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SERGE ARMEL DJIDJOU le

Qui est Serge Armel Njidjou?

Je suis un Camerounais de 49 ans, passionné de l’innovation, profondément amoureux des cultures africaines. Je dirige l’Agence Universitaire pour l’Innovation(AUI), un courtier d’innovations que j’ai fondé en 2016. La structure a déjà mis sur le marché camerounais, via son entreprise AUI Techno, une dizaine de technologies, dont la Couveuse néonatale interactive Mawouo. Nous comptons une dizaine de prix importants au Cameroun, en Afrique et en France. On peut citer le Prix du Chef de l’Etat pour l’Innovation (Février 2018) , le Prix Orange pour l’Entrepreneur social en Afrique et au Moyen Orient, le prix du Challenge digital de l’Agence Française de Développement, entre autres.

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Vous êtes un entrepreneur de plus en plus connu à travers le monde, quel a est votre parcours professionnel jusqu’ici ?

Très tôt, dans les années 90, j’ai fait du génie logiciel, donc, de l’ingénierie informatique. Je l’ai fait pendant quelques années comme consultant à l’Université de Ngaoundéré. Puis, j’ai ouvert et géré un cabinet dans le domaine à Douala. J’ai par la suite intégré l’écosystème de l’Université de Dschang. Là-bas, je me suis d’abord occupé de l’interface avec les entreprises. Puis, j’ai œuvré à la mise en place du Groupement d’intérêt économique de cette université, une sorte d’entreprise universitaire. En outre, j’ai occupé les fonctions de Chef de Division de Planification, puis celles de Chef de Division de la coopération.

Parallèlement, depuis 2016, j’ai créé, avec quelques passionnés, l’Agence Universitaire pour l’Innovation. Son siège est à Yaoundé. Elle a l’ambition d’établir un pont entre la recherche scientifique et le marché. AUI Techno, l’entreprise industrielle et technologique qui en a découlé, a vu le jour en 2019. Elle fabrique dans son atelier de Bafoussam plusieurs technologies : Couveuse néonatale interactive « Mawouo » ; portique électronique hybride ; incubateur à œufs ; fumigateur, etc.

Pourquoi avoir choisi d’entreprendre en Afrique vue les obstacles que rencontrent la plupart des entrepreneurs africains, pourtant tout présage que vous auriez pu avoir une meilleure réussite en occident ?

Je suis né en Afrique. Je suis Africain. Et personne ne viendra développer notre continent à notre place. C’est à nous de le faire. Nous n’avons pas le choix. C’est cette conviction qui m’anime au quotidien.

Pourquoi choisir d’innover dans le domaine médical ?

Il faut dire qu’au départ, L’Agence Universitaire pour l’Innovation s’intéressait plus aux technologies

pour l’industrie agro-alimentaire, à l’instar de l’incubateur à œufs. Il se trouve qu’un drame survenu à l’hôpital central de Yaoundé, en 2016, a poussé l’équipe à s’intéresser à la problématique des couveuses néonatales. Une dame avait perdu ses quintuplés nés prématurés dans cette formation sanitaire parce qu’il manquait ces appareils.

En faisant de la recherche, dans une démarche d’innovation, nous avons constaté qu’il était possible de fabriquer des couveuses néonatales sur place, en tenant notamment compte de notre contexte énergétique. C’est ce que nous avons fait, avec l’idée de faire un atelier dans chacun des 15 pays africains que nous avons ciblés. L’objectif étant de fournir, non seulement une technologie fiable et adaptée, mais aussi un service de maintenance après-vente de proximité. On doit pouvoir réduire la mortalité des bébés prématurés pour lesquels l’Afrique est le continent le plus touché. C’est comme cela que mon équipe est entrée dans le champ médical. Et depuis lors, nous avons multiplié les initiatives dans ce domaine.

Vous considérez-vous comme étant un entrepreneur à succès, sinon à quoi ressemblerait le succès pour vous ?

17 Janvier 2020- Livraison d’un exemplaire de la Couveuse néonatale Mawouo à l’Hopital régional de Bafoussam

Non, je ne suis pas un entrepreneur à succès. C’est une notion qui est galvaudée dans notre environnement. Si on me considère comme un entrepreneur à succès, cela suppose qu’on condamne notre société à l’échec. Je ne suis qu’au début. Je me considère juste comme quelqu’un qui montre la voie de la dissidence. Il faut casser la malédiction qui veut qu’on importe les technologies les plus basiques, alors qu’on forme plus de 2000 ingénieurs par an dans notre

pays. Ensuite, je me bats aussi pour que ceux qui me suivent apprennent à travailler en équipe. C’est la raison pour laquelle, s’il y a une chose à célébrer dans mon cas, c’est l’équipe « AUI », qui a quand même accompli beaucoup de choses en très peu de temps et avec très peu de moyens. Mais le succès est encore loin. On travaille à ce qu’il arrive.

Certains entrepreneurs se retrouvent entrain de migrer vers les pays occidentaux après avoir réussi à mettre leurs projets au-devant de la scène, qu’en est-il de vous,

est-ce qu’une migration se prépare ?

Chacun fait ses choix en fonction de ses expériences personnelles. Il peut être mal placé de les juger. Cependant, il faut dire qu’on est dans un contexte assez difficile où il y a très peu de mesures incitatives. Vous paraissez toujours fous quand vous lancez certaines initiatives. Après, comme j’ai dit plus haut, personne ne viendra développer l’Afrique à la place des Africains. C’est à nous de nous adapter.

Que représente l’Afrique pour vous ?

C’est un continent où tout est en friche. C’est le lieu de toutes les batailles mondiales. Il n’y a qu’à voir toutes les convoitises dont le continent fait l’objet. Nous devons donc nous battre pour ne pas être de simples spectateurs dans ce contexte.

Quelle valeur accordez-vous à la culture africaine ?

Je suis un passionné et un défenseur du patrimoine culturel. C’est ce qui nous singularise. A une époque, j’ai édité un magazine sur la culture.

Pensez-vous que la culture peut contribuer au développement de l’Afrique ? si oui, de quelle manière ? Notons que les produits de l’AUI Techno sont brandés aux couleurs de l’Afrique !

La culture est le fondement du développement. Il ne peut en être autrement. Les autres ont basé leur développement industriel sur leur patrimoine culturel. C’est ce que nous devons faire également.

Un retour aux sources est-il nécessaire pour l’Afrique sur le plan culturel ?

C’est une nécessité si on veut se développer.

Vos usines de production sont situées dans les villes de Bafoussam et de Dschang, pourquoi ne les avoir pas installés dans les grandes métropoles telles que Douala et Yaoundé ? y a-t-il un objectif relatif au développement ?

Nous préférons parler d’atelier, plutôt que d’usines. En 2016, nous avons commencé les prototypages à Dschang. Toutes les personnes impliquées dans nos projets habitaient cette ville à l’époque, y compris moi-même. Après avoir créé l’entreprise AUI Techno en 2019, nous avons établi l’atelier de production à Bafoussam. C’est une question liée à la maitrise des couts pour un projet qui nait. Non seulement, nous avons facilement eu des locaux à Bafoussam, mais il était plus simple de déplacer le noyau dur de l’équipe de Dschang, les deux villes n’étant distantes que de 45 kilomètres. Mais par la suite, nous avons créé des ateliers-relais à Yaoundé et Douala, quand il a fallu par exemple développer les technologies antiCOVID 19.

Comptez-vous innover dans des domaines autres que la médecine ?

Nous avons des technologies dans d’autres secteurs. Nous avons bien démarré par l’incubateur à œufs. Nous avons aussi conçu et testé un distributeur automatique de boissons, qui va, par exemple, révolutionner l’industrie des jus de fruits dans la plupart des pays africains.

A votre avis, quelle ont été jusqu’ici les difficultés rencontrées par les africains dans le processus de

développement, et quelles sont les pistes de solution que vous proposez ?

Sans vouloir faire la leçon à qui que ce soit, il faut dire que les Africains gagneraient à travailler en équipe. C’est ce qui nous a le plus fait défaut. Maintenant, il faut bien qu’on apprenne à commencer par des petits bouts. On se fourvoie énormément dans les dynamiques des projets pharaoniques qui finissent par devenir des éléphants blancs.

Propos recueillis par la rédaction de TRESORS D’AFRIQUE Magazine

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