Dounia News, le dimanche 5 juillet 2015

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L’échec programmé de la lutte contre l’islamophobie

L

’islamophobie est une réalité qu’il est vain de vouloir ignorer. Elle est au corps social ce que la tumeur maligne est au corps malade. Pourtant, cette notion a connu d’énormes difficultés à émerger sur la scène publique et à être reconnue comme catégorie spécifique par les acteurs mobilisés dans la lutte générale contre le racisme et l’antismétisme. Aujourd’hui, un nombre grandissant d’organisations, pour la plupart musulmanes, se sont créées avec cette question à l’agenda. Elles poursuivent pour objectif la lutte pour la défense et la protection des victimes et déploient des efforts importants en vue d’assurer une représentation institutionnalisée de ce combat auprès des pouvoirs publics. La création de ces structures, à côté des organisations anti-racistes historiques, est illustrative de la crise qu’a traversé l’antiracisme traditionnel dans notre pays. Le débat sémantique a longtemps été au cœur des réticences à admettre l’islamophobie comme terrain de combat spécifique. Le caractère polysémique ou prétendument inadapté du concept d’islamophobie a constitué la principale pierre d’achoppement. Du côté des victimes, l’islamophobie apparaissait en revanche comme un néologisme à la fois utile dans la mobilisation et politiquement efficace. Sans manquer véritablement de pertinence, les critiques concernant la qualification sémantique du racisme ciblant spécifiquement les musulmans, dont tout le monde comprend intuitivement qu’il croît mais qu’on ne peut nommer sans difficulté, semblent être dépassées. Personne ne s’en plaindra à commencer par les victimes qui sont davantage, on le comprend, préoccu-

pées par la réparation et la prévention que par la qualification juridique ou sociologique des insultes et agressions qu’elles subissent. Récemment, la lutte contre l’islamophobie a connu quelques victoires symboliques. La reconnaissance et la validation du concept par le Conseil de l’Europe ou, en Belgique, par le Centre pour l’égalité des chances en sont des exemples. Ceci dit, l’heure est néanmoins à la rupture. Il ne s’agit pas simplement d’appeler à une introspection ou une remise en cause mais à une révolution copernicienne dans la manière dont la communauté musulmane organise cette lutte qui s’avance comme un somnambule vers un échec programmé. Primo, dans une démocratie de tradition libérale, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, n’ont comme perspective que la réparation ou la prévention de comportements civilement ou pénalement condamnables. Elle n’a pas de perspective en termes de promotion de valeurs culturelles ou religieuses. Or il est malheureusement évident que de nombreux acteurs musulmans entretiennent une confusion entre l’islamphobie comme combat pour la défense des droits civils des musulmans et la promotion de l’islam comme religion. La confusion entre la sphère civile et confessionnelle s’observe dans les jonctions politiques, organisationnelles et financières

qui s’opèrent entre des acteurs dont on pense qu’il mène une lutte contre l’islamophobie de manière areligieuse et d’autres acteurs connus pour leur travail missionnaire de promotion des valeurs, de pratiques, voire même de législations, inspirées par la religion. Il n’est pas surprenant dès lors qu’ils éveillent chez certains observateurs la suspicion d’une stratégie islamiste sous fausse bannière. Secundo, la lutte contre l’islamophobie subit des instrumentalisations qui menacent sa pertinence et son utilité sociale. Revendiquer la censure a priori contre un polémiste conservateur ou dénoncer la répression du négationisme au sujet du génocide arménien comme relevant de l’islamophobie sont deux illustrations parmi d’autres d’exploitations opportunistes. Il est de la responsabilité des acteurs qui se revendiquent de ce combat de ne pas engendrer ces suspicions qui affaiblissent la crédibilité de leur cause. A brouiller ainsi les cartes, certains rendent un mauvais service à la collectivité car la lutte contre l’islamophobie ne peut être couronnée de succès que si elle est pensée rigoureusement sur le plan intellectuel et menée en toute intégrité sur le plan moral. Tertio, la prise en charge de la lutte contre l’islamophobie par les musulmans eux-mêmes se fait au prix d’un isolement relatif du combat pour l’égalité sociale de manière générale. A ce jour, ces acteurs n’ont pas fait la démonstration de leur capacité à s’inscrire de manière pertinente dans des stratégies d’alliance qui dépassent leurs frontières communautaires. Fouad Benyekhlef Lire la suite de l’article : https://goo.gl/a6GIi0


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