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Stéphane Strano : “Une rentrée cruciale

HLongtemps incertaine, la 22 e édition du festival de la fiction de La Rochelle, transformée en une “édition spéciale” délocalisée à Paris en raison de la crise sanitaire, se tiendra finalement du 16 au 18 septembre aux Folies Bergère. Si la capacité du lieu – capable d’accueillir 1600 personnes – sera limitée à 650 spectateurs, il s’agit d’un véritable soulagement pour la profession: il était plus indispensable que jamais de questionner et de célébrer la création française, francophone et européenne à l’heure où la filière sort progressivement du coma dans lequel elle s’est retrouvée plongée durant des mois. Avec quel impact ? Les conséquences de la crise provoquée par Covid-19 seront bien évidemment au centre des préoccupations. Président du festival, Stéphane Strano détaille les principaux rendez-vous de cette édition si particulière.

Menacée par la crise sanitaire, cette “édition spéciale” se tiendra finalement dans une version raccourcie à Paris. Pourquoi ce choix ?

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Parce qu’il m’a semblé qu’il existait une vraie demande de la part de l’ensemble de la profession, qui traverse une situation terrible. Après quatre mois d’inactivité absolue, il faut se rencontrer à nouveau et se remettre à travailler ! Les tournages ont repris depuis juin, mais aujourd’hui on commence à voir l’étendue du travail qu’il reste à fournir pour pouvoir repartir... Les plateformes ont profité de ces conditions bouleversées pour accélérer leur implantation alors que la réforme de l’audiovisuel, qui était censée les faire participer au financement de la création, a été repoussée.

Autant de sujets qui intéressent le festival et qui m’ont convaincu, avec le conseil d’administration, de maintenir cette édition malgré les difficultés. D’où notre choix d’organiser le festival à Paris dans un lieu prestigieux, les Folies Bergère, le tout avec l’accord du maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine.

Organiser la manifestation de manière virtuelle était inenvisageable ?

Totalement. Nous nous sommes rendu compte début juin que faute d’œuvres à présenter, nous n’aurions pas de sélections officielles, pas de jurys ni de palmarès. Une situation inédite, alors que justement cette rentrée apparaissait cruciale sur les plans artistique et économique. L’organisation d’un festival virtuel ne répondait pas selon moi aux attentes de la filière. Il fallait que toute la profession soit représentée.

Je tenais aussi à conserver les dates de l’événement, même s’il ne se déroulait plus à La Rochelle. L’intervention de Roselyne Bachelot est aussi très attendue. La ministre de la Culture a très envie de s’exprimer au sein du

Stéphane Strano

« Une rentrée cruciale »

festival pour parler à l’ensemble des professionnels du secteur audiovisuel. Je crois qu’elle va faire le déplacement justement pour nous parler, nous donner des directives.

Quels seront les temps forts de cette édition spéciale ?

Le deux grands débats, artistique et politique, pour commencer. Dans le premier (mercredi 16 septembre à 10h), nous allons réfléchir avec Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, sur la création française et la rentrée des Gafa. En particulier celle de Netflix, puisque Damien Couvreur, directeur des séries originales françaises, sera présent pour nous parler de ce que Netflix veut faire en France.

Deuxième temps fort, le débat politique du lendemain (jeudi 17septembre à 10h), qui tournera autour de la situation actuelle, et notamment de l’impact attendu de la transposition de la directive SMA. Nous allons réunir l’ensemble des dirigeants des médias pour voir comment nous pouvons nous organiser.

Troisième temps fort, la rencontre avec les présidents de régions, sous forme d’une table ronde animée par Marc Tessier (jeudi 17 septembre à 14 h). Nous évoquerons des thèmes comme l’autonomisation des régions et leur rapport avec l’audiovisuel, avec notamment l’idée qu’il est capital de développer la formation. Dans chaque région vivent aujourd’hui deux ou trois personnes, entre zéro et vingt ans, qui sont les génies du cinéma ou de la télévision française de demain: il faut parvenir à les identifier très tôt, et leur offrir une formation qui les motive par la suite à rester, afin qu’ils créent des fictions qui nous ressemblent et qui plaisent au monde entier.

Et éviter qu’ils ne soient recrutés par des acteurs étrangers ?

Oui, parce que cela conduit à un déséquilibre du marché, avec un assèchement des créateurs. On ne fait pas de film sans auteur. Or, comment lutter contre un Netflix qui pèse 17 milliards d’euros, s’il propose à un auteur de travailler à l’année, alors que l’ensemble du cinéma et de la télévision française pèse 3 milliards ? Quand le type qui pèse 17milliards parle, le pays qui pèse 3 milliards écoute.

Ce rapport de force est trop inégal, notamment lorsqu’il s’agit de protéger la langue française. Netflix est là pour exploiter un maximum de territoires et n’a concrètement aucun intérêt à défendre la langue et la culture françaises.

Je pense qu’il est important de se recentrer sur les créateurs français et les échanges avec les mondes européen et francophone. Il existe selon moi une possibilité d’exister à l’international en dehors des plateformes. Pour autant, ce serait trop facile de traiter Netflix de grand méchant loup ; c’est un acteur considérable en matière de fiction, avec une créativité sans pareille à travers le monde et une exposition internationale immédiate et exponentielle.

Vous organisez également un débat autour de l’écoresponsabilité. Cette question est-elle désormais incontournable pour un producteur ?

Plus que jamais. Ce débat (vendredi 18 septembre à 10 h) organisé à l’initiative du CNC va aborder une question capitale qui concerne l’ensemble des productions. A un moment donné, il faut savoir changer ses habitudes, même si c’est dérangeant et que cela coûte un peu plus cher: pour un film de 90 minutes, cela représente 30000 euros, une somme importante qui n’est prise en compte par personne alors que le sujet concerne tout le monde, et qu’il n’est plus possible désormais de le mettre sous le tapis.

Propos recueillis par Raphaël Porier