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La crise vue par le SPI

HSimon Arnal (Haut et Court TV), Caroline Adrian (Delante Productions), Nora Mehlhi (Alef One Productions), François Bertrand (CLPB Médias), Augustin Bernard (Black Sheep Films), membres du comité directeur du Syndicat des producteurs indépendants (SPI), ainsi qu’Olivier Zegna Rata et Emmanuelle Mauger, respectivement délégué général et déléguée générale adjointe du SPI, analysent les conséquences du Covid-19 sur la filière et se projettent sur les chantiers à venir.

Relocalisé à Paris, le Festival de la fiction va se dérouler cette année dans des conditions particulières. Qu’en attendez-vous?

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Simon Arnal : La tenue de cette édition exceptionnelle “en présentiel” est très attendue et tout à fait importante pour le secteur de la fiction après ces longs mois sans rencontres. Les marchés et festivals sont des lieux d’inspiration et de partage artistique autant que de relations d’affaires pour les professionnels. Ils sont essentiels au fonctionnement de la filière. L’arrêt des marchés et des festivals en présentiel est une catastrophe en termes économiques, car la dimension humaine des relations dans notre secteur est centrale. Bien sûr, les festivals ont fait de leur mieux pour s’adapter à la situation en développant très rapidement des éditions numériques. Elles ne permettent pas cependant de développer des liens de confiance avec les acheteurs et les différents partenaires des producteurs. Tous les producteurs ont un réseau personnel d’acheteurs, coproducteurs, agents, mais les marchés servent à consolider les liens et aussi à en créer de nouveaux. Les rendezvous digitaux ne remplacent pas un cause de Covid déclaré, et nous nous réel rendez-vous –quand on n’a pas le en réjouissons. Cela permet à toute choix c’est mieux que rien, mais c’est la filière de reprendre pleinement ses une perte de valeur… De plus, les déactivités. C’était indispensable pour placements à l’étranger sont toujours la création comme pour les chaînes impossibles, que ce soit pour les fesqui ont besoin d’être alimentées en tivals ou les tournages, car le calenœuvres; mais les producteurs font de drier sanitaire est trop incertain et de gros efforts en trésorerie. Les ventes à nombreux pays ferment leurs fronl’international se sont faites tant bien tières ou imposent des quatorzaines. que mal, car l’absence de travail en Plus globalement, quel est cessus de décision.

l’impact de la crise liée

présentiel a souvent ralenti les pro

auCovid-19 sur la fiction? Les mesures de soutien prises Doit-on craindre des par le gouvernement conséquences à plus long terme? vous semblent suffisantes?

Sophie Deloche : Durant le Caroline Adrian : Les deux plus confinement, tous les tournages ont importantes mesures prises que le été arrêtés, décalés. Nous avons pu gouvernement ait prises sont, sans reprendre tous ceux qui devaient être conteste, le recours possible au chôtournés en France, grâce à l’applicamage partiel, y compris pour les intion des mesures sanitaires précotermittents, et les reports de charges nisées par nos CCHSCT, mais aussi pour les sociétés. L’instauration du grâce au fonds d’indemnisation mis prêt garanti par l’Etat et l’accompaen place par le CNC qui a permis aux gnement du CNC dans le traitement producteurs de relancer les tournages des dossiers dématérialisés ont été de manière plus confiante, en écartrès importants. Aujourd’hui, ce qu’il tant l’épée de Damoclès “Covid19”, faut mettre en place, c’est un fonds bien que les assureurs aient fait faux de solidarité pour ceux qui n’auront bond. Pour les productions, concrètepas pu produire d’œuvres en 2020, ment, nous nous ainsi qu’une mesommes adap«Il faut mettre en place sure d’élargissetés, nous avons développé le télétravail lorsqu’il unfonds de solidarité pour ceux qui n’auront pas pu ment des crédits d’impôts audiovisuels afin de était possible. produire d’œuvres en 2020, c o mp e n s e r l e Nous validons des montages à distance, nous ainsi qu’un élargissement des crédits d’impôts.» plus possible les surcoûts Covid. Pour 2021, un avons beaucoup Caroline Adrian bonus de soudéveloppé et fait tien pour tous travailler les auteurs. Aujourd’hui, les projets tournés à l’international, avec la reprise intense des tournages, et surtout la suspension de l’obliganous sommes confrontés, en France, tion de générer un seuil minimal de à un embouteillage de l’accès au masoutien pour conserver un compte tériel mais aussi aux comédiens. Nous automatique, nous semble indispenconstatons qu’il y a eu très peu de sable. Le durcissement de l’accès au problèmes d’arrêts de tournage pour fonds de soutien mis en place par le CNC avant la crise doit impérativement être revu. Sans cela, tous les calendriers ayant été décalés, ce seraient les plus fragiles qui seraient les plus pénalisés. Il paraît indispensable aussi de réarmer le service public au-delà des 70 M€ annoncés, qui vont à peine suffire à prendre en charge les JO, la prolongation de France 4 et le manque à gagner de la baisse des recettes publicitaires. Une mesure de bon sens serait de suspendre en 2021 la baisse programmée des dotations publiques de France Télévisions et d’Arte pour leur permettre d’investir plus dans la production. Enfin, il devient primordial de réformer la contribution à l’audiovisuel public pour en faire une taxe juste selon le revenu fiscal de référence des Français, qui soit déconnectée de la détention d’un téléviseur! Cela n’a plus de sens.

Quelles difficultés rencontrezvous concrètement aujourd’hui? Comment les surcoûts sont-ils compensés?

Augustin Bernard : C’est l’absence de visibilité sur la réalité de l’activité en 2021 et l’absence de partenariats qui en découlent qui sont le vrai problème. Nous devons anticiper les difficultés à venir, liées à une baisse déjà constatée du nombre de contrats signés pour 2021, que ce soit en France ou à l’étranger. Nous attendons depuis plusieurs mois les mesures de relance. Il ne faut pas oublier que la maturation d’une œuvre prend plusieurs années. De l’écriture à la postproduction, entre trois et cinq ans peuvent s’écouler. Nous devons constamment anticiper et donc avoir les moyens de le faire.

Quels sont selon vous les principaux sujets concernant

Caroline Adrian.

Simon Arnal.

Augustin Bernard.

François Bertrand.

›lafiction française cette année?

Nora Melhli : Le principal enjeu pour la fiction, c’est la diversification de l’offre. Celle-ci doit être moins centrée sur le polar, et inclure plus de modèles économiques différents.

L’offre doit aussi mieux représenter la diversité de la société dans son ensemble, devant et derrière la caméra.

L’autre enjeu essentiel pour les producteurs est celui de la régulation des plateformes qui sont distribuées sur notre territoire. Nous devons trouver ensemble un équilibre qui respecte le droit d’auteur, la notion de production déléguée et les besoins des plateformes. Deux fondamentaux au cœur du fonctionne ment de notre filière.

Comment jugez-vous le bilan deDelphine Ernotte, qui avait érigé la fiction en priorité à son arrivée il y a cinq ans? Saréélection est-elle une bonne nouvelle pour la fiction?

N. M. : La fiction remporte de beaux succès d’audience sur France Télévisions, ce qui est une très bonne chose. Sa diversification doit néanmoins s’intensifier. L’offre linéaire du service public est principalement tournée vers le polar; or la place occupée par la fiction sur ses antennes devrait lui permettre d’aborder d’autres genres. Ce doit être la marque du service public. FTV partage avec nous, les producteurs, la responsabilité de faire émerger les talents et de tenter des propositions ambitieuses.

Comment évaluez-vous lasituation des diffuseurs privés, fortement touchés par la la chute de leurs recettes publicitaires?

FrançoisBertrand. : Leur situation comme celle de toutes les entreprises privées est préoccupante, nous sommes bien placés pour le savoir. C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu la mesure de crédit d’impôt “annonceurs” dit “crédit d’impôt création” dont elles ont bénéficié depuis le dernier PLF rectificatif. Nous avons prévenu le CSA que nous étions d’accord pour lisser leurs engagements en production sur deux ans, en cas de besoin. Mais heureusement, aujourd’hui, le marché publicitaire semble repartir. On peut cependant remarquer que si certains diffuseurs privés agissent de façon responsable et solidaire, d’autres s’engagent moins. Il faudra surveiller que la situation actuelle ne serve pas de prétexte pour qu[ils contournent leurs obligations.

Arte met à disposition sur saplateforme des séries comme “No Man’s Land ”très en amont deleur diffusion. C’est une bonne idée selon vous?

S.A. : Arte propose de plus en plus de diffusions digitales, ce qui lui permet de rajeunir à son publie. C’est une bonne chose. Mais ces expériences diverses demanderaient à être un peu plus encadrées et normalisées entre les producteurs et Arte, car ces droits ont aujourd’hui de plus en plus de valeur sur le marché et devraient nous permettre de mieux financer les œuvres. Le cas de No Man’s Land est particulier, car il s’agit d’une coproduction internationale pour laquelle un accord spécifique a été négocié entre les différents partenaires de la série.

Le partenariat de TF1 avec Netflix sur “Le Bazar de la Charité” est-il une bonne chose? Souhaiteriezvous que ce type decollaboration se généralise?

S. A. : Ce type d’accord permet de travailler avec les plateformes en production déléguée, de conserver des droits et de leur apprendre à travailler “à la française”, dans le respect de nos lois et de nos pratiques. C’est une très bonne chose. Cela permet des financements complémentaires pour développer des projets plus ambitieux, comme Mytho pour Arte ou Le Bazar de la charité pourTF1.

La rentrée de TF1 est marquée par un grand nombre d’adaptations de séries étrangères. Qu’en pensez-vous?

F. B. : L’investissement de TF1 dans la fiction est important. Bien sûr, un producteur indépendant français préférera développer des séries originales françaises, en faisant travailler nos auteurs et les exporter à l’international ou vers les plateformes, mais il pourra espérer aussi que sa série soit achetée ou adaptée, c’est aussi une opportunité du marché.

La saison de TF1 va surtout être marquée par l’arrivée d’unnouveau feuilleton quotidien. Quelle est votre réaction àcesujet?

F.B. : Nous nous interrogeons sur la capacité du marché français et surtout du CNC à absorber toutes ces séries. Nous préférerions une politique plus marquée de diversification de la fiction. Il est en tout cas nécessaire que la dégressivité du fonds de soutien soit accentuée sur les feuilletons.

Quid de l’unitaire par rapport àlasérie, qui est devenue leformat de prédilection?

S. D. : L’unitaire permet une offre plus diverse, plus riche. Il permet aussi de former une part plus grande de la filière professionnelle. De manière conjoncturelle, cela permet aussi de livrer des œuvres plus rapidement qu’une série et de faire travailler davantage de talents, de réalisateurs et d’équipes.

Denombreux textes de loi modifiant le fonctionnement dusecteur doiventarriver…

Emmanuelle Mauger : La transposition de la directive SMA est essentielle pour notre secteur. Nous attendons d’être consultés sur les ordonnances qui seront prises après habilitation par le Parlement du gouvernement à légiférer, puis sur le décret qui encadrera les obligations des plateformes. Nous sommes tout particulièrement attentifs à ce que les textes qui seront pris, prévoient bien une réelle préservation de la production indépendante, sanctuarise le statut du producteur délégué, veille à la diversité de l’écosystème, entre tous les types de production mais aussi de producteurs.

Les récentes évolutions, comme la fin des jours interdits oulapublicité pour le cinéma àlatélévision, vous semblentelles desavancées judicieuses?

Olivier Zegna Rata : Toutes les organisations du cinéma s’étaient exprimées contre l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision afin de préserver la diversité du cinéma français. Force est de constater depuis cet été que les chaînes qui ont recouru à de la publicité pour des films de cinéma, en particulier M6, ont mis en avant ceux de leurs filiales. Cela ne favorise pas la diversité. L’Etat doit être très attentif aux effets réels de cette mesure pour les pondérer si nécessaire, afin de préserver notre souveraineté culturelle et la richesse de notre création.

Comment jugez-vous l’arrêt de France O et le répit d’unan accordé à France 4?

S.D.: L’Etat réduit l’offre du service public, en temps de crise, alors qu’on a vu le rôle joué par la télévision en cette période, et que tout le secteur souffre: ce n’est pas le moment. Nous avons besoin d’un maintien de France4 et non d’une rémission jusqu’à août 2021. Cela n’a pas de sens, ni en termes éditoriaux, ni en termes stratégiques. Le service public devrait amortir les effets de la crise, non les amplifier en réduisant son offre.

Qu’attendez-vous de Salto?

C. A. : Une nouvelle offre, avec un budget dédié capable d’entrer dans la compétition des plateformes. Salto ne pourrait se démarquer en étant seulement une offre de rediffusion des œuvres produites pour les antennes linéaires des éditeurs français. Il lui faudra un réel positionnement qui soit une contre-proposition aux plateformes étrangères. Seule la diversité pourra constituer cette offre alternative.

Propos recueillis par Raphaël Porier

Sophie Deloche.

Emmanuelle Mauger.

Nora Melhli.

Olivier Zegna Rata.