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ÉPOQUE
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RAICHŌ HIRATSUKA LA PIONNIÈRE OUBLIÉE
Femme de lettres dans le Japon du début du XXe siècle, elle secoue son pays en y créant Seitō, la première revue féministe, mue par une idée fixe – et révolutionnaire : les femmes sont bien plus que des épouses ou des mères. Par Françoise-Marie Santucci
Née en 1886 à Tokyo dans un milieu privilégié (son père est un haut fonctionnaire), Raichō Hiratsuka suit des études poussées en littérature et philosophie et devient une adepte du bouddhisme zen. Mais aussi, et surtout, elle développe une critique implacable du système traditionnel ultra-corseté sur lequel repose la société japonaise : pourquoi les hommes ont-ils tant de droits et les femmes aussi peu ? En 1911, avec quelques camarades, elle crée Seitō, qu’on peut traduire par « bas bleus », le sobriquet railleur qui servait jadis à qualifier les femmes de lettres. Dans ce magazine autant littéraire que militant, on peut lire une longue étude d’Une maison de poupée d’Ibsen, mais aussi des écrits pamphlétaires signés Raichō Hiratsuka. L’un d’entre eux, influencé par la spiritualité orientale comme par les luttes féministes occidentales, fait sensation. Sa première phrase ? « Au commencement, une femme était le soleil. » Parfois, elle est plus directe : « Je me demande combien de femmes ont contracté, au nom de la sécurité financière, des mariages sans amour pour finalement devenir, jusqu’à leur mort, la servante et prostituée d’un même homme ? » Dans le Japon des années 10, ça fait l’effet d’une bombe et Raichō Hiratsuka, dont la vie privée est à l’aune de ses convictions (elle a des amants plus jeunes qu’elle, fait deux enfants hors mariage…), devient une figure publique vilipendée. En 1913, la publication de son essai intitulé Aux femmes du monde a des répercussions majeures : une sorte de King Kong théorie
L’écrivaine-journaliste, en 1949.
avant l’heure. Elle questionne notamment la « féminité » et ce qu’on y assigne d’ordinaire de douceur, sacrifice et patience… au service des hommes. Mais Seitō, achevé par les scandales et les censures, finit par fermer. Raichō Hiratsuka fonde alors une association féministe qui milite notamment pour le droit de vote des Japonaises (qui ne leur sera accordé qu’en 1946). Après la fin de la Seconde Guerre, elle multiplie les engagements en faveur de la paix jusqu’à sa mort, en 1971, n’ayant jamais failli à ses convictions féministes. Car, comme elle l’écrivait, « une fois que nos yeux sont ouverts, nous ne pouvons plus nous endormir ».
Ci-dessus : Seitō, la revue de Raichō Hiratsuka (ici, un exemplaire des années 1911-1916). « Seitō » signifie « blue stocking » en anglais – « bas bleus » en français –, soit le surnom moqueur pour désigner ces femmes qui, au XVIIIe siècle, se rencontraient pour discuter de politique et d’art.
Dans notre pays, chaque jour, environ 8 plaintes pour viols sont enregistrées, mais le nombre réel est estimé à 80. Seuls 10 % des signalements aboutissent à une condamnation. L’un des facteurs qui peut expliquer ce décalage est la loi – forcément obsolète - de 1867 sur la violence sexuelle. Récemment mise à jour, elle a permis de redéfinir un certain nombre de notions, dont celle traitant du concept de consentement. Désormais, le fait que la victime ne résiste pas
ne signifie pas qu’il y a consentement. Ce qui est également nouveau, c’est que ce consentement n’est en aucun cas définitif et qu’il ne s’applique pas si l’auteur exploite l’état vulnérable de la victime - si, par exemple, elle est en état d’ébriété. Dans la nouvelle version de la loi, la peine maximale pour viol est doublée et le travail du sexe est progressivement décriminalisé. Enfin, des mesures plus strictes sont prises à l’encontre du proxénétisme. T.V.M.
PRESSE. GETTYIMAGES.
Nouvelle «loi sur le sexe» approuvée