Baïla, la petite louve. Adeline Dieudonné. Une histoire et... Oli France Inter / Michel Lafon

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JOURNALISTE :Jean-Claude Vant…

PAYS :Belgique PAGE(S) :15 SURFACE :73 % PERIODICITE :Quotidien

31 mars 2021 - N°76

« Faire de la

ittérature,c est bousculerles sensibilités» LIVRE

Adeline Dieudonné sort ce 1er avri son deuxième roman, « Kérozène ». C'est « La vraie vie » qui continue avec son cortègetragique et drôle de tranches de vie cruelles et pourtant ordinaires. ENTRETIEN JEAN-CLAUDE

VANTROYEN

ingt-trois heures douze. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. » C’est la première phrase de Kérozène, le second roman d’Adeline Dieudonné, et on est immédiatementplongé dans un bain bouillant, qui hume le crottin du cheval et pue le sang du cadavre. Et on n’a plus qu’une seule envie : s’y vautrer. La romancière belge nous scotche avec seshistoires explosives comme du kérosène. Les destins de tous les personnages qui seretrouvent sur cette aire d’autoroute sont trash, et nous collent dans notre fauteuil, à compulsivement tourner les pages. L’histoire se termine à 23 h 14, deux minutes seulement, et ça ne nous aura pas vraiment semblé plus long, tant la lecture de ce roman est addictive. Elle avait pourtant la pression, Adeline Dieudonné, après le succès de La vraie vie: plus de 200.000 exemplaires, 21 traductions,Prix du roman Fnac, Renaudot des lycéens, Première Plume et Rossel évidemment. On dit toujours que le deuxième roman est le plus difficile, surtout après l’incroyable emballementqui a suivi le premier.

V

C'était un défi, ce « Kérozène » ? Je travaillais sur un deuxième roman, qui parle de survivalisme et de collapsologie, et cela s’est télescopéavec l’actualité du premier confinement. Je n’arrivais plus à écrire. Pour me défouler, j’ai écrit deshistoires courtes, j’ai repris des histoires anciennes et j’ai rassemblé les personnages dans une trame narrative.

Mon éditeur m’a alors dit : mais il est là ton livre ! J’avais toujours en tête que mon deuxième roman c’était l’autre, sur lequel je subissais une grosse pression. Du coup, celui-ci, je l’ai écrit dans une totale liberté, une totale insouciance. « Kérozène », c'est « La vraie vie » conti-

quele personnage de Monica revient. Oui, il y a une continuité. C’est ça le grand soulagement de ce livre-là, pour moi : réaliser qu’il y a un univers, qui est nuée. D'autant plus

le mien, dans lequel tous ces personnages coexistent. J’ai l’impression queje vais pouvoir simplement m’amuser dans cet univers, l’explorer, que je ne devrai pas en inventer un nouveau à chaque livre. Les personnages de Kérozène vont revenir et se recroiser dans d’autres bouquins. Vous racontez la vie despersonnes

présentesdanscette station-service, et c'est du lourd. C’est la vision que le mondem’offre : on vit dans un univers qui n’est pas du tout Bisounours. La vie est quelque chose de dur, de cruel, à qui il faut un peu tordre le cou. Cequeje fais dansXerozène, c’est arriver à trouver ce qu’il y a de fou, de drôle dans la vie, Mais oui, le fond est sombre. Et je ne vais pas chercher très loin : la fin de vie de la vieille Monica, la maltraitanceanimale, les abattoirs, c’est le monde dans lequel on vit. Les histoires de vos

personnages

paraissent extraordinaires. Mais, en fait, ne sont-elles passimplement ordinaires ? Si on ouvre le journal, on en trouve partout deshistoirescomme ça.Elles n’ont rien d’extraordinaire. C’est juste que le lecteur se trouve englué dedans et que

ne veux pas étouffer le lecteur dansl’ultraréalisme, cela deviendrait insoutenable. L’histoire de Chelly, par exemple, c’estjuste abominable, donc je mets du recul, de l’humour. Chelly pour moi, c’est la caricature de l’ultralibéralisme : exclut lesplus le forts s’en sortent,les plus faibles n’ont qu’à crever. Vous aimez les « punchlines ». C’est comme ça que j’ai appris à écrire. Vous savezquec’estThomas Gunzig qui m’a encouragée à écrire.J’avais compris que ce qui était efficace dans son écriture, c’étaient les images. Et les images peuvent vite devenir des punchlines, parce que le lecteur doit percutertout de suite. Quand je dis : les parasols étaient comme des bougies sur un gâteau rassis, on a le décor,je n’ai pas besoin de tout détailler. Pour moi, c’est ça la différence entre la littérature et un texte qui décrit simplementune situation. Il faut arriver à trouver des images fortes. Jesuis très admirative deshumoristes, je m’inspire beaucoup de leur travail et en plus, on a en Belgique un vivier fabuleux. Vous racontez des histoires qui parlent de la société, de la vie, desrapports de force, des rapports de domination. Vous vous sentez responsable vis-à-vis des lecteurs ? Je ne veux pas délivrer de messagepolitique ou social. Les histoirespour moi serventà être des histoires, simplement. Faire de la littérature, c’est de toute façon bousculer les sensibilités. Il n’y a donc pas à vouloir respecter les sensibilités de chacun. Mais là où je me donne une responsabilité, c’est de ne pas reproduire des clichés délétères que je voudrais voir disparaître: les clichés sexistes, racistes, homophobes. Je veux que la sociétéchange, qu’elle soit moins oppressive et plus inclusive. Alors, dans la relecture,j’interroge mes propres réflexes, je me demande si cette image n’est pas un peu raciste. Ce n’est pas de la censure : je ne m’empêchepas de quoi que ce soit, maisje ne veux pas que mes histoires soient un endroit où des gens puissent aller conforter des clichés.

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