient à partir de l’examen des événements de sa vie (prière d’alliance). De la confrontation entre ces deux sources, il éprouvera l’enjeu de vie, laissera surgir en lui une parole libre qui l’engage, discernera l’action à poser. Nous retrouvons ainsi le mouvement contemplerdiscerner-agir. Ce mouvement, vécu profondément, lui donne, dans le même élan, de prendre plus pleinement conscience de la grâce du pardon sacramentel (fin de la première semaine), du don de la Cène (fin de la deuxième semaine). La source liturgique est ainsi profondément réappropriée dans la vie même du retraitant. Au terme des Exercices, le retraitant traversé par la dynamique


Le charisme de la Communauté, fondé sur la réception à plusieurs du mouvement des Exercices spirituels, permet aux compagnons un élargissement de la compréhension existentielle de leur vie en devenant « Disciple, Compagnon, Serviteur », pour eux, pour la Communauté et enfin pour le monde. Ce mouvement est également vécu par la Communauté elle-même. Le déploiement de ce charisme dans la CVX a fait surgir un corps ecclésial qui a d’abord parlé de lui comme « Association », puis comme « Communauté » et, maintenant, comme « corps apostolique laïc »… Au-delà des mots, un mouvement peut se lire de l’émerveillement d’être associés (années 70), puis de percevoir que cette association donne de faire Communauté (années 80-90) et d’entendre que ce rassemblement n’est pas que pour les membres mais pour bien d’autres, mouvement sensible depuis les années 2000…

© Danny Enard, collection privée. Avec l’aimable autorisation de l’Association des Amis de Louis Rivier, www.art-louisrivier.ch

de l’Esprit par lequel il s’est laissé guider peut comprendre que ce même Esprit puisse conduire l’Église. Il peut alors s’ouvrir à l’efflorescence du développement doctrinal en son sein (règles pour sentir avec l’Église). Par là, les deux sources d’ouverture (Parole de Dieu et lecture des signes des temps) revivifient pour le retraitant les sources identitaires (doctrine et liturgie), les remettent dans le mouvement de l’Esprit qui murmure au Seigneur : Maranatha (Seigneur, viens !)

La Communauté de Vie Chrétienne est à un moment de basculement dans son histoire, une nouvelle naissance.

Un charisme à offrir Qu'est-ce que le charisme de la Communauté a à apporter aujourd’hui au monde et à l’Église ? Les grands changements actuels de notre société sont très perturbateurs et ils ont tendance à amener beaucoup de chrétiens à privilégier les sources « identitaires » : la liturgie, le développement doctrinal au détriment des « sources d’ouverture » comme celle de la lecture des signes des temps. Cette dernière fut peut-être trop exclusive dans les années 70 parmi les mouvements d’Action Catholique. Cela a amené un éloignement de la foi pour beaucoup puis la réaction, par la suite dans les années 80, vers la doctrine et la liturgie, plus rassurants. Dans ces diverses approches, la source de la Parole de Dieu peine souvent à être reçue comme telle. Elle est comme instrumentalisée par la doctrine ou la lecture des signes des temps ou bien encore la li-

turgie. Dans l’héritage ignatien, il est donné à tous de percevoir que la Parole parle lorsque nous prenons les moyens d’Ignace. Dès lors la mission de la Communauté en ces jours n’est-elle pas de proposer à chaque chrétien de faire l’expérience que la Parole de Dieu parle, lui parle, et lui parle encore plus en la partageant avec d’autres ? Alors, quelle que soit sa terre, ce chrétien vivra en lui-même une tension bénéfique entre sa source préférée, tout à fait légitime (liturgie, doctrine, lecture des signes des temps) et la Parole de Dieu. À partir de là, pourra s’instaurer une nouvelle manière de penser l’unité non pas par réduction des tensions, mais par un dialogue véritable, sur fond de Parole de Dieu ouvrant sans cesse de nouveaux horizons, ouvrant sans cesse à une espérance renouvelée pour l’Église et le monde. Jean-Luc Fabre s.j. mai/juin 2018 17


Chercher et trouver Dieu

pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Je relis ma vie en CVX. Quels fruits principaux a-t-elle portés depuis que j’en fais partie ? De quoi puis-je rendre grâce ? Comment le charisme de la CVX est-il intégré à ma vie spirituelle ? • Est-ce que je connais l’histoire de la Communauté ? Quelles sont les grandes étapes qui marquent, d’après moi, son développement depuis qu’elle existe ? En quoi cela me rejoint-il ? Ai-je conscience d’appartenir à un corps apostolique et à une Communauté mondiale ? • Fort de 50 ans d’histoire, le charisme de la CVX est appelé à être partagé avec l’Église et avec le monde. Comment puis-je être acteur de cet appel à sortir ? Par quels gestes, quelles paroles puis-je partager ce que je découvre et ce qui me fait vivre en CVX ?

À lire : • La joie de l’Évangile Pape François, Bayard, Cerf, Mame, Décembre 2013 – « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus » : c’est par ces mots que s’ouvre cette exhortation apostolique dans laquelle le pape François développe le thème de l’annonce de l’Évangile dans le monde actuel. Un appel vibrant à tous les baptisés afin que, avec une ferveur et un dynamisme nouveaux, ils portent à leurs prochains l’amour de Jésus. • S e préparer et comprendre les enjeux de l’Assemblée Mondiale de juillet 2018 à Buenos Aires Deux documents du Conseil Exécutif Mondial de la CVX : Projets n° 168 « Célébration, consolidation et renouveau de la CVX » – septembre 2017 et Projets n° 169 « Prendre soin de notre don, l’offrir plus généreusement dans la joie » – décembre 2017. www.cvx-clc.net • C’est ainsi que Dieu travaille Louis Paulussen s.j., Supplément Progressio n° 14, Juin 1979. Téléchargeable sur Internet. Ce texte retrace les origines de la Communauté de Vie Chrétienne de manière très développée en donnant les grandes étapes de son développement depuis ses débuts jusqu’à l’adoption de son nom actuel. • Le site Internet de la Communauté de Vie Chrétienne Ce site très complet présente la Communauté en France, ce qu’elle vit, et propose de nombreuses ressources pour mieux la découvrir. Un espace communautaire riche permet d’avoir accès à son actualité dans ses quarante-six Communautés régionales - www.cvxfrance.com

À voir : • En CVX, Dieu parle à chacun à travers la parole des compagnons Cette courte vidéo animée expose les fondements de la spiritualité ignatienne, donne des repères en langage simple pour en vivre et présente le chemin de compagnonnage proposé par la CVX. Une vidéo à retrouver sur le site Internet : www.cvxfrance.com • Servir à la manière de la Communauté Treize compagnons ont participé à la session « Servir à la manière de la Communauté » à Saint-Hugues en juillet 2017 : l’un d’entre eux raconte cette expérience, en vidéo, visible sur le site Internet de la Communauté.

18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53


© Catherine Raphalen

contempler une œuvre d'art

L’Axe Majeur de Cergy-Pontoise, une œuvre monumentale conçue par le sculpteur Dani Karavan à partir de 1980.

L’ensemble de cette réalisation court sur trois kilomètres et intègre sculpture, architecture et urbanisme. Cette partie de l’Axe Majeur montre un espace cadré en rouge et ouvert à la fois. La circulation est possible, dans un sens comme dans l’autre. Ce pont enjambe de l’eau, des arbres. Douce lumière de fin de journée. Calme et sérénité.

mai/juin 2018 19


Se former

École de prière

une application pour méditer la parole

L’aventure de « Prie en Chemin » a débuté il y a tout juste un an. À l’origine du projet, une expérience heureuse et contagieuse, née en Grande-Bretagne : Pray as you go, avec pour objectif de proposer, sous forme de podcast, une méditation quotidienne de la Parole de Dieu, à la manière ignatienne.

Grégoire Lebel s.j., en charge de l’apostolat numérique de la Province Jésuite d'Europe Occidentale Francophone.

L

Découvrez une vidéo de présentation de "Prie en chemin" sur : viechretienne.fr

La proposition Pray as you go est née il y a plus de dix ans dans la Province Jésuite de GrandeBretagne. L’idée était d’offrir la possibilité d’écouter une méditation guidée de la Parole de Dieu du jour dans n’importe quel lieu, à la maison, dans les transports, en promenade… Le concept s’est rapidement structuré autour de trois principes : de la musique, une lecture issue de la liturgie du jour et des pistes pour s’en nourrir. La musique est là pour introduire le temps de prière, et soutenir l’attention ; le passage biblique est choisi parmi les textes de la liturgie du jour ; les pistes enfin, sont rédigées par des jésuites, des religieuses ignatiennes ou des laïcs formés aux Exercices spirituels. À partir de ces éléments de base, les pistes et passages bibliques sont enregistrés, alternant voix d’hommes et voix de femmes, puis le tout est mixé pour obtenir un support audio de prière guidée de 12 à 14 minutes, disponible sur un site Internet ou une application smartphone.

Quelques temps ont suffi pour que d’autres provinces jésuites prennent le relais dans leurs langues maternelles et c’est aujourd’hui en portugais (Passo-a-rezar), vietnamien (Phút cãu nguyên), espagnol (Rezandovoy), polonais (Modlitwa w drodze), hongrois (Napi-útravaló) et flamand (Bidden Onderweg) que l’aventure Pray as you go se déploie. Pour chaque langue, une équipe locale fait l’ensemble du travail de sélection des musiques, du suivi d’écriture des pistes et du mixage. En effet, le génie de la langue et des cultures oblige à créer du neuf, destiné à des populations bien particulières. Mais c’est seulement il y a un an que les Français ont développé, à leur tour, l’application. Nous avions pu expérimenter le concept à l’occasion d’une retraite de Carême de Notre-Dame du Web. Les retours furent enthousiastes !

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Donner le goût de la Parole de Dieu Fils de saint Ignace, les jésuites, comme tous les ignatiens, sont profondément marqués par l’expérience des Exercices spirituels : découvrir qu’à travers la méditation de la Parole de Dieu, le croyant peut faire l’expérience de Dieu. Or trop souvent, cette Parole est seulement entendue, et non pas réellement écoutée. Nous ressemblons alors à des canards ; heureux de nous baigner dans la Parole de Dieu, mais sans lui laisser la chance de nous rejoindre. Celle-ci a alors tendance à glisser comme l’eau sur des plumes. Or « Prie en Chemin » offre justement la possibilité de s’arrêter, d’écouter à deux reprises le passage biblique, de voir comment il rejoint nos vies et à quelle conversion il nous invite. Il s’agit de faire l’expérience que la Parole de Dieu s’est incarnée en Jésus et qu’elle s’incarne à nouveau en chacun de nous, quand on se met à son écoute.


Les Exercices Spirituels

Des collaborateurs Une équipe de trois personnes œ u v re p o u r « P r i e e n C he min » : une laïque responsable à mi-temps pour trouver des partenariats musicaux et des

Plus d'informations : prieenchemin. org ou sur Android/iOS Mail : info@ prieenchemin. org © D.R.

Le troisième point qui a fait pencher la balance pour se lancer dans l’aventure, aussi étrange qu’il puisse paraître, est celui de notre vocation… En effet, quand on demande à un ignatien ce qui fait la spécificité des jésuites, de telle ou telle congrégation ignatienne ou encore de la Communauté de Vie Chrétienne, il faut bien avouer que l’on revient à un moment ou l’autre sur ce qui structure profondément notre vie : les Exercices spirituels. On peut faire des vidéos pour présenter ce que nous faisons au quotidien ; on peut écrire des articles sur notre manière de contempler le monde, d’y être acteurs aussi ; mais expliquer ce qui est à la source de nos vies semble plus compliqué : certes un attachement au Christ, certes un regard bienveillant, certes un goût des périphéries… Mais cela dit, au cœur de nos vies, sont et resteront les Exercices spirituels. Et « Prie en Chemin » a aussi pour but de permettre au plus grand nombre de s’en approcher, de découvrir la joie de suivre le Christ de cette manière, de le contempler dans sa Parole, d’entendre cette Parole prendre un sens particulier dans son quotidien.

lecteurs, enregistrer les pistes et mixer le tout ; deux jésuites pour coordonner la rédaction des pistes et la relecture de l’ensemble. Nous allons dans q u e l q u e s jo u rs f ê t e r no t re première bougie, lancer une campagne de communication et organiser une soirée avec nos lecteurs et rédacteurs pour faire une relecture de l’aventure !

une réelle écoute de la Parole de Dieu, à avoir des oreilles pour entendre… bref à cheminer toujours davantage avec le Christ. Si vous désirez nous rejoindre, comme lecteur ou lectrice, pour rédiger les pistes ou nous faire des retours pour améliorer l’ensemble, vous êtes les bienvenus ! Grégoire Lebel s.j.

Pour conclure, avec « Prie en Chemin », nous désirons aider nos contemporains à entrer dans mai/juin 2018 21


Se former

Expérience de Dieu…

« tu as du prix à mes yeux » Marie-Agnès accompagne des hommes prostitués dans le cadre de l’association « Aux captifs, la libération ». Elle partage avec eux un repas, un jeu, du temps mais aussi la Parole de Dieu. Elle témoigne, avec eux, de son espérance en un Dieu de vie.

T

tuent parce que sans papiers, sans domicile, ou parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autres moyens pour gagner un peu d’argent. Je suis là pour « vouloir le bien » de celui qui vient, pour leur dire de la part de Dieu : « Tu as du prix à mes yeux ».

Je suis devenue « bénévole aux Captifs », dans un lieu qui accueille des hommes rencontrés « au bois » le soir lors de tournées, des hommes qui se prosti-

Aux permanences, les hommes peuvent venir pour avoir un suivi social, se laver, laver leur linge ; nous, bénévoles, nous leur proposons de préparer un repas avec

© Aux captifs, la libération

1. Gustavo Gutiérrez : théologien péruvien, dominicain, né en 1928 à Lima. Il fut expert au Concile et est considéré comme le père de la théologie de la libération.

Travaillée par l’option préférentielle pour les pauvres, j’ai fait un mémoire de théologie sur le sujet ; mais peut-on en rester à la théorie ? Gustavo Gutiérrez 1 m’avait fait comprendre qu’on ne peut s’approcher du pauvre qu’à tout petits pas.

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eux, de le partager, de jouer à des jeux de société, car on peut vite perdre l’habitude de la vie sociale ; ils peuvent aussi s’allonger si la nuit a été dure : dormir dans la rue, dans un parking, n’est pas de tout repos ! Pouvoir dormir allongé à l’intérieur est parfois beaucoup plus important que de manger un repas chaud. Avec eux, j’ai progressé aux dominos. Pour moi, c’était un jeu pour enfants. J’ai compris toute


l’attention et la réflexion que cela demande ; maintenant je regarde autrement les personnes que je vois y jouer dans les rues. La joie de Sofiane, arrivé récemment, tout heureux de retrouver ce jeu et qui arrive en disant tout joyeux « on joue aux dominos » rejaillit sur moi. Je suis admirative de la manière dont la plupart d’entre eux me disent « bon week-end », alors que je vais rentrer au chaud chez moi, tandis qu’ils vont passer une nuit de plus à la rue. Ils ne sont pas dans la comparaison. Touchés par ma présence auprès d’eux, ils me veulent du bien : ainsi, ils me manifestent la tendresse du Père. Parfois, la révolte monte dans le cœur de certains au point d’être verbalement agressifs ; mais ce qu’ils dénoncent n’est-il pas vrai ? Parfois, c’est le désespoir qui l’emporte. Le jour où Stef s’est ouvert les veines à la fin d’une permanence, je voulais aller dans une gare prier la contemplation de l’Incarnation. J’ai compris que Dieu voulait s’incarner auprès de ces hommes, se faire proche d’eux, que c’est là qu’Il me demandait d’être. Quelques mois plus tard, Stef est revenu, tout aussi désespéré ; j’étais assise devant lui ; les paroles étaient difficiles ; les solutions impossibles. J’ai foi en un Dieu de vie ; Dieu était avec moi quand je contemplais la cicatrice de son bras ; Il m’a donné une idée que Stef a acceptée, aller aux urgences psychiatriques ; je me disais « pourquoi attendre le sui-

Aux captifs, la libération Association chrétienne fondée en 1981 par le P. Patrick Giros. Le nom trouve son origine en Isaïe 61,1, repris par Jésus à la synagogue de Nazareth (Luc 4,18), où il dit qu’il vient « annoncer aux captifs leur libération » : seul le Christ est le véritable libérateur. Les « Captifs », ce sont les personnes captives de la rue, de la drogue, de l’alcool, de la prostitution, de la maladie mentale… mais aussi toute personne captive du péché. Les valeurs de l'association prennent racine dans la conviction du prix et de la dignité de chaque personne. Cette dignité n’est pas liée à sa situation, son apparence ou ses ressources. Elle est fondamentalement inscrite en elle et de façon indélébile car toute personne est créée à l’image de Dieu. cide pour hospitaliser ? » ; durant tout le temps d’attente, je l’ai vu s’apaiser, se détendre, puis nous avons pu parler et il a fini par sourire. Pour ma part, je l’invitais à la confiance, sans autre secours que mon espérance en un Dieu de vie. L’association propose des séjours de dynamisation. C’est ainsi que Marius a proposé de faire « le chemin de Saint-Jacques » ; je suis partie marcher avec eux. J’ai eu beaucoup de joie à marcher, à partager, à chanter, à contempler la nature et les animaux, à rire,… avec eux. Je n’étais plus la bénévole, j’étais l’un d’eux, « la vieille » à laquelle ils faisaient attention, dont ils respectaient le rythme. J’ai fini par consentir à marcher en musique et à chanter « champagne, vodka, coca, l’alcool c’est de l’eau ». J’avais proposé de préparer un livret de pèlerinage ;

chaque jour, à l’heure de la sieste, nous le prenions avec Marius, lisant l’évangile du jour, cherchant en quoi il était pour nous bonne nouvelle ; j’étais émerveillée de contempler chaque jour Marius nous partager la Bonne nouvelle qu’il recevait à travers ce passage ; je me sentais petite devant sa foi. J’ai proposé de relire la journée quand cela a été possible : j’ai été réjouie d’entendre que le partage d’Évangile était pour lui source d’action de grâce. Petit à petit, je comprends pourquoi Jésus me dit : « Les publicains et les prostitués vous précèdent dans le royaume de Dieu » (Matthieu 21,31). Oui, en les écoutant, en les contemplant, je peux affirmer que la vie surgit dans des lieux de mort. Marie-Agnès Bourdeau

Une théologienne relit cette expérience Sortir de la théorie, passer de la partie de dominos aux urgences psychiatriques, c’est tout à la fois se plonger dans la contemplation active de l’Incarnation et développer notre « sentir avec l’Église », qui appelle chaque chrétien à prendre sa part de la mission du Christ, dans la diversité des lieux où l’Esprit travaille et sans comparaison entre nous : les plus pauvres nous l’enseignent. mai/juin 2018 23


Se former

Lire la Bible

babel, pentecôte : uniformité ou unité ? C’est une habitude de mettre en relation le récit de la Tour de Babel (Genèse 11,1-9) avec celui de la Pentecôte (Actes 2,1-13). Que nous apprennent l’un et l’autre de ces textes sur les tentations de l’homme et le dessein de Dieu ? Étudions-les d’un peu plus près avec Anne-Claire Bolotte, bibliste.

L Anne-Claire Bolotte, professeur d’histoire, bibliste, enseignante au Collège des Bernardins.

1. Édifices religieux mésapotamiens élevés constitués de plusieurs terrasses.

La rédaction du récit de la Tour de Babel (Genèse 11,1-9) date du retour de l’exil en Babylonie. On sent le poids de cette expérience : celle des impérialismes assyriens et babyloniens, l’excès des grandes ziggurats1… Le nom du plus important de ces temples gigantesques est d’ailleurs « maison à haute tête ». Et Babylone veut dire : « porte des dieux ». Le narrateur, en croyant, mène une réflexion sur l’orgueil humain et sa démesure. Il fait le choix du récit pour que tout lecteur se sente concerné. Dès le verset 1, le narrateur nous dit que « Tout le monde était lèvre unique et parole (davar) unique », selon une traduction littérale. Ce qui faisait dire à un penseur juif du XII e siècle, Ibn Ezra : « À cette époque, les paroles d’un sage et celles d’un sot étaient identiques. » On ne sait plus qui est qui. Le terme hébreu « davar » est très riche : il signifie « parole », mais aussi « évènement » et donc « histoire ». S’il n’y a qu’une seule histoire, il n’y a pas grand chose à se raconter : l’échange tourne vite court. Ces hommes

se déplacent, en fait « désorientés ». Ils finissent par se poser à Shinéar, nom biblique de Babylone. Ils décident de « se construire » une ville, entourée d e m u r a i l l e s , e t u n e t o u r. L’expression « Faisons-nous » revient à deux reprises : « Faisons-nous des briques » (verset 3), ce qui est un signe de leur maîtrise technique et « Faisons-nous un nom » (verset 4), c’est-à-dire donnons-nous notre identité et donc notre puissance.

Une réplique de la tentation originaire L’ a u t e u r fa i t a p p e l à no t re mémoire, pour discerner les enjeux de telles attitudes. De fait, quelques chapitres plus tôt, au jardin d’Eden, Dieu n’a pas jugé bonne l’unicité de l’Adam : il l’a voulu deux, pour u n « fac e - à - fac e » q u i s o i t une « communication ». Au chapitre 1 de la Genèse, lorsque Dieu dit : « Faisons ! », c’est pour donner vie à un partenaire et permettre une altérité entre le féminin et le masculin, et « c’était très bon ». Les actes des

24 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53

hommes de Babel sont un refus de la volonté « bonne » de Dieu. Quant à cette tour qui veut « pénétrer les cieux », comment ne pas se souvenir de la suggestion du serpent à « être comme des dieux » (Genèse 3,5) ainsi que de ses tristes conséquences ? Les actes des hommes de Babel sont également une réplique de la tentation originaire : prendre la place de Dieu. Dieu, soucieux, descend voir ce qui se passe (verset 7) : « Jusqu’où iront-ils ? » Dieu a bien compris que la « langue unique » les a conduits à un refus de toute altérité. Il a débusqué une tentation de « toute-puissance » et décidé d’arrêter tout cela. Pour le narrateur comme pour nous, la diversité des langues et des cultures est une épreuve. L’uniformité nous rassure. Très finement, l’auteur inspiré met en lien cette volonté d’uniformité contraire à la sagesse de Dieu et l’orgueil d’accéder à Dieu par ses propres forces. Si les hommes se font à eux-mêmes un nom, une puissance, s’ils « se


© La Tour de Babel, Brueghel l’Ancien (1563)/ CC

construisent » dans l’orgueil, peuvent-ils accueillir la vie comme un don de Dieu et invoquer son Nom ? Assurément, non. Acceptons alors la décision de Dieu : « disperser » et « brouiller les langages » pour y voir non un châtiment, mais plutôt une mesure préventive, voire une « bénédiction » 1 car un échange est à nouveau possible.

Quel lien avec le récit de la Pentecôte ? Si le moment du Mystère « pascal » est le même pour les quatre évangélistes, Luc est le seul à situer le don de l’Esprit lors de la fête de la Pentecôte (Actes 2,1-13). Il s’agit de l’une des trois fêtes juives de pèlerinage pendant lesquelles tout juif religieux désire venir à Jérusalem, d’où qu’il vienne. Son nom hébreu est « shavouot », c’està-dire « les semaines ». Elle est célébrée sept semaines après la Pâque. Actes 2,1 devrait donc être traduit : « Quand s’accomplissait le jour de la cinquantaine ». La tradition juive y célèbre le don des dix paroles au Sinaï (Exode 1920). Il fallut un délai de plusieurs semaines, après la sortie d’Egypte, pour que le peuple accueille la loi de Dieu comme un chemin de vie. Il a d’abord dû apprendre à recevoir de Dieu nourriture et boisson. Le peuple, sauvé du péril égyptien, entre alors librement dans l’Alliance proposée par Dieu pour devenir lumière des nations, par sa justice et sa sainteté. La fête des semaines célèbre cet accomplissement.

Nous commençons à comprendre le choix de Luc : si, ce qui se passe au Cénacle, le don de l’Esprit saint pour la mission, est bien l’accomplissement du Mystère pascal, il fallait un délai. Le Seigneur a d’abord passé quarante jours avec ses disciples : le temps qu’ils reconnaissent la réalité de sa vie, victorieuse de la mort. « Enlevé à leurs yeux », dans la Gloire du Père, il impose, à nouveau, une attente dans la prière et l’action de grâces (Actes 1,8). C’était le temps nécessaire. Le cinquantième jour, les effets sonores et auditifs (Actes 2,2) reprennent ceux du Sinaï. Ils signalent, « venant du Ciel », l’initiative divine. La demeure est remplie comme d’un « violent coup de vent ». « Tous » les d i s c i p le s s o nt « re m p l i s d e l’Esprit Saint » et si le feu s’est divisé en langues, c’est pour que

« chacun », en reçoive une part. La plénitude des promesses s’accomplit : celles des prophètes que Pierre cite dans son discours et que la liturgie nous donne à entendre, celle aussi de Jésus luimême puisqu’ils reçoivent « la force d’en haut » promise (Luc 24,49). Le don est immédiatement efficace : ils se mettent à parler en d’autres langues. Une tradition juive ancienne disait déjà que la Voix de Dieu entendue au Sinaï s’était divisée en soixante-dix, autant que les langues du monde, à l’époque !

1. La bénédiction de Babel, François Marty s.j., Éditions du Cerf, 1990.

L’unité dans la diversité L e s p è le r i ns p r é s e nts s o nt dans l’émerveillement : « Ces hommes sont galiléens, et nous les entendons tous, chacun dans notre propre langue » (versets 7 et 8). La mention de « chacun » et de « tous », nous fait

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Lire la Bible ni dans le monde. Celle-ci est assumée, comme sanctifiée par l’Esprit. D’ailleurs, très vite, les disciples vont quitter la ville pour porter la Bonne nouvelle « jusqu’aux extrémités de la terre ». En aucun cas « désorientés », car c’est l’Esprit qui les guide ! Dans le discours qui suit l’évènement, Pierre convoque les Écritures (Joël 3,1-5) pour interpréter ce qui se passe : « Il arrivera, en ces jours-là, que je répandrai mon esprit sur toute créature (…) et quiconque invoquera le nom de Dieu sera sauvé ! » (Actes 2,17-21). En ce cinquantième jour, le don fait au peuple d’Israël et qui fonde son identité, aimer et vivre selon la volonté de Dieu, est offert à tous les hommes et à chacun. Saurons-nous renon-

© Sedmak / iStock

2. L’étranger ou l’union dans la différence, Michel de Certeau s.j., Éditions DDB, 1991.

entendre tout autre chose que le désir totalitaire de Babel. L’humanité toute entière est sauvée, mais par une parole adressée à chacun, qui se reconnaît choisi et rejoint par Dieu, dans sa singularité même. Le don de la Torah s’est fait au désert. Mais c’est Jérusalem qui accueille, « hurlant de joie, toutes les nations de la terre » (Isaïe 48,20). Jérusalem est « l’anti Babel ». Les disciples de Jésus y expérimentent la force de l’annonce de la Bonne nouvelle de Jésus ressuscité : beaucoup de personnes, dans leur diversité, les rejoignent, nous dit Luc. L’unité, construite par « la fraction du pain » et par l’enseignement des Apôtres (Actes 2,42), ne supprime pas la diversité ni dans la communauté,

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cer aux tentations de Babel, qui en hébreu veut dire « bredouiller » ? Accepterons-nous la diversité, voulue par Dieu dès les commencements, comme une chance de relation, d’« union dans la différence » 2 ? Accueillerons-nous alors l’unité comme un don, comme l’œuvre de Dieu, et bien au-delà de ce que nous imaginons, comme une fraternité ? Anne-Claire Bolotte

Pour aller plus loin Langue(s) et célébrations En lisant ces textes, une question peut être posée : l’usage d’une langue liturgique unique est-elle gage d’unité ? Peut-être ! Mais nous avons l’expérience de célébrations dans des pays dont les langues nous sont inconnues. La gestuelle de l’assemblée et du célébrant nous a servi de repères. Les « Amen » ou les « Alléluia », le pain et le vin de Pâques nous ont tous reliés à Jésus de Nazareth, à l’Incarnation. Nous nous sommes « déplacés », pour recevoir l’unité comme un don de Dieu. Par la paix et les sourires échangés, fruits de l’Esprit de Pentecôte, nous nous sommes reconnus « frères ».


Spiritualité ignatienne

la cura personalis prendre soin d’une équipe La cura personalis, expression latine désignant l’attention portée à la personne, peut s’entendre également comme une attitude spirituelle à adopter envers une équipe en tant qu’accompagnateur ou responsable. Pascal Sevez s.j. nous en donne les différentes étapes.

Tentons un petit « Discours sur la méthode » sur cette attitude spirituelle envers une équipe.

Des étapes Le plus frappant est d’abord d’avoir à décomposer, à clarifier, à ordonner ce qu’intuitivement nous aurions fait pour nous-même. Nommer et organiser les étapes d’un processus, c’est donner à chacune des personnes concernées de s’y retrouver sans « moutonner ». Prendre le temps de l’étape, c’est se donner les moyens de respecter le rythme et l’adhésion de chacun. C’est structurer une démarche pour veiller et viser le respect des personnes, tout en étant attentif à ce que ce respect l’emporte sur le respect des règles.

Enjeux et simplification L’étape fondatrice sera alors celle de la clarification des enjeux puis de la simplification d’une question sur laquelle le groupe entend délibérer. A-t-on pris le temps de vérifier la place du groupe dans le cheminement en cours ? Est-il un lieu de partage renvoyant à chacun la construction de son itinéraire ? Un lieu de consultation pour éclairer la décision d’un des membres ? Le lieu de la prise d’une décision qui engagera tous ? Prendre le temps de se poser ces questions et d’y répondre, c’est aider chacun à trouver sa juste place, à en prendre conscience.

C’est donner l’occasion de formuler la visée commune du groupe, de mettre au clair et de poser l’enjeu qui le rassemble. Les moyens utilisés, les chemins parcourus sont remis, eux aussi, à leur juste place. Les tensions sur leurs usages pourront être traversées ainsi que les désaccords grâce à cette visée commune. L’attention à l’autre passe par ce temps.

Pascal Sevez s.j., directeur du Centre d’Études Pédagogiques Ignatien.

Le travail de l’indifférence Vient ensuite le besoin de prendre en compte le point où en est chacun, d’aider toute personne dans le groupe à l’exprimer, à le percevoir elle-même. Quels moyens

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Parler de cura personalis évoque le plus souvent une attention singulière envers une personne. Pourtant ce « soin » personnel, comme accompagnateur ou responsable d’un groupe, nous cherchons aussi à le pratiquer… sans nous contenter de mettre au pluriel ce qui s’écrit généralement au singulier…

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Spiritualité ignatienne concrets déployer pour que chacun prenne la parole, pour aider chacun à passer de la tête au cœur, à ne pas réagir à partir de la surface des mots ? Quelle manière de procéder va m’aider à m’aventurer dans les représentations que je projette ou dans laquelle j’enferme la situation qui m’est soumise ? C’est tout le travail sur l’« indifférence » auquel doit veiller le responsable ou l’accompagnateur du groupe. Je ne peux y accéder sans avoir pris le temps et l’occasion de découvrir ce à quoi je suis attaché ; ce qui m’attache, me brouille et m’embrouille dans la décision à éclairer. C’est seulement à ce prix que je peux recevoir de gagner en liberté intérieure.

Quatre colonnes

Ramenée à une alternative quand il s’agit d’éclairer une décision à prendre, la cura personalis prend alors le soin de structurer la recherche des éléments qui vont intervenir pour se décider en une pesée. Une pesée et non une simple répartition en deux colonnes. La cura personalis prend alors bien soin de distinguer des temps de réflexion exclusivement « pour » puis exclusivement « contre ». Afin d’échapper au jeu du plus convaincant, du ralliement au panache le plus blanc. Afin de permettre à cha-

© Cultural Heritage site of Serbia

Prochaine étape du « soin » à la personne, la quête de tous les éléments susceptibles d’éclairer et d’ouvrir la question à trancher. Plus sera prise en compte la diversité des points de vue, plus la ma-

tière qu’il faudra ensuite organiser sera riche. Porté dans la prière, ce matériau pourra entrer en dialogue avec la Parole de Dieu, non pour en attendre un contenu de décision qui pèserait et s’imposerait de lui-même sur tous mais, justement, pour que chacun se laisse irriguer de l’intérieur de cette sève qui portera plus tard le fruit de la délibération à sa maturité.

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cun d’entendre le point de vue de l’autre, explorant à fond les raisons « contre » puis les raisons « pour ». La cura personalis s’appuie sur quatre temps distincts (non sur un jeu à deux colonnes où il s’agirait de construire une majorité qui l’emporte d’une voix). Des voix de chacun dans le groupe se fait entendre la voix de ce désir que Dieu a pour nous, la voie de la « volonté de Dieu ». Il s’agit de se mettre à Son écoute et non simplement mettre de l’ordre dans un débat en répartissant le matériau de part et d’autre d’un trait vertical sur un tableau. Il s’agit d’aider chaque personne à se laisser déloger de ses préjugés et de ses conditionnements.

Les échanges Une double attention doit alors être maintenue : l’une sur les échanges, l’autre sur l’unanimité. Prendre la parole ne revient pas à simplement la libérer. La parole « pèse » en exprimant ses motivations, en se prêtant au jeu des interpellations. Elle met au jour « les affections désordonnées » qui nourrissent en cachette mes motivations. Cependant, trouble, inquiétude, agitation peuvent reprendre le dessus. Les réactions épidermiques de sympathie et d’antipathie naturelles reprennent le dessus. Le groupe se désintègre en clans qui sont autant de groupes de pressions. Apartés, rencontres de couloir se multiplient, cherchant avec fébrilité à constituer des majorités contre les minorités. Sentiments et ressentiments brassent le groupe pour


L’unanimité L’autre point d’attention : le piège de l’unanimité. L’unanimité est bien ce fruit de consolation auquel se goûte le travail mené en groupe. Une unanimité qui parfois, d’ailleurs, se dégage non pas tellement sur la décision elle-même mais sur le sentiment éprouvé qu’il est maintenant possible de conclure. Cependant, ce critère peut fausser l’issue de la délibération en privant les participants de leur liberté d’expression. Trop évoquer l’unanimité peut amener à faire pression, dans un sens comme dans un autre. Je peux l’entendre comme la recherche d’un accord à tout prix qui va à l’encontre de la liberté d’invention de l’Esprit. Il en va d’ailleurs de même dans la façon dont le vote peut être manié. Par solution de facilité, par désir d’en finir, il peut introduire des rapports de force, durcir des opposi-

© Carlos Saenz de Tejada, Jesuit Institute, London

gagner des voix dans une bouillonnante soupe électorale. À ce stade, le débat ne retrouvera sa juste place qu’en remettant chacun en un débat intérieur avec son Créateur, en confrontant chacun avec lui-même et ce qui l’agite. Permettre à chacun de se ressaisir en face de Dieu tel est, à ce moment, le visage de la cura personalis, un visage qui redonne liberté à celles et ceux qui se laissaient mener « bêtement ». Restaurer un espace de liberté, replacer chacun dans un recul et faire expérimenter que la restauration du groupe passe par la restauration de chacun de ses membres.

▲ Saint Ignace et ses compagnons après leurs vœux solennels à Rome.

tions. Or le don de l’unanimité ne se nourrit pas de faux semblants. Recevoir un accord ne dispense ni des affrontements ni d’une difficile conquête de la vérité, au-delà des différences reconnues et acceptées, des différences surmontées et non supprimées.

L’unanimité grandit dans la volonté commune de trouver un chemin d’ « indifférence » pour que chaque membre du groupe se laisse porter par une préférence commune, fixée d’un commun accord. Pascal Sevez s.j.

La cura personalis (attention de la personne) est une caractéristique de l’accompagnement. Exercer cette attention à chaque personne et à toute la personne offre à chacun l’expérience inoubliable d’être accueilli avec bienveillance, d’être aidé avec exigence à partir du point où il en est, d’être soutenu dans les moments difficiles. Elle est présence d’un compagnon de route, de quelqu’un qui prend soin (« cura »), pour baliser un chemin permettant des décisions éminemment personnelles (« personalis »). Elle concerne toute la personne : la liberté d’abord, et ensuite la mémoire, l’intelligence et la volonté. Elle se vit comme un échange : « donner » et « recevoir ». À propos des Exercices spirituels, saint Ignace ne parle pas d’un directeur ou d’un maître mais bien de « celui qui donne » et de « celui qui reçoit ». mai/juin 2018 29


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Question de communauté locale

vers l’assemblée mondiale : une réunion de cl Tous les cinq ans, la Communauté mondiale se réunit lors d’une Assemblée. La prochaine aura lieu en juillet à Buenos Aires. Comment vivre une rencontre de CL pour participer à la dynamique de cette Assemblée ?

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Pour préparer la rencontre de CL, nous vous proposons deux points de relecture au choix : 1) Prendre soin du don de la CVX : • Je contemple l’histoire de la CVX : ce que j’en sais et ce dont je prends connaissance - 50 ans d’histoire déjà ! Je peux me nourrir des articles du dossier de cette revue. • Je me souviens de l’appel à la pratique des Exercices spirituels. • Je regarde l’effet des trois piliers de la CVX (spiritualité, communauté, mission) dans ma vie et dans ma communauté. De ces souvenirs et lectures sur l’histoire de la CVX, quels sont les pains que je vois pour moi, pour ma communauté locale ? Est-ce que je connais cette histoire ? Est ce que je prends du temps pour m’y intéresser ? Quel est le fruit produit en moi ? Comment je prends soin du don de la CVX ?

François ? Quelle réponse imaginer ? Dans ses exhortations, un mot revient sans cesse : la joie. Quelle joie vécue pour moi en CVX ?

2) Vivre notre charisme CVX dans le monde d’aujourd’hui, dans la joie : • Nous sommes invités à la créativité pour rendre plus précieux et fécond notre don, dans la fidélité à notre charisme. • Les mots du pape François sont riches en profondeur : dans Laudato Si’ pour la défense d’une écologie intégrale, dans La joie de l’Amour, pour approfondir l’expérience de l’amour en famille, dans La joie de l’Évangile pour aller aux périphéries, et enfin avec le synode pour les jeunes en préparation, sur la foi et le discernement de toutes vocations. Quel appel pour moi – ou pour la Communauté – afin de mieux porter le charisme de la CVX ? Comment je réagis aux défis que nous lance le pape

Premier tour et interpellation : L’animateur de la réunion choisit le point 1 ou le point 2 pour alimenter le premier tour. Chacun prépare par écrit et identifie dans sa préparation ce qui lui semble bon à partager, afin de garantir qu’il reste, après un court moment de silence, un bon temps d’interpellation au deuxième tour.

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Pendant la réunion : Marc 6,30-38 (cf. Éclairage biblique pages 14-15) alimentera la prière de l’Assemblée mondiale : « Combien de pains avez vous ?... Allez voir. » (6,38) Nous le reprenons comme point d‘appui pour la prière. Après un temps de silence, chacun peut, à tour de rôle, partager juste un mot ou une phrase qui le touche (cf. aussi les points pour prier de l‘Éclairage biblique p. 15). Le petit plus, pratiqué par certaines CL : choisir une demande de grâce pour le temps de la réunion, par exemple d’ouvrir notre cœur aux dimensions mondiales du corps de la CVX.

Après l’évaluation, la communauté peut décider de faire remonter auprès de am2018@cvxfrance.com le fruit de son partage (une page maximum). Il viendra enrichir les bagages des cinq délégués pour mieux représenter toute la CVX France à Buenos Aires. Nicolas Gary Marie-Emmanuelle Reiss


Ensemble Lefaire Babillard Communauté

© Service coréen de culture et d’information / CC

Une parole à méditer

« Dans la Parole de Dieu apparaît constamment ce dynamisme de “la sortie” que Dieu veut provoquer chez les croyants. Abraham accepta l’appel à partir vers une terre nouvelle (Genèse 12,1-3). Moïse écouta l’appel de Dieu : « Va, je t’envoie » (Exode 3,10) et fit sortir le peuple vers la terre promise (Exode 3,17). À Jérémie il dit : « Vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras » (Jérémie 1,7). Aujourd’hui, dans cet “allez” de Jésus, sont présents les scénarios et les défis toujours nouveaux de la mission évangélisatrice de l’Église, et nous sommes tous appelés à cette nouvelle “sortie” missionnaire. Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile. » Evangelii Gaudium N° 20 Pape François 24 novembre 2013

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Ensemble faire Communauté

En France

partager le trésor ignatien

Depuis cinq ans, la CVX a ouvert aux paroissiens de Notre-Dame d’Espérance dans le 11e arrondissement de Paris, « la retraite dans la vie courante » qu’elle propose, année après année, à ses membres. Une expérience d’enrichissement mutuel entre la paroisse et la CVX.

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Le P. Francis Barjot, curé de la paroisse Notre-Dame d’Espérance, raconte avoir « saisi l’occasion » lorsque les organisateurs de la retraite dans la vie courante, qu’il accueille dans ses locaux chaque année, lui ont proposé de l’ouvrir à ses paroissiens. « Aujourd’hui, un chrétien ne peut plus se contenter de la messe le dimanche, il a besoin d’un lieu où nourrir sa foi. Cette retraite est un lieu privilégié », expliquet-il. Autres atouts, selon lui, de

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La retraite dans la vie courante propose des exercices spirituels pour tisser au quotidien sa vie et sa prière. Elle est proposée notamment à Tours ou encore Strasbourg.

cette proposition, offrir la possibilité de vivre une retraite, pour ceux qui ne peuvent pas partir dans un centre spirituel ou une abbaye, ainsi que leur permettre d’apprendre à chercher Dieu dans leur vie quotidienne. C’est en effet l’originalité de cette « formule », explique Catherine Dorlacq, l’une des organisatrices de la retraite, « faire une vraie expérience spirituelle, sans s’éloigner de sa vie et de son travail ». Une « formule » qu’a beaucoup appréciée Bruno, un paroissien « recommençant ». « Cela m’a permis de découvrir que la foi n’est pas un domaine séparé de la vie quotidienne. Dieu est aujourd’hui beaucoup plus présent dans ma vie », t é m o i g n e - t - i l . Po u r faire cette expérience, l a re t ra i t e q u i d u re cinq semaines propose une double démarche, de se mettre à la fois à l’écoute de la Parole de Dieu, mais également des « choses » de la vie. Après la rencontre hebdomadaire, les retraitants repartent avec des textes de l’Écriture et un exercice d’une situa-

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tion de leur vie concrète pour les conduire vers Dieu. Pour Bruno, l’exercice proposé d’être attentif à un rendez-vous précis familial ou professionnel lui a permis d’être plus présent à ces rencontres et « de se concentrer sur la présence divine dans ces moments-là ». Il a également apprécié l’accompagnement spirituel et la bienveillance dans l’écoute lors des temps de partage en groupe. Tout comme Arielle, en CVX depuis 1986. « Cette mixité avec les paroissiens dans le groupe était très enrichissante, explique-t-elle, Ils apportaient un regard neuf sur les textes ». Elle témoigne que la retraite l’a « reboostée » en lui donnant la force de parler davantage de sa foi autour d’elle, et de poser un regard toujours plus bienveillant sur son entourage. Du côté des organisateurs, cette expérience d’accueil de paroissiens a fait également « bouger les lignes », explique Catherine Dorlacq : « Cela nous a fait grandir dans la foi. Il nous fallait rendre le trésor ignatien accessible à tous dans un langage le plus simple possible ». Forts de cette expérience, ils envisagent d’aller annoncer « la bonne nouvelle » de cette retraite aux paroisses voisines.


discerner son charisme propre

Depuis trois ans, des sessions de Bilan de Compétences Vocationnel© sont proposées dans des centres spirituels ignatiens pour discerner sa vocation professionnelle dans l’esprit de saint Ignace. Une belle façon de répondre à l’appel de la famille ignatienne à trouver des moyens nouveaux pour partager son trésor au plus grand nombre. enquêteront pour en déterminer le fil rouge. Cette première session comprend également deux tests de personnalité et chaque journée commence par un temps de mise en commun. « Le groupe est là comme dans une équipe CVX pour être le soutien du chemin de l’autre », explique-t-elle. Des temps de partage qui ont été déterminants pour Emmanuelle. « Lors d’un échange, j’ai entendu les autres me dire que j’avais des étoiles dans les yeux lorsque je parlais de mon jardin ». Alors en burn-out, elle cherchait sa voie. Cette parole a fait son chemin et lors de la deuxième session, elle l’a transformée en projet professionnel. Trouver son charisme propre peut prendre, pour d’autres, plus de temps. Dans la deuxième session, un mois après, chaque participant reprend ses expériences pour les intégrer et les comprendre afin de mesurer ses besoins essentiels (travailler seul ou en groupe…) et de faire ressortir sa « marque de fabrique », sa façon spécifique de fonctionner. Vient ensuite le temps de la formulation de son charisme en une phrase,

puis de la formalisation de deux ou trois projets professionnels. Delphine témoigne que le bilan lui a permis de commencer une nouvelle activité dans laquelle elle se sent réellement à sa place. Pour elle, la dimension de « mise en retrait du monde » de la session a été importante. « Ces sessions qui permettent aux personnes d’avancer sur un chemin de vie et d’humanisation sont aussi un bon préalable pour ensuite entrer dans une démarche spirituelle à travers par exemple les Exercices spirituels », conclut Nathalie Arrighi qui aimerait, avec son mari Dominique, les proposer largement et invite d’autres personnes à se former pour les animer.

Ces sessions ont lieu à Saint-Hugues de Biviers, au Hautmont et au Cénacle. Prochaines dates en novembre 2018 à SaintHugues. Renseignements pour les sessions et les bilans en individuel : www. nathaliearrighi.fr

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« Dans le Bilan de Compétences Vocationnel©, il ne s’agit pas simplement de rechercher ses compétences à la manière d’un bilan “classique”, mais de discerner son charisme propre », explique Nathalie Arrighi. Cette coach, membre de la CVX depuis vingt ans, a imaginé ce bilan sous la forme de sessions de deux fois quatre jours, en s’appuyant sur la pédagogie ignatienne. « Les exercices du bilan vont permettre, par une relecture de vie approfondie, de se mettre dans une démarche de vérité pour discerner quelle forme peut prendre aujourd’hui l’appel à participer à la création du monde », poursuit-elle. Pendant la première session, les participants, un groupe d’environ huit personnes, vont être amenées à revisiter leur vie, grâce à des exercices personnels quotidiens. Il s’agira par exemple, à l’aide d’un tableau, de mettre en regard les évènements de leur vie professionnelle, personnelle mais également spirituelle. « Une façon de défragmenter sa vie », commente Nathalie Arrighi. Dans un autre exercice, les participants regarderont dans le détail leurs expériences significatives et

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Nous ressentons comme un défi que 6000 membres puissent constituer une Communauté. Une Communauté où chacun a sa place cherchant à donner toute leur place aux plus jeunes, et demandant de « prendre soin » des aînés. (2010) Alain Le passage de 21 régions à 46 Communautés régionales entraîne le passage d’une dynamique pyramidale à une dynamique de réseau. (Nouvelle gouvernance 2010) Jean Je crois que la Communauté grandit à travers l’engagement prononcé par les compagnons : le corps communautaire prend corps. (Années 90) Marie-Laure

Le sentiment d’appartenance à une Communauté régionale, nationale, mondiale, a grandi chez les membres, grâce en particulier aux Congrès nationaux. (Années 80) Berthilde

Nous avons vécu le passage d’une fédération de Communautés nationales à une Communauté une et mondiale. (Assemblée Mondiale Providence-USA en 1982). Bruno

L’Assemblée de 2014 a précisé : « Nous reconnaissons notre charisme pour l’accompagnement spirituel comme une vocation communautaire. » Anne

Le DESE (Discerner, Envoyer, Soutenir, Évaluer) se vit de plus en plus au sein des communautés locales… Les missions de chacun sont alors présentes et soutenues par les compagnons. Cette démarche aboutit parfois à identifier une mission communautaire pour la communauté locale. (Assemblée mondiale Nairobi 2003) Véronique Passer de la mission individuelle à la mission collective dans la prise en charge de centres spirituels, voilà un tournant essentiel pris par la CVX. (Reprise du Centre Saint-Hugues de Biviers en 1992 et du Centre du Hautmont en 2000) Christian

PAROLES DE CVX A l’occasion des 50 ans de la CVX, la Communauté a recueilli des témoignages de compagnons retraçant les grands tournants de son histoire. Trois axes se dessinent qui disent son identité : Faire communauté, un corps apostolique et une communauté laïque.

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Nous avons été en capacité de prendre le relais d’œuvres de la Compagnie de Jésus et avec le temps nous avons démontré notre capacité à les conduire, les gérer, les faire nôtres (Centres spirituels, CISED, Éditions Vie chrétienne). Jean

La CVX marche humblement à la suite du Christ ; elle prend de plus en plus sa place dans l’Église (retraites, temps spirituels dans les paroisses et les centres spirituels) et dans le monde : ATD Quart Monde, CCFD-Terre Solidaire, migrants, familles… (2010) Catherine

Après 1997, le développement, timide au début, puis massif d’assistants régionaux non jésuites, puis non religieuses, puis laïcs, a été un tournant important pour la CVX. Edouard Quand j’ai demandé à Peter-Hans Kolvenbach s.j. de devenir assistant mondial de la CVX c’était une décision laïque qui devenait une mission d’Église. (1983) Tobie Zakia, président mondial de la CVX de 1982 à 1986

La décision de former des accompagnateurs des Exercices spirituels a été un vrai tournant. Une communauté laïque en capacité de former des accompagnateurs de retraite ignatienne témoigne de la maturité de cette Communauté. (Années 90) Jean

1968 a eu comme conséquence l’autonomie du laïcat. La CVX a beaucoup innové dans ce domaine et Maurice Giuliani s.j. a eu un rôle très important pour former des accompagnateurs laïcs. Edmond

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© Bernard Debelle

Dans les années 1980, l’accompagnement des communautés locales par des laïcs, toujours plus nombreux, a bouleversé bien des habitudes avant que ce changement ne soit accepté par ses membres. Pierre


Ensemble faire Communauté

Dans le monde

assemblée mondiale : quel enjeu ? Le thème de l’Assemblée Mondiale de la CVX qui aura lieu en juillet prochain à Buenos Aires, « La CVX, un don pour l’Église et le monde », est explicité par une citation de l’Écriture : « Combien de pains avez-vous ? Allez voir » (Marc 6,38). Explication et enjeux avec Denis Dobbelstein, membre du Conseil Exécutif mondial de la CVX.

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Le thème de l’Assemblée Mondiale 2018 n’est pas adouci par un point d’interrogation. J’ai la faiblesse de croire que ce n’est pas follement prétentieux. En revanche, je concède volontiers que ce thème nous place devant nos responsabilités. Comme Jésus l’a fait pour ses apôtres, l’appel prend la forme d’une question : Combien de pains avezvous ? À Buenos Aires, la CVX mondiale va tenter d’y répondre, en résistant à la tentation de renvoyer la foule dans les villages des environs.

Le contexte « historique » : 5/50 Depuis cinq ans, le pape François adresse à l’Église des appels que les ignatiens ne peuvent assurément pas ignorer. Non seulement parce que le langage nous est familier, mais aussi et surtout parce que les défis qu’il met en évidence nous tiennent à cœur. Depuis l’adoption des nouveaux Principes Généraux, il y a 50 ans, la CVX affine son intelligence et approfondit son engagement

concret relativement à ses trois piliers : spiritualité ignatienne, communauté et mission (disciple, compagnon et serviteur). Une relecture (très) simplifiée révèle que la CVX a concentré son attention successivement sur chacun des trois piliers, dans cet ordre. Ce faisant, notre Communauté a expérimenté un processus pédagogique profond.

Contemplatifs dans l’action Le test de maturité auquel nous nous soumettons à présent humblement consiste à soigner les articulations. Pour former un corps apostolique de laïcs ignatiens, il ne s’agit pas d’enchaîner des étapes de croissance de manière chronologique et mécanique, mais bien d’unifier notre démarche. Être contemplatifs dans l’action en tant que Communauté. Il se pourrait bien que ce soit précisément le don pour l’Église et le monde. Non pas un zèle spirituel dans un monde de plus en plus sécularisé, ni un engagement militant dans quelques champs de mission pri-

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vilégiés, mais plutôt la capacité d’articuler l’enracinement dans le monde et l’ouverture à la transcendance. Pour que « trouver Dieu en toutes choses » ne soit pas un simple slogan, il est bon de « confronter » diverses déclinaisons du discernement des esprits, selon les contextes sociaux, économiques et culturels. En Assemblée mondiale, nous sommes à la recherche d’une identité à la fois universelle et ajustée, non pas idéale mais incarnée. Denis Dobbelstein Membre du Conseil Exécutif mondial de la CVX


la naissance de la cvx suède En octobre dernier, la CVX Suède a vu le jour, fédérant et couronnant ainsi un chemin de fondation de petites communautés locales, commencé en 2013. Andreas Carlgren, son président, raconte la naissance de cette Communauté nationale.

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Tout a commencé en 2013 avec des réunions d’information à Stockholm, organisées et initiées par moi-même en lien avec le prêtre de la paroisse jésuite, Dominik Terstriep, s.j.

Au départ, nous nous retrouvions tous les quinze jours, avec un seul grand groupe de trente à trente-cinq membres. Notre premier pas fut de proposer une introduction à la spiritualité ignatienne : par exemple, la pratique de la prière d’alliance et de la prière avec la Parole de Dieu, dans la vie quotidienne. Après quelques mois, nous avons décidé de former des groupes plus petits en fonction de la situation géographique et de désigner des responsables, tout en gardant le grand groupe comme lieu d’accueil et de formation.

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On s’attendait à former une petite communauté locale, mais l’intérêt a dépassé nos attentes, avec presque cinquante personnes qui désiraient poursuivre. Nous avons été obligés rapidement d’improviser et d’inventer des chemins pour avancer.

j’ai visité Göteborg, la deuxième ville de la Suède, et une petite communauté locale a vu le jour.

Du grand groupe à de petites communautés C’est au printemps 2014 que nous nous sommes retrouvés afin d’établir ces petits groupes. Nous avons démarré la soirée tous ensemble, avec la prière et une introduction du sujet pour le partage en groupes plus petits. Nous avons terminé la soirée avec un temps de réflexion tous ensemble, puis avec une prière. C’est ainsi que six petites communautés ont vu le jour à Stockholm. Ce même printemps j’ai visité Jönköping, une ville au sud de la Suède, et un groupe est né à l’été 2014. À l’automne

Les CVX Angleterre et Pays de Galle nous ont aidés à découvrir l’écoute et la conversation spirituelle. Inspiré par ce qui se pratique en Angleterre, nous avons mis en place un programme de formation pour toutes les communautés. Depuis le printemps dernier, l’Allemagne est notre « parrain », et nous apporte un soutien enthousiaste. Il y a un large choix de retraites selon les Exercices spirituels en Suède, animées essentiellement par les pères jésuites, et nous insistons sur l’importance de faire une telle retraite avec un guide spirituel expérimenté au cours de la première année en CVX. En octobre dernier, une équipe nationale a été élue, lors de notre Assemblée, pour fonder la CVX en Suède qui continue son expansion. Une nouvelle communauté est en train de voir le jour à Stockholm et une autre va bientôt naître à Uppsala. Inspirés, nous avançons avec beaucoup d’espérance. Andreas Carlgren Président de la CVX Suède mai/juin 2018 37


À LIRE Les migrants, François et nous Éditions Vie chrétienne, février 2018 - 10 € La question de l’accueil des migrants est régulièrement au cœur de l’actualité et fait parfois l’objet de désaccords entre chrétiens. Comment l’expliquer ? Quelle est la marque propre du pape François sur ce sujet ? L’auteur, Geneviève Médevielle, répond dans cet ouvrage en apportant également des critères de discernement pour que le lecteur lui-même parvienne à se situer face au questionnement des migrants. Cet exposé éclairant est agrémenté par le témoignage de Maurice Joyeux s.j., écrit depuis l’île de Lesbos, plaque tournante des migrations actuelles en Méditerranée. En vente sur viechretienne.fr et en librairie.

A FAIRE Session d’écriture d’icônes Rendre présent le mystère de Dieu invisible. Un cheminement pour ceux qui sont en quête de spiritualité. Ce stage au Centre spirituel du Hautmont sera animé par Thérèse Delesalle, iconographe. Du 9 Juillet 2018 à 09h00 au 14 Juillet 2018 à 14h00. Infos et inscription : www.hautmont.org

A FAIRE Vivre des « Exercices spirituels dans la rue » Cette proposition à vivre au cœur de la ville de Toulouse invite à se laisser transformer par l’inattendu, la surprise, l’inespéré du coin de la rue. Dans cette démarche, pas de programme très défini à l’avance. C’est simplement en itinérant, se rendre disponible au travail de l’Esprit à l’œuvre dans le monde. C’est s’arrêter 3 jours et n’être plus attentif qu’à la vie qui est là. Là où, souvent, je ne l’attends pas. Au programme des 3 jours, le matin, lancement de la journée avec des pistes de réflexion et méditation puis dispersion dans Toulouse. En journée, les participants cheminent seuls dans la ville. En soirée, souper et partage en groupe de l’expérience vécue. Lieu : 49, chemin du Vallon – 31400 Toulouse Du 24 mai 18h au 27 mai 20h. Infos et inscription : https ://coteaux-pais.net 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 53

À VIVRE Découvrir les Exercices spirituels Des retraites conçues pour faire ses premiers pas ou pour aller plus loin. Prier avec la Parole de Dieu, en silence, avec accompagnement et temps de rencontre en petits groupes : tout pour s’ouvrir à la Bonne nouvelle du Christ. Du 22 au 28 juillet, du 29 juillet au 4 août et du 11 au 15 août 2018. Infos et inscription : www.sainthugues.fr

À VIVRE La Politique, une Bonne Nouvelle Pour les jeunes de 18 à 35 ans, simples curieux de la politique et soucieux du bien commun, déjà militants ou engagés dans une association, un syndicat ou un parti, « novices » ou « passionnés », peu importe, l’essentiel est d’avoir le désir de découvrir ou approfondir le champ politique et le rôle que le chrétien doit y jouer. Cette session propose des temps de formations, de témoignages, d’échanges, de réflexion personnelle, mais aussi de célébrations et de détente, permettant à chacun de comprendre les spécificités de l’engagement chrétien, de préciser ses convictions propres et d’apprendre à échanger dans un climat qui respecte les différences. Du 19 au 26 août 2018, au Centre spirituel du Hautmont. Infos et inscription : www.politiquebonnenouvelle.eu

A VIVRE Vivre Laudato Si’ en famille Emprunter en famille et entre familles le chemin de la conversion écologique à laquelle nous invite le pape François : c’est le beau programme de cette session ! Regarder le beau et le bon de ce(ux) qui nous entoure(nt), réfléchir à nos modes de consommation, et nous ouvrir à la fragilité du monde et des autres. Session intergénérationnelle pour les familles, organisée avec Familles & Co, une proposition de l'église Saint-Ignace à Paris. Du 18 au 22 juillet 2018 à Penboc’h (Golfe du Morbihan). Inscriptions : famillesandco@jesuites.com


Billet

Un étrange rendez-vous de mots, de rites et d’amitié : le temps de la messe. Une entrée dans un lieu habité par une présence, oui, mais invisible. Une conscience du sacré, sans doute, mais si peu exprimable. Dans cette église, mon corps, seul, semble dire quelque chose de mon adhésion, de mon désir. J’ai marché jusqu’ici. Je suis là. Tutoyer Dieu, Lui parler ? Une créature s’égalant au Créateur ? Recevoir de Lui, le commandement, le pardon, l’espérance ? Être – simplement – accueilli dans Sa maison ? Je me signe. Cet acte inouï de dire « je crois ». Et juste après, ces mots immenses : « Père tout-puissant », « créateur du ciel », « né avant tous les siècles », « lumière, née de la lumière ». Aussi difficiles que l’affirmation de ma foi sont ces mots de résurrection et de vie éternelle. Plus que le verbe croire, celui d’attendre me semble accessible, à ma portée. Partagée avec l’assemblée, cette attente me paraît plus forte. Je fais chœur et je récite. Consécration ! Ai-je part à ce mystère ? Comment concevoir cette image prodigieuse de Jésus le Nazaréen descendu sur l’autel et fait Pain de Vie ? À cette divinisation d’un repas ? J’incline la tête. Cette prière qu’Il nous a apprise. Conservée et répétée chaque jour depuis 2000 ans par des millions de disciples. Les mots d’un Dieu. Plus jeune, je les disais mécaniquement. Un jour j’ai regardé le geste de ma mère. Un peu de mon cœur a suivi. Comme tu l’as fait, maman, comme eux, j’ouvre les mains. Départ, en défilé, pour un acte qui, cette fois, paraît très humain. Recevoir des morceaux d’un même pain partagé. Simple. Tant que cela ? C’est « le corps du Christ » me dit celui qui le distribue. Je tends le bras. Pas une étape où je ne me sois senti dépassé, souvent indigne, parfois absent ou étranger, voire imposteur. Pas une fois où les paroles et les signes exprimaient totalement ma vérité intérieure. Je sais que ce n’est pas grave. Que je ne suis pas jugé. Que le désir de Le rencontrer L’atteint. Le croyant est comblé et le dit au Père. Je le suis quelquefois. Pour le malcroyant du reste du temps, mes gestes sont aussi ma prière. Jean François mai/juin 2018 39

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la foi d’un malcroyant


Prier dans l’instant

en lisant une excellente nouvelle Ce matin j’ouvre la messagerie et trouve la lettre mensuelle d’un site que j’apprécie. Je clique et lis avec joie un des témoignages.

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C’est l’histoire d’une maman africaine partie s’installer en Angleterre, son fils est resté au pays. Des proches s’en occupent comme ils peuvent. Cette maman cherche par tous les moyens une solution pour que son fils la rejoigne. Six années se sont écoulées depuis leur séparation. Echec du premier procès. Tenace la maman fait appel. Et l’enfant se sent mal… Les avocats se donnent les moyens pour résoudre la difficulté. Ils appellent la psychologue de l’association qui œuvre à la réinsertion des enfants des rues dans ce pays. Avec l’aide d’un des éducateurs, la psychologue monte un dossier. Du temps passé à rencontrer les personnes qui s’occupent de l’enfant, à examiner l’enfant… Et le document parvient aux avocats, notifiant qu’il est préjudiciable pour ce petit bonhomme de vivre séparé de sa mère. Attente encore. Et la joie d’apprendre que la Cour a enfin accepté que la mère et le fils se retrouvent. Les retrouvailles se préparent et le gamin a retrouvé sourire et joie de vivre ! Mon cœur est joyeux de cette fin heureuse ! Vraiment joyeux et dans l’action de grâce. Celle-ci monte vers le Seigneur, pour chacune des personnes qui s’est investie dans cette chaîne d’humanité. Je rends grâce pour tout ce qui a été vécu par chacun des acteurs quand les moments de doute ont pu être dépassés, quand le temps s’est peut être accéléré à l’annonce de la bonne nouvelle. Oui, loué sois-tu Seigneur pour cette perle d’amour versée et qui inonde déjà des cœurs. Catherine Raphalen

Nouvelle revue Vie Chrétienne – mai/juin 2018


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