Le supplément 100% pastel Pratique des Arts

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Pratique

Spécial atelier • Nature morte • Scène d’intérieur

ARTS

DES

Spécial pastel n°2 N° 6

Horace Champagne

J.-Y. Marrec

Au plus proche « Le paysage est mon véritable amour »

de

la nature

SUPPLÉMENT DE PRATIQUE DES ARTS N° 100 – 23 SEPT. / 24 NOV. 2011

Au sommaire de ce cahier 100 % pastel II Rencontre J.-Y. Marrec Amoureux de son littoral breton, il rend hommage, à sa manière pointilliste, à la beauté du monde marin.

VI Portfolio Quatre artistes à découvrir.

VIII Démo : nature morte M.-H. Auclair Célèbre pour ses portraits, l’artiste québécoise traite les objets de ses natures mortes avec la même sensibilité.

X Un tableau à la loupe H. Champagne Des décennies qu’il arpente le Grand Nord à la recherche de ses sujets. Aujourd’hui, il nous décrypte un de ses pastels et sa méthode sur le motif.

XIII Démo : scène d’intérieur B. Monerie Frottez-vous à des sujets familiers : un coin de salon où l’on se sent bien est un bon prétexte pour travailler des défis techniques, comme la lumière et la transparence.


Jean-Yves Marrec

LA MER EST SA PASSION DANS UN ATELIER HABITÉ PAR LES « PRISES DE VUE » D’UNE BRETAGNE RENDUE PRESQUE POINTILLISTE PAR LA TOUCHE DE PASTEL, JEAN-YVES MARREC NOUS FAIT DÉCOUVRIR, ENTRE DEUX EXPOSITIONS ESTIVALES DANS LE FINISTÈRE ET LE MORBIHAN, SON ŒUVRE DE « PASTELLISTE PAYSAGISTE » : UN HOMMAGE À LA MER.

L

’atelier, à l’étage de la maison, ne laisse rien présager du travail effectué par Jean-Yves Marrec lorsqu’il se penche sur ses feuilles de papier Canson. Nulle trace de ses activités au sol ou sur les murs, par exemple… Petit indice néanmoins : les livres ici présents sont à l’abri, dans une bibliothèque aux vitres apparemment bien scellées. Car la poudre de pastel viendrait s’immiscer dans chacune de leurs pages et les abîmer, à coup sûr, s’ils n’étaient pas ainsi protégés. Dans le prolongement de la bibliothèque coffre-fort, une solide planche posée sur plusieurs tréteaux court sur la quasi-totalité du côté de la pièce, surplombée par la fenêtre, et révèle l’infinité des nuances offertes Pors Peron. Pastel sec, 35 x 35 cm.

II

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

par les marques du marché. Au bout de la planche, sur la droite, Jean-Yves Marrec, penché sur son chevalet, met la dernière main à un pastel, un paysage maritime capté près de Concarneau. Ancré dans une terre hantée par les peintres de la Marine, tout aussi amoureux de la mer, il aime effectivement se présenter comme un « pastelliste paysagiste ». Pastelliste à plein temps depuis dix ans, l’expression lui est venue rapidement pour caractériser son travail. « J’ai fait un peu d’animaux et de natures mortes au pastel, cela fonctionnait bien ; mais ne m’intéressait pas vraiment. » Et dans ses paysages, Bretagne oblige, la mer est omniprésente. Car tout en elle l’attire : « Je l’aime calme, agitée, j’aime capter ses lumières, ses ambiances, ses

odeurs ; c’est mon monde. J’aurais vécu à la montagne, sans doute aurais-je travaillé les montagnes. Dans le désert, j’aurais peint des chameaux ! Mais aujourd’hui, je conçois mon travail exclusivement au bord de la mer. »

L’INFLUENCE DES PEINTRES DE LA MARINE Lorsque Jean-Yves Marrec découvre le travail de Jacques Coquillay, peintre officiel de la Marine depuis 1995 et grand pastelliste de la Bretagne, c’est le choc. « À l’époque, je travaillais à l’huile, je faisais un peu d’acrylique et d’aquarelle, mais je n’avais pas trouvé ma voie. Je n’avais encore jamais abordé le pastel ; en découvrant Coquillay, j’ai immédiatement adoré son travail. » Poursuivant son

Février a Concarneau. Pastel sec, 50 x 50 cm.


Spécial

pastel

Épaves n° 3. Pastel sec, 22 x 22 cm.

PORTRAIT Jean-Yves Marrec est né à Quimper en 1961. Autodidacte, il s’est formé au pastel au contact d’amis peintres et au fil de ses lectures. Il fait partie de l’Association de peintres et sculpteurs de Quimper Cornouaille. De nombreux prix et récompenses jalonnent son parcours. Il présente régulièrement ses pastels dans des Salons régionaux (Salon de Fouesnant-lesGlénan, Salon du pastel en Bretagne à Fougères…) et au cours d’expositions personnelles. www.jeanyvesmarrec.weonea.com

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III


Spécial

pastel À l’abri à Guinivrit. Pastel sec, 35 x 35 cm.

parcours d’autodidacte, Jean-Yves Marrec engrange les lectures sur le sujet, notamment les ouvrages de Coquillay, puis il se met au travail. Quelque dix ans plus tard, l’influence est toujours là, notamment dans la gamme des couleurs et le travail des ciels, même si Jean-Yves Marrec privilégie désormais les teintes plus nuancées. Aujourd’hui, les peintres de la Marine continuent de marquer son apprentissage, tandis qu’il expose avec certains d’entre eux, à l’instar de Jean Le Merdy, présent dans la même galerie que lui à Brest. Pour autant, son style, son univers, ses ambiances se créent librement, au fil des touches et des aplats. Ceux qui apprécient son travail reconnaissent son coup de pâte. « Ils me demandent souvent comment j’arrive à réaliser des choses aussi fines au pastel. C’est ma façon de faire ; je travaille exclusivement par touches. Sans être pointilliste, je suis un peu impressionniste dans la pose de mes touches. Je cherche à rendre une impression, à créer une ambiance. » Une œuvre que Jean-Yves Marrec aimerait rendre encore plus synthétique, en continuant de travailler avec des teintes douces, qui le rapprochent des couleurs naturelles.

SURPRENDRE L’ŒIL Cette recherche point déjà dans une série de travaux récents présents dans l’atelier, inspirée de l’ambiance d’un cimetière de bateaux à Douarnenez : Jean-Yves Marrec en a tiré cinq pastels en « gros plan », avec différentes orientations pour travailler la lumière et les reflets. Les fonds sont foncés, le sous-bois est en arrière-plan. « Avec les gros plans, j’ai pu accentuer le fond et faire ressortir toutes les couleurs claires des épaves. Ces épaves n’ont rien de triste, j’ai pris les couleurs aperçues sur place et “appuyé” dessus pour obtenir quelque chose. » Dans chaque œuvre, les différences viennent de la lumière et des reflets dans l’eau, « avec juste suffisamment d’eau pour avoir le reflet du bateau ». Une autre série peaufine l’approche, autour de chantiers navals. « Il ne s’agit évidemment pas, pour moi, de faire de la quantité, mais bien de transmettre, sur un thème, tout ou au moins une bonne partie de ce qu’on peut en dire. » Et le mouvement, dans ces pastels, naît des volumes et du slalom

qu’opère l’œil entre les bateaux, comme si le spectateur était en promenade dans un jardin et découvrait au fur et à mesure les beautés poussant çà et là. « Il ne faut pas tout montrer immédiatement, l’œil doit être surpris, sinon le pastel perd de son charme ; le ciel, lui aussi, accompagne le mouvement, d’une certaine manière. » Comment gagner encore en synthèse ? En étant toujours plus précis dans le travail d’approche du futur pastel. Armé de son appareil photo, JeanYves Marrec capte les lieux et les ambiances,

Texture et relief au pastel J’estompe très peu, sauf au début de mon travail, par exemple pour les arbres, afin de nourrir le papier. Mais je n’en abuse pas, sinon le papier devient mou. Je travaille plus en superposition ou juxtaposition ; c’est ma façon de trouver l’effet de matière. J’essaie par-dessus tout d’avoir du relief, et c’est assez compliqué au pastel, car contrairement à l’acrylique par exemple, tout sature vite. Le relief se crée donc entre les valeurs claires et foncées. C’est l’association des couleurs qui crée les textures.

Une astuce… À certains stades de mon travail, à force de juxtapositions et de superpositions, il m’arrive d’avoir un trop-plein de pastel. Je prends donc une lame de rasoir et je gratte le papier. Cela m’aide à récupérer de l’accrochage ou encore à obtenir des effets de matière.

IV

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

s’exerce à la contemplation. « Je peux rester très longtemps à regarder un coin pour l’intégrer, l’observer, capter l’eau, les reflets, tout ce que j’ai devant les yeux. Je ne prends jamais de notes, tout se met en place dans ma tête et ressort lorsque j’en ai besoin. La photo viendra simplement figer la composition, pour un éventuel futur tableau. » Ensuite, Jean-Yves Marrec laisse s’opérer le travail de l’esprit, et ressortira, ou pas, un jour, en guise de support à un nouveau pastel, une photo de ces moments d’éternité. ■

Mon papier de prédilection Je travaille sur du Mi-teintes Canson, contrecollé sur une cartonnette afin d’avoir un support bien rigide. J’utilise le côté lisse. Mes fonds sont toujours de la même couleur kraft, elle me convient bien, et ce depuis le début. Sur un tel fond, l’œil n’a pas besoin de réajuster les couleurs.

Le Chantier. Pastel sec, 28 x 38 cm.


Spécial

EN PRATIQUE pastel La matière

par les couleurs

CIEL, ARBRES, MER, SABLE, ROCHERS… POUR CHACUN DE CES ÉLÉMENTS, J’UTILISE UNE GAMME DE PASTELS PLUTÔT ÉTENDUE, MAIS JE PRIVILÉGIE TOUJOURS LES COULEURS DOUCES, APPLIQUÉES PAR JUXTAPOSITION ET SUPERPOSITION, AFIN D’OBTENIR UN EFFET DE MATIÈRE.

1. Mise en place de l’ambiance.

2. Trouver les mélanges. Avec un vert

3. Travail des ombres. Avec du bleu indigo

Après une première mise en place au crayon pastel, je commence par le ciel, car il donne l’ambiance et détermine le choix des futures couleurs. Je pose les couleurs rapidement, je reviendrai ensuite dessus au fur et à mesure. Un bleu foncé soutenu pour le haut, un bleu plus clair pour le bas et le lointain donnent une perspective au paysage.

foncé, un vert froid plus clair et trois verts plus chauds, je mets en place la végétation, faite de superposition de couleurs. Au départ, pour bien trouver les mélanges, j’estompe les couleurs au doigt ; pour le reste, je ne cherche pas à obtenir un travail de pastel estompé ; je reviens avec des aplats pour lui donner de la nervosité.

très foncé, je pose quelques ombres sur les rochers pour un premier équilibre ; je continue la végétation avec un vert froid foncé. Je reste dans les demi-teintes, avec un vert anglais, un brun rougeâtre et une couleur terre. J’esquisse la démarcation mer-terre avec un marron, un ocre et un beige. Je rajuste ensuite sur le ciel avec les tons de départ.

4. Premières lumières. Je pose quelques lumières au travers des arbres et commence à leur donner du volume. J’utilise mon ongle pour dessiner les branchages et reviens dans le creux avec le pastel. Mais les finitions viendront après. Je m’intéresse à la ligne d’horizon, avec un gris violacé pour créer l’éloignement de la rivière derrière. Un violet clair, que j’utilise beaucoup, servira pour les ombres plus claires.

5. Mer et rochers. Je commence la mise en place des rochers avec quelques ombres. J’installe la rivière en reprenant les teintes du ciel. Avec un ocre jaune un peu clair, un grège et un beige, je travaille l’alternance de sable sec et mouillé. J’intensifie le bord du sable avec un marron. Je pose les teintes des rochers, travaillées avec un ocre, un grège, un brun clair, un beige, un gris et un gris violacé. Un violet clair donne un peu de nuance à l’ensemble.

6. Dernières animations. Après avoir fixé le pastel, une fois qu’il est un peu sec, je place quelques bateaux pour lui donner de l’animation. Je travaille leurs reflets sur le sable mouillé. Pour obtenir des traits fins, je casse un morceau de pastel ou je me sers d’un carré Conté noir.

Texte et photos : Hélène Renais. Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

V


Quatre artistes à découvrir

The Library.

Sandra Burshell

www.sandraburshell.com

États-Unis Depuis vingt-cinq ans, sa série des « Roomscapes » s’attache à faire le portrait de la tranquillité domestique et de la quiétude du quotidien. C’est quand tout se combine – clair-obscur, lumière, ambiance d’un lieu – qu’elle est saisie par l’envie de peindre. La figure humaine s’insère dans cet ensemble, sans en être l’intérêt principal. Ce « réalisme expressif » fait la part belle aux jeux entre pastel et papier.

VI

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Remley Martin

www.remleymartin.com

États-Unis « Élevée au contact de la nature, à laquelle je suis très attachée, je peins aujourd’hui uniquement en plein air, aimant découvrir de nouvelles terres à traduire sur le papier. Pour moi, le pastel représente un point d’ancrage dans mon activité principale de peintre à l’huile ; j’aime son adaptabilité à toutes les situations rencontrées en voyage, ainsi que sa polyvalence : je n’hésite pas à l’utiliser sur tous types de supports. »


Spécial

PORTFOLIO pastel Sharon Will États-Unis « Mon but en peinture est d’essayer de capturer la beauté fugace de la lumière : c’est pour moi un véritable engagement que d’en garder la trace sur la toile. Le paysage est sa principale source d’inspiration. D’ailleurs, je peins dehors le plus souvent possible : l’observation directe est la seule façon de se rendre compte des subtilités de couleur qu’offre la nature. » http://sharonwill.com

Corner Light. 15,2 x 20,3 cm.

David Napp Grande-Bretagne Des paysages de son Kent natal jusqu’aux sites italiens en passant par le sud de la France, où il vécut, David Napp peint les terres qu’il habite. Sa dernière série, inspirée par le Maroc, nous transporte dans les souks vibrant d’odeurs et les rues bruyantes et bondées. De la lumière aveuglante aux tourbillons de couleurs, tous les sens sont ici mis à contribution. L’artiste vit aujourd’hui dans les Abruzzes, près de Pescara, région à laquelle il vient également de consacrer une série. www.davidnappfineart.com Les Teinturiers, Marrakech. 65 x 50 cm.

Tubac Pots Series III.

Texte : la rédaction. Photos : D. R. Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

VII


‘ ‘

Marie-Helene Auclair

Nature morte aux prunes

J’AI UN RAPPORT SENSIBLE AU SUJET : CES PRUNES M’ÉVOQUENT DES GARNEMENTS RAPPELÉS À L’ORDRE PAR LEUR TUTEUR, INCARNÉ PAR LA DROITURE ET LA FROIDEUR DU VASE. MAIS POUR CANALISER MES ÉMOTIONS, JE M’APPUIE SUR LA TECHNIQUE : JE MAÎTRISE MON SUJET PAR UNE ÉTUDE POUSSÉE QUI CONSTITUE LE SOLIDE SQUELETTE DE L’ŒUVRE.

www.mhauclair.com

De la composition… à l’esquisse 1 Mêlant

2 Après une étude précise

matité, brillance et transparence, tons clairs et foncés, les objets sont placés sous une lumière forte qui souligne leurs volumes et contours.

sur papier Canson, je décalque mon dessin au fusain sur un papier à tracer (papier-calque), en notant aussi le contour des ombres. Les fruits sont à peine esquissés. Dans cette période caniculaire, ils s’abîment vite et je dois les remplacer juste avant de démarrer le pastel.

3 Entre

4 Je retrace les

le papier à tracer et mon support Kitty Wallis gris, j’insère une feuille de papier manille recouverte au fusain tendre grand format.

contours du vase et du verre à l’aide d’un crayon pastel gainé de bois gris foncé pour conserver mon dessin, les prunes fraîches sont dessinées au fusain esquisse.

Palette Pastels Sennelier, Rembrandt, Girault, Derwent. ■ Terre d’ombre, terre d’ombre brûlée et gris souris pour les premières couleurs du pot et du fond. ■ Pour le pot seulement, gris vert jaunâtre, gris souris, gris violacé et gris vermillon. ■ Reflets de la fenêtre : bleu d’Angleterre et vert de chrome. ■ Prunes et reflets sur le pot : brun de vermillon, garance brûlée, brun noir et bleu intense ■ Rehauts : bleu outremer très clair et jaune brillant.

1 Je pose les premières couleurs au pastel en tons moyens en aplat par couches très légères pour ne pas saturer le support. Je veille à travailler l’ensemble du tableau en même temps.

VIII

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

2 Lorsque je juge que j’ai appliqué suffisamment de pastel, j’estompe très légèrement avec un papier essuie-tout pour fondre les couleurs. Toujours en demeurant dans des tons moyens, je commence à établir les ombres du fond : je peins de façon à sculpter le sujet de manière à donner l’impression qu’il ressort du support. L’illusion tridimensionnelle me fascine.


Spécial

GUIDE PRATIQUE pastel

3 Je couvre l’ombre par une teinte plus claire pour lui donner l’illusion de la transparence. J’estompe légèrement le fond à l’aide d’un essuie-tout.

4 Je pose peu à peu les tons plus foncés ; ce sont les fruits mûrs qui me dictent à quel rythme je dois peindre, ils changent de couleur rapidement. Je dois toutefois me maîtriser pour continuer à travailler avec patience et ne pas céder à mes émotions qui ont parfois tendance à s’emballer comme un cheval fou…

5 Je force les ombres et les tons foncés puis peins les feuilles. Peu à peu, j’entreprends les tons plus clairs et je commence à établir les rehauts, en veillant à l’harmonie. Je délaisse mon modèle pour me concentrer sur le tableau seul. J’estompe à la mie de pain par endroits sur le vase pour suggérer textures et profondeur. Quelques retouches par endroits apporteront encore plus de vie.

6 C’est le moment de peindre le verre, les fruits me pressent… Situés à l’intérieur du verre, ils sont peints avant lui. Attention, un verre trop travaillé perd en transparence et devient terne comme de la matière plastique. À l’inverse, un reflet vertical et quelques rehauts suffisent à suggérer sa matière et à lui donner du volume.

« Pour l’harmonie, les mêmes teintes ont servi au fond et au vase : cela contribue aussi à créer un contraste saisissant avec les prunes. »

Démo, texte et photos : Marie-Hélène Auclair. Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

IX


AU CŒUR DE

Horace Champagne La composition PORTRAIT Installé au Québec, il vit et travaille en plein cœur de la campagne. Il se passionne depuis trente ans pour la peinture de paysage sur le motif, à la recherche d’une nature authentique et préservée. Maître pastelliste de la Société de pastel de l’Est du Canada, il est honoré d’un prix qui porte son nom, décerné aux jeunes talents dont la progression a été remarquable.

P

ratique des Arts : Horace, raconteznous, en quelques mots, l’histoire de ce pastel. Horace Champagne : Il représente la réserve faunique des Laurentides, au Québec, un de mes endroits préférés. Je m’y rends surtout en automne, pour les couleurs et les premières tombées de neige. Ces arbres qui dans la lumière tombante passent du doré au rouge profond sont des mélèzes laricins. On voit ici la source de la rivière Montgomery qui se jette dans le Saint-Laurent, 120 kilomètres au sud. Si en vieillissant je peins davantage d’après photos, je reste très proche de la réalité, tout en m’autorisant à déplacer quelques éléments et à accentuer les couleurs. PDA : Pouvez-vous nous décrire la conduite d’une œuvre ? H. C. : L’élément auquel j’attache le plus d’importance est la composition. Les couleurs, les valeurs sont là pour garder les choses en mouvement. Même s’il faut qu’il y ait, dans chaque œuvre, une zone de repos. Je commence toujours par un dessin préliminaire, afin de fixer la composition une fois pour toutes car, comme vous le savez, une fois que le pastel est posé, impossible de revenir en arrière! J’utilise toutes les couleurs (je peux en emmener 300 sur le motif!), sans préférences. Je ne suis pas d’une nature à apprécier les journées grises, mais il m’est arrivé de réaliser de beaux pastels dans la brume et sous la pluie, en Terre-Neuve, où de toute façon il fait gris (Suite en page XII) huit jours sur dix !

X

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

Ce que vous voyez dans cette œuvre est presque tout ce que j’avais sous les yeux. J’ai pris beaucoup de photos de ce paysage. Si j’avais peint ce pastel sur le motif, j’aurais tout déplacé de manière à obtenir ce que je voulais et j’aurais sûrement placé cette vieille branche magnifique de manière à ce qu’elle devienne un élément important du pastel. Celle-ci nous emmène vers le coude de la rivière à l’arrière-plan puis par-dessus la rivière au premier plan, qui est traité de manière lâchée.

Premiere Neige dans le parc des Laurentides, Québec. 30,5 x 45,7 cm.

Le choix du papier La couleur du Pastel Card est pour moi primordiale. Ce pastel a été réalisé sur du n° 10 bleu clair, qui constituait un ton moyen parfait pour l’ensemble de l’œuvre. C’est en fait ma teinte de choix pour mes sujets hivernaux – bien que j’apprécie aussi les bleus plus foncés, qui permettent à l’œuvre finale de vraiment vous sauter au visage. J’évite les papiers clairs et il m’est impossible de travailler sur du blanc. Pour ce pastel, la teinte terre de Sienne brûlée n° 3 aurait été tout aussi bien, car c’est une belle teinte chaude.

La neige Prenez une feuille de papier de teinte moyenne à sombre ; choisissez un pastel bleu ou violet clair, apposez des touches horizontales vives et des touches tout en rondeur, ondulantes… Voilà, vous venez de peindre la neige !


Spécial

TABLEAU À LA LOUPE pastel

LA NATURE

Texte : la rédaction. Photos : D.R.

« LE PAYSAGE EST MON VÉRITABLE AMOUR. J’Y VOIS DES PEINTURES OÙ QUE MON REGARD SE POSE. » ET EN TRENTE ANS DE PRATIQUE À LA RECHERCHE DU MOTIF, HORACE CHAMPAGNE N’A CESSÉ D’EXPLORER CETTE NATURE QU’IL AIME TANT. MAÎTRE DU PASTEL, IL N’A POURTANT PAS DE RECETTE, JUSTE UNE CERTITUDE : « LA PASSION ! POSEZ UNE SEULE TOUCHE DE PASTEL AVEC PASSION ET C’EST LA VIE QUI JAILLIT ! »

La touche La touche large est mon écriture. De cette façon, je peins très vite. La pire chose qui pourrait m’arriver serait de devoir recouvrir ces touches généreuses ! Elles paraissent, pour le spectateur, spontanées… mais pour moi, ce sont des joyaux de ma création !

Les couleurs Je travaille sur toute la surface en même temps. J’ai commencé avec un geste souple, sans trop appuyer, avant d’ajouter des touches de bleu clair au premier plan. En fait, je « vois » les couleurs au fur et à mesure que j’avance dans mon sujet. Je place toujours à certains endroits de la composition des couleurs plus vives qu’il ne faut. Le soleil était à un angle différent, j’ai donc poussé les couleurs, les renforçant dans les collines au fond. L’air avait la clarté du cristal, mais j’ai accentué le violet de manière à avoir un contraste avec l’orange.

« On peut dire que je travaille à l’instinct jusqu’à la moitié de l’œuvre. Tout est réalisé en peu de temps. En extérieur, chaque pastel demande moins d’une heure, et ce quel que soit le format. » Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

XI


Spécial

pastel

Horace Champagne PDA : Pour vous, quel est le secret d’une peinture réussie ? H. C. : Voilà bien la question n° 1 que l’on me pose et je pense que la réponse est : il n’y en a pas. J’ajouterai cependant ceci : vous devez d’abord maîtriser les bases. Je n’aime pas les règles, et pourtant le respect de règles de base est le fondement de tout art. Vous êtes ensuite tout seul avec votre interprétation ; il n’y a pas deux personnes qui voient le sujet de la même façon. Ce qui compte par-dessus tout, en un mot : la passion. La passion est ce qui nous pousse à nous dépasser. Quand on est passionné, pas besoin de réfléchir, car c’est elle qui prend le dessus. Une seule touche de pastel, si elle est posée avec passion, jaillit alors de la feuille ! ■

À voir Découvrez l’ensemble de son travail ainsi que des extraits de ses DVD sur son site : www.horacechampagne.com

Lumière d’automne dans la forêt. Île d’Orléans, Quebec. 30,5 x 38 cm.

Lever du soleil à travers la mer agitée. Rose Blanche, Terre-Neuve. 45,7 x 30,5 cm.

Mes conseils pour peindre en plein air Soyez préparé et ne vous encombrez pas avec trop de couleurs. À l’extérieur, je peins sur un petit tabouret pliant et je fixe la feuille sur une planche de contreplaqué placée sur mes genoux, ma boîte de pastels au sol à mes côtés. Je prédécoupe mes feuilles au format désiré : 8 pouces par 10 (20,3 x 25,4 cm) et 12 pouces par 15 (30,5 x 38,1 cm) pour les plus courants, ou 16 pouces par 20 (40,6 x 50,8 cm) pour les plus grands et 6 pouces par 8 (15,2 x 20,3 cm) pour les petites choses de trente minutes maximum.

Mon matériel J’utilise des pastels Sennelier, Girault, Unison. Le Canson était mon papier de choix, le côté fin, mais depuis une quinzaine d’années, je prends du Pastel Card de chez Sennelier. C’est avec lui que je travaille, mais des douzaines de supports étant aujourd’hui disponibles, je ne peux que vous encourager à tous les essayer. Je n’utilise jamais de fixatif, jamais ! Je me sers en revanche d’une lame de rasoir tenue à angle droit afin de faire tomber le surplus de poudre, voire effacer quelques petites erreurs ; attention, cela ne fonctionne que sur de petites zones et il faut surtout être très précautionneux.

Travailler d’après photo

« Je n’estompe que très rarement. Une œuvre sur trente, peut-être, demande à ce que les contours et les nuages soient un peu adoucis. »

XII

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

Je me sers d’un appareil photo pour enregistrer mes sujets. En hiver, je mets mes bottes de neige pour aller dans les contrées sauvages et vers la solitude. Je peux prendre des centaines de clichés afin de capturer la bonne lumière. À un moment donné, je sais que je vais trouver la scène que je veux peindre. Au Canada, nous aimons presque tous la neige, et rien ne surpasse la réverbération du soleil sur la neige fraîche, ainsi que les ombres mouvantes, parées de bleus et de violets.


Spécial

Brigitte Monerie GUIDE PRATIQUE pastel

Intérieur un jour d’été

www.brigitte-monerie.book.fr

TOUR À TOUR PUISSANTES ET DOUCES, PROFONDES ET ÉCLATANTES, LES COULEURS DU PASTEL SE PRÊTENT BIEN AUX CONTRASTES ET À L’EXPRESSION DES CONTRE-JOURS. BRIGITTE MONERIE A CHOISI UNE SCÈNE D’INTÉRIEUR PAISIBLE QU’INONDE LA LUMIÈRE D’UNE FENÊTRE OUVERTE SUR LE JARDIN.

Matériel

2 Je reprends le dessin

■ Gammes complètes des marques Blockx, Unison, Sennelier, Daler-Rowney, Girault, Schmincke… même si je n’en emploie qu’un vingtième ! ■ Gomme mie de pain ■ Pastelmat de Clairefontaine, d’un ton soutenu pour faire ressortir la couleur et les contrastes.

Palette Unison ■ Vert 25 ■ Gris A 27 ■ Gris 7 et 9 ■ Bleu-violet 6 ■ Bruns terre 10, 16 et 17 ■ Orange A 13 (rouge) ■ Jaune 7 ■ Brun laqué

1 J’esquisse ma composition sur un premier support, pour me rendre compte des proportions et adapter mon format. Ensuite, les contours sont réalisés au fusain : très fin, il permet de les reprendre facilement. Pas de crayon pastel, dont la mine peut rayer le papier et rendre toute reprise impossible. Ici, la précision est importante… Les traits ne doivent pas être trop appuyés afin de faciliter la restitution des couleurs et des ombres.

avec un pastel noir Girault de manière à retravailler les formes et les masses, préciser encore le dessin, traduire les plis et les ombres. Le pastel permet de rectifier le trait en gardant une certaine mesure : il faut garder à l’esprit la fraîcheur et la spontanéité de l’interprétation. Certains contrastes méritent déjà d’être appuyés : je marque, par exemple, l’intérieur de la cheminée avec la tranche du pastel.

« L’intérieur est un choix plaisant, qui peut tenir lieu d’entraînement sur certains points techniques. »

Girault ■ Violet 391 ■ Violet Van Dyck 409 ■ Ocre jaune 177 ■ Ocre de chair 19 ■ Momie 107 ■ Orange ■ Noir

Choisir un sujet familier Le traitement des contrastes, les proportions, le rendu des volumes, comme ici le bras du fauteuil, mais surtout la lumière vont changer au fil des heures. Préférez un cadre personnel grandeur nature, un coin qu’on aime bien chez soi, qu’on aura plaisir à retravailler plus tard, de la même façon ou un peu différemment… pour défier à nouveau les points techniques sur lesquels on a buté la première fois.

Artworks ■ Vermont 280 ■ Spring 560 ■ Olivia 195

Et aussi… ■ Ocre de ru 120 (Sennelier) ■ Rouge indien (Winson & Newton) ■ Fuchsia (Blockx) ■ Blanc (Daler-Rowney).

Texte et photos : Elsa Colin.

Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011

XIII


3 J’ai envie de commencer par le jardin et l’exubérance tout en contrastes de la végétation d’été, offerte par la fenêtre grande ouverte. Le noir, le bleu foncé vont détailler la silhouette des arbres. J’ose quelques touches abstraites plus claires, vertes, qui pourront être reprises ensuite.

4 Ici, le travail des ombres est très important et permet de restituer une ambiance d’intérieur vivante, qui a de la profondeur. Pour traduire ces ombres avec plus de sensibilité, je choisis le violet, à mon sens plus adapté que le brun ou le gris. Et, dans la lumière, on trouve toujours un peu de bleu… Ici, le violet sert parfaitement l’ombre du mur. Attention cependant à ne pas employer tout à fait le même ton de violet sur des éléments contigus, ce qui troublerait la compréhension de l’œuvre.

Mes conseils Rien ne sert de courir, vous êtes chez vous et avez tout le temps ! Malgré son apparente simplicité, une scène d’intérieur mérite réalisme et rendu précis des formes, des proportions soignées, un bon équilibre général. Avant de commencer, un bon repérage des rapports de taille du mobilier peut être nécessaire. Posez les couleurs sans vous presser, par couches fines, de manière à pouvoir les rectifier plus facilement ensuite. Il ne faut pas hésiter à vérifier sa composition en prenant un peu de recul, de temps en temps. Aux trois quarts de la réalisation, il peut être utile de cadrer le travail en fixant sur votre papier du ruban de masquage : cela permet de savoir où l’on va et, surtout, d’éviter d’assombrir ou de forcer le trait.

5 Je traduis l’intrusion hardie du soleil dans

6 Je commence à travailler le fauteuil, point central de

cet intérieur bien paisible en plaçant les rais de lumière (sol, cheminée…). J’estomperai ensuite le « surplus » de zones très claires : pour vive qu’elle soit, la clarté doit rester naturelle. L’une des principales difficultés de l’exercice est de s’en tenir à la reconstitution de l’éclat du jour tel qu’il était projeté au début du travail : une photo prise à ce moment-là peut tout de même se révéler utile par la suite. Il faudra, tout au long de la composition, extrapoler les couleurs qu’influence la direction de la lumière.

la composition. Plus on dispose de pastel de qualité, plus riche est la palette et bien meilleure est la restitution des formes, le réalisme de la composition. Pour rendre le volume des bras du fauteuil, je procède par gestes précis, arrondis, dans le sens de la forme, de son galbe.

7 Par sa couleur vive, le coussin accentue encore l’effet de profondeur, d’intimité chaleureuse de la scène : j’ai pris la liberté de métamorphoser en orange l’écru trop neutre de mon coussin, ce qui va attirer l’œil au milieu du tableau. Trois tons d’orange sont utilisés, pas plus – clair, moyen et foncé : c’est suffisant pour rendre le volume réaliste. Un peu de jaune, par touches, rehausse le rendu de l’étoffe.

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Pratique des Arts n° 100 / Octobre-Novembre 2011


Spécial

GUIDE PRATIQUE pastel Gérer la lumière

8 Le travail des ombres se poursuit. Les tons foncés permettent de « poser » les éléments : par exemple, on assombrit les pieds du fauteuil pour lui donner du poids, l’asseoir au centre de la scène ; on souligne la fenêtre pour donner moins d’importance aux éléments qui l’entourent. Pour restituer l’ombre derrière le tapis, je renforce le vert par du gris clair ; je fonce le mur derrière le fauteuil pour « décoller » celui-ci du fond.

« Pour restituer l’ombre, derrière le tapis, je renforce le vert, déjà utilisé, par du gris clair. Dans la même intention, je fonce le mur derrière le fauteuil pour “décoller” celui-ci du fond. »

10 Le travail des détails peut être poursuivi. Pour la revue, le violet soutenu est intéressant : déjà utilisé dans les parties médianes de la composition, il complète sans trancher – l’œil est donc toujours attiré par le fauteuil. S’il est tentant de reproduire le feuillage, mieux vaut procéder par points et petites touches pour ne pas, là encore, laisser trop fuir le regard vers l’extérieur de la scène, le jardin. Évitez d’y poser des tons trop clairs qui pourraient rapprocher la végétation et fausser la perspective. Il faut savoir s’arrêter à temps et ne pas poser l’élément de trop, superflu, qui ruinerait les efforts accomplis pendant ces quelques heures !

9 Dans cette composition, un beau rendu des rideaux – clairs – n’est pas facile. Pour s’en sortir, on peut choisir une couleur qui n’attire pas trop le regard et, pourquoi pas, miser sur le flou. Autre astuce : appuyer la lumière avec du blanc estompé, à la verticale, pour rendre le tissu plus vivant sans avoir à trop insister sur le drapé, les plis.

La particularité d’un travail en cadre réel est de gérer le travail de la lumière. Réaliser un intérieur permet ainsi de se frotter à certaines difficultés : la lumière change au fil des heures. Ici, la fenêtre grande ouverte sur la clarté d’été, qui apporte des rais de lumière vifs, contraste fortement avec l’ombre portée par le fauteuil, et surtout la cheminée. Appuyé, soutenu et tout en reprises, le pastel permet de restituer ces contrastes ainsi que la profondeur de champ.

Encadrez ! Ne tardez pas à encadrer la réalisation : le papier peut gondoler assez vite. Fixez avec un passepartout pour laisser passer un peu d’air entre les supports lorsqu’ils sont rangés – à la verticale bien sûr.

Test couleur Le choix des couleurs est combiné au travail d’observation et d’intuition. Je garde à portée de main une feuille-test sur laquelle je pose les couleurs au fur et à mesure, pour être sûre de faire les choix adaptés.

Astuce J’utilise une règle pour vérifier mes horizontales et au besoin rectifier ce qui n’est pas vraiment droit : la fenêtre, notamment, mérite des lignes cohérentes sous peine de desservir la perspective.

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