Les fleurs du mal LA BEAUTÉ Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière. Je trône dans l’azur comme un sphinx1 incompris ; J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
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Les poètes devant mes grandes attitudes2, Qu’on dirait que j’emprunte aux plus fiers monuments3, Consumeront leurs jours en d’austères études ;
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Car j’ai pour fasciner ces dociles amants De purs miroirs qui font les étoiles plus belles4 : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
notes 1. sphinx : dans la mythologie égyptienne, c’est une créature formée d’un corps de lion et d’une tête d’homme. Chez les Grecs, il s’agit d’un monstre qui a un corps de lion, des ailes, une poitrine et une tête de femme. Selon la mythologie grecque, le sphinx tue tous ceux qui ne trouvent pas de solution à ses énigmes.
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2. attitudes : manières, conduite. 3. Variante de l’édition de 1861 : « Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments, ». 4. Variante de l’édition de 1861 : « De purs miroirs qui font toutes choses belles : ».