Loustic – de Dominique Esse
Chapitre 1
Joyeux anniversaire !
« Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne sont jamais en retard, d’habitude ! » s’impatiente Théo qui regarde avec gourmandise l’énorme assiette de bonbons et le gros gâteau au chocolat que sa maman a cuisiné.
Théo est un petit garçon qui fête aujourd’hui ses dix ans. Il est plutôt grand mais tout menu pour son âge. Il est couleur du café au lait, comme dit sa grand-mère. Il a des cheveux tout frisés ; c’est très pratique, selon lui, pour se coiffer, car il n’y a besoin que de se passer les doigts dans les cheveux en guise de peigne. Par contre, c’est la crise de nerfs quand il s’agit de les laver car ils sont tout emmêlés ! Ses grands yeux marron coquins lui donnent un air espiègle. Comme tous les garçons de son âge, il adore porter des vêtements de sport : jogging et baskets. Il râle quand sa maman, Margot, lui demande de mettre un pantalon ou même un
short en été, mais il le fait quand même, pour lui faire plaisir.
Théo ne connaît pas son papa : il sait seulement que celui-ci est venu étudier en France et est parti dès la fin de ses études. Il sait aussi que sa maman n’a pas voulu lui dire qu’elle attendait un enfant de lui, pour ne pas l’obliger à rester avec eux, car il aimait trop son pays. Il regrette bien de ne pas le connaître, mais sa mère lui a promis de lui révéler l’identité de son papa, quand il serait plus grand, alors il attend. C’est un moment qu’il appréhende, mais il est prêt à recevoir cette information, quitte à faire des recherches par la suite : il veut savoir.
Théo n’a donc pas de frère ni de sœur ; il trouve ça dommage, mais se console en allant jouer avec son meilleur ami et voisin, Mathieu.
Dès qu’ils le peuvent, ils sortent et vont s’amuser dans la cour qui donne sur leur bâtiment, pour que les mamans puissent les surveiller. Mais quand il pleut, les deux garçons s’occupent du chat de Mathieu. C’est un bon gros matou tout
gris, qui s’appelle Mistigri. Il est gentil, joueur, câlin ; bref, il a toutes les qualités, excepté qu’il n’est pas très malin, selon Théo. Mais après tout, est-ce qu’on demande aux chats d’être intelligents ? Non, le principal c’est cette forme d’amitié que l’humain et l’animal domestique réussissent à développer ensemble : cette proximité apaisante, rassurante.
Aujourd’hui donc, Théo s’impatiente, car ses grands-parents sont en retard pour fêter son anniversaire. Papy et Mamy sont très gentils avec lui. Ce sont des grands-parents jeunes, mais déjà à la retraite ; ce qui fait qu’ils ont beaucoup de temps à consacrer à leur petit-fils. En plus de cela, ils habitent une petite maison dans le même quartier que Théo. C’est bien pratique, car quand leur fille part au travail, c’est Mamy qui arrive pour lever le garçon et le préparer, soit pour aller à l’école, soit pour passer le mercredi chez eux. Mamy est plutôt petite. Elle a les cheveux tout blancs, mais ça fait ressortir ses yeux bleus. Elle sourit tout le temps. Elle a beaucoup de patience avec ses hommes, comme elle dit, c’est-à-dire Papy et Théo. Papy
est très grand par rapport à Mamy. Il a les cheveux gris et les yeux marron. Il adore faire du sport et jouer avec son petit-fils. Il dit même que ça le fait retomber en enfance.
« Je crois qu’ils arrivent », annonce la maman de Théo, après avoir regardé pour la énième fois à la fenêtre.
Margot est blonde, comme l’était sa propre mère, quand elle était plus jeune. Par contre, elle a pris les yeux marron de son papa. Elle est aussi plus grande que sa maman et adore faire le pitre : c’est pour ça qu’on trouve qu’elle ressemble à son père. Elle chérit son fiston, mais sans trop le gâter, car il faut qu’il apprenne à bien se tenir, à être correct et poli et à respecter les autres. Et surtout, pas de caprices ! Elle travaille comme secrétaire dans une société de transport, et souvent elle doit partir très tôt au travail.
Là, elle ne peut s’empêcher d’avoir un petit sourire en coin, surtout lorsqu’elle regarde Mathieu, le copain, qui a maladroitement donné un peu trop tôt son cadeau à Théo. Ce dernier
n’a pas compris quand il a découvert que son ami lui avait offert un bac et une poche contenant une sorte de sable… Ce n’est pourtant pas encore la saison des châteaux de sable…
– Ah ! Vous voilà enfin ! s’impatiente de nouveau Théo, tout en embrassant ses grands-parents. Vous en avez mis du temps ! leur reproche-t-il.
– Oui, désolée, mon chéri, mais nous avons été bloqués dans les bouchons ! rajoute sa mamie.
– Les bouchons ? Mais vous habitez à cinq minutes à pied d’ici ! reprend le garçon, partagé entre la méfiance et l’inquiétude.
– Tu vas comprendre, dit Papy. Ouvre vite ton cadeau, c’est bien plus important.
La conversation animée a empêché Théo d’entendre ce léger bruit de grattouille qu’il remarque à présent qu’il tient son cadeau. Il est un peu lourd, et surtout, il bouge dans tous les sens ! Qu’est-ce que ça peut bien être ?
Soudain, les yeux du petit garçon s’illuminent : il croit bien avoir compris. Il pose
délicatement le paquet sur la table et en déchire l’emballage, sans un mot, la bouche ouverte.
– Oh non ! Ce n’est pas vrai ! Un chat ! Mathieu, tu as vu ? J’ai un chat ! Comme toi !
C’est génial ! Oh ! Je suis trop content ! Merci Papy et Mamy ! Depuis le temps que j’en voulais un ! rajoute-t-il, la gorge nouée par l’émotion.
– Bon ! Visiblement ça te fait plaisir ! répond Mamy, essuyant une petite larme.
– Oui, mais maintenant, Théo, tu sais ce que ça veut dire ? rajoute Maman. C’est TON chat : tu vas donc devoir t’en occuper.
– Bien sûr Maman, je sais tout ça ; tu me l’as dit à chaque fois que j’en ai demandé un ! M’en occuper, ça veut dire le soigner, lui donner à manger et à boire, le caresser et surtout l’éduquer ! confirme-t-il en prenant la petite boule de poils dans ses bras.
C’est un petit chaton de quatre mois, gris et blanc. Ses grands yeux verts sont à la recherche de repères rassurants, qu’il semble avoir du mal à trouver, alors il se laisse caresser
par ce petit garçon qui semble tout heureux. Sa chaleur le réconforte et il décide de s’enfoncer le plus possible, museau en avant, dans les bras protecteurs : il y a tellement de nouvelles têtes qui le regardent que ça l’inquiète.
Chapitre 2
Un début de journée compliqué.
Je n’ai pas aimé comment ma journée a commencé. Mais pas du tout !
D’abord, on m’a forcé à arrêter de téter ma maman ! Bon ! D’accord ! Je suis un peu grand pour ça : mais c’est tellement bon et rassurant !
Ensuite, on m’a mis dans les bras d’une nouvelle dame : je ne l’avais jamais vue jusque-là. Elle avait l’air gentille, elle m’a caressé, elle m’a appelé « Petit Chat » : pourquoi pas ? La maîtresse de Maman a beaucoup discuté avec cette dame aux cheveux blancs et l’autre monsieur, un grand monsieur qui était avec elle. Tellement longtemps, que je me suis endormi.
Et puis, brusquement, je me suis retrouvé enfermé dans une cage dans laquelle j’ai été ballotté. Ensuite, on m’a mis dans une toute petite pièce qui se déplace en faisant du bruit : elle avançait vite au début, puis très lentement
ensuite. Le monsieur et la dame aux cheveux blancs râlaient : ils disaient qu’ils allaient être en retard, je crois. Je n’entendais pas très bien, dans ma cage, avec tout ce bruit dehors.
Ensuite, pire que tout ! Une fois arrêté ce balancement qui me donnait la nausée, ils m’ont sorti de ma cage dans laquelle j’avais au moins quelquesgrillespourvoirdehors,pourmemettre dans une boite en carton dans laquelle je ne voyais plus rien ! J’ai cru que ma dernière heure était arrivée ! Si jeune ! Tout juste quatre mois ! Vous vous rendez compte ?!
Un nouveau bercement désagréable a commencé : il semblerait qu’on ait monté des escaliers. Je crois que c’est le grand monsieur qui me portait : il respirait fort. J’étais terrorisé !
Puis, tout à coup, une nouvelle voix, d’un petitgarçon cettefois : il n’avait pas l’air content ! Mais quand il a ouvert ma boîte, alors j’ai vu son regard. Ses yeux marron étaient écarquillés, un peu comme les miens, d’ailleurs, car je me demandais bien ce qu’il se passait ! Le petit garçon a parlé très vite, il me regardait puis
s’adressait aux autres personnes. Il y avait du monde dans cette nouvelle pièce ! La dame aux cheveux blancs et le grand monsieur que j’avais déjà vus, une autre dame blonde et deux petits garçons. Je ne reconnaissais pas du tout les lieux : mais qu’est-ce qu’il se passait ?
Puis j’ai compris que je ne craignais rien quand le petit garçon qui répondait au nom de Théo m’a pris dans ses bras. Il avait l’air tellement heureux ! Il me serrait fort et j’étais bien dans ses bras qui me réchauffaient ! Le petit a fait tout un tas de promesses très rassurantes, aussi : c’est lui qui va s’occuper de moi. Ma maman m’avait averti qu’un jour je serais amené chez quelqu’un qui serait mon nouveau maître. Je ne voulais pas y croire, parce que je n’imaginais pas avoir à quitter ma maman que j’aime tant. Eh bien voilà ! J’y suis ! J’espère au moins que tout ira bien, et qu’on s’entendra parfaitement. Parce qu’elle va me manquer, ma maman.
Ce début de journée, avec toutes ces émotions, ça m’a éreinté. Du coup, j’ai décidé de croire en ma bonne étoile, j’ai enfoncé mon
museau dans le creux du bras de mon maître Théo, et je me suis endormi. J’avais eu assez de stress pour aujourd’hui.
