Meutre au pesbytère

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JEAN-YVES

Meurtre presbytère

POLAR

au

TOURNIÉ


En couverture : Abbaye Sainte-Foy de Conques (Aveyron), collection Arnaud Späni.

© Éditions Privat, 10, rue des Arts - BP 38028 31080 Toulouse Cedex 6 ISBN : 978-2-7089-6027-5 Dépôt légal : juin 2018


JEAN-YVES

au

TOURNIÉ

Meurtre presbytère


À Abbigael et à Ethan, Pour bien plus tard… À Michèle, pour toujours.


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E

n cette journée d’automne ensoleillée, la chaîne pyrénéenne détachait ses sommets enneigés sur le bleu du ciel lavé par le vent d’Autan. Le pic Saint-Barthélémy et son acolyte le Soularac semblaient protéger le pog de Montségur, plus bas, encore dans l’ombre. La chaîne pyrénéenne, véritable barrière minérale, formait comme un écrin à tout ce paysage. C’est en ces hauts lieux que le soleil se cachait chaque soir pour aller mourir quelque part dans le creux des vallées de l’autre versant, detras los montes, quand l’ombre gagnait le pays d’Olmes. C’était l’instant où le jour basculait dans sa transition montagnarde, annonçant le crépuscule. L’instant où les paysages commençaient à s’estomper dans la nuit qui, comme une mante sombre, allait couvrir tous les reliefs et les occulter jusqu’à l’aurore.

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La place Cathare avait retrouvé son calme après les hordes estivales de touristes venues en ce lieu, symbole du souvenir d’un véritable génocide perpétré par l’Église de Rome et ses croisés. L’histoire avait un goût de sang pour les vieilles familles occitanes dont les noms témoignent aujourd’hui encore de cicatrices dans l’inconscient collectif. Plus bas, la petite ville de Lavelanet commençait à peine à s’ébrouer des torpeurs nocturnes. La ville des noisettes n’était que le pâle reflet de ce qu’elle avait été il y a peu : le fleuron de l’industrie textile du Midi. Dès la fin du xviiie siècle, la région était devenue un centre industriel du textile. Non seulement Lavelanet, mais aussi tous les villages bordant la rivière la Touyre bien connue pour recéler dans ses eaux des éléments riches pour le lavage et la teinture. Plus de deux mille ouvriers travaillaient alors dans une seule usine, la plus importante parmi d’autres, à Laroque d’Olmes. La fin du xxe siècle avait sonné la mise à mort des usines et de l’activité florissante de la capitale du pays d’Olmes. La mondialisation et son cortège de délocalisation avaient ensuite porté le coup de grâce. Finies les grandes fêtes, finie la grande équipe de rugby, finie cette joie de vivre d’une classe ouvrière au savoir-faire renommé. Finies les

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migrations espagnoles ayant suivi l’arrivée au pouvoir de Franco de l’autre côté de ces montagnes pyrénéennes qui n’avaient jamais été une frontière. Si la retirada avait accompagné des familles entières dans ce pays d’Olmes, c’est parce qu’elles savaient y trouver du travail… Aujourd’hui, la petite ville jadis pimpante voyait des maisons aux volets fermés, et des jeunes quitter le pays pour aller vers Toulouse, voire s’exiler dans la région parisienne afin de trouver un emploi. Quant aux campagnes, elles se vidaient inexorablement, et les friches encerclant les villages devenaient de plus en plus nombreuses. Comme tous les matins, Rémy, le neveu du curé de Lavelanet, descendait de Villeneuve d’Olmes en mobylette jusqu’à la ville. Après quelques courses, il s’arrêtait au bistro prendre un café, lire le quotidien avant d’aller le porter à son oncle, au presbytère. Ce jour-là, Rémy fut surpris de trouver la haute grille noire aux pointes dorées du jardin du presbytère ouverte. La porte d’entrée, aux petits carreaux occultés par un rideau brodé à l’ancienne, était fermée. Mais il n’eut pas besoin de sonner, elle était simplement tirée. Il appela sa tante, devenue servante de son frère après son veuvage.

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Ni elle ni son oncle ne répondirent. Il pénétra dans la cuisine. À cette heure-ci, son oncle et sa tante, matinaux, avaient déjà pris le petit-déjeuner. Aucune trace d’activité, pas de bols dans l’évier et un grand silence. Le jeune homme ne vit aucun signe et appela à nouveau. Personne ne répondit. Les volets toujours clos, il faillit tomber à la renverse en se heurtant à une masse sombre étendue sur le carrelage noir et blanc de la cuisine.

C’est alors qu’il vit son oncle à la petite lueur filtrant à travers les volets gris. Le prêtre était couché sur le dos, la tête ensanglantée, le haut de la soutane déchiré. On lui avait croisé les bras sur la poitrine, comme les momies égyptiennes, en signe « du bon pasteur ». Rémy allait sortir appeler du secours quand il crut percevoir des gémissements venant du bureau du prêtre. Sa tante était étendue au pied de la bibliothèque, une plaie au bas du crâne. Elle respirait encore mais perdait beaucoup de sang… Le neveu sortit en courant du presbytère et appela à l’aide. Une voisine alerta la gendarmerie avec son portable. Très vite, le quartier d’habitude si tranquille fut en émoi. La statue de Jeanne d’Arc, devant le presbytère, fut entourée de curieux.

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Les enquêteurs prirent des photos de la victime, couchée dans sa mare de sang, dessinèrent à la craie la position du cadavre, tandis qu’une ambulance emportait la tante, presque inconsciente, vers la clinique de la Soulane. Le médecin appelé par les gendarmes fit installer le mort sur la table de la cuisine afin de mieux l’examiner. Premier constat, le prêtre ne s’était pas laissé faire. Il y avait eu lutte et le médecin légiste constata que les coups reçus sur le crâne et à la base de la nuque avaient été très violents, à en juger par les nombreuses blessures portées au prêtre. Il semblait que le meurtrier se soit acharné sur sa victime. Il y avait plus d’une dizaine de blessures à la tête, le crâne était fracassé et même le visage avait été sauvagement frappé. En fait le pauvre homme avait été torturé, comme si l’on avait voulu lui soutirer quelque secret ou information… Le plafond et les cloisons de la cuisine étaient souillés de taches de sang. D’après le médecin, les principales blessures avaient été provoquées par un instrument contondant, d’autres par un outil tranchant, style hachette. L’agression avait certainement eu lieu avant l’aurore, mais il fallait attendre l’autopsie afin d’avoir une idée plus précise de l’heure du crime. Les premières constatations permirent de voir que l’assassin avait eu le temps de fouiller minutieusement la cure.

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Comment avait-il pu agir tout ce temps alors que le presbytère était entouré de maisons, au cœur de la ville, simplement isolé par un jardin donnant sur une petite place à quelques mètres d’une des rues principales ? Que cherchait-il ? Autant de questions auxquelles devrait répondre l’enquête. Devant cette scène de crime, les gendarmes appelèrent des renforts dont les Techniciens en Identification Criminelle afin de procéder à des investigations plus poussées. Les hommes en blanc, coiffés, gantés et leurs chaussures recouvertes de tissus se mirent à passer au peigne fin les pièces où avaient eu lieu les deux agressions et relevèrent des empreintes. Ils découvrirent que tous les meubles avaient été fouillés, les tiroirs ouverts et vidés de leur contenu. Les chambres avaient été visitées, les armoires ouvertes, les effets et des piles de draps répandus sur le sol. Le cambrioleur avait vidé des rayonnages entiers de la bibliothèque. Sur le bureau du doyen, l’abbé Cathala étant chargé de plusieurs paroisses, un porte-documents contenant divers papiers et un carnet de chèques avaient été ouverts. Mais ce meurtre restait une énigme. Les gendarmes trouvèrent 200 euros dans le porte-documents : rien n’avait été volé. Au premier étage, dans la chambre du prêtre,

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les enquêteurs découvrirent une malle dont la serrure avait été crochetée. Que cherchait l’assassin ? Toute la journée, il y eut des va-et-vient d’hommes en uniformes au presbytère. Il avait fallu appeler deux jeunes gendarmes stagiaires pour faire la police à cause du flot de curieux et d’amis rassemblés devant la cure. Les nouvelles de la mort du curé et de l’agression s’étaient répandues en ville comme une traînée de poudre. Ce n’est qu’en début de soirée, après la venue sur les lieux d’un substitut du procureur de la République de Foix que les scellés furent placés. Les gendarmes quittèrent les lieux en compagnie de Rémy, premier témoin de la découverte du crime. Dans la petite ville, ce fut la stupeur. Tout le monde connaissait bien l’abbé Paul Cathala. Un homme affable, enfant du pays puisqu’originaire de Bélesta, il avait obtenu cette cure après avoir été bien fatigué par des problèmes rénaux. Âgé d’une soixantaine d’années, il avait occupé les fonctions de vicaire général au diocèse de Pamiers après l’arrivée du nouvel évêque. Un poste important pour un prêtre qui en disait long sur l’estime qui lui était portée par ses pairs. Dans Lavelanet, il jouissait d’une excellente réputation.

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Il participait à sa façon à la vie de la cité, conseillant ici ou là ceux qui venaient quérir ses lumières quant à différentes associations. Son action caritative ne se limitait pas à une simple adhésion. Il lui arrivait d’aider certaines familles tombées dans une pauvreté extrême, s’engageant même à aider quelques migrants de passage, ce qui ne plaisait pas toujours à une petite frange de paroissiens obtus, à des années-lumière du message christique. Cette aide ne l’avait cependant pas conduit à recevoir des personnes étrangères dans sa cure. La porte du presbytère n’était ouverte qu’à d’assez rares connaissances. Le chanoine Salva, professeur de latin et grec dans une école privée, très huppée et prisée de la bourgeoise toulousaine, venait de temps à autre le voir, L’abbé Salva, qui avait fait des études de théologie avec l’abbé Cathala, avait dû abandonner son professorat après un cancer de la gorge. Tout le monde savait que l’abbé Cathala craignait, comme cela était arrivé à certains de ses confrères, d’être cambriolé. L’enquête fut confiée aux gendarmes de la Brigade de Recherches de Foix. Elle permit, dans un premier temps, de constater que l’abbé Paul Cathala était bien de nature méfiante. Outre la

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sonnette de la porte d’entrée du presbytère, il avait fait poser une clochette à l’entrée de la grille du jardin. Protection dérisoire certes, mais qui en disait long sur une façon d’être. « Avec tous ces cambriolages… » avait dit sa sœur à une voisine, comme pour lui signifier que son frère et ellemême tenaient à une forme de sécurité. Les gendarmes lancèrent un appel à témoin afin de savoir si quelqu’un avait vu du mouvement, ou une personne vers la fin de nuit sur la place Jeanne d’Arc. Rémy ne leur fut pas d’un grand secours, se contentant de dire aux enquêteurs comment il avait trouvé son oncle et sa tante, leur précisant bien qu’il n’avait rien touché ni déplacé sur la scène du crime. Dans un second temps, les gendarmes interrogèrent tous les voisins du presbytère et les personnes avec lesquelles l’abbé avait des relations plus suivies. Le maire fut invité à dire ce qu’il pensait du curé de sa ville et comment il était perçu par l’ensemble des habitants. Rien de bien particulier ne sortit de ces entretiens. Comme les gens d’une petite ville, après de telles histoires, parlaient beaucoup, échafaudant des hypothèses pas toutes frappées au coin du bon sens, les gendarmes furent intéressés par

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une conversation qu’avait eue une paroissienne avec sa voisine, qui l’avait répétée à une autre, qui l’avait racontée à une personne digne de foi, qui n’avait pas plus que les autres su garder sa langue. Bref, la rumeur commençait à enfler chez les cancanières de service. Cela arriva aux oreilles de la maréchaussée qui remonta jusqu’à l’informatrice. Comme quoi les enquêtes de proximité peuvent s’avérer bien utiles. La femme qui s’occupait de l’église, celle qui faisait le ménage, fleurissait le maître-autel et les chapelles, était entrée un jour sans prévenir dans la sacristie. Elle avait vu un homme de dos, assis sur une chaise face à l’abbé. Elle était sûre, c’est ce qu’elle avait raconté à sa voisine, que c’était un autre prêtre. L’abbé Cathala s’était aussitôt levé et avait refermé la porte, peutêtre pour que la paroissienne ne puisse pas identifier son interlocuteur. Cela ne voulait cependant rien dire : celle qui entretenait le lieu de culte n’était pas réputée pour être une femme discrète, mais au contraire, plutôt sensible aux commérages. Elle était considérée par beaucoup dans la petite ville comme une langue de vipère. Le geste du prêtre était donc compréhensible s’il avait souhaité garder une forme d’intimité.

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Les gendarmes tentèrent de savoir qui était venu rendre visite à l’abbé le matin-même du crime. Ils lancèrent un nouvel appel à témoin, spécifique cette fois-ci, demandant au visiteur du prêtre de se déclarer. Il n’y eut pas l’ombre d’un écho. L’agenda du prêtre était bien tenu, mais aucune trace de la venue du visiteur matinal. Il y avait bien eu une voiture, stationnée sur la place Jeanne d’Arc, très proche du presbytère, mais les voisins n’y avaient pas prêté attention, et la paroissienne, qui l’avait signalée aux enquêteurs, ne put dire quelle était sa marque, hésitant même sur sa couleur. Seule chose intéressante pour l’enquête : le ou les cambrioleurs n’étaient pas venus faire leur coup un vendredi. Ils devaient donc savoir que ce jour-là, plusieurs commerçants et maraîchers du marché de Lavelanet installaient leurs tréteaux sur la place, sur laquelle le marché avait débordé depuis les halles et son parking. Comme en pareil cas dans une petite ville, les conversations alimentèrent la vie de la cité ouvrière et les commerçants en entendirent des vertes et des pas mûres.


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